La forêt, son unique point d'attache, le rappel que l'existence valait le coup. Zeke pouvait s'asseoir sur un vieux tronc d'arbre durant des heures, à ne rien faire, sauf écouter le sifflement du vent alors que les rafales faisaient bouges ses mèches de cheveux en bataille. C'était un peu comme s'il inventait une toute nouvelle méthode de méditation, les yeux ouverts, le torse nu, sous la chaleur ambiante d'un été australien. Il avait passé le début de la matinée à s'occuper des animaux et comme à son habitude, Blythe allait consacrer le reste de sa journée à la forêt. L'homme mystérieux qu'il était, du moins l'adolescent qu'il était, s'autorisait toujours à prendre des initiatives pour amuser le voisinage. Il avait en effet constaté que la région manquait cruellement de cabanes ou de lieux de refuge pour les enfants et là, cela faisait trois jours qu'il s'attelait à la tâche pour monter la cabane idéale. Il venait tout juste de terminer, s'asseyant sur l'arbre qu'il avait coupé, parfaitement heureux d'humer l'air ambiant, celui-ci étant empli de divers parfums naturels, tous ces végétaux qui le rendaient heureux. Il ne faisait pas spécialement attention à l'heure qui tournait ou aux événements qu'il pouvait manquer à la ferme, Zeke ne s'inquiétait de rien, absolument en tournant la tête vers son oeuvre. Elle était incroyablement équilibrée pour une structure réalisée par un jeune homme mais Blythe était tellement perfectionniste quand il touchait à son matériau de prédilection qu'aucun individu n'aurait pu s'en étonner. Il finit par se relever de son séant, entendant du bruit un peu plus loin, celui de pieds qui marchaient sur des branchages et à coup sûr, ce ne pouvait pas être un chasseur. Zeke savait que c'était Birdie, sa petite voisine: il avait développé une audition de champion en parlant si peu. Il l'aperçut finalement et ne put que relever les bras pour lui présenter la nouvelle cabane, silencieux comme à son habitude plutôt que de préciser les mille étapes de fabrication. Juste se contenter du résultat, de la forêt, de cette présence sans en faire trop, du Blythe tout craché.

@Birdie Cadburry

La ville et ses bruits, la ville et son bourdonnement incessant. Il n’y a pas à dire que la petite Cadburry - pas si petite que ça du haut de ses quatorze ans - retrouve toujours avec plaisir son petit quartier original et considéré comme marginal pour le commun des mortels. « C’est pas parce que c’est différent que c’est bizarre, tête de bulbe ! » Elle n’a pas sa langue dans sa poche (et encore moins dans celle de son coéquipier de physique-chimie qui pense que lui faire des signes étranges de la bouche l’amènera à venir l’ausculter de plus près - répugnant), encore moins quand on vient la titiller sur ses vêtements bizarres, sa coupe étrange ou même cette fâcheuse manie de se trimbaler chaussures en mains plutôt qu’aux pieds. Une heure de trajet allé et retour, c’est bien ce qu’il faut pour couper avec toute civilisation. Retour à ce qu’elle connait, la maison bien trop bruyante des Cadburry, la ferme à côté, la musique qui s’évapore de l’autre et la forêt, grande et majestueuse. Sa propre forêt interdite mais dont les interdictions ne riment à rien quand on n’y a trainé ses pattes toute sa vie. Sa grande sœur lui court après pour des devoirs que Birdie refuse naturellement de faire, rigolant en s’échappant de la maison pour aller voir la ferme. Il y a les animaux et ça, c’est mieux que tous les manuels scolaires. Ses yeux bleus hypnotiques restent hypnotisés alors qu’elle est tapie dans les fougères, bien décidée à ne pas laisser sa sœur lui mettre la main dessus. Elle met un doigt sur la bouche en apercevant Malachi qui regarde par la fenêtre de chez lui avant de secouer la main dans un brillant sourire avant de promener ses yeux pour voir si un des Blythe s’y trouve. De préférence l’aîné parce que le cadet, Birdie n’a jamais réussi à résister à vouloir lui balancer des cailloux dans ses cheveux broussailleux et ses pompes bien trop pompeuses.

Alors qu’Ezechiel, lui, il se fond dans la masse, il est totalement différent. S’il n’y avait pas le physique pour les associer ensemble, on pourrait avoir du mal à croire qu’ils sont frères, tous les deux. Birdie se redresse légèrement, se bataillant avec les branchages et finissant par se blesser d’une ronce mal placée. « Shit ! » Elle fourre son doigt dans la bouche tout en prenant la direction de la forêt. Parce que si Zeke n’est pas à la ferme, il sera sûrement sur son terrain de jeux préférés.
« Zezeeee ! Je savais que j’allais te trouver ici. Ça devient trop facile à te rattraper, tu le sais ? La prochaine fois, je suis sûre que ça me prendra moins de temps qu’il faut pour une tortue de faire trois pas ! » Est-ce que c’est cohérent ? Qu’importe, Birdie est souriante, elle a le regard qui brille et elle visionne là où elle pose les pieds avec un œil distrait. Ses voûtes plantaires ont l’habitude d’être martyrisées de toute façon. Cadburry se mord la lèvre tout en s’approchant de la cabane dont Ezechiel semble si fier de lui montrer. « J’aurai dû ramener de l’eau, tu dois être déshydraté d’avoir autant travailler. On me dit à l’école qu’on est tordus mais franchement, ils savent pas ce qu’ils ratent. C’est vraiment cool, Zeze. Je pourrai la peindre et la décorer, dis ? » Birdie fourre de nouveau son doigt écorché dans sa bouche tout en passant son autre main sur le toit avant de lever son minois vers lui, suppliante et adorable. Elle a beau être une adolescente, son psychique reste bloqué quelque part en enfance. Et une cabane dans les bois, ce n’est pas ça qui va la faire grandir. Bien au contraire. Et tant pis si on doit encore se moquer d’elle.

