Elle a raison la blonde. Les gens d’ici semblent être défoncés et coincés dans les années 70. Elle se demande si quelqu’un d’autre que le barman les remarquerait si elles finissaient par dessiner leurs lignes blanches sur le bar. Elle s’en fiche de comment elles vont prendre leur dose, la seule chose qui importe c’est que Jill finisse par ressentir les effet de cette drogue qu’elle n’a pas vu depuis des mois. “Je vois pas pourquoi les gens perdent leur temps dans ce genre de soirée.” Elle ne voit pas à quel moment ils peuvent réellement s’amuser. Ce n’est pas son problème et elle décide de secouer la tête avant de se concentrer de nouveau sur sa partenaire de soirée. Elle serre les dents, essaie de ne pas montrer son impatience, elle pourrait en jouer Raelyn si elle n’était pas aussi défoncée.

Jill laisse naître un sourire au coin de ses lèvres. “J’ai pas besoin de quelque chose de moins fort.” Elle le reconnaît le ton de défi dans la voix de la blonde. Elle la suivra ce soir, elle arrivera peut-être même à tenir mieux qu’elle, elle s’en donne le défi en tout cas. Ce défi est tout sauf une bonne idée, mais ce soir, c’est la soirée des mauvaises idées. Elle suit la blonde dans un coin de la salle et la regarde faire. Elle est renvoyée des mois, des années en arrière en seulement quelques secondes. Raelyn prend une cuillère et ramène la poudre jusqu’à son nez une première fois. Jill penche légèrement la tête avec envie et inquiétude, elle va vraiment retomber dans ses vieux travers ? Oui. Elle respire calmement et regarde une nouvelle fois autour d’elles pour être sûr qu’elles ne sont pas surveillées. Jill hoche la tête, attrape la cuillère et observe la poudre blanche dans la bouteille. Ses vieux réflexes reprennent le dessus et la voilà qui reproduit les même gestes que la blonde. Elle bouche sa narine et aspire de l’autre avant de poser sa tête contre le mur en fermant les yeux. Un soupire rempli de plénitude “Putain…” Ca fait des mois qu’elle luttait contre tout ça, et, tout à coup, ses problèmes semblent être bien loin d’elle. Elle ne se préoccupe que de cette cuillère qu’elle espère pouvoir remplir de nouveau rapidement de cocaïne.

« Je vois pas pourquoi les gens perdent leur temps dans ce genre de soirée. » Me concernant, j’ignore ce qui m’a poussée à m'acquitter des frais d'entrée et à pousser la porte du gymnase transformé en soirée ringarde. Après avoir erré dehors et de nuit, seule et sous les effets de la cocaïne, suppose que j’ai eu besoin de me rassurer, effrayée par les ombres que j’ai rêvées à cause des effets secondaires de ma drogue. Elles m’ont angoissée et, soumise aux affres de la paranoïa et de l’angoisse je me suis imaginée suivie depuis la boîte de nuit. Je n’ai pas envie de me mélanger aux curieux personnage déguisés qui se trémoussent sur la piste de danser mais eux au moins m’ont semblés inoffensifs. « Qu’est ce que tu fous là toi ? C’est pas vraiment le genre d’endroit où je m’attendais à te trouver. » Je ne m’attendais pas à la voir du tout à vrai dire, mais si j’avais dû parier sur un lieu en particulier cela n’aurait pas été celui ci.

