Oates Park, 18h ? – Assise sur un banc, Maze regardait fixement le dernier SMS qu’elle avait envoyé à Wren. Pour une raison impérieuse et totalement inconnue, elle avait ressenti le besoin de reprendre contact avec lui et de lui proposer qu’ils se voient. Un SMS sorti de nul part auquel, assez logiquement, elle n’avait pas obtenu de réponse. Si les rôles avaient été inversés, elle n’aurait probablement pas répondu non plus. Et il y avait mille et une raisons qui pouvaient expliquer cette non réponse : le jeune homme avait perdu son téléphone, quelqu’un le lui avait volé, peut-être avait-il changé de numéro, ou peut-être simplement avait-il supprimé Maze de ses contacts. Mais la raison la plus crédible et celle qui lui faisait le plus mal ? Il lui en voulait et n’avait tout simplement pas envie de reprendre contact avec elle. Et la brune était la première responsable de tout cela. Il y a quelques mois de cela, leur relation n’en était encore qu’à ses premiers balbutiements mais ils étaient résolument heureux ensemble et se complétaient de la plus étrange mais aussi de la plus jolie des façons. Et il avait suffi d’un soir, d’un petit et malheureux engrenage sur lequel elle avait appuyé, pour que tout s’effondre. Des secrets enfouis qui refaisaient finalement surface : pourquoi Wren n’avait pas jugé bon d’en parler plus tôt avec elle ? Etait-ce une question de confiance ? Avait-il l’intention de faire comme si de rien n’était et de lui cacher des pans entiers de sa vie ? Elle avait déjà vécu cela par le passé et elle refusait de se lancer corps et âme dans une relation qui avait débuté sur des mensonges. Ce soir-là, elle avait claqué la porte de l’appartement et n’avait plus jamais revu Wren. C’était inexpliqué, soudain. Mais surtout, c’était lâche. Elle regrettait chaque jour la décision qu’elle avait prise et avait eu à plusieurs reprises l’envie d’appeler le jeune homme pour lui expliquer sa réaction. Mais elle ne l’avait jamais fait.

Puis les jours, les semaines étaient passés, jusqu’au soir qui avait précédé son enlèvement et le vif traumatisme qui la torturait encore chaque jour. Elle ne dormait plus correctement, elle était sans cesse méfiante des gens qui l’entouraient, elle ne faisait plus confiance à personne. Sans travail, sans vrai logement, elle passait ses nuits à ressasser ce qui lui était arrivé, et ses journées à vagabonder dans sa chambre d’hôtel ou, quelque fois, à l’extérieur, le regard perdu dans le vide. Elle ne s’était jamais sentie aussi proche d’une coquille vide et sans âme. Pourquoi maintenant ? Pourquoi avait-elle ressenti le besoin de reprendre contact avec Wren ? C’était certainement une erreur. Et il ne lui avait pas répondu de toutes façons. Alors pourquoi était-elle là ? Assise sur le banc à fixer bêtement l’écran de son téléphone ? Elle jeta un coup d’œil à sa montre. 18h10. Elle ne savait pas quoi faire. Continuer d’espérer une personne qui ne se présenterait probablement pas ? Rentrer à l’hôtel pour se morfondre au fond de son lit ? La brune lâcha un profond soupir avant de replier ses genoux contre sa poitrine et d’y cacher son visage : « Pourquoi est-ce que j’ai fait ça…Et qu’est-ce que je lui aurais raconté de toute manière ? » Il ne manquait plus que ça, que les badauds la prennent pour une folle qui parlait toute seule. Avec son air fatigué et ses cheveux attachés en un chignon extrêmement négligés, le rôle était tout à fait à la hauteur de son apparence physique.

Il avait été surpris de recevoir un tel message auprès autant de mois à n'obtenir aucune nouvelle de sa part. Maze était de retour, au moins dans sa vie, parce que Wren n'avait aucune idée s'il était parti d'ici ou non. En fait, il ne savait franchement rien et pire encore, il n'avait jamais vraiment compris ce qui s'était passé. Certes, il savait qu'il avait fauté en voulant prendre son temps avant de lui avouer les pires secrets qui entachaient la vie des Doherty mais il n'avait sûrement pas considéré une réaction aussi virulente de la part de Crawley. Elle avait tout simplement coupé les ponts, claquant la porte derrière elle et laissant un Wren clairement démuni face à la réalité des événements. Il ne s'était peut être pas tant ouvert à quelqu'un depuis une décennie au moins et elle avait détruit ce trait de confiance qu'il n'avait plus eu depuis un long moment. Alors, le suédois avait passé de longs mois dans la tourmente, se servant de cette rupture comme d'un moteur pour justifier toutes ses pires exactions. Il avait sûrement utilisé cette excuse le jour où il avait brûlé des poubelles à côté d'un bar et certainement celle-là même lorsqu'il avait vu un hectare de forêt s'envoler en fumée. Souffrir, cela justifiait tout, du moins chez les Doherty parce que c'était le vecteur de leur haine majeur. Dans ce genre de contexte, avait-il vraiment envie de se pointer au lieu du rendez-vous qu'elle lu avait fixé? Peut être pas, parce qu'il avait la rancoeur tenace, qu'il n'avait jamais su gérer ce tourment d'émotions qui le happait constamment, ou presque. Néanmoins, il y avait aussi cette partie de lui qui avait besoin de ce moment pour comprendre ce qui lui était arrivé, peut être même en faire le deuil. Alors, après une heure de réflexion intense et un message laissé sans réponse, il s'était dirigé vers le parc où Maze l'attendait. Il était en retour, forcément, on parlait de Wren tout de même. Il marcha à vive allure néanmoins, apercevant au bout du compte la silhouette de la brune sur un banc. Elle n'avait pas l'air de l'avoir vu alors qu'elle commençait à parler seul et que Wren choisit cette merveilleuse opportunité pour venir s'asseoir à ses côtés sans plus de cérémonie, ni d'introduction. Comme au bon vieux temps, un bon vieux Doherty comme on l'aimait. "Lui expliquer les choses, peut être? Je sais pas, Maze... Il y a bien une raison pour que tu me contactes après un silence radio aussi long. Surtout après la manière dont t'es partie..." Comme une furie était le mot, mais le nordique ne l'utilisa pas, rongeant ses freins et rangeant ses émotions à l'intérieur pour qu'elle ne capte pas le moindre trouble le concernant. Il allait rester stoïque, le suédois, et attendre ses réponses calmement... On y croyait, vraiment, là.

