| La nuit, je mens (ft. Amos Taylor) |
| | (#)Sam 4 Avr 2020 - 9:27 | |
| Le fameux samedi était enfin arrivé, et comme d'habitude, Lola avait passé une semaine longue et éprouvante. Elle se rappelait l'époque lointaine où sa vie avait été un horizon méditerranéen : plate, voire placide. Mais ça, c'était avant qu'elle ne commence à vraiment vivre sa vie. Avant qu'elle ne s'autorise à travailler dans l'art. Avant qu'elle ne s'autorise à s'attacher à une famille. Avant qu'elle ne s'autorise à sortir avec une femme qui lui plaisait pour de vrai. L'avantage et l'inconvénient de faire des choix honnêtes, c'est que ça vient avec un lot d'émotions constantes. Mais ce samedi, Lola avait un joker, et elle était si ravie de retrouver Amos à la gare qu'elle tenta de lui faire peur en surgissant d'un coup de derrière une machine à café. "Bonjouuuuuur." Elle n'avait pas toujours autant d'énergie matinale, mais honnêtement, l'idée de quitter Brisbane et son magma de problèmes lui semblait paradisiaque.
D'abord, il y avait eu l'inoubliable dispute avec Ginny et Auden, ses patrons, ses colocataires d'un jour, ses figures parentales, ses amis, sa famille. Ca lui foutait les larmes aux yeux rien que d'y penser, donc elle préférait éviter le sujet soigneusement, et elle avait bien assez de distractions pour y réussir la plupart du temps. Car ensuite, il y avait eu la relation à ses débuts avec Grace, la présentation en bonne et due forme à Jill et Bailey, la discussion sur l'exclusivité, tout le temps qu'elles passaient ensemble, tout ce qu'elles partageaient, et l'évidence : Lola avait des sentiments pour elle, et un jour ou l'autre, il allait falloir qu'elle les formule à l'oral, comme une grande personne. Et enfin, il y avait eu la préparation de l'exposition qu'elles montaient à deux, les photographies de Grace et les toiles de Lola, tout un projet, la première fois qu'elle partageait sa peinture, qu'elle se risquait à tant de vulnérabilité, qu'elle s'assumait comme artiste. C'était un abîme terrifiant dans lequel elle plongeait seulement parce que sa partenaire d'exposition lui donnait un courage dont elle ne se savait pas capable. Le vernissage aurait lieu début mai. De quoi voir venir encore un peu. Un tout petit peu.
Vous comprenez peut-être mieux l'air ravi et enjoué de Lola, qui avec son sac à dos, avait l'air d'une scout sur le départ pour une semaine de camping. En réalité, elle allait enfin découvrir la maison d'enfance de Sofia, et rencontrer sa mère. Elle allait parcourir les rues du voisinage, explorer ce qu'elle avait seulement deviné dans la bande-dessinée et les récits de la jeune femme. Et tout cela, en compagnie d'Amos, l'être humain qui avait tendance à la mettre en confiance d'un seul regard, par son empathie extraordinaire et la prudence avec laquelle il lui parlait. "J'ai pris des gâteaux dans mon sac au cas où on a faim pendant le trajet. Et deux compotes de pomme. Et deux carnets. Et deux livres." Elle était donc prête pour l'apocalypse. Le panneau d'affichage indiquait que leur train partirait de la voie 3. Lola entraîna dans son sillon d'enthousiasme Amos dans cette direction-là. En avant ! Mais tout en marchant, elle se permit un : "Ca va ? C'est pas trop dur pour toi d'y retourner ?" Elle savait qu'il y était de multiples fois depuis la mort de Sofia, mais maintenant qu'il y avait en plus le divorce, le voyage avait de quoi ne pas être simple pour lui.
@Amos Taylor |
| | | | (#)Dim 5 Avr 2020 - 20:52 | |
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LA NUIT JE MENS...
Je ne joue pas avec mon téléphone parce que ma partenaire de cette virée jusque Kilcoy serait en retard : je suis à l’avance. Non, je le détaille parce que j’hésite entre envoyer un message à Raelyn ou continuer d’attendre qu’elle s’y colle malgré notre dispute. Je penche d'un côté à l'autre, alors qu’en mon for intérieur, je sais pertinemment qu’elle ne le fera pas. Nos efforts n’ont pas suffi à endiguer la colère. Nous n’avons pas réussi à nous comprendre. Ce n’est pas grave. Ça arrive. Mais, ça me travaille. Je dirais même que ça m’inquiète au point que je sois hermétique au bruit ambiant. Autant préciser que, Lola, je ne l’ai pas entendu approcher et j’ai sursauté comme un bleu, attendri par son attention de canaille. « Bien joué, jeune fille. Bien joué. » ai-je applaudi, admiratif. C’est compliqué de tromper un militaire, à moins qu’il ne soit pensif et tracassé et je l’étais. J’étais inquiet de mon avenir avec Raelyn. « Alors ? Prête pour l’aventure ? » me suis-je enquis avant de prendre de ses nouvelles en la détaillant de haut en bas. « Tourne-toi un peu ? Que je vise la taille de ton sac ? Tu sais qu’il y a moins de deux heures de train, pas vrai ? » Je la taquine, gentiment, heureux de penser à autre chose qu’à ma maîtresse. Elle avait ce pouvoir-là, Lola, celui d’alléger le poids de mes maux, de faire pleuvoir sur ma vie des éclats de rire semblables à ceux que j’ai partagés avec Sofia. « Les carnets, c’est pour dessiner, je suppose ? Tu me montreras ? En avant-première, je veux dire. » Découvrir son travail avant l’exposition à la galerie. Je lui en toucherai un mot bien sûr. Un peu plus tard cependant. Je le ferai lorsque nous serons confortablement installés dans l’un des wagons. Là, au milieu du hall de la gare, j’aurais trouvé la démarche trop impersonnelle compte tenu de l’importance que revêt l’événement à ses yeux. Il comptait pour moi aussi, et pas seulement parce qu’elle m’y avait invité, mais parce que j’avais l’impression que ce vernissage aurait pu être celui de ma gamine si elle avait persisté sa course sur les chemins de l’art. « Et moi, dans tout ça, je n’ai rien pris. » À part mes cigarettes, mes emmerdes et mes souvenirs. Est-ce que c’est difficile de rentrer dans cet ancien chez-moi ? La question de Lola est, comme toujours, d’une pertinence épatante. Je n’ai cependant aucun besoin d’y réfléchir avant de lui confier mon ressenti. « J’y vais encore souvent en fait. Mes parents y vivent toujours et tout n’est pas réglé avec Sarah. » J’espérais repartir avec les papiers du divorce signé d’ailleurs, mais j’ai gardé cette information pour moi. J’aimais autant la tenir à l’écart de ce qui ne concernait pas ce pèlerinage. « Et toi ? Tu n’es pas trop inquiète de ce que tu vas trouver là-bas ? » Au vu de son imagination, elle avait sans doute tiré des plans sur la comète. « J’ai failli te proposer de refeuilleter la BD, que je t’éclaircisse sur certaines zones d’ombre. Et puis, tu vas rencontrer le vieux Captain aussi. » ai-je remarqué tandis que nous arrivions sur les quais. Je consultai ma montre ; le train entrerait dans cinq minutes, le temps d’une cigarette que j’allumai avec hâte. « Alors, maintenant qu’on est peu plus tranquille, comment tu vas toi ? Tu as revu mademoiselle récemment, je suppose. » Parler de ses histoires de cœur, elle m’éloignait des miennes. |
| | | | (#)Jeu 9 Avr 2020 - 1:13 | |
| Lola avait un sourire triomphant : elle avait réussi à prendre par surprise un vieux loup comme Amos ! Et il la félicitait plutôt que de la gronder. Ils étaient si près de ce que pouvait être une famille qu'on aurait pu les appeler oncle et nièce et Lola n'aurait pas cillé. "Deux heures de train s'il n'y a pas de météorite, ou de Godzilla, ou de tarentule géante, ou de Détraqueur", elle hochait la tête, c'était à la fois une plaisanterie et un fond sérieux, elle était toujours prête à n'importe quel aléas. "Oui, j'aimerais faire des croquis de la maison et des alentours, des premières impressions. Je ne sais pas ce que j'en ferai, mais c'est important, c'est ma façon de m'approprier les lieux, tu comprends ? Et bien sûr que je te les montrerai, mais il faudra juste que tu me donnes le temps de les finir, avec de l'encre et peut-être des couleurs." Elle accordait beaucoup d'importance au moment où elle montrait son travail. Ce qu'elle ne disait pas, c'est qu'elle avait une idée qui avait germé en elle depuis qu'elle avait rencontré Amos : celle de faire une exposition un jour en hommage à Sofia, en faisant de grands tirages de ses planches de bande-dessinée, et en ajoutant en parallèle des toiles qu'elle ferait elle-même sur la vie réelle de Sofia, sa maison, sa famille, et le portrait de la jeune femme. C'était une façon de travailler le deuil qui lui paraissait intéressante, mais elle n'en parlerait à Amos qu'une fois sûre et certaine de se lancer là-dedans.
