Oh que la scène doit être incroyable vu de loin. On est tous parti tête baissée, persuadé qu'il suffisait de monter sur les chameaux pour démarrer la course. Sur le papier, rien ne semblait bien compliqué, on ne nous demandait pas de résoudre des équations à inconnues variables, de créer des formes à la géométrie parfaite dans le sable ou à se lancer dans la résolution d'un problème trigonométrique lancée à vive allure sur le dos d'un chameau. Il suffisait d'en chevaucher un, l'autre coéquipier au sol et d'avance droit devant direction l'Ayers Rock. Et nous voilà tous agglutiné les uns aux autres. Après une énième tentative voilà que Jack Epstein provoque un nouveau carambolage en perdant le contrôle de son véhicule dans un parfait contresens à la circulation. Une légère panique de ma part (oui légère) et Greg qui semble être complètement dans la lune à observer les autres participants. Vraiment, elle est loin mon idée d'une épreuve simple et plaisante. « P’tain mais tu vas t'arrêter ou bien espèce de couillon ?? STOP. » Clairement. C'est la merde.

Heureusement, je finis par retrouver le contrôle de ma monture même si c'est encore un peu bancal. De ma hauteur, je peux observer la scène, aka le carnage, et tente de nous trouver une échappatoire. Je ne suis pas réellement du genre à donner des ordres, mais il faut vraiment que l'on arrive à se sortir de cet attroupement qui c'est créer tout autour de nous. « T'as raison » Surpris par la réaction de Greg je ne peux m'empêcher de l'observer alors qu'il semble se détendre un peu. « Peut-être qu’il aime pas trop le monde, peut-être qu’il préfère avoir sa piste de course rien qu'à lui. » Je hoche la tête tel un enfant. « Il a besoin que tu le guide. » Et soudainement, notre petit plan semble fonctionner à merveille. Aucun de nous deux n'as le temps de comprendre quoique ce soit que BipBip donne de l'allure. C'est qu'il est rapide le petit, tellement qu'on en perd Greg qui est resté scotché sur place. « Tu voulais pas l'attendre hein. » que je plaisante alors que le chameau se met à grommeler. Derrière j'entends Greg qui arrive en courant et qui semble légèrement essoufflé. « Ça va ? » Il ne me répond pas et ne voulant pas le contrarier, je le laisse reprendre doucement le cours des choses. Mais j'ai l'impression qu'il fatigue Greg. J'analyse la situation et remarque que l'on a pris une légère avance, je me racle la gorge. « Tu me passe la bouteille d'eau, s'il te plaît ? » Et alors que je prononce ces quelques mots, BipBip décide de ralentir le pas et même de s'arrêter. Bon c'était pas le programme, mais on va en profiter. Je descends rapidement de ma monture et parle tout aussi vite à Greg, il faudrait ne pas perdre notre avance. « On fait un échange, ça me dérange pas de courir. » Je souris à mon coéquipier pour pas non plus qu'il se sente rabaisser ou je ne sais quoi, mais j'ai compris comment il fonctionne Greg. Il bougonne beaucoup, un vrai ronchon, mais il a un esprit de gagnant. BipBip se montrant coopératif je pense qu'il va largement préféré ce moyen de transport. « Aller fait vite, on a une course à gagner papi ! » Oui, je sais aussi comment lui parler pour réveiller son esprit de compétition maintenant.

