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 when the sun goes down (Amos Taylor)

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Message(#)when the sun goes down (Amos Taylor) - Page 2 EmptyJeu 6 Fév 2020 - 17:08




When the sun goes down
Interloqué, et peut-être plus en état de réfléchir avec toute ma tête, j’analyse son propos avec attention. Il était fiancé, mais n’avait pas côtoyé de femmes dans sa vie, hormis celle qui le gâta sans doute malgré les protestations de sa propre mère. Je fronce les sourcils, comme si j’étais en train de déployer un effort plus que surhumain avant de sentir poindre en moi un vent de révélation. Le gamin est gay. Il s’acoquine avec des gens du même sexe et si j’avoue être dépassé par ce genre de préférence, faute à mon éducation protestante. Je ne le juge pas cependant. Je suis certes légèrement pétri de clichés – j’en déduis d’ailleurs que son physique androgyne aurait pu me mettre sur la voie – mais je ne m’en offusque pas. Je ne me méfie pas non plus. « Je vois. » ponctuais-je parce que, fondamentalement, ses préférences sexuelles ne me regardent pas, appréciant qu’il ne s’appesantisse pas sur ce qui s’est joué dans mes yeux à l’instant. Je considère que ça explique mieux cette sensibilité qui se dégage de lui, accroché au bar, sans doute parce qu’il a trop bu. Je ne ressens pour lui aucune pitié non plus. J’accuse le choc de son histoire, en silence, enchaînant les verres. Ça fait bien longtemps que je bois maintenant. Il m’en faut toujours plus pour me mettre à la tête à l’envers. Je reste d’ailleurs parfaitement cohérent, tant dans le propos que dans la posture. Je suis simplement plus lent à réfléchir et sujet à oublier. Je dus remonter le fil du temps pour me rappeler que j’avais bien prononcé le prénom de mon ex-épouse et, égaré dans mon exploration, je réplique trop spontanément : « Ma fille » sans songer aux conséquences des questions qui pourraient suivre et le regrettant aussitôt. « Laisse tomber, tu veux ? » l’avertis-je avant qu’il ne mette le doigt dans un engrenage qui m’obligerait à retrouver mon costume du type désagréable. Il aurait pu le devenir lui aussi. Mon audace et mes indiscrétions auraient pu le déranger, le mettre mal à l’aise et le désarçonner. Or, il me répond en toute simplicité. Moi, j’entends et j’encaisse. À outrance, dit-il, ça en dit long sur ce qu’il se trompe, mais est-ce à moi de lui dire ? Suis-je là pour lui ouvrir les yeux ? « Quand on est un putain de fêtard, on choisit pas l’héroïne. On préfère la coke, crois-moi. Je connais quelqu’un... » Quelqu’un de particulièrement proche de moi, plus proche qu’il ne pourrait l’imaginer. « Très heureux en apparence, mais qui a foutu sa vie en l’air. » Volontairement ? Vraiment ? « Et même si cette personne a pas choisi de se foutre en l’air, elle l’a fait, lentement, un peu plus chaque jour, inconsciemment, mais pour ceux qui restent, le résultat est le même. » Et sur ce je me présente, enfin. J’ajoute même un sourire pour embaumer mon point de vue d’une forme de bonhomie. « Et, c’est la première fois que je viens, ici. J’sais pas si j’y remettrai les pieds.»


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Message(#)when the sun goes down (Amos Taylor) - Page 2 EmptyVen 7 Fév 2020 - 14:41



Sa fille, alors. Etait-ce une lueur de douleur qu’on pouvait lire dans ses yeux ? Luc se laissa le loisir d’imaginer ce qui avait bien pu se passer. En vue de la réponse presque monosyllabique de son compagnon de comptoir, il n’avait aucune envie de s’apesantir sur des explications alambiquées. Peut-être que, comme le jeune homme, il avait essayé un décès. Peut-être était-ce à cause de cela que son couple s’était déchiré. Il ne pouvait mettre en place que des suppositions et décida qu’il était mieux de ne pas tourner le couteau dans la plaie. Si Luc avait été plutôt rapide au deuil, en un sens, (ou en tout cas son deuil n’avait pas altéré sa productivité et il s’était remis à travailler le lendemain) malgré les restes douloureux et le penchant sur la bouteille, ce n’était pas le cas de tout le monde. Ainsi, le jeune homme en parlait plus ou moins librement si on lui posait la question, en fonction de son état d’esprit, mais même s’il avait aimé Alexis plus que personne d’autre au monde, sans doute perdre sa fille est une autre douleur. Allez savoir.

- Okay, répondit-il simplement, jetant un timide coup d’oeil à Amos.

En l’écoutant parler, il haussa les épaules d’un air évasif. Il n’avait pas tout à fait tord : après tout, Luc était tombé dans la poudre d’abord pour le côté fêtard, et seulement ensuite en guise de médication malsaine. Cependant, comment lui expliquer la personnalité d’Alexis ? Toute sa profondeur et son honnêteté, son côté terre-à-terre entrecoupé de moments de grande naïveté que Luc prenait pour de l’optimisme ? Il avait grandi à toute vitesse, et c’était comme s’il n’avait jamais été tout à fait un enfant ; comme s’il était sorti déjà adulte de sa mère, avant que celle-ci ne l’abandonne. C’était avant tout ceci qui les avait rapproché : la fuite de la mère, l’une par les obligations, l’autre par la mort.

