Lola venait donc de gagner une bande-son pour ses nuits et ses rêves, le retour de son meilleur ami dans sa vie - oui, parce qu'elle ne passait pas par les nuances de gris, elle allait directement dans le noir et blanc : soit il n'était pas là du tout, soit c'était son meilleur ami de nouveau, et elle ne comptait pas du tout lui poser la question, il était réinstauré d'office et puis c'était tout - et des anecdotes improbables sur BMTH. Très bien, très bien. Ca faisait beaucoup d'émotion pour une journée, et elle se disait que la première chose dont elle aurait besoin chez Jordan, ce serait d'un grand verre d'eau froide, pour faire atterrir toutes ces nouvelles informations.

"Ash. Hey, Ash. How are you, Ash?" Elle essayait des voix différentes, pour que ça donne un ton de chanteur métalleux, donc quelque chose de très, très loin de sa propre tonalité. Ca ne marchait pas du tout, et elle était morte de rire. "Can't believe this. Dude, wow." Elle fit exploser son poing pour montrer à quel point elle était mindblown. Et puis, elle regarda de tous les côtés. "Are we there yet? Are we there yet?" Elle avait hâte de découvrir à quoi ça ressemblait sa maison. Dire qu'à l'époque, tout ce dont Jordan rêvait, c'était de fuir le domicile familial, fuir son père, et maintenant elle le retrouvait et il avait son propre foyer. Elle était si heureuse pour lui.

"I hope you won't be disappointed by how little I've done compared to you", lâcha-t-elle soudain. Elle n'était pas honteuse, mais pas fière non plus. Il avait décollé si haut en si peu de temps, et elle avait galéré pendant des années, donc ça se ressentirait dans ses récits, qui seraient moins 'Picasso m'a sur speedial" et plus 'J'enchaîne les petits boulots en essayant de trouver quelque chose dans le monde de l'art'. Du coup, elle résuma ça en : "I haven't quite made it yet. But I've been drawing." Et elle retrouvait enfin une des seules personnes au monde à qui elle avait toujours montré ses dessins. "And painting." Bon, il n'avait jamais vu ses toiles, mais c'était parce que c'était nouveau pour elle cet engouement. "I really like it. I don't know." Elle ne savait pas si c'était une bonne idée d'y passer autant de temps, elle ne savait pas si ça faisait sens de se consacrer à la peinture alors qu'elle ne serait jamais aussi douée que d'autres, mais elle aimait le sentiment au moment de créer.

Elle remarqua que Jordan ralentissait son allure, et elle se tourna vers lui, surexcitée : "ARE WE THERE?" Il sortait ses clés avec la lenteur d'une tortue et elle avait envie de l'aider ou de le mettre sur accéléré. "Okay, do you wanna give me the tour or should I just run everywhere and visit by myself?" Les deux options lui convenaient, mais il valait mieux préciser les règles d'entrée de jeu, parce que sinon elle allait se jeter à l'intérieur comme un fauve qui a repéré sa proie dans la savane.

@Jordan Fisher

Jordan voulait voir ses tableaux. Il y eut court-circuit dans le cerveau de Lola, parce que bien sûr qu'après avoir mentionné le fait qu'elle peignait, Jordan allait dire qu'il voulait voir ses tableaux. Ca allait de soi. C'était logique. Mais elle n'y avait pas pensé comme ça, dans ses termes. Pour elle, on se donnait des nouvelles en général, Jordan lui montrait dans les détails tout ce qu'il faisait, et elle restait super vague et lointaine. Pas comme au lycée. Comme à l'âge adulte. Où elle ne montrait pas ses toiles. C'était pourtant logique, non ? A défaut de trouver une explication, elle abandonna le sujet, en se disant que ce serait mis sous le tapis, qu'il oublierait, et que le plus important était d'abord de visiter la maison de fond en comble.

Dès que Jordan lui donna son feu vert, elle se jeta telle un ouragan dans les lieux. Commença par le haut. C'était gigantesque. "Oh my God, this a palace!" Repéra l'affiche de Parkway Drive. "Was that the concert from our weekend in Stanthorpe?" La table. Elle ouvrit le frigo, vérifia à l'intérieur. Ouvrit des placards au hasard. Examina les chaises, les affiches. Lut les noms sur les pochettes de CDs, enfin quelques-uns des noms, parce que si elle l'avait fait avec attention, un cycle lunaire serait passé. Puis s'arrêta devant l'autel des morts. "Oh, Jordan, it's beautiful." Elle resta immobile, les yeux ouverts, puis les yeux fermés, puis les yeux ouverts, rendant hommage aux mortes de Jordan, sa mère, sa femme.