La brune releva brusquement la tête et eut un mouvement de recul. Déjà d’un genre à se méfier naturellement de ce qui se passait autour d’elle, son enlèvement avait complètement exacerbé son côté paranoïaque. Elle avait l’impression qu’elle allait replonger dans l’enfer qu’elle avait vécu si elle ne faisait pas suffisamment attention à chaque seconde du jour et de la nuit à son environnement. Quant au sens du contact, n’en parlons pas. Elle avait complètement perdu ce dernier. Cela faisait des mois maintenant qu’elle n’avait laissé personne l’approcher. A son retour à Londres, sa mère avait naturellement serré sa fille dans ses bras, soulagée de la retrouver. Maze s’était instantanément raidie, ne tenant pas plus de 5 secondes avant de la repousser. Non pas que ces retrouvailles avec Wren les auraient amenés à de chaudes effusions de toutes manières.
Si elle avait eu quelques secondes pour reprendre ses esprits, avoir ainsi le jeune homme en face d’elle n’aida en revanche en rien son cœur à se calmer. Etait-il vraiment là ? Elle hésitait encore à se pincer le bras discrètement pour vérifier. Au point où elle en était, elle n’aurait pas été surprise d’avoir des hallucinations. Mais quitte à halluciner, autant en profiter encore quelques secondes. Elle resta silencieuse en l’observant, sentant tous ses souvenirs passés lui revenir doucement en mémoire, comme une chaude couverture venant l’envelopper et la rassurer un court instant. Mais leur dernière entrevue finit elle aussi par lui revenir brutalement au visage. Et bien qu'il reste calme, ce n’était plus vraiment de la tendresse qu’elle pouvait lire sur le visage de son ex. Et à juste titre.
Elle prit une profonde inspiration, n’ayant strictement aucune idée des mots qu’elle s’apprêtait à laisser échapper. « C’est compliqué. » Si c’était pour dire ça, peut-être aurait-elle mieux fait de s’abstenir. Oui, effectivement, c’était compliqué. Elle n’allait pas lui parler de tout ce qui lui était arrivé, elle en était actuellement incapable. Et pourtant, c’était bien la seule chose qui expliquait son si long « silence radio ». Si tout cela n’était pas arrivé, peut-être aurait-elle fini par mettre sa fierté de côté pour l’appeler et mettre les choses au clair. Mais elle n’en avait pas eu le temps. Et la façon dont elle l’avait quitté était inexcusable. Toutes ses pensées se mélangeaient entre ce qu’elle voulait dire, ce qu’elle pouvait dire, ce qui s’était passé et ce qui aurait pu et dû se passer. Elle était complètement perdue. « Je sais pas pourquoi je te contacte maintenant Wren, j’en ai vraiment aucune idée. » Elle marqua une pause. Chaque mot qu’elle prononçait lui coûtait et le pincement au cœur qu’elle avait ressenti en l’apercevant ne faisait que s’accentuer un peu plus à chaque seconde. « J’aurais jamais dû partir comme ça, j’ai été conne. » Elle n’avait aucune idée de ce que leur rupture avait provoqué chez le jeune homme. Une fois la porte claquée, elle s’était hâtée de se confectionner une forteresse imaginaire pour se protéger du monde extérieur et vivre dans le déni de ce qui venait de se passer. On voyait à quel point cela lui avait réussi. Et ironie de l’histoire ? Elle était partie à cause des secrets que Wren lui avait cachés. Et qui était actuellement en train de cacher des secrets à l’autre à ce moment présent ? Elle méritait des gifles. « Il n’y a rien…absolument rien qui peut excuser la façon dont je me suis comportée ni le long silence qui a suivi. Je suis juste désolée. » Son visage reflétait probablement le désespoir et la détresse qu’elle ressentait très fortement ce jour-là et qu’elle trainait derrière elle depuis plusieurs mois. « Je sais pas…je…j’avais besoin de te voir…de savoir que ça allait….de savoir ce que tu faisais… » Ha oui, en somme une petite conversation du style "Salut Wren ! Comment ça va depuis tout ce temps ?" ; elle se serait effectivement bien volontiers donné des gifles.

Quelque chose s'était brisé ce jour-là et Wren n'avait jamais totalement réussi à remettre l'affaire en état. Maze avait piétiné ce qu'il avait passé tant de temps à construire, à mettre en place. Doherty ne faisait pas confiance aux gens, ce n'était pas dans sa nature, surtout pas depuis les exactions de son père. Pourtant, il avait cru Crawley sur toute la ligne, de sa tortue ninja préférée à son envie de dormir dans ses bras. Tout s'était bien vite envolé et il ne restait que cette intense rancoeur chez le suédois, à croire que ses ex petites amies s'étaient passées le mot pour renforcer ce sentiment d'insécurité qu'il avait passé tant de temps à enterrer. Il avait vraiment envie de partir en étant à peine arrivé et pourtant, il y avait quelque chose qui le gardait vissé au banc, certainement cet espèce de regard désespéré qu'il avait cru déceler chez la brune. Elle n'avait franchement pas l'air d'être la Maze qu'il avait connu, celle qui avait une répartie d'enfer et qui racontait toujours tout et n'importe quoi, juste ce qui lui passait par la tête sans réfléchir plus avant. La rencontrer avait permis à Wren de paraître moins sérieux, de se libérer quelque peu face à son incapacité à ressentir la moindre émotion, et encore moins celle qui faisait sourire. Avec elle, il avait commencé à dire et faire les premières choses qui lui venaient lui aussi et avant même qu'ils n'aient pu bâtir quelque chose de beau et solide ensemble, Maze s'en était allée. Il n'avait pas nécessairement compris, la seule chose qui persistait, c'était le fait qu'elle l'avait blâmé pour cet échec cuisant entre eux. Pendant longtemps, Doherty avait pensé l'avoir mérité car c'était toujours de sa faute, non? Depuis l'affaire avec Lizzie, il essayait de relativiser, il n'était pas parfait certes, mais il n'était peut être pas autant un monstre qu'on pouvait le croire. C'était peut être pour cette raison qu'il attaqua directement, préférant ignorer le regard las de Maze et la réponse le surprit plus qu'elle n'aurait dû. S'excuser, juste comme cela, aussi aisément? Ce n'était pas à la hauteur des joutes verbales d'antan pour sûr. "Hum. C'est un peu tard ça, non? T'as eu des mois pour me dire ce genre de choses, je comprends vraiment pas pourquoi ce matin tu t'es réveillée et tu t'es décidée à me contacter pour me lancer ça." Il était méfiant et comme on le disait souvent, une certaine quantité d'eau était passée sous les ponts depuis les événements qui les avaient séparés. "Ça va et je fais trois fois rien. T'es satisfaite? Je peux y aller ou tu veux encore faire amende honorable?" Il croisa les bras, comme un môme, c'était n'importe quoi. Wren voulait paraître imperturbable, comme si tout cela ne l'atteignait pas mais il n'avait jamais été insensible, surtout pas avec Maze et encore moins quand elle avait l'air d'être aussi peu dans son assiette. "T'es pas normale, là." Il fallait au moins qu'il le dise car elle était où sa Maze joyeuse et invincible? Elle s'était perdue quelque part et la perspective était forcément ô combien effrayante pour un suédois qui revenait tout juste de l'enfer de son côté.