Penser à tout cela n’aidait pas à la bonne humeur de Luc. Il y avait une petite lueur douloureuse dans son regard qui ne s’en allait plus.

- Je sais très bien ce que c’est, répondit-il simplement, les yeux collés au sol, le tambourinement de ses doigts ayant repris.

Néanmoins, le sourire d’Amos réussit à dérider un tant soit peu Luc, qui lui répondit avec une touche d’humour, sorti difficilement de ses pensées.

- J’ai un peu claqué au sol la tranquillité du lieu, mais bon. Ça reste quand même agréable. Discuter pour arrêter de tourner les mêmes phrases en boucle dans sa tête. Non ?


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Message(#)when the sun goes down (Amos Taylor) - Page 2 EmptyVen 7 Fév 2020 - 17:52




When the sun goes down
Et j’appréciai sa discrétion. J’étais conscient que j’en avais dit trop ou pas assez, que la curiosité aurait pu pousser le jeune homme à s’attarder en question indiscrètes, mais elle n’en fit rien et je l’en remerciai tacitement. Pas de mots. Pas un regard de gratitude non plus. Juste mes pupilles dilatées qui l’observent, le détaille, qui évalue s’il convient de lui offrir un verre de plus. Juste moi, ma peine et cet inconnu. Moi, mon whisky et ce besoin oppressant de combler ma solitude alors que, quelques minutes auparavant, je m’y complaisais. Peut-être est-il temps de changer de sujet. Peut-être faudrait-il ne plus nous appesantir sur nos douleurs respectives au profit d’une discussion plus joyeuse. Mais, laquelle ? Que lui dire ? Que lui confier ? ça fait si longtemps, maintenant, que je nage dans les eaux si troubles que les rayons du soleil ne passent plus, que j’ignore bien comment ramener de l’optimisme entre nous. Boire. C’est pas mal de boire finalement. Le faire en silence. Non ! Il a raison le gosse. Ce n’est pas si désagréable de discuter pour arrêter de ressasser. « Ouais. T’inquiète. Ce n’est pas pour ça que je ne viendrai plus, c’est l’ambiance qui me déplait, mais tu n’as rien à voir là-dedans. » Au contraire, il semblerait qu’il ait, finalement, légèrement égayé ma soirée. « Mais, on devrait changer de sujet si on veut qu’elles se taisent. » Ces phrases qui tournent en boucle. « ça t’arrive souvent ? De traîner dans les bars ? Dans ce bar ? » m’enquis-je finalement, alors que le moment où je m’intéresse à ce qu’il fait dans la vie ou que je lui demande quelle passion l’anime, mais ce n’est pas mon jour. Je ne dirais pas que je m’en fous. Je ne sais juste pas comment l’amorcer. Alors, je lui propose un autre verre, jette un coup d’œil autour de moi, et remarque que nous sommes seuls désormais. Quelle heure est-il exactement ? « Tu ne bosses pas demain ? » Cette question me parut acceptable pour éviter de remuer le passé. « Parce qu’à te voir comme ça, j’ai l’impression que tu n’es pas loin de rentrer chez toi en rampant. » constatais-je, amusé et ponctuant le tout d’un clin d’œil. « Je suppose que je ne te propose pas un nouveau verre du coup. » Moi, on m’en resservait déjà un autre. Je ne devrais pas méfier. « Quoique je devrais peut-être arrêter moi aussi. » En avais-je seulement envie ? « Tu habites loin d’ici ? »


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Message(#)when the sun goes down (Amos Taylor) - Page 2 EmptyDim 9 Fév 2020 - 20:37



Au final, le ton était redevenu plus léger, et ce n’était pas à en déplaire à Luc. Ressasser les mêmes pensées lugubres, surtout si longtemps après le drame, ne changerait rien à sa situation. Peut-être même que ça rendrait les choses pires qu’elles ne l’étaient déjà. Le jeune homme termina son verre, rendu un peu nerveux par le regard profond d’Amos, qui semblait essayer de lui faire passer un message à-travers ses yeux bleus. Luc était mauvais à ce genre de jeu. Il reporta son attention sur la lumière au-dessus de la tête de l’homme. Mais il disait que ce n’était pas sa présence qui rendait le lieu désagréable. Il aurait pu croire que c’était de la politesse, mais Amos ne semblait pas du genre à faire dans le coton. Luc sourit timidement en se forçant à arrêter d’agresser le bar de ses doigts.

- J’aime bien l’ambiance. C’est plutôt lugubre, et surtout y’a pas de musique de fond insupportable ni de match de rugby sur écran géant.

C’était ce qu’il trouvait le plus détestable dans les bars de Brisbane. L’incapacité du citoyen moyen à apprécier l’absence de distractions. Qu’y avait-il de mal à renouer les liens d’humain à humain, autour d’un verre ? Ce n’était pourtant pas si sorcier. La question d’Amos le surprit un peu. Etait-ce à cause de son jeune âge ? Les nouvelles générations n’avaient-elles donc pas le droit de se noyer dans l’alcool ? Il décida de répondre avec plus d’élégance, avec une honnêteté décuplée par la boisson.

- Eh bien, je suis venu plusieurs fois ici, et majoritairement ici, parce que c’est peu fréquenté. J’essaye... Enfin, j’essaye de me construire une carrière, et être vu ivre mort dans les quartiers huppés ne ferait pas de bien à ma réputation pour l’instant inexistante.

