Mars 2018 Dans tes bras. Elle est partie dans tes bras. Tu l’as senti son dernier souffle. Son corps qui s’est allégé d’un coup quand son coeur a cessé de battre. Ses épaules qui ont arrêté de tenir le monde entier. Ton monde à toi. C’en est suivi tes larmes. Tes chaudes larmes. Après toutes ces années entre deux mondes, dans les limbes, elle n’était plus. Elle était partie. Ca ne sera plus ce lit d’hôpital que tu viendras rendre visite pour la voir. Ce sera le cimetière. Une personne que tu aimes de plus enterré là bas. Son âme flotte maintenant et autant que tous les morts que tu portes dans ton coeur, tu sais que ce n’est pas un lieu de recueillement qui est le plus important. Tu les sens auprès de toi tous les jours dans tous les signes qui croisent ton chemin.
Et puis y’a un coup de fil inattendu. Lola. Elle t’a présenté ses condoléances. Elle a dû voir l’avis de décès dans le journal. Lola qui entre de nouveau dans ta vie une fois que Rosa n’est plus. Rosa qui a été la raison pour laquelle vos chemins ont divergé il y a de nombreuses années. T’as aucune idée de la suite des évènements mais vous avez prévu de vous voir pour boire un verre.
Le jour J est là, t’es à une terrasse d’un café dans la rue que tu kiffes le plus de Fortitude Valley. La rue piétonne qui n’est pas autant rempli qu’un vendredi ou un weekend. C’est agréable, le soleil est dehors et y’a pas trop d’agitation. C’est bientôt l’automne mais il fait toujours aussi beau et bon. T’es venu à pied de chez toi et t’es là avant l’heure. Tu commandes un jus de mangue parce que la vérité c’est que tu n’as rien fait ce matin. Tu t’es levé - tard - tu t’es préparé et t’es venu. T’as rien mangé encore, ni bu. Le plan étant de le faire ici et de faire des courses en chemin retour. T’es encore en train de t’ajuster à cette nouvelle configuration de vie. Celle où Rosa n’est plus parmi les corps encore chauds. Tu te laisses le temps. Tu te stresses pas. Ton entourage comprend. T’as repoussé quelques projets depuis que Rosa s’est réveillé. Y’en a d’autres sur lesquels tu mets ton coeur parce qu’ils t’inspirent exactement la vibe que tu ressens en ce moment. Et puis y’a toutes les autres chansons que t’écris au lieu de dormir la nuit. Celles que tu gardes pour toi.
Vêtu d’un jeans et d’un t-shirt Bring Me The Horizon avec écrit « That’s The Spirit » devant. Tu étends tes jambes, tu te cales bien dans ta chaise, tu fermes les yeux attendant ton jus de mangue ainsi que l’arrivée de Lola. Lola… Tu prends un bon bain de soleil. Relaxé. Tu joues distraitement avec ton alliance que tu portes depuis moins d'un mois.
Lola aurait dû savoir que ce n'était pas une bonne idée de coucher avec un homme marié. Tout au fond d'elle, quelque part, une alarme sonnait : non, ce n'est pas la bonne direction, ça ne va mener nulle part. Mais depuis qu'elle avait rencontré Rick, elle passait avec lui tous les soirs et weekends où sa femme était en voyage d'affaires. Elle ne voulait pas savoir le prénom ni le moindre détail sur son occupation professionnelle, sur ses hobbies, sur ce que le couple partageait. Elle n'autorisait jamais Rick à en parler, même si c'était pour se plaindre. Il fallait maintenir les deux univers complètement séparés, car sinon elle n'y arriverait pas. Et Rick s'était plié à cette règle simple, la seule qu'elle lui imposait.
Ce matin-là, Lola se réveilla donc dans les bras de Rick, et c'était un jeudi comme elle les aimait, de ceux où elle n'avait du travail que le soir - serveuse dans un événement de la haute, si ses parents l'avaient appris, ils se seraient évanouis - et où elle pouvait se prélasser dans son after-sex glow autant qu'elle le souhaitait. Sauf que ce jeudi n'était pas vraiment comme tous les autres. Car ce jeudi, elle allait revoir Jordan. Peut-être que c'était pour cela qu'elle resta un peu plus longtemps que d'habitude dans les bras de Rick, trouvant dans ses bras le confort et réconfort d'avoir été choisie par quelqu'un. Bien des années auparavant, ce n'était pas elle qui avait été choisie. Et en réalité, si elle se décidait à être lucide, elle ne l'était toujours pas aujourd'hui. Mais le déni et Lola, ça faisait souvent un.
En s'habillant, Lola ne put s'empêcher de repenser à cette journée, au lycée, où elle montrait l'établissement à la nouvelle, la jolie Rosa, l'intéressante Rosa, qui la fascina dès qu'elle la rencontra. Pendant qu'elle lui présentait les professeurs et lui donnait les clés et astuces pour s'en sortir, elle s'imaginait déjà qu'elles deviendraient amies peut-être, elle qui n'avait pas eu d'amie fille depuis si longtemps. De fait, depuis qu'elle avait rencontré Jordan, elle avait cessé de faire des efforts sociaux : elle avait enfin trouvé quelqu'un qui la comprenait, et ça lui suffisait. Mais bien sûr, pendant la journée du grand tour, Lola avait justement voulu présenter Rosa à l'inimitable Jordan, et ce moment avait brisé ce qui palpitait à toute baltringue dans sa poitrine. On reconnaît un coup de foudre même quand on n'en a jamais eu un. Et, progressivement, Lola ne parla plus ni à Rosa, ni à Jordan, ni à personne. Elle s'isola, finit son lycée tranquillement, et attendit les années d'université pour faire semblant qu'elle était wild et comme les autres. Un peu tard. Un peu pour rien. Un peu à côté, toujours.