Il n'y avait pas meilleur refuge que la forêt, là où aucun bruit urbain ne venait déranger la quiétude des âmes paisibles. Zeke faisait partie de celles-là: jamais dans le moule, très peu intéressé par les problématiques du commun des mortels, probablement qu'il n'aurait jamais aucune ambition en dehors de son petit bout de terre. Une aubaine pour son père cela dit, parce qu'il serait facile de trouver un repreneur pour le business familial, l'homme était tout trouvé, le grand Blythe obnubilé par tous les animaux qui campaient les quelques hectares de champs. Jamais personne ne serait aussi passionné que lui, toujours prêt à sacrifier une heure de sommeil supplémentaire pour s'occuper des quelques bovins qui traînaient ça et là, Zeke, le sauveur du monde de la faune. Il avait dû naître dans le mauvais corps, il n'y avait que cela comme réelle réponse à son mal être constant de se compter parmi les humains. Blythe n'utilisait aucune faculté de son espèce de toute façon, se refusant même le luxe de communiquer à moins que ce ne fut absolument nécessaire. Ezechiel était différent et tout le monde le savait, tout le monde le jugeait pour cela. A part les personnes comme lui. Birdie devait avoir sa place dans cette fragile catégorie parce qu'elle était tout le temps pieds nus, qu'elle ne s'habillait pas comme les gamines de son âge et que ses discours avaient rarement de sens pour ses camarades de classe. La petite voisine était, à partir de là, plus intéressante aux yeux du brun parce qu'il appréciait les marginaux, bien plus qu'il n'était prêt à l'accepter. Il la vit arriver comme un boulet de canon, dérangeant le silence environnant de cette jolie forêt, Zeke lui souriant en guise de réponse parce qu'il n'y avait qu'elle pour l'appeler par un surnom aussi idiot. "J'ai pas soif, t'inquiète." Elle devait s'imaginer qu'il était dessus depuis le matin même alors que c'était un projet de longue haleine que le grand brun avait débuté. Il n'avait juste rien dit à personne, s'éclipsant de longues heures lors des après midis légers en travail et voilà le résultat. 'T'peux faire ce que tu veux. Visite." Lui était déjà à l'intérieur, à s'asseoir en tailleur, avec un air fier accroché à ses traits parce que l'endroit était plus confortable encore que ce qu'il avait imaginé... Et pourtant, il avait une tête de rêveur, le Blythe.

« J'ai pas soif, t'inquiète. » Elle ne s’inquiète pas, elle se soucie. Il fait chaud, c’est l’été et il a fait preuve d’exercice. Elle toujours cloitrée à l’école et lui respirant la liberté de la forêt, de la nature, des animaux. Elle est presque jalouse, Birdie, que lui peut jouir de ce genre de droits alors qu’elle, on ne lui a jamais demandé son avis. Ses parents mettent un point d’orgue dans leur éducation à ce que les progénitures obtiennent au moins le premier diplôme scolaire. Un ennui mortel.

« T'peux faire ce que tu veux. Visite. » T’inquiètes pas. Tu n’as pas besoin de le dire. Tu sais qu’elle le fera, l’oiseau curieux qui va virevolter autour de la structure, ses yeux bleutés regardant avec l’émerveillement d’une gamine qu’elle est toujours. « Je comprends pas comment tu réussis à faire tout ça tout seul sans te blesser. » C’est avec admiration qu’elle dit ça mais il faut dire que la structure de Zeke n’est pas non plus la même que la sienne. L’histoire du chêne et du roseau, c’est un peu à leur image ; Birdie est toute frêle, elle se courbe au moindre filet de vent alors qu’Ezechiel tient sur ses jambes et a l’air bien plus solide. Mais Blythe n’est pas aussi orgueilleux que le chêne et l’adolescente sourit à le voir assis en tailleur, prenant déjà l’espace bien plus que de raison parce que sa corpulence en impose. Elle le voit, elle le remarque et elle en rougirait presque avant de détourner les yeux. « Regarde. » Elle tend son doigt écorché vers lui. « Juste en voulant échapper à ma sœur. Y a pleins de ronces par chez vous, j’ai pas gaffe et pouf ! Nouvelle cicatrice de guerre. » Le terrain étant naturellement leurs espaces vitales.