Lorsqu'elle repartit, ce fut plus consciemment que cette maison n'avait pas été seulement la sienne, mais elle refusait que cela retire de la joie à son exploration - au contraire, ça en ajouterait, ça lui donnerait de la profondeur. Elle survola la chambre ("I see you haven't changed your mind about making your bed"), vit une chambre d'amis ("Interesting"), puis descendit les escaliers en courant. Elle voulait voir le studio. Et elle y arriva, et elle éclata de rire tellement c'était sensationnel. Le disque de platine au mur lui inspira autant une envie de s'évanouir que de se moquer de Jordan avec un "show off". Elle avait envie d'appuyer sur chaque bouton, de chanter dans le micro, de crier dans le micro, de danser partout dans le studio. Elle finit par répliquer sobrement : "Cool, cool, cool, very cool." Avec un souire de gamine de trois ans qui prépare des mauvais coups.

Mais elle fut prise au dépourvu lorsque Jordan l'interrogea sur la peinture à nouveau, et Lola se cacha le visage derrière ses mains. "So, guess what: I don't actually show my paintings yet. But the day it happens, you'll be in the first three. And I did spot a few places in your house for a piece of mine that will suit you perfectly, I think. It's a naked portrait of Leonardo Di Caprio." Lola tenta de maintenir un visage de bluff, absolument neutre, mais un immense sourire lui fendit la crédibilité. "Can we listen to your songs?" Elle s'asseyait déjà dans le fauteuil du producteur dans le studio. C'était donc là que Jordan travaillait, très bien. "OHMYGOD can you sing on the other side, and tell me which button to press so that I can say Yeah that was nice but let's try again." D'un coup, elle eut une révélation et une expression contrite. "I'm sorry, these are not toys." Elle se releva du fauteuil. "You know I just get excited about stuff."

@Jordan Fisher

Le poster de leur weekend. Le frigo vide. L'autel des morts. Le lit défait. La chambre d'amis. Le studio. Le studio. Le studio. Lola découvrait la nouvelle existence de Jordan, et c'était un tel bonheur qu'elle ne pouvait s'empêcher de bondir partout, tel Tigrou. Il n'y avait pas un seul espace qu'elle n'ait pas envie de parcourir plus en détails, mais d'abord elle voulait entendre les chansons de Jordan. "Can’t wait to have it erected in my house." Lola éclata de rire, puis eut un geste bien trop exagéré de surprise, mais qu'elle éprouvait sincèrement : "JORDAN I DID NOT BLUSH", et c'était vrai, alors qu'il y avait dix ans elle serait devenue couleur tomate mozzarella, là son visage était resté intact, peut-être parce qu'elle avait eu des expériences sexuelles depuis, et que le sujet était devenu matière à plaisanteries, enfin, et qu'il ne pourrait donc plus la piéger quand bien même le souhaiterait-il. Les années avaient passé, et c'était aux détails comme ça qu'elle le voyait, à ces infimes changements qui s'étaient produits chez eux.

Face à un dossier de quatorze chansons, ceci dit, on ne pouvait plus parler d'infime changement, on parlait de révolution monumentale, de montagne, de ligne d'horizon qui s'était déplacée, de lever de soleil et de coucher de soleil, du Petit Prince, de tout à la fois. "I hope that guest room is available tonight, because we're staying here until I fall asleep." Elle dit ça avec le plus grand sérieux tandis qu'elle se saisissait déjà de la souris qu'il lui tendait. Et cliquait sur... elle hésita, par où commencer... elle se rappelait bien sûr qu'il lui avait montré deux chansons déjà, et se dit qu'on commencerait par là. Ce serait bien déjà. Mais avant de se lancer, "Also, your fridge is empty, which is worrying me significantly, because as you know, I eat for two, or three". Grand sourire. "I'll let you mull over that while I hit play." Et ça commençait.