C'était il y a des années, se répétait-elle maintenant en se dirigeant vers le café où elle allait voir son crush du lycée, celui par lequel elle s'était sentie vue et entendue pour la première fois, celui qui avait renouvelé son espoir dans l'humanité et la possibilité de créer de vrais liens avec les autres. Il allait être là, il allait être assis, et il allait être sublime. Et dès qu'elle s'approcha de la terrasse, ce fut confirmé. Jordan était là. Il avait changé, mais pas tant que ça. Il avait grandi, peut-être. Il était plus fort tout en étant diminué. Il avait perdu l'amour de sa vie, et Lola avait besoin de savoir qu'il allait bien. Pourtant, elle se serait bien contentée de cette vision, de lui au soleil, les yeux fermés ; elle aurait bien pris une photo dans sa galerie mentale avant de prendre ses jambes à son cou et s'enfuir loin, dans un monde où elle ne parlait à personne de l'année où Jordan Fisher lui avait brisé le coeur. Mais non. Elle l'aimait trop pour ça. Ce n'était plus un sentiment d'admiration infinie, ce n'était plus l'impression d'être face à la Lune et les étoiles ; c'était simplement la tendresse inconditionnelle envers quelqu'un qui avait été important dans sa vie, et qu'elle souhaitait soutenir maintenant que son monde s'écroulait.
Alors, Lola s'avança vers lui, et sans dire un mot, prit place dans la chaise à côté de lui, ne pouvant réprimer un sourire. "It's really nice to see you." Elle croisa son regard, où mille histoires étaient tissées, des aventures qu'il lui raconterait peut-être un jour, ou pas. Elle hésita à lui demander comment ça allait, mais trouvait ça étrange comme question envers quelqu'un qui traverse un deuil d'une cruauté inimaginable. Elle ne savait pas comment formuler son inquiétude, ses condoléances, autrement qu'en étant là, juste là. Elle aurait aimé trouver les mots parfaits, mais se contenta d'un haussement d'épaules et d'un : "If there's anything I can do to help..." Elle ne souriait plus, il n'y avait pas matière à sourire. "I'm really sorry." C'était tout ce qu'elle pouvait dire, finalement. Elle l'avait déjà exprimé au téléphone, mais c'était important que ce soit comme ça, de vive voix, les yeux dans les yeux. Je suis là pour toi, Jordan, disait-elle entre les lignes.
« It's really nice to see you. » Lola. Ton coeur fait un truc bizarre dans ta poitrine de l’entendre. Elle a la même voix qu’avant. Est-ce qu’elle a la même tête ? Tes yeux s’ouvrent tout de suite parce que tu veux la réponse à ta question. Tu la découvres installé à côté de toi et la réponse est oui. C’est bien elle. Tu peux toujours la reconnaître. Lola a été si importante dans ta vie. Tu sais pas si elle le sait. Elle a été ton amie la plus proche pendant le peu de temps que ça a duré. Deux ans. C’est court, mais c’était un immense virage dans ta vie qu’elle soit là. C’est elle qui t’a présenté Rosa. C’est elle qui a lu en premier tes écrits. C’est avec elle que tu as parlé art pendant des heures. Parler de la vie. Parler de la mort. Elle a dessiné pour toi quelques fois. T’as quelques tatouages qui sont des oeuvres à elle. T’en as d’autres qui sont pour elle que tu as fait après qu’elle ait arrêté de te parler alors que t’as essayé plusieurs fois de vous reconnecter. Puis tu t’es fait à l’évidence qu’elle ne veut plus de toi dans ta vie. Y’a aussi quelques chansons que t’as écrit inspiré de Lola et son absence. T’es tellement pris dans la surprise des retrouvailles que tu es encore silencieux. "If there's anything I can do to help..." Des réponses se forment dans ta tête. « I'm really sorry. »
« You being here right now. Thank you. » T’es grave dans un melting pot de sentiments à ce moment précis mais au moins ça prouve que t’es toujours en vie. Ton jus de mangue arrive. « Thanks. » Que tu dis au serveur avant de te redresser sur ta chaise que tu tournes un peu pour pouvoir voir Lola plus facilement. Tes yeux sur elle, tes pensées qui vont dans tous les sens. Les souvenirs. Les tatouages. Les dessins. Les écrits. Les chansons. Les albums que vous avez découverts ensemble. Tous ces albums qui tous les jours depuis leur découverte sont directement associé à Lola et Dieu sait que vous aviez au moins un nouvel album par mois que vous découvriez ensemble tous les deux. Comme certains attendent d’être ensemble pour regarder une série, vous vous gardiez les albums. « I missed you. So. Much. Lola. »
Tes mots qui pèsent car tu es d’une sincérité déconcertante. Beaucoup pourrait en vouloir à l’autre dans cette configuration mais t’as pas le temps pour des rancunes envers des gens que t’aimes. La vie est trop courte.
Une partie de Lola espérait qu'au fond, ça ne réveillerait pas trop d'émotions de revoir Jordan. Elle se méfiait des tempêtes sentimentales qui pouvaient l'habiter parfois, se tenait plus à distance des gens maintenant, évitait de se répandre en monologues intimes comme elle le faisait avec lui - seulement avec lui. Elle se disait que le temps était passé et que peut-être il lui serait facile de maintenir un kilomètre de plaisanteries entre eux, de faire semblant que rien n'avait changé pour ne surtout pas discuter de tout ce qui avait changé. Mais dès que Lola vit l'expression de Jordan, le bonheur sincère qu'il éprouvait en la revoyant, elle eut envie de tout, tout, tout partager à nouveau. Elle aurait voulu que par la télépathie ils puissent se transmettre les images et les sons des années écoulées, visualiser où ils étaient quand ils avaient écouté les nouveaux albums de chanteurs et groupes qu'avant ils découvraient ensemble. Sa barrière fut complètement ébranlée, mais elle s'y raccrochait, tenace, au cas où, au cas où c'était une mauvaise idée, au cas où ce n'était qu'un café pour ne plus se voir, au cas où.
Mais déjà, il la remerciait d'être là, et elle soutenait son regard, abrutie par le fait que c'était réel, qu'ils étaient vraiment là. Elle remarqua, du coin de l'oeil, que le serveur ne bougeait pas : Jordan avait son jus de mangue, mais elle n'avait pas encore commandé, et il attendait, patiemment. Elle rougit et balbutia : "A coff- No. A tea? No. Maybe a- You know what, I'll just have the same." Oui, bon, minute un, et elle avait déjà perdu tous ses moyens. Elle ne savait plus comment être naturelle, spontanée, elle avait oublié toute la maladresse qui allait avec, tous les faux démarrages, les faux pas. Elle s'était construite une image tellement différente depuis, et voilà que Jordan la regardait et elle se souvenait de qui elle pouvait être, beaucoup plus simplement, beaucoup plus gentiment. "Dude. You have no idea how much I missed you too." Et elle sentait sa gorge se nouer tellement c'était vrai et tellement elle en avait perdu conscience avec le temps.