C’était avant tout pourquoi il venait dans ce bar. Très peu de chance de croiser des grosses montures susceptibles de vouloir un jour vendre ses toiles. Amos semblait plus détendu ; il posait facilement des questions et Luc se sentait un peu pris de court par cet interrogatoire presque forcé. Néanmoins, il restait flegmatique et évitait avec brio le regard insistant de son compagnon de comptoir.

- Y’a pas un jour où je travaille pas, pour tout dire. Mais comme je dors pas beaucoup, je peux utiliser les heures destinées au sommeil soit pour boire soit pour travailler. C’est tombé sur boire, ce soir. J’habite à vingt minutes à pied, à peu près. Vous faites quoi, vous ?

En effet, il allait certainement rentrer en rampant. Dans l’état d’alcoolémie avancé dans lequel il se trouvait, cela ne l’effrayait guère. Il se passa une main dans les cheveux et eut un sourire presque d’excuse mais tout de même plus vaillant que ceux qu’il avait servi depuis le début de la soirée.


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Message(#)when the sun goes down (Amos Taylor) - Page 2 EmptyDim 9 Fév 2020 - 23:48




When the sun goes down
Et ce point, je le lui accorde de bon gré. Il n’était rien de plus insupportable que ses bars qui diffusent de la musique, ceux où les tenanciers laissent un vieux juke-box à disposition des clients qui se sentent forcés de l’utiliser et de nous imposer leur chanson préférée. Pire encore, l’amas de supporters dans un même lieu m’horripilait au plus haut point. Ceux-là, ils troublaient ma tranquillité de la plus détestable des manières et si leur équipe favorite avait le malheur de perdre la partie, ils se faisaient un devoir de provoquer des bagarres. Je ne suis pas le dernier à prendre part à ce genre d’échauffourée. Je tends vers la guérison, mais la violence tint le rôle de médicaments dans ma vie. Aussi, hochais-je de la tête, l’air entendu. Je lui ai souris également et, cette fois, la grimace était nette, presque agréable, quoique j’étais intrigué. Je n’ai jamais été du genre à juger le livre à sa couverture. Que ce gamin ait l’air d’avoir à peine l’âge légal de consommer ne me regardait pas. J’étais cependant surpris, malgré ses précédentes révélations sur le désert qu’est sa vie relationnelle, qu’ils se perdent dans des pubs un peu glauques, pas très ragoutant et dans lesquels il n’y a personne à séduire, personne à ramener chez soi, personne pour nous tenir compagnie durant cette nuit qui, je le devine, lui sera pénible. A son âge, on écume les lounge huppés, en tente d’être vu, remarqué, apprécié, aimé peut-être. Lui, il préférait se traîner dans ce trou à rats et si je reconnais le tragique de son histoire, je ne me l’expliquais pour autant. Lui, bien visiblement. « Une carrière ? Dans quel domaine ? » La voilà l’amorce. L’information n’est pas capitale à mes yeux, d’autant qu’elle est dangereuse. S’il me retournait la question, je ne pourrais que lui bredouiller un mensonge, conscient que la dose d’alcool qui coule dans mes veines m’empêchera d’être particulièrement convaincant. Je tiens bien le whisky, je fonctionne grâce à lui, il ne m’a jamais empêché de réfléchir, mais il est rare que je les enchaîne presque à la seconde, que je sois déterminée à oublier qu’elle était mon prénom en refermant les portes de ce bui-bui dernière moi. En attendant que cette heure arrivée – à n’en point douter, je l’espérais, je persiste à détailler ce gamin, à gratter le vernis que son visage androgyne traduit ou, au contraire, ne traduit pas. Pourquoi ? Parce que je m’interroge encore sur ce qu’à ce gamin pour que je penche un peu sur lui, que ça soit trente seconde ou près de quinze minutes désormais, ce n’était pas moi, pas plus que de me lamenter sur mon âge. « Profites-en le mioche. Quand tu seras dans ma peau. » Vraisemblablement, dans longtemps. « Il te faudra bien 1 semaine pour te remettre d’une nuit pareille. » Sur ce, j’avalai mon verre d’une traite, comme si j’avais à cœur défier le court du temps, de déclarer haut et fort que je m’en tape si je me lève pas demain. Je m’en tape comme de ma première chemise. « Moi ? Je bois. » plaisantais-je en redéposant mon verre avant de retrouver en gravité. « Je suis militaire, de carrière, en retraite anticipée. Depuis ben… ben je fais de la merde. » C’est plutôt bien résumé.


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Message(#)when the sun goes down (Amos Taylor) - Page 2 EmptyLun 10 Fév 2020 - 17:57



Cette fois, Luc se laissa aller au lyrisme, du moins dans son imagination. Il lui plaisait de penser à ses travaux. Il aimait en parler. On ne savait jamais vraiment, peut-être un jour allait-il parler de ses toiles, ivre et halluciné, et la personne en face de lui sera marchant d’art. On pouvait toujours rêver. Il pencha la tête, et on pouvait voir que dans cet élément il était plus à sa place que nul par ailleurs.

- Domaine artiste. Je suis peintre ; je peins dans le style que les critiques appellent néo-modernisme, mais je pense que c’est des conneries. Je peins ce que je vois. J’écris, aussi. Des pièces de théâtre, surtout, mais ça ne se vend pas du tout, alors je vis d’essais et d’articles politiques pour le Brisbane Times.

