| | | (#)Lun 11 Mai 2020 - 20:18 | |
| "Traumatisé est un mot un peu fort", je tempère, mais personne ne me croit, clairement, donc j'ajoute assez vite, "mais il est possible que parfois je fasse des cauchemars où des jumeaux aux yeux rouges me poursuivent à travers une maison en ruines. T'es forte en interprétation des rêves ?" C'est un domaine qui ne m'a jamais intéressé, mais qui serait utile, pour une fois. Si Jill ne sait pas, il faudrait que je cherche parmi les livres de référence des freudiens et jungiens, que je croise les références et interprétations et arrive à des conclusions objectives. Je refuse que mon inconscient me tende des perches mystérieuses sans explication cohérente. "Ah, c'est bien, tu prends soin de ton alimentation, alors", je réponds, loin de me douter que ce n'est pas du tout, du tout le cas.
"Tu as bien dit une liste de prénoms ?" Je sens mes doigts frétiller d'envie de prendre un papier et un crayon. Une liste, on parle de liste. "Non, bien sûr, ce serait étrange que tu donnes un de tes prénoms. Je parlais de ceux de ton père." A voir son regard furieux, j'aurais dû la laisser croire que je parlais de ses noms à elle, mais je déteste les quiproquos, ils me mettent profondément mal à l'aise. J'acquiesce au sujet des parrains ; je sais, j'en parlerai à Bailey le moment venu. "Tu comptais leur donner un de ces prénoms modernes ridicules ? Kylo ? North ? Keanu ?" Je suis obligé d'arrêter, parce que ça me donne vaguement la nausée rien que d'y penser. "Si tu m'autorises à apporter un carnet, on peut trouver une quinzaine de prénoms en quelques minutes." Et par on, j'entends je.
Mais avant d'avoir un prénom, ces enfants doivent naître, et pour cela ils doivent être pris en charge par les meilleurs médecins. Pour une raison que je ne comprends pas, Jill me regarde, hébétée, sans répondre. Hypothèse numéro un : elle veut garder ces informations secrètes parce qu'elle ne me fait pas confiance. Ce n'est pas cohérent avec la conversation qu'on a eue aujourd'hui. Hypothèse rejetée. Hypothèse numéro deux : elle est tellement furieuse qu'elle est coincée dans un état de semi-transe. Possible, mais d'après les éléments visuels liés à l'expression de son visage, peu probable. Les sourcils ne sont pas froncés. Son front ne se plisse pas. Ses joues ne rougissent pas. Hypothèse rejetée. Hypothèse numéro trois : elle n'a pas la réponse à cette question, car elle n'a pas commencé à chercher. Les signes concordent. Hypothèse acceptée.
Pourquoi n'a-t-elle pas commencé les recherches ? Hypothèse numéro : elle n'a pas eu le temps. Elle était à l'aquarium en train de dessiner des hippocampes. Hypothèse rejetée. Hypothèse numéro deux : elle ne veut pas d'enfants. Elle aurait eu le temps d'avorter, et elle n'est pas fervente catholique. Hypothèse rejetée. Hypothèse numéro trois : elle a peur d'avoir des enfants et évite le sujet. Mes yeux s'écarquillent. Oh. "Il faut nettoyer l’eau par terre ça va abîmer le parquet. Ok c’est pas du parquet." Je la dévisage sans bouger, sans parler. Ma respiration est lente et calme. J'ai l'habitude de la panique ; mon frère est un professionnel des crises d'angoisse : le gouvernement britannique aurait pu lui décerner un diplôme ou une médaille du mérite tellement il en avait souvent.
"J'ai pris la liberté de faire les recherches sur les hôpitaux et obstétriciens. Je peux t'envoyer cela par message si tu le souhaites." Ma voix est très calme. Je cite des faits. Je ne parle pas d'émotions. Je remplis nos tasses d'eau chaude de nouveau, dans des mouvements lents et mesurés. Tout va bien. "L'épidurale est préférable. L'accouchement n'est pas un moment magique, c'est ce que disent les vieilles folles qui s'ennuient. La maternité est difficile pour tout le monde", je fais une pause, pour qu'elle entende que ce n'est pas juste elle, "et il vaut mieux prendre toute l'aide qui nous est proposée." Il faut que je nous éloigne du sujet doucement, maintenant, presque au ralenti, en marche arrière. On y est presque. "J'ai changé de thé. Celui de tout à l'heure était au jasmin, celui-ci est un Earl Grey. Tu préfères lequel ?" Subtilité zéro, mais ai-je déjà été subtil une fois dans ma vie ?
