Ça ne change rien. Et ça n’aurait rien changé. Freya aurait pu être là qu’elle n’aurait rien pu faire pour les empêcher. Elle n’aurait même pas eu le courage d’appeler les autorités parce que ce sont ses frères et que par cet amour tordu mais présent qu’elle a pour eux, elle préfère se chicaner et se détruire avec eux plutôt que de les savoir au trou en voisinage avec leur père. Elle refuse encore de les mettre au même niveau que lui, elle ferme les yeux sur la possibilité que ses frères deviennent leur père, ce monstre sans cœur qui l’a terrorisé plus d’une fois. Pas seulement à cause de son feu mais tout le reste. Ses excès de rage, ses cris, ses menaces. Ses coups que Wren finissait toujours par prendre parce qu’il a un putain de bon fond sur lequel il ferme les yeux. La suédoise n’a jamais rien demandé à son jumeau parce que Tobias est le plus difficile à atteindre. Mais Wren, elle s’était permise d’être exigeante, la déception est donc d’autant plus forte et encore plus dure à accepter. Lui qui avait l’air si droit dans ses pompes, le plus droit d’entre eux tous, le voilà qui se perdait dans des sentiers qu’elle ne peut pas comprendre. Pas encore, peut-être jamais. Alors Freya passe la main dans ses cheveux en secouant la tête. « Rien. Et que si même moi j’arrive pas à vous arrêter, qui l’fera ? » Et elle pourrait se mettre à chialer en réalisant encore une fois qu’elle n’est pas mieux et qu’elle n’est pas suffisante. Freya qui a encaissé les péripéties de son frère, de son copain, de sa meilleure amie. Qui a fait des conneries mais qui se dit que c’est pour la bonne cause. Qu’elle est psychologiquement stable depuis deux mois. Mais non, ce n’est pas suffisant. Elle perd Tobias et encore pire, elle perd Wren. Et ça, c’est presque inconcevable pour sa cadette.
« Ne m’remets pas ça sur l’dos. C’est toi qu’a choisi d’faire ça. » Wren avait été dans une situation impossible bien trop jeune et Freya a pleinement conscience d’être cruelle à ce moment-là. Et injuste. Mais elle est énervée. « Arrête, tu vas vraiment m’faire chialer. » Pas pour ça en tout cas. Pas pour savoir qui le cerveau le plus détraqué, la maladie la plus notif. Freya n’en a rien à faire, Wren pourra lui donner toutes les explications possibles, jamais elle ne traitera leur truc au même titre que ce qu’elle a.

« Enfin, faut prier pour que Tobias comprenne qu’il faut foutre le gamin dans l’eau et pas dans les bougies, hein. » Un ton complètement dédain juste avant le mini brasier devant leurs yeux. Freya ne réagit même plus en observant les flammes ; elle qui aurait cru paniquer, tourner de l’œil, devenir folle comme sa pauvre mère, que nenni. L’expérience n’aura duré que quelques secondes mais suffisantes pour qu’on puisse contempler un cerveau qui commence à partir en vrille.
Alors quand Wren vient la réprimander en la prenant par les bras, Freya siffle. « Bah quoi, t’as pas kiffé ? C’est pas c’que t’veux ? Qu’on soit tous au même niveau, qu’on finisse enfin par arrêter de s’bouffer et que, quoi, qu’on s’unit pour le meilleur mais surtout pour le pire ? Tu l’fais avec Tobias, pourquoi j’pourrai pas, moi aussi ? Et ouais, tiens, m’immoler par l’feu, j’le noterai la prochaine fois que j’aurai une crise de démence ! » Elle crie, elle se débat, elle peste. Des tentatives de suicide, elle en a testé quelques-unes, mais jamais le feu. Est-ce qu’elle pourrait réussir son coup avec ça ? « Après tout, j’fais chier la terre entière, p’t’être que cette technique s’ra la bonne ! »

Il détestait la voir ainsi, aussi dure envers lui et pour autant toujours aussi fragile quand elle n'essayait pas de le tuer verbalement. Freya luttait corps et âme, Wren le voyait bien parce qu'au fond, elle avait peur pour eux. Pour que les choses tournent mal, qu'ils perdent totalement le contrôle et finissent brûlés dans un fossé quelconque ou en compagnie de leur père dans la prison de la région. Doherty comprenait cette appréhension, il l'avait longtemps vécue vis à vis de Tobias mais jamais il ne s'était vu à cette place lui aussi et c'était pourtant le parcours qu'il avait choisi en allant mendier un bidon d'essence au voisin du dessous avant de se laisser dans une purge d'envergure avec l'immeuble où avait résidé sa chère mère pendant plus de quinze ans. Adieu tous les efforts de Wren pour paraître normal. Adieu sa vie entière de lutte acharnée pour que toute la famille s'en sorte sans trop souffrir. Adieu à cette âme qu'il avait porté vaillamment depuis le jour de sa naissance. Wren avait tout perdu en actionnant son briquet une fois de trop et il en payait le prix quelques jours plus tard, en devant faire face à sa pire ennemie... Sa petite soeur, celle qui était capable de lui faire du mal avec une simplicité déconcertante parce qu'elle le connaissait par coeur, qu'elle l'avait vu dans tous ses états ou presque. Freya était sa boussole, celle sans qui Wren ne vivait pas réellement et c'était lui, là, qui essayait de la tuer avec toutes les conneries qu'il faisait alors, il essayait de ravaler la honte qu'il avait de constater les émotions que véhiculaient les yeux de sa cadette. C'était si dur à voir, peut être plus encore que tout entendre. "A part nous-mêmes, personne peut arrêter ça, tu le sais." Elle pourrait leur tenir la main, les rassurer, voire même les applaudir pour leur apparente débilité, Freya ne pouvait pas les aider à subsister face au mal qui les rongeait. C'était à eux de faire le chemin en sens inverse et Wren ne savait pas s'il était encore en mesure de le faire après tout cela. "Moi aussi, je vais chialer, d'entendre des trucs pareils après tout ce qu'on a vécu." Certes, ce n'était pas à la hauteur de la déception de la suédoise mais c'était tout de même quelque chose qui mettait un coup à la petite fierté de Wren. Il en avait tant fait pour cette famille et il n'avait jamais eu aucun remerciement, voilà qu'on le jugeait pour la première incartade parce qu'il n'avait pas le droit d'être humain. Il n'avait jamais eu le droit de l'être. La situation lui échappait totalement, là, tout de suite, et l'ancien pompier n'eut pas le loisir de réagir à cette histoire de baptême fictif puisqu'il avait dû éteindre le feu que Freya avait lancé inopinément. Si même elle s'y mettait, ils étaient clairement tous au fond du gouffre. "Mais tu dérailles complètement, ma pauvre! Bien sûr que non ça me fait pas kiffer. Qu'est-ce que tu raconte, putain? Tu vas pas devenir comme maman là. Tu vas pas te cramer la gueule et tu vas pas devenir comme nous. T'es la meilleure d'entre nous, Freya, alors arrête de vouloir faire la conne au moindre petit souci que tu maîtrises pas là..." Elle se débattait mais Wren ne la lâchait pas. Hors de question. Il ne la laisserait pas devenir folle, pas après qu'il eut chuté juste avant elle. "Tu m'as jamais fait chier. Freya, nom de dieu... Tu te rends compte de ce que tu dis? Personne veut que tu meures, surtout pas moi." Elle le faisait pleurer maintenant et Wren ne l'avait pas vu venir celle là, mais c'était sa soeur, son tout et rien de tout cela n'avait changé, même s'il était devenu une mauvaise personne. Il l'aimait encore plus que les flammes, pour toujours et à jamais.