"Ne t'inquiète pas, j'ai l'habitude de voyager avec des gens qui ne prennent rien." Une pensée pour Jordan, le meilleur ami qui avait éternellement les mains dans ses poches. "C'est aussi pour ça que j'ai tout en deux exemplaires, comme ça si t'as besoin d'un livre par exemple, pouf tu peux choisir entre les deux que je lis en ce moment." C'était un système qui avait marché depuis ses quinze ans, et il n'y avait aucune raison qu'il vienne à faillir maintenant. "Tu t'entends bien avec tes parents ?" La curiosité qui venait pointer le bout de son nez. Elle était fascinée par la relation des gens avec leurs parents ; elle posait la question à tout le monde, sans cesse. Ce thème la fascinait et viendrait probablement trouver des échos dans ce qu'elle créait. "J'ai un peu peur, bien sûr, mais j'ai hâte aussi. Ca fait longtemps que j'attendais ce moment, sans en être vraiment consciente." Elle sourit à l'idée de rencontrer Captain : ce serait un point de repère et de tendresse non-verbale dans un lieu où elle en aurait le plus grand besoin.
Amos allumait une cigarette, le temps que le train arrive. "Je l'ai revue deux fois par semaine, même que." C'était précis parce que c'était son auto-discipline à elle : compter, mesurer, être prudente, ne pas se jeter la tête la première dans quelque chose qui était si nouveau et inconnu pour elle. "J'ai pas encore eu la conversation avec elle, mais ça ne saurait tarder. Je suis toujours aussi étonnée de ma chance, donc j'essaye juste de la rendre heureuse. On verra bien." Elle haussa les épaules, voulant sembler plus désinvolte qu'elle ne l'était vraiment. Elle hésita à retourner la question à Amos, mais quelque chose entre ses cernes et un air d'inquiétude, tout au fond, lui souffla de ne pas engager la conversation sur sa vie sentimentale. "Comment va ton bateau ?", lui demanda-t-elle plutôt, car c'était un sujet qui les enthousiasmait tous les deux, et elle avait hâte d'un jour naviguer avec lui.
@Amos Taylor |
| | | | (#)Ven 10 Avr 2020 - 5:34 | |
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LA NUIT JE MENS...
Son imagination est débordante, distrayante. Lola, elle arriverait à me faire oublier que je vais devoir affronter Sarah et revenir de moi-même sur cette histoire de divorce si nous trouvions l’occasion de nous entretenir en tête à en tête. Ce n’était pas exclu. Lola prévoyait de croquer sur papier une tranche de vie de Sofia. Peut-être souhaiterait-elle s’isoler dans sa chambre d’adolescente. Je ne m’y opposerais pas. Elle est devenue un sanctuaire dans lequel nul ne mettait plus jamais les pieds sauf pour s’y recueillir. Mais son affection pour mon enfant la désignait bienvenue. « Oui. Dans l’ensemble. C’est une façon de t’apprivoiser ce qui t’entoure en quelque sorte… Un peu comme les photographes, mais toi, tu dessines, tu ne prends pas un cliché. » Comment finissait-elle ses toiles dans ce cas ? S’imprégnait-elle des images jusqu’à être certaine de ne jamais plus les oublier ? Envisageait-elle de revenir ? Je l’y accompagnerais volontiers. C’est une bouffée d’air frais, Lola. Elle souffle sur ma vie le vent de l’enthousiasme. Raelyn n’aurait-elle pas pris autant d’importance dans mon quotidien que j’en aurais oublié notre anicroche. L’inquiétude est tenace cependant. Je suis soucieux, mais je n’en montre rien. Au contraire, je prends soin de remercier ma partenaire de voyage pour sa délicate intention. « Ceci dit, on a le temps de s’arrêter pour prendre un café à emporter. Ça te tente ? » Je ne saurais faire sans. La gare grouille de kiosque offrant des boissons chaudes. Nous en croiserons forcément un sur le trajet menant au quai, trajet au cours duquel la curiosité de Lola, qui m’étonnait à peine, prit le pas sur les politesses dispensables. « Dans l’ensemble, je dirais que oui. C’est plus compliqué avec ma mère. Je ne réponds pas entièrement à ses critères. Je crois qu’elle a l’impression d’avoir raté un truc avec moi. » Sa manie de me comparer à Chad était insultante malgré tout l’amour nourri pour mon frangin. S’interrogeait-elle sur ce qu’elle trouverait à Kilcoy ? Avait-elle peur d’être prise en tenaille au milieu de vieilles querelles ? Ce pèlerinage était bien assez angoissant pour elle. Ma question était de toute évidence rhétorique. «Si ça peut te rassurer, Sarah se fait une joie de te rencontrer et c’est une femme forte. » Comme il en existait peu. D’après elle, sa foi la sauvait du chagrin. Moi, je ne l’enviais pas d’avoir trouvé la paix auprès d’une Haute Instance à laquelle je ne croyais pas. Je me traduirais davantage comme content qu'elle ait réussi à traverser cette épreuve.