@Jill McGrath-Fitzgerald |
| | | | (#)Lun 11 Mai 2020 - 20:49 | |
| Il parle de ses rêves et Jill se concentre encore un peu, c’est étrange comme rêve. Vraiment bizarre. “Je suis pas sûre qu’il y ait des cours pour analyser ce genre de choses.” Et elle secoue la tête, amusée par l’image qu’elle se fait de ce rêve dans sa tête à elle. Elle pourrait déguiser les jumeaux un jour juste pour le terrifier. Ca peut vraiment être très amusant. “Et non j’ai jamais interprété les rêves.” Et qui ça peut bien étonner ? Elle soupire, elle se souviendra des détails que vient de lui donner Sébastian. Et il parle de nourriture, et ça ça l’intéresse Jill. Elle n’a pas mangé depuis longtemps d’ailleurs. Elle manque de s’étouffer avec une gorgée de thé quand il lui dit qu’elle mange sainement. “Ouais les chips c’est super bon pour la santé.” Et elle pouffe de rire en regardant le liquide coloré dans sa tasse.
Elle a parlé de liste, et il pourrait presque sauter de joie si il n’était pas toujours dans la retenu. Mais elle le voit le sourire Jill. “Wahou une liste.” Elle se moque un peu avant de croiser son regard en souriant. Le sourire et le regard gentil change en une fraction de seconde quand il émet l’hypothèse qu’elle pourrait donner le prénom de son père. Elle ne veut pas se rappeler de ses parents, et sûrement pas donner son prénom à un de ses enfants. Ils vont déjà devoir porter le nom de famille McGrath Fitzgerald, c’est déjà assez difficile à porter. “Mais t’as pas de juste milieu.” Les prénom qu’il donne sont tous plus affreux les uns que les autres. “Tu peux toujours apporter un carnet et peut-être que je le lirai.” Si il peut lui donner quelques idées elle ne dit pas non. Elle a déjà quelques idées. “J’aime bien Naomi.”
Des questions, trop de questions. Vraiment beaucoup trop à la suite, elle n’a pas de réponses. Aucune. Elle ne veut peut-être pas encore de réponses. Elle a le temps, elle doit prendre le temps, elle ne peut pas paniquer comme ça à chaque fois que quelqu’un lui parle de l’accouchement. Elle tente de changer de sujet, d’éviter le regard de Sébastian alors qu’il a l’air de réfléchir. Elle soupire fort, elle reprend sa respiration normalement. Les questions tournent trop dans sa tête, elle doit faire taire les voix avant de craquer, elle ne peut pas craquer là. Alors elle ferme les yeux une seconde avant de parler d’eau et de parquet. Parquet qui n’existe que dans la chambre de Sébastian. “Non s’il te plaît.” Il ne veut pas mal faire, il essaie d’aider et elle le sait mais c’est bien trop, trop vite. Elle a encore 3 ou 4 mois, c’est long ça pas vrai ? Il essaie de la rassurer mais ça fait tout le contraire. “Arrête je sais pas j’en sais rien.” Elle arrive à aligner quelques mots à la suite. Pas beaucoup, mais c’est plutôt cohérent. Et il parle de thé, et elle se concentre de nouveau sur sa tasse. “Le thé.” Elle essaie vraiment de penser à autre chose. “Oui le thé.” Il l’a changé, elle ne l’a même pas remarqué. “Heuuu…” Elle respire, elle serre la tasse un peu plus. “Le premier je crois.” Elle n’a jamais vraiment aimé le thé, mais elle n’a plus le droit de boire de café.
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| | | | (#)Lun 11 Mai 2020 - 21:10 | |
| "Tu veux dire à part des facultés de psychologie ?" Il y a des cours pour tout, même pour des sujets qui n'ont aucun intérêt, comme l'astrologie (soupir) ou le calcul mental (on a inventé des machines) ou la couture (idem) ou la navigation (idem). Je fais une moue. Pour une fois qu'elle aurait pu être d'une utilité objective, ce n'est pas son domaine de compétence. Peut-être qu'un jour elle dessinera les plans de ma maison ; ce sera une occasion de se rattraper. "Les chips ?" je répète, et je manque de m'étouffer. "Les chips", et mon ton est accablé. Les chips ont zéro valeur nutritionnelle. Plus on en mange, plus on en mange, c'est tout. J'ai vraiment tout à lui enseigner.
Et pendant ce temps, bien sûr, elle se moque de mes listes, comme si c'était une activité ridicule. C'est une activité tout à fait respectable et qui apporte bien des bénéfices. Un jour, elle le reconnaîtra, j'en fais ma mission personnelle. "Le juste milieu est une invention philosophique pour rassurer les âmes sensibles." Je devrais peut-être écrire un livre d'aphorismes. Il se vendrait très bien, car le cynisme réaliste est au goût du jour - les licornes aussi, ceci dit, donc ça ne veut pas dire grand-chose. A peine finit-elle sa phrase que je bondis de mon siège, file dans mon bureau, et reviens avec un carnet et un stylo. Naomi. Je crée deux colonnes, en prenant soin de faire une ligne la plus droite possible. Je note Naomi d'un côté. De l'autre, George, Edouard, Alaric et Charles, parce que je ne renonce à rien. "Oliver ? Arthur ? Theodore ?" Je la regarde en attente d'approbation avant de les noter en-dessous des autres.
