Birdie ne peut pas comprendre ce qui lui semble stupide en premier lieu. Une tombe, ça parle. C’est habité, il y a quelqu’un dedans, c’est la maison d’une pauvre âme pour le restant de ses jours. Alors non, Heather, c’est toi qui ne comprends pas, pas l’inverse. Cette expression n’a pas de sens. Et une carpe, c’est quoi, exactement ? Birdie ne se rappelle pas d’avoir déjà entendu parler de ‘‘carpe’’. Mais elle laisse couler. Le mot à retenir, c’est ‘‘muette’’ et dans les deux contextes, la blonde a compris qu’elle n’en dira rien. Il faut protéger la dague pour qu’elle puisse la protéger elle en retour, c’est aussi simple que ça. Puis Heather lui dit qu’on raconte des bêtises sur elle alors la seule chose que Cadburry rétorque, c’est un petit « d’accord ». Si Heather ne veut pas en parler, ce n’est pas elle qui insistera. Sinon, c’est peut–être Heather qui la maudire et c’est Heather qui risque de lui porter le mauvais œil – on n’est jamais trop prudent.

Puis elle manque de dégringoler, tout ça parce que sa maladresse a laissé un vêtement s’enrouler autour de sa cheville. Mais Heather se tient pile où il faut, quand il faut et c’est à son bras que Birdie se raccroche pour éviter d’aller finir par faire la bise au plancher poussiéreux. Son amie la rééquilibre sur ses jambes en la prenant par les épaules, droite devant elle, le regard dans le sien. Ses mots paraissent durs, Birdie a un voile de culpabilité alors que ses yeux dérivent de ceux d’Heather, presque honteuse que cette dernière ait à réagir comme ça pour la calmer. Elle panique beaucoup trop fort, beaucoup trop vite, Birdie. Elle ravale sa salive, Heather attrape une robe et elle finit par hocher la tête parce qu’Heather a ce ton qu’on n’a pas envie de contrarier. « D’accord » qu’elle répète de nouveau tout en serrant la robe choisie contre elle, ne cherchant même pas à poser un véto dessus. « Je veux pas être belle, je veux juste être invisible, Heather. C’est possible ? »

Le sourire d’Heather ne calme en rien le tourbillon de problèmes qui se faufile dans la tête de Cadburry mais ça a au moins le luxe de la faire sourire brièvement en retour, un relâchement de sa mâchoire que ses membres approuvent et qui fait du bien. Heather a l’œil qui brille d’un sentiment presque protecteur et maternel, Birdie se sentant comme une enfant qui a peur d’aller à l’école le jour de la rentrée. Et dans un sens, c’est le cas. Birdie est terrifiée, elle a l’impression qu’il y a une cage aux fauves qui l’y attend et qu’elle va se faire manger et disparaitre en cinq minutes. Mais Heather n’est pas capable d’une telle traitrise, elle ne joue pas un double jeu, pas quand elle a cette expression au visage et qu’elle lui murmure qu’elle n’a rien à craindre. Ce n’est pas mensonger, aucune trahison se profile devant elle et Birdie a envie de croire que Heather n’est pas Judas, qu’elle ne va pas la trahir et qu’elle n’est pas en train de lui raconter des calomnies juste pour l’attirer dans une obscure manœuvre d’élimination de sa personne.

Alors Birdie fait preuve de sagesse, elle essaie de foutre au placard ses peurs et elle part se changer. La robe est assez discrète mais la personnalité qu’il y a dedans sera tout de même remarqué. Elle vient docilement suivre les gestes d’Heather qui l’installe pour qu’elle puisse s’occuper de ses cheveux – qui n’ont pas vu l’ombre de l’eau depuis visiblement des jours. Et encore moins celui d’un peigne, à en juger par les nœuds et les piques ici et là. « Je suis pas obligée de rester tout de le temps, de toute façon ? » Si elle se sent étouffée, qu’elle a un malaise qui la prend, qu’elle a besoin de partir, elle peut le faire ? Personne pour l’y empêcher, pas d’obligation ? « Pourquoi y a un bal ? » Voilà longtemps qu’il n’y en avait pas eu un. Ou alors, c’est juste que Birdie n’y a jamais foutu les pieds qui fait qu’elle ne s’en rappelle plus.