Maze jeta un coup d’œil aux badauds qui passaient devant eux. Certains les regardaient de manière curieuse. Le ton de la discussion était certes courtois, mais il restait froid et la tension était apparemment palpable même pour des gens extérieurs à leur conversation. Elle soupira. Allaient-ils se lancer dans des éclats de voix afin d’offrir le spectacle que ces inconnus attendaient tous ? Elle comprenait parfaitement la réaction de Wren. Elle était légitime. Mais si ce n’était lors de leur toute première rencontre explosive, elle n’était pas habituée à ce que le suédois lui parle ainsi. A chaque phrase qu’il prononçait elle se sentait se refermer un peu plus sur elle-même. L’angoisse l’envahissait progressivement, elle se sentait piégée, acculée. « Je sais pas bordel Wren !! » Ha, les éclats de voix faisaient enfin leur entrée en scène. Maze avait brusquement retourné sa tête vers lui en prononçant ces mots qui lui avaient échappé un peu rapidement et plus violemment qu’elle ne l’aurait souhaité. Mais elle ne pouvait pas laisser les reproches continuer à couler sur elle de cette façon. Elle n’arrivait pas à mettre son esprit au clair et elle était à deux doigts de partir en courant. Elle prit une profonde inspiration pour se calmer et reporta son regard sur ses chaussures avant de reprendre plus calmement : « Je sais pas…Non j’ai pas fini de faire amende honorable comme tu dis. Je… » Elle quoi ? Elle aurait bien aimé lui donner une explication sur sa conduite de l’époque mais elle avait l’impression de ne pas la comprendre elle-même. « J’ai eu peur. Peur de retomber dans une énième relation foireuse sans confiance. J’ai de nombreux ex qui ne voyaient pas vraiment l’omission comme un mensonge et est-il utile de préciser que ça ne s’est jamais bien terminé ? J’avais pas la force de me lancer là-dedans encore une fois. » Elle commençait peut-être à y voir un peu plus clair. « Et j’ai eu peur de pas être à la hauteur. De ne pas pouvoir gérer ces problèmes avec toi. Peur de ne pas pouvoir t’aider. La diabétique de service que je suis se sent déjà suffisamment cassée et défectueuse au quotidien. Je pense pas que deux pièces défectueuses mises ensemble soient une très bonne combinaison et la fuite m’a paru plus facile. » Plus facile mais aussi plus lâche. Elle avait paniqué à l’époque. Elle paniquait encore aujourd’hui et depuis de longues semaines mais d’une manière totalement différente après ce qu’elle avait vécu. Ce qui était certain, c’était qu’elle n’allait pas continuer à supporter cette surenchère d’émotions qui commençaient sérieusement à la submerger. Et pourtant elle tentait de donner le change tant bien que mal. Sans grand succès apparemment. « Comment ça je suis pas normale ? » Elle daigna reporter son attention sur lui pour lui lancer un regard plus froid que nécessaire. « Excuse-moi de ne pas être en permanence de bonne humeur. Je penserai à commencer la discussion par une blague la prochaine fois. » Elle n’était pas certaine que se mettre sur la défensive était la meilleure solution qu’il soit mais c’était la seule parade qu’elle avait trouvée pour tenter de justifier son attitude. Elle n’avait aucune intention de s’épancher sur les réelles raisons de son comportement actuel. Le déni, il n’y avait que ça de vrai, et on voyait bien à quel point cela lui réussissait.

Il avait tout de même réussi à obtenir une réaction de sa part, et voilà qu'il regrettait presque son mutisme et ses balbutiements. Wren n'était pas venu jusqu'ici pour se faire engueuler parce qu'il avait des émotions, qu'il n'était qu'humain et que, comme tout le monde, il était capable d'avoir de la rancoeur quand on le blessait. Maze l'avait fait, oui, elle avait même salement bousillé ce qu'il avait cru valoir quelque chose mais c'était le suédois qui s'était trompé, pour sûr. Maintenant, il tournait son regard vert froid vers elle, sentant qu'elle essayait quand même de collecter ses pensées pour lui apporter un semblant de réponse. Est-ce que Doherty avait envie de l'entendre cela dit? Il avait décidé d'oublier tout cela, d'arrêter de courir après des fantômes, lui qui semblait se complaire uniquement dans la position du martyr à qui on piétinait le coeur. Parfois, c'était également lui le fautif, lui qui martyrisait l'âme d'autrui et peut être qu'il aurait dû regarder en premier lieu ce qu'il avait fait subir à Crawley avant d'ouvrir sa bouche. Il n'était pas en mesure de le faire parce qu'il considérait à ce moment là que ne rien dire sur sa famille la protégeait d'elle, comme si c'était ainsi qu'une relation amoureuse devait fonctionner en réalité. Rien n'allait, dans aucun de leur discours et le suédois aurait dû avoir suffisamment de jugeote pour le remarquer mais il resta parfaitement stoïque, droit comme un I à attendre qu'elle se taise parce qu'elle allait en finir avec toutes ces excuses à un moment donné, non? Cela dit, Maze était éloquente, juste un an trop tard, ne pas l'oublier. "Et tu crois pas qu'on aurait pu discuter de ça à ce moment là plutôt que de te barrer comme ça? En plus, je t'ai jamais demandé de m'aider ou de me sauver, c'était pas le deal ça. Mais si tu veux tout savoir, ouais, j'ai eu des emmerdes donc t'as bien fait de te barrer, ça rend légitime absolument tout ce que tu viens de dire, même." Est-ce qu'il allait oser lui donner raison, là et maintenant? Il remonta la manche de son sweat et lui montra simplement les stigmates de ces longues semaines à choisir l'héroïne comme compagnon de route, Maze n'avait donc franchement rien à regretter au bout du compte. "Alors si c'était par culpabilité de ton départ que tu m'as appelé, c'est bon, tu peux effacer cette émotion, t'as bien fait, ok?" Il voulait se débarrasser du mépris qui régnait ou en tout cas, de la rage qui n'était jamais loin vu l'étrangeté de la situation. Non, ce qui était bizarre, c'était Maze, ses réactions, ses mots, rien ne concordait avec le souvenir qu'il avait d'elle. Wren savait mieux que quiconque que des milliards de choses pouvaient se passer en autant de temps mais est-ce qu'on pouvait imaginer que Maze avait changé? "Ouais, si t'étais la même qu'y a un an, t'aurais commencé par ça parce que la situation t'aurait gênée alors t'aurais trouvé ça comme parade. Je sais pas ce qui t'est arrivé mais tu devrais pas rester comme ça." Il fallait qu'il lui rentre dans le lard avec ce genre de vérités, personne n'aimait les entendre et lui non plus s'il avait été à sa place mais un Doherty n'était pas connu pour son filtre. "C'était un appel à l'aide ton message?" Il fallait qu'il demande, au cas où. Comme quoi les situations pouvaient s'inverser et quelque part, c'était une preuve supplémentaire que le monde n'était que chaos, même pour les meilleurs éléments qui en faisaient partie.