You're so creepy. C'était joyeux, enjoué, Lola dansait sur son fauteuil en rythme. Elle avait toujours aimé danser, et la musique s'y prêtait. Les paroles lui plaisaient. Elle était surprise car elle s'attendait à de l'emo pur, et qu'il y avait beaucoup de dynamisme et d'humour dans ce premier titre. Elle ne fit aucun commentaire, car son corps parlait pour elle, et son sourire s'élargissait de seconde en seconde. I'm weird. On s'avançait dans un terrain plus en demi-teintes, où il y avait de l'émotion profonde, de la peur, de l'insécurité, de la bizarrerie, de l'obsession, un besoin de plus que la normalité, que le quotidien, et Lola y retrouvait leurs conversations sur le banc, leur sentiment d'être enfermés dans des vies qui ne leur correspondaient pas. "Damn, it's good, Jor", ne put-elle s'empêcher de lâcher au milieu de la chanson, avant de se laisser porter par l'arrangement instrumental, et la voix douce qui susurrait "I wanna tell you" avant de se perdre dans des cris qu'elle sentait au plus profond d'elle-même. Elle ferma les yeux, dans l'univers, dans l'instant, à vif. "It's really good. It's honest. I can feel it here." Les yeux toujours fermés, elle avait porté la main à son coeur. Lorsque la chanson s'acheva, elle prit une profonde inspiration. "And I already knew the lyrics for those. What's it gonna be for the new ones?" L'impact émotionnel allait être beaucoup trop grand, elle le sentait déjà. "Let's pause for a second." Elle souriait, mais elle n'en menait pas large. Elle était beaucoup trop sensible lorsqu'il s'agissait d'art. Petite, ce n'était que l'art visuel, plastique, mais Jordan l'avait tellement éduquée en matière de musique que maintenant ça en faisait partie.

La seconde passa, puis il y eut trop de curiosité, et Lola se rua sur la souris pour jouer un troisième morceau. I won't let you go. Mauvais choix, Lola, mauvais choix, mais elle ne put se retenir, et elle savait que c'était risqué, et effectivement, dès que les paroles commencèrent, elle sentit son coeur grincer d'une très vieille blessure, et elle ne put retenir une grimace. "Fuck." Ah oui, les gros mots aussi étaient devenus monnaie courante, comme les plaisanteries sur le sexe, surtout en cas de grande émotion, comme là. Comme lorsqu'elle écoutait Jordan chanter les mots qu'elle avait tant souhaités qu'il lui dise pendant leur adolescence. Elle toussa pour évacuer le noeud dans la gorge. "Hitting very close to home." Elle se tourna vers lui, et se dit que pour quelqu'un qui venait de perdre son amour, ça devait être douloureux aussi. Et elle s'imagina Jordan partager cette chanson avec Rosa, et la tristesse venait maintenant d'un lieu complètement différent, venait de ces deux êtres qui s'étaient tout donné pendant qu'ils en avaient eu le temps, et Lola était à mille lieux d'être capable de faire quelque chose comme ça, elle n'aurait pas pu gérer, elle n'aurait pas pu être aussi présente qu'ils l'avaient été l'un pour l'autre. Elle n'avait pas été là, mais elle n'en doutait pas. Elle attendit la fin de la chanson, puis soupira. "So, different genres, huh?", remarqua-t-elle sur le ton de la question rhétorique, juste pour dire quelque chose, juste pour changer le sujet. "I'm not gonna lie. Those are the exact words I used to wish you would say one day. And I swear I'm not saying it to make this awkward." Elle éclata de rire, et c'était sincère, c'était si vieux maintenant cette histoire, mais elle ne s'attendait pas à une chanson d'amour, et d'après les titres qu'elle voyait sur la liste, ce ne serait pas la seule, donc il valait mieux qu'elle soit honnête, qu'ils puissent se dire les choses, pour vraiment communiquer. "Your voice is amazing. These songs are really good. Do you know that?"

