Olivia Marshall & @Amos Taylor ✻✻✻ Je ne pouvais pas le nier, je me sentirais plus à l’aise de pouvoir dégainer nos armes à feu, de pouvoir me tenir à distance, de ne pas avoir à regarder l’étincelle quel qu’elle soit mourir au fond de leur regard lorsque je mettais fin à ce qui leur restait de vie. Je me ralliais à son avis néanmoins, faisais confiance à son jugement, le laissais prendre pour nous deux la décision la plus raisonnable car il avait raison. Il n’était plus question de privilégier ce qui nous mettait à l’aise. Il n’était plus question de privilégier quoique ce soit n’ayant pas de rapport avec notre survie, je le compris lorsque le premier corps tomba, entraînant dans sa chute le couteau planté dans son crâne, m’obligeant à l’en extirper non sans peine pour neutraliser le suivant. Il était heureux qu’en de telles circonstances aucun autre choix ne nous soit donné que de laisser notre entraînement prendre le dessus, nous permettant de l’orchestrer sans y penser, sans y penser réellement. Rien d’autre que notre présence d’esprit, rien d’autre que celle qui permit à Amos de se retourner sans hésiter, la vigueur au corps, le sang-froid ne faiblissant pas. Le soulagement s’empara de mon corps, une fraction de seconde, avant que le reste ne doive reprendre le dessus, jouant du poids de la créature s’avachissant sur moi pour la faire basculer à ma place. Je tressaillis en décrochant ses mains des pans de ma veste, me forçant à m’attarder, à consentir avec fatalité qu’il n’y avait plus rien. Plus rien d’humanité, celle-ci s’étiolant, sénescente et obsolète au fond de ces yeux injectés d’un sang qui n’était plus le bienvenu dans ces veines. Je me redressais en reculant d’un pas, retrouvant avec soulagement le contact de l’épaule d’Amos contre la mienne. « Ça va ? Tu n’es pas blessée ? » Je secouai la tête sans même vérifier, choisissant de croire à l'absence de douleur comme preuve d’absence de blessures. « Non … » Je laissais mon regard, déjà, parcourir à la hâte la silhouette d’Amos en fronçant les sourcils. « Non et toi ? » J’y tenais à cela. J’y tenais plus que mon propre compte. Mais je ne remarquais rien sur sa tenue, rien d’autre qu’un sang qui n’était pas le sien.
« Merci. Sans toi, la mission aurait été écourtée avant même d’avoir réellement commencé. » Je levai mon regard sur lui et laissai échapper un rire sans joie, aussitôt étouffé d’une main passant sur mon visage comme pour ravaler la nervosité. C’était idiot de lui dire maintenant. Idiot de lui dire que le remerciais, lui, d’être là avec moi car sa présence m’apaisait dans le pire des moments. Il en rirait sûrement à son tour, et de la même manière, si je le lui confiais. Je voyais à sa mâchoire contractée qu’il luttait aussi contre ses démons, se débattait contre lui-même. « Certains sont encore des gosses, putain. » Je fermai les yeux en acquiesçant silencieusement, laissant ma main s’attarder sur son épaule pour la presser doucement alors que je me détournai de la scène qu’il ne parvenait pas à quitter des yeux, que je tentais déjà d’oublier. Je sais. « Et maintenant, on est supposé faire quoi ? Les piller ? Fouiller les baraques ? Avancer ? Je suis désolé, mais j’n’aime pas le flou dans lequel les ordres nous laissent. Il n’y a pas un petit mot dans la boîte à gants ? Une carte ou autre ? » L’instant d’après, je le laissais reprendre le contrôle, rouvrant la boîte à gant de laquelle je n’en sortais rien de plus que plus tôt lors de mon bref inventaire. Trop bref en effet, je voulais bien le croire malgré mon absence de trouvailles. « Rien de mon côté. » Je soupirai en m’appuyant sur le fauteuil pour le voir continuer ses recherches. « Tu as quelque chose du tien ? » m’enquis-je sans grand espoir. Consignes ou non, nous ne ferions confiance qu’en nos instincts, j’en étais persuadée. Consignes ou non, je laissais déjà mon regard s’égarer sur les immeubles alentour. « Amos … » Je n’attendais pas d’avoir son attention pour me redresser lentement. « Le centre médical de ma mère n’est qu’à quelques rues. » laissai-je échapper sans m’assurer d’avoir son attention, concentrée sur ce que cela impliquait. « Je n’ai pas de nouvelles de mon père alors je me demande … » S’il s’était occupé d’elle. Si je pouvais me rattacher à cette idée sans certitude aucune. Si. Des si que je ne me laissais pas exprimer, qu’il comprendrait tout de même.
De son côté, pas de casse et du mien, tout avait l’air sous contrôle, quoique je me suis autorisé à me détailler avant de hocher négativement de la tête. J’étais plein de sang, un sang impur. Son odeur, habituellement métallique, était nauséabonde. Elle évoquait la putréfaction, la décomposition déjà bien avancée de la viande avariée. J’en aurais bien eu un haut-le-cœur si, dans le fond, ça ne m’avait pas rassuré. Comment pourrais-je considérer ces gens, ces zombies, comme non définitivement perdu alors qu’il pue la mort à des kilomètres ? Comment puis-je envisager de ce qu’un traitement aurait pu les remettre d’aplomb ? Je ne suis pas médecin, mais ça me semble peu probable. J’ajouterais même que seul un vaccin pourrait nous prémunir de cette mutation. « Je vais bien. » Autant que faire se peut en pareilles circonstances. J’aurais adoré pouvoir me taire, mais c’est plus fort que moi. Je partage mon ressentiment par rapport à nos actes, par rapport à ces jeunes adultes vêtus comme des civils qui n’en avaient plus grand-chose. Je partage et je suis à peine surpris que ma partenaire de galère, de sa main sur son visage, formule ô combien l’épreuve fut, pour elle, aussi difficile que pour moi. Je suis tendu, pas tout à fait à l’aise dans mes baskets et, en bon militaire, je cherche des informations complémentaires dans la voiture pour justifier mes actes. Olivia n’a rien trouvé. Quant à moi, j’ai ouvert le coffre et tandis qu’elle s’assure que je suis, moi aussi, ressorti bredouille de ma quête, je trouve dans le vide-poche latéral une sorte de “double côté“. Bien sûr, je ne pipe mot de peur que nous ne nourrissions quelques espoirs vains, mais je tâtonne du bout des doigts pour trouver le mécanisme qui ouvrira la boîte de Pandore. « Il y a un truc, là… Je n’arrive pas à l’atteindre. » Je n’ai pas les doigts assez fins : j’y vais donc à la pointe de mon couteau.
Jamais je n’aurais imaginé que le clic d’un mécanisme m’aurait soulagé à ce point. Je remarque à peine que la mise en scène est étrange, délirante, qu’elle manque de cohérence. « Bingo. » ai-je lancé au summum de l’incrédulité. Elle n’aura cependant duré qu’un temps. L’enveloppe, que je palpe, contient un petit objet et mille idées toutes plus folles les unes que les autres me traversent l’esprit. « C’est bizarre, quand même. » ai-je commencé à voix haute. « J’ai le droit de croire aux coïncidences ? » La question est rhétorique, car ma curiosité est titillée désormais. « Qu’est-ce que ça fout là ? » Et, est-ce important finalement ? L’est-ce plus que les inquiétudes d’Olivia à propos de sa famille ? Je décachette délicatement la missive, mais je l’écoute, attentivement. « Tu veux aller jusque-là ? » Mon ton est plus proche de l’affirmation que la question et, tandis que je sors du contenant une clé USB, je m’exclame : « Allons-y, dans ce cas. Il y aura sans doute des PC en état de marche au centre. » Je brûle de savoir et de comprendre : le père de Liv, où est-il ? Et quelles informations peut bien contenir cette puce ? Seront-elles en lien avec notre mission suicide ?