Sur le quai, j’ai comblé mon impatience en grillant une cigarette. J’ai fait rouler entre mes doigts mon briquet à plusieurs reprises également. Je ne suis pas nerveux de partager mes souvenirs avec ce brin de femme tantôt si insouciant tantôt si grave devant sa vie sentimentale. J’étais surtout curieux et mal à l’aise de la sonder à propos de celle dont elle semblait déjà amoureuse. Je ne suis pas un docteur dans la science du noble sentiment. Que du contraire, je peine à ordonner les miens. La preuve, elle m’interloque, mon acolyte. « Conversation ? Quelle conversation ? » l’ai-je questionnée. « Il y a des conversations précises qu’il faut absolument avoir avec les gens qui nous plaisent ? » Cela peut paraître naïf ou particulièrement bête comme remarque. Je suis pourtant on ne peut plus sérieux. Ma relation avec Sarah n’avait pas eu le temps de donner lieu à une quelconque mise au point à l’époque. Elle s’est rapidement retrouvée enceinte et j’ai pris mes responsabilités. « Enfin, tu vas me dire, tu en sais peut-être rien. C’est peut-être juste comme ça que tu le sens, mais… » Aucun jugement de valeur. Une véritable volonté de bien comprendre alors que je suis à nouveau assommé par une réalité nous concernant Raelyn et moi : on a construit notre couple – ou ce qui y ressemble – à l’envers. « Les travaux sont terminés. Il est comme neuf. Je m’y suis installé et c’est probablement l’endroit le plus tranquille de la terre. Je ne m’y sens pas prisonnier. » lui ai-je néanmoins répondu alors que je brûle de me confronter à son point de vue sur les phénomènes liés au cœur. « Tu sais que tu y es la bienvenue quand tu veux. Il me semble t’avoir déjà invité, non ? Si c’est le cas, c’était sincère. Dans le cas contraire, le mal est réparé. » ai-je ponctué d’un clin d’œil tandis que le train entre en gare. Moi, dans un train, c’était à marquer d’une croix rouge au calendrier. |
| | | | (#)Ven 10 Avr 2020 - 22:59 | |
| Amos comprenait parfaitement son besoin de dessiner. Son empathie à l'égard de Lola était extraordinaire, et la remplissait de gratitude. Ils interrompirent leur trajet pour acheter deux cafés, et Lola remplit le sien de sucre, car elle le trouvait très amer. Amos s'ouvrit sur sa relation avec ses parents, notamment celle avec sa mère, et Lola acquiesça sans rien ajouter. Il y avait des conflits dans toutes les familles, et il semblait que le sentiment primordial chez Amos était celui de ne pas être suffisant aux yeux de sa mère. C'était quelque chose qui affectait forcément le reste de son existence : on ne se libère que difficilement des mauvaises croyances appries pendant l'enfance. "Je ne suis pas inquiète", Lola cherchait ses mots, elle voulait faire comprendre précisément ce qu'elle ressentait, "j'ai peur de la puissance du deuil. La première fois que je t'ai vu, j'ai fondu en larmes. Je ne peux pas me permettre cela devant Sarah." C'était une décision qu'elle avait prise. On ne pleure pas devant la mère d'une morte. Devant le père non plus, mais ça, c'était trop tard. Lola avait révisé ses exercices de sophrologie pour pouvoir respirer à travers le voyage et éviter un éventuel effondrement.
Plus que quelques minutes avant de monter dans le train.
"J'ai du mal à mettre les mots au fur et à mesure dans tout ce qui est lié au couple. J'ai beaucoup montré à Grace comment je me sens, mais je ne l'ai jamais exprimé en tant que tel. Du coup, ça donne, dadadam, la conversation." Elle fit une grimace, car ça l'apeurait quand même de s'ouvrir comme ça aux aléas des coeurs brisés. "Mais je confirme : je ne suis pas experte dans les choses de l'amour", et elle souriait : chacun sa méthode, chacun sa façon ; tout le monde improvisait, quoi qu'il arrive. "C'est génial pour le bateau ! Oui, j'adorerais venir ! Même pour rester à quai les premières fois, que je me familiarise avec l'engin. On pourrait faire un pique-nique ! Tu pourrais me présenter ta copine ! Tu pourrais m'apprendre le nom des cordes et des choses !" Sourire gêné. Elle s'était emportée dans son enthousiasme, encore une fois. Mais l'idée lui semblait tellement merveilleuse. Et évidemment, l'envie de rester à quai n'était pas anodine, mais tant qu'Amos ne parlerait pas de son problème d'alcoolisme, Lola n'aborderait pas le sujet non plus, elle se l'était promis.
Le train arriva.
Lola et Amos montèrent et s'installèrent à leur place respective, l'un face à l'autre, près de la fenêtre. Lola sortit immédiatement son carnet. Ca ne l'empêcherait pas de discuter avec Amos pendant le trajet, mais elle voulait dessiner, en même temps, des détails qu'elle verrait par la fenêtre. On ne sait jamais. Elle montra à Amos les deux livres qu'elle avait embarqués : Figuring, de Maria Popova, et Creativity, Inc. d'Ed Catmull et Amy Wallace. "Il y en a qui te fait envie ?" Elle lui tendit aussi un deuxième carnet. "Ou si tu veux essayer de dessiner." Un large sourire. Elle sortit également les gâteaux, en prit un pour aller avec le café, et les posa sur la table.
Le train partit doucement.
Dès la sortie de la gare, Lola vit au loin un graffiti qui lui plut, et elle le regarda pendant les quelques secondes avant qu'il ne disparaisse, avant de le retranscrire sur son carnet. Elle fit pareil avec la silhouette d'une chapelle. Puis, lorsque la nature commença à reprendre ses droits, avec un arbre.
@Amos Taylor |
| | | | (#)Dim 12 Avr 2020 - 2:25 | |
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LA NUIT JE MENS...
La puissance du deuil ! Ces mots tintent en moi une mélodie étrange, à mi-chemin entre la compréhension et l’angoisse. Jamais je n’avais abordé mes retours à Kilcoy avec, au cœur, le plein d’allégresse. C’était et ça restait une épreuve, à cause des souvenirs et de l’absence. Cette ville – quoique ma famille et moi vivions dans les terres reculées de l’agitation du centre – témoignait également de la déroute de ma vie d’antan, celle pour laquelle j’ai sacrifié un pan entier de ce que j’étais. « Tu sais, Sarah ne vit pas les choses comme moi. Elle… » entrepris-je dans l’espoir de la rassurer. « Elle est moins terre à terre, Sarah. Elle vit son deuil avec beaucoup de spiritualité. » Façon élégante de dire qu’elle était persuadée que cette épreuve était le choix du divin, qu’il convenait de le respecter, de prier et d’attendre patiemment de retrouver notre enfant dans ce au-delà promis par le sauveur. Moi, je suis à des kilomètres de ce raisonnement, sans quoi aurais-je probablement évité les larmes à ma comparse de voyage. Ma propre douleur est pudique, mais toujours palpable. Celle de Sarah existe, mais elle a pris une forme différente avec le temps. « Je suis sûr que ça va bien se passer. » Et il en va de même pour sa vie sentimentale. Elle est fraîche, Lola. Elle brille comme le soleil. J’ai dû mal à imaginer que sa dulcinée soit insensible à son charme. Moi, elle me touche comme s’il s’agissait encore d’une enfant. Ce que j’éprouve à son égard se traduit par la confiance et une envie indicible de la protéger des autres, peut-être d’elle-même également, bien que j’ai foi en son jugement. « Je vois. Je déteste ça, moi. Les grandes conversations qui t’obligent à te mettre à nu. » Parce qu’elle me déstabilise, me fragilise. Je les gère excessivement mal avec, pour résultat, cette grimace dès lors que mon interlocutrice fit allusion à Raelyn. A ce stade de notre relation, il est prématuré de la qualifier de copine. « Bien sûr. On n’est pas obligé de bouger. Je pourrai aussi t’apprendre tout ce que tu veux. Qui sait, c’est peut-être toi qui le mouilleras quand tu t’en sentiras prête. » Elle eut la délicatesse de ne pas traiter de mon problème d’alcool, mais j’avais déjà statué que je lui éviterais la tension liée à mon addiction si elle souhaitait s’éblouir de l’horizon bleu de la mer et du ciel se confondant. « Quant à ma copine… » J’ai hésité avant de poursuivre. « Je ne sais pas si c’est vraiment ma copine d’ailleurs… » Je me souviens avoir brusquement réalisé que si l’étiquette est superflue, qu’elle ne déterminait en rien ce que nous étions, elle pourrait régler les problèmes au cœur de notre dispute. « On se voit beaucoup, souvent. » Je venais de passer près de quinze jours avec elle, chez elle. Nous sortions du cadre de la régularité, mais… les contours de notre histoire sont encore flous. « Pour ne rien te cacher, on s’est un peu pris la tête et…j’ai dû mal à comprendre où se situe le souci en fait. Et comme je ne suis pas plus expert que toi, c’est compliqué. Mais, j’espère toujours pouvoir venir avec elle à ton vernissage. D’ailleurs, comment ça avance ? C’est pour bientôt je présume ? » lui ai-je demandé tandis que le train entrait en gare. La réponse viendrait plus tard. Je lui ai tendu son ticket, nous avons pris place dans le wagon le moins bondé possible et, d’emblée, sans crier gare, l’insouciante artiste dégagea de son sac à dos ces carnets et ses livres. Mes traits se fendirent d’un sourire bienveillant. A son âge, on est une femme, mais pas à mes yeux. Je voyais davantage la gamine somme toute attendrissante. « Non ! Non… Je ne lis plus. » A cause du don de ces écrivains qui usent des mots si bien qu’ils éprouvent nos émotions. « Et alors, le dessin. » J’ai ri de bon cœur. A l’évocation d’une de mes œuvres au Pictionnary. « Mes pommes ressemblent à des cerises si ça peut te situer. Mais, ne t’inquiète pas pour moi. Fais… Ne te gêne pas pour moi.» L’observer m’impressionnait. Elle avait du talent, la petite. Je n’en doutais pas. Elle avait su honorer le travail de mon bébé, mais la voir à l’œuvre est impressionnant. « Lola » l’ai-je cependant interrompu, mal à l’aise tant elle paraissait concentrée. « Est-ce que je peux te poser une question ? Un truc qui vous concernent, vous… les filles.» Sous-entendu, ne me prendras-tu pas pour un imbécile et m’éviteras-tu, toi aussi, toute forme de railleries. J'ai l'impression d'avoir quinze ans tout à coup, voire un peu moins !