Il fit un geste pour se laisser tomber contre le dossier de sa chaise, oubliant qu’il était sur un haut tabouret de bar, et faillit tomber à la renverse. Regard d’excuse, petit rire décomplexé par l’alcool, il se frotta l’arrière du crâne et reprit racine sur son point d’équilibre. Ce léger incident l’empêcha de renvoyer la question au camps d’en face et il continua innocemment la conversation. La remarque d’Amos lui arracha un rire jaune. Sans réfléchir, il enchaîna sur une remarque acerbe et cruellement pessimiste, mais plutôt réaliste si on connaissait le bonhomme.

- Oh, je me donne pas plus de deux ou trois ans à vivre, vous savez.

Il se rendit compte après coup de comment cet aveu pouvait sonner à des oreilles attentives et haussa les épaules. Amos ne semblait pas le genre de personne à se laisser troubler par si peu. C’était seulement une réflexion mathématique : en vue de son train de vie et de la qualité de son quotidien, il ne tiendra pas jusqu’à trente ans.

Il écouta avec intérêt les quelques phrases lâchées par l’homme. Militaire ? Oui, il ne serait pas le premier militaire à « faire de la merde » après une retraite anticipée. C’était assez connu, dans ce milieu-ci. La dépression post-carrière. L’alcoolisme. Luc hocha la tête avec respect et se commanda un autre verre, sans faire attention à son corps qui lui hurlait d’arrêter de boire.

- Je vois. Vous faisiez quoi, à l’armée ?

Il baissa la tête et donna un petit coup de pied contre le bois du bar.

- Mais ouais. Je suppose qu’à un moment on vrille tous, qui qu’on soit.


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Message(#)when the sun goes down (Amos Taylor) - Page 2 EmptyMar 11 Fév 2020 - 0:58




When the sun goes down
Il était donc artiste. Dans le fond, ça m’étonnait peu. Ça devait certainement expliquer son côté lunaire et torturé bien assumé. On raconte que les plus grands souffraient tous d’une addiction ou d’une forme de folie. Ils y puisaient leur inspiration et moi, ça m’échappait. J’aurais donné tout ce que j’avais pour ne plus jamais ressentir la douleur que la mort de ma fille a abandonnée dans son sillage. À une époque, avant de cultiver ma soif de vengeance, j’y aurais volontiers laissé ma vie. Comment ? Je l’ignorais. J’aurais peut-être choisi l’overdose moi aussi ou, plus à portée, le coma fatal dans lequel s’égare les alcooliques dans mon genre. Quoi qu’il en soit, si je n’affichai pas une mine particulièrement effarée, je ne pus réprimer une grimace attestant mon incompétence. L’art ne m’a jamais touché. Je ne suis pas esthète qui s’éblouit sous prétexte qu’un doux fou a jeté de la couleur sur une toile ou un morceau de papier. À une époque, je reconnus volontiers du génie dans Mozart ou Chopin, mais leur musique ne m’a jamais particulièrement ému. Aussi, me contentais-je de hocher de la tête, un peu bêtement, à la façon d’un chien de pare-brise. « Tu m’as perdu, là, petit. » ajoutais-je sans chercher à me montrer blessant. Il l’était, petit, non pas péjorativement, mais parce qu’il est jeune et qu’il a une existence à mener. En mon for intérieur, je lui souhaitai qu’il atteigne ses projets, quoique son fatalisme m’agaça. « Et c’est ridicule. » commentais-je donc plus véhément que je ne l’aurais espéré. Le père endeuillé ne pouvait entendre ce genre de conneries sans s’en offusquer. Sofia croquait dans la pomme de son quotidien à pleines dents. Je suis convaincu que, de là où elle, si elle le voyait, nous voyait, elle se retournerait dans sa tombe qu’il ne puisse pas profiter du cadeau qu’est respirer chaque jour et d’être en bonne santé. « Je ne sais pas qui tu es, mais tu as l’air en bonne forme. » Un peu décalé, mais plutôt sain. « Prédire ta mort, c’est abandonner tes rêves sans même avoir essayé de les atteindre. C’est lâche, je trouve. » L’alcool parlait pour moi. Je ne réprime pas le flot de mon jugement, mais il est bienveillant, et c’est tout ce qui compte finalement. Il ne me restait plus qu’à espérer qu’il ne s’en froisse pas et qu’il saurait considérer ce nouveau verre, que je lui offre de bon cœur, comme des excuses. Certes, ce n’était pas l’intention, mais pourquoi pas ? « Démineur-plongeur sur la fin de ma carrière. J’ai fait partie de l’armée de terre en commençant. Pas le temps pour l’art en ce qui me concerne. » Je souris, faiblement, d’une grimace qui pue la nostalgie.




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Message(#)when the sun goes down (Amos Taylor) - Page 2 EmptyMar 11 Fév 2020 - 11:11



Le jeune homme savait bien qu’en vérité, la plupart des gens n’est pas vraiment sensible à l’art. Certains vont parfois au cinéma et écoutent la radio ; peut-être que par un raz-de-marée d’excentricité ils lisent un livre par an, mais généralement Monsieur Tout Le Monde est ennuyé et ennuyeux, peu sensible, peu grandiose. Luc était un réaliste. Il avait bien vu ce que les autres avaient à lui offrir. Cependant, parfois on tombait sur des perles rares. C’était pour eux que la vie valait la peine d’être vécue.

- Pas grave, dit-il en hochant la tête d’un air entendu. Je connais pas grand chose à l’armée non plus.