Olivia Marshall & @Amos Taylor ✻✻✻ « Il y a un truc, là… Je n’arrive pas à l’atteindre. » Je l’entendis marmonner, la tête penchée dans un angle ne me permettant pas d’y voir quoique ce soit. Je ne cherchais pas à le faire qui plus est, l’esprit ailleurs, le regard déjà songeur tourné vers l’extérieur à mesure que je réalisais où nous étions. « Bingo. » Je fronçais les sourcils. Bingo. Ma mère à plusieurs centaines de mètres dans cette direction. Bingo. L’origine du nœud au creux de mon estomac. « C’est bizarre, quand même. J’ai le droit de croire aux coïncidences ? » Et je l’entendais. Bien sûr que je l’entendais mais nos intérêts n’étaient plus les mêmes l’espace d’un instant et je le remerciai intérieurement, en réalité, de garder les pieds sur terre. De prioriser l’essentiel, la mission, ce sur quoi nous avions une main mise, un pouvoir de décision et d’action. Mon regard s’égarait sur le pli cacheté jusque-là à nos yeux et il avait raison, quelque chose ne tournait pas rond. Il avait raison et pourtant, mes lèvres s’entrouvrirent pour prononcer d’autres mots que ceux-ci. « Qu’est-ce que ça fout là ? » Il avait raison de ne pas s’attarder sur autre chose pour l’instant, mes sourcils se fronçant toujours plus, soulignant ma perplexité. « Tu veux aller jusque-là ? » Je haussai les épaules comme pour atténuer la gravité de mon esprit alors que de trop multiples interrogations s’affrontaient à présent avec désordre contre les parois de mes temps. Je ne veux pas, non. « Je devrais. Non ? » Bien sûr que tu devrais. C’est ta mère. Bien sûr, alors. Bien sûr, ce serait. Je m’installais de nouveau, fermant la porte de la voiture derrière moi, essuyant sans ménagement mon couteau sur le pli de mon pantalon à la cheville.
« Allons-y, dans ce cas. Il y aura sans doute des PC en état de marche au centre. » Le moteur vrombit de nouveau dans la rue, scène de crime macabre que nous laissions derrière nous, et je m’efforçais de ne pas ciller alors que le véhicule passait à côté des corps abandonnés. « Tu pourrais te charger d’en trouver un, oui. Le temps que je trouve ma mère là-dedans. » repris-je finalement, au bout d’un instant. Il n’avait pas besoin d’assister à ce qu’il était possible d’arriver. Cela n’avait pas besoin de devenir son fardeau également. J’avais la désagréable impression de, déjà, lui imposer une mission qu’il ne désirait pas accomplir, qu’il s’imposait uniquement pour ne pas me laisser seule. Ma mère avait été mon problème depuis ma plus tendre enfance. Le mien et celui de mon père. Mon père dont je n’avais aucune nouvelle sans que je ne parvienne à comprendre pourquoi. N’était-il pas supposé coordonner les actions mises en place durant cette catastrophe ? N’était-il pas censé réfléchir aux grands schémas politiques communiqués par le Gouverneur général afin de décider des meilleurs moyens de mettre l’armée au service de ces directives ? Si oui, pourquoi ne me contactait-il pas pour me mettre au fait, dans le meilleur des cas, me rassurer dans le pire ? Et si ce n’était pas lui … Si ce n’était pas lui, alors je ne voulais pas penser à ce que cela impliquait. « Si elle est là. » continuai-je comme si cette éventualité me paraissait encore être la plus logique, la plus susceptible d’être vraie. Me laisser dans le flou, peut-être. Abandonner sa femme ? Jamais.
Je sortis de mes pensées en tournant mes yeux concentrés sur le profil d’Amos. « Ce ne sont pas des patients faciles. D’accoutumée déjà, alors … » Elle n’était pas facile. Ma mère était institutionnalisée pour troubles psychiques, elle ainsi que tous les autres patients se trouvant dans cet hôpital. Je le rappelais uniquement pour m’assurer qu’il ne sera pas pris de court. Ils ne sont pas en état de se défendre contre quoique ce soit. « Je ne sais juste pas dans quel état on trouvera l’endroit. » soupirai-je en haussant les épaules avant de rajuster ma position dans le fauteuil comme si mes derniers mots se suffisaient à eux-mêmes. Il n’y avait rien d’autre à dire, rien tant que nous n’appréhenderions pas nous-mêmes la scène. Nous, pas notre imagination. Nous, pas nos pressentiments. Ceux d’Amos, pourtant, étaient perceptibles ailleurs et je finis par me saisir de l’enveloppe autrefois cachetée, la délaissant rapidement pour me concentrer sur la clé, sobre, ne la rattachant à aucune institution. L’armée, encore moins. Une clé placée là sans que nous n’ayons aucune indication quant à son émetteur. « Ça a l’air de t’inquiéter. Je me trompe ? » Je levai brièvement la clé entre deux de mes doigts pour l’inciter à parler. Je ne me trompais pas, je lisais clair en lui. Qu’appréhendait-il exactement ? Telle était ma véritable question car les instincts d’Amos se révélaient souvent juste, je l’avais appris au fil des années.
Et tandis que j’entreprends de décacheter le pli trouvé dissimulé dans la voiture, mille questions me taraudent au sujet de la missive et d’Olivia. Concernant la première, je me demande si elle a été déposée là par hasard ou si, d’aventures, le véhicule nous était destiné. Le cas échéant, cela sous-entendrait que le message serait personnalité et contiendrait des informations capitales, mais n’est-ce pas tiré par les cheveux ? Peut-être. Je ne sais qu’en penser. En revanche, alors qu’Olivia s’enquit de mon opinion sur la suite du programme, j’interromps mon geste, enfin, et je relève la tête vers elle. « Évidemment que tu devrais. Parfois, il faut savoir mettre certaines rancœurs de côté. » Et il y en a entre les deux femmes. Pourquoi ? Comment leur relation s’était-elle détériorée ? Je n’en avais aucune idée. C’est encore l’un de ses non-dits entre Liv et moi, un de plus, mais qui n’avait rien de dérangeant finalement. Parler n’était pas toujours nécessaire entre nous. La preuve étant, alors que je lui confie mon bien et que je fais gronder le moteur d’un tour de clé dans le démarreur, je n’ai pas besoin de lui expliquer que ça me tracasse. « On ira ensemble chercher après ta mère et, ensuite, on cherchera un ordinateur. Ordre de priorité. » ai-je objecté.« L’humain et puis la curiosité. » C’était une évidence à mes yeux, d’autant que nous avions convenu de ne pas nous séparer. « À mon avis, on la trouvera là-bas. Si je bossais dans ce genre d’endroits, c’est là que je me réfugierais. Là où on planque des médicaments. » En avions-nous d’ailleurs ? Ne devrions-nous pas profiter, en fonction de l’état du bâtiment et de ce que nous y trouverons en bonnes ou en mauvaises surprises, nous en faire un stock ? « Quant à ton père, je ne sais pas. » ai-je avoué, mal à l’aise et soucieux de ne pas l’inquiéter. « Je ne vais pas te cacher que je suis étonné que ça ne soit pas lui qui nous ait accueillis et qu’il ne nous ait pas donné l’ordre de mission lui-même d’ailleurs. » Son unique enfant était rencardée pour un truc qui la dépasserait tôt ou tard, nous dépasserait. Ce n’était pas son genre de figurés parmi la liste des abonnés absents. « Et je n’ai pas aimé la tête de l’autre, là. » Celui que je méprisais et qui avait envoyé ses hommes me sortir de mon lit sans ménagement. « Quand tu lui as posé la question. » Certes, je suis conscient que mes commentaires n’ont rien de rassurant, mais les illusions sont à ranger au placard. Autour de nous, les rues sont vides et, de temps en temps, au loin, on aperçoit l’une de ses créatures. Où se cachent-ils donc, les vivants, si nous sommes bien J-1 avant l’épidémie de masse ? « Et oui, je ne vais pas te mentir, je n’aime pas ça. » Et cette fois, c’est la clé à puce que je désigne du menton. « Mais, on approche, on sera vite fixé à mon avis. » Déjà j’aperçois, au loin, une voiture de diplomate. « Ce n’est pas la caisse de ton père rangée là-bas ? » Avions-nous le droit de garder espoir ?