Et soudain, sans qu'elle puisse s'en empêcher, c'était comme si elle avait quinze ans de nouveau, et tous les mots sortaient, toutes les phrases sortaient, elle était la même qu'elle avait toujours été et elle retrouvait Jordan en même temps qu'elle retrouvait une Lola perdue dans les naufrages du passage à l'âge adulte, et ça disait : "DO YOU LOVE SEMPITERNAL? That album made me think so much of you. I mean, it was all the themes we used to love, you know? I was obsessed with Hospital for souls for so long I could sing it to you right now. I mean, obviously, I'm not gonna, because you sing really well, and I don't, but you know what I mean. Right?" Avait-il gardé la faculté de pouvoir comprendre un mot de ce qu'elle racontait lorsqu'elle se lançait dans des tirades sans fin ? Et était-elle censée démontrer tant de joie et d'émotions alors qu'il traversait une des pires périodes de sa vie ? "I'm sorry, I'll quiet down." Le serveur arriva et lui apporta son jus de mangue, qu'elle goûta, et fit une grimace monumentale. "We still don't have the same taste in drinks, I see." Elle rit. Elle faisait référence à la bière de l'auberge de jeunesse, qu'elle avait trouvé dégoûtante et qu'elle lui avait donné pour qu'il la finisse. Sa toute première bière. "I'll keep it this time, though. I'm thirsty." Et le soleil brillait. Et c'était un goût de fruit qui venait rafraîchir leur journée. Et cette journée ne pouvait qu'être infiniment mieux que toute les précédentes, puisque Jordan était là.
« A coff- No. A tea? No. Maybe a- You know what, I'll just have the same. » Ca te fait tellement bizarre de la voir là, en chair et en os. Avec sa façon de parler si unique. Ses changements à 180 degrés en une fraction de seconde. Fucking hell. Elle t’a tellement manqué. « Dude. You have no idea how much I missed you too. » Then why ? Tu sais au fond. Mais tu veux quand même comprendre et t’as envie d’aller par là mais dans toute la splendeur dont Lola est capable, elle commence une tirade passionnée. « DO YOU LOVE SEMPITERNAL? That album made me think so much of you. I mean, it was all the themes we used to love, you know? I was obsessed with Hospital for souls for so long I could sing it to you right now. I mean, obviously, I'm not gonna, because you sing really well, and I don't, but you know what I mean. Right? » I missed that so much… Et elle aussi visiblement. Et elle te parle de BMTH, tu sais pas si c’est parce que tu portes un de leur t-shirt ou si c’est parce qu’elle a gardé un oeil sur ta vie grace internet. Maybe both? « I'm sorry, I'll quiet down. » Tu sais pas quelle tête t’as tiré mais ça l’a fait changé en deux secondes. Tu vas pour prendre la parole mais son jus de mangue arrive, te coupant dans ton élan. « We still don't have the same taste in drinks, I see. » Pourquoi ça te serre le coeur plus qu’autre chose cette phrase toute simple ? « I'll keep it this time, though. I'm thirsty. » Tu te mords la lèvre. Pensif.
« Can you just explain to me… Why ? » Cette conversation que tu as eu en rêve plus d’une fois depuis toutes ces années. Les réponses à tes questions qu’elle ne t’a jamais donné. « Could have you both in my life at the same time you know. » Tu marques une pause. Tu cherches tes mots. T’essaies d’avoir les mots justes. « You say you missed me too but it was better to miss me than seeing me with her? » Parce que tu sais très bien que c’est Rosa qui a tout changé.
Je vous jure que Lola n'avait pas consciemment vu le t-shirt de Jordan avant de lui lancer sa tirade infinie sur BMTH. Après, on peut se dire que c'était entré dans un filtre de son cerveau et que les associations d'idées s'étaient faites malgré elle et qu'il y avait donc un lien de cause à effet. Mais en tout cas, elle ne l'avait pas fait exprès, et ce n'est qu'après coup qu'elle y fit attention, et qu'elle retint un grand éclat de rire. Elle était dans tous ses états et ne savait pas dans quel état elle devait être. Tout cela était complexe. Et ça ne le devint que plus lorsque Jordan posa la question qu'elle espérait éviter. Il était encore temps de lui jeter son jus de mangue au visage et de courir très vite, très loin. Mais Lola ne le ferait pas.
"Jor, I..." Comment expliquer ce qu'elle avait ressenti ? Elle avait dix-sept ans et le premier garçon pour lequel elle avait ressenti un coup de coeur de toute sa vie - et donc, à sa mesure, de l'histoire de l'humanité - était tombé amoureux de quelqu'un d'autre sous ses yeux. Elle les avait présentés. Elle avait rejoué la scène six cent cinquante fois avant de s'endormir. Elle les revoyait en se réveillant. Elle, qui, à quinze ans, avait appris les trajets de Jordan pour le croiser, avait, à dix-sept ans, appris les trajets de Jordan et Rosa pour les éviter. Tout avait été marqué au fer rouge. Le banc devant l'école. Des dizaines d'albums. Même son envie passagère de devenir tatoueuse. Ou de se faire tatouer. Tout avait disparu. Tout était parti. D'un coup. Et il demandait pourquoi elle était partie ?
"Jordan, I couldn't see the two of you holding hands without crying. Literally." Elle soupira. Elle ne voulait pas le culpabiliser, lui, et elle refusait de se sentir coupable, elle. "I did the best I could. I thought it would go away. The feeling. I thought I would stay away for a while and then call you and we'd be back to normal." Elle grimaça, tellement son corps revivait instinctivement la douleur qu'elle avait éprouvé en les voyant encore et encore et encore, comme un enfer personnel. "But the feeling stayed. And then you left school. And then I tried to move on. I tried to be strong. Feel wanted. Turn the page. Just not be that person who had cried so much over..." Ce n'était pas rien, ce n'était pas tout, quel était le mot. "... over a seventeen-year-old heart breaking in a fucking thousand pieces." Oui, elle utilisait des gros mots maintenant qu'elle était adulte. Et elle était un peu énervée. Qu'il la remette face à tout ça. A tout ce qu'elle voulait éviter. Ils auraient pu ne pas en parler. Et en même temps...