Elle avait fait une erreur en envoyant ce message, elle en était de plus en plus convaincue. Trop de temps s’était écoulé pour des explications et cette discussion commençait sérieusement à tourner en règlement de comptes. Elle ne savait toujours pas ce qu’elle espérait en proposant à Wren de se voir, mais certainement pas ça. Si elle l’avait laissé tranquille, il aurait pu continuer sa vie comme il l’entendait sans repenser à elle. Et à quoi pensait-elle exactement ? Elle se sentait plus brisée que jamais et ce depuis des mois ; à quel moment avait-elle songé que ces retrouvailles pouvaient être une bonne idée ? Elle tourna lentement la tête vers lui en le sentant s’agiter. Son corps rata un battement et sa respiration fut littéralement coupée le temps de quelques secondes lorsque Wren remonta sa manche. Les sourcils froncés, l’air plus inquiète que jamais, sa main se tendit spontanément pour aller effleurer doucement ses cicatrices. Ce contact eut l’effet d’une décharge et elle sentit ses propres cicatrices et ses bleus se rappeler violemment à elle. Sa respiration se fit plus saccadée, son regard perdu dans de sombres pensées. Elle retira sa main et, sans qu’elle ne le réalise vraiment, ses doigts se refermèrent en son poing qu’elle appuya fortement sur sa cuisse. Plus désespérée qu’énervée cette fois-ci, elle replongea son regard dans celui du suédois avant de déclarer : « Et si j’avais pas bien fait ? Et si je n’avais pas fait preuve de lâcheté ? Et si j’avais pu t’éviter tout ça en restant ? » Et si rester avec toi m’avait aussi permis d’éviter cette soirée que j’aimerais oublier. Et si cela m’avait évité de vivre l’enfer ? Et si ce soir-là j’avais en fait pris la pire décision de ma vie ? Incapable de formuler ces dernières questions à voix haute, elles ne cessaient pour autant de tourner en boucle dans sa tête. Elle s’en voulait déjà depuis un moment d’avoir agi comme elle l’avait fait. Mais la révélation de Wren venait bousculer ses sentiments un peu plus. S’il voulait la décharger en lui avouant tout cela, il était bien loin du compte. En revanche, son sentiment de culpabilité n’avait jamais été aussi fort. Comment une stupide décision prise sur un coup de tête pouvait-elle engranger tant de catastrophes ? Aurait-elle pu éviter tout cela ? C’était une torture de ne pas avoir de réponses à ces questions.
Et malheureusement pour elle, le suédois la connaissait trop bien pour laisser passer son comportement actuel. Oui, tenter de diminuer la gêne de la situation par une blague, cela ressemblait en effet bien à quelque chose que l’ancienne Maze aurait fait. Mais elle en était absolument incapable aujourd’hui. Incapable de faire des blagues, incapable de voir le bon côté des choses, incapable de prendre la vie légèrement, incapable de dire ce qui lui venait spontanément à l’esprit. « Rester comme ça ? Comme quoi exactement ? Dis-moi tout de suite de quelle façon tu voulais que je réagisse, ça sera plus facile. Les gens ont le droit de changer à ce que je sache. » Elle soupira avant de replier à nouveau ses genoux contre sa poitrine en position défensive. C’était sa forteresse, peut-être aurait-elle ainsi davantage de courage pour continuer de mentir. Elle observa vaguement une vieille femme donner du pain aux pigeons sur un banc en face d’eux. « C’était pas un appel à l’aide. Je suis une putain de grande fille, je sais me débrouiller toute seule. » Elle avait presque murmuré cette phrase, elle ne savait même pas si elle était encore audible pour quelqu’un d’autre qu’elle même. Qui essayait-elle de convaincre au juste ? De l’aide, elle en avait certainement besoin, mais elle était incapable de l’accepter. Elle n’avait pas l’intention d’entraîner quiconque avec elle dans la spirale dans laquelle elle se trouvait.

Il faisait preuve d'un égoïsme sans pareil en raccrochant le choix de Maze à sa propre histoire, comme si son départ l'avait sauvée du monstre qu'il avait été au cours de l'année écoulée. En réalité, Wren n'avait pas été à la hauteur, il ne l'était toujours pas puisqu'il aurait dû être à l'écoute de ce que la jeune femme avait à lui dire plutôt que de lui envoyer en plein visage les souffrances qu'il avait vécues après qu'elle fut partie. Crawley n'y était franchement pour rien dans sa misérable descente aux enfers, Doherty y était tombé tout seul comme un grand et son désespoir latent n'était probablement rien du tout à l'heure actuelle à côté des mots que prononçait Maze. Elle osait se rendre responsable des stigmates qui ornaient le bras du suédois alors qu'elle s'en était au contraire préservée, une réussite aux yeux du nordique. Pourquoi ne le voyait-elle pas de la sorte? Pourquoi n'étaient-ils plus le moins du monde sur la même longueur d'ondes? Certainement parce des secrets les séparaient désormais, même si c'était bien malgré aux, Doherty n'ayant pas la moindre idée de ce qui avait bien pu se passe dans l'existence de la brune depuis leur étonnante rupture. "Non. T'aurais rien évité. Pire encore, je t'aurais fait souffrir de tout ça totalement gratuitement parce que j'suis comme ça, Maze. J'suis un bordel ambulant et tout ce que tu m'as balancé à la gueule c& jour là, c'était vrai donc reviens pas dessus maintenant." Elle avait finalement relâché son bras et Wren avait remis son vêtement correctement, n'essayant même pas d'en dire plus, à quoi bon? Il avait déraillé et près d'un an plus tard, il n'y avait plus rien à faire, juste accepter le fait qu'il n'était pas l'homme qui méritait qu'on reste. Alors, Wren préféra s'intéresser à elle, c'était mieux de parler d'elle, d'essayer de comprendre ce qui avait bien pu lui arriver pour qu'il la retrouve en étant simplement l'ombre de la Maze Crawley qu'elle avait connu. Forcément, elle était sur la défensive et le suédois en souriait, c'était symptomatique d'une personne en souffrance qui ne désirait pas qu'on lui fasse remarquer. "Comme une Maze amorphe, qui se met sa carapace et qui se renfrogne dès qu'on lui fait gentiment remarquer qu'il y a un problème. Je te connais, tu sais, et tu peux pas me faire croire que t'adores ce que tu es là. T'es trop battante pour changer comme ça de but en blanc." L'honnêteté d'un Doherty pouvait être autant une bonne chose qu'une mauvaise. Elle fuyait son regard et Wren lui laissait son espace si c'était ce qu'elle souhaitait pour le moment. "En fait, tu m'fais penser à moi quand j'm'enfonçais des aiguilles dans le bras, j'allais très bien tu vois et j'envoyais balader les gens comme ça aussi... Surtout quand Gabriel m'a désintox', j'étais une cure de joie. Alors si tu veux pas que je t'aide, ok, mais demande au moins à quelqu'un parce que ce serait une sacrée perte de te retrouver au fond de l'océan." Là encore, il parlait par expérience et cela aurait dû faire mal mais au final, seul l'état de Maze le concernait, pas son passé.