« J’ai pas besoin de quelque chose de moins fort. » Je la provoque et elle entre dans mon jeu Jill. Notre relation, simulacre d’amitié, a toujours été malsaine, et je me targue d’avoir toujours eu le dessus sur elle. Elle est influençable puisqu’elle aime être appréciée Jill au fond d’elle, derrière ses airs durs et, le réalisant, j’ai vite pris le dessus sur elle. Cette fois ci elle chercher à prouver quelque chose, à elle ou à moi, ça n’a pas d’importance, et à nouveau j’en profite pour la pousser dans ses retranchements. « Allez suis moi, c’est ton jour de chance. » J’agite une carotte devant son nez et, sans sembler hésiter, elle me suis jusqu’à l’autre côté de la salle. Quand la fiole passe entre ses doigts, elle n’hésite guère. « Putain… » J’esquisse un sourire, en proie à l’euphorie, avant de m’appuyer contre le mur et de basculer la tête en arrière. « Comme ça que t’imaginais la soirée en sortant de chez toi ? C’est où chez toi d’ailleurs, vu que tu t’es barrée ? »  

Elle observe autour d’elle en essayant de ne pas penser à ce qui traîne dans la poche de la blonde. Elle ne demande pas pourquoi elle n’a qu’une seule drogue sur elle, ce n’est pas habituel venant de Raelyn. Dans ses souvenirs, Jill voit Rae comme celle qui avait justement tout sauf de la cocaïne entre ses mains. Les gens changent et évoluent à leur manière apparemment. La soirée est à part, et Jill se demande bien ce qu’elles font toutes les deux ici. “Je voulais rencontrer personne que je connaissais.” Elle sourit en secouant la tête. “C’est quand même improbable de te rencontrer ici.” Jill hoche la tête, elle était justement ici pour ne pas voir de visage connu. Mais le destin en a décidé autrement, il a décidé que c’était ce soir qu’elle craquait et qu’elle allait rechuter à cause de ses vieux démons.

Elles bougent, elles s'éloignent et trouvent un coin où personne ne peut les voir. Elle a l’impression d’être une adolescente qui doit surveiller les alentours jusqu’à ce que ce soit à elle d’avoir la cuillère entre les mains. “J’espère que c’est de la bonne qualité.” Le sourcil de Jill se hausse, elle sait que la blonde ne prendrait pas n’importe quoi. Les secondes passent, elle sent la drogue imprégner chaque parcelle de sa peau. Elle sent l’explosion dans sa tête, l’euphorie, l’énergie, et elle est la reine du monde. Elle a envie de faire toutes les folies possibles et imaginables, elle n’a plus de limites, et ce n’est que le début de la soirée. “Non…” Elle ne ment pas, elle ne savait même pas si elle finirait par se résoudre à finir un verre d’alcool. Sa tête est lourde et elle la laisse glisser contre le mur en tournant la tête pour capter le regard de Raelyn. “”Un peu partout…” Elle ne dort plus à la maison depuis 2 jours, elle a squatté le lit d’Ezra en s’échappant assez tôt pour que Dorian ne la voit pas. Elle est de retour à la case départ, elle n’a même plus de chez elle.

« Je voulais rencontrer personne que je connaissais. » Ceci explique cela et je me sens presque comme privilégiée d’être témoin des errances de la jeune femme, celles qu’elle a tenté de cacher à tous ses proches mais sur lequelles je suis tombée par hasard alors que je suis certainement la dernière personne qu’elle aurait voulu voir là. « C’est quand même improbable de te rencontrer ici. » Je hoche la tête. « Je sais même pas ce que je fais ici. » Je lui montre le dos de ma main sur lequel on distingue le tampon de la soirée. « Moi j’ai ça, alors je suppose que j’ai dû payer, à un moment ou à un autre. » Je ris comme une enfant, je ris comme si je venais de lui dire la blague la plus drôle qui soit avant de l’entraîner à l’autre bout de la salle pour qu’elle puisse rire elle aussi.

« J’espère que c’est de la bonne qualité. » Je me sens presque insultée et je relève vivement la tête vers elle, un sourire sur les lèvres. « Tu me prends pour qui ? Une débutante ? » Elle ne connaît pas les tenants et les aboutissants de mon activité criminelles, mais elle sait que je ne suis pas une petite étudiante qui se drogue pour ressentir quelque chose et qui se fournit auprès d’un camarade de classe. « Non… » « T’imaginais quoi alors ? » Je suis curieuse. Je suis survoltée. Je suis fatiguée aussi. J’ai envie d’aller danser mais j’ai envie d’être seule alors finalement, je m’en remets presque à Jill. « Un peu partout… » « C’est pas une réponse ça McGrath. » C’est à peine une réponse. « Tu bois, tu fumes, tu sniffe et tu dors un peu partout. Y’a pas grand chose qui a changé depuis 2009 finalement. » Sauf que pour moi, tout a changé.