Birdie finit par s’asseoir à son tour, passant sa main aux doigts valides dans ses cheveux pour y retirer une feuille qui y traine. « J’aurai bien aimé quand même aider. Tant pis si je me serai fait mal, ça aurait été moins une perte de temps que l’école. » Elle s’allonge à même le sol, coinçant sa tête sur les genoux de Zeke. « Les gens, ils aiment pas ce qu’ils comprennent pas. Mais moi, je comprends pourquoi tu préfères les arbres aux humains. Ils se moquent pas de toi, eux. Et même si tu les casses, c’est pour les rendre plus beaux. Alors qu'eux, ils cassent et ils brisent juste pour le plaisir de faire du mal. » Et ça fait mal. Cadburry sniffe du nez, elle a les yeux qui naviguent entre l’apparence d’Ezechiel et le plafond de la cabane. « J’aime pas les gens, Zeze. » A part toi. Et mes sœurs. Et mon frère. Et Malachi. Mais le reste, ils sont juste bons à partir à la poubelle. Parce que les autres, ils ne comprennent pas et ils lui foutent le moral dans les chaussettes. Elle n’aime pas avoir le moral dans les chaussettes et d’habitude, elle est assez vive pour ne pas se laisser abattre.

Mais elle n’a que quatorze ans.
Ne lui demander pas d’être une surhumaine non plus.

Non, Zeke n'avait jamais besoin de rien. Il se contentait de vivre de ce décor magique, de l'odeur des arbres qui l'entouraient, du chant des oiseaux et des bruits lointains de la ferme. Il n'était pas bien difficile comme garçon, vu à quel point son ambition se résumait à se lever chaque matin pour s'occuper des animaux. Ce n'était pas pour autant que la passion ne l'animait pas, bien au contraire, mais Blythe n'en parlait à personne. Il avait toujours eu ce besoin de conserver son jardin secret et il n'y avait vraiment aucun moyen de le faire changer d'avis. Il était coriace, Ezechiel, et on avait la sensation que rien ne pouvait l'atteindre autour de lui mais ce n'était qu'une illusion qui frappait en plein coeur. Les gens lui avaient fait énormément de mal quand il fréquentait encore la société, toujours perdu entre les livres qu'il n'arrivait pas à déchiffrer et les remarques cinglantes de ses professeurs, Zeke avait vite compris qu'il ne ferait jamais partie de ce monde. Alors, il s'était isolé et maintenant, il ne vivait plus que pour la forêt, s'extasiant du silence loin de cette humanité déchirante. Il n'y avait que quelques âmes qui venaient parfois l'interrompre, Birdie en tête alors qu'elle le suivait à l'intérieur de la cabane pour poser sa tête sur es genoux, Zeke ne réagissant même pas à ce genre de gestes. C'était habituel, même s'il n'était pas le plus tactile des gaillards du coin, elle avait l'air mal en point, la petite Cadburry et Zeke avait un coeur en or, malgré tout. "Tu peux toujours. Faut décorer l'intérieur." Lui était un minimaliste total, incapable de décorer sa chambre. C'était à peine s'il avait un lit alors de là à se laisser guider par l'envie d'avoir une jolie décoration pour apporter un peu de chaleur à l'endroit, c'était sûrement trop lui demander au grand bonhomme. Blythe verrait cet aspect plus tard sûrement, là, il essayait de suivre les dires de la petite blonde, qui semblait au bord des larmes et cela lui faisait mal au coeur, forcément. "Qui s'est moqué de toi?" Il fallait toujours aller droit au but avec Zeke, il n'était pas bon pour faire la conversation de toute manière et puis, une partie de lui s'inquiétait pour sa voisine, mine de rien.

« Tu peux toujours. Faut décorer l'intérieur. » Birdie penche la tête et elle sourit. Elle sait comment il est, Ezechiel. Un peu en tout cas. En tout cas, ils sont différents tout en étant semblables. Est-ce que ça a du sens ? Ses yeux bleutés brillent d’une certaine innocence en pensant que oui, ça a du sens. Blythe est capable de monter une cabane à la simple force de ses mains et au fruit de son imagination mais il ne s’occupera pas de l’intérieur. Sûrement que la décoration est une chose bien trop futile. Ce que Cadburry trouve triste. Rajouter des fleurs, des lanternes en papier et des coussins de fortune qu’elle aura forcément trouvé quelque part dans une brocante, ça égaye toujours un peu plus.

« Qui s'est moqué de toi ? »
Mais ça, c’est une question qui égaye beaucoup moins. Birdie fronce du nez pour garder de la contenance, une main posée sur son ventre et l’autre sur ses yeux. Les gens. Le monde. Les autres. « Tout le monde. Au moins une fois. » Mais c’est toujours une fois de trop, n’est-ce pas ? « Enfin, je me suis aussi faite une nouvelle amie. Je sais pas trop si c’est parce qu’elle a pitié de moi ou juste l’envie de s’amuser. Avec moi ou de moi. Elle fait pas du tout partie du même monde, elle est même carrément en haut de l’élite, tu vois le genre ? » Peut-être pas parce qu’elle s’adresse à Ezechiel et qu’il connaitrait bien mieux le trajet dans la forêt les yeux bandés que l’échelle sociale d’un établissement scolaire australien certainement. « Mais c’est pas grave. Je vais m’en sortir. Si mon frère et mes sœurs ont réussi avant moi, y a pas de raison que moi non plus. C’est à cause de ce genre de moqueries que t’as arrêté l’école ? »