A part nous-mêmes, personne peut arrêter ça, tu le sais.
Elle le sait, putain qu’elle le sait. Et ça lui aveugle les yeux tellement que ça l’énerve, Freya. Sa propre colère lui traverse la rétine et elle a le cerveau qui explose. Une bombe à retardement qui a été sur veille pendant des années, qui a été dans l’ombre de son propre corps, de sa propre âme sans même que la suédoise puisse en comprendre l’ampleur elle-même. Il y a un truc absolument démentiel qui se propage dans son système veineux, dans le nerveux, dans le palpitant. Elle a les veines qui cognent, elle a mal au crâne parce que l’alcool n’apaise rien, parce qu’elle a un goût amer dans la bouche, parce que malgré juste les quelques secondes d’autodafé improvisées, ça pue le cramé. Freya a les mains qui tremblent et ça ne serait pas pour Wren qui la retient par les bras, elle serait sûrement tombée comme la pauvre merde qu’elle est. Comme il le sont tous. Fratrie meurtrie, fratrie pourrie. Se choyer dans la déception, s’aimer dans l’horreur, se brûler avec bonheur. Et même les mots de Wren ne l’atteignent pas, non. Freya rigole parce que c’est à son tour de prendre son pied. Et elle rigole encore plus quand il dit qu’elle est la meilleure d’entre eux parce que, putain, ça, c’est du foutage de gueule.

« Tu m’dis j’suis pas mieux qu’vous, que j’devrais assumer c’que j’suis mais j’suis la ‘meilleure d’entre nous’ ? Nan mais sérieux, Doherty, c’est quoi ton discours de merde, là ? Et ouais, j’déraille complètement mais c’est ce qu’on sait faire, les femmes de cette famille ! Vous, vous allumez des feux et nous, on est complètement folles. Vos flammes sont toujours pour notre gueule, vos conneries nous plongent dans la folie un peu plus. Faut t'y faire, big bro, c'comme ça qu'ça fonctionne. » La cadette se débat et elle finit par hurler à la mort en criant. « Lâches-moi, p’tain ! Le moindre petit souci, c’est vous, putain de plaies que vous êtes ! J’veux pas t’maitriser, j’veux t’protéger, j’veux pas que t’aille sur cette voie-là, j’veux pas qu’tu m’abandonnes ! » Et dans sa folie qui lui est sienne, furie à l’extrême, des larmes de rage qui parlent dans ses yeux, Freya continue à se débattre. Elle n’en a rien à foutre de ses larmes à lui, elle en a rien à faire qu’il la caresse dans le sens du poil. Elle ne veut juste que son grand frère aille mieux, qu’il ne plonge pas, qu’il ne la laisse pas seule. Si elle perd Wren, elle perd tout repère dans le monde. « Tu m’as clairement dit ‘tu fais chier’, que j’étais pathétique, une putain d’hypocrite. Alors TA GUEULE, Wren, la ferme, j’crèverai si j’ai envie, j’ai jamais attendu ton autorisation pour ça t’façon. »