L’endroit ne leur correspond pas. Il y a une différence entre les deux jeunes femmes. L’une est entrée ici pour ne voir personne, l’autre ne sait même pas ce qui l’a mené jusqu’au bar de cette soirée miteuse. La mémoire de Raelyn semble lui faire défaut tant elle est loin de tout grâce à la drogue. “Au moins tu t’es trouvée une partenaire de soirée.” Elle sait qu’elle n’en a pas besoin, que, comme elle, Raelyn est capable de s’éclater tout le long d’une soirée sans personne. Elles sont indépendantes, ça c’est un point commun. Elles se déplacent, s’éloignent du bar et de la foule pour pouvoir prendre leurs doses sans personne pour les observer.

Elle a craqué Jill, et la sensation de la rechute est délicieuse. Elle sent ses pupilles qui se dilatent, son coeur qui bat un peu plus fort et les vibrations qu’elle ressent jusqu’au bout de ses orteils. Elle a envie de voyager, de courir, de voler, de faire absolument tout ce qu’il est possible d’imaginer. Mais, pour le moment, elle ne bouge pas. Sa tête reste appuyée sur le mur comme si elle était trop lourde pour que Jill puisse la tenir droite toute seule. Ca ne fait que commencer, elle sait que bientôt elle ne tiendra plus en place. “J’imaginais rester devant mon verre en me demandant si j’allais finir par le boire.” C’est ce qu’elle faisait depuis le début de la soirée, et c’est maintenant qu’elle se rend compte à quel point ce plan était stupide. Jill ne vit plus chez elle, Jill a des enfants dont elle ne s’occupe pas, Jill a une alliance au doigt alors que celui qui devait porte la deuxième l’a enlevé hier, Jill plonge encore et toujours un peu plus profond sans savoir si elle arrivera à remonter un jour. Elle grogne, ce n’est pas une réponse. “J’ai squatté chez un pote hier, et j’en trouverai sûrement un autre ce soir.” S’il le faut elle ira jusqu’à chez sa soeur pour ne pas dormir dehors. “Tu te balades dans la ville, t’es défoncée, on fait une soirée ensemble. T’as raison, rien a changé en 11 ans.” Tout a changé, absolument tout. Pourtant, elles se tirent vers le bas à chaque fois qu’elles se croisent.

« Au moins tu t’es trouvée une partenaire de soirée. » Je n’en ai jamais eu besoin : j’ai souvent été un oiseau de nuit solitaire. Au fil des années j’ai appartenu à diverses groupes sans jamais considérer qui que ce soit comme m’étant proche et surtout me séparant d’eux à la première occasion, la plupart du temps lassée par les défauts et les traits de caractère de chacun. Je lâchais un groupe pour un autre, profitais tant que je pouvais profiter, avant de tirer ma révérence et de disparaître sans réellement manquer à personne pour quoi que ce soit d’autres que mes entrées dans tous les lieux prisés de la ville. « Comme si j’avais besoin de partenaire de soirée. » Peut-être que je voulais être seule, après tout.