"I'm sorry. I really did miss you. But you know what? They say a picture is worth a thousand words." Lola sortit un carnet de son sac et tourna les pages jusqu'à montrer à Jordan une page qu'elle avait dessiné il y avait longtemps : c'était un dessin qu'elle avait fait au moment du mariage de Jordan et Rosa, quand elle avait entendu la nouvelle. Elle avait pris sur elle, elle avait esquissé le portrait des deux amoureux. Et ça avait été cathartique et puissant et incroyable. A ce moment-là, elle avait envisagé de le recontacter, encore une fois, mais finalement, elle y avait renoncé à nouveau. Et elle s'était dit qu'elle l'apporterait, au cas où il voudrait le garder. Mais peut-être que ce n'était pas une bonne idée. Elle guettait l'expression de son visage.
"Jor, I..." Ouais. C’est dur à dire. Tu vas sûrement avoir du mal à l’entendre aussi. « Jordan, I couldn't see the two of you holding hands without crying. Literally. » Ton coeur se serre en l’entendant. Tu le savais au fond. Tu l’as dit toi même d’ailleurs. Mais d’avoir la confirmation ça te fait chier. Ca te fait aussi du bien? « I did the best I could. I thought it would go away. The feeling. I thought I would stay away for a while and then call you and we'd be back to normal. » Tu réalises combien elle a souffert. Combien elle a essayé. She tried. Ca te fait du bien de savoir. T’as juste cru qu’elle était juste une personne de plus qui t’aimait et qui n’avait plus envie de faire de toi une priorité. Comme ton père. He doesn’t love me. "But the feeling stayed. And then you left school. And then I tried to move on. I tried to be strong. Feel wanted. Turn the page. Just not be that person who had cried so much over..." Me…? « ... over a seventeen-year-old heart breaking in a fucking thousand pieces. » Ton visage a une mine triste. Tu comprends trop. "I'm sorry. I really did miss you. But you know what? They say a picture is worth a thousand words." Tu fronces les sourcils en la regardant faire. Tu le vois arriver. Tu le vois le carnet. Tu veux pas voir. Tu veux pas. Tu sens déjà les larmes monter sans même savoir ce qu’elle va te montrer parce que tu sais que c’est un truc qu’elle a fait en pensant à toi. Comme ces chansons que t’as écrit en pensant à elle. Et les larmes qui glissent sur tes joues quand tu vois que y’a Rosa aussi sur ce dessin. Tu vas poser une main sur tes yeux parce que l’émotion est beaucoup trop forte. Tu tiens son dessin dans ton autre main et t’as vu que t’y es aussi dessus. Tu renifles, t’es bouleversé de voir ça. De la revoir elle. D’avoir perdu Rosa complètement. Tu mets une bonne minute avant de te calmer, tu gardes ta main sur tes yeux quelques secondes de plus avant d’essuyer tes larmes et regarder le dessin de nouveau.
« Thank you. » La voix nouée dans l’émotion. « It’s beautiful. » Et t’as pas tes chansons sous le coude pour lui montrer que toi aussi t’as écrit des trucs sur elle mais t’as autre chose… Un tatouage que tu as fait sur ton bras. Tu voulais le faire sur ton coeur mais tu t’es dit que si tu veux le montrer à Lola un jour, ça la mettra mal à l’aise que tu enlèves ton t-shirt devant elle de nouveau. Tu lèves la manche de ton t-shirt car c’est sur ton biceps, à l’intérieur. On peut y voir un coeur brisé avec une croix, suivit d’un O, suivit d’une nouvelle croix, et d’un A. « You were my first heartbreak Lola. » S’en est suivi Rosa et cette situation impossible après son accident de voiture. Ce tatouage rassemble les deux personnes que t’as aimé très fort et qui t’ont brisé le coeur contre leur volonté.
On n'offre pas à quelqu'un qui vient de perdre la femme de sa vie un dessin d'eux deux en amoureux. Ca ne se fait pas, socialement. C'est logique, pourtant, une question de bon sens. Mais Lola en est totalement dépourvue. Elle, tout ce qu'elle voit, c'est combien d'amour il y a dans ce dessin : entre les Jordan et Rosa représentés, et tout l'amour qu'elle y a elle-même mis. Parce qu'elle ne pouvait s'empêcher d'être heureuse pour Jordan, quelque part au fond d'elle, parce que c'est ça d'aimer quelqu'un, de lui souhaiter tout le meilleur. Et qu'elle vivait ce paradoxe de ne pas pouvoir le voir, lui parler, mais de ne pas pouvoir arrêter de penser à lui et de lui souhaiter le meilleur.
Inutile de dire que Lola resta immobile lorsque Jordan craqua face au dessin. Elle n'avait aucune idée de quoi faire. Elle connaissait le deuil, pourtant, de plus près qu'elle n'aimait l'admettre, mais ça ne l'avait pas rendue experte pour autant. Elle était là, c'était tout, le regard tourné pour laisser à Jordan son espace vital, un lieu pour pleurer, pour exorciser, pour que les larmes coulent. Elle était là sans s'approcher ni le rassurer ou le consoler, car rien ne pouvait aider, car sa tristesse était infinie, et que Lola respectait cela, elle qui le comprenait, qui l'avait toujours compris.