Dans toute l’intégralité de sa vie, Sienna en a croisé des pestes. Et Ivy a une place bien confortable dans cette liste de personnes infectes et détestables qui ont pu se mettre au milieu de son chemin. Les teignes de l’équipe adverse de cheerleading, celles qui faisaient partie de son équipe de natation et qui n’arrivaient pas à la voir aussi rapide qu’elles, ou encore celles qui se sont délectées de sa vertigineuse (bon ok, c’est dans l’exagération) chute à la suite d’un porté mal réceptionné pendant un championnat qui lui a valu une douloureuse fracture de la cheville et son rêve de conquérir les championnats nationaux s’éloigner. Elle en avait croisé des pas mal de pestes en tout genre, mais s’il y en avait bien une qui avait du potentiel dans la profession c’était bien Ivy. Ou encore Raelyn, elle méritait également sa place dans le top 3. Même si Sienna est connue pour sa sincérité et son rejet des prises de têtes, Ivy avait le don pour faire ressortir un côté négatif en elle, une facette qui lui donnait envie d’être hargneuse lorsqu’elle était dans les parages et de vociférer des attaques verbales idiotes juste pour l’attaquer. C’était une haine injustifiée, basée sur des préjugés et une mauvaise impression de la jeune femme qu’elle partageait franchement avec Greg. Lui aussi, il ne pouvait pas se la blairer et cela rassurer Sienna. Elle n’était pas folle pour la trouver détestable pour un rien. Mais elle ne doutait pas pour autant de sa redoutable détermination dans cette course, elle était une adversaire de taille.

« Moi aussi j’t’emmerde. » Cracha-t-elle les bras croisés, les yeux levés au ciel. Elle tapait du pied, impatiente d’accélérer, impatiente de voir Ivy, ou celle qui murmurait à l’oreille des chameaux en action. Si elle savait faire mieux qu’elle, soit. Mais par contre, Sienna se ferait un malin plaisir de lui rire au nez si pour elle non plus, les efforts n’étaient pas concluants. « Bah non vu que tu es trop forte, tu vas sans doute réussir à la faire avancer. J’en suis sûre. » Dit-elle avec l’ironie la plus pure du monde. La blonde peroxydée monta sur le dos de la chamelle et claquant la langue afin d’impulser une dynamique à Betty Boop, mais cette dernière avança de quelques mètres avant de s’arrêter et de brouter un petit espace vert avec de l’herbe. Mais c’est qu’elle mangeait pas mal la Betty Boop, c’était presque gargantuesque. Vous leur avez donné à manger à vos chameaux avant la course ? « Hahaha, tu parles de moi mais t’arrives pas à garder son attention sur la course plus de deux minutes. Bon allez Lawrence d’Arabie, chop-chop. » Dit-elle en faisant signe à Ivy d’accélérer. Elle avait râlé ? Elle avait voulu prendre les commandes ? Elle assumerait, mais pas de crise d’impatience Ivy.

@Ivy Waterhouse

Loupiotte était vaillant. Loupiotte était inarrêtable. Loupiotte était l’équivalent de The Flash chez les chameaux. Il cavalait vite, de plus en plus vite, beaucoup trop vite… Si vite que dans un moment d’égarement, Colleen en perdit soudain le contrôle. Encore marquée par l’image de Kelly qui galopait tant bien que mal derrière eux dans l’espoir de les rattraper, il lui suffit d’une seconde d’inattention pour desserrer l’étreinte de ses doigts autour de la bosse, être propulsée subitement par-dessus bord, voir sa vie entière défiler sous ses yeux hébétés et atterrir douloureusement sur le sol dans un nuage de sable et de poussière. Le choc lui coupa le souffle. Elle roula sur le dos, cligna des yeux, demeura un instant paralysée, aussi immobile qu’une momie dans son sarcophage. Mille étoiles dansaient devant son regard. De sa vie, elle n’avait jamais vécu une chute pareille. L’air avait momentanément déserté ses poumons et quand elle parvint enfin à en inspirer une goulée, elle recracha aussitôt du sable. Passé le moment de choc, la douleur se réveilla sur tout le côté droit de son corps, de l’épaule à la cheville. Son visage était couvert de poussière, elle en avait plein les cheveux et la bouche, et même quelques grains dans les yeux qu’elle tenta péniblement de dégager du revers de sa main, en vain.