C’était un aveu peu difficile. Il connaissait quelques chiffres, plus ou moins bien le fonctionnement, de par ce qu’il avait lu, mais il n’avait aucune idée de ce à quoi pouvait ressembler la vie des militaires. Néanmoins, il ne s’émut pas en entendant Amos émettre ses réserves. Il eut un sourire d’excuse, à nouveau.

- Vous savez, je dis pas ça pour vous faire larmoyer. Je dors trois/quatre heures par jour depuis l’enfance. Je me drogue et je bois quotidiennement. Vous connaissez Boris Vian ? demanda-t-il du tout-au-trac, ayant l’air de passer à un total autre sujet alors qu’en vérité cela revenait presque à parler de la même chose.

Il lui en fallait plus pour se froisser. Amos était bienveillant et ne menaçait pas de lui rompre la clavicule parce qu’il avait appris que Luc était gay. Il y avait toutes les raisons de croire qu’il était un homme bon. De plus, il lui offrait le verre. Nouveau remerciement silencieux, tandis que Paul les regardait d’une drôle de façon, l’air dépassé à l’idée que Luc discute avec un homme du genre. Ou peut-être l’inverse. Il décida de boire son verre plus lentement, cette fois-ci.

- Wow, fit le jeune homme en jetant un œil discret à la carrure de son interlocuteur. C’est impressionnant, je suppose. (Il rit brusquement de bon cœur, alors qu’auparavant il parlait à voix basse.) J’aurai pas eu ma place à l’armée. Je vais essayer d’écrire le plus d’articles pour éviter la prochaine guerre, histoire qu’on m’envoie pas au front.



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Message(#)when the sun goes down (Amos Taylor) - Page 2 EmptyMer 12 Fév 2020 - 19:32




When the sun goes down
J’ignore tout de l’art. Il ne sait rien de l’armée. Le fossé entre nous se creuse, mais quelle importance ? Je n’ai pas poussé la porte de ce bar dans le but de m’y faire des amis. J’aurais très bien pu rester planqué derrière mon verre sans en souffrir. Les choses sont ce qu’elles sont cependant. Le gosse est parvenu à m’agacer, m’intriguer, me toucher et m’irriter à nouveau. À son âge, se voir déjà mort, la prédire, résonne comme une insulte à mon oreille. Alors, je lui livre mon opinion. Il ne l’a pas demandée, mais elle quitte la barrière de mes lèvres plus vite que je ne l’aurais voulu et sans que je ne le regrette. Est-ce qu’il s’en vexera ? Peut-être. Est-ce important ? Pas le moins du monde. Suis-je heureux qu’il le prenne moins mal que je ne l’imaginai au départ ? Je n’en sais rien. Je l’entends et je ne vois rien de choquant dans son discours. Rien qui présage une mort prématurée. « Il en faut plus que me faire larmoyer. » répliquais-je du tac au tac. « Et non, je ne sais pas qui est Boris Vian… » Un poète ? Un chanteur ? Un peintre ? Tout ce que je cite fait référence à l’art et, tout à coup, je me sens comme tout droit sorti d’une grotte. « Bah, pas vraiment. » admis-je. « Tu supposes mal en fait. » Le mythe du militaire est surfait. Il est, parmi nos rangs, des imbéciles, des ratés, des volontaires, des estropiés et ceux comme moi, arrivé là par hasard, mais qui y trouva son compte. « Je crois que c’est tout ce que je sais faire, donc, non, ça n’a rien d’impression. » Devant l’éclat de rire sincère du dénommé Luc, je ne sus comment réagir. Je comprenais à peine ce qui provoqua son hilarité. Je bus une gorgée de mon verre et, finalement, parce qu’il avait l’air d’avoir du mal à s’en remettre, je finis par sourire plus largement. « Tu sais, il y a de tout chez nous… mais pas de peintre. » Utiliser un imparfait aurait été plus juste, mais à quoi bon m’attarder sur la question ? «  Mais, qu’est-ce qui te fait rire exactement ? J’ai raté un truc ? »






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Message(#)when the sun goes down (Amos Taylor) - Page 2 EmptySam 15 Fév 2020 - 17:05



Son hilarité s’était calmée et, les mains moites et le coeur ratant des battements, il brisa sa promesse et but son verre en deux gorgées. Soudain, il se rendit compte que sa vessie était à deux doigts d’exploser. En vérité, il mit quelques secondes à s’en apercevoir, temps pendant lesquelles il regardait très fixement une tâche sur le mur. Il croisa le regard d’Amos et les mains devant lui.

- Qui ? Ah oui, Vian. C’était un écrivain français moderne, si je dis pas de conneries. Pour être honnête j’ai un peu perdu le fil.

Il ne savait plus pourquoi il avait posé cette question. Comme un enfant hyperactif, il avait de plus en plus de mal à rester concentré sur la conversation. De plus, il lui était difficile de capter tous les mots qu’Amos prononçait, ce qui rendait la compréhension bien complexe. Il se frotta le visage des mains et reposa ses dernières sur ses genoux, où elles restèrent environ un quart de seconde.

- Désolé, je suis pas pourquoi j’ai ri. J’ai trop bu.

Il pencha la tête légèrement en arrière et détailla le visage de son compagnon de comptoir. Etait-il aussi flou au début de la soirée ? Sa vessie frappa à la porte avec force.