Ses yeux clairs s’étant perdus jusque là dans les tréfonds de ses foutus souvenirs de la journée - et des autres - passée à l’école, ils se reposent sur l’apparence du brun, souriant légèrement face à la position et au fait qu’elle le voit complètement à l’envers. « C’est marrant, tu parais encore plus immense de ce point de vue-là. » Et il est toujours torse nu, chose que l’adolescente s’efforce de ne pas penser parce que sinon, elle va rougir. La honte. « T’as déjà ton prochain projet prévu ou pas encore ? J’avais pensé faire un petit abri pour les escargots. Je sais pas trop comment le leur indiquer mais Cisco l’escargot, il est passé sous mon pneu de vélo parce qu’il était là au mauvais endroit au mauvais moment. » Oui, comme Zébrée l’araignée et Dallace la limace. Des pertes inutiles, forcément, aux yeux de Birdie où les animaux sont bien plus importants que les humains. Pas étonnant qu’elle se met à vouloir à adopter chaque bestiole qu’elle peut rencontrer. Au grand damne de ses sœurs qui se plaignent que la chambre de la cadette se transforme de plus en plus en arche de Zoé. Seulement, elle ne les emprisonne pas, non. Elle veille sur eux, c’est différent.

Il ne pourrait probablement jamais vivre en ville, ou ne serait-ce que s'éloigner de sa ferme de plus de dix kilomètres. Allez savoir si c'était une drogue ou son salut, Zeke préférait ne pas se poser la question en réalité. Il avait bien essayé pourtant, quand il était gamin, de se sortir de là, de se trouver d'autres hobbies voire quelques amis qui l'aideraient à voir autre chose que son lopin de terre. Sacrée déception au bout du compte car Blythe avait découvert les natures morbides de ses congénères: ils voulaient tous piétiner pour gagner, mordre en premier et tout jouer sur des points supplémentaires, une liasse de billets voire juste un peu de reconnaissance. Tout cela n'avait jamais intéressé le grand brun et sa place s'était vite en aller parce qu'il était mieux loin des autres, de ceux qui riaient de lui quand il essayait d'aligner deux mots durant ses lectures et c'était un traumatisme qui ne s'effaçait pas aussi aisément qu'on pourrait le penser. Ezechiel s'était battu pourtant, il avait donné son maximum pour que sa famille soit fière de lui mais là encore, échec cuisant. Depuis qu'il avait abandonné la lutte, il n'y avait plus que la ferme et ce nouveau rêve de construire des cabanes loin du reste de l'univers, là où personne ne viendrait le chercher. Birdie, aussi, avait besoin de ce calme apparent parce que l'école n'était pas plus tendre avec elle qu'elle ne l'avait été avec lui. Zeke abhorrait l'idée qu'on puisse rire de la petite blonde parce qu'elle s'habillait de façon tout à fait originale ou parce qu'elle parlait trop. Il était vrai que Blythe n'arrivait pas toujours à suivre le flot de ses pensées mais ce n'était pas ce qu'il considérait comme important, de toute manière. "L'élite? Non, je vois pas." Il n'avait jamais cherché à comprendre et les questions n'étaient jamais venues. Zeke ne s'intéressait pas du tout à ses concours de popularité alors le discours de Cadburry le dépassait totalement. "Entre autres." Parce qu'il n'était juste pas spécialement doué avec un stylo dans les mains. C'était dans le faire que Zeke brillait, pas dans le penser mais les gens, de nos jours, ne pouvaient pas franchement comprendre un tel point de vue. "Ce que tu voudras. Du moment que c'est du bois. Les autres trucs, j'aime pas." Il vivrait sûrement dans un chalet d'ici quelques années, qu'il aurait construit de sa main, avec quelques animaux à s'occuper tout autour, le rêve de sa vie. "Tu vas partir, toi aussi, hein?" Il l'espérait en tout cas parce que c'était mieux ailleurs, la vie.

« L'élite? Non, je vois pas. » Evidemment qu’il ne voit pas. Birdie aurait dû mal à l’expliquer et de toute façon, ça n’a pas vraiment d’importance. Elle espère juste que sa nouvelle copine ne va pas la nuire d’une quelconque façon, comme on l’a déjà fait dans le passé. On profite de la naïveté de la jeune Cadburry, on arrive trop facilement à lui foutre des étoiles dans la tête et elle se laisse berner à chaque fois. Ce n’est pas étonnant que sa confiance envers l’humain diminue de jour en jour. Une victime d’un système pas très juste, de gens qui ne connaissent que la ‘normalité’. Mais en vrai, à quoi ressemble la normalité ? Est-ce qu’il en existe vraiment qu’une, celle dont des gens comme Birdie et Zeke ne peuvent pas s’identifier ? Et si ce sont eux qui sont dans le vrai et pas les autres ? Des coordinations dans la tête de l’adolescente qui finissent par lui embrouiller le cerveau plutôt qu’autre. « C’est pas grave. C’est pas important. » Il n’a pas à s’en faire, Zeke, de ne pas comprendre. Même s’il doit s’en fiche royalement puisqu’il a l’air de vivre sa meilleure vie. Même si c’est un peu triste qu’il n’ait pas des amis. Tout ça parce qu’il n’est pas comme les autres. « Entre autres. » Birdie soupire parce qu’elle comprend plus qu’elle ne le voudrait. « C’est nul d’être différent. Non, c’est pas ça qui est nul. Ce qui est nul, c’est les autres qui comprennent pas. Qu’est-ce que ça change à leurs vies d’être méchant ? Je comprendrai jamais. » Oh, sweet Birdie, sûrement que tu finiras par comprendre pourquoi les gens sont cruels parce que tu le deviendras sûrement. Et le pire, c’est que tu ne t’en rendras peut-être pas compte. Une spirale qu’une gamine de quatorze ans ne peut pour l’instant analyser.