A quelques mètres de là, Loupiotte avait jeté son dévolu sur des branches d’arbre qu’il mâchouillait goulument. Colleen soupçonna que son appétit l’avait davantage guidé que ses propres encouragements, généreusement glissés à son oreille tout au long de ce début de course. Autour d’eux, le chaos régnait. Un autre chameau était parti au galop – celui de Gregory et Loan, visiblement – tandis que Dalas, qu’ils venaient de dépasser un instant plus tôt, venait de foncer tout droit sur Loupiotte et son repas, provoquant un énième carambolage. Un peu plus loin, un quatrième chameau refusait catégoriquement d’avancer et préférait grignoter – sans doute le frère spirituel de Loupiotte – tandis qu’Isaac venait à son tour de chuter de son chameau.

Kelly parvint à sa hauteur et s’enquit immédiatement de son état. Le nez froncé, l’Anglaise passa une main sur son épaule. « Ça va aller, je suis juste un peu… Sonnée ». Lentement elle se redressa, chaque mouvement lui arrachant une nouvelle grimace. Elle parvint à s’asseoir dans le sable et se massa précautionneusement la tête, laquelle avait aussi pris un coup au moment de la chute. Grace s’approcha du binôme, une lueur inquiète logée dans ses grandes billes brunes. Colleen commença à acquiescer de la tête quand Isaac et elle lui demandèrent si ça allait, puis interrompit aussi vite son geste en grimaçant de plus belle. « Oui, ça va… ». De toute façon, peu importait sa douleur et la gravité de ses blessures, elle n’avait pas la moindre intention d’interrompre la course et de faire perdre à son binôme la longueur d’avance qu’elles avaient prise grâce au départ sur les chapeaux de roues de leur chameau.

Grace saisit le licol de Loupiotte, l’arrachant contre son gré à son goûter, et le ramena auprès de Kelly et Colleen. « Cela dit je veux bien un peu d’eau, puisque tu le proposes ». Elle attrapa la bouteille d’eau que lui proposait la jeune femme et en but une gorgée avant de réunir toutes ses forces et de se relever. « Merci beaucoup ». Elle gratifia la jolie brune d’un sourire puis après s’être épousseté le t-shirt, le short et les genoux, elle se releva laborieusement et fit face à Kelly. « N’appelle pas l’équipe médicale, ça ira, on va se débrouiller ». Elle boîta légèrement sur quelques pas, se mordit l’intérieur de la joue au sang pour faire bonne figure et ne pas montrer sa douleur, puis désigna Loupiotte d’un signe de la tête. « Je veux bien que tu prennes la relève, Kelly, si ça ne te dérange pas ». Qu’elle soit sur le dos du chameau ou à terre, dans tous les cas elle devrait traîner sa carcasse jusqu’au bout et elle doutait qu’une situation soit plus confortable que l’autre. Toutefois elle n’était plus vraiment rassurée à l’idée de grimper sur le dos de Loupiotte et préférait laisser sa place. Elle porta son attention vers le principal intéressé et inclina la tête. Elle avait comme l’impression de déceler une expression désolée sur les traits du camélidé, mais sans doute était-ce le fruit de son imagination – ou alors, elle avait sous-estimé le coup qu’elle avait pris sur la tête. « Hey, Loupiotte, je ne t’en veux pas tu sais. Seulement… Fais attention à ma partenaire, d’accord ? Je te la confie ». Colleen et sa tendance à voir la bonté partout… Même chez les animaux.

@Kelly Ward @Grace Coughlin

C’est n’importe quoi cette course. On avance pas, les candidats tombent tellement de leurs chameaux qu’ils vont sûrement finir par se transformer en schtroumpf à cause de tous les bleus qu’ils vont avoir sur tout le corps. Et là, personne ne dit rien ? Je déteste les gens qui créent cette émission. Déjà, ils changent les binômes, et même si je sais que Martin doit me maudir après que je lui ai hurlé d’arrêter de faire la gueule, j’aurais préféré rester avec lui toute cette semaine que de me coltiner Sienna. Elle monte sur le chameau en premier, et bien évidemment elle choisit la plus chiante. Ce qui se ressemble s’assemble apparemment. Mais ce n’est pas parce que les deux sont aussi chiantes l’une que l’autre qu’elle arrive à la faire avancer plus facilement. Et, tant que le chameau ne bouge pas, je n’ai pas le droit d’avancer, même à pied. Pourtant je l’aurais bien laissé se débrouiller toute seule la brune. Son choix, ses emmerdes. Mais je veux gagner, alors je fais des efforts, je vous jure que j’essaye.