Olivia Marshall & @Amos Taylor ✻✻✻ « Évidemment que tu devrais. Parfois, il faut savoir mettre certaines rancœurs de côté. » Il avait raison. Bien sûr qu’il avait raison. Alors pourquoi ne parvenais-je pas à approuver sans demi-mesure, à aller dans son sens oralement afin de mettre un terme aux interrogations ne cessant d’aller et venir dans mon esprit ? Parce qu’il y avait certaines rancœurs que l’on n’oubliait jamais. Certaines rancœurs que je portais encore sur mon corps sans que le moment ne soit jamais venu pour ce genre de révélations. Il avait raison. « On ira ensemble chercher après ta mère et, ensuite, on cherchera un ordinateur. Ordre de priorité. » Une fois encore sur l’instant. La vie de ma mère avant tout, même celle qu’elle avait cessé de désirer des années auparavant. Notre passé ensuite. Cela avait toujours été ainsi. « À mon avis, on la trouvera là-bas. Si je bossais dans ce genre d’endroits, c’est là que je me réfugierais. Là où on planque des médicaments. » Je suivis le fil de sa pensée en confirmant : « On doit avoir le strict nécessaire derrière. » J’accompagnai mes mots d’un signe de tête à l’arrière. « Ce serait pas une mauvaise idée de mettre la main sur du matériel supplémentaire. Pas forcément pour nous qui plus est. » Mais pour les civils que nous croiserions en chemin. Je n’osais imaginer l’état de certains d’entre eux à présent que nous avions eu l’occasion de croiser l’ennemi de plus près. « Quant à ton père, je ne sais pas. Je ne vais pas te cacher que je suis étonné que ça ne soit pas lui qui nous ait accueillis et qu’il ne nous ait pas donné l’ordre de mission lui-même d’ailleurs. » Je ne tiquais pas, consciente en outre des précautions d’Amos pour ne pas m’inquiéter. Ses réflexions étaient les miennes et ne me prenaient pas de court. « Ouais … » laissai-je traîner sans emphase. « Il est loin du père parfait mais en tant que Général, il n’a jamais fait défaut. » confirmai-je et l’once d’ironie noire venant teinter mes propos vinrent se mêler à la réalité ainsi exposée. « Et je n’ai pas aimé la tête de l’autre, là. Quand tu lui as posé la question. » « J’ai pas aimé sa tête tout court. » maugréai-je pour la forme en haussant les épaules. De long, en large et en travers. Il n’avait pas été honnête, du début jusqu’à la fin de notre entrevue qui, de mon point de vue, ressemblait davantage à une convocation à présent qu’elle était passée.
Il était trop tard pour y repenser néanmoins, pensais-je alors que je levais les yeux sur l’immeuble au bout de la rue que nous venions d’emprunter. « Ce n’est pas la caisse de ton père rangée là-bas ? » « Ça a l’air. » confirmai-je en plissant les yeux pour apercevoir la plaque officielle. « Pas de chauffeur en vue. » notais-je à voix haute en rattachant mon couteau à sa place. Je fronçais les sourcils alors que je relevais mes cheveux pour les attacher négligemment en arrière. « Et t’as raison, je n’aime pas ça non plus. » Je n’éprouvais aucune gêne à le formuler, aucune superstition déplacée à craindre de voir mes mauvais pressentiments se révéler vrais si je les pensais trop fort. Je me rattachais au tangible, tenais au sang-froid qui était le mien comme l’une des rares choses que je ne perdais pas en chemin. Déjà, nous nous approchions du seuil d’entrée et, après un regard d’accord échangé avec Amos, je le laissais appuyer son épaule contre l’imposante porte en bois, tenant ma position sur son profil, le bras droit replié contre ma poitrine, l’arme au bout de celui-ci. Un bruit sourd solda la tentative d’Amos et je relâchai ma posture en fronçant les sourcils. Je lui prêtai main forte une seconde avant de sentir la résistance de l’autre côté. « La porte est barricadée. » Je demeurais sobre, presque placide. Inutile d’imaginer quoique ce soit, consolider les portes d’entrée aux bâtiments me paraissait somme toute une décision raisonnable compte tenu de ce qui se tramait à l’extérieur. Rien ne présageait encore de la situation intérieure … n’est-ce pas ? « Ce sera l’entrée du personnel alors. » Et déjà, je me détournai, confirmant ainsi à Amos que je savais où celle-ci se trouvait, après des années à venir rendre visite à ma mère. Une fois par mois. Pas une de plus. Pas une de moins. Cette entrée céda plus facilement et nous pénétrâmes au sein des lieux avec méthodologie plus que prudence. Quelques minutes plus tard, je m’arrêtai un instant au sein du hall d’entrée et laissai mon regard parcourir le désordre ambiant. D’aussi loin que je puisse me souvenir, cet endroit n’avait jamais su m’inspirer autre chose qu’une gêne profonde, un désir d’ailleurs. Le mélange de couleurs ternes et d’appliques dorées aux murs dénués de tout autre trace d’objets décoratifs frôlait l’incohésion et l’afféterie manquée. L’impression fut la même de nouveau : l’endroit semblait être de ceux ayant été conçus pour pouvoir tout absorber. Tout. Alors qu’y avait-il de changé aujourd’hui ? Je laissais mon regard balayer l’entrée, s’arrêtant au fur et à mesure sur les fauteuils renversés, le comptoir dévalisé, les vitres des portes battantes au loin brisées. Tout. « Ma mère est au deuxième étage, chambre 23. » Ma voix demeura basse, assez pour que Amos puisse en saisir le sens, lui et personne d’autre. À quoi bon relever ce que lui aussi était capable de voir ? Quelque chose n’allait pas ici.
Nous nous sommes montrés négligents, Liv et moi. Avant de démarrer le véhicule, nous aurions dû faire l’inventaire de ce que contenait le coffre et la boîte magique. Comment n’y avons-nous pas pensé ? Sommes-nous rouillés ou, à notre décharge, avons-nous été trop rapidement happés par l’incompréhensible situation ? Sans doute un peu des deux et en attendant une pause pour que nous puissions réparer cette incurie, j’acquiesce à sa proposition. « Un maximum. Bien que tu les as entendus : pas de griffures, pas de morsure. Je ne suis pas certain que des antibiotiques pourront nous sauver, mais on ne sait jamais ce qui peut arriver. » On ignore également combien de temps nous allons bivouaquer dans ce monde qui promet de devenir apocalyptique. C’était principalement à cause de cette évidence que l’absence du général Marshall m’a étonné. Je fais attention à la façon dont je le déclame, mais je suis suspicieux et Olivia me connaît assez bien pour le déceler. « En tant que Général, il était admirable. » Et je l’avais par ailleurs admiré avant d’être chassé comme un malpropre par ses pairs. « Et moi non plus. Ni sa tête ni sa condescendance de gratte-papier. Je ne suis pas certain qu’il va venir sur le terrain lui. » Alors qu’il n’avait pas hésité à nous rappeler malgré que nous soyons tous deux désengagés. Qu’à cela ne tienne, nous sommes là, à proximité du centre médical et sans surprise, j’aperçois au loin le véhicule du corps militaire habituellement utilisé par son père. « Et ça, ce n’est pas normal non plus. » Nous accumulions les bizarreries et, si jusqu’ici, la plus étonnante restait cette clé USB, que Marshall se déplace en ville sans ses sbires était somme toute inquiétant. Au demeurant, nos questions trouveraient bientôt réponse puisque nous sortons de notre véhicule à peine stationné en direction de la porte d’entrée. Elle était fermée. Nous avons tenté de l’enfoncer, sans succès. « On dirait bien bien, oui. Ça veut dire qu’il y a à l’intérieur quelqu’un capable de réfléchir. Une autre solution ? » La porte réservée au personnel. Très bien. Je n’ai aucune idée de la configuration des lieux. Aussi, l’ai-je suivie, sur mes gardes, soucieux de ne pas être surpris par une quelconque créature sortie de l’enfer. Pénétré le bâtiment fut bien plus facile et je m’autorisai donc un nouveau commentaire. « Quelqu’un qui réfléchit, mais qui ne savait pas pour cette issue et qui n’a pas su s’opposer à ce saccage. » Qui ? L’éminent général ? Impossible. Sa mère ? Moins encore que je réalise qu’elle n’est pas infirmière dans ce dispensaire, mais une patiente. « Liv. On est où exactement ? Qu’est-ce qu’elle fait ta mère, ici ? » Je l’ai arrêtée du bras, conscient que ce n’était pas le moment, mais mon ignorance m’a frappé de plein fouet. « Des années d’amitié, et je réalise qu’en fait, tu ne m’as jamais parlé de ta famille. Que….quoi ? » Plus tard. C’est plus tard qu’il conviendrait d’en discuter.