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| | | | (#)Lun 13 Avr 2020 - 1:05 | |
| "Elle vit son deuil avec beaucoup de spiritualité." Lola ne put empêcher ses yeux de s'écarquiller. Elle était si surprise quand elle rencontrait quelqu'un pour qui l'effet placebo de la religion fonctionnait. Pour elle, les histoires de paradis et d'enfer avaient toujours été des cauchemars destinés à contrôler les populations, mais elle tenterait de dissimuler son athéisme suffisamment pour ne pas être insultante. Au ton d'Amos, elle devina qu'il ne partageait pas non plus les élans religieux de sa femme. Ils seraient au moins deux à y penser très fort mais à ne rien dire. "Parfois, j'aimerais croire en Dieu, je me dis que ce serait plus facile." C'était tout ce qu'elle dirait sur le sujet, car c'était bien trop vulnérable pour en parler complètement.
Amos qui avait du mal avec les grandes conversations, ça n'était pas nouveau, et pourtant ça ne cessait de surprendre Lola, parce qu'il était si délicat et honnête avec elle. Peut-être que c'était plus simple parce qu'elle était enfant et qu'il était adulte, et que c'était donc un lieu en sécurité, rempli de tendresse, de bienveillance, et d'un engagement inconditionnel à la mémoire de Sofia. Aucun des deux n'avait de raison de faire du mal à l'autre, aucun des deux n'avait de raison d'avoir peur de l'autre. C'était un environnement paisible, rassurant.
Et le bateau ! Elle allait apprendre à naviguer ! "Ca va être extraordinaire, j'ai tellement hâte !"
Lola eut un sourire amusé lorsqu'Amos hésita sur le terme "ma copine" : effectivement, ils n'avaient vraiment pas eu la conversation. Elle fronça les sourcils face à l'incertitude qu'il éprouvait, à la dispute qu'il évoquait, malgré le temps passé ensemble. Elle aurait aimé que rien ne puisse le heurter, elle aurait aimé pouvoir le protéger, et ne s'en rendait compte que là, sur ce quai, alors qu'il parlait de ses amours. Il l'interrogea sur le vernissage, et elle attendit qu'ils furent montés dans le train et installés pour lui répondre. "J'ai enfin montré mes toiles à Grace", le sourire qui s'agrandissait, se démultipliait, "et elle m'a dit que j'étais courageuse ! Dans mon art, je veux dire." Lola brillait de mille feux tellement était fière et heureuse.
"Et oui, d'un point de vue pratique, ce serait début mai." Le conditionnel n'avait rien à faire là, puisque les dates se précisaient, et que c'était effectivement prévu pour début mai, mais Lola avait encore du mal à réaliser que cette exposition allait réellement se produire.
Amos ne voulait ni lire, ni dessiner, mais cela ne dérangeait pas Lola, pour une fois, qu'il la regarde faire ses croquis. Elle savait que ça l'apaisait et qu'il n'était pas intrusif ni dans le jugement. En revanche, elle fut extrêmement surprise et amusée par sa question. Elle interrompit ses esquisses et releva les yeux vers lui. Ne put retenir une lueur de malice de briller dans ses yeux enfantins. "Attends, attends, d'abord, je sors toutes les blagues éventuelles que j'ai en tête, comme ça, elles ne viendront pas polluer la conversation." Avec l'enthousiasme d'une comédienne sur scène, elle embraya, mais pas fort, parce que quand même, c'était une conversation privée, "Des trucs de filles ? Alors, oui, on pleure un jour par mois comme si c'était la fin de notre vie, mais non on ne mange pas toutes du chocolat ce jour-là. Parce qu'il y a des filles qui sont allergiques au chocolat."
Lola prit une profonde inspiration, puis, tout à fait sérieuse et bienveillante, regarda Amos. "Okay, c'était la seule blague que j'avais, en fait. Je suis prête. Pas de jugement, pas de plaisanteries foireuses. Go."
@Amos Taylor |
| | | | (#)Lun 13 Avr 2020 - 22:56 | |
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LA NUIT JE MENS...
Le débat autour du Créateur est, de tous, celui qui me déplaît le plus pour l’avoir trop souvent abordé avec ma femme et ma mère. Leur obsession à me convertir à leur foi dans l’espoir de m’aider à accepter la réalité m’a insulté plus qu’elle ne m’a secouru. D’après moi, elles vivent surtout dans le déni de leur souffrance et, quoique je ne souhaite pas à Sarah de sombrer dans les profondeurs du deuil, je considérais son comportement dangereux, principalement pour sa santé mentale. Aussi, ai-je choisi de ne répondre à Lola que par l’intermédiaire d’un haussement d’épaules exprimant la fatalité et l’incompréhension. Je suis bien plus intéressé par les histoires de cœur de mon interlocutrice et par ses projets. Son vernissage se tiendrait au mois de mai et, à l’en croire, elle avait affronté sa crainte de partager son talent avec d’autres artistes, l’artiste, celle qui, à n’en point douter, ébrèche sa carapace et remue ses sentiments. « C’est bien, que tu l’aies fait. » Parce que c’est un cap important que de lever le voile qui recèle notre personnalité. J’ignorais où Grace et Lola se situaient sur l’échelle de la relation, mais le geste en lui-même témoignait d’une réelle volonté d’en établir une basée sur la confiance. « Courageuse. Dans ton art. Ce qui veut dire ? » Était-ce un compliment ? A priori, je serais tenté de penser un grand oui, sauf que le choix des mots m’a surpris, autant que la rapidité d’exécution de la jeune femme assise en face de moi dans ce wagon.