« Ce que tu voudras. Du moment que c'est du bois. Les autres trucs, j'aime pas. » La jeune Cadburry sourit tout en hochant la tête. C’est noté dans un coin de la tête, « je ferai le plan » dit-elle avant de lever son doigt à la hauteur de ses yeux pour vérifier que le sang a bien séché. Pas le cas alors Birdie redresse son buste, déchire un morceau de son haut et l’enroule avec précaution autour de son doigt. Bandage de fortune fait qu’elle se tourne de nouveau vers Ezechiel, jambes croisées chevauchant son genou. « Tu vas partir, toi aussi, hein? » Zeke aurait presque une intonation d’espoir pour elle, comme si c’est une certitude qu’il veut qu’elle lui affirme. Que c’est la finalité, l’espoir ultime. La jeune blonde hausse les sourcils, surprise. « Je suis bien ici. Y a tout ce que j’aime. Pourquoi je partirai ? » Pour affronter la cruauté du monde ? Non merci, elle est très bien dans une cabane perdue au fin fond des bois. « Tu veux te débarrasser de moi, c’est ça, hein ? » Demande-t-elle dans un fin sourire amusé tout en rentrant son doigt dans son torse avant de secouer la tête. « Toi oui ? Un jour ? »

Au contraire, c'était très important de s'exprimer, Birdie, mais elle était sûrement encore trop jeune pour s'en rendre compte. Zeke aurait aimé être comme elle sur bien des points parce qu'elle avait l'air de pouvoir parler à outrance, dire absolument tout ce qui lui passait par la tête même si c'était incroyablement ridicule. Pour Blythe, c'était tout l'inverse, il n'était pas capable de prononcer un misérable mot qui comptait parce qu'il ne gérait pas bien les conséquences d'un simple moment d'égarement. Il ne pouvait pas se permettre ce genre de débordements, jamais, alors, il restait à rêver dans son coin en se disant qu'un jour, peut être, Cadburry se rendrait compte que c'était sa façon de faire qui valait réellement le coup. Sur le moment, elle en était loin bien sûr puisqu'elle n'en dit pas plus au grand brun, lui le regrettant déjà énormément parce qu'il aurait peut être pu l'aider... Non, c'était con comme pensée, Zeke n'arrivait déjà pas à s'occuper de lui, comment imaginer qu'il puisse trouver les bons mots vis à vis de l'adolescente? Il devait absolument passer à autre chose, se dire que ce n'était qu'une occasion manquée de plus d'apparaître comme un être humain lambda avec des émotions quelconques. Il reprit son air indifférent, haussant les épaules aux dires de la blonde parce qu'il aurait aimé aussi comprendre les raisons qui poussaient le monde entier à être fou... Mais, dans le fond, il le savait, il voulait juste fermer les yeux. "Parce que c'est plus facile d'être con que d'être soi même." Il exposait toujours la vérité dans son plus simple appareil, aucune fioriture, aucune attente, rien d'autre que cela et c'était ce qui posait souvent problème d'ailleurs. Les gens n'étaient pas toujours prêts pour autant de sincérité mais Blythe s'en fichait de ce qu'ils voulaient de leur côté, il continuait à être cet idiot tout seul dans son monde. Quelque part, il espérait qu'il y resterait toujours tout seul parce que personne ne méritait d'être enfermé dans cette prison qu'était devenu voisinage, Birdie en tête. Elle le toisa du doigt et il ne bougea pas d'un millimètre, forcément. "Moi, non. Je vais rester ici. Toi, tu bougeras." L'herbe était plus verte ailleurs, les animaux plus doux et actifs, les hommes plus intéressants, elle devait s'échapper absolument. "T'es fait pour le vrai monde." Et pas lui, point barre. Fin de l'explication.

« Parce que c'est plus facile d'être con que d'être soi-même. » Voilà une expression que Birdie se promet de garder quelque part dans sa cabosse pour la ressortir quand elle en aura l’opportunité. Elle n’espère pas de sitôt mais on ne sait jamais, elle a vite compris qu’il ne faut pas attendre trop longtemps pour aiguiser ses armes et tenir de nouvelles prêtes à être dégainées. « J’aime bien, ça. J’ai l’impression que c’est plein de bon sens malgré tout. » C’est une triste réalité, elle qui préfère passer son temps à imaginer son monde dans le van de ses parents ou en apprenant à grimper aux arbres tout en rêvassant qu’un jour, elle aussi, peut-être, elle pourra s’envoler. Birdie, c’est un prénom qui appelle à la liberté. Et pourtant, même ça, on s’en est moqué. L’adolescente se dit que demain, elle passera outre. Qu’elle sillonnera les couloirs le menton relevé et tant pis si on rigole parce que ses chaussettes sont différentes. Mais elle connait déjà le résultat parce que c’est tous les jours la même histoire. Elle finit par terrer tout en elle parce qu’au final, se plaindre, geindre, en parler à sa famille ou même à Zeke, qu’est-ce que ça change ? Absolument rien. Birdie a juste à attendre que ça passe. En attendant, elle peut profiter de ses soirées, week-ends et vacances pour profiter de cet endroit qu’elle aime et qu’elle chérit, de la maison colorée dans laquelle elle a grandi et toute l’ambiance qu’il y a autour.