Olivia Marshall & @Amos Taylor ✻✻✻ « Je ne suis pas certain que des antibiotiques pourront nous sauver, mais on ne sait jamais ce qui peut arriver. » J’inspirai avec mesure alors que l’expérience que nous avions en commun des pays en guerre et autres situations catastrophiques ne quittait pas mon esprit. « On a vu ça assez souvent. » Mon regard croisa le sien, bref, avant qu’il ne le reporte sur la route et je précisais : « D’ici quelques jours, ces choses-là ne seront pas le seul danger au coin des rues. » Et je laissais mes mots se perdre dans l’habitacle car il ne me paraissait pas nécessaire d’aller plus loin pour qu’il le comprenne. Quelques jours, seulement. Quelques jours avant que les survivants ne se rendent compte à leur tour de la gravité de la situation, de la disparition de toutes entités de contrôle, avant que l’instinct de survie ne surgisse et fasse disparaître le peu d’humanité restant. Quelques jours avant que l’être humain ne devienne aussi dangereux que ces choses.
Pourtant, nous laissions cela de côté sur l’instant, nous concentrant uniquement sur la tâche que nous nous étions nous-mêmes confiée. Les tâches, plus précisément. L’une susceptible de nous faire avancer. L’autre de nous ralentir sans que je ne puisse tout de même me résoudre à ne pas l’accomplir, à me convaincre sans un doute que celle-ci avait déjà été prise en charge par mon père. La présence de la voiture de ce dernier ne me dissuada pas plus, au contraire. Et sur ce seul fait, ce fut au tour de la perplexité d’Amos de venir s’ajouter à la mienne, de venir la nourrir. La hâte de découvrir ce qui était resté dans l’ombre, ce qui nous avait été dissimulé guidait à présent nos actions sans que nous n’abandonnions pour autant notre rigueur militaire et nos instincts retrouvés. « On dirait bien, oui. Ça veut dire qu’il y a à l’intérieur quelqu’un capable de réfléchir. Une autre solution ? » Ou tout du moins, qu’il y avait quelqu’un capable de réfléchir, reprit mon pragmatisme sans faille dans mon esprit sans que je n’eue l’envie de le laisser s’exprimer à voix haute, me contentant de répondre à sa demande en nous guidant à l’arrière du bâtiment. « Quelqu’un qui réfléchit, mais qui ne savait pas pour cette issue et qui n’a pas su s’opposer à ce saccage. » « Ou qui n’en a pas eu le temps. » complétai-je cette fois-ci sur le même ton que le sien. Je laissai mes yeux sonder l’endroit une fois encore sans y trouver la moindre trace de vie et, me détournant des nombreuses suppositions émergeant dans mon esprit, je me concentrais sur la raison principale de notre venue.
L’ascenseur se trouvant dans notre dos, je m’apprêtais déjà à m’y rendre lorsque la main d’Amos sur mon avant-bras me retint en arrière, l’urgence au fond de la voix, l’incompréhension logée dans son regard. « Liv. On est où exactement ? Qu’est-ce qu’elle fait ta mère, ici ? » Je baissai le mien sur ses doigts enroulés autour de mon bras, consciente des réponses qu’il méritait, des réponses qu’il aurait méritées avant même que je ne le conduise en ce lieu. « Des années d’amitié, et je réalise qu’en fait, tu ne m’as jamais parlé de ta famille. Que….quoi ? » Je secouai lentement la tête alors que je jetai un coup d’œil en arrière, désireuse de ne pas demeurer ainsi exposés durant l’explication à venir. « Par ici. » me contentai-je alors de souligner en nous entraînant derrière le comptoir. Je poussai la porte battante pour pénétrer au sein du bureau adjacent et m’assurai d’un coup d’œil rapide de n’y trouver aucune compagnie indésirable. Amos en faisant de même, je profitais qu’il me tourne le dos pour laisser échapper sobrement : « Mon père a interné ma mère ici il y a des années. » Il se retournait à cet instant et je me forçais à continuer ce qui me paraissait être des justifications déplacées, tardives. « Ses épisodes dépressifs étaient connus de toute la base, je pensais que toi aussi quand on s’est connus. » Et ensuite, Liv ? « Et ensuite … » Ensuite, je n’avais plus su comment évoquer ce à quoi j’avais moi-même tourné le dos. Et jusqu’où aller dans les confidences. « C’était trop tard pour en parler, même quand ça a évolué. » Je fronçais les sourcils en en venant au fait que je jugeais le plus important. « Pour le reste, la voiture de mon père et tout ce qui se passe ici, je n’en sais pas plus que toi, je t’assure. » continuai-je en veillant toujours à contrôler le volume de ma voix mais en appuyant mon regard dans le sien afin de ne pas y lire la moindre trace de doute. Je ne lui cachais rien.
« Et l’homme deviendra un loup pour l’homme. » ai-je commenté en dodelinant de la tête. Lorsqu’il s’agit de survivre, il faut de la volonté pour que se taise nos instincts les plus triviaux. Tuer de sang-froid, pour un bout de pain sec deviendra monnaie courante. Ceux pour qui l’éthique et la morale seront plus lentes à se détériorer deviendront les proies des moins scrupuleux et l’armée sera alors leur dernier espoir. Mais, existera-t-elle encore, cette institution, d’ici quelques jours ? J’en doute et l’état de ce centre médical me confirme que la mutation est déjà en route et pas celle liée au virus, non, celle du genre humain qui, malgré ses efforts, n’est jamais qu’un animal. « Ou qui n’a pas eu le temps. » ai-je répété Liv, à voix basse, en sondant la pièce et le comptoir de l’accueil. Il y a un PC. Bonne chance. Lorsque le moment sera venu, si je n’en trouve pas d’autres à disposition, je rebrousserai chemin pour découvrir le contenu de la clé USB. L’idée me grise, mais elle est rapidement balayée par l’injonction de ma partenaire. Sa mère, dans une chambre ? Elle n’est pas médecin ou infirmière ? Ma propre ignorance me frappe de plein fouet et je retarde l’essentiel pour partager ma frustration avec mon amie. Qu’y ai-je gagné ? Rien ! Pas de réponse et je me suis souvenu. Je me suis rappelé que je ne suis pas toujours responsable de nos silences. Je me suis rappelé qu’il était compliqué, pour Liv, de confier ce qui l’a blessée un jour durant. Alors, je l’ai suivie vers le bureau derrière le comptoir de l’accueil. Je l’ai suivie sans dire un mot. Je l’ai même devancée, pour veiller à sa sécurité puisque, sur mes gardes, je bats l’air, de droite à gauche, de mon bras armé. C’est durant cet instant où je fus moins concentré sur elle qu’elle a craché le morceau. Elle l’a choisi parce que je lui tournais le dos et j’ai hésité à lui faire face. J’ai hésité jusqu’à ce que je réalise ô combien son enfance avait dû être compliquée. « Des années ? Combien de temps ? » ai-je demandé d’une voix faible pour n’alerter personne et respecté le poids de ses aveux. « Et, non ! Je n’ai jamais prêté attention aux rumeurs. Tu le sais… » Leur aurais-je confié une oreille que j’aurais été désolée d’apprendre ma liaison inexistante avec mon acolyte. Or, jamais ça ne nous avait traversé l’esprit d’ailleurs. « Mais, si j’avais su, je… j’aurais pris des nouvelles. J’aurais été… moins dur, parfois, avec toi. » J’ai baissé la tête, mal à l’aise, et je l’ai remerciée de nous avoir ramenés sur notre mission. « Allons directement vers la chambre de ta mère. C’est là qu’on sera le plus susceptible de les trouver. En silence. Et, tout doux. Si la porte est barricadée, on ne sait pas ce qu’on trouvera ici. Prête ? » Et déjà je quitte le bureau en direction de l’escalier.