Suivre la course de son crayon était presque hypnotisant, effarant également. S’il m’avait été demandé de décrire ce qui se passe dans la tête de Lola, j’aurais affirmé qu’elle était envahie d’un amoncellement d’idées, de question et de bravoure essaimé aux quatre vents et abrité derrière le brouillard du doute. Or, lorsqu’elle dessine, tout semble clair, net, précis, comme si la brume avait été chassée par la beauté du monde qu’elle s’enthousiasme à reproduire. J’aurais juré que, penchée sur son carnet, plus rien n’est susceptible de l’atteindre. Naturellement, le fil de mes réflexions m’a conduit vers Sofia. Était-elle aussi libre lorsqu’elle créait ? Une fois encore, j’ai aussitôt regretté de ne pas m’être intéressé davantage à ses passions. Cette déception, c’est l’effet secondaire du médicament qu’est Lola : tantôt elle me rapproche de la défunte, tantôt elle m’en éloigne, mais qu’à cela ne tienne ? J’aime la ressusciter à travers son amie, j’en prends donc mon parti et j’encaisse. J’encaisse avec plus d’aisance que cette dispute avec Raelyn d’ailleurs. Et, quoi de plus normal, finalement ? Je cohabite avec le deuil depuis des années. Il me touche, mais il m’ébranle moins violemment que d’antan puisque je me reconstruis peu à peu quand jusqu’ici, ça m’avait paru impossible. Ce soudain regain d’espoir en l’avenir, je le devais à ma maîtresse. J’en étais conscient au point de redouter que cette requête n’ait qu’un début. Dès lors encombré par l’hypothèse que nous approchions du point de non-retour, j’ai amorcé une discussion rebutante, mais utile à panser la plaie de l’angoisse, à lever mes controverses.
Un instant durant, j’ai pensé à opérer une marche arrière d’un « laisse courir, rien d'important, dessine, c’était une bêtise ». Commencer par une blague, c’était périlleux. Alors, au départ, je l’ai observée les yeux écarquillés de ne pas saisir où elle voulait en venir. Puis, la pièce est tombée et j’ai ri de bon cœur. Sa candeur est un joyau. Il a suffi à me convaincre que l’idée de me confier n’était pas si farfelue et pathétique que je ne l'ai pensé. « Mais, non, pas de ce genre-là. C’est moins ciblé. » J’ai secoué la tête avant de poursuivre. « Tu dois te mettre en situation pour comprendre le sens de ma question. Imagine que pendant quinze jours, tout roule. Tu n’es pas rentrée chez toi, tu es restée avec Grave. » Ici, le qualificatif “copine“ m’a de suite semblé moins fou, mais je n’ai pas commenté. « Et puis, tout à coup, un matin, tout est différent. Le comportement, tout. » Ou presque. Là encore, j’ai relevé que j’avais peut-être extrapolé, mais… « A ton avis, pourquoi ? Et c’est pas une devinette. » Je n’avais plus été aussi grave et sérieux depuis une éternité.
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| | | | (#)Mar 14 Avr 2020 - 2:19 | |
| "Courageux, en art, c'est quand tu mets le plus profond de toi, le plus secret, sur une toile, ou dans une mélodie. C'est courageux parce que ça te rend extrêmement vulnérable." Et c'était donc le plus beau compliment du monde, et un qu'elle ne se serait jamais attribué à elle-même. Lorsqu'elle dessinait, qu'elle peignait, elle réfléchissait moins au sens ultime, ou au moment de le montrer, ou au message - elle sortait de son cerveau, de ses doutes, du trop-plein d'émotions et de sensations qui l'habitaient constamment ; elle devenait crayon, elle devenait pinceau. Elle aurait aimé qu'Amos ait quelque chose comme ça, lui aussi. Peut-être que c'était naviguer ; il faudrait qu'elle le voie faire pour savoir. C'était libérateur d'avoir une activité qui faisait se taire l'univers entier pendant quelques heures.
Mais il était préoccupé. Une dispute amoureuse le rendait hésitant. Il ne s'offusqua pas de la plaisanterie de Lola, au contraire, et lui présenta une interrogation sous sa la plus belle des formes : une hypothétique. Lola ne faisant jamais les choses à moitié, elle ferma les yeux, et s'imagina. Deux semaines complètes avec Grace. Et un matin, tout changeait. Elle voyait les lieux, la proximité, la peau, les mots, et soudain la dispute qui éclate. Elle cherchait à lire entre les lignes. Elle ouvrit les yeux, pencha sa tête, et regarda Amos. "Pourquoi est-ce qu'on a passé deux semaines complètes ensemble ? Est-ce qu'on a vu d'autres gens ? Est-ce qu'on a pris du temps pour être seule chacun de son côté ? Parce que si la réponse est non, je pense que déjà je m'étouffe, tout simplement. La frontière entre ce que je suis et ce que nous sommes s'est faite trop mince, je disparais, ça me fait peur." Elle leva la main pour signifier qu'elle n'avait pas terminé, et recommença : fermer les yeux, se mettre en situation, rouvrir les yeux.
"Et puis, le contraire me fait peur aussi, du coup. Je m'attache tellement que je n'arrive plus à imaginer la vie sans l'autre, et de la peur naît l'agressivité, comme si l'autre m'avait déjà quittée, en fait, comme si c'était déjà fait. Elle est à la fois la personne que j'aime et la personne la plus dangereuse du monde, car si elle décide de partir, la douleur semblera insurmontable. C'est très étrange, comme double impression face à quelqu'un." Fermer les yeux, vivre l'ensemble une dernière fois, s'en vouloir de s'énerver, vouloir revenir en arrière, perdre le contrôle, dire des choses qu'elle ne pensait pas. Elle revint à elle-même dans le train, poussa un soupir, et secoua la tête. "C'est beaucoup d'incompréhension, beaucoup de non-dits, ça vient de très, très loin, des douleurs acquises dans l'enfance, à l'adolescence. Ca n'a rien à voir avec le couple en soi, parce que je ne changerais pas si brusquement. C'est juste que quelque chose de primitif s'est réveillé en moi, et ça bouleverse tout le système."
Lola prit une profonde inspiration. Les hypothétiques étaient fascinantes, mais elles étaient aussi épuisantes, car elle ressentait tout comme si ça avait eu vraiment lieu. Elle avait envie d'envoyer un message à Grace pour s'excuser, alors qu'il n'y avait eu aucune dispute dans la réalité. "Qu'est-ce qu'il s'est passé ?" Elle écouterait sans juger, mais respecterait son silence s'il choisissait de couper court au récit.
@Amos Taylor |
| | | | (#)Mer 15 Avr 2020 - 7:31 | |
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LA NUIT JE MENS...
« Je vois. Je crois que… même si je ne les ai pas vues…. Que tu es en effet quelqu’un de très courageux, Lola. » Au contraire, elle ne serait jamais venue jusqu’à moi, alors qu'elle détenait dans ses papiers des pans entiers de mon histoire personnelle. Courageux, car ça te rend extrêmement vulnérable. Les mots ricochent dans ma boîte crânienne et entraînent dans leur sillage tout une série de questions : le suis-je, chargé de cette bravoure ? Valeureux ? Je ne suis pas sensible à l’art, mais vivre avec cette douleur, m’en accommoder, tendre à nouveau vers la confiance d’une histoire amoureuse, est-ce que ça fait de moi quelqu’un de courageux ? Le suis-je lorsque je fuis l’appartement de Raelyn parce que je préfère être celui qui part que celui qui est forcé de le faire ? Est-ce toutes ces interrogations, presque trop subites et douloureuses qui me poussent à me confier sur ma liaison ?