Elle était en train de chavirer et Wren ne savait pas comment s'y prendre pour la remettre sur le droit chemin. Est-ce que c'était possible, au moins? Il en doutait parce qu'ils étaient tous des cas désespérés, les Doherty et que, même les gens les plus patients du monde n'auraient pas réussi à les ramener parmi les vivants. Il laissait les larmes couler, il ne réagissait plus à rien, se contentant de garder un contact certain avec sa soeur, ses mains ne la lâchant pas malgré tous ses cris de protestations. Il méprisant tant ce qu'elle pouvait dire et il n'avait pas grand chose à répondre parce que Wren savait qu'elle n'avait pas tort, qu'elle parlait en connaissance de cause, que leur univers entier était pourri jusqu'à la moelle à cause d'éléments extérieurs qui n'avaient jamais pu maîtriser mais tout se mélangeait désormais, absolument tout. Freya parlait de lui, de ce qu'il représentait pour elle, du fait qu'elle ne pouvait pas vivre sans lui et Doherty pleurait, tout simplement. Elle lui en demandait trop là, parce qu'il n'était pas bon pour parler, pas plus que pour la réconforter, tout ce qu'il savait faire, c'était l'enrager. Freya méritait mieux qu'un tel traitement, même si elle n'était pas prête à l'entendre à l'heure actuelle. Il tenta de déglutir mais il sentait que sa gorge était nouée, pas autant que ses entrailles cela dit et ses lèvres tremblaient parce qu'il essayait de se contenir, le grand dadais, il essayait mais c'était vain quand il faisait face au désespoir de sa petite soeur. De la femme de sa vie. "Je disais des conneries, Freya. Tu sais bien que je fais que ça, dire des conneries. T'es parfaite comme t'es et je veux pas te perdre, OK? Je t'abandonne pas, tu vois, je suis là et tout va bien aller. Reviens moi, ne deviens pas comme elle, s'il te plaît, j'y survivrai pas moi non plus." Il était dans un sale état à son tour alors qu'il finissait par entourer le corps frêle de la suédoise, la prenant dans ses bras malgré la haine qu'elle avait encore à cracher envers lui. "Non, tu vas pas faire ça parce que t'as plein de gens qui t'aiment, tu te rappelles? On est p'tet cons, Tobinet et moi, mais on t'aime. Et puis, il y a Elias et ton copain, Jillian... Tu peux pas abandonner tout ce monde, hein?" Est-ce que prononcer toute cette liste de noms allait changer quelque chose? Wren n'en avait pas la moindre idée mais en tout cas, il ne comptait pas la lâcher d'une semelle avant qu'elle ne réussisse à se calmer et surtout, à redevenir elle-même, sa Freya qu'il aimait de tout coeur.

Les mots sont des bourdonnements dans les oreilles. Wren parle mais le contact ne passe pas, les ondes sont brouillées. Freya n’entend que les battements de rage de son cœur, que ses tympans qui s’enflamment - sans putain de jeux de mots - que cette tension qu’elle retient depuis des années et qui tombe, qui s’enflamme, qui la prend de court. La respiration est difficile, d’autant plus qu’elle s’entête à s’époumoner, à le sermonner, à lui faire du mal aussi sûrement. Parce qu’il vient de lui en faire, cruellement, dans une folie douce, peut-être un simple moment à vide de la part de l’aîné mais Freya ne peut pas s’empêcher de lui en vouloir. Toutes ses trippes crient à la trahison, chaque pensée ne songe qu’à la confiance qu’il a ébranlé, bousillé, massacré. Normalement, elle devrait tenter de se calmer, essayer de se dire que ça n’arrivera plus jamais. Leur laisser le bénéfice du doute, se faire une raison qu’ils ont un problème, que personne n’a été blessé dans l’entreprise. Mais la suédoise n’est pas une personne lambda, personne dans cette foutue famille ne l’est. Wren lui a dit qu’elle n’avait qu’à assumer ce qu’elle était, comme eux, alors pourquoi elle se retiendrait ? Pourquoi elle n’aurait pas le droit de leur balancer des chaises ou des bouquins à la gueule puisqu’elle, son combat, c’est de ne pas sombrer dans la folie pure ? Si les garçons portent la croix de leur père, alors elle doit supporter celle de la mère, cela semble logique. Se cramer la moitié du visage et finir cloitrée dans le noir pour le restant dans ses jours, voilà son destin funeste. Ses frères lui ont montré qu’ils ne peuvent pas échapper à ce qui les attend, même avec toute la volonté du monde alors à quoi bon ? A quoi bon continuer ce fichu traitement, à quoi bon prétendre qu’elle est normale, pourquoi elle ne va pas tout de suite dire à Tim de se ramener pour qu’il contemple l’étendu de la folie de sa famille ? Elle lui ment, elle se ment et Wren essaie de passer de la pommade sur ses propres paroles mais c’est foutu de foutu. Le mal a été fait, les mots ont transpercé ses tympans et jamais, jamais Freya ne pourra les ôter de sa tête.

Alors les larmes de Wren, il peut les avaler et s’étouffer avec pour le grand bien que ça peut lui faire. Sa cadette a fini par se débattre quand il l’entoure de ses bras, un combat perdu d’avance de toute façon. Ça aussi, elle ne peut pas lutter, alors à quoi bon ? Son visage placardé contre le bras de son aîné, frêle créature qu’elle est face à lui si géant, si imposant, ses yeux bruns fixent derrière lui. Enlacer Wren en retour, c’est comme signer avec le diable, embrasser une nouvelle vision des choses. « C’est faux. Si c’était vrai, vous auriez pas fait vos conneries. Si c’était vrai, Elias m’aurait pas ignoré pendant des mois. Si c’était vrai, Tim n’aurait plus peur de son ombre. Si c’était vrai, Jill n’aurait pas fait une putain d’overdose. » Elle a les doigts qui se crispent derrière le dos de Wren alors qu’elle ne quitte pas des yeux la vision du salon du taudis des jumeaux. Alors non, la liste ne lui fait pas forcément de bien et Freya finit par se détacher de lui pour aller tâter du pied là où elle a cramé quelques couvertures de livres. « Pas comme si on lisait t’façon. » Elle en fait vriller un en tapant du pied dedans avant de soupirer tout en prenant sa tête dans ses mains. « M’fais pas croire que ‘tout va bien aller’. Y a rien qui va aller. Ils vont chercher à savoir qui a fait ça, ils vont vouloir chercher les responsables et tu crois qu’en remontant à l’identité de maman, ils vont pas remonter à l’historique de famille ? » Parce que oui, Freya ne peut s’imaginer que ses frères aient pu faire passer ça pour un incident involontaire. Ce qui serait louche, elle en est persuadée. Son visage est complètement fermé et complètement hagard, épuisé par tout. Elle voudrait juste s’enfermer dans sa chambre et exploser toute sa rage un peu plus en même temps qu’un torrent de larmes. Ça brûle toujours et ça le fera pour une durée indéterminée.
Et les mots doux de Wren ne pourront rien y changer, cette fois.