Elle m’emmerde, et je souris en lui envoyant un baiser en montant sur l’animal. Elle est vraiment insupportable, je la déteste. Elle et ses préjugés à la con. “Je peux pas faire pire que toi ça c’est sûr.” Parce que, quand elle était sur l’animal, elle a carrément fait demi tour. Alors je grimpe, et j’espère que tous mes cours d’équitation vont me servir pendant cette aventure. Et elle fait quelques pas donc je souris, avant qu’elle ne s’arrête pour manger de l’herbe. C’est une blague ? Je soupire fortement, j’en ai vraiment marre de ce putain d’animal de merde. Mais je me tais et je ne tourne même pas la tête vers Sienna. “Au moins, elle a pas fait demi-tour.” Un sourire condescendant et je tente de capter de nouveau son attention. Ils pouvaient pas faire les choses bien ? Genre les faire manger, et les dresser ? Parce qu’il n’y a pas un chameau pour rattraper l’autre. Au moins, nous, on est pas tombé. “Faut trouver une solution.” Que je grogne presque pour moi-même. Elle n’écoute sûrement pas de toute façon, donc autant me parler à moi-même pour m’aider à réfléchir.

Ce qui est rassurant, maintenant qu’elle est en solo au milieu de nulle part, c’est qu’elle s’est savamment extirpée de la foule paniquée que constitue leur petite équipe plus loin en arrière. Dans leur panique, les chameaux agitent et soulèvent du sol une fine couche de poussière qui vient se mêler au carnage généré par leurs humains. Grace, elle, s’estime heureuse qu’ils ne puissent pourrir ni ses poumons ni ses orteils. Un peu moins, ceci étant, de devoir être celle qui accoure à la rescousse d’une cavalière esseulée larguée sur le chemin par sa monture. Elle est rapidement rejointe par Isaac et Martin, puis par Jack, dont le chameau éborgné rentre une nouvelle fois en plein dans les fesses de celui de Kelly et Colleen, le licol toujours dans sa main, le matériau rugueux frottant contre son épiderme sensible tandis que l’animal essaie de tirer au flanc. Isaac adresse un salut inquiet à Colleen et le monde s’éparpille à nouveau.

“Franchement, je sais pas pourquoi ils nous font monter sur ces trucs, non plus. Des pétrolettes, ça aurait quand même été beaucoup moins dangereux”, tempête-t-elle en tendant une bouteille d’eau à Colleen.

Elle rend au duo le licol de la chamelle et fronce les sourcils façon Grincheux dans les Schtroumpfs, ostensiblement contrariée par la tournure que prennent les événements. Elle a bien conscience de parler comme un daron inquiet pour son ado, mais Jack et Isaac, ses deux partenaires d’aventure, sont tous les deux suffisamment cabossés pour qu’elle se sente mal à l’aise à l’idée qu’eux aussi fassent une mauvaise chute. Et même si Colleen est techniquement une adversaire, elle n’a pas plus envie que ça de la voir se faire envoyer au casse-pipe à cause d’un chameau difficile à dompter, non plus. En parlant de chameau indiscipliné, Jack revient vers eux en trottinant post-carambolage, et sa partenaire de la semaine le gratifie d’un coup de menton : “Hé, tu me préviens, la prochaine fois que tu veux retourner à Brisbane tout seul, ça marche ?” lui lance la photographe avec un sourire désabusé.