Vous saviez que les déflagrations ne viennent jamais seules ? C'est comme l'histoire du papillon. C'est comme l'effet domino. C'est comme de la lumière qui vient se refléter sur des gratte-ciels, et l'écho du rayon va d'une vitre à une autre, à l'infini. Et Jordan soulevait son t-shirt, et Lola sentait une vague nausée qui montait, le noeud dans sa gorge déjà beaucoup trop serré, ne pas pleurer, ne pas pleurer, et il lui montra le tatouage le plus bouleversant qu'elle ait vu de sa vie. Oh, Jordan. Elle cligna des yeux furieusement. Ne pas pleurer, ne pas pleurer. "You were my first heartbreak, Lola." Fuck it. Elle serra les mâchoires. Elle ferma les yeux. Elle prit une profonde inspiration. Concentre-toi, Lola, ton pote, quoi ton pote, le mec qui a été ton meilleur ami pendant deux années décisives, qui a tout changé, il est veuf, il est à vif, il a besoin de toi, alors tu vas tenir et tu vas rester tranquille. Elle expira profondément et rouvrit les yeux pour les plonger dans ceux de Jordan. "Can I hug you?" Il y avait 99% de chances qu'il dise non, et ça ne la dérangeait pas, elle s'y était fait avec le temps.
Elle but la moitié du jus de mangue d'une traite. Changer le goût des larmes qui montaient par du fruit exotique, c'était ça, la solution. "How have you been, Jor? Like for real. This whole time. Not just..." Pas juste le dernier événement. Tout. Et elle avait une question, et c'était monstrueux de la poser, mais il fallait qu'elle sache : puisqu'ils se disaient toute la vérité, une fois pour toutes, avant de reprendre sur des bonnes bases (c'était bien ça qu'ils faisaient, hein ? ce n'était pas un dernier café puis un adieu, hein ?), il fallait qu'elle ose. "Did she make you happy?" Elle lui lança un sourire encourageant, parce qu'elle avait besoin d'entendre que oui. Elle avait besoin d'entendre que ça avait valu la peine, qu'elle disparaisse de sa vie pendant si longtemps, qu'au moins l'histoire d'amour avait été la plus exceptionnelle de la planète.
C’est tellement chargé en émotion. Tu vois qu’elle a du mal à se contenir elle aussi mais elle y parvient contrairement à toi et tes yeux rouges. Tes yeux encore humides. Ton nez qui coule encore un peu. T’en as carrément rien à foutre de la tronche que t’as là. Y’a beaucoup plus important. T’as jamais été proche de ton apparence. Tout le monde qui te voit peut le confirmer vu ton corps intégralement recouvert de tatouage. Mais c’est ce qui a permis ta survie toutes ces années. Tu te cherchais. T’étais perdu sans Rosa. « Can I hug you? » La vérité c’est que t’es pas mal réticent pour plusieurs raisons. T’es pas un gars tactile de base et t’as encore le souvenir de Rosa qui s’éteint dans tes bras y’a pas si longtemps. Tu veux pas que quelqu’un d’autre efface ça, même si ça peut paraître complètement con aux oreilles d’une tierce personne puisque tu t’es changé et pris plusieurs douches depuis. Mais quand même. Le feeling est encore là. Ton temps d’hésitation est la réponse à sa question et tu es très reconnaissant qu’elle enchaîne. Elle te comprend. Elle savait déjà la réponse à sa question. I missed you so much Lola. "How have you been, Jor? Like for real. This whole time. Not just…" She doesn’t know ? "Did she make you happy?" Oh god she doesn’t know.
« Rosa had a car accident in 2010. She was in a coma until… Last month. She woke up. So… These past 8 years haven’t been a walk in a park… But… I kept on living when I almost died twice… You know me… » Toi qui a toujours eu un death wish depuis toujours. Elle doit bien comprendre que t’as encore plus eu envie d’en finir avec la femme de ta vie dans le coma. « And I don’t know how on earth I got the chance to see her again for a whole month before she was gone for good… » Tu sais toujours pas. Tu comprends toujours pas. Qui a été assez clément dans cet univers pour te laisser la possibilité de dire tout ce que tu veux lui dire. De fermer ce chapitre comme il faut pour avancer les épaules plus légère dans la suite de ta vie. T’as pu lui faire écouter toutes les chansons que t’as écrit. Ca, c’est indescriptible. Toutes ces chansons même celles qui sont les plus tristes, parce que c’était ton état perpétuelle dans les premières années.
Et là, Jordan se mit à raconter l'histoire la plus triste du monde, et Lola se demanda comment il avait fait pour ne pas continuer à pleurer pendant quinze heures de suite plutôt que la petite minute que ça lui avait pris de se remettre. Non, elle ne savait pas. Elle ne savait pas pour le coma. Elle ne savait pas que Jordan avait failli mourir. Elle ne savait pas qu'ils n'avaient eu qu'un mois pour tout se dire à la fin. Elle ne savait pas. Et ça faisait beaucoup d'un coup. "I'm glad you're okay." Elle aurait voulu dire vivant. Elle était si heureuse qu'il soit là, malgré tout ce qu'il avait traversé, et qu'il accepte de la revoir, et qu'ils se retrouvent, des années après, transformés, mais toujours aussi bienveillants l'un envers l'autre. "I won't leave again." Lola baissa les yeux, immédiatement, gênée d'une telle promesse, mais sincère pourtant. "I should have been there, I'm sorry, I had no idea." Elle s'était convaincue que Jordan, c'était du passé, qu'il valait mieux ne pas remuer le couteau dans la plaie, revenir, reprendre, et en fait, elle aurait dû revenir plus tôt, elle aurait dû appeler, elle aurait dû demander comment il allait.
Lola se tourna vers Jordan en levant son verre de jus de mangue. "To Rosa." Avant tout. Parce que c'était important. Parce que leur amitié, étrangement, s'était définie autour de la rencontre entre Jordan et Rosa, puis la séparation définitive entre eux, par la mort et non par une décision de l'un ou de l'autre. Parce que ç'avait été la personne la plus importante dans la vie de Jordan, et que Jordan avait été une des personnes les plus importantes dans la vie de Lola. Parce qu'une belle personne venait de mourir. Mais ça ne pouvait pas être que ça. On ne pouvait pas honorer la mort sans honorer la vie. "And to trying to be happy, no matter how hard life gets." Elle espérait vraiment qu'il accepte de trinquer à ça, qu'il n'ait pas complètement renoncé, même si honnêtement, elle aurait compris, elle ne l'aurait pas jugé d'en avoir ras-le-bol de tout, de la vie, des sentiments, du trop-plein. "Do you have any plans? Any projects?" Il fallait regarder vers le futur, aller de l'avant, et peut-être que c'était ça, son rôle, à elle, de le pousser à la résilience.