Tant de drames alors qu'il était question de leurs retrouvailles après des semaines l'un sans l'autre mais c'était trop tard pour les effusions de tendresse: aucun d'eux n'était assez ivre pour s'y oser. C'était déjà énorme que Wren ait tenté de la prendre dans ses bras, même si elle n'était pas particulièrement ravie de le laisser faire mais elle avait conscience qu'il avait la carrure, Wren, et qu'il ne la laisserait pas lui échapper après la frayeur qu'elle venait de lui faire. Elle était si à fleur de peau là et Doherty comprenait que c'était sa faute car elle avait l'air d'aller si bien ces derniers temps, il l'avait vue sourire tant de fois et voilà qu'en un simple événement, le brun avait tout foutu en l'air. Royalement. Freya allait le haïr désormais et il sentait les noeuds grossier au fond de lui, Wren n'avait jamais connu une telle sensation. Il avait l'habitude de n'avoir strictement rien à faire de ce qui se passait autour de lui, surtout lorsqu'il s'agissait des sentiments d'autrui. Aucun intérêt à ses yeux mais la suédoise avait toujours été son exception et il avait la sensation qu'il allait en mourir si elle ne retrouvait pas sa posture normale. Sa pauvre mini Doherty, celle dont il avait passé sa vie à s'occuper, à faire en sorte qu'elle trouve la conscience qui lui manquait mais elle ne pourrait plus jamais croire qui que ce fut maintenant que ses frères se présentaient en démons, et de la pire espèce par dessus le marché. "C'est pas parce qu'ils ont leur propre merde à gérer qu'ils t'aiment pas. Pense pas ça, Freya, t'as toujours eu une place essentielle pour eux. Pour moi. Sinon, pourquoi j'aurais fait tout ce que j'ai fait pour toi, pour vous?" Il leur avait tout donné, mais particulièrement à sa cadette parce qu'elle paraissait en apparence plus fragile, même si c'était sûrement faux. Elle était celle qui ne lui refusait rien, contrairement à Tobias qui niait toute forme d'autorité alors, cela faisait plaisir à Wren de passer du temps avec elle, beaucoup moins de la voir le lâcher pour shooter dans le reste du livre qu'elle venait de brûler, prononçant des paroles toujours aussi teintes de morosité. "On trouvera une solution et puis, ils savent rien. Pourquoi penser au pire comme ça? On s'en sortira, on est increvables avec Toto alors, pas de risque qu'on t'abandonne. Tu veux pas un verre d'eau ou aller te reposer? Tu dois subir le jet lag..." Ou juste les conséquences de leur innommable connerie mais cela, Wren essayait de le rayer de son cerveau pour le moment, se dirigeant vers le canapé pour s'y laisser choir, sa tête entre les mains. Il n'avait définitivement pas pensé aux conséquences et maintenant, ils étaient tous dans la merde la plus totale.

« Oh, tu veux dire quand t’as dû aller dealer par ma pomme ? Non, encore mieux, pour ma gueule ? » Lui foutre ses propres mots au visage comme un venin, quelque chose que Freya réussit toujours à faire. Quand il s’agit de blâmer les autres, d’étaler sans le montrer sa propre souffrance, de faire culpabiliser autrui, elle est malheureusement assez douée dans son domaine. Repousser, s’enfermer, mettre la limite. Elle l’a fait avec Elias, elle le fait avec Tim et elle semble suivre la même voie avec Wren. Mais Wren, c’est différent car il sait tout d’elle. Il est le grand frère, il est le protecteur, il est celui qui a toujours veillé sur elle, qui l’a toujours réceptionné quand elle en avait besoin. Son repère, son soutien, celui en qui a elle a(vait) une confiance aveugle. Mais il a tout ébranlé, là, et Freya ignore si elle pourra lui pardonner ce geste. Parce qu’il a déjà fait un écart il y deux mois mais il s’était repris. Est-ce que là il va réussir à faire quelque chose de cohérent avec sa carcasse ou il va tout simplement se laisser se morfondre dans le trou à attendre la faucheuse arrive ?
La cadette le suit du regard alors qu’il va s’asseoir sur le canapé et le voir prendre sa tête entre ses mains la déstabilise totalement. Comme si Wren vient enfin de se réveiller, qu’il a enfin réussi à perdre ce putain d’air narquois et mauvais pour contempler un peu le résultat réel et solide de leur acte absolument stupide. « Nan, j’ai pas soif et j’ai pas besoin d’aller m’reposer. » Même si elle est crevée, Freya est trop sous tension et sous adrénaline pour aller dormir de toute manière. Elle se retient sur une chaise en blanchissant ses doigts qui se serrent autour du dossier. « Pourquoi penser au pire ? Parce que visiblement vous avez pas dû y penser et que j’suis la seule personne encore à peu près cohérente pour penser au pire. T’étais pompier, Wren, dis-moi au moins que t’aurais pu faire croire à, je sais pas moi, des plombs qui ont grillé ou un truc qui provoque un feu naturellement ! Dis-moi pas que vous y pas êtes allés à coup d’essence partout dans la baraque. » Là où ils ont vécu après l’incendie de papa, ce foyer bien plus calme qu’avant, coupé par le cri de la mère folle ou par la fratrie qui se chamaillait. Des souvenirs avec Terrence, avec Elias, même si elle est partie de chez sa mère il y a déjà un moment.