La mise en contexte m’a semblé inévitable. J’avais besoin que la jeune Lola investisse le rôle de ma maîtresse, qu’elle s’identifie à ce qu’elles ont fatalement en commun. Elles sont différentes, certes, mais je suis persuadé que l’être humain est régi par toute une série de réflexes dont certains sont récurrents chez les uns et chez les autres. Les plus crédules parleraient d’horoscope. Moi, je suis trop terre à terre pour ça, trop ancré au sol pour comprendre ce qui est en train de se passer sous mes yeux. Mon interlocutrice clot les paupières, elle se concentre et de sa bouche sort toute une série de réflexion. Parfois, elle demande quelques précisions et, soucieux de ne pas l’interrompre – et parce que j’ai l’impression de participer à une expérience à part, une de celle qui m’égare, mais qui n’en semble pas moins intéressante, je récupère l’un de ses carnets vides et je note les quelques réponses qui l’aideront à y voir plus clair. Avons-nous vu d’autres gens ? Oui ! Au moins les membres du Club, les collègues. De mon point de vue, c’est réconfortant : elle n’étouffait pas. Je ne l’étouffais pas. Rae m’a-t-elle quitté ? De mauvaise foi, j’acquiescerais d’un oui catégorique, mais c’est faux. C’est moi celui qui ai eu peur et qui ai pris la porte comme si c’était déjà fait, parce que la douleur m’a semblé insurmontable.
Puis-je douter de la clairvoyance de l’artiste ? C’était la seconde fois qu’elle lisait en moi avec une telle aisance, bien que c’est la première où j’ai eu envie de prendre des notes. « Tu sais que tu es fascinante ? » Et un peu étrange, mais ça n’est pas dérangeant et somme toute sous-entendu. « Soit, j’essaie de te faire un résumé. On est sortis. Je suis rentré chez elle et, sur quinze jours, je ne suis pas parti. Je suis parti avec elle, rentré avec elle. » Nous avons également respecté les besoins de solitudes de l’un et de l’autre. « Tout m’a semblé si facile que… ça l’était presque trop, tu vois ? » Trop beau, trop évident, trop rassurant, de toute évidence, trop dangereux. « Le dernier matin, je l’ai sentie bizarre. Elle a fait semblant de rien, mais j’ai senti qu’il y avait un truc. Du coup, je lui ai demandé ce qui n’allait pas. Elle m’a dit que ça allait trop vite, qu’elle n’avait pas l’habitude. Et c’est vrai que ça va vite. Du coup, ben… je suis parti. On s’est disputé et je me suis barré. Tu crois que je l'étouffe ? Parce qu'on a vu d'autres gens, tu sais. » lui ai-je offert comme résumé avec l’étrange sensation qu’il lui manquait des détails, que les faits avaient été légèrement arrangés par ma mauvaise foi, celle mue par ma fierté et par mon désir de me protéger.
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| | | | (#)Jeu 16 Avr 2020 - 3:51 | |
| "Tu sais que tu es fascinante ?" Lola baissa immédiatement les yeux, à la fois touchée et gênée de cette déclaration qui était trop spontanée pour ne pas être sincère. Elle avait du mal à accepter les compliments, car elle était profondément convaincue de n'être extraordinaire en rien. "Soit, j’essaie de te faire un résumé. On est sortis." Où ? Faire quoi ? Probablement pas crucial dans l'histoire. "Je suis rentré chez elle et, sur quinze jours, je ne suis pas parti. Je suis parti avec elle, rentré avec elle." Ca faisait beaucoup, pour n'importe qui. Pas deux personnes au monde n'ont le même rythme exactement, donc il y avait forcément de nombreux compromis, même si ça faisait plaisir, même si on ne les sentait pas. Se caler sur une vie à deux, c'était drastiquement différent qu'être seul et faire comme bon nous semble, à l'instinct. "Tout m’a semblé si facile que… ça l’était presque trop, tu vois ? Le dernier matin, je l’ai sentie bizarre. Elle a fait semblant de rien, mais j’ai senti qu’il y avait un truc. Du coup, je lui ai demandé ce qui n’allait pas. Elle m’a dit que ça allait trop vite, qu’elle n’avait pas l’habitude. Et c’est vrai que ça va vite." Ils étaient d'accord sur le ressenti, mais bien sûr que cette déclaration avait dû l'effrayer. C'était vertigineux de dire la vérité en couple. "Du coup, ben… je suis parti. On s’est disputé et je me suis barré. Tu crois que je l'étouffe ? Parce qu'on a vu d'autres gens, tu sais."
Lola resta un long moment silencieuse. Elle secoua la tête. "Je ne pense pas que tu l'étouffes. Je pense que, comme moi, elle n'a pas l'habitude de s'attacher à quelqu'un de façon durable, intime et honnête. J'ai l'impression que toi non plus. Vous êtes des débutants dans quelque chose de très fort et très effrayant. Et c'est normal que vous mettiez du temps à trouver les mots." Elle eut un sourire encourageant envers Amos. "Ce n'est pas grave comme dispute. Ce serait bien que tu t'excuses d'être parti, en revanche, parce que c'est terrifiant de voir que son partenaire s'enfuit plutôt que de communiquer. Elle ne voulait pas te dire ce qu'elle ressentait parce qu'elle avait peur de ta réaction, et tu as prouvé par ta réaction qu'elle n'aurait pas dû le dire - en tout cas, c'est comme ça qu'elle risque de le ressentir. Je pense que c'est important de la remercier d'avoir été honnête." Elle haussa les épaules. "Mais d'un autre côté, je ne suis pas fichue de dire à Grace ce que j'éprouve pour elle, donc bon."
Au moins, ils avaient le courage d'éprouver pour de vrai, de s'intéresser. Dans un monde chaque jour plus inquiétant, c'était déjà énorme. Une voix dans le haut-parleur du train annonça un premier arrêt, des passagers descendirent. Lola fit une esquisse de l'extérieur de la gare aussi vite que possible.
@Amos Taylor |
| | | | (#)Sam 18 Avr 2020 - 6:31 | |
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LA NUIT JE MENS...
La louange est authentique. Je la trouve réellement étonnante. Or, devant son air penaud, j’ai presque regretté de l’avoir formulé aussi instinctivement. Le but n’était pas de la mettre mal à l’aise. Elle n’avait pas besoin de ce genre d’émotions. Aussi, ai-je veillé à revenir sur l’essentiel de cette conversation : ma dispute avec Raelyn. Je lui ai rapporté les faits tels que je les ai ressentis et, en toute honnêteté, je ne m’attendais pas à ce que son analyse me déclare grand perdant de cette querelle. J’en suis resté coï. Peut-être même ai-je grommelé dans mes dents quelques mots empruntés à ma mauvaise foi. Comment aurait-elle réagi si je lui avais confié que, tout à mon emportement, j’ai ramassé quelques vêtements du tiroir que ma maîtresse m’a alloué dans son dressing. Elle en serait tombée de son siège, la Lola. Quant à moi, j’encaisse sans mot dire. J’écoute, je réfléchis et j’évalue. « En effet. Enfin, ça m’est arrivé une fois bien sûr. » J’ai longtemps considéré Sarah comme mon grand et unique amour. « Vu le résultat, tu doutes bien que j’avais prévu de rester à l’écart de tout ça. » Des émotions, du noble sentiment, des querelles sur fond de malentendu. « Et, je ne peux pas m’excuser. Enfin, si je peux. » Foutaises. Ma fierté ne me le permettrait pas. Je pourrais tenter de m’ouvrir à la discussion, de faire un pas en direction de Raelyn, mais ouvrir la bouche et prononcer : pardonne-moi. Hors de question et pour cause… « Je ne suis pas parti parce que j’étais en colère enfin, au final, si, mais pas au départ. Je lui ai dit que j’allais partir parce que je pensais que c’est ce qu’elle allait dire. J’ai voulu lui éviter ça, ça partait d’une bonne intention. » Où irait le monde si on se repentit quand on a jamais souhaité blesser qui que ce soit ? Suis-je réducteur dans ma façon d’aborder la question ? Réducteur, archaïque et rien trop rigide ? « Et je suis pas un tyran. Je n’aime pas m’épancher, sauf exception… » Quel sort m’ont-elles lancés, ces deux jeunes femmes auxquels je suis différemment attaché pour que mon compteur de mots fonctionne en roue libre ? « Mais, j’essaie de l’écouter et de comprendre. Le truc, c’est que… » C’est qu’elle a rouvert des plaies mal cicatrisées, mais est-ce bien avouable ? « C’est pas ce que je voulais, lui donner l’impression que je ne sais pas l’écouter. » Et, quoiqu’elle en pense, je peine à croire que le différend n’est pas grave. Il est réparable. Tout du moins, j’ai envie de m’en convaincre, mais si Lola a raison, j’ai renvoyé à mon amante que je ne suis qu’un homme comme les autres finalement, un égoïste doté d’une mauvaise foi sans précédent. Je me suis rembrunis, non pas à cause de cette éventuelle vérité, mais parce que je réalise peu à peu que j’ai déconné. J’ai provoqué une situation sur laquelle je n’avais aucun contrôle. De nous deux, je suis celui qui nous a mis en danger et j’ignore comment rattraper le coup. Alors, désoeuvré, j’ai opté pour le détachement. J’y repenserai, mais plus tard. « Qu’est-ce qui te retient toi ? De lui dire ? » Ses raisons dépassent probablement l’ordre de la timidité. Mais, que lui est-il arrivé, à cette enfant ? |
| | | | (#)Dim 19 Avr 2020 - 3:20 | |
| Amos semblait peiné de la façon dont la conversation se déroulait, et Lola se demanda si elle n'avait pas été trop dure avec lui. Après tout, elle ne connaissait pas sa compagne et ne pouvait juger de sa part de responsabilité dans la dispute. Mais quelque chose lui disait que si Amos était venu lui demander conseil à elle précisément, c'est qu'il voulait entendre cette version-là, car il devait s'y attendre. On demande toujours conseil en sachant à peu près ce qu'on va entendre. Peut-être essayait-elle tout simplement de se rassurer.