Birdie pourrait presque commencer à ressembler à quelqu’un de normal, d’agréable, de lambda. Portant uniquement une robe la plus simple et la plus épeurée qu’elle possède, ses cheveux étant au bon soin d’Heather, elle devrait pouvoir se fondre dans la masse facilement, n’est–ce pas ? « Les gens m’ont peut–être oublié. Ils se rappellent plus à quoi je ressemble. » Qu’elle pense à voix haute. Après tout, voilà bien longtemps qu’elle n’est pas sortie de chez elle. Les chimères que l’on évoque, ce ne sont que des rumeurs, que des parjures qui sont lancés par des bonimenteurs et autres délateurs qui pensent agir au nom d’une quelconque force extérieure. Sûrement au nom de dieu, comme toujours et encore. Un être que personne n’a vu mais qu’on prie tandis qu’elle, on la prend pour une folle quand elle voit des choses.

Heather la rassure en lui confirmant qu’elle peut partir à tout moment et Birdie lâche un soupir de soulagement. Puis elle évoque la raison du bal et Birdie hoche la tête, silencieusement. Il faut bien plusieurs minutes de lutte pour son amie avant que cette dernière réussisse à la rendre présentable. « Merci, Heather. » Cadburry ne prend même pas la peine de se regarder, elle n’aime pas voir son reflet de toute façon, les miroirs la terrifiant car elle y voit souvent plus que sa propre apparence. « Va y avoir tout le monde, vraiment ? » Même son frère ? Même Malachi ? Même la troupe du shérif ? Elle n’aime pas ça, Birdie, ça reste une très mauvaise idée. Elle se torture les doigts entre eux. « Bon, l’heure est passée, on va être en avance, en retard ? Il faut venir avec quelque chose ? » Même si Birdie doute qu’ils acceptent de manger un plat qu’elle aurait même seulement acheté à l’épicerie du village.

Sa tête ne ressemble plus à un porc-épic, c’est presque un miracle que vient d’accomplir Heather. Voilà bien longtemps que ses cheveux n’ont pas été coiffé de la sorte et c’est presque agréable de se sentir presque normale. Même si la notion de normalité reste un concept abstrait et propre à chacun. Et qu’importe les tenues et les coiffures, Birdie est persuadée que ça ne changera rien du tout. Heather essaie (encore) de la brosser dans le sens du poil, en la flattant mais ça la fout plutôt mal à l’aise, la blonde, parce qu’elle ne veut pas de commentaire négatif ni même positif ; elle veut juste se fondre dans le décor et qu’on l’oublie, qu’on l’ignore, qu’on la laisse vivre. Elle n’est pas spécialement belle, on lui a même dit qu’elle avait la perversion au fond de la rétine. Avant de lui foutre de l’eau bénite sur la tronche et de lui hurler des absurdités sans aucun sens. Alors Birdie espère vraiment qu’elle va passer inaperçue, cela sera bien mieux pour tout le monde, surtout pour elle.

« Okay. J’espère que certains d’entre eux seront là. » Ceux qu’ils peuvent la comprendre, la supporter, la protéger, un peu comme Heather. Qui ne la prenne pas pour une folle furieuse mais qu’elle n’ose jamais déranger de peur de leur attirer malheur. Alors forcément, Birdie espère que certains seront là, sa famille par exemple, Will aussi, Malachi peut–être. S’ils sont là, elle pourra peut-être se réjouir qu’elle ait plus de dos que seulement Heather vers qui se cacher s’il y a besoin. Birdie a malheureusement appris à élaborer les plans de secours au cours de sa périlleuse petite existence. Cadburry prend son sac, un petit fourre-tout coloré à frange où elle fout sa dague, sa poupée et une patte de lapin. On n’est jamais trop prudente. « J’imagine que ça va être dans la salle des fêtes ? Ou ils ont opté pour l’extérieur ? J’espère l’extérieur. » C’est plus respirable et ce n’est pas un endroit clos. La solution parfaite en somme, pense–t–elle en se dirigeant vers la porte pour sortir de chez elle et se prendre les derniers rayons du soleil. « Heather, si jamais il arrive un truc bizarre, quoique ce soit, faut que tu me ramènes chez moi. Si jamais je suis pas capable moi–même. » Mieux vaut prévenir que guérir, après tout.