Freya a les lèvres qui frémissent un moment, closes, hésitante à l’extrême avant de se décider d’aller rejoindre Wren sur le canapé. Elle reste un moment juste à observer son profil avant de poser son visage contre son omoplate, dans son dos, les yeux mi-clos. « J’pourrai me renseigner auprès d’Elias. Voir s’il pourrait pas savoir quelque chose. T’as pas un ou deux contacts à la caserne qui peuvent renseigner ? » Après tout, ça reste l’appartement de leur mère, ils peuvent être en totale panique sur cet incendie soudain. Ils peuvent être de sacrés foutus bons comédiens quand ils veulent.
Tout comme Freya peut être une bonne actrice pour faire croire à son frère que « Ça va aller. » Pour eux, pour elle, pour la famille. Parce que la vérité est que rien ne va aller. Qu’ils le veuillent ou non, leurs esprits ne seront plus jamais les mêmes après ça.

Il allait se barricader dans son mutisme, c'était ce qui se passait quand on avait Wren Doherty à l'usure. Sa soeur avait touché les câbles qui blessaient et le pauvre suédois n'avait plus envie de surenchérir alors non, il ne répondrait pas. Il ne lui ferait pas le plaisir de suggérer que c'était de sa faute s'il était devenu un dealer parce qu'il avait bien fallu s'occuper de la petite dernière, payer les factures et la nourriture. Il ne dirait plus rien, il la laisserait déblatérer pour quinze, peut être finalement que c'était la meilleure tactique à avoir pour la calmer. Wren, pour le moment, alla s'asseoir dans le canapé et il se laissa affalé, la tête entre les mains, yeux fermés. Non, les deux frangins n'avaient pensé à rien et maintenant, ils étaient tous à deux doigts de finir chez les flics avec aucun argument qui les sauverait de la taule. Lequel d'entre eux allait croiser en premier le paternel? Wren espérait que ce ne serait pas lui parce qu'il le détestait ardemment, lui et ses grandes mains qui avaient tant de fois martyrisé son coeur parce qu'il répondait, le gamin, et qu'il ne voulait pas laisser gagner ce fou furieux. Et si c'était Tobias en premier? Il se ferait embobiner dans les embrouilles de Doherty Senior et là, ce n'était pas certain qu'il reviendrait un jour parmi les vivants. Ah bordel, il avait déconné puissance mille. Et sa soeur chérie, est-ce qu'elle devrait y aller elle aussi en cellule? Rien que d'y penser, il pourrait se remettre à pleurer mais Wren était vidé, trop d'émotions en un temps record et il n'avait plus la force de rien. Il allait donc probablement rester dans cette position jusqu'à ce qu'il meure de faim ou de soif, c'était peut être ce qu'il y avait de mieux à faire, se sacrifier pour que le reste de la fratrie dise que c'était lui qui avait tout fait brûler. Ce n'était pas très grave s'il n'était plus là pour être jugé, n'est-ce pas? "Je peux pas te dire ça... J'ai pas pu contrôler Tobiberon... J'y ai pensé à tout ça, je t'assure, mais il avait déjà foutu de l'essence partout alors..." Il avait suffi d'un briquet, basta. Doherty sentit sa soeur poser sa tête sur son omoplate et il n'osa pas se retourner vers elle parce qu'il ressentait la honte grandir en lui. Il n'avait pas su se maîtriser et il n'avait pas été la voix de la sagesse, celle qu'il avait pu être pendant près de quinze ans et voilà le résultat. S'il n'était pas le Doherty responsable, tout partait en fumée en moins d'un quart d'heure et il était fautif. Coupable. "Peut être, je sais pas... Je suis désolé. J'ai tout fait foirer, t'as raison, je suis un frère de merde." Et rien n'allait être bien. Rien ne les aiderait, à part peut être un peu de chance mais Wren n'y croyait plus tellement. Il voulait juste dormir là et ne plus se réveiller.

Freya a naturellement l’étape première des conséquences de leur acte complètement inconsidéré visée dans la tête. Dire que la liste n’est pas déjà assez longue quand on compare leurs conneries communes - drogue, pour vol, tapage nocturne, outrage à agent, ivresse sur la voie publique, dégradation, rien que ça, à eux trois, ils alignent les palmarès - Freya sait que ce qu’ils ont fait, c’est un point de non-retour. Une étape au-dessus mais surtout, l’ouverture de vieux souvenirs qu’elle aurait préféré garder en tant que tel, un simple souvenir, une passade dans sa vie qui est loin, très loin derrière elle. Mais les deux mâles ont toujours été un rappel de ce souvenir, de cet appartement en flammes, des cinq années qui ont suivi avec la peur constante que le père revienne pour finir le travail. Freya n’a jamais compris si ce soir-là, c’est là où ils ont tous perdu quelque chose avec les cendres ou non. Leur mère brûlée a plongé dans un mutisme incroyable et chacun dans la fratrie a dû gérer de sa propre façon les conséquences de l’acte de leur géniteur.
Exactement comme à ce moment-là, où la cadette a sa joue contre le dos de son aîné, signe que même si elle est en colère, même si elle est déçue, même si elle lui en veut, elle ne pourra jamais le détester. Jamais pleinement, jamais complètement. Wren est un tout à lui tout seul et s’il y en a bien un des deux qu’elle peut essayer de tendre la main, c’est bien lui. Tobias est déjà perdu, il faut qu’elle l’accepte. Même si ça aussi, c’est compliqué, c’est dur et qu’elle n’y arrivera sûrement pas avant un bon moment. Parce que pour l’instant, Freya est calme d’apparence ; il y a tout frémi et qui frétille en elle et elle n’est pas peu fière de pouvoir garder les dents serrés sans que Wren ne puisse la voir.

