Lola. Premier retour à Brisbane mental depuis son départ, et si elle s’attendait à un retour imminent, elle aurait souhaité qu’il arrive un peu plus tard. Son coeur se serre d’un coup, peu préparé à l’émotion qui arrive sans prévenir ; et les regrets reviennent en bloc. Elle est partie encore une fois sans prévenir personne. Sauf que cette fois, elle a laissé quelqu'un qui avait besoin d'elle. Qui attendait, en tout cas, une espèce de résolution. Avant de partir pour Londres… c'était peut-être ça, au final, qui avait fait fuir Grace. Le sentiment d'abandon qui s'était inscrit dans cette révélation, l'idée que qu'importe ce qu'elle avait fait, ou comment elle escomptait s'améliorer, la fatalité de la chose l’aurait emporté de toute manière : rien ne servait plus de tenter ou de s’attacher alors, puisque Londres était si proche. “Jamais... J'ai quitté l'Australie qu'une fois, l'année dernière. C'est lequel le pays que t'as préféré visiter ?” Elle revient au présent d’un bond. “Pas de spas non plus, alors ?” s’aventure-t-elle.

“Le Tibet, je dirais. J’y suis restée près de six semaines et c’était vraiment… Une autre vie. C’est pas du tout ce qui m’aurait convenu au premier abord, mais après y être restée un peu...je me demande comment j’aurais changé, si j’étais restée vivre là-bas.”

Elle le pense sincèrement : les différences culturelles étaient fortes, semblaient parfois infranchissables mais elle avait découvert, en restant dans une famille, qu’ils arrivaient à tisser par-dessus malgré tout. Et l’expérience la renvoyait un peu au présent : la vie la plus simple est décidément la plus heureuse. “T’aimerais faire quoi, comme pays, toi ?” Elle essaie de poursuivre la conversation, lit le désespoir sur le visage d’Isy. La dernière voiture qui s’approche d’eux, alors, elle tente le tout pour le tout, boîte comme une malpropre et se dépêche d’avancer sur le bas-côté pour attirer son attention, avec chance : “Bonsoir, excusez-moi… Je suis malade et… On a besoin d’aller à Windorah dès ce soir. Vous y passez ?”

“Pas de spas non plus, alors ?”  Je hoche la tête en signe de dénégation. Pourtant, de la détente, j'en aurais bien besoin. Je ne sais pas si c'est normal, mais mon cœur bat excessivement vite contre ma poitrine. Il martèle mes côtes sans vergogne et je suis incapable de déterminer si le flou que je perçois voguer à l'horizon est généré par les températures très hautes de la journée ou par mon état de santé. L'excitation est à son paroxysme et j'ai tellement envie qu'une voiture s'arrête et nous embarque que je suis incapable de cesser de brandir mon pouce, plein d'espoir.

“Le Tibet, je dirais. J’y suis restée près de six semaines et c’était vraiment… Une autre vie. C’est pas du tout ce qui m’aurait convenu au premier abord, mais après y être restée un peu...je me demande comment j’aurais changé, si j’étais restée vivre là-bas.” Grace, elle, maîtrise ses nerfs, représente le chill. “T’aimerais faire quoi, comme pays, toi ?” J'ignore si c'est la chaleur qui m'influence, mais spontanément, je réplique : “L'Alaska.”

Une voiture s'approche, j'entends le moteur, je perçois la forme au loin. Les roues crissent sur la route, j'essuie la sueur qui coule sur mon front, ma main libre est tant serrée sur ma gourde que si elle n'était pas faite de métal, j'en altérerai la forme. “Allez, allez, allez, allez...” Je marmonne, incante, prie. Je me trémousse, remue sur place, entame quelques mouvements de danse - ça avait fonctionné, la dernière fois - “Stoppppp ! In the name of...” C'est de nouveau parti pour The Supremes. J'expire. “J'vais me transformer en Mister Farenheit, Grace,” j'annonce, terriblement sérieux. J'ai l'impression que je vais me consumer sur place. La voiture est désormais si proche que je peux en lire la plaque d'immatriculation. Elle ralentit, elle marque un stop à quelques mètres de nous. On y accoure, telle une oasis en plein désert. “Bonsoir, excusez-moi… Je suis malade et… On a besoin d’aller à Windorah dès ce soir. Vous y passez ?” Mon regard se bloque sur mon acolyte, qui use de sa carte handicap  “S'il-vous-plaît,” Je prie, aussi sensible que Tim, comme s'il s'agissait de mon dernier mot, de mon dernier souffle.  Le conducteur a l'air si interloqué et inquiet de la fière équipe que nous composons qu'il acquiesce et nous ouvre la portière côté passager.