Du coup, quand Ezechiel lui affirme « Je vais rester ici. Toi, tu bougeras. », les perles bleutés de Birdie marquent son incompréhension. Et elle est encore plus perdue quand il insiste. « T'es faite pour le vrai monde. » La jolie blonde descend son regard, la mine songeuse, ses mains se tripotant entre eux. Cadburry tente de mettre un sens à ses propos mais franchement, « Je me sens à ma place ici. Je m’en fiche du vrai monde. D’ailleurs, c’est quoi, le vrai monde ? S’il ressemble à la ville, alors non merci, Zeze, j’en veux pas. » Pourquoi Ezechiel semble tout d’un coup aussi catégorique ? Birdie n’a jamais songé à ce genre de choses, à vrai dire. Pour elle, elle est née ici et elle mourra sûrement ici. Elle n’a que quatorze ans, sans aucune idée sur son avenir, à part peut-être l’envie de sauver le plus d’animaux possibles. Préférablement des roues de son vélo en premier lieu. « Tu pourrais bouger si tu le voulais aussi. T’as jamais eu envie d’explorer d’autres lieux ? » Après tout, la nature est partout et il n’y a pas qu’ici que les animaux ont besoin d’être soigné.

Allez savoir si Zeke faisait preuve de bon sens, il n'avait pas franchement l'impression de réfléchir à son environnement en règle générale. Il faisait sa petite vie dans son coin, sans s'oser à se poser des milliards de questions sur l'intérêt de vivre en reclus quand tant d'autres personnes se cantonnaient à profiter de la vie en grands groupes. Il n'avait jamais été fait pour une telle existence, le jeune Blythe mais il se doutait qu'il était le seul à comprendre ce en quoi il rêvait. Personne n'avait envie de perdre ses heures à arpenter une ferme de long en large mais Ezechiel devait bien être l'exception qui confirmait la règle. Lui était né pour cela, tout simplement et il était fortement convaincu que dans dix ou vingt ans de cela, il en serait toujours là à nourrir d'autres animaux en attendant que l'heure passe. C'était bien morne comme vie mais c'était celle qu'il avait choisi tout seul, comme un grand, espérant profondément que sa petite voisine n'en ferait pas autant. Birdie n'allait pas en démordre pourtant: elle allait lui démontrer par A plus B qu'elle était aussi faite pour la ferme et la forêt, comme lui. Elle se trompait si elle pensait pouvoir rester dans le trou du cul du monde à se cacher dans une cabane jusqu'à ce que mort s'en suive. Elle méritait mieux que ça, au moins elle. "Tu dis ça parce que t'as peur de l'ailleurs." Il n'irait pas lui donner sa définition du vrai monde parce qu'elle était floue, même pour lui. Il savait simplement que ce n'était pas entre ces quatre murs définitivement trop frêles pour résister aux tempêtes. "Non. Je sais que c'est ma place ici." Où aller, de toute manière? Zeke ne savait pas se débrouiller dans d'autres lieux, il avait besoin de ses repères. Besoin de sa ferme. "Tu voyageras pour moi, va." Il osa lui faire un clin d'oeil accompagné d'un fin sourire parce qu'il ne savait pas si c'était l'avenir de la petite Cadburry. Il lui souhaitait, néanmoins.

« Tu dis ça parce que t'as peur de l'ailleurs. » Birdie se redresse de son buste qui n’est pas du tout imposant ou intimidant face à une carrure comme celle d’Ezechiel. « J’ai pas peur ! » Elle peut partir si elle veut, demain même, son sac à dos sur l’épaule et marcher des kilomètres. Okay, sûrement qu’elle reviendra mais parce qu’elle aura peur mais parce que sa famille lui manquerait à coup sûr. Birdie est peut-être affaiblie là maintenant tout de suite mais elle n’est pas une froussarde. Elle ose quand il faut oser, elle tente quand il faut tenter. C’est comme ça qu’on lui a appris à avancer. « C’est l’ailleurs qui doit avoir peur de moi. » Le monde n’est visiblement pas près pour la subir elle, avec toutes ses fantaisies et ses idées bizarres. Même si elle est abattue, elle ne s’avoue pas vaincue. Une force de caractère qui se renforcera certainement au fil du temps, l’aidant à combattre les embûches qui vont se fourrer sur son trajet.