Olivia Marshall & @Amos Taylor ✻✻✻ Le silence assourdi de l’extérieur fut soudainement étouffé par la porte close et je tentais à présent d’ignorer également les cliquetis de l’immense horloge accrochée au mur au-dessus de nous. Je n’entendais plus qu’eux désormais. Étais-je la seule à trouver cela plus alarmant encore qu’une cacophonie sans nom ? Comme une menace ne disant pas son nom, un danger imminent refusant de s’annoncer pour nous prendre sur le fait ? Je soupirai en me concentrant sur Amos, sur les réponses qu’il méritait avant de décider d’aller plus loin, celles que j’avais eu besoin de lui fournir des années auparavant avant de me rendre compte que cela n’aurait rien changé d’important dans ce qui nous avait ensuite allié. « Des années ? Combien de temps ? » Il demandait vraiment, s’inquiétait vraiment. Malgré tout ce qui se passait actuellement. « Elle est comme ça depuis que je suis née. » haussai-je les épaules malgré mon absence de détachement, un réflexe comme toujours.« Il s’est résolu à demander de l’aide quelques temps après mon départ à l’armée. » Peut-être avais-je tourné le dos à ma famille en me rangeant du côté du sacrifice. Peut-être étais-je partie pour lui échapper. Peut-être avais-je précipité l’aggravation de son état. Peut-être, peut-être … Il n’y avait eu que ça durant toute mon enfance. « Et, non ! Je n’ai jamais prêté attention aux rumeurs. Tu le sais… Mais, si j’avais su, je… j’aurais pris des nouvelles. J’aurais été… moins dur, parfois, avec toi. » Je secouai la tête lentement à la négative car il allait exactement là où je ne désirais pas le voir. Dans la remise en question, la sienne, celle qu’il n’avait pas à s’infliger, surtout pas. Son intransigeance avait été celle que je n’avais jamais réellement connue à l’époque, celle pour mon bien. Et quand bien même, je me souvenais surtout du reste, du soutien et des rires. « T’as été exactement ce dont j’avais besoin. » le coupai-je simplement avant de lui assurer ma transparence, aujourd’hui.
Il en sembla contenté par ailleurs, presque soulagé et j’inspirai lentement car nous nous rejoignions sur cela également. Je l’observais se remettre en mouvement, anticipant ses décisions en venant me placer à ses côtés. « Allons directement vers la chambre de ta mère. C’est là qu’on sera le plus susceptible de les trouver. En silence. Et, tout doux. Si la porte est barricadée, on ne sait pas ce qu’on trouvera ici. Prête ? » J’acquiesçai d’un bref signe de tête et le laissai rejoindre l’inconnu en assurant ses arrières. Ce fut à mon tour de rejoindre l’accueil, laissant mon regard s’attarder sur l’ordinateur, certaine qu’il l’avait remarqué lui aussi, qu’il privilégiait l’humain selon ses mots. J’espérais qu’il s’agissait là de la bonne décision, celle que je ne regretterai pas de lui avoir fait prendre et fis un signe dans la direction souhaitée. « Les escaliers sont par ici. » Un regard aux ascenseurs devant lesquels nous passions et dont les vrombissements internes m’indiquaient leur état de marche. « J’ai pas envie de découvrir ce qui se passe plus haut une fois que les portes de l’ascenseur s’ouvriront devant nos yeux … » Les premières marches furent avalées rapidement, autant par lui que par moi. Et si nous ralentîmes au premier palier, si nos pas se firent plus prudents au bout de quelques minutes, je savais que ses raisons étaient également les miennes. Il flottait dans l’air un parfum éthéré de putréfaction, un que nous ne pouvions faire autrement que de l’imaginer plus épais encore au fur et à mesure que nous montions dans les étages. Plus qu’un palier. Plus que quelques marches et nous serions à l’étage désiré. Plus que quelques marches et … « Attends … » Des chocs, réguliers, lents. Je m’arrêtai, descendis d’une marche, le regard vrillé sur la porte menant aux couloirs du premier étage. Ça cognait derrière.
Sa mère était malade depuis sa naissance et c’est aujourd’hui, qu’il flotte dans l’air comme une sensation de fin du monde que je l’apprends. Ici, dans le bureau adjacent à l’accueil d’un centre médical et je m’en sens terriblement idiot. Ai-je manqué d’intérêt pour son histoire ? Ai-je été l’ami égoïste ? L’ami trop dure qui l’a secouée sans ménagement alors qu’elle n’avait peut-être besoin, à une époque, que d’une épaule sur laquelle se reposer ? Je ne me sens pas fier et, si je m’en excuse sincèrement, je m’arrête à ce qu’elle prétend. Je m’arrête sur ce que j’ai été, durant son apprentissage, à la caserne, le soutien dont elle avait besoin. Je m’accroche à cette idée afin de gommer le masque de dépit sur mes traits et je me décide, à avancer, Olivia dans mon dos, comme d’antan. J’avance sans trop savoir par où me diriger, si bien que je me laisse guider par mon acolyte. Combien de fois avait-elle foulé le sol de ce dispensaire pour rendre visite à sa mère ? Venait-elle souvent ? Assez pour nous mener vers l’ascenseur et la cage d’escalier. « Je n’ai pas envie qu’on se retrouve coincé dans l’ascenseur non plus. » lui ai-je répliqué, convaincu que nous ne sommes pas les seuls êtres pensants du bâtiment si j’en crois que le stratagème utilisé pour en boucler l’issue. Peut-être s’agit-il de son frère, mais qu’est-ce qui me le prouve ? A ce stade, je n’ai que des présomptions. Aussi, j’avance, les yeux furetant de gauche à droite, de haut en bas. Je m’apprêtais à ouvrir la porte lorsque mon geste fut autant arrêté par l’odeur nauséabonde qui se dégageait de notre objectif et ce bruit, répétitif, qui se répercute contre la morte. C’est aussi régulier qu’un métronome et, tandis que ma tête essaie de deviner ce qui se cache derrière cette porte, mon cœur calque sa cadence sur ce cognement. Il pourrait me rendre fou en d’autres circonstances. « Qu’est-ce que c’est ? » ai-je pensé en approchant pour coller mon oreille contre la porte. Je ne perçois rien. Elle est trop épaisse. Il nous faut un plan avant de nous jeter dans l’arène. « J’entends que dalle, mais ce n’est pas humain. » C’était sans doute un de ses zombies, mais combien sont-ils derrière ce rempart somme toute fragile ? Peu ! Au contraire, le poids des uns aurait fait sortir la porte de ses gonds. « Je vais ouvrir. Je reste derrière là porte. Tiens-toi prête à agir. » ai-je proposé en prenant place avant de changer d’avis. Et s’il s’agissait de sa mère ? Pourrait-elle tirer ? Serait-elle capable d’agir ? Je ne doutais pas de son sang-froid, mais le choc serait terrible, alors. « Non ! On va faire l’inverse. » ai-je tranché sans lui donner des explications. « Tu es prête ? »