@Colleen Sainsbury @Jack Epstein

Ils sont tous couleur pastèque, à tenter de contrôler leurs chameaux qui ne se laisseront jamais contrôler, justement. Les uns cabotinent et les autres trottinent, ils se foncent dedans et Jack n'est pas en reste, le con qui croyait que leur allié en serait vraiment un. Si l'épreuve de course de chameaux est au menu cette semaine, quel sera le défi de la prochaine qu'il craint, qu'il ressasse, lui qui habituellement n'a peur de rien parce que rien ne l'atteint. Ils les enverront à la rivière aux saumons pour en pécher à foison? Ils leur demanderont de cuisiner du couscous pour nourrir une armée, et de le faire en dix minutes top chrono? Ils les forceront à gober du citron vert jusqu'à ce que leurs yeux baignent illogiquement dans l'acide? Le calme de sa maison à Bayside le tente à un niveau encore tout sauf atteint, comme il se découvre un instinct de protection doublé de compétition quand il maîtrise Dalas - Dimitri? Daenerys? - et lui fait faire demi-tour, de manière à enfin rejoindre Grace, Kelly et Colleen sur le bas côté.

“Hé, tu me préviens, la prochaine fois que tu veux retourner à Brisbane tout seul, ça marche ?”
« Ouais, nah, pas avant d'avoir vu les perséides. »

Il essaie de dédramatiser Jack, son sourire en coin faisant doucement écho à celui de sa binôme pour la semaine. De là-haut, il tente de repérer Colleen, il en oublie le reste du monde entier quand il la voit penchée à l'oreille de son camélidé, qu'elle décide de marcher. « Dis-moi qu'elle va bien. » il exige alors qu'il ne fait jamais ça Epstein, mais il est inquiet. Restant immobile une petite seconde, la course n'a plus trop de sens pour lui si sa partenaire officielle titube et perd pied. Restant stoïque le plus possible, il la couve des yeux à distance, se jurant que si elle faiblit il rendra les rennes à la seconde à Grace qu'elle gagne dignement, alors qu'il se disqualifiera pour Colleen en l'instant.

« Une p'tite minute et après on repart. » ça sonne comme des excuses, ça en est. Tout le monde a le temps de sprinter là, de les dépasser, mais ils ont besoin de remanier leurs esprits là. De se concentrer. Peuvent-ils vraiment gagner?

back to basics:

Je me concentrais sur les paroles qui m'adressait Martin dans l'objectif pieux d'apaiser un maximum mes nerfs et potentiellement ne pas communiquer mon anxiété au camélidé sur lequel j'étais installé. A mesure des pas effectués par l'animal et guidé par mon partenaire, je me détendais progressivement, tentant de faire abstraction à ce qui se déroulait tout autour bien que je lançais quelques coups d’œil inquiets à l'attention de Colleen qui se relevait laborieusement après sa vertigineuse chute. « Bon ça.... Ça a l'air d'aller... » J'articulais dans une tentative d'optimisme bien que l'assurance était souverainement absente dans mon intonation. Je tapotais doucement la peau du bestiau, invoquant complicité.

Quelques binômes avaient aussi opté pour se distancer lors de la course afin d'éviter tout carambolage. Face à l'espace nouvellement libéré d'adversaires, Pegase se sentit soudainement poussée des ailes si bien qu'il s'élança soudainement dans une accélération. Rien de faramineux en soi, mais assez brutale et imprévue pour que je perde l'équilibre sur l'animal et zappe le nouveau carambolage secouant l'équipe de Colleen/Kelly et Ivy/Sienna.