Wren avait le don de la pousser dans ses retranchements : qu’elle soit folle de lui ou complètement énervée, ce qu’il disait ne pouvait jamais la laisser indifférente. Elle était incapable de laisser couler ses paroles sur elle comme si de rien n’était. Même si elle tentait tant bien que mal de ne pas le laisser paraître, elle buvait chacun de ses mots avec la plus grande attention mais aussi avec la plus grande affection. « T’es pas comme ça. Tu n’as strictement aucun moyen de pouvoir affirmer que ça se serait effectivement passé de cette manière. Et je suis complètement perdue en ce moment…mais s’il y a bien une chose, une seule, dont je suis certaine, c’est que tu ne m’aurais pas volontairement fait souffrir. » Alors pourquoi avait-elle claqué la porte déjà ? Elle était décidément très douée ces derniers temps pour dire gauche et aller à droite. Elle qui avait déjà un sens de l’orientation qui laissait à désirer en temps normal, la boussole de son cerveau et probablement celle de son cœur ne savaient plus vraiment dans quelle direction pointer.
Toujours sans oser se tourner vers lui, le regard fixé devant elle, un sourire narquois se dessina sur son visage. « Tu peux me donner ta définition du mot "gentiment" s’il te plait ? » Elle était dure. Elle n’aurait pas qualifié sa façon de lui parler de "gentiment" mais on était aussi très éloignés du "méchamment" compte tenu de la situation. « Je crois que les plus battants d’entre nous ont aussi le droit de baisser les bras. » Et c’était effectivement le chemin qu’elle avait choisi d’emprunter pour l’instant. Elle n’avait pas retrouvé la force ni le courage de redevenir la Maze d’avant. « Tu viens pas de me dire que j’ai bien fait de partir parce que tu m’aurais fait souffrir ? Si t’en es tellement convaincu, je te propose qu’on applique ça à ma situation actuelle. Laisse-moi avec mes problèmes existentiels, ils ne concernent que moi et j’ai pas l’intention d’impliquer qui que ce soit d’autre là-dedans. » Mais elle sentait sa gorge se nouer, elle était sur un terrain glissant. Elle avait l’horrible sensation qu’elle pouvait éclater en sanglots à tout moment et que le simple fait de regarder Wren pouvait suffire à la faire craquer. Aussi restait-elle butée, à regarder sans vraiment le faire cette vieille femme en face d’eux, repliée sur elle-même.  « Ou je sais pas, peut-être que je devrais demander à Gabriel après tout ? ll...ou elle...a l’air d’avoir été à même de t’aider quand moi je ne l’étais pas. » Pourquoi s’en prenait-elle à cette personne à présent ? C'était un ou une parfaite inconnue qui ne lui avait rien fait et elle lui était plus que reconnaissante d’avoir aidé et soutenu Wren quand elle s’était montrée absente. Mais elle avait l’infime espoir qu’en se montrant bête, bornée et plus agressive, cela suffirait peut-être à faire changer la tournure que prenait cette conversation, ou à le faire tout simplement partir. Après tout ce que Wren avait vécu, après ce qu’ils avaient vécu ensemble, puis séparément, il était la dernière personne qu’elle souhaitait impliquer dans ses problèmes. Elle essayait de se convaincre qu’elle était bel et bien une putain de grande fille qui pouvait se débrouiller seule, et surtout qui pouvait empêcher la vie de Wren d’être encore un peu plus compliquée qu’elle ne l’était déjà.

Est ce qu'il aurait vraiment fait attention pour ne pas la blesser? Aurait-il eu le luxe de croire qu'il pouvait être à la hauteur d'une telle mission? Wren savait qu'il était plus dangereux quand on le laissait prendre une part importante dans la vie et le coeur de quelqu'un: il brisait inopinément, parce qu'il ne savait jamais où il en était, qu'il n'avait jamais été non plus une preuve de stabilité et qu'à moins de lui ravager l'âme avec une évidence, il finissait toujours par prendre ses jambes à son cou en laissant derrière lui un certain nombre de cadavres. Il aurait réellement regretté d'être à l'origine de la chute de quelqu'un d'aussi précieux que Maze Crawley mais son petit côté égoïste notoire était parfaitement satisfait de la voir souffrir sans qu'il ne soit à l'origine de sa douleur. Oui, Doherty était parfaitement pathétique et il le regrettait depuis des années ou tout su moins, son arrivée à l'âge adulte, si on pouvait encore considérer qu'il en était un malgré tout. "C'est bien beau de croire ça, Maze, c'est même tout à ton honneur mais ton utopie n'aurait rien change. J'suis une bombe à retardement et peut être que ça aurait été involontaire mais il y aussi la possibilité que je l'aurais fait en toute connaissance de cause. On joue que sur des hypothèses qui n'ont plus lieu d'être cela dit." Car ils n'étaient plus ensemble depuis un long moment, que les circonstances avaient évolué et pour l'un et pour l'autre. De toute évidence, ils entraient dans une phase de complication éloquente de leur conversation car Wren ne se décidait pas à jouer au défaitiste comme il aurait pu le faire autrefois, en s'en allant sans demander son reste parce qu'il préférait amplement se faciliter la vie en laissant tous les autres dans leur merde et lui dans la sienne. Pourtant, parce que c'était Maze et qu'il existait un passe qu'ils partageaient d'une menière ou d'une autre, il voulait lui offrir une solution, ou tout du moins une porte de sortie pour se reconstruire car c'était encore possible. "Non, pas toi. Je pourrais faire ça, oui, mais depuis quand je choisis la facilité? A croire que j'aime bien me faire engueuler comme du poisson pourri mais je vais pas te laisser paumée sur un banc, Maze. Je suis pas un assez gros connard pour ça." Il aurait aimé, bien sûr qu'il aurait aimé car on parlait tout de même d'une femme qui lui avait brisé le coeur du jour au lendemain et qu'il était censé être suffisamment rancunier pour la laisser se démerder en dormant dehors. "Sois pas si cynique, ça t'va pas au teint. Appelle quelqu'un, Crawley, nom de dieu. J'partirais pas d'ici tant que tu l'auras pas fait pour demander de l'aide. J'vais te suivre même jusqu'à ce que tu t'lances même." Et Maze savait qu'il pouvait être assez pénible pour exécuter sa menace, se mettant à siffloter en la regardant du coin de l'oeil. Peut être qu'il attendait juste qu'elle craque d'une manière ou d'une autre pour se prouver que quelqu'un, quelque part, avait encore besoin de lui pour une raison obscure.