- Pardon, je dois aller aux toilettes, s’excusa le jeune homme en descendant de son tabouret, tenu au bar.

La traversé de la salle fut une épreuve silencieuse. Il n’est pas tombé, quand même, mais il titubait un peu. Il traîna sa maigre carcasse jusqu’aux toilettes et s’enferma à clef. Soulager sa vessie lui fit un bien fou. Après s’être lavé les mains à l’eau glacée, il se les essuya à sa veste et sentit une petite masse au niveau de son poitrine. Putain, j’ai de quoi sniffer, c’est vrai, se dit-il avec un demi-sourire satisfait. Il se fit une ligne bienvenue sur le dos de la main et, en observant la disparition de sa nausée légère et la diminution de son malaise, il se félicita très grassement de l’excellente idée qu’il avait eu. Ce fut très content de lui qu’il retourna à sa place, cachant ses mains tremblantes dans ses poches.

- Excuse-moi, tu disais ?


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Message(#)when the sun goes down (Amos Taylor) - Page 2 EmptyDim 16 Fév 2020 - 14:06




When the sun goes down
Se remettre de son hilarité, se relever, quitter son tabouret et traverser la salle sans tomber releva de l’épreuve pour lui. Le pauvre gosse. Il se veut plus gros que le bœuf, mais il n’est encore qu’un gamin. Je le soupçonnais appelé sa mère, ses soirs d’insomnie, durant lesquelles les heures impatientes raniment nos plus moches souvenirs. Ils sont rarement beaux et délicats dans ses cas-là. Je le sais de source sûre, j’en vis moi aussi, à la différence que je ne réclame l’aide d’aucun de mes proches. Je les maudis et, si ça ne suffit pas à m’apaiser, je réfléchis à la meilleure manière de me venger. Au moins, je me tue utilement, ce qui d’après moi, est bien moins pathétique. Bien moins que les deux types qui viennent d’entrer. « On fait la tournée des bars » ont-ils hurlé de concert, au serveur, qui s’en frotte déjà les mains. Sa caisse se remplira plus que les autres soirs ou s’alimentera encore un peu. Moi, j’arrête là pour aujourd’hui. J’ai décidé de partir à l’instant même où les rires tonitruants de ces pauvres hères à l’air patibulaire m’a vrillé les tympans. Je n’attends plus que l’impulsion pour prendre la poudre d’escampette et ce fut long, assez pour que Luc soit de retour et m’interroge. Que disions-nous ? Rien d’important. Je balayai la question d’un revers énergique de la main. Je la détenais, la motivation, si bien que je l’ai saisie, prêt à prendre congé. « Rien de grave, gamin. Laisse tomber. Je t’abandonne là. » J’aurais bien ajouté que j’étais ravi d’avoir fait sa connaissance, mais je n’étais pas convaincu de la véracité du propos. « Et essuie-toi le nez. Ce sera plus discret. » lui conseillais-je en ricanant. « Chef » Cette remarque-là, elle était destinée au tenancier. Il me salua d’un signe un peu vague de la tête, trop occupé à servir les bières pour les fraîchement débarqués. L’un d’eux m’interpela et je l’ai senti ce relent nauséabond des emmerdes. Je le flairai si vite que j’en soupirai. « He, toi, tu vas pas partir maintenant. On vient juste d’arriver. C’est nous qui te faisons fuir ? Allez viens, on t’offre un verre.» « Non merci. Sans façon. J’ai eu mon compte pour ce soir les gars. » Mauvaise pioche. Ils sont tenaces et moi, je ne jouis que de peu de patience.


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Message(#)when the sun goes down (Amos Taylor) - Page 2 EmptyMar 18 Fév 2020 - 23:35



Lorsqu’il remit les pieds dans la salle principale du bar, la première chose qu’il vit fut un groupe d’hommes à peine plus vieux que lui, qui accaparaient Paul en commandes de bières intensives. Il se demanda de prime abord pourquoi tant d’inconnus d’un coup avaient débarqué sur son terrain de beuverie, mais il se rappela assez rapidement qu’un bar était un endroit public. Décontenancé par la soudain agitation, le jeune homme retourna à sa place et retrouva un Amos refroidit presque autant que lui par les nouveaux arrivants et sur le départ.

- Vous partez ? Maintenant ? demanda Luc, à peine remonté sur son tabouret.

Aux paroles du plus âgé, il eut la présence d’esprit - l’habitude bien encrée - de ne pas porter une main à son nez pour vérifier si les dires étaient fondés. À la place, il secoua la tête avec un léger rire contrit et, avec assez de décontraction pour que cela paraisse irréfléchi, s’essuya le nez comme s’il le démangeait. Les événements se déroulaient trop vite pour qu’il prenne une décision. Etait-il judicieux d’y aller maintenant ? Il avait un article sur le feu et du poulet fris qui l’attendait dans le frigo. Sans prendre la peine de saluer Paul, trop occupé au service des nouveaux venus, il fit un pas vers Amos pour lui dire au moins au revoir, quand tous deux furent stoppés par les obligations pressantes du groupe d’hommes au bar. Alors que Luc s’approchait, les yeux de bovins morts de l’un d’eux s’illuminèrent d’une révélation subite, tandis que les engrenages de son visage se mettaient en route, si lentement qu’on pouvait les entendre grincer.

- Eh, mais c’est pas la tantouze de l’autre soir ?
- Putain ouais, grave, c’est elle ! Eh, mademoiselle, elle est passée où ta robe ?