"I'm glad you're okay." Tu sais très bien ce que y’a sous ces mots là. Les vrais, ceux qu’elle a pas l’air d’oser dire alors que parler de la mort était monnaie courante entre vous. Toi aussi t’es surpris d’être toujours sur cette planète et tous les jours depuis que Rosa s’est réveillé tu remercies le ciel d’avoir continuer à vivre avec les hauts et surtout tous les bas. Tu aurais détesté qu’elle se réveille et qu’on lui annonce que tu étais mort. Romeo. "I won't leave again." Tu avais aucune idée de la tournure de ce verre dans ce café allait prendre mais t’espérais que ces retrouvailles ne serait pas juste l’histoire d’une journée. Tu voulais aussi que Lola revienne dans ta vie pour du bon. Tu trouves ça fou qu’il ait fallut que Rosa meurt pour qu’elle revienne mais c’est mieux que rien. C’est comme ça que les choses devaient se passer. Tu t’en es sorti. "I should have been there, I'm sorry, I had no idea." Tu secoues la tête.
« Don’t feel guilty about anything. You didn’t know, I’m still here and I’m not going anywhere. » Littéralement. Tu veux pas quitter la ville. Tu veux pas quitter ta belle famille qui est plus une famille tout court qu’autre chose. Tu essaies de trouver le regard de Lola mais tu vois bien qu’elle s’en veut de toutes ces années manquées. Elle te fait face et va prendre son verre pour un toast apparemment. "To Rosa." Nouvelle montée d’émotion. Que Lola porte un toast à l’intention de Rosa c’est… C’est fort. Ca te touche. Tu sais qu’elle s’en veut mais tu sais aussi qu’elle est sincère. Rosa est ta vie entière et c’est Lola qui l’a fait entrer dedans.
Tu lèves ton verre. « To my dear dear dear Rosa. » Tu l’aimes tellement. Tu l’aimeras toute ta vie. Elle est celle qui t’as sauvé et t’as pu le lui dire. Si t’es qui tu es maintenant c’est grâce à elle. Si t’as commencé à écrire des textes dont tu es fier c’est grâce à elle. « And to trying to be happy, no matter how hard life gets. » Tu hoches la tête. Tu sais que c'est pas facile mais t'es dans une meilleure place mentalement depuis quelques années et tu fais ton petit bout de chemin tranquillement. Tu penses que t'es heureux. Tu bois une gorgée et laisse le silence vous envelopper un moment. Le temps de laisser flotter vos mots vers Rosa où qu’elle soit. Tes pensées sont 100% Rosa là. T’as quand même toujours l’impression que c’était un rêve le mois dernier. « Do you have any plans? Any projects? » Tu sors de ta bulle et tu tournes les yeux vers Lola. « Yeah… Work is going good. I'm a music producer. » Pour faire vite parce que tu écris, tu composes en plus de mixer. « I’ve got a music studio at home. I won the jackpot at poker few years back and I built it all from scratch in an old house. My house is so sick I love it. »
T’es tellement fier non seulement d’avoir acheté une maison mais en plus d’avoir un studio complet aménagé sur tout un étage. C’est le paradis. « I actually live not far from here if you wanna come by. It’s like, 20 min walk and you can tell me all about you before I keep on telling you about myself. » Il n’est que 15h mais tu sens que vous pouvez facilement faire une nuit blanche vous connaissant tous les deux et ayant autant d’années à rattraper. Et puis tu te souviens ce dont elle a parlé tout à l’heure parce que ce que tu vas ajouter, va la faire pousser un cri ou deux. « Gonna work on Bring Me The Horizon new album soon. That’s a massive plan. » Parce que le groupe est de plus en plus huge. T’as juste de la chance que les gars se soient bien entendu avec toi personnellement et musicalement quand t’as bossé avec eux sur leur album précédent. Tu bossais avec des gens qui t’ont ouvert des jolies portes. Les belles portes de ta liberté et l’indépendance. Tu comprends toujours pas comment ils ont pu te choisir toi. They’re like me. Plein de drames dans leur vies. Lots of drugs also. Que vous avez tous arrêté depuis.
Il y avait un optimisme que Lola sentait chez Jordan, diffusément, et qu'elle avait du mal à comprendre, qu'elle admirait : lui qui avait été de Charybde en Scylla pendant des années allait lui apprendre ce qu'était la résilience. Comme d'habitude, elle lui donnait de l'amour par paquets, et il le lui rendait mille fois en prouvant qu'on peut vivre, rebondir, revenir, quelles que soient les crises qu'on a traversées. Le fait qu'il accepte de trinquer à un futur la rassura profondément, et elle soupira, une main sur le coeur. Il l'avait dit lui-même : il ne partirait pas ; il resterait ; il serait là ; et pour de bon, cette fois. Et Lola sut que plus jamais ils ne se sépareraient, car même le jour où il rencontrerait le deuxième amour de sa vie, car il y en aurait un, elle était convaincue de ça, cette fois-ci elle pourrait être heureuse pour lui, car le temps avait fait son oeuvre et les sentiments ambigus étaient passés, peu à peu, difficilement. Elle en était intimement convaincue, et ça la rassurait : elle pouvait s'engager à lui amicalement sans craindre de retomber dans les affres de douleur passée.
Son sourire s'élargit au fur et à mesure qu'il lui raconta comment il allait en-dehors du deuil : il était devenu producteur de musique ! Evidemment ! Il avait réussi son rêve, il travaillait dans ce qui lui plaisait, et il avait son propre studio... "I- I don't even- I am so happy for you", répondit Lola, laissant cette fois perler des larmes aux yeux, car c'était une marque de joie, de profond bonheur à le voir accompli, épanoui, dans sa passion. "You might just be the coolest person I know", ajouta-t-elle, en hochant de la tête, "well, I guess that's always been true", et elle eut un rire attendri pour les deux adolescents qu'ils étaient, et les adultes qu'ils étaient devenus, un peu malgré eux.