« Evidemment qu’t’as pas pu l’contrôler. Depuis quand t’as cru pouvoir l’faire, Wren, sérieux ? » Déjà que Wren n'a pas réussi à se contrôler lui-même. Tobias est un électron libre, il est un danger pour tout le monde et surtout pour lui-même. Mais ce n’est rien comparé à Wren qui a déjà prouvé qu’il peut être bien mieux que lui, bien mieux qu’elle et bien mieux que tout ça. « Mieux que d’y penser, fais-le la prochaine fois. De réfléchir deux s’condes au lieu de foncer tête baissée, putain. » Comme s’il y aura une prochaine fois. Freya veut croire que non mais est-ce que c’est raisonnable d’en rester là ? Elle finit par se détacher de lui pour s’enfoncer dans le canapé, la main sur les yeux tout en lâchant un soupir. « Arrête ton cirque. C’est fait, c’est fait. Bordel, mais qu’est-ce qui t’es passé par la tête ? T’étais en thérapie et tout ça, comment t’as pu tout foutre en l’air comme ça ? » Parce qu’il y a forcément un élément déclencheur. La suédoise ne peut pas croire que Wren aurait foutu leur mère à l’auspice et cramer l’appartement juste comme ça, sans aucune raison.

Dépasser cette limite était synonyme de tant de souffrances à venir et Wren avait beau le savoir, il n'avait pas nécessairement l'envie de faire demi tour. Par peur avant tout, car ce qu'il avait fait n'était pas conséquence et cette fois, il ne pourrait rien oublier. Bien sûr, il pourrait faire semblant, reprendre le cours à peu près normal de sa vie en occultant la demeure familiale en cendres, l'enquête de police et les dangers qui planaient sur la vie du reste de la fratrie mais il n'avait jamais été lâche à ce point. Doherty pensait forcément à tout ce qui aurait un impact sur les autres, surtout sur sa petite soeur qui essayait de le réconforter comme elle le pouvait, collée à lui sur le divan. Cette fois, Wren ne pourrait pas retourner ses yeux vers elle, il ne pourrait pas la regarder en face, non, pas après ce qu'il avait provoqué comme tornade sur son existence si tranquille. Freya avait passé des semaines tranquilles en Suède et Wren en revenait à regretter qu'elle ait dû rentrer un jour parce que c'était fini la neige, les rires et les instants de joie. Il n'y en aurait plus avant un long moment et c'était lui, le plus grand coupable de cette histoire puisque personne n'était franchement étonné de la prise de décision de Tobias, par contre. Lui, c'était une autre histoire: il était celui qui réfléchissait pour eux tous, qui pesait le pour et le contre avant de lancer son frère et sa soeur dans une embrouille. Quand il n'y avait que lui, c'était clairement une autre histoire en vue de son impulsivité mais là encore, Wren ne pensait pas à lui. Il n'osait même pas répondre à sa cadette, juste hausser les épaules parce qu'il savait qu'elle avait raison, en espérant qu'il n'y aurait aucune prochaine fois. Plus jamais. Wren ne pouvait plus parler parce que sa gorge se nouait, que les questions de Freya se portaient jusqu'à son cerveau et qu'il n'en fut pas plus pour que le grand dadais s'effondre en larmes sur le canapé, la tête toujours entre ses mains. Ce n'était pas son genre de se lasser aller à ce genre d'excès émotifs mais c'était trop pour lui tout cela, bien trop à gérer. Il lui fallut une bonne minute pour faire taire ses sanglots. "Désolé, c'est rien." Faux, Doherty, absolument faux. Il y avait un élément déclencheur et pas des moindres, tout le monde le savait et cela le bouffait tout cru, littéralement. "J'étais en thérapie, ouais, et ça a pas marché, tu vois. Tout ça, parce que je suis un connard, Freyou. Depuis treize ans, je suis un connard, je mens pour rien et je sais pas ce que j'essaye de faire, rien de bien en tout cas. J'ai toujours été amoureux de la même fille et elle voudra plus jamais être avec moi, je suis pathétique comme frère. Désolé." Il allait l'être pendant encore une bonne décennie, voire même jusqu'à son dernier souffle alors qu'il essuyait ses larmes et reprenait sa respiration, plus honteux que jamais.

Freya est peut-être une tempête, une bombe à retardement qui n’a besoin que d’un événement pour se déclencher, il n’empêche qu’elle aime son frère. Alors le voir s’effondrer de la sorte, lui d’habitude si impassible, si détaché, si dédaigneux de tout, ça lui pince le cœur. Plein de petits pincements à cet organe si précieux mais dont les choses extérieures réussissaient à malmener sans qu’elle puisse que d’avoir le choix autre que de réagir. Par la colère, par la violence physique et vocale, par une folie parfois passagère. Même si cette folie-là, coincée dans sa tête, elle est complètement ahurissante. Freya finit par relâcher sa propre pression, elle tente de foutre un coup de pied au cul de sa rage pour qu’elle aille se tapir dans un coin, au moins le temps qu’elle prenne Wren dans ses bras. La cadette amène le visage de son aîné contre elle, le faisant vaciller sur sa frêle personne, ses bras l’entourant une nouvelle fois mais avec plus de chaleur et de vigueur que tout à l’heure. Elle l’écoute, elle l’entend, et elle a mal pour lui. Encore une fois, Wren prend et encaisse des choses mais ça va être quoi, la prochaine fois qu’il perd pied ? Il reste un Doherty et même si elle a la sensation d’avoir un enfant dans les bras, il reste son aîné. Qui lui a maintenu qu’il a un problème à la tête au même stade qu’elle - même si ça, elle continuera à penser l’inverse.
« Sssht, hey, j’suis là, ok. Et j’serai là pour t’dire que t’es p’t’être un connard qui sait pas réfléchir mais t’es mon frère, que j’t’aime et que malgré tout, j’te laisserai pas tomber. Tant pis pour celles qui peuvent être là pour toi mais moi j’bouge pas. » Enfin, à part si son cerveau déraille et décide que c’est vraiment le moment de retenter une petite danse avec la mort. Mais ça, Freya ne préfère pas le dire. Son frère le sait que trop bien. La suédoise caresse les cheveux de son frère tout en le berçant doucement contre elle, exactement comme lui a pu le faire de (trop) nombreuses fois pour l’apaiser elle. « On reste liés. Pour l’pire et l’meilleur. On aura beau s’bouffer la gueule, s’engueuler en s’envoyant des trucs, s’insulter, la preuve est qu’on est toujours ensemble. Même Tobias. On va régler ça, on trouvera quelque chose. » N’importe quoi, quitte à ce que ça douteux, encore plus illégal, elle en a rien à faire. Ses frères ne finiront pas voisins de leur père, c’est hors de question.