« Non. Je sais que c'est ma place ici. » Birdie secoue la tête en croisant les bras. « C’est peut-être toi qui as peur, en faites. T’as la frousse de partir de ce que tu connais par cœur, d’abandonner tout ça. Je t’en voudrais pas si un jour tu partais. Toi aussi, t’as le droit au monde, Zeze. » Tout le monde y a le droit. C’est bien pour ça qu’elle est ronde, la Terre. Un cercle parfait, penchée négligemment sur le côté, faisant oublier toute notion d’en haut et d’en bas. On peut tourner sans cesse et découvrir toujours. Il y a cette ferme et il y a les autres. Ezechiel veut qu’elle voyage pour lui mais Birdie trouve ça tragique. Il a beau faire un clin d’œil qui lui fait pincer les lèvres avant de sourire, sa moue se renfrogne un peu et elle finit par passer ses bras autour de lui pour le serrer contre elle. Parce que vraiment, il n’est pas si vieux que, Blythe, il aurait encore la possibilité de changer son destin. De faire un écart soudain. « Tu parles comme si ton avenir est déjà tracé. C’est pas le cas, tu sais. Y a pleins de possibilités ailleurs. Alors je voyagerai pas pour toi mais avec toi un jour, s’il le faut. » Birdie pose sa tête contre son épaule, ses mains jointes derrière le dos d’Ezechiel, bien décidée à lui montrer qu’elle n’est pas ni prête ni près de partir. Qu’elle est enracinée ici et qu’elle, elle n’est pas le Chêne. Elle est simplement le Roseau qui se penche au moindre coup de vent. « Je veux pas meilleur. Je veux juste être bien. Et c’est là que je me sens bien. » En sécurité. Acceptée. Comprise.

Elle aurait toujours réponse à tout, la jeune Cadburry mais peut être que c'était mieux ainsi. Elle pourrait aisément survivre à ce monde si elle se défendait de la sorte parce qu'elle connaîtrait certainement des moment douloureux. Il n'y avait jamais un bonheur parfait, Zeke ne l'avait jamais rencontré en tout cas et il doutait fortement qu'il puisse le faire un jour. Le jeune brun avait surtout l'impression que l'univers essayait de briser toutes les belles personnes qui passaient entre ses rouages et il en avait mal au coeur, inévitablement. Lui aussi était passé à l'intérieur de ce cercle vicieux et il en était ressorti blasé, bien incapable de retrouver son dynamisme d'antan et sa force d'affronter les autres alors, il avait fait sans, se mettant à cent pour cent dans les travaux de la ferme. Il espérait simplement que Birdie ne s'abaisserait pas à un tel avenir puisque, à quatorze ans, elle avait encore le temps de voir venir. La petite blonde s'accrochait, Zeke en souriait d'imaginer le monde extérieur avoir peur de ce petit bout de femme survoltée. Peut être, oui, qu'il ne la comprendrait pas toujours mais Blythe ne doutait pas une seule seconde qu'elle réussirait à communiquer avec lui, un jour ou l'autre, quand elle l'aurait décidé. Pour l'heure, elle fondait dans ses bras et Zeke se retrouva surpris, ne sachant pas quoi faire. Il n'était pas un adepte du contact humain et c'était évident qu'il ne savait pas comment faire, restant plus ou moins immobile à écouter les paroles de Cadburry, prêt à intervenir en cas de besoin. "Sauf que j'en veux pas." Lui, il aimait la ferme, les animaux, être loin de tout. Birdie aimait bien trop parler pour survivre dans un tel endroit, elle avait besoin de s'épanouir dans des grands espaces mais elle le comprendrait sûrement le moment venu. "Je veux pas voyager. J'ai la ferme, ça me va." Elle le ferait sans lui, un jour. Elle réussirait à couper court à cette peur, Zeke en était convaincu, un de ses bras entourant la petite silhouette contre lui, la rassurant comme il pouvait, plus maladroitement qu'autre chose sûrement parce que ce n'était pas sa tasse de thé, pour sûr. "Pour le moment. Ça changera." Birdie n'était encore qu'une adolescente alors, elle avait le temps de changer d'avis. Pour Zeke, lui, c'était trop tard.

« Sauf que j'en veux pas. » Ezechiel est catégorique et Birdie pose son menton sur son épaule tout en regardant derrière lui. Il peut ne pas en vouloir, elle ne lui en veut pas. Mais elle ne le veut pas non plus. C’est une issue sans fin il faut croire parce que la gamine campera ses positions et lui restera sur les siens. L’adolescente ne remarque pas forcément qu’il pense que ça serait dans son intérêt à elle de partir. Non, elle ne voit là qu’une tentative maladroite d’essayer de la pousser à aller là où elle ne veut pas, loin d’ici, loin de lui, loin de chez elle. Ses racines, son univers. « Bah voilà. J’en veux pas non plus. Faut pas chercher plus loin, Ezechiel. » Son prénom compliqué qui traverse ses lèvres sans aucun problème, signe qu’elle est sérieuse, la gamine. Même si sa curiosité sera forcément piquée un jour et qu’elle laissera tout en plan en s’oubliant un peu au passage. Cependant, la blondinette n’a nullement l’intention de bouger, ni de la cabane, ni de son étreinte dont elle sourit contre l’épaule du brun parce qu’elle sait qu’elle le prend toujours au dépourvu quand elle fait ça.

