| (#)Jeu 4 Juin 2020 - 13:52 | |
| Sofia n'avait jamais parlé de drogue à Lola, ni d'un amant. Pour la peintre, c'était donc incompréhensible qu'on l'ait retrouvée ainsi dans un hôtel. Par ailleurs, la criminalité à Brisbane n'avait jamais fait irruption dans sa vie (car elle était loin de se douter de tout ce qu'Amos vivait au quotidien), donc elle l'avait toujours considérée comme inexistante : le privilège d'une blanche née dans les quartiers riches. Lola tourna la page de son carnet, et commença un nouveau dessin. Instinctivement, c'était le visage de Sofia telle qu'elle s'en souvenait, lumineuse, souriante, mais ça ne prenait forme que petit à petit, car elle l'avait si souvent dessinée que ça commençait par les cheveux, et elle passait ensuite au nez, puis aux oreilles. C'était une succession de gestes inconscients et automatiques qui l'aidaient à mieux entendre les réponses d'Amos. "Sarah fait semblant que ça n'a jamais existé." "Je comprends." Il y avait de quoi refuser en bloc la vérité, lorsqu'elle était si sombre et douloureuse. Amos choisissait l'autre chemin, lui : il était en quête de sens, de vérité. Il voulait apaiser la douleur par des certitudes. Peut-être que mener l'enquête était une façon de faire son deuil, ou peut-être (probablement) que c'était une façon de repousser son deuil.
Lola fit une profonde inspiration au mot droguée. Tout cela était si surréaliste. Elle n'avait jamais observé des traces de drogue sur Sofia. Elle se repassait les souvenirs flous mais n'y trouvait pas de pupilles élargies, de tremblement des doigts, de mâchoires serrées. Aucun signe inquiétant. Elle l'aurait vu, elle travaillait avec des addicts assez souvent pour reconnaître les symptômes. "Je pense qu'elle a fréquenté les mauvaises personnes et qu'elle a été piégée." Lola secouait la tête imperceptiblement, tout en traçant les yeux de Sofia, en détaillant l'iris, les cils, les sourcils. Comment Sofia aurait rencontré de telles persones ? En faisant la fête ? Pourquoi y aurait-il eu des criminels à une fête étudiante ? "Moi, je cherche encore." Lola se tourna vers Amos, les sourcils froncés, comme si elle allait le juger ou essayer de le convaincre d'abandonner, mais instinctivement ce qu'elle dit fut : "Je veux aider." Il était hors de question que la personne qui leur avait retiré Sofia sciemment se balade encore à l'air libre. Elle se doutait cependant qu'Amos ne la laisserait jamais se mettre en danger elle aussi. Ils allaient être dans une impasse. "Même si c'est pour faire des recherches, ou constituer des dossiers sur tes recherches, ou faire les cartes avec les punaises qu'il y a dans les films. Je ne suis pas du tout détective, mais je peux aider." Ses yeux plaidaient, car cette histoire lui crevait le coeur.
@Amos Taylor |
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| (#)Jeu 4 Juin 2020 - 23:42 | |
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LA NUIT JE MENS...
Dieu que j’aimerais être aussi compréhensif que Lola. Les réactions de Sarah m’échappent, moi. Elles me crispent parce qu’à réfuter l’idée qu’une ordure lui a ôté la vie de son unique enfant, elle fait de moi le responsable, le coupable de choix. L’étiquette me poursuit depuis tant d’années que j’ai dû mal à la décoller. C’est d’autant plus compliqué lorsque je déterre les blessures de mon passé. Mon réflexe premier est de me retrancher derrière le silence. J’observe les gestes de Lola sur le papier. Je ne prête que peu d’attention à ce qu’elle dessine. Je suis uniquement concentré sur elle, elle qui vient d’apprendre une nouvelle que je sais désastreuse sur le moral de ceux qui aimaient Sofia. De temps à autre, je glisse une information pour ne pas rompre le dialogue et, à la dernière, sa réaction m’a à peine surpris. J’aurais aimé pouvoir prétendre que je ne m’attendais pas à ce qu’elle veuille s’investir dans mes projets. Or, je l’avais pressenti. Elle est entière, Lola, mais je ne peux pas la laisser faire ça. Je ne peux prendre le risque qu’elle se jette dans un traquenard avec moi. « Non ! Lola. » Je hoche de la tête. Je suis embêté : j’ai peur de lui faire de la peine. « Tu en fais déjà beaucoup, tu sais. » Tellement ! À sa manière, elle veille déjà sur moi et ce n’est pas son rôle pourtant. Elle n’est encore qu’une enfant qui aurait grandi trop vite. « Je comprends que tu aies envie d’être utile, mais… c’est dangereux. Et si ça ne l’est pas encore, ça le deviendra. » Et je n’en dirai pas plus sur ce que j’ai appris, sur ce que je mijote, sur ce qui me tenait en vie avant de rencontrer Raelyn. « Tu en fais déjà tellement, tu sais. » Je n’aurais pas assez d’une vie pour la remercier d’avoir trouvé le courage de me contacter. « Ce que tu m’apportes, c’est ça ta contribution. Tu m’aides à me rappeler mes plus beaux souvenirs. » ai-je avancé en pivotant vers elle. « Je vais mieux et c’est en partie grâce à toi. Je ne veux pas que tu prennes des risques inutiles. Que tu… » Plus rien de ce que je n’aurais pu avancer n’aurait tenu lieu d’arguments convaincants. Et, quand bien même, mes pupilles accrochent son croquis et mon cœur chavire. Je crois reconnaître ses yeux, les miens et je ne suis désormais plus en mesure de prononcer le moindre mot pour défendre ma cause.
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