Sentant son visage s’empourprer de colère, Luc fit volte face pour récupérer sa veste qu’il avait oublié sur son tabouret et sortit du bar sans demander son reste, occultant totalement Amos, les remerciements qu’il comptait lui offrir et la totalité des règles de politesse. Alors qu’il poussait la porte qui donnait dans la rue, il entendit les rires gras du groupe d’hommes, qui étaient sans doute déjà passés à autre chose. Une fois la porte refermée, il soupira longuement et entreprit de s’allumer une cigarette.


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Message(#)when the sun goes down (Amos Taylor) - Page 2 EmptyJeu 20 Fév 2020 - 16:29




When the sun goes down
Ce bar, je l’avais choisi parce qu’en passant devant la devanture, je n’ai pas entendu le brouhaha familier des endroits bondés. J’avais par ailleurs eu du mal à comprendre ce qui m’avait poussé à me lancer dans une conversation suivie avec ce gosse un peu bizarre et à des années lumières de ce que j’étais. Autant dire que l’arrivée subite de ces gaillards aimant sans doute trop la bagarre me fit grincer les dents. Je n’ai jamais été le dernier à chercher des noises, à cogner le premier venu en espérant évincer ma rage. Ce soir, ça ne m’intéresse pas cependant. Je ne suis pas venir m’attirer des ennuis. J’estimais en avoir bien assez. Aussi, hochais-je de la tête quand Luc se rassit sur son tabouret. Je ne pipai mot. Je ne le regardais pas vraiment. J’étais concentré sur le serveur servant des bières et sur les malotrus qui m’interpelèrent comme si nous étions de vieux amis. Ils ne m’inspiraient rien de bon et, quoique l’alcool n’a jamais été à considérer, à mon sens, comme un facteur de convivialité – au contraire de la cigarette – ces types soufflaient dans le dos une réelle volonté de rentrer dans mes pénates et de terminer ma soirée avec les bouteilles de mon bar. Tant pis pour le gosse. Il se passera de moi. Je ramassais déjà ma veste, déclinant l’invitation poliment et, ce qui suivit mon refus ne me surprit qu’en partie. Luc avait tout d’une tête à claque. Ses traits juvéniles et sa silhouette presque féminine clamaient haut et fort qu’il avait tout de la victime idéale de la méchanceté gratuite. Les bougres le raillèrent et moi, je soupirai, fatigué, priant que d’aucuns ne tourneraient un regard vers moi. Les coupables chercheraient dans mon attitude un peu de soutien au travers d’un rire moqueur. Quant au gamin, il quémanderait de l’aide que je n’avais aucune intention de lui apporter. Je suis pas un super-héros. Je me désintéresse des emmerdes d’autrui au profit des miennes depuis trop longtemps pour m’attendrir. Si je ne pressai pas le pas, c’était calculé. Ne pas attirer l’attention sur moi me paraissait acceptable pour m’éviter d’agir stupidement. Or, Luc, lucide sur ce qui se déroulait, prit la poudre d’escampette et je ne sus si j’applaudis à deux mains son comportement de pleutre ou si je le plaignis d’être aussi lâche. A sa place, je me serais défendu. Si j’avais été la cible de ces quolibets, ma fierté aurait préféré chuté à mes pieds. Je ne me serais pas écrasé. Mais n’aurait-ce pas été ridicule finalement ? Quand on se sait perdant, faut-il se battre contre des moulins à vents ? En toute sincérité, je fus davantage surpris de le trouver sur le trottoir à fumer une cigarette. Normalement, ses pas auraient dû le mener à des kilomètres de ces lieux dangereux pour son intégrité. J’en ricanai, loin d’être amusé et si je tirai une cigarette de mon paquet, si je l’allumai, je ne pus m’empêcher de réprimer un soupçon de mépris pour sa sottise et non pour ce qu’il est réellement. « Tantouze. Robe. Je sais pas ce que tu fais de tes nuits petits et je m’en tape royalement. » Se trémousserait-il à poil pour amuser des PD que je n’aurais porté aucun jugement. « En revanche, quand on s’écrase, on le fait bien. On prend pas le risque d’être poursuivi et tabasser. Tu devrais filer. Ça s’agite derrière. » J’entends les tabourets qui grincent derrière la porte et les rires gras qui témoignent de la folie des Hommes. « Cours. Aussi vite que tu peux. Parce que j’ai rien du bon samaritain. » A bon entendeur…


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Message(#)when the sun goes down (Amos Taylor) - Page 2 EmptySam 22 Fév 2020 - 15:05



Luc n’était ni stupidement égotique ni suicidaire, alors il ne se frottait jamais à un groupe de canailles en quête de sang tel que celui qui se présentait à lui ce soir. Il avait conscience de sa propre faiblesse, n’ayant pas pour habitude d’allonger des droites à tord et à travers juste pour préserver l’image que les autres avaient de lui. Surtout quand il savait qu’il n’allait y gagner que des commotions et des dents en moins. Les mecs dans son genre, quand on les tenait on les rossait à mort. Et le jeune homme ne comptait sur personne pour protéger ses intérêts. Aussi, il n’attendait ni d’Amos ni de Paul qu’ils prennent sa défense. Il était avant tout quelqu’un d’individualiste.