Wren aurait-il vraiment été capable de la blesser comme il le disait ? Consciemment ? Elle avait beaucoup de mal à accepter ce qui semblait être une telle évidence pour lui. Elle en était même incapable. Au final, ne pas lui parler de sa famille et de ses secrets n’avait-il pas justement été un moyen de la protéger d’une certaine manière ? Elle n’en savait rien, mais au demeurant c’était elle qui l’avait fait souffrir en partant. Il pouvait s’accuser d’être le méchant de l’histoire tant qu’il voulait, dans les faits c’était elle qui avait tenu ce rôle avec brio. « J’y crois pas une seule seconde mais excuse-moi de t’accorder plus de crédit et de confiance que tu ne penses apparemment le mériter. Mais effectivement, tout ça n’a plus lieu d’être ». Et si elle n’allait pas ajouter qu’elle regrettait sincèrement que leur relation n’ait plus lieu d’être, cela ne l’empêchait pas de le penser pour autant. Mais ça n’était pas le lieu, ni le moment, et peut-être n’aurait-elle d’ailleurs jamais l’occasion de le lui avouer. Si les rôles avaient été inversés, sa fierté et sa rancœur auraient pris le dessus sur ses sentiments et elle n’aurait pas accepté d’excuses de la part de quelqu’un qui lui avait brisé le cœur comme elle l’avait fait. Et elle avait l’intuition que Wren était lui aussi du genre à réagir de cette façon…
Malgré tout, il refusait donc de partir et était prêt à se faire encore remballer ? Vraiment ? Ses lèvres s’étirèrent en un sourire presque imperceptible. D’une part parce qu’elle avait l’intime conviction qu’en disant cela, il validait totalement les propos qu’elle avait tenus juste avant sur son incapacité à la faire volontairement souffrir. Et d’autre part parce que malgré son entêtement, elle était au fond d’elle rassurée et heureuse de savoir qu’il n’avait pas l’intention de la laisser seule dans cette histoire. Sans pour autant avoir davantage envie de lui exposer ses problèmes et de l’impliquer là-dedans, cela ne l’empêchait pas de se sentir moins angoissée à l’idée qu’elle avait quelqu’un sur qui compter au besoin.
Son côté provocateur et aussi buté qu’elle lui avait manqué. Leurs joutes verbales lui avaient manqué. Lui, il lui avait manqué. Et il savait sans aucun doute comment lui taper correctement et efficacement sur les nerfs : ce petit sifflement innocent et impertinent à la fois ne tarderait pas à avoir raison de sa patience.  « Et si c’était moi qui te demandais de te comporter justement comme un assez gros connard et de lâcher l’affaire ? Tu peux toujours essayer de me suivre, si je glisse un mot à la sécurité de l’hôtel ça m’étonnerait fortement qu’ils te laissent passer comme ça de toutes façons. Fin du jeu. » Elle ne l’avait pas davantage regardé en déclarant cela, ne réalisant absolument pas qu’elle venait, avec cette répartie, d’annoncer qu’elle n’était plus dans son appartement et qu’elle occupait maintenant une chambre d’hôtel. Elle avait quitté l’Australie trop longtemps pour conserver son appartement, d’autant plus qu’elle avait également quitté son job alors un loyer aurait eu du mal à passer. A son retour à Brisbane après plusieurs mois passés à Londres, la chambre d’hôtel lui avait semblé la solution la plus simple et la plus sécurisante pour elle le temps de savoir ce qu’elle allait faire de sa vie. Mais tout cela, Wren l’ignorait, et la brune avait complètement oublié ce détail. Elle avait lancé cela naturellement, trop embrouillée dans ses propres pensées pour réaliser qu’elle venait de créer un énorme plot hole dans sa stratégie qui consistait à garder le silence sur ses problèmes. « T’es chiant Wren. T’es borné et incroyablement agaçant. » Elle daigna enfin lui jeter un regard en coin avant d’ajouter un simple : « Merci. »