@Jordan Fisher

Lola et Jordan allaient passer la nuit à écouter des chansons, manger des plats tout droits sortis des cuisines de restaurants, et peut-être même boire un verre. "Do you have anything to drink? I feel like there's a lot to celebrate. Despite... everything." Que ces circonstances étaient étranges, malgré tout. Comment pouvait-il y avoir tant de joie et de bonheur à être ensemble alors qu'il y avait un deuil si récent, si présent ? Où était la limite de la décence, la politesse, du côté de Lola ? Devait-elle être moins enthousiaste ? En était-elle seulement capable ? Elle s'adapterait à Jordan, et il avait l'air d'être dans un bon mood, malgré la tristesse apparente. Elle ferait attention, ceci dit, attention à ce qu'il n'ait pas besoin de calme, de solitude, auquel cas elle se retirerait sans dire un mot. Elle ne voulait surtout pas rendre les choses plus compliquées pour lui. Mais au fond, se dit-elle, retrouver sa meilleure amie, peut-être que ça aiderait plus qu'autre chose, même s'il y avait du passé, même s'il y avait des conflits non-résolus, au fond ils étaient quand même liés pour la vie, et ce après des années de silence. Peut-être que ça aidait. Elle l'espérait fortement.

Et les deux premières chansons étaient parfaites déjà, et Jordan disait que c'était les pires, "show off", répéta simplement Lola avec un sourire. Puis ce fut la troisième, et il y eut tellement d'émotions qu'elle décida d'en parler ouvertement. Il était temps d'ouvrir les vannes, d'être sincère. Lola l'était avec quasiment personne d'autre, mais avec Jordan, c'était différent, elle l'avait compris dès qu'elle avait commencé à écouter les chansons. Elle ne parviendrait jamais à être autre chose que d'une honnêteté complète avec lui. Autant ça ne la dérangeait pas d'omettre quand c'était quelqu'un d'autre, de jouer la fille sage, rangée, drôle, qui avait quelque chose à dire, mais pas avec lui, jamais avec lui. Ce serait de la loyauté jusqu'au bout, et cela impliquait de dire la vérité, même quand elle était dérangeante. Même lorsque Jordan répondait qu'il avait écrit la chanson pour Rosa. Parce que c'était beau, et c'était vrai.

Lola eut un moment de choc quand Jordan mentionna qu'il avait écrit des chansons pour elle. "Yes, please, tell me", répondit-elle, la gorge nouée, les yeux sur ses baskets customisées, tout pour ne pas voir le visage de Jordan là tout de suite. Il lui dirait et elle cliquerait et elle écouterait et elle tenterait de ne pas pleurer et ce serait bien. N'est-ce pas ?

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"Please don't put it on repeat." Lola se contenta de hocher de la tête, parce qu'elle ne faisait pas confiance à sa voix chevrotante. Elle se rua sur l'eau et les cacahouètes tel un hippopotame affamé au milieu du désert. Se concentrer sur les sensations de fraîcheur dans sa gorge, de croustillant entre ses dents. Puis cliqua. Same old war. Il y avait une tristesse combattive dans cette chanson, c'était plus simple, moins énervé, plus comme un témoignage des états par lesquels Jordan était passé pendant qu'elle n'était pas là, comme un aperçu de sa réalité. Lola l'écouta avec curiosité, voulant comprendre, voulant rattraper le temps perdu. Puis Glimmer, qui ne l'accusait de rien non plus, mais qui lui rappelait des souvenirs diffus, vagues, quelque chose venant de très loin, elle ne savait pas bien quoi. "This sounds familiar somehow, but I'm not sure why", dit-elle, à moitié affirmation et à moitié question. "It feels folksy, I like it". Elle remuait la tête de nouveau, retrouvant son calme, ses racines.

Control. Ces paroles la renvoyaient tellement à leur situation présente. Ils s'étaient trompés dans le passé, chacun à sa façon, elle en coupant la communication, lui en ne sachant pas trouver les mots justes, la façon juste, de la faire revenir, de la mettre à l'aise avec cette histoire d'amour dont elle ne savait pas quoi faire, qu'elle ne parvenait pas à comprendre et accepter. Qu'est-ce qui leur disait que cette fois ils allaient parvenir à rester amis, tout simplement, à être là l'un pour l'autre sans plus de complications ? "We'll find a way", conclut-elle seulement à la fin de la chanson, "to not fuck everything up again."