Olivia Marshall & @Amos Taylor ✻✻✻ Je me souvenais encore de la traînée de pétales jaunes que j’avais laissée derrière moi en foulant le linoleum aseptisé de l’hôpital la première fois que j’avais passé ces portes. Cela remontait à des années, plus d’une dizaine. J’avais arrêté dès la deuxième visite, de lui amener des fleurs qu’elle ne remarquait pas, des fleurs qu’elle ne méritait pas. Et pourtant. Cette même image me revenait à chaque fois que je pénétrais dans ce bâtiment. Je ne réalisais pas encore, dans le fond, que celle-ci allait sûrement être la dernière. Celle que j’avais tant espérée. Jamais dans ces conditions. « Qu’est-ce que c’est ? » Je plissai les yeux alors qu’Amos s’interrogeait à voix haute et l’observai rapprocher son oreille du bois épais. « Un patient ? Un employé ? » Je n’y croyais pas réellement. L’espoir que ce bruit bien trop régulier puisse résulter d’une action humaine avait été éteint par mon esprit pragmatique avant même que je ne formule ces propositions. Je me risquais à la question, pourtant. « J’entends que dalle, mais ce n’est pas humain. » Bien sûr que non. Bien sûr qu’il le savait lui aussi. « Je vois qu’un moyen de le savoir. » Mes doigts étaient venus, déjà, s’enrouler instinctivement et lenteur autour de mon arme. Il y en avait d’autres de moyens : l’odeur, par exemple. L’odeur douceâtre, nauséabonde de la mort glissant de sous la porte et éclipsant toutes les autres. Je la connaissais cette odeur pour l’avoir respirée à de nombreuses reprises, pour m’en entourer quotidiennement aux homicides, mais ce n’était plus pareil, n’est-ce pas ? Elle avait été énonciatrice de drames jusqu’à hier, allait devenir normalité dès aujourd’hui. « Je vais ouvrir. Je reste derrière là porte. Tiens-toi prête à agir. » J’acquiesçai silencieusement avant de voir ses sourcils se froncer presque aussi brusquement. « Non ! On va faire l’inverse. » Amos. « Tu es prête ? » Le soupir ne passa pas la barrière de mes lèvres, préférant s’avouer vaincu, inutile. Il n’était pas question de ma fierté mais de notre survie. Et si je m’agaçais, si je détestais pouvoir lire en lui aussi aisément sur l’instant, je détestais encore plus le fait de me sentir rassurée. De penser qu’il avait sans doute raison. Qu’il serait plus à même de prendre les décisions s’imposant si derrière cette porte se cachait un visage autrefois connu. Celui de ma mère, par exemple. Je levai mon poing dans l’air, signe militaire, et acquiesçai à son retour avant d’ouvrir la porte sans plus attendre.
Le premier s’engouffra presqu’aussitôt, le bruit de son crâne sur la porte s’arrêtant simultanément alors que sa mâchoire s’élançait en avant pour fondre sur Amos. Je ne doutais pas de ses réflexes pour le supprimer, trop occupée à appréhender le deuxième avançant à sa suite. Celui-ci suivi à la hâte de deux autres avant que je ne referme la porte d’un coup d’épaule violent pour empêcher le suivant d’en faire de même. Mon pied venant faire basculer le dernier sur ses genoux, je laissai mes doigts s’enfoncer dans son épaule avant qu’il n’atteigne Amos, engagé avec le précédent. Forte de cette prise, j’enfonçai mon couteau dans l’oreille de la créature, poids mort s’effondrant sur le sol l’instant d’après. « Ça va ? » m’enquis-je en laissant mon regard parcourir les mains ensanglantées d’Amos et les corps au sol. Je m’arrêtai finalement sur l’un deux et inspirai en fermant les yeux une seconde. « C’est une infirmière. » Helen. Je n’avais pas besoin de me concentrer pour retrouver son nom. Je le connaissais depuis des années. Je l’avais vue, une fois par mois ou presque, durant les dix dernières années. Helen. C’était une infirmière. Elle n’était plus rien à présent et j’arrêtai de la regarder en prenant sur moi, presqu’aussitôt. Il allait falloir s’habituer, n’est-ce pas ? Aux morts prenant la place sur les vivants. À la mort annihilant le vivant. Il allait falloir s’y habituer mais je n’étais pas certaine que cela soit possible car l’esprit humain était rationnel et que rien de tout cela ne répondait à la logique. Et que si je ne pouvais pas le faire, m’habituer, je pouvais ignorer. J’avais toujours été forte, trop forte, à ce jeu-ci. Forcer le détachement jusqu’à ce que celui-ci devienne réel faisait partie de mon identité-même. « Cet étage est condamné, Amos. » Je repris en le regardant avec entendement, ignorant s’il avait vu, lui aussi, ou s’il avait été trop occupé à se débarrasser de ses assaillants. S’il avait vu ces choses déambuler, l’air hagard, sans but aucun, dans le couloir s’étant présenté à nos yeux. Combien y en avait-il ? Neuf, dix – quinze ? J’avais refermé la porte sans chercher à tirer un nombre précis. Il n’y avait eu ni cris, ni appels à l’aide. Des souffles rauques uniquement, et des raclements, nombreux. Et ce calme plat de l’autre côté de la porte ne présageait rien de bon. Pas âme qui vive, désormais. Voilà ce que cela m’avait inspiré. « Je sais ce que tu penses. » le prévins-je d’une voix calme en me redressant, abandonnant la porte dans mon sillage afin de m’approcher d’un pas dans sa direction. « Si lui l’est, les autres le seront aussi mais je veux juste la voir, d’accord ? » Ma main venant se poser sur son épaule alors que je passai à côté de lui pour avancer n’attendit pas réellement son accord, cette fois-ci. D’accord. D’accord, plus que jamais. D’accord, quoiqu’il en soit.
Je ne peux prendre le risque de la confronter à un membre de sa famille dans un état plus proche de la mort que du contraire. Si elle se paralysait, cette créature pourrait la blesser et moi, par conséquent, la perdre et en souffrir autant par affection que par culpabilité. Moi-même je ne suis pas certain que je serais capable de presser sur la gâchette si j’étais confronté à l’un de mes proches en proie à ce virus. Alors, je demande à ce que nous alternions les positions et je fais fi de que son regard trahi en irritation. J’aimerais lui confier que je ne doute pas de ses compétences. Je pourrais lui répéter que ma vie n’aura jamais été aussi bien confiée en ces temps troublés. Mais, je me tais. Elle le sait et l’heure n’est pas – plus – à ce genre de confidences. Moi, le bras armé de mon couteau – il n’est pas question de rameuter tous les monstres à notre porte – je hoche de la tête. La tête s’ouvre. Un assaillant s’engouffre, suivi d’un second. Je me débarrasse du premier avec plus de difficulté que je ne l’aurais imaginé. En face à face, ses doigts crochus au bout de ses avant-bras m’empêchent d’atteindre son crâne. Pour bien faire, je devrais l’envoyer valdinguer d’un coup de pied, sauf qu’Olivia n’est pas loin, que le palier est exigu et que je crain qu’un coup, trop violent, ne fasse basculer ma partenaire par-delà la rampe d’escalier. La lame de l’opinel fendit la chair gâtée durement. La main est tombée sur le sol. Elle a continué à se mouvoir, comme dans ces mauvais films d’horreur. Quant au perdant, il n’a pas tressailli. L’impression de douleur les a abandonnés. La surprise m’a fait reculer d’un pas jusqu’à ce que je pivote, trouvant l’angle d’attaque idéal pour enfoncer la pointe de mon couteau dans l’arrière du crâne de l’engeance. Elle s’est effondrée sans pousser le moindre soupir, le dernier, celui qui détient notre âme. « Ouais. Toi ? » Je crois que mes mots sont noyés sous une onde de choc. Je ne peux ajouter rien de plus. Je ne peux qu’entendre Olivia me présenter nos victimes. « Condamné du genre, il n’en vaut plus la peine ? » ai-je tout de même réussi à formuler. Je retrouve mon sang-froid, quoique ce n’est pas lui que j’ai perdu, mais bien ma sérénité. Je prends peu à peu conscience que, peu importe où nous irons, nous croiserons ces choses et qu’il est temps que je m’y habitue. « Si lui l’est, Olivia, alors je ne vois pas qui aurait bien pu barricader les portes de ce bâtiment pour les empêcher de sortir. » Afin qu’il ne s’en prenne pas aux quelques survivants. Quelques seulement. Je crois que nous intervenons déjà trop tard. « Et, je le vois mal se laisser prendre au piège par eux… » Parce qu’ils sont bêtes et que le Général Marshall est de loin l’homme le plus intelligent qu’il m’ait été donné de rencontrer. « Réfléchissons comme si nous étions ton père. Il a condamné les portes. Il a pris ta mère. Où aurait-il bien pu se réfugier. » J’ai réfléchi, j’ai dénombré les endroits les plus sûrs et j’ai proposé. « Le quart psychiatrique ? Il y a des cellules capitonnées. » Et tout portait à croire que ce centre médical accueillait d’autres malades que des psychotiques mineurs. « Le réfectoire. La pièce des réserves est toujours bien gardées. L’infirmerie, là où ils stockent les médocs, c’est un vrai coffre-fort dans ce genre d’endroit. ou d’autres ? » A ce stade, je n’oserais l’avouer, mais j’ai un bon pressentiment.