Elles sont deux à espérer alors. Birdie plus fort qu’Heather sûrement. La jolie blonde n’est pas rassurée, elle n’est pas prête pour le monde extérieur – ou alors est–ce que c’est l’inverse et c’est cela qui l’angoisse plus ? Rien n’est moins sûr, tout est incertain, son comportement, ses réactions, les voix, les esprits, les gens, tout n’est que confusion, un flou total, un point d’interrogation. Birdie n’aime pas être mise au pied du mur comme ça, elle a les boyaux qui se tordent et elle se raccroche à son sac si fort que ses phalanges blanchissent. C’est dans ces moments–là qu’elle aurait préféré qu’Heather ne se rappelle pas d’elle, qu’elle se dit qu’elle aurait dû prendre ses affaires et disparaitre. Se perdre dans les hauteurs de la montagne, y périr peut–être, cela n’aurait pas été une grande perte pour l’humanité. Au contraire, même.

Mais voilà, Heather a pensé à elle (sous couvert que les autres aussi), elle l’a habillé et coiffé et voilà qu’elles se dirigent vers le lieu du bal. Une salle fermée, la hantise suprême. On ne peut pas lui reprocher de venir équiper. Pas quand une des rares et dernières fois qu’elle s’est rendue à une soirée comme celle–là, elle avait été prise entre un mur complètement démunie. Hors de question que cela recommence. « J’aurai préféré dehors quand même. » Elle ronchonne doucement, Birdie, tenant son sac en bandoulière contre elle, les yeux aux aguets autour d’elle. Elles arrivent là où il y a du monde, des gens, de la foule qui se pressent et qui se tassent et Birdie ralentit le pas. Mais Heather l’entraine dans son sillage, elle salue des gens alors que Birdie ne fait que garder la tête baissée. « Si je te dis que non, tu vas faire quoi ? J’ai le droit de rentrer ? On m’a vu, je suis venue, je peux repartir, non ? » Si seulement c’était aussi simple.

Dès l'instant où elles rentrent dans l'endroit restreint qui la tétaniserait presque, les iris de Birdie s'affolent dans leurs orbites alors qu'ils observent tout ce qu'il se passe. Ils observent avec prudence les gens qui tournent la tête vers eux, ils regardent avec une curiosité dissimulée les murs décorés, et le plafond aussi. Tout a été fait pour que l'on voit que la ville marque un nouvel âge, qu'on flatte l'ancienneté de leur territoire et Birdie pourrait se sentir gonfler de fierté. Presque mais pas assurément. Pas quand traînent sur elle des observations, des commentaires, des interrogations. Elle est la bête du village, elle est persuadée qu'Heather n'est pas au courant mais elle va être moquée et prise pour cible.

Manger gratuitement, voilà une raison qui lui semble valable. Son corps approuve car son veste rumine légèrement. Mais danser ? "Je danse pas, Heather. Jamais. Hors de question. Je veux pas." Ses pieds vont s'emmêler, elle va tomber et ils riront d'elle. Il n'est pas envisageable qu'elle se montre en spectacle. Birdie a assez de difficultés à retenir son esprit, à contrôler ce qu'il se passe dans sa tête sans en plus en rajouter à l'angoisse qui la tenaille. "Je peux prendre de la nourriture et me foutre dans un coin. Celui là, là bas. Il est bien, il est discret et il est proche de l'entrée." Ou de la sortie, tout est une question de point de vue. Mais cela lui semble un bon plan, à Birdie.