Voir Jill rechuter est aussi délicieux que mes propres sensations. Je suis ramenée des années en arrière quand on ne se droguait que pour le plaisir, pas pour oublier. « J’imaginais rester devant mon verre en me demandant si j’allais finir par le boire. » « C’est un plan de soirée assez foireux. » Pourtant, je suis presque hilare. Sous les effets de la drogue, mon sourire s’étend jusqu’aux oreilles et je penche la tête vers elle. « J’ai squatté chez un pote hier, et j’en trouverai sûrement un autre ce soir. » « Commence à y penser tout de suite, parce que je fais pas refuge pour les chiens errants. » Ça aussi, c’est susceptible de changer en fonction de mon état. Quand j’oublierais qu’elle peut tomber sur des photos d’Amos dans le moindre de mes tiroirs, il adorait les y dissimuler pour capturer la surprise sur mon visage et ma moue boudeuse lorsque je tombais dessus. « Tu te balades dans la ville, t’es défoncée, on fait une soirée ensemble. T’as raison, rien a changé en 11 ans. » Et pourtant, je me sens à des années lumières de tout ça. Je me sens plus vieille, plus fatiguée, et je ne peux nier que tout ça m’amuse bien moins qu’à cette époque. « Sauf toi : les kilos de grossesse ça te réussi pas. »

Le coin est sombre, et elles sont en train de créer leur soirée loin de la première. Personne ne les observe, ils sont tous bien trop occupés à danser et à s’extasier devant les différentes tenues. Jill hausse les épaules. Si elle n’avait pas voulu la voir elle aurait pu partir ou faire sa soirée de son côté, mais ce n’est pas ce qu’il s’est passé. Elles sont restées toutes les deux le temps d’une seule soirée, avant de s’oublier pendant des années.

Elle a vraiment craqué, l’alcool et la drogue parcourent maintenant ses veines. Ses yeux sont grands ouverts, à l’affût de tout et elle essaie de se concentrer sur sa conversation avec Raelyn. Elle ne sait pas ce qu’elles vont faire, mais Jill n’a aucune envie de devoir trouver un nouveau canapé pour la soirée. Elle va profiter, même si la blonde décide de ne pas la suivre. Elle hoche la tête frénétiquement avant d’éclater de rire. Son plan était foireux, mais elle a pris un autre chemin. Un chemin qu’elle regrettera le lendemain, ou quand elle devra avouer à Bailey qu’elle a rechuté en plus d’avoir arrêté son traitement. “J’ai le temps pour ça…” Elle ne veut pas penser à la fin de cette nuit et à l’endroit où elle pourra dormir. “Ca fait des années que j’ai pas dormi à la belle étoile.” Ses yeux s’écarquillent comme si elle avait eu la meilleure idée de tous les temps. Ses plans ont le temps de changer 1000 fois au cours de la soirée, et elle compte bien se laisser porter par la dynamique de la nuit.

Jill fronce le nez, elle sait qu’elle a des kilos en trop à cause de la grossesse, kilos qu’elle va perdre le plus rapidement possible pour récupérer son corps d’antan. Elle grogne et regarde le plafond. Elle n’a pas mis les robes sexys qu’elle mettait avant, elle se cache un peu, mais ce soir, elle sent que les complexe vont s’envoler grâce à la poudre blanche. “J’ai pris ce que toi t’as perdu.” Elle est squelettique la blonde, encore plus que dans son souvenir.

Evidemment que si j’avais voulu lâché Jill je l’aurais déjà fait. Elle n’aurait pas eu le temps de m’approcher que je l’aurais déjà envoyée sur les roses et finalement, même si on a changé, même si on est plus les enfant qu’on était quand on s’est rencontrées, elle me connaît encore assez pour être sûre de ça. Elle dit rien, elle prend même pas la peine de répondre et je réalise à quel point ça sonnait faux. Est-ce que j’ai réellement envie de passer du temps avec elle ? Non, elle ou une autre, je m’en fiche royalement. Mais je n’ai pas envie de la passer seule, cette fin de soirée, je n’ai pas envie de rentrer chez moi et d’affronter le vide de mon appartement et de devoir consommer plus encore pour être capable de vivre avec.