Olivia Marshall & @Amos Taylor ✻✻✻ « Ouais. Toi ? » Ça va. Des mots qui ne voulaient plus dire grand-chose lorsque la fin du monde civilisé semblait bel et bien réelle à présent. Ou au contraire, des mots retrouvant leur essence première. Ça va pour dire nous sommes vivants. Et puis quoi d’autre ? Cela se résumait à ça, n’est-ce pas ? Cela s’était résumé à ça à de nombreuses reprises auparavant déjà, pour nous, pour tous les militaires s’étant retrouvés en pays en guerre, en mission dont l’issue demeurait incertaine car toutes les issues, dans le fond, l’avaient toujours été. Le danger ne prévenait pas avant de frapper. Nous retrouvions nos automatismes rapidement, sans surprise. Ça va. Et ça ira. Puisque ni lui ni moi ne permettrions à l’autre de perdre la vie que nous nous confions mutuellement. Pour les autres, néanmoins, nous arrivions trop tard. « Condamné du genre, il n’en vaut plus la peine ? » Le choix des mots me fit à peine ciller, tenant à mon sang-froid comme à l’arme retrouvant sa place à ma taille. « Du genre perdu. » confirmai-je simplement. Des personnes avaient vécu ici, entre ces quatre murs, certains depuis des années. Tous en valaient la peine. Tous, à cet étage tout du moins, n’avaient pourtant pas eu la chance de revoir leur famille avant de s’éteindre, de le faire selon leurs termes. Le mérite était cette valeur à laquelle j’avais depuis longtemps cessé de croire mais jamais ne m’était-elle parue aussi désossée de sens qu’à présent. « Si lui l’est, Olivia, alors je ne vois pas qui aurait bien pu barricader les portes de ce bâtiment pour les empêcher de sortir. » L’averse venant cingler contre les vitres de l’immeuble ponctua ses mots et je levai les yeux vers les carreaux sans y penser. Dehors, la pluie reprenait et redoublait d’ardeur. À l’intérieur, tout paraissait sec, morne, mort. « Et, je le vois mal se laisser prendre au piège par eux… » J’acquiesçai à ses mots sans même prendre le temps de réfléchir. « Parce qu’il ne se serait jamais laissé prendre au piège. » Comme lui, je n’avais pas le moindre doute concernant ce fait. J’ignorais tout le reste, ne m’expliquais pas pourquoi ne m’avait-il pas contactée, pourquoi ne me répondait-il pas. Mais malgré tout, malgré le silence, je ne doutais pas des capacités de mon père à nous survivre.
« Réfléchissons comme si nous étions ton père. Il a condamné les portes. Il a pris ta mère. Où aurait-il bien pu se réfugier. » Les yeux d’Amos s’assombrirent de nouveau et je reconnus la réflexion dans ces derniers. « Le quart psychiatrique ? Il y a des cellules capitonnées. » Je laissai le doute s’échapper de mes lèvres sur le même ton que lui, m’imaginant à la place de celui que je connaissais par cœur. Le Général, plus que le père. « Et ensuite ? Il barricade l’immeuble, s’enferme dans une cellule sans issue et attend quoi ? » Qui ? Personne ne savait qu’il était là. « Ça ne lui ressemble pas, l’inaction, le repli. » L’idée me faisait moi-même grincer des dents. S’enfermer dans un endroit clos, condamner la seule et unique porte de sortie me paraissait être la même chose que refermer un piège sur soi-même. « Le réfectoire. La pièce des réserves est toujours bien gardée. L’infirmerie, là où ils stockent les médocs, c’est un vrai coffre-fort dans ce genre d’endroit. ou d’autres ? » J’hochai la tête lentement, laissant mon esprit appréhender les différentes propositions. « Peut-être. » finis-je par approuver, la voix dans le vide avant d’accrocher le regard d’Amos car quelque chose clochait, quelque chose que je ne pus m’empêcher de formuler à voix haute. « Peut-être sauf que dans tout ça, je ne le vois pas me prendre en compte, moi. » Et j’en avais l’habitude. Il n’y avait ni dépit, ni tristesse dans mes intonations. Une réflexion seulement, et un appel à la logique. Car s’il s’agissait de venir en aide à ma mère, s’il s’agissait de privilégier son épouse, alors bien sûr aurait-il pensé à moi comme recours espéré. « Il devait savoir que j’allais venir aussi, non ? S’il y a quelque chose à savoir, ce sera dans sa chambre. S’il a voulu me faire passer un message, me dire où les trouver, il l’aurait laissé là-bas. » repris-je simplement. « On le verra tout de suite de toute façon, on est qu’à quelques mètres. Et si le deuxième étage est dans le même état que celui-ci … » Ma main désigna à peine celui que nous venions de refermer sur lui-même. Mon père n’avait eu aucune raison de se rendre au premier, le laissant sans surprise à l’abandon pour se précipiter à celui de son épouse, imaginais-je. Et la donne serait différente à celui-ci, n’est-ce pas ? Déjà, je montais les prochaines marches, comme si j’avais besoin d’obtenir les réponses, maintenant. « Alors l’infirmerie, peut-être oui. » poursuivis-je en même temps, m’arrêtant sur l’option d’Amos me paraissant la plus logique après celle-ci. Il faudra que nous y passions de toute façon, quoiqu’il arrive. Je n’oubliais pas ce qui allait suivre, les heures, les jours d’après. Les survivants d’après. Peu importe que ma mère en fasse partie ou non. Je n’oubliais pas, non : la mission.