"Mhmm, let me think: do I wanna see your house and the studio you built?" Elle prit l'air d'y réfléchir très sérieusement, comme si c'était un dilemme, comme si elle ne mourait pas d'envie de partir sans payer et courir jusqu'à chez lui, et comme ça ils prendraient dix-huit minutes au lieu de vingt (seulement dix-huit parce qu'elle aurait besoin de pas mal s'arrêter pour reprendre son souffle, donc ce ne serait pas payant en termes de productivité). Elle ingurgita son jus de mangue en une seconde et mit de l'argent sur la table. "My treat", déclara-t-elle, en le regardant d'un air qui voulait dire : et n'ose même pas discuter.
Et alors qu'elle pensait ne pas pouvoir être plus excitée et émue, Jordan lui sortit avec qu'il travaillait avec BMTH. "I'm sorry, what? What did you say? What?" Bug interne. Si Lola avait eu des TOCs, ils seraient tous sortis d'un coup, là. "I didn't quite- I'm not sure you- What?" Non, l'information ne rentrait pas. Elle le fixait juste suspicieusement, les yeux plissés, comme s'il était devenu un alien ou un robot. "But like what do you-" Non, décidément, non. Si ça c'était son état face à Jordan qui en parlait, je vous laisse imaginer si un jour elle rencontrait le groupe... une catastrophe. Il valait vraiment mieux les maintenir à distance. "Right, let's go, let's walk, I'll process while our bodies move, it'll be easier." Ou pas, mais on verrait bien.
Ils quittèrent le café et prirent le chemin vers chez Jordan. Les deux premières minutes, Lola ne dit absolument rien, mais bougeait ses index en les faisant se rejoindre. D'un côté, il y avait Jordan, de l'autre BMTH. Et à chaque fois que les index se rencontraient, elle secouait la tête, genre mais non mais pas du tout ; puis elle recommençait depuis le début. "You know what, let's just drop it. We'll get back to that. I can't. I just can't." Elle éclata de rire. "Have you recorded any of your songs? I have missed hearing you sing, you have no idea."
« I- I don't even- I am so happy for you » Ca. Ces mots là. Ces mots que ton père ne t’a jamais dit. Vraiment t’as réussi dans la vie. Plus que beaucoup et quand bien même, pas un mot. Rien. Il s’intéresse pas à toi. Jamais. I remind him too much of mum. T’as compris avec les années où était le problème. Problème qui est bien plus que ce que tu viens de formuler en pensée Jordan. I killed my mum. Yup. « You might just be the coolest person I know » Un sourire doux sur tes lèvres. Lola a toujours eu ce don à te faire réaliser que t’as de la valeur. Tu sais que l’amour fait dire beaucoup de conneries aussi. It’s no bullshit when it comes from her. Parce que t’as toujours eu une si haute opinion d’elle. Elle qui est si intelligente. Qui connait tant de choses. Elle te donne de la considération depuis toujours, même quand tu pensais pas du tout le mériter. « well, I guess that's always been true » Un léger rire qui sort alors que tu vas piquer une petite serviette sur la table pour t’essuyer le nez. « You’ve always been too good to me. »
« Mhmm, let me think: do I wanna see your house and the studio you built? » Ca te touche tellement que ça coule de source comme ça pour elle. C’est pas le cas de tout le monde. Ton père. Encore. Toujours. You have to let go Jordan. I know. Et tu penses que tu le fais mais à chaque fois ça te reviens comme une claque en pleine face. L’absence de ton père dans tous les grands moments de ta vie. « My treat » Tu la laisses payer parce que tout est toujours meilleur gratuit. Même si t’as de belles économies et que tes jours ne sont pas en danger, tu ne fais pas n’importe quoi de ton argent. Tu lui payeras un verre en retour une fois prochaine. C’est comme ça que ça marche. Et puis la bombe que tu lâches. « I'm sorry, what? What did you say? What? » Large. Très large sourire sur tes lèvres. « I didn't quite- I'm not sure you- What? » Tu dis rien. Tu souris juste. Même si tu sens encore tes yeux humides et que ça va pas partir avant le lendemain. Cette sensation d’après avoir pleuré qui reste. Comme pour te rappeler que t’as été triste mais que maintenant tu gères un peu plus. Until next time. « But like what do you- » Tu commences à rire doucement parce que c’est vraiment très drôle de la voir comme ça. On dirait toi en vrai. Parce que tu n’en reviens toujours pas non plus de cette chance folle que t’as de bosser avec ces kings. « Right, let's go, let's walk, I'll process while our bodies move, it'll be easier. » « Let’s go. » Tu te lèves après avoir fini ton verre d’un trait.
Le silence règne. Toi t’es en train de te frotter les yeux pour essayer d’enlever cette sensation même si ça va rien enlever du tout. Tu repenses au dessin qu’elle a fait. Don’t. Parce que tu vas te remettre à pleurer right there. « You know what, let's just drop it. We'll get back to that. I can't. I just can’t. » Un léger rire qui sort de tes lèvres en l’entendant, tu vas pour dire un truc mais… « Have you recorded any of your songs? I have missed hearing you sing, you have no idea. »
« I’ve recorded all of my songs. There’s a fucking lot. I even recorded the bad ones you know… When you just got a studio you wanna play with all the toys and I couldn’t stop for months. Still doing it to be honest. When I wake up at night, I just go in my studio and record a song I just wrote. » Jordan tu parles tellement. Elle va tomber par terre c’est sûr. Qui es tu ? Qui es tu devenu ? Elle ne te connait pas comme ça. Elle ne te connait pas autant dans ton élément. Autant avec l’envie de vivre. Autant avec toute cette lucidité sur la vie. Et puis tu la laisses pas répondre parce que, t’as cette question sur le bout des lèvres depuis tout à l’heure.
« I don’t want to believe you’re that good at acting but I can’t believe either that you just started to talk to me out of nowhere, out of all the music that has been created after we stopped talking. You just picked Bring Me The Horizon. That can’t be real. You have to be joking. » Et puis tu te souviens ton tshirt. Et tu te sens con. « Ha. Ok. Nevermind. » Tu te sens trop con. « You know I produced this one too. » Tu parles de « That’s A Spirit » en pointant la dite phrase qui est écrite sur ton torse. Sur ton tshirt.