Alors non seulement je la supporte, mais en plus je sais déjà que je lui offrirait le gîte ce soir si elle est désespérée, si elle en fait la demande, ou même si elle me suit jusqu’à chez moi comme un chien errant sans trop rien dire. Elle dormira sur le canapé et elle aura pour consigne d’être partie avant que je ne me lève, mais sa présence dans l’appartement m’aidera à ne pas penser à l’absence d’un autre. « J’ai le temps pour ça… » « J’ai aucune idée de l’heure qu’il est. » Je regarde juste les lumières qui m’éblouissent et qui me semblent être de toutes les couleurs de l’arc en ciel, sans que je ne sache si c’est vraiment le cas ou si je suis en plein trip. « Ça fait des années que j’ai pas dormi à la belle étoile. » « Tes parents sont pas blindés à toi ? Pourquoi tu prend pas une chambre d’hôtel ? » Parce que ce serait accepter la réalité, certainement. « J’ai pris ce que toi t’as perdu. » Je jette un oeil à mes poignets, je ne baisse pas le regard vers mes cuisses. Elle exagère Jill, on ne ressemble pas à un squelette en quinze jours de consommation mais je dois bien avouer que je me nourris en grande partie de poudre blanche, il n’y a plus qu’elle qui compte, autant que de respirer, plus que de boire ou de manger. « Ouais je teste le jeun intermittent, j’ai jamais autant été en forme. »

Elle profite des effets, de la lumière et de la musique qui la fait vibrer de l’intérieur. Elle ressent toutes les basses d’une manière qu’elle adore, ça pourrait être n’importe quelle musique, elle l’apprécierait. Elle a envie de bouger la tête dans tous les sens, de sautiller comme une gamine le matin de Noël. Mais son corps ne fait rien, elle ne fait que ressentir chacun des effets comme si c’était la dernière fois qu’elle se droguait. C’est peut-être la vérité. “C’est pas important.” L’heure, le jour, le mois ou même l’année. Elle s’en fiche, et elle sait que Raelyn aussi. Elles vivent pour les mêmes choses à cet instant, pour les mêmes sensations. Cette envie de vivre comme si c’était la dernière fois qu’elles allaient profiter de la vie et de ce qu’elle aime.

Raelyn parle des parents McGrath et elle serre les dents la brune. Elle les a vu il y a quelques semaines, et elle les déteste à chaque fois un peu plus. Ils sont affreux, et c’est typiquement le genre de personnes qui n’auraient jamais dû avoir d’enfants. C’est certainement pour ça qu’elle est aussi terrifiée, comment elle pourrait être une bonne mère alors que tous ses exemples, toutes les personnes qui l’ont élevé ne lui ont donné aucun des bons codes pour rendre un enfant heureux et épanoui ? Elle secoue la tête, ce n’est pas le moment de penser à tout ça, elle veut oublier. “Je préfère mourir de froid dans la rue que leur demander quoi que ce soit.” Ils ne lui donneraient rien de toute façon, et elle ne compte pas demander à Bailey de l’aider. Elle va se débrouiller seule, comme elle le fait depuis toujours. “tant que tu finis pas par t’écrouler devant mes yeux tu peux bien manger ce que tu veux.” Elle ne gèrera pas un nouveau drama ce soir, elle l’a déjà dit. “J’ai envie de bouger, on peut pas rester là.” Elle a bien trop d’énergie.

« C’est pas important. » Non c’est pas important. Ce qui est important c’est la musique - d’un autre temps certes mais qui semble résonner en moi à un tout autre niveau - ce sont les sensations, les lumières de toutes les couleurs, les jolies arabesques qui se dessinent sur les murs, dans mon imagination en tout cas, même les conneries que Jill débite c’est plus important que de se demander quelle heure il est pour une simple raison et je l’énonce simplement. « Ouais, je suppose que toi aussi, personne ne t’attends. » Ce toi aussi c’est une confession. Parce que jusqu’ici elle s’est contentée de parler et moi d’écouter. Parce que jusqu’ici, je n’ai rien confié de mon propre désarroi.