Il ne l'avait pas vu venir, celui-là. Ces larmes qui sortaient par centaines, aucune d'entre elles qui ne pouvait contrôler. Bon sang, était-il tombé aussi bas que cela? Wren n'était pas du genre à pleurer, il abhorrait ce concept plus que n'importe quel autre parce qu'il n'avait jamais eu le droit d'être vulnérable, pas quand on devenait le père de substitution de deux cadets plus paumés que lui. Alors, à seize ans, le jour de l'incendie, le suédois avait arrêté de montrer la moindre émotion et ces dernières semaines, ce beau principe semblait s'envoler en fumée plus qu'il ne l'aurait souhaité. Qu'allait-il devenir maintenant qu'il avait ouvert les vannes? Il y avait encore tant d'incertitudes, de douleurs qui le hantaient mais il y avait Freya qui le tenait fermement contre elle, qui caressait ses cheveux et Wren s'autorisa à sombrer dans ses bras parce qu'elle ne le jugerait pas. Pas sa soeur. Il l'avait récupérée tant de fois dans des états plus chaotiques que celui-là encore et il en avait eu le coeur serré, alors il se doutait sûrement de ce qu'elle devait ressentir en le serrant plus fort encore. Wren ne pouvait toujours pas la regarder en face, la honte subjuguant la moindre parcelle de son cerveau. On parlait de prison, de conséquences désastreuses et lui, il pleurait à cause d'un amour perdu. Vive ton sens des priorités, Doherty. Cela dit, Freya n'avait pas l'air d'en être choquée pour un sou alors que Wren se calmait peu à peu. Il savait se contrôler en la matière et il le montra en retrouvant une contenance plus qu'appréciable. "Je t'aime aussi, mon p'tit chou." Il lui fit un clin d'oeil, montrant qu'il plaisantait en s'osant à ce genre de surnoms avec elle. Wren était encore trop fragile pour tenter le diable, surtout avec une Freya qui avait montré une de ses pires facettes quelques temps auparavant. "Je suis sûr que oui... Voix de la sagesse, ma Freyou." Il s'osa à offrir son regard à elle, s'autorisant à caresser ses cheveux avec une touche d'affection palpable dans ses yeux verts d'eau. "Je crois qu'il faudrait qu'on nettoie tout ce merdier avant que Tocard rentre sinon, il va plus se sentir d'apprendre que sa jumelle a cramé un truc." Wren se releva du divan et proposa sa main à sa soeur. La trêve était annoncée mais rien n'était réglé pour autant, loin de là même.

Freya regarde par-dessus la tête de son frère l’autre côté du canapé, ce voile quasiment absent mais qu’elle ressent fort bien. Quelque chose qui s’est brisé en elle mais qu’elle ne voit pas encore forcément parce qu’elle est pour l’instant concentrée sur son frère qui se repose sur elle. Et ça, ça la rassure. Qu’elle puisse encore avoir cet impact sur lui. Qu’il puisse se rendre compte ne serait-ce que pendant un moment, durant une seconde de lucidité qu’elle réussit à lui faire avoir la prise de conscience terrible. Wren qui pleure, c’est Wren qui ressent son humanité quelque part derrière tout ce foutoir que doit être sa vie. Cette partie de sa vie que Freya n’a jamais réussi à voir et qui a finit par la faire sentir plus pitoyable sur son propre état. Alors oui, elle sait ce qu’il peut ressentir quand elle leur dit qu’elle refuse de lui présenter son copain. Mais il ne peut pas non plus la blâmer de faire la même chose que lui.
La jeune femme l’embrasse sur le front par habitude avant qu’il se redresse et grimace avec ce surnom absolument ridicule. Peut-être que ça aussi, ça devrait la rassurer. Mais Freya n’oubliera pas, elle ne peut pas mettre ce genre de choses de côté. Cette fois-ci, les mots tendres de Wren ne pourront pas apaiser ni réparer la cassure qui s’opère dans sa tête. « Voix d’la sagesse, tu parles. On est bien barrés si je suis la voix d’la sagesse. » Freya soupire alors qu’elle le laisse lui martyriser ses cheveux qui n’ont déjà plus de sens depuis au moins vingt-quatre heures avant de le regarder se lever pour lui tendre la main. Franchement, elle ne sait même pas si elle réussirait à trouver grâce aux yeux de son jumeau même si elle se met à son niveau. Ils doivent la voir comme une chieuse infinie qui les empêchent de s’amuser réellement, certainement. Alors la suédoise a un léger ricanement en prenant la main Wren tout en se relevant. « V’là qui serait un plot twist surprenant, pas vrai. Et toi, t’es pas fier, alors, c’est ça ? » De quoi il aurait pu être fier de toute façon alors que son regard brun tombe sur la pile de livres, ceux à une couverture à moitié cramé ? Freya se penche et regarde le trou sombre que ça a provoqué, son doigt passant dessus comme la débutante qu’elle est. « Merde, c’est encore chaud. » Avec l’alcool, devait y avoir un effet de cause, sûrement. Elle balance le livre dans la poubelle tout en passant devant en allant ouvrir les fenêtres. Freya passe la tête cinq minutes dehors pour prendre (littéralement) de l’air alors que les faibles court d’air d’été s’immiscent dans l’appartement. Voilà un bon moment que les fenêtres n’ont pas été ouvert ici.