"En effet. Enfin, ça m’est arrivé une fois bien sûr. Vu le résultat, tu doutes bien que j’avais prévu de rester à l’écart de tout ça." Lola acquiesça. Elle ne savait quasiment rien du mariage d'Amos, si ce n'est qu'il en était à sa fin, et que la mort de Sofia avait peut-être joué un rôle là-dedans. Elle ne tenait pas à en savoir plus pour le moment, pas avant d'avoir rencontré l'ex-femme - ensuite, sans doute aurait-elle des questions. "Et, je ne peux pas m’excuser. Enfin, si je peux." Ah, c'était un schéma, alors ? La difficulté de reconnaître l'alcoolisme, la difficulté de s'excuser auprès de sa compagne. Lola sut reconnaître la particularité de sa propre relation avec Amos, parce qu'il demandait pardon lorsqu'il allait trop loin. "Je ne suis pas parti parce que j’étais en colère enfin, au final, si, mais pas au départ. Je lui ai dit que j’allais partir parce que je pensais que c’est ce qu’elle allait dire. J’ai voulu lui éviter ça, ça partait d’une bonne intention." Essayer de deviner les sentiments des autres... toujours un écueil si ardu à éviter. Lola passait son temps à essayer de lire en Grace pour savoir si elle était heureuse de la situation ou si elle voulait partir. Elle pourrait lui poser la question, tout simplement, mais ce serait trop facile, n'est-ce pas ? Ou trop difficile, justement.
"Et je suis pas un tyran. Je n’aime pas m’épancher, sauf exception… Mais, j’essaie de l’écouter et de comprendre. Le truc, c’est que… C’est pas ce que je voulais, lui donner l’impression que je ne sais pas l’écouter." Lola eut un sourire compatissant, car elle se reconnaissait tellement dans ce que disait Amos. "Tout pareil", et elle posa sa main sur la sienne, faute de pouvoir lui faire un câlin. Elle l'enleva aussitôt, car un peu suffit.
"Qu’est-ce qui te retient toi ? De lui dire ?" Lola se figea l'espace de quelques secondes, car rien qu'à y penser, ça lui foutait la frousse. Elle avait l'air d'une enfant de nouveau, pas du tout d'une adulte qui donne des conseils d'ordre sentimental. "J'aime lentement, mais quand j'aime, c'est fort. L'attachement pour moi, ces mots, ce n'est pas drôle, ce n'est pas léger. Je n'ai pas été aimée pendant la plus grande partie de ma vie. J'ai appris à imiter les autres pour recevoir de l'affection, à donner ce qu'ils attendaient de moi. Grace n'attend rien. Elle me voit, je le sais. La possibilité qu'elle me rejette, ce serait encore une fois la preuve que je ne mérite pas d'être aimée. Je ne sais pas comment t'expliquer. C'est terrifiant." Elle termina sa tirade d'un soupir. Elle avait envie de se cacher le visage derrière les mains, de se mettre en boule sous une table, ou d'ouvrir magiquement la fenêtre et de se planter derrière un arbre en attendant que le soir tombe.
"Mes parents ont toujours été déçus, quoi que je fasse. Mes frères et soeurs aussi. Les gens à l'école me regardaient bizarrement. Les gens auxquels je me suis attachée ont toujours fini par partir. Je n'ai aucune stabilité affective. J'ai l'impression d'être une brindille, et au moindre faux mouvement, je pourrais me casser. Et je sais que ça n'est pas vrai, parce que j'ai survécu à..." A la mort de Sofia. "... mais c'est ça que j'ai fait : survécu. Je ne sais pas comment passer à l'étape suivante. Juste vivre et laisser faire. J'ai toujours besoin de tout contrôler." Comme pendant la dispute de Ginny et Auden : puisque la présentation ne s'était pas faite exactement comme elle l'entendait, elle était partie. Ce n'est pas ça qu'on fait dans une famille, mais elle ne savait pas comment se comporter dans une famille. Elle ne savait pas comment aimer.
@Amos Taylor |
| | | | (#)Mar 21 Avr 2020 - 22:16 | |
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LA NUIT JE MENS...