« Je préfère mourir de froid dans la rue que leur demander quoi que ce soit. » Je fronce les sourcils et je me dis que cette histoire ne m’intéresse pas. « Me fait pas croire que t’as personne d’autre Jill. Je suis sûre que t’es juste trop fière ou plutôt... » J'esquisse un sourire provocateur. « Ou plutôt parce que trouver une vraie solution ou prendre une chambre d’hôtel, ça serait accepter que c’est pas juste temporaire. » Qu’elle a bien quitté le type qui fait battre son coeur, qu’elle a bien déménagé loin de ses deux enfants. « Ils te ressemblent les gosses où ils ont eu de la chance ? » En tout cas il vaut mieux qu’ils sont plus équilibrés : elle a quelques câbles mal branchés la brune, à un tout autre niveau que moi et c’est pour ça que c’est une des rares personnes dangereuses quand je suis défoncée. « Tant que tu finis pas par t’écrouler devant mes yeux tu peux bien manger ce que tu veux. » « Je vais pas m’écrouler, raconte pas de conneries. » J’entoure mon poignet de mes doigts, presque machinalement. « J’ai envie de bouger, on peut pas rester là. » « Tu veux faire quoi ? Aller ou ? » Un immense sourire s’étire sur mes lèvres et je la dévisage, comme réellement excitée à l’idée de partir à l’aventure.

Est ce que le chaos apparaît dans leurs vies vraiment au même moment ? Jill en a bien l’impression. Ce soir, elles sont toutes les deux au plus bas même si elles essaient de montrer le contraire. Elles se comprennent au fond, mais elles ne sont pas là pour discuter de leurs malheurs. Elles veulent s’éclater, oublier et penser à tout sauf aux hommes qu’elles perdent petit à petit. Elle baisse un peu les yeux Jill et l’image de Bailey se dessine immédiatement. “Ca fait longtemps ?” Elle répondra seulement si elle en a envie, sinon, elles passeront à autre chose comme si la question n’avait jamais existé.

Jill ne veut avoir à compter sur personne, elle était bien plus indépendante il y a 10 ans. Aujourd’hui, elle s’est ouverte à sa famille et à l’homme qu’elle aime, et elle souffre autant qu’elle fait souffrir. C’était mieux quand elle était blindée, qu’elle changeait de lit toutes les nuits. Ce soir, elle ne veut pas que son frère ou sa soeur la voit comme ça, et Bailey lui a dit de ne plus revenir. “Si tu continue comme ça je vais finir par te dire que tu ferais une bonne psy.” Elle peut revenir sur les mots qu’elle a dit il y a quelques minutes. Elle aimerait que ce soit temporaire, Bailey ne l’a jamais détesté aussi longtemps. Peut-être que c’était le départ de trop, la connerie qu’il ne pouvait pas accepter. “La fille me ressemble trop, le garçon est tout le contraire.” C’est pour ça que les seuls liens qu’elle a été capable de créer c’est avec Bowie, elle n’arrive pas à se rapprocher de Tracy. Elle crie trop, a trop de caractère. “Après je sais pas, ils sont trop jeune pour savoir.” Elle fronce les sourcils, la drogue délie les langues bien trop facilement. Pourquoi Raelyn pose tant de questions si ça ne l’intéresse pas ? Elle ferme les yeux, bien évidemment qu’elle parle de sa maladie, mais elle ne donne pas plus de détails.

Jill hausse les épaules, Raelyn pourrait bien s’écrouler vu son état mais la brune lui fait confiance. Elles changent de sujet, et pourraient trouver des plans fous pour finir cette nuit. Jill pose ses mains sur sa tête en ouvrant sa bouche et ses yeux en grand. “J’ai envie de partir loin.” Elle a toujours fait ses plus grandes fuites quand elle était défoncée. “J’ai une voiture quelque part. Si seulement on pouvait voler…. ce serait bien.” Sa tête bouge de droite à gauche. Elle change d’idées en moins d’une seconde et Raelyn la suivra peut-être pour l’une d’entre elle. “LA-BAS ! Si tu mets ta tête dans le coin là-bas y’a la musique et les lumières qui vont au même rythme.” Il en faut peu pour s’amuser quand elle est dans cet état.