Before the fall. Lola sourit à l'ambiance très rock qui imprégna les murs et sa tête et son corps. C'était étonnant comment elle se retrouvait dans des mots qui pourtant ne la décrivaient pas elle, mais Jordan. Comme s'ils étaient connectés à des années d'écart, comme ce qu'il avait ressenti il y avait si longtemps était destiné à la secouer elle maintenant, à trouver un écho dans sa réalité présente. Un message du passé. La chanson se finit, et Lola poussa un long soupir. Elle tendit une main à Jordan. "Square. We're done with it. The past. The mistakes. We're moving on?" Elle lui demandait la confirmation. Ils avaient écouté les chansons venues du passé. Elle avait pleuré. Il le savait. Ils avaient terminé. Ils ne pourraient avancer qu'en arrêtant de regarder en arrière.

Lola revint au dossier initial. Lut des titres de chanson qui touchaient de si près à ce que Jordan vivait au présent, des chansons sur le deuil. Lola hésita et se tourna vers lui. "What do you feel like? We can go deep and dark, and I'll be here with you, or we can go light like feathers. We've both cried today anyway, so any direction you want to go, I'll follow."

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"I don't want to plan anything." Lola sourit. Elle se souvint des plans complexes qu'elle faisait pour tout, tandis que Jordan improvisait au fur et à mesure, comme lors de leur voyage, comme lors de leurs virées sur le banc. Elle préparait des sujets de conversation, parfois, alors que lui sortait juste le dernier album qu'il avait acheté, et ils l'écoutaient, et c'était simple. Au fur et à mesure des années, Lola s'était libérée de certaines contraintes, de l'envie de tout contrôler à l'avance, mais avec Jordan, elle hésitait encore, elle avait peur de le blesser, de le froisser : malgré toutes ses réussites, il semblait extrêmement fragile, et elle voulait l'aider au mieux, sans vraiment savoir comment. Alors elle posait la question et, fidèle à lui-même, il proposait qu'ils écoutent n'importe quelle chanson. Comme faire confiance à la chance, à l'intuition - quelque chose qui semblait facile à Lola uniquement lorsqu'elle était face à une toile et que le monde cessait son chaos incessant pour donner place à un silence serein.

"You know I..." Oh, oh. C'était solennel. Ce serait soit très positif, soit très négatif. Dans le spectre extrême de l'émotion. Là où elle n'aimait pas s'aventurer. "You say, the past, the mistakes, we’re moving on but…" Il allait lui dire qu'il ne pouvait pas la pardonner ? Que maintenant qu'elle avait écouté ces chansons, elle pouvait partir ? Qu'elle devait partir ? "Is it that easy for you? I don’t want to have you back only for you to leave once more if I meet someone or I don’t know… I am definitely not looking for anyone anyway but… That was the main thing and I don’t want to fall back into this one day. I don’t want to see you leave again… I’d rather not letting you in in the first place…" Oh. C'était donc ça. Jordan qui ne planifiait rien, Jordan qui improvisait, pour une fois il avait besoin de réponses, d'anticipation, d'un sentiment de contrôle. Dans l'impuissance dans laquelle il se trouvait actuellement, cela faisait parfaitement sens. Lola prit le temps de réfléchir à sa réponse, laissant le silence s'installer, mais ce n'était pas inconfortable - c'était vulnérable, honnête.

"The first thing, I guess, is that I don't have the same feelings towards you than I did ten years ago. It took me a long time to realise that I had confused love with a special bond with someone. I had no reason to be jealous. There was no threat to our friendship in your relationship. But I had to grow to figure that out. And I did grow." Lola reprit son souffle, regarda Jordan dans les yeux, et continua. "Second thing is that none of this is easy for me. I feel guilty about the past. I hate making promises about the future. But I'm here. I am not the same person I was back then. And it will be a process to get to know each other again deeper than discovering each other's work. It will take time, including for you to trust me again. And I don't think there's anything I can do to prove that I'll be here no matter what, except for... being here." Lola remercia en silence les années de thérapie qui lui avaient permis de formuler ses sentiments avec cette clarté là, tout en étant terrifiée, car il était rare qu'elle mette des mots dessus dans des situations comme celles-là, avec des gens qui comptaient pour elle, des gens qui n'étaient pas un adulte neutre payé pour l'aider à résoudre ses problèmes.