Il ne voulait clairement pas paraître plus agréable qu'il ne l'était en réalité, question de principe. Pourtant, Maze ne lui rendait pas la tâche facile en peignant une image de lui relativement positive, comme s'il n'était pas le salaud qui avait omis des informations importantes justifiant la fin prématurée de leur relation l'année passée. Crawley n'avait pas l'air de l'avoir haï pour autant, même si elle avait dû essayer bien entendu et ce n'était pas Wren qui lui en voudrait pour un tel fait. La plupart du temps, le suédois n'avait besoin de personne d'autre pour se mépriser, il le faisait fort bien tout seul, comme un grand. Alors, qu'attendre de cette conversation quand Doherty se décidait à y couper court pour ne pas plier sous le poids du compliment caché de son ex partenaire. C'était bien ce qu'elle lui laissait entendre, oui, qu'il aurait fait attention à elle, qu'il l'aurait ménagée, en prenant soin de faire taire ses doutes et son côté noir pour qu'elle n'ait pas à souffrir de sa prise de décisions souvent mal avisée. Il haussait les épaules, cela n'avait plus lieu d'être, on ne pouvait pas remettre le passé au goût du jour, même si tous les êtres humaines se sentaient forces de le faire lorsqu'ils se retrouvaient nez à nez avec un fantôme de leur ancienne vie. Doherty, lui, n'était pas du genre à ressasser cent ans les événements qu'il avait traversés, encore moins ceux qui concernaient Maze parce qu'il n'avait pas envie de se mettre de mauvaise humeur en repensant à cette fameuse dispute qui avait créé leur fin, sans que Wren ne puisse vraiment saisir ce qui se passait. Il voulait désormais se concentrer uniquement sur la brune qu'il avait à côté de lui, pas celle qui avait toujours un sourire aux lèvres, un sourire qui l'enjôlait et le poussait à faire preuve de faiblesse car ce n'était vraiment pas cette Maze à laquelle le nordique avait affaire là. Celle-ci était en proie à une jolie tonne de démons et elle était encore suffisamment têtue pour résister à l'idée de l'ancien pompier d'aller quérir de l'aide dans son flot d'amis. Wren, alors, jouait les condescendants, lui sifflait aux oreilles en ne montrant pas le moins du monde qu'il était prêt à s'en aller en la laissant derrière dans ce piètre état. Il avait pris du galon, s'étonnait même de son renouveau de patience ces dernières semaines et si, sur le papier, le fruit de ses efforts n'avait pas l'air de payer, les lèvres de Maze finirent par laisser échapper une information capitale, faisant relever le regard du nordique vers elle. "Un hôtel? Non, mais ça va pas du tout, Crawley! Tu m'donnes pas le choix, vraiment. Je te proposerais bien de crécher mais tu vas pas vouloir donc... Donne moi ton téléphone qu'on règle ça. Et non, tu peux pas fuir ou je le chope de force." Il avait un regard joueur, sans doute qu'il voulait détendre un peu l'atmosphère après autant de tension. Et puis, Maze avait clairement besoin qu'on lui botte le cul, sinon elle allait rester croupir dans un hôtel miteux jusqu'à la fin de ses jours. "Je sais, c'est mes meilleurs qualités, on me le dit souvent. Avec ma patience légendaire, ben sûr. Alors me remercie pas et agis, Maze. Pour une fois, fais moi plaisir sans me tenir tête vingt plombes." C'était leur jeu normalement, de se crêper le chignon jusqu'à ce que l'un d'eux relâche un p&u de lest mais Maze n'était pas du tout en état de participer pour le moment. Alors, Wren tendit simplement la main vers elle en le suivant des yeux, dans l'attente qu'il puisse gérer pour elle ce sauvetage inopiné.

Le sang de Maze ne fit qu’un tour lorsqu’elle réalisa enfin l’information qu’elle venait de laisser échapper. Bien joué Crawley, niveau discrétion on faisait difficilement pire. La britannique était tellement focalisée sur le fait qu’il fallait qu’elle cache à tout prix à Wren ce qui lui était arrivé, qu’elle n’était plus concentrée sur les détails de l’histoire comme le fait qu’elle n’avait plus son appartement. Elle tourna lentement la tête vers lui, la bouche ouverte sans qu’aucun son ne s’en échappe pour autant. Seul un râle de désapprobation finit par se faire entendre avant qu’elle n’enfouisse son visage dans ses mains, dépitée d’avoir été aussi étourdie. Elle aurait dû le savoir pourtant : plus elle passait de temps avec le jeune homme, et plus ses barrières avaient tendance à s’abaisser. Cela en avait toujours été ainsi et elle n’avait pas réalisé plus tôt que cette caractéristique plutôt charmante en soi pourrait lui porter préjudice dans la situation présente. « Tu veux pas juste oublier ce que j’ai dit s’il te plait ? Vraiment. En fait c’est faux, je vis toujours dans mon appartement et j’ai pris un colocataire super baraqué et effrayant qui te laissera jamais rentrer et qui saura bien me protéger. » Totalement crédible. Toutefois, un colocataire qui pourrait effectivement monter la garde et la protéger de dangers invisibles, elle n’aurait pas craché dessus en ce moment. Même si elle n’aurait pas non plus été en mesure de faire confiance à ce garde du corps improvisé. Ses proches et sa famille avaient beau être là pour elle, Maze ne tenait pas à faire confiance à quelqu’un d’autre qu’elle-même. Elle observa Wren en silence quelques secondes. Il avait résolument adopté son regard joueur tout en ayant l'air plus buté que jamais. Puis elle reporta son attention vers sa main tendue et qui attendait qu’elle y dépose gentiment et docilement son téléphone. C’était bien mal la connaître que de raisonner ainsi. Son regard à elle reflétait la tristesse et le défaitisme qu’elle ressentait depuis de longs mois et qu’elle n’arrivait plus à dissimuler. Toutefois, une part d’elle-même, de celle qu’elle était à l’époque, commençait à refaire surface et à se laisser entrevoir. Elle ne pouvait s’empêcher de redevenir un peu elle-même au côté du suédois et le léger sourire espiègle qui venait d’apparaître sur son visage le laissait deviner au monde extérieur. Elle lui jeta un dernier regard avant de se lever et de s’écarter du banc à reculons pour continuer de lui faire face. « Tu veux mon téléphone Doherty ? » Elle avait haussé le ton pour être certaine qu'il l'entende bien. Puis elle leva les mains en l’air : l’une d’elle contenait ce graal qu’il cherchait tant à récupérer. Elle le glissa dans la poche arrière de son jean avant de déclarer, mi amusée, mi provocatrice : « Viens le chercher. » Et elle continua de reculer et de prendre de la distance, l’interrogeant du regard pour savoir s’il relèverait le défi. Elle se sentait soudain l’âme d’une gamine immature. Elle retombait dans leurs vieilles habitudes, à se provoquer de manière stupide, à vouloir gagner un jeu de leur propre création, à abaisser ses barrières. Et cela lui faisait le plus grand bien. Une pause, un souffle d’air frais bien mérité dans des pensées embrumées par des idées noires depuis trop longtemps. A défaut d’accepter de lui raconter le traumatisme qu’elle avait subi, elle était prête à sauter sur n’importe quelle opportunité lui permettant de se sentir davantage elle-même, de retrouver un peu de ce qu’ils avaient été ensemble. Et ce même si elle ne connaissait pas l’issue de ce jeu.