Les secondes qui suivirent m'apparurent comme induites d'un effet de ralenti. Je me sentais glisser lentement mais sûrement de ma monture, aucune prise disponible pour me redresser, Martin situé du mauvais côté pour contrer l'imminent appel que la gravité exerçait insatiablement sur mon corps. Je pouvais presque analyser la scène de la hauteur, m'imaginant très bien tel un pantin lamentablement désarticulé, un poupon de chiffon démuni de force judicieuse. Je serrais en vain le corps du chameau de mes genoux, m'y agrippais autant que possible, priant pour que les secondes encore en suspens me soit favorable pour que l'on puisse m'aider à regrimper correctement entre les bosses. Toutefois, karma cataclysmique oblige, c'est du sable et de la caillasse que je finis par étreindre de mes doigts, un nuage de poussière venant me recouvrir suite au bruit sourd que fit ma silhouette contre le sol.

« Oh pu... » Je prononçais quelques temps plus tard, étourdi, endolori. Le sentiment de m'être transformé en une créature en guimauve m'englobait et je portais une main à ma poitrine en me redressant doucement en position assise. Des éléments de toutes formes dansaient devant mon regard rougis par la poussière : étoiles azurées, cercles écarlates, polygones blêmes, galaxies de points noirs, soleils aveuglants. Au moins, je voyais encore et reprenant peu à peu le contrôle sur mon corps en effectuant un check-up de ce qui fonctionnait correctement et ce qui grinçait, je sollicitais l'aide du kinésithérapeute : « Tu m'donnes un coup de main ? Et toi un coup d'sabot ? » Parce que oui, je comptais bien remonter sur l'animal. Je m'étais engagé dans cette course et je ne lâcherais pas l'affaire sauf cas de force majeure. Ici, bien que je me relevais cahin-caha - en m'appuyant sur Pegase comme Martin, - j'étais bien déterminé à reprendre les rennes du chameau. « Allez pépère, sois sympa mon vieux... » Docile, comme s'il se sentait coupable, Pégase s'inclina et je repris place entre les deux bosses.

L'indignation face à cette situation grandissait en moi au fur et à mesure que les binômes s'insurgent sur les pauvres animaux qui leur sont confiés. J'ai envie de crier, moi aussi, mais sur les humains incapable de comprendre et ressentir les besoins des animaux. Mais ça ne fera que me mettre au même niveau qu'eux et je ne serais pas mieux. Je préfère donc être un médiateur silencieux en parlant doucement et avec tendresse au mirifique Pégase. Celui-ci, d'ailleurs avance donc avec lenteur mais dans un calme incroyable compte tenu de toute cette situation "c'est très bien ce que tu fait" lui cuchottais-je à l'oreille "mais si tu pouvais aller un tout petit peu plus vite ce... "

Je n'ai pas le temps de dire quoique ce soit de plus que Pégase se sent pousser des ailes et accélère subitement. Trop occupé à le suivre au pas de course, je ne remarque la chute d'Isaac seulement lorsque celui-ci laisse échapper un râle. Me retournant, j'ai un accès de panique lorsque je vois la selle vide et tire légèrement sur la corde "ooh! " dis-je à l'attention de l'animal afin qu'il s'immobilise et passe de l'autre côté

"merde Isaac! Ça va ?! " m'inquiètais-je en m'avançant vers lui "j't'ai pourtant dit de pas tomber " rayais-je avec humour pour dédramatiser la situation avant de lui tendre la main.

S'accrochant à moi et au mammifère artiodactyle, l'infirmier parvient à se relever et s'apprête à remonter en selle. J'avoue que, l'espace d'un quart de millième de seconde, j'allais prendre sa place mais je préfère encore me jeter dans la gueule d'un loup (littéralement ) ou être servie en barbecue par des tribus indigènes que de grimper sur un animal.

"allez courage champion" encourageais-je le jeune homme "met le pied à l'étrier et enjambe Peggy " je tapote le dos d'Isaac " t'inquiète pas c'est bientôt fini et après t'auras plus jamais besoin de monter un tel animal " mais tu peux monter autre chose si tu veux allais-je ajouter mais me retiens au dernier moment trouvant cela un peu trop tendacieux et ne connaissant pas assez Isaac pour savoir s'il accepte ce genre d'humour apocryphe.