La conversation prend un tournant quand j'ose poser des questions plus précises sur l'accouchement. Je m'attendais à des réponses exaspérées, et à la place je suis face à un cataclysme émotionnel. J'essaye d'aider, mais elle rejette toute forme de conversation, donc nous nous retrouvons tout naturellement à discuter du thé. "Je peux vider celui-ci et nous en préparer un autre au jasmin, alors", je propose. Je me doute, cependant, qu'elle a besoin de compagnie plutôt que d'un nouveau thé. "Ou je peux rester et te parler de montres à quartz. Ou de la montée du nationalisme. Ou tu peux me raconter la première fois que tu as vu un kangourou." Je cherche d'autres idées, mais j'ai déjà atteint ma limite conversationnelle - avec n'importe quel autre être humain, ç'aurait été il y a deux heures, après les salutations de formalité à l'aquarium.
Je soupire, car tous ces sujets n'aideront pas. "Jill, les changements font peur à tout le monde." Une pause, j'essaye de me retenir, vraiment, j'essaye, mais je ne peux pas : "Sauf à moi." Je souris de ma maladresse. J'ai essayé. "Je suis la pire personne à qui parler d'émotions parce que je ne les comprends pas, mais l'avantage de ne pas en ressentir est que je ne jugerai rien de ce que tu me diras." L'art de tourner une auto-dévalorisation en preuve d'utilité publique.
@Jill McGrath-Fitzgerald |
| | | | (#)Mar 12 Mai 2020 - 12:20 | |
| ”Tu penses vraiment que quelqu’un s’est déjà spécialisé dans les rêves de jumeaux maléfiques qui courent dans les forêts ?” Elle se tourne vers lui, il le sait que ça doit certainement être un rêve très peu récurrent. Elle secoue la tête, si elle fait des rêves bizarres en rapport avec des jumeaux qui ont des yeux rouges elle saura d’où ça vient. Mais il finit par parler de nourriture, il émet l’hypothèse que Jill pourrait se nourrir correctement et elle manque de s’étouffer en riant. “Eh on juge pas je contrôle pas mes envies.” Les caprices de femme enceinte ne sont vraiment pas une légende. Elle le voit tous les jours. Qui de pas enceinte serait capable de vouloir manger des chips et de la glace en même temps ? Mais il a encore l’air désespéré Sébastian.
“Le juste milieu est un prénom qui n’est pas North ou Edouard.” Elle hoche la tête, ces deux prénoms sont vraiment affreux. “Donc il faut toujours être dans le trop ou le pas assez ?” C’est étrange comme raisonnement, ils sont souvent étranges ses raisonnements d’ailleurs. Elle n’a même pas vraiment le temps de finir sa phrase que Sébastian est déjà parti à la recherche d’un carnet et d’un stylo dans sa maison. Et il donne des tas de prénoms vraiment rapidement, elle se demande d’où ça peut venir, il réfléchit vraiment si vite que ça ? “Pas Arthur.” Elle fronce le nez, c’est un prénom qui donne envie de faire des blagues. Elle le laisse réfléchir aussi, elle la reprendra cette liste de toute façon, elle finira par en écrire une en reprenant peut-être quelques idées sur celle là. C’est presque étonnant de le voir essayer de s’impliquer autant dans cette décision. “Maximillian j’aime bien.” Elle a donné deux de ses prénoms préférés sur la liste qu’elle avait dans sa tête. “Comment tu trouves autant de prénoms d’un coup ?”
Mais l’ambiance change encore, elle panique Jill, elle est certainement au bord de la crise mais elle contrôle, elle a toujours contrôlé. Alors elle respire, elle s’occupe les mains, elle essaie de s’occuper l’esprit aussi. “Je… Si tu veux.” Elle se fiche un peu du thé quand chacune des questions commence à raisonner à chaque fois un peu plus fort dans son esprit. Elle se concentre sur la voix de Sébastian, il essaie, il essaie vraiment réparer son erreur. Erreur qui n’en est même pas une en réalité. “Un kangourou ?” Comme si tous les australiens avaient déjà croisé un kangourou sauvage au moins une fois dans leur vie. Il parle de montre à quartz, ce sujet est plutôt récurrent. “Je vois que t’as tout prévu pour faire la conversation.” Elle hoche la tête en relevant un peu les yeux quand elle arrive à calmer sa respiration.
Mais il y revient, il change de sujet sans le faire vraiment. Il essaie de l’aider et elle essaie de se calmer mais c’est compliqué. Cette grossesse est compliquée, son accouchement aussi, le futur et ses sentiments. Elle ne sait pas gérer tout ça, elle ne sait même pas ce qu’elle en pense réellement. Tout est toujours tellement flou. Elle ne peut retenir un sourire quand il dit qu’il n’a pas peur du changement. “Je veux juste pas y penser tout le temps.” Et c’est pour ça qu’elle repousse toujours toutes les décisions importantes. “Je sais” et c’est bien pour ça que si elle savait ce qui se passait dans sa tête elle n’aurait pas peur de lui en parler. “Je sais juste pas, je peux pas répondre à tes questions. Je sais rien.”
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