"All that being said, I would understand if you refuse to forgive me, or if you can't, and if you need time to process the fact that I'm here. I can leave or I can stay, and that's pretty much up to you at this point." Lola haussa les épaules. Admettre son impuissance par rapport à cela n'était pas simple, car cela la mettait dans une position où elle risquait le rejet et devrait s'y plier. Mais ce qu'elle avait compris en revoyant Jordan, en écoutant ses chansons, en voyant son tatouage, c'était qu'ils avaient un lien qui allait au-delà de deux anciens amis qui se croisent et se donnent des nouvelles. Ils avaient une véritable connection, et peut-être que ce n'était pas le bon moment, et peut-être que ce n'était pas le bon lieu, mais elle avait le sentiment profond qu'ils se retrouveraient, quoi qu'il arrive. En tant qu'amis, jamais plus, et c'était bien comme ça. "Your call", conclut-elle avec un sourire dans lequel elle mettait toute sa bienveillance et son amour pour Jordan, pour qu'il se sente libre de prendre la décision qu'il voudrait.

@Jordan Fisher

Lola regardait Jordan dans l'attente du verdict qui va tomber. Telle une prisonnière en appel, elle était impuissante. Il n'y avait que son interlocuteur pour décider de la suite des événements, et de la tornade d'émotions qui viendrait, positive ou négative, soulagée ou douloureuse. Les fractions de seconde qui passèrent semblèrent d'un an chacune, et elle se voyait devenir vieille femme tandis que Jordan accueillait ses mots et prenait sa décision. Elle voyait sur son visage toute la difficulté qu'il avait lui aussi à avoir cette conversation, et savait qu'il n'en aurait pas parlé si ça n'avait pas été absolument essentiel pour lui avant de continuer. Et enfin, il répondit. "I’m not mad at you for leaving anymore. You did what you had to do. Everything happened the way it was supposed to happen." Le passé était dans le passé, et le pardon était venu, comme une intempérie dans une zone désertique, où toutes les plantes respirent à nouveau après s'être retenues de vivre, pleines d'espoir et d'optimisme. Tout allait bien se passer. Le passé était clos. C'était déjà ça. Et pour la suite ?

"I absolutely want you back in my life. Everything was always better with you in it and what you said it’s exactly want I needed to hear. The part about you don’t have the same feelings now and understanding what you really felt." Lola prit une immense bouffée d'air et sentit un vertige d'une puissance telle qu'elle dut reposer sa tête en arrière sur le fauteuil. Elle passa ses mains sur son visage. Elle ne souriait pas, ne riait pas. Le soulagement était tellement intense et violent qu'elle devait d'abord se reprendre. Elle n'avait pas perdu Jordan. Elle n'avait pas perdu Jordan. Elle n'avait pas perdu Jordan. Elle se promit de ne plus se plaindre pendant les mois à venir, de ne plus se battre pour des choses qui n'en vaudraient pas la peine, de ne plus fuir au lieu d'affronter. Elle se promit d'être une meilleure personne pour mériter le retour de quelqu'un sans qui la vie n'avait jamais eu la même saveur - elle le savait désormais, maintenant qu'ils étaient là, dans la même pièce, enfin réconciliés. "Shit, dude. I don't think I've ever been so scared." Elle le regarda avec un rire qui sortait enfin. "Fuck!" Elle passait la main sur sa nuque, maintenant, retrouvait son corps, atterrissait.

Et Jordan proposait de commander quelque chose à manger, et elle eut un sourire de la taille d'un paquebot finlandais. "Uhhh, what do I want to eat?" La question était tellement naturelle, tellement merveilleuse, tellement improbable, et Lola était à mille lieux d'avoir une réponse, mais il était temps qu'elle revienne au présent en répondant quelque chose. Elle se passa les différents plats en tête, eut un millier d'images en même temps, les tria par pays, par saveurs. "Chinese. I'd love to eat Chinese food." And just like that, they were two, us against the world, try stopping us now. "But before we eat, I'd like to pay my respects." Elle parlait de l'autel pour les morts qu'elle avait vu à l'étage du dessus. Elle y était restée une minute à peine, et si elle était vraiment de retour dans la vie de Jordan, ce n'était pas suffisant. Ce n'était même pas un début. Elle avait tant de remerciements à communiquer à Rosa, d'avoir illuminé la vie de son meilleur ami, de lui avoir fait connaître l'amour mieux que personne, de l'avoir fait grandir, d'avoir été là. "Would that be okay?" demanda-t-elle en se relevant, prête à monter les escaliers, mais seulement après confirmation de Jordan.

@Jordan Fisher