Il n'en faut pas plus pour que l'apprenti chamelier remonte sur sa monture. Celle-ci, ayant comprit sans problème qu'il s'agissait d'une course, s'emballe un peu trop et, m'arranchant la longe des mains, se met au grand galop "accroche toi ! " hurlait-je à Isaac en commençant à courir dans le sable, espérant ne pas me faire distancer de trop

Décidément, la chance n’était pas au rendez-vous pour le nouveau binôme. Le stress était toujours un peu plus à son comble alors que leur chamelle n’avait toujours pas avancé. Qu’est-ce qui n’allait pas ? Pourquoi le sort s’acharnait sur elles pendant que ça coulait de sources pour tous les autres ? Elle n’avait pas envie d’entraîner Greg dans sa défaite, elle voulait s’en sortir et que cette semaine ne soit qu’un lointain cauchemar. Sienna se remémorait les mots d’Elias qui voulait la voir le plus loin possible. Oui, elle aimerait aussi. Elle était de nature impatiente, mais elle se contenait tant bien que mal pour Greg, pour Martin, pour ne pas être accusée de mauvais comportement sur Betty Boop. Ivy, elle s’en foutait. Ce n’était qu’une ombre au tableau qui venait démonter tous ses plans de victoire avec Greg. Elle osait espérer un revirement de situation, comme il y en avait eu la semaine dernière, où elle et l’ours avait terminé avant-dernier de justesse. Elle espérait aussi une immunité de dernière minute. En fait, elle espérait un peu tout à la fois et risquerait de devenir croyante pour la dixième de l’aventure, si ça continuait.

« Oui, mais elle prend son temps pour manger. » Ivy ne facilitait pas trop les choses non plus. L’atmosphère était plus que tendue et un paquet de clopes ne serait pas suffisant pour Sienna.  D’autant plus qu’avec Ivy, elle n’arrivait pas vraiment à gérer ses nerfs. Elle ne se sentait pas à l’aise, ni très confortable. Elle n’avait pas l’épaule de Greg sur laquelle s’appuyait quand ça n’allait pas. Elle avait vraiment besoin de ses mots pour reprendre du poil de la bête. Mais cette semaine, elle devra faire sans lui. « Attends qu’elle finisse de manger et tu repars. » Le pire dans tout ça, c’est qu’elle était bien contrainte à un moment ou un autre de communiquer avec elle de façon. Comme un binôme et c’était juste totalement bizarre. Quand on sait que trente secondes avant, elles s’envoyaient encore des piques. La production avait bien choisi son binôme mais ils avaient également choisi le binôme éliminé, elle en avait l’impression. Ivy et Sienna ne matchaient pas du tout, et ça vous ne pouvez pas lui enlever. Betty Boop leva le museau de l’herbe et  repartit de plus belle. Sienna sourit, son coeur s’emballe. Betty Boop avait-elle enfin compris qu’elles participaient à une course et que le principe d’une course était de  gagner ? Mais son sourire s’effaça lorsqu’elle se rendit compte qu’elle fonçait tout droit sur Loupiotte, le chameau de Colleen et Kelly. Un énième carambolage. Ivy manqua de faire un salto sur le dos de Betty. C’était presque cocasse, mais Sienna n’avait pas le coeur aux plaisanteries. « J’EN AI MARRE ! ÇA Y EST ! PUTAIN DE CHAMEAU TU VEUX QU’ON PERDE C’EST ÇA ? » Elle donna des coups de pieds dans la terre. Elle avait besoin de se défouler, d’extérioriser. Tout comme Elias l’autre soir. La situation était catastrophique.  « Non, j’rigole Betty c’était pour rire, t’es super mais faudrait que t’avances quand même ! » Dit-elle pour se rattraper devant la caméra.