Doherty n'allait bien évidemment pas oublier, c'était tout bonnement impossible pour lui. Son patrimoine génétique n'incluait de toute manière pas cette fonctionnalité qui aurait fait bien plaisir à Maze mais c'était bel et bien le problème: Wren n'oubliait jamais rien. Il pouvait enfouir, mettre de côte durant un temps mais jamais il n'arrivait réellement à oublier, même s'il aurait certainement préféré que ce fut le cas à plusieurs reprises. A la place, son passé restait fermement ancré dans son crâne, ou à défaut, dans son coeur, ce fameux roc qui se voulait imprenable et forcément invincible parce que Wren n'était plus en mesure de se laisser aller à faire attention aux autres, non? C'était en tout cas ce qu'il désirait montrer, ou ce qu'il pensait croire, c'était du pareil au même au final. Il était arrivé ici avec la ferme intention de remettre Maze à sa place, l'invitant joyeusement assurément à oublier jusqu'à son existence dans sa vie à un moment donné mais cette fichue conviction s'était brisée quelque part au milieu de la conversation. Elle n'allait pas bien, c'était le seul fait que le suédois arrivait encore à comprendre car il n'avait jamais réellement voulu qu'elle souffre, en tout cas pas à ce point, même si elle l'avait blessé, oui, et qu'il lui en voulait pour cela. Wren était un homme rancunier, du moins en apparence, dans l'indélicatesse de son ton au début de cette discussion, dans la manière dont son regard s'était voulu méprisant avant même d'ouvrir la bouche mais est-ce que le nordique avait franchement un mauvais fond? Crawley avait l'air d'en douter, elle s'était certainement fourvoyée quelque part de toute évidence puisqu'elle avait glissé quelques précieux indices au pompier qui les attrapa au vol pour faire pencher la balance en son faveur, on ne changeait pas les bonnes vieilles habitudes avec lui. "On t'a déjà dit que t'étais une piètre menteuse, non? Dans tes rêves, Crawley. Je sais la vérité, tu l'effaceras pas." Bien sûr qu'il allait s'en servir contre elle, mais pas pour se venger et lui faire de mal comme il aurait pu le penser, mais juste pour que la brune aille chercher l'aide qui lui était nécessaire pour se relancer dans cette vie... Si tant était qu'elle n'essayait pas de mettre des bâtons dans les roues du Doherty, comme au bon vieux temps justement. Elle ne lui tendit pas le téléphone, bien au contraire, préférant se relever de là pour reculer petit à petit, l'objet se retrouvant dans la poche arrière de son pantalon, comme une tentation de plus pour le faire vaciller, la belle excuse. "Tous ces stratagèmes pour que je te coure après, Crawley... Tu sais, tu peux être plus littérale et le dire en face. Tous ces détours métaphoriques, franchement, c'est pas de ton niveau, tu m'as habitué à mieux." S'il était entre dans son jeu derechef, on aurait pas eu affaire au bon vieux Wren, celui qui s'autorise à allumer une cigarette en toisant la brune, appréciant clairement son sourire moqueur et ses yeux qui s'illuminaient à nouveau, il avait l'impression de la retrouver aussi en forme que l'an passé, au moins pour quelques minutes parce que Doherty se doutait que quelque chose de profond se tramait chez Maze. "Parce que tu sais que je trouverais un autre moyen pour te sauver de ton hôtel quoiqu'il arrive, alors pourquoi jouer autant, Maze?" Il fallait toujours qu'il désarçonne son interlocuteur, ses yeux marquant les siens de leur touche vert d'eau insaisissable, Wren ne la laisserait probablement pas gagner cette fois-là. Plus maintenant.

La pire menteuse qu’il soit. C’était certain. Elle n’essayait même plus de lutter contre sa nature. Elle avait pourtant bien essayé de développer cette compétence à l’adolescence pour pouvoir plus ou moins faire ce dont elle avait envie sans que ses parents ne se doutent de quelque chose, mais elle avait rapidement abandonné l’idée. En effet, se mettre à rire nerveusement dès que l’on commençait à lui poser trop de questions n’aidait pas à devenir la meilleure menteuse de sa génération. Elle avait donc continué de faire ce dont elle avait envie, en assumant les engueulades parentales qui suivraient. Et la brune n’avait pas changé depuis ; elle continuait d’appliquer cette stratégie encore aujourd’hui. Et cette fois-ci elle était de toute manière assez grande pour faire ce qu’elle voulait et assumer ses choix. Si elle avait décidé qu’une chambre d’hôtel déprimante était la meilleure solution, alors elle n’en démordrait pas. Question de fierté. Stupide fierté, encore elle.
Wren n’avait pas l’air décidé à la suivre, l’accusant de façon éhontée de tenter une quelconque mission séduction. Ok, soit. Elle étira ses bras au-dessus de sa tête avant de les laisser retomber le long de son corps. Elle jeta un coup d’œil aux gens autour d’elle qui devaient bien se demander ce qu’elle faisait présentement. Et elle se décida finalement à se rapprocher prudemment du banc. Les bras croisés sur la poitrine, elle choisit de rester debout en face de de lui, un bon mètre de distance de sécurité les séparant, avec la ferme intention de conserver son téléphone coûte que coûte. « Je note, j’y penserai la prochaine fois. Mais si c’était effectivement ce que je voulais, t’es le mieux placé pour savoir que je m’y serais probablement prise autrement. » Un fin sourire vint étirer ses lèvres alors que les souvenirs de leurs derniers rendez-vous se rappelèrent immédiatement à elle. Et après tout, peut-être voulait-elle qu’il lui coure après. Elle n’en avait strictement aucune idée. Toutes ses convictions ne cessaient d’être ébranlées à chaque fois qu’elle était en la présence du jeune homme, à tel point qu’elle n’était plus en mesure de savoir ce qu’elle voulait. Toujours les bras croisés et faisant le pied de grue en face de lui, elle eut le malheur de se laisser emporter par son regard. C’était déjà une vérité à l’époque et cela se confirmait encore aujourd’hui : ce regard avait la capacité de la déstabiliser et de lui faire avouer beaucoup de choses. Elle avait beau se pousser dans ses propres retranchements pour tenter de conserver ses secrets pour elle, il parviendrait toujours à lui soutirer une part de vérité avec ce regard-là. Elle avait la désagréable impression qu’ils ne se battaient pas à armes égales. Elle prit une profonde inspiration avant d’afficher un sourire doux, mais aussi plus triste : « Pourquoi jouer autant ? Parce que ça fait des mois que j’ai besoin de me changer les idées d’une manière ou d’une autre. Malheureusement, mon cerveau a plutôt décidé de tourner en boucle sur des souvenirs qui me pourrissent la vie. Mais aujourd’hui, avec toi…je sais pas… » Elle marqua une pause, essayant elle-même de démêler ses propres pensées, son regard se détachant de celui de Wren pour aller se perdre nostalgiquement au loin. « J’ai cette infime impression de me retrouver un peu. De pouvoir être futile, frivole, de respirer à nouveau. Je me sens incroyablement égoïste de ressentir ça quand je pense à la manière dont je suis partie. Mais quitte à être égoïste jusqu’au bout, j’ai aussi envie de profiter de ce sentiment que je ressens quand t’es pas loin. » Elle se pinça les lèvres, réalisant que son discours était autant pour lui que pour elle-même. Mettre des mots sur tout ça lui permettait aussi d’y voir plus clair. « Que tu le veuilles ou non Wren, t’es une bouffée d’oxygène pour moi. Et j’en ai terriblement besoin en ce moment. » Comme pour traduire physiquement le fait que ses barrières étaient en train de tomber en miettes, sa voix s’était brisée sur cette dernière phrase.