Perdu et, si je n’étais capable d’un tel détachement, j’aurais mesuré le poids de ce participe passé. Le couloir n’était plus accessible parce que les résidents des chambres de cet hôpital n’ont pas survécu à ce virus. Dois-je en conclure qu’il est autrement plus contagieux qu’une rubéole ou une varicelle ? Je ne suis pas médecin. Je n’oserais tirer de telles conclusions. Néanmoins, je peux affirmer sans être scientifique qu’elle est sacrément mortelle, cette maladie. Elle paraît incurable également. Personne ne semble en réchapper. D’après les militaires, la catastrophe sanitaire surviendra demain. Comment est-il donc possible qu’il sente autant la charogne, ces pauvres hères qui ont succombé ? L’odeur est pestilentielle et elle se renforce lorsque nous les libérons ce qui n’est plus une vie. Autant dire que je ne suis pas surpris que ma compagne de galère soit aussi inquiète pour son père. Je tente de la rassurer du mieux que je peux et avec toute la conviction qui m’anime. Je suis convaincu qu’il n’est pas mort. Il ne peut pas l’être. Je ne m’avancerais pas pour son autre parent, mais les General Marshall est un coriace et j’aime qu’elle assentisse en terminant ma phrase, Liv. Elle reprend des couleurs. « Exactement. C’est lui qui tend des pièges. C’est un roublard. » La question, c’est où est-il alors ? Dans l’immeuble puisque sa voiture était garée devant, mais dans quelle pièce s’est-il retranché ? Je déploie mes hypothèses comme je distribuerais les cartes. Certaines sont sensée, d’autres moins. Olivia, elle les analyse et les commente. « Toi ! Il t’attend toi, Liv. Il ne faut pas essayer de me faire croire que c’est un hasard qu’on soit tous les deux. Je n’y crois pas. » Et, je ne serais même pas surpris d’apprendre qu’il ait lui-même choisi le véhicule que l’on nous assignerait, raison pour laquelle nous y avons trouvé cette clé USB. Pourtant, je chasse l’idée de peur de verser dans la coïncidence trop énorme. Certes, elle me revient telle un boomerang, mais je ne la partage pas, pas encore, pas tant que je n’aurai pas consulté le contenu de cette puce électronique. « Il n’a pas barricadé l’immeuble. Si tu savais qu’il y avait une entrée de service, lui aussi. » Car il n’avait certainement pas abandonné sa femme dans ce centre sans lui rendre des visites régulières. « Tu vois, contrairement à toi, je pense qu’il n’a tenu compte que de toi. » Je ne jurerais de rien. Je ne mettrais pas main au feu de peur qu’elle ne brûle, mais j’ai un espoir et sa prégnance m’empêche d’envisager d’autres explications. Alors, je me tais. Je laisse Olivia déballer ses pressentiments et, tandis qu’elle statue pour la chambre de sa mère, je lui ai emboîté le pas dans l’escalier. « Commençons par la chambre. C’est le mieux. » Elle m’a persuadé. « Et, de toute façon, on fouillera chaque pièce. » Hormis le premier étage. « Jusqu’à ce qu’on les trouve. » Peu importe leur état d’ailleurs. Désormais, elle doit en avoir le cœur net ou se concentrer sur sa survie sera compliqué. Quant à moi, je prie pour qu’ils soient sains et saufs – je n’aurai jamais autant confié mes doutes à ce Dieu bidon qui arrache des petites filles à leur vie bien trop tôt qu’en ce jour dramatique – car je n’ose imaginer le bras armé de ma comparse les abattre l’un après l’autre. « Liv…je n’aime pas te dire ça, mais il faut que tu te prépares au pire… et que tu me dises ce que tu préfères. » Pas la peine de préciser le fond de ma pensée. Elle l’aura compris : lequel de nous deux se rendra coupable d’un tel crime ? Elle ou moi ? Et, dans quelle mesure, si je m’y collais, ne me détesterait-elle pas plus tard, lorsque nous serons à bout de souffle et en proie au désespoir.
Olivia Marshall & @Amos Taylor ✻✻✻ « Toi ! Il t’attend toi, Liv. Il ne faut pas essayer de me faire croire que c’est un hasard qu’on soit tous les deux. Je n’y crois pas. » Et je l’entendais, Amos. Je l’écoutais autant que possible, j’acquiesçai à ses paroles d’un mouvement de tête mesuré car je m’efforçais de le rester : mesurée, la tête froide, les espoirs relayés au dernier plan au profit de mon objectivité car elle-seule parvenait à me maintenir efficace. « Sans doute pas … » admis-je calmement, le regard dans le vague. Je l’entendais, oui, mais ne pouvais verser, comme lui, dans les certitudes qui semblaient l’animer. Car s’il y avait quelque chose chez mon père que je n’avais jamais su anticiper, jamais su comprendre à défaut de pardonner était la place que ce dernier m’accordait. Après ma mère, cependant. Après, toujours. Mais une chose m’arrêtait : si sa fille passait après, le soldat avait eu son attention, la militaire sa considération. Peut-être Amos visait-il juste. Peut-être le Général m’avait-il estimée pour cela : la plus apte à assurer ses arrières, conscient également que m’associer à celui qui avait su le remplacer toutes ces années était une valeur sûre. « Il n’a pas barricadé l’immeuble. Si tu savais qu’il y avait une entrée de service, lui aussi. » Le chemin de mon père, à tous les points de vue, se dessinait sous les mots d’Amos avec une cohérence enviable. J’acquiesçai de nouveau, sans prononcer le moindre mot. « Tu vois, contrairement à toi, je pense qu’il n’a tenu compte que de toi. » Cela me rassurait, en un sens, de l’entendre arriver aux conclusions que je n’avais pas su m’autoriser moi-même. Tout cela n’était pas qu’une chimère, le produit onirique de mon esprit mis à l’épreuve. Amos aussi semblait ne pas pouvoir se départir de cette intime conviction nous soufflant que la coïncidence n’existait pas, pas en ces temps. « D’accord. » finis-je par concéder en un souffle, deux doigts venant masser mes paupières closes, le temps de rassembler mes esprits. « D’accord, juste … » Je me rattachais à mes réflexes, à mon pragmatisme supposé anesthésier l’espoir mal placé, protéger des déceptions trop amères. « J’ai besoin de prendre tout ça une chose à la fois. » statuai-je en rouvrant les yeux pour chercher les siens et son approbation.
« Commençons par la chambre. C’est le mieux. » Le mieux, oui. J’opinai lentement face à sa compréhension et le suivis alors que nous nous remettions en marche dans la cage d’escalier. « Et, de toute façon, on fouillera chaque pièce. Jusqu’à ce qu’on les trouve. » Dans quel état ? Peu importe, entendis-je dans ses mots, ceux qu’il ne prononça pas, ceux qu’il n’eut pas besoin de formuler pour que je les saisisse au vol, ceux-ci virevoltant dans l’air saturé depuis notre entrée au sein du bâtiment. Morts ou vivants, Amos ne me laisserait pas repartir d’ici sans la réponse et je lui en étais reconnaissante. « Liv…je n’aime pas te dire ça, mais il faut que tu te prépares au pire… et que tu me dises ce que tu préfères. » Nous nous arrêtâmes devant la porte menant au second étage alors que mes sourcils se fronçaient sans que je n’y pense. « Je te demanderai jamais ça. » tranchai-je simplement, la douceur au fond du regard, la fermeté dans la voix. Je n’avais pas besoin d’y réfléchir pour lui répondre, honnête. Les erreurs parsemaient mon existence mais jamais ne m’étais-je détournée des démons qui étaient les miens, qui devraient le rester. « Je sais que tu le feras si je n’y arrive pas. » Je ne doutais pas de lui, de ses instincts protecteurs, de ses propensions à s’oublier pour préserver ceux qu’il maintenait dans son cœur. « Mais tant que ce n’est pas le cas, je te demanderai jamais ça, non. » Et j’espérais ne jamais avoir à le faire. J’espérais savoir m’élever, jusqu’au bout, à la rigueur que je m’étais imposée, seule, celle de faire taire mes sentiments, celle de faire taire mes faiblesses et hésitations. Celle de ne pas faillir lorsque les choses devaient être accomplies, bonnes ou mauvaises. « Le couloir d’abord. » murmurai-je finalement pour nous deux alors que la vérité semblait se trouver de l’autre côté, quoiqu’il arrive. Le couleur, d’abord. La chambre, ensuite. Une chose à la fois. Une chose à la fois pour que le tout ne paraisse pas insurmontable. J’abaissai lentement la poignée pour faire face à la première étape et jetai un regard à Amos devant le spectacle se présentant à nos yeux. Les corps, inanimés. Les choses, abattues. Les cadeaux de mon père.