Aussi, lorsqu’il alluma sa cigarette devant le bar, dans le froid de la nuit, il adressa à peine un regard à Amos, qui poussait la porte donnant sur la rue. Il ne pensait pas que l’homme allait le railler, et ce fut avec aigreur qu’il entendit son aîné prononcer ses remarques irréfléchies. Il n’était pas forcément blessé - ce n’était pas son genre, et il ne connaissait Amos que depuis une ou deux heures - mais il sentait une colère froide et fondée couler dans ses vaisseaux sanguins. Tirant avec violence sur sa clope, il lança un regard de reproche à son compagnon de bar.

- Vous faites bien.

Mais sa rage était déjà presque retombée pour laisser place à l’indifférence qui guidait son existence. Il s’appuya avec désinvolture contre la façade sale du bar et inspira les dernières taffes de sa cigarette pour répondre d’une voix égale.

- Ce sont des brutes. Ils ne sortiront pas. Les mecs comme moi, on aime les défoncer sur le moment, mais s’il faut y mettre du sien ça en devient bien moins intéressant. S’ils l’avaient vraiment voulu ils m’auraient attrapé avant que je sorte du bar.

Dernière latte exhalée ; il écrasa sa clope contre le crépis.

- Et puis ils sont déjà bien éméchés. Ils m’ont certainement déjà oublié.


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Message(#)when the sun goes down (Amos Taylor) - Page 2 EmptySam 22 Fév 2020 - 22:39




When the sun goes down
Qu’ai-je dit pour mériter ce regard noir ? Était-ce lié à l’allusion du pauvre type qui l’aurait volontiers tabassé dans les règles ? N’avais-je pas précisé que leur raillerie me coulait le long des reins ? Que je me foutais bien de ce qui occupait les journées et les nuits de mon voisin de comptoir ? Était-ce soudain manque d’intérêt à son égard qui l’a forcé à tirer sur son mégot plus nerveusement ? Il n’en était rien pourtant. Chaque question formulée plus tôt était le fruit d’une curiosité saine. Le contraire aurait plutôt voulu que je me joigne à ces prochains agresseurs en l’empêchant de partir, pour amuser la galerie, pour casser du PD. Sauf que je ne suis pas homophobe. Je ne suis pas l’inverse non plus. Je suis partisan de l’adage qui prétend que pour vivre heureux, il faut savoir rester caché. Même s’écraser quand on a la carrure d’une crevette. « C’était quoi ça ? » m’enquis-je véritablement soucieux de comprendre. « Qu’est-ce que j’ai dit qui t’a déplu, petit ? » C’était peut-être ça, le problème. Cette tendance à l’appeler petit qui, pourtant, n’avait rien d’insultant dans ma bouche. Il l’était, petit. Pas en taille, pas en personnalité, mais en âge. J’ai un peu moins du double du sien. Il pense, comme tous les jeunes de son âge, repérer le danger quand il approche. Mais, il se trompe. Je n’ai jamais agressé quelqu’un en rapport à sa couleur de peau ou de ses préférences sexuelles. Pour être honnête, je n’ai jamais agressé personne d’ailleurs. Sauf que je n’ai jamais été le dernier à provoquer des bagarres dans l’espoir d’être et que ces gars-là, ils me rappelèrent cruellement quelques soirées où, comme Luc, un pauvre hère s’est cru à l’abri. « Que tu crois. Si je te dis que ça s’agite, c’est que ça s’agite. Il y a rien qui les intéresse à l’intérieur si tu n’y es plus. Ils ne sont pas venus pour toi, mais tu es l’os à ronger. Crois-moi quand je te dis que tu devrais courir. » Dieu que j’aurais aimé avoir tort. La porte s’est ouverte en grand. L’un des gars de la bande, le plus musclé, m’a avisé d’un regard, en prêta un autre à mon interlocuteur et il tira la conclusion la plus stupide qui soit. Quel idiot. J’en soupirai, mais je ne me défendis. J’ai glissé mes mains dans mes poches et sans chercher à le moquer, j’ai dit : « Je t’avais bien dit qu’il fallait courir. Ce n’est le moment où jamais. » Pour lui, pas pour moi. Je n’avais pas la force de le faire d’ailleurs. J’avais encore l’espoir que discuter pourrait raisonner son agresseur potentiel. J’étais même prêt à lui offrir un verre s’il le fallait. Je l’aurais bu volontiers avec lui-même si sa compagnie ne me dit rien qui vaille. J’étais déjà agacé par ses rires gras pour quelques blagues misogynes, racistes ou homophobes. « Laisse-le partir, vieux. Tu veux une vodka ? Une bière ? Un Whisky ? C’est pour moi. » proposais-je en soulevant mon T-shirt. Il y a des tatouages qui en disent plus long sur les hommes que les mots. Une ancre. Un cordage. Armée. Navy. Il n’y pas de PD sur les bateaux (c’était faux, mais on ne peut rien contre l’imaginaire collectif). Ses yeux brillaient d’une lueur de respect. Je n’en méritais pas tant, mais qu’importe. Ce soir j’étais bon samaritain finalement et, avant de partir, ivre d’alcool et repu de leur bêtise, je glissai à Paul que, s’il revoyait le gamin traîné ses savates dans le coin, qu’il lui offre de quoi boire et qu’il lui remette ce bout de papier. J’y griffonnai mon numéro de téléphone au cas où il se sente pousser les ailes de la reconnaissance. Quant à moi, je me suis dit que, finalement, on a jamais trop de connaissance dans une si grande ville. On ne sait jamais après tout…


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