Certes, je n’ai pas aimé l’analyse de Lola par rapport à ma situation avec Rae, mais je ne regrette pas pour autant de lui avoir demandé conseil. La raison est simple, elle l’a résumée en deux mots : nous nous ressemblons par bien des aspects. Evidemment, je suis moins insouciant. Je n’accorde plus la moindre place à l’enfant qui dort en moi. Je ne l’entends plus depuis longtemps et je soupçonne qu’il ait fini par se taire définitivement. Ceci mis à part, nous sommes tous deux en grandes difficulté face aux problèmes liés au cœur et tout sentiment s’exprimant trop intensément nous tend. J’ai hoché la tête, convaincu, car s’il demeurait le moindre doute, il s’envola rapidement. Comme Lola, j’aime lentement, mais très fort. Je dresse des barrières trop hautes autour de moi que pour “tomber amoureux“ comme on tomberait de sa chaise. Contrairement à elle, je ne me serais pas qualifié de passionné, mais ma liaison avec Raelyn prétend que j’en suis néanmoins capable, et ce, dans tous les sens du terme. Il ne s’agit pas seulement d’une passion sexuelle ou amoureuse. Elle rend honneur à son premier sens, celui de la douleur qui naît lorsque nous débordons du cadre sain. « Je comprends. » ai-je affirmé avec délicatesse. Plus tôt, elle a posé sa main sur la mienne. Moi, je n’ai pas reproduis le geste. Je l’ai plutôt couvée d’un regard presque paternel. « J’ai du mal à comprendre comment on pourrait ne pas t’aimer. » Qu’il s’agisse de l’amour d’un pair ou de l’affection nourrie par les amis ou les parents. Je peine à imaginer qu’on puisse la mésestimer à ce point. Elle a tout pour plaire, Lola, à n’importe quel jeune adulte de son âge, à moins qu’il soit complètement idiot, et à tout adulte de mon genre capable de reconnaître qu’elle s’accomplit de jour en jour et avec succès. « Je ne vais pas te dire que tu as tort de vouloir tout contrôler. » Je le fais moi-même. C'est une nouveauté imposée par la vie qui m’a appris que plus on cadenasse, plus on maîtrise, moins on prend le risque d’être surpris ou blessé. « Tout à l’heure, tu m’as demandé si je m’entendais avec mes parents. Je t’ai parlé de ma mère. Je n’ai jamais su la satisfaire. » Tout comme toi. « Et j’en ai beaucoup souffert, mais je pense que ça a contribué à celui que je suis, ni mieux ni moins pire que les autres. » Et moi aussi, j’ai survécu à ce drame qu’elle ne prononce pas et lui aussi, il a impacté mes comportements face aux autres et face à l’adversité. « Je pense qu’à un moment donné, laisser faire et vivre, ne répond pas à toutes nos questions malheureusement et je n’ai pas trouvé d’autres solutions miracles que le contrôle pour essayer d’atteindre le niveau suivant. Mais contrôler, c'est fatigant et ça n'empêche pas d'avoir mal parfois. Mais, tu avances. » Quand je ne suis pas convaincu de pouvoir en dire autant. « Tu vas dévoiler tes toiles aux yeux du monde et ça… ben, ça je pense que c’est un fameux pas en avant, quelque chose auquel t’accrocher et te dire que ce n’est pas fini, que ça ne fait que commencer et qu’il n’y a pas de raison que ça soit différent avec Grace. » ai-je conclu, songeant que la démarche d'un vernissage est intime, bien plus qu’un engagement amoureux. Pour lui, il y a toujours un risque de côtoyer l’éphémère. Mais, l’art, ça lui appartient. Son talent, il ne mourra pas demain.
J’aurais aimé trouver les mots pour exprimer le fond de ma pensée. Malheureusement, ils m’ont manqué. Alors, j’ai changé de sujet, presque abruptement, après avoir laissé s’installer un silence prompt à la remise en question. « Et si on mangeait une compote ? A mon avis, on sera arrivé d’ici une demi-heure maintenant. » J’ai jeté un coup d’œil à ma montre. A peu de chose près, j’étais dans le bon. « Ce serait dommage de les avoir apportées et de ne pas les manger. » Ce serait également dommage de ne pas alléger l’ambiance alors que la journée promet d’être remuante. « Par où tu voudras commencer ? Quand on sera à Kilcoy ? Tu veux aller voir Sarah tout de suite où tu veux qu’on profite du trajet pour que je te montre les coins qu’elle préférait ? » Son école – elle était studieuse - le parc où elle jouait quand elle était gamine, ce lieu qu’elle prétendait hors du temps et où elle se réfugiait lorsqu’elle avait l’âme en peine.
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| | | | (#)Lun 27 Avr 2020 - 19:42 | |
| "J’ai du mal à comprendre comment on pourrait ne pas t’aimer." Parce que tu ne me connais pas vraiment, dans les détours les plus obscurs de mon âme. Ce que tu y découvrirais changerait complètement ta vision de moi. Lola était convaincue d'être plus un mal qu'un bien. Cependant, elle sourit à la phrase d'Amos, car elle se sentait appréciée lorsqu'il disait cela, et qu'elle en avait grand-besoin. "Tout à l’heure, tu m’as demandé si je m’entendais avec mes parents. Je t’ai parlé de ma mère. Je n’ai jamais su la satisfaire. Et j’en ai beaucoup souffert, mais je pense que ça a contribué à celui que je suis, ni mieux ni moins pire que les autres." Lola hocha de la tête : c'est vrai qu'elle n'aurait pas été la même personne sans cette confrontation constante avec sa famille ; ça l'avait formée, ça l'avait rendue ce qu'elle était. Elle n'en était pas au point d'en éprouver de la gratitude à ses parents, mais ça donnait un sens à ce qu'elle avait traversé, d'une certaine façon.
"Je pense qu’à un moment donné, laisser faire et vivre, ne répond pas à toutes nos questions malheureusement et je n’ai pas trouvé d’autres solutions miracles que le contrôle pour essayer d’atteindre le niveau suivant. Mais contrôler, c'est fatigant et ça n'empêche pas d'avoir mal parfois. Mais, tu avances." Lola dévisageait Amos avec curiosité. Elle n'aurait jamais imaginé qu'il puisse aligner autant de mots les uns à la suite, surtout sur un sujet émotionnel et psychologique. D'autant plus que ce qu'il disait faisait complètement sens. C'était erroné et dans le déni, car le contrôle était un mécanisme de défense que Lola avait étudié à la fac en long, en large et en travers, mais c'était tellement beau et compréhension qu'il accepte cette façon de vivre, et qu'il éprouve de l'indulgence. "Tu vas dévoiler tes toiles aux yeux du monde et ça… ben, ça je pense que c’est un fameux pas en avant, quelque chose auquel t’accrocher et te dire que ce n’est pas fini, que ça ne fait que commencer et qu’il n’y a pas de raison que ça soit différent avec Grace." Un grand sourire sur le visage de Lola, qui voulait tant y croire.
"Et si on mangeait une compote ? A mon avis, on sera arrivé d’ici une demi-heure maintenant. Ce serait dommage de les avoir apportées et de ne pas les manger." "Oh, oui !" Instantanément réjouie, Lola sortit les compotes, et dévora la sienne en quelques secondes - peut-être que parce que la conversation qu'ils venaient d'avoir l'avait drainée et mise en grand besoin de sucre. Ou peut-être parce qu'elle avait toujours adoré se ruer sur sa nourriture préférée, dont les compotes faisaient partie. "Par où tu voudras commencer ? Quand on sera à Kilcoy ? Tu veux aller voir Sarah tout de suite où tu veux qu’on profite du trajet pour que je te montre les coins qu’elle préférait ?" Lola eut une seconde de réflexion. Elle avait très envie de voir Sarah d'abord, mais elle savait que l'entretien risquait d'être lourd en émotions, et peut-être qu'elle n'aurait plus envie de découvrir Kilcoy après, donc le deuxième ordre paraissait le plus raisonnable. "On profite du trajet d'abord, je dirais, c'est okay ?"
Peu après, le conducteur leur annonça l'arrivée imminente à Caboolture. Lola rangea toutes ses affaires dans son sac, et se dirigea vers la porte du train, avec un regard en arrière pour vérifier qu'Amos suivait bien. Ils descendirent sur le quai, et Lola prit une grande bouffée d'air frais, comme si c'était un oxygène complètement différent ici. Ils se dirigèrent vers le bus qui devait les emmener à Kilcoy en trois heures. Lola se fit la réflexion que c'était quand même dommage qu'Amos soit alcoolique et qu'elle n'ait pas son permis. Ils auraient pu arriver tellement plus vite en voiture. A l'intérieur du car, ceci dit, elle ne fit que dormir, et eut donc l'impression que ça avait duré dix secondes lorsqu'elle ouvrit les yeux et qu'ils étaient arrivés à Kilcoy. "Victoire !" Elle récupéra son sac à dos, descendit de l'engin, s'étira dans tous les sens. Elle repéra un supermarché asiatique, un magasin de fruits et légûmes et une pharmacie. Il y avait d'autres magasins sur la droite, mais Lola ne savait pas vers quel côté ils partiraient. "Je te suis."
@Amos Taylor |
| | | | | | | | La nuit, je mens (ft. Amos Taylor) |
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