Ils allaient devoir tout remettre en ordre et cela ne valait pas uniquement pour les débris qui jonchaient le sol mais aussi pour leur vie en vrac. Wren détestait plus ou moins ce qu'il était devenu et qu'il allait continuer à être dans les prochains jours mais il pensait qu'il y avait encore une chance de sauver Freya et, en conséquence, il allait prendre. Sa soeur était la personne la plus importante de son existence et il ne pouvait pas imaginer une seule seconde qu'elle puisse le quitter à un moment donné même si leurs disputes étaient toujours aussi impressionnantes que celle qu'ils venaient de vivre. En réalité, leur caractère de cochon les poussait toujours à exploser et se lancer des sacrées piques mais il y avait toujours une réconciliation qui arrivait peu après car ils étaient totalement co-dépendants. Effectivement, Wren avait beau jouer au grand dur, il avait néanmoins conscience qu'il ne fonctionnait pas correctement s'il n'y avait pas Freya dans son paysage. Sans elle, il faisait n'importe quoi, la preuve avec cette incendie de la demeure Doherty. Si elle n'avait pas été en Suède à ce moment-là, il était probable qu'elle aurait empêché cette dérive parce qu'elle avait toujours les mots pour ramener Wren vers elle, même s'il n'aimait pas toujours les entendre. Ceux qui avaient été prononcés ce jour là n'étaient pas agréables du tout et il allait devoir prendre le temps d'y réfléchir dans les jours à venir mais chaque urgence en son temps. Pour le moment, il se releva du divan pour s'approcher de Freya, elle qui jouait la carte de la témérité pour ramasser les cendres, se brûlant sûrement les doigts au passage. Wren alla, lui, chercher une pelle et un balai pour ramasser les morceaux qui s'éparpillaient au fur et à mesure, se refusant à ce que sa soeur se fasse plus de mal désormais. "Je suis fier d'aucun d'entre nous. Mais le pire reste ma propre personne, ne t'en fais pas." Sa cadette avait réussi à revenir à elle avant que l'accident ne devienne trop grave et heureusement parce que la peur avait saisi Wren comme il ne l'avait que peu vécu jusque là, surtout lorsqu'il était question de flammes, lui qui était en adoration face à elles habituellement. "Qu'est-ce qu'on fait maintenant? Je comptais me droguer, c'était pour ça que j'ai débarqué ici, pour chercher Tobichette mais là... Je sais plus trop quoi faire de ma carcasse." S'il ne le faisait pas pourtant, il serait en manque et Wren le savait. Néanmoins, il alla tout jeter dans la poubelle de la cuisine, remettant le matériel dans le placard avant de retourner vers Freya et de l'enlacer à nouveau parce qu'il avait peur et qu'il en avait besoin. L'égoïste.

Freya passe ses mains dans ses cheveux tout en regardant les livres empilés. Elle jette ceux qui ont l’air cramé, pas beaucoup parce que Wren n’a pas laissé les flammes le temps de réagir. De toute façon, les jumeaux ne sont pas de grands lecteurs, elle ne sait même pas pourquoi ils ont autant de livres. Peut-être que c’est juste des bonnes armes et qu’elle vient de le prouver. Elle repose mollement et sans enthousiasme les livres tout en levant les yeux au ciel. « Bon, tu veux qu’on fasse un tableau de palmarès ou quoi ? Ça d’vient lourd. On est des Doherty, on est tous pourris, c’est comme ça. Y a pas de bon point à gagner pour celui qui tapera le plus fort. » Même si ça serait une compétition plutôt amusante maintenant qu’elle y songe. Qui irait le plus loin, qui serait capable du pire le plus pire, qui peut le truc le plus insensé qui impressionnera les deux autres ? (Ou les tétanisera, ça dépend du point de vue… Et de la morale.) Parce que si Tobias serait la réponse presque naturelle à toutes ces questions, Wren et Freya n’en sont pas en reste. La cadette n’imagine pas que son aîné peut être pire, bien pire que son jumeau. Parce qu’on n’y attendra pas, un peu comme elle quand elle décide de cramer des bouquins en plein milieu de l’appartement. Parce que Wren et Freya sont pareils de ce côté-là, elle est bien placée pour savoir ce que s’est de vouloir jouer la carte ‘tout va bien dans le meilleur des mondes’ alors que là-haut, ça cogne et ça dépasse. Alors ils mentent, ils jouent, ils prétendent et au final, quand ça explose, ils sont les pires.

La suédoise pourrait presque être impressionnée quand son frère lui évoque sans ciller son envie pure et simple de se droguer. « Et ben, j’suis là aussi, sinon, mais merci pour l’intérêt. » Pas qu’elle a donné la date de retour de son voyage - ou alors il devait être défoncé le jour où elle le lui a dit. Freya claque sa langue contre son palais tout en croisant les bras. « On sait très bien c’que tu vas aller faire d’ta carcasse une fois parti d’ici. J’suis pas une enfant, j’suis pas une sainte. Et j’sais ce qu’c’est. Ça fait combien d’temps que t’as pris ta dernière dose ? C’est hors d’question que tu m’fasses une crise. Alors j’peux t'passer c’que tu veux. Coke, héro, ecsta, LSD ? » C’est presque flippant d’évoquer ce langage face à Wren. Même si son frère dealait, même si sa sœur a consommé, jamais ils n’ont fréquenté le même univers. Visiblement, il a fallu attendre des années pour qu’enfin, les trois mini planètes de la fratrie finissent par se réunir en quelque chose d’étrange. Sa voix lasse et ses yeux presque sans expression sont fixés sur Wren sans ciller à son tour.

Assumant pleinement ce rôle qu’elle a signé il y a deux mois.
Un rôle qui la rebute mais au final, Wren sait tout et Wren se plaignait qu’elle mentait.
Ça, ça devrait le rendre un peu fier. (Ou encore moins.)