Alors elle se tourne, bien décidée à aller vers le buffet pour les provisions et aller se perdre dans son coin. Mais Birdie le fait avec trop d'entrain, un moment furtif d'enthousiasme sans la perspective de faire son trou qui la fait rencontrer le corps d'une autre personne, en plein fouet et sans crier garde, renversant du liquide entre les deux.

Cadburry commence bien la soirée.

Win : c'est Ashmaël, le petit lourd du village, un verre d'alcool à la main, qui commence à faire du rentre dedans à Heather avant de se tourner vers Birdie "c'est qui, ce joli visage ?"
So close : c'est une demoiselle qui peste que sa robe soit tachée et qui la toise en plus de la menacer avant de remarquer avec qui elle est accompagnée. "Heather. Je vois que t'es venue accompagnée… D'une cavalière." dit-elle avec un ton et une expression sarcastique. Birdie regarde les deux filles d'un œil inquiétant. Rachel ?  
Fail : c'est le pasteur du village qui tenait de l'eau qui voit Birdie, s'arrête devant elle, provoquant l'effroi de la concernée. Il s'accroche à sa croix tout en demandant "qu'est ce qu'elle fait ici ?" comme si elle ne l'entend pas. Mais elle ne songe pas à ouvrir la bouche et se planque à moitié derrière Heather.

Elle s’entend avec tout le monde - ou presque - Heather. Elle est comme un poisson dans l’eau, à dire bonjour aux têtes qu’elle connait, à sourire poliment à ceux dont elle n’a que connaissance. Elle est d’une aisance folle, Heather, et Birdie l’envie. Elle l’envie d’être jolie, d’être confiante, d’être visiblement appréciée par la plupart des gens présent dans la salle. Elle est admirative qu’elle soit venue la chercher elle, la recluse du village, alors que son amie est tout son contraire. Comment est-ce qu’elle a réussi à se faire violence pour lui demander de venir? Birdie ne saura jamais, elle ne posera pas ce genre de questions parce que la réponse peut être soit hypocrite soit cassante ou pire, honnête et blessante. Alors Birdie ne dit rien, elle se contente de regarder autour d’elle sans se faire voir, elle tente de se rappeler qui est qui - mais ça, c’est peine perdue. En général, on la reconnaît plus facilement elle que l’inverse et c’est totalement désarmant et paniquant.

Birdie s’en allait vers le bar, Heather lui lançait un effroyable ‘je te rejoins’ ce qui signifie clairement qu’elle va la laisser seule pendant quelques longues et atroces minutes. Mais ça, c’est avant de rentrer en collision avec un autre humain, ce qui surprend les deux personnes en cause, faisant gicler un liquide rouge vif sur la robe des deux demoiselles. Et si Birdie ne réagit pas plus que ça - si elle se tétanise, elle devrait devenir invisible, pas vrai? - l’autre commence à tempêter, à râler, à menacer avant de s’interrompre brusquement, les yeux posés derrière Birdie, sur Heather. Cette dernière réplique alors que Birdie ne sait plus où se mettre. Elle a un sourire vague qui se veut amusé mais sans le montrer qui flâne aux lèvres alors qu’elle recule le plus silencieusement que possible pour ne plus se retrouver dans leur ligne de mire à toutes les deux. La réplique d’Heather a dû mettre l’autre en furie car elle s’avance d’elle en pointant du doigt. “Tu diras à ta copine qu’elle me doit une robe.” Comme si la copine en question n’est toujours pas là. “C’est elle, la fameuse Birdie? Et ben, ça se voit qu’elle est pas sortie de sa cage depuis un moment. Et ça se sent, aussi. Elle vient faire un tour de passe passe pour les enfants?” Birdie ne se rappelle pas de cette Rachel mais il est clair d’une chose ; elle ne l’aime pas non plus.