Spoiler:

Loan et Bip-Bip sont partis à une vitesse folle, je l’avais pas vu venir celle-là. Bip-Bip avait apparemment été inspirée par la ligne droite qui s’offrait à lui, il a apparemment bien aimé être tout seul sans les autres camélidés à côté de lui, sans tous ces humains qui savent autant s’y prendre que nous pour monter sur un chameau et le faire avancer comme on veut. Du coup, je me mets à courir comme un dératé pour rattraper mon retard, ça fait longtemps que j’ai pas sprinté comme ça, sans aucun échauffement ni de course vitesse jogging avant. Mes poumons me brûlent, moi qui ai pourtant l’habitude de courir, et je me dis qu’il va vraiment falloir que je me remette sérieusement au sport. Parce que Race of Australia c’est bien beau, on fait du stop, on boit, on mange, on dort, mais on court pas régulièrement. On court quand il s’agit de rattraper notre retard et d’arriver avant les autres, on court pour choper une voiture qui s’est arrêtée 100 mètres plus loin parce que c’était trop lui demander de s’arrêter pile à notre niveau, on court au tout début du top départ de May pour devancer les autres, mais sinon, le reste du temps, c’est plutôt de la marche pépère, pas un sprint. Quand j’arrive au niveau de Loan, j’essaie de pas paraître trop essoufflé, mais je peine à reprendre mon souffle.

« Ça va ? »

Je le regarde peut-être plus méchamment que ce que j’aurais voulu : est-ce qu’il me demande vraiment si ça va après que j’ai essayé de rattraper le chameau qui court à 60 km/h ? Il est vif Bip-Bip, tout jeune et tout frais encore, pas comme moi. Les mains sur les genoux, je respire vite et fort, il va falloir que je reprenne mon souffle si je veux pas qu’on perde l’avance qu’on a eue là. J’ai du mal à relever la tête, mon regard est fixé sur le sol grumeleux désertique, comme si je pouvais compter tous ces pores dans le sable pour calmer ma respiration. Si c’était sur une plante que j’avais jeté mon dévolu pour reprendre mon souffle, j’aurai dit "un stomate, une inspiration". Là, c’est pareil, "un petit trou, une inspiration". Eh, oh, Greg, t’es un sportif ou quoi ? Je recommande à personne de courir derrière un chameau, ça va presque aussi vite qu’un cheval. Vous vous voyez, vous, courir derrière un cheval ? A quel moment la prod s’est dit que c’était une bonne idée ?

« Tu me passe la bouteille d'eau, s'il te plaît ? »

Oui, parce qu’en plus d’être pépère sur le chameau, c’est moi qui subis tout le poids des bouteilles d’eau. Toujours aussi haletant, je fais balaie l'air de ma main avant de lever deux doigts pour lui dire d’attendre deux minutes. Tant pis si on nous rattrape, moi je vais pas tenir ce rythme-là. Loan doit avoir pitié de moi puisqu’il finit par descendre du chameau pour me proposer d’inverser les rôles, et pour une fois, je suis content qu’on ait pitié de moi. J’ai ma fierté, j’ai mon égo, mais là tout ce que je ressens, ce sont mes poumons en feu. Et Bip-Bip a enfin décidé de se mettre dans la course pour nous aider. Je relève finalement la tête pour lui offrir un sourire. « Merc… » « Aller fait vite, on a une course à gagner papi ! » Alors là c’est se foutre de ma gueule ? Papi ? Il peut se le foutre dans le cul le merci que j’allais lui donner. « On verra si t’arriveras à courir derrière le chameau, fais le malin ouais. » Il s’est dit qu’il avait le droit de manquer de respect à ses aînés ? Non mais c’est quoi ça ? Je grimpe sur Bip-Bip, tape sur son encolure pour le féliciter de nous avoir fait avancer un peu, et me penche sur le côté pour chuchoter : « Je sais que tu peux nous faire gagner, hein Bip-Bip ? » Quand est-ce que je suis devenu le nouvel homme qui murmurait à l’oreille des chameaux ?