« Je veux pas voyager. J'ai la ferme, ça me va. » Zeke finit par passer un bras autour d’elle et Birdie soupire de contentement parce que c’est quand même mieux que s’il l’avait rejeté. « Normalement, les garçons de ton âge se contentent pas d’une vie à la ferme. T’as jamais voulu plus ? » Est-ce qu’elle a remarqué qu’Ezechiel brille de sa solitude ? De sa vie recluse ? Qu’elle n’a pas le souvenir de l’avoir vu avec quelqu’un, un jour, le genre de personnes que l’on tient par le bras et que l’on regarde d’une façon si spéciale ? Peut-être, peut-être pas. Après tout, Birdie n’y connait rien à tout ça et ce n’est que justement grâce à sa nouvelle copine qu’elle commence à prendre conscience de ce genre de détails. Elle se mord la lèvre tout en se redressant pour regarder le visage de son voisin. « Enfin, c’est pas une critique. J’aime bien que tu sois pas comme eux. On a établi que la différence, c’est ce qu’il y a de plus cool. » Elle penche la tête, ses perles bleutées passant d’un œil à l’autre, comme si elle va pouvoir trouver toutes les réponses à ses questions. Parce qu’Ezechiel ne parle pas beaucoup, il fourre ses secrets sous ses cheveux et qu’il ne veut peut-être pas déranger. Ou alors, il ne veut pas être dérangé par des paroles et de la conversation inutile. Il lui a appris au fil des années que le silence est d’or mais Birdie, elle n’y arrive pas. « Mais je t’ai jamais vu avec personne. Et non, Zeke, les animaux, c’est apparemment pas de vraies personnes donc ça compte pas. » Elle sourit légèrement même si elle sait que c’est un grand drame ce qu’elle raconte.

« Pour le moment. Ça changera. » La jolie blonde finit par détacher ses mains tout en roulant des yeux dans un éclat presque joyeux. « Arg, Zezeeee ! Je continuerai à te coller aux basques que tu le veuilles ou non. Tu comptes faire quoi, sinon ? Me donner un coup de pied au derrière, mmh ? T’en serais pas cap. » Birdie aurait bien aimé balayer un peu ses cheveux qui sont de plus en plus longs et qui cachent son visage mais elle retient sa main, préférant tapoter sagement le genou du brun avec un air mutin de défi placardé au visage. « J’ai pas envie de penser à plus tard. J’ai plus de projets ici dans l’immédiat de toute façon. » Et quand cela changera, Birdie aussi changera. Est-ce que cela est forcément mieux ? Est-ce qu’il n’est pas préférable qu’elle reste ici, innocente et candide, loin du chaos, des dangers, des personnes mauvaises ? L’avenir dira que non, qu’elle n’aurait certainement pas dû donner raison à Zeke même sans le vouloir.

Il n'y avait rien de simple à comprendre dans les attitudes d'Ezechiel parce qu'il n'était pas un garçon commun. Il ne l'avait jamais été. Forcément incompris, toujours à part, le pauvre brun n'avait jamais réussi à franchement s'intégrer dans ce monde où la parole était maîtresse de tout et tout le monde. Lui n'appréciait pas les mots dérisoires: il avait besoin que chaque besoin exprimé ait du sens, que les phrases qui s'élevaient à voix haute étaient de première nécessité, jamais du futile, jamais de l'illusoire. Zeke était bien seul dans ses quêtes de silence et on l'avait toujours considéré comme l'idiot du village qui n'avait pas assez de vocabulaire. Pourquoi s'intéresser à lui dans ces cas là? C'était bien connu que le grand Blythe était idiot, qu'il ne savait ni lire ni parler et qu'il n'y avait franchement que peu d'intérêt à arrêter son regard sur quelqu'un comme lui. Il avait toujours perdu les gens qui avaient croisé son chemin, le pauvre Zeke. Il pensait à Lily qui avait fini par détourner son regard de lui, son petit frère qui passait le plus clair de son temps dans ses bouquins parce qu'il aspirait à se perdre dans la vie réelle, c'est à dire la grande ville voisine. Au final, il ne lui restait que sa petite voisine mais Blythe faisait tout ce qui était en son pouvoir pour la faire partir. Elle devait sûrement rêver d'autre chose que de mettre sa tête sur son épaule, que de sentir son bras l'enserrer timidement parce qu'il n'était pas à l'aise avec la notion de contact, le grand brun mais il essayait de l'écouter, de hocher la tête et d'espérer que Birdie avait raison. Qu'elle était bien là, que c'était le chemin qu'elle avait choisi et elle n'en dérogerait pas. Chimère. "Non. Qu'est-ce que ça veut dire plus?" Il avait absolument tout ce dont il avait besoin à la ferme: un lit où dormir, de quoi manger, du travail à la pelle et l'affection d'une centaine d'animaux qui parlaient plus ou moins autant que lui. Au moins, Ezechiel s'entendait parfaitement avec eux et il n'avait pas le moins du monde  l'intention de changer de route, même si Birdie s'en étonnait pour un garçon de on âge. "C'est que t'as pas bien regardé, ça." Il avait été avec Lily. Il avait été avec Yele. Il avait été avec quelques personnes mais jamais rien ne lui avait apporté la paix, pas indéfiniment en tout cas alors Blythe était retourné dans sa solitude et il ne donnait pas l'impression de regretter sa décision, pas le moins du monde. "Je suis cap' de beaucoup, tu sais." Le coup de pied au derche n'était pas exclus, même s'il avait un léger sourire en prononçant ces quelques mots. "Décorer la cabane?" Quels autres projets pouvait-elle avoir? Zeke se le demandait, forcément.