Lola s'étonnait toujours et encore de la modestie de Jordan, qui semblait perpétuellement surpris lorsqu'elle lui faisait des compliments. Il avait de quoi rouler des mécaniques, mettre des lunettes de soleil jour et nuit, s'adresser aux autres par monosyllabes, refuser des amendes données par les policiers, se faire porter par des foules. Il était le summum de la coolitude. Mais rien. Lui, il se comportait normalement, en se faisant petit même, en doutant, en se remettant en question. Il travaillait dur, et ça faisait son talent. Il disait qu'elle était trop gentille avec lui, et elle, ça la faisait rire, parce que s'il savait à quel point elle se retenait de juste lui dire constamment à quel point elle le trouvait fabuleux, il s'évanouirait. Ce qui serait assez drôle à voir, mais elle l'avait déjà fait pleurer, donc ça aurait fait beaucoup pour une seule journée.
Pourtant, ce fut elle qui faillit tomber à la renverse lorsqu'elle l'entendit partir en tirades. On aurait dit qu'ils avaient fait un freaky friday : elle n'arrivait pas à lâcher une phrase cohérente, et il racontait toute sa vie, en donnant des détails et en montrant de l'émotion. Les années avaient opéré une transformation en eux, malgré tout, quoi qu'ils en disent, quoi qu'ils en pensent. Et Lola s'émerveillait de découvrir à quel point Jordan s'était ouvert au monde et aux autres. "Okay, next time you wake up in the middle of the night to record, just call me so I can listen while I sleep. I'll have the BEST dreams ever. With dragons and stuff." Oui, en tant que fan inconditionnelle de Harry Potter, elle avait surtout flashé sur les dragons, et c'était donc pour elle le summum de rêve incroyable qu'elle pouvait faire la nuit.
Jordan, en fourbe qu'il était, revint sur le sujet de BMTH, parce qu'il aimait bien la voir bégayer, au fond, ça ne pouvait être que pour ça. "I swear I could NOT stop thinking of you when I discovered their album." Et Jordan riait car il portait leur t-shirt, donc il y avait de quoi faire le lien. "Although, yes, your tee-shirt might have helped." Elle se dit qu'elle aurait aimé écouter l'album pour la première fois avec Jordan plutôt que loin de lui. Mais il allait falloir qu'elle accepte le temps qu'ils avaient passé à distance, qu'elle se fasse une raison, puisque ça ne servirait à rien de ruminer là-dessus, à rien du tout. Et Jordan qui disait qu'il avait produit une de leurs chansons déjà, et Lola qui se retrouvait de nouveau en panique. "You- You mean that you-" Il les connaissait déjà vraiment, en fait, ils avaient passé du temps ensemble, en fait, ils avaient parlé d'art, et peut-être qu'ils avaient mangé ensemble, et peut-être qu'ils avaient RI ensemble. "You-" Elle éclata de rire et renonça avec un grognement. "Whyyyyyyy can't I just talk about this normally?" Fangirl, that's why.
« Okay, next time you wake up in the middle of the night to record, just call me so I can listen while I sleep. I'll have the BEST dreams ever. With dragons and stuff. » Un large sourire se forme sur tes lèvres en l’entendant. T’aimes beaucoup trop qu’elle veuille que tu sois l’auteur des soundtrack de ses rêves. C’est un honneur. Parce que tu sais que ce sera de véritables films dans sa tête. Des oeuvres. En collaboration seems like. T’aimes cette idée. « Deal. » Mais qu’elle se tienne pas loin de son téléphone parce que ça arrive très très souvent. Surtout ces derniers jours pour des raisons évidentes.
« I swear I could NOT stop thinking of you when I discovered their album. » Elle va vraiment te faire chialer de nouveau si elle continue. Qu’elle partage tout ce qu’elle a pas pu faire à l’époque parce que vous vous parliez plus. Tous ces moments, que tu connais trop bien, où tu te dis « I have to show that to Lola. » Mais Lola n’était plus dans les parages. Lola ne pouvait pas te parler sans souffrir. Fucking sad. Tu repasses ses mots dans ta tête. Elle pensait à toi non stop en écoutant Sempiternal. C’est fou parce que cet album a été tellement important pour toi. Tu l’as tellement écouté. Tu te souviens exactement où et quand tu l’as écouté pour la première fois.
« I love that album you can’t imagine. » Si. Elle peut. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle pensait à toi à chaque fois qu’elle l’écoutait. « Although, yes, your tee-shirt might have helped. » AH. T’es content de voir qu’elle n’a pas des pouvoirs comme tu l’as peut être sous entendu loin dans une partie de ton cerveau. Puis t’enchaîne avec That’s the spirit parce que t’es si fier de cet album et tu sais que si elle parle de Sempiternal elle doit avoir entendu de l’album qui a suivi. Que tu as produit. "You- You mean that you- »
« I did. » Tu hoches la tête, l’air halluciné aussi. Vraiment. Tous les jours tu remercies l’univers de ces opportunités que t’as eu. Tu sais pas comment t’as pu mérité ça mais tu prends. Tous les jours tu prends et tu profites. « You- » « I know right??? » Tu hoches la tête de nouveau, le sourire si large sur tes lèvres. "Whyyyyyyy can't I just talk about this normally? »
« Because it’s Bring me the fucking Horizon we’re talking about like… How ? How they let me do that ? Because I must admit, I was just part of the production team for That’s the Spirit. But they liked my stuff better and I still can’t believe it. We kept in touch and they’re like my mates now, like how the fucking fuck ?? I’ve got Oli's number on my phone and they call me Ash not to mix me up with Jordan Fish cos that shit is hilarious also. »
MON DIEU COMME TU PARLES JORDAN C’EST FOU. Elle va encore tomber des nues mais tu te rends pas compte parce que t’es juste MEGA EXCITE PAR TOUT CA. Parce qu’elle sait d’où tu viens, elle sait que t’es fan de ce genre de musique parce qu’elle aussi et pour que tu en arrives là. Vraiment. Quelle chemin tu as parcouru Jordan c’est beau. C’est si beau. Feels so good to fangirl with someone about this. Avec elle surtout Jordan, avec elle. Yeah.