« Ça fait longtemps ? » Je tourne la tête vers elle. Longtemps que quoi ? C’est quoi sa question au juste ? Longtemps que j’étais casée ? Elle l’a deviné la dernière fois et je n’ai pas nié, alors ce n’est pas la peine de le cacher. Longtemps que plus personne m’attend ? Longtemps que mon coeur, pourtant soit disant de marbre, s’est brisé ? « Non, ça fait pas longtemps. » Je hausse les épaules. C’est encore beaucoup trop frais dans mon esprit, la dispute, les révélations, celles sur Amos, celles sur le Club, sur Mitch, sur Alec, pourtant il n’y a que mon ancien amant qui me manque, qui me hante et qui occupe mes pensées. Je me dis que c’est du gâchis, mais je le mets sur son dos.

« Si tu continue comme ça je vais finir par te dire que tu ferais une bonne psy. » « Tu serais bien la seule à me trouver de bon conseil. » Ou plutôt de bonne influence. Pertinente je le suis, mais j’ai une vision bien trop à moi des relations humaines pour ne pas donner des conseils égoïstes, des conseils basés sur ma propre expérience. « La fille me ressemble trop, le garçon est tout le contraire. Après je sais pas, ils sont trop jeune pour savoir. » « La fille doit être insupportable. » Je demande peur leurs prénoms : je m’en fous. Je n’ai jamais eu la moindre fibre maternelle et, contrairement à des nombreuses femmes, elle ne se réveille pas lorsque je pose mes yeux sur un nouveau né. « Ils sont nés y’a longtemps ? » Combien de temps il lui a fallu pour dérailler à Jill ?

« J’ai envie de partir loin. » « Je serais pas contre. » Il n’y a plus grand chose qui me retienne ici et mon appartement me rappelle trop Amos, il me rappelle trop nos plus beaux souvenirs.

« J’ai une voiture quelque part. Si seulement on pouvait voler…. ce serait bien. »
« T’es plus en état de voler que de conduire de toute façon. »
« LA-BAS ! Si tu mets ta tête dans le coin là-bas y’a la musique et les lumières qui vont au même rythme. »

Elle sourit, elle éclate de rire et elle saisit mon poignet. Moi, je suis un pantin inanimé et je me laisse faire. Je la suis, je la laisse m’entraîner et je suis persuadée qu’elle a raison. Je vois la musique. J’entends les lumières. Tout se mélange et j’éclate de rire, je me laisse porter ma l’instant et je me persuade que je peux tout oublier.

Elles ont changé, elles ont grandi finalement. Il y a quelques années, elles n’auraient pas discuté de ce qui les mettait dans cet état. Pourtant, elles avaient déjà bien des problèmes il y a 10 ans. Elle non plus ça ne fait pas longtemps. “C’est dingue de pouvoir ressentir un tel vide.” Elle ne sait pas si c’est pareil pour elle, mais Jill parle, bien trop. Elle ne s’en souviendra pas dans quelques heures. Elle est impressionnée par les effets qu’elle ressent avec si peu, c’est plaisant de retrouver tout ça, renvoyée des années en arrière comme si toute sa vie à partir de Londres n’avait jamais existé. “T’es pas de bons conseils, tu fais une bonne analyse.” Elle analyse bien certainement parce qu’elle ressent la même chose. Jill ne pose pas de questions, elle ne l’analyse pas, ne cherche pas non plus à tout savoir sur ce type qui a eu le malheur de tomber amoureux de la blonde. Elles sont autodestructrices, typiquement le genre de personnes auxquelles il ne faut pas s’attacher.

“Elle l’est.” Elle répond du tac au tac pour dire qu’elle ne supporte pas sa propre fille. Ses yeux se ferment une seconde assez longue. Elle ne veut pas penser à eux, elle n’est même pas sûre de les revoir avant plusieurs jours. “1 mois et quelques jours.” Elle a essayé de tenir pendant un long moment, elle est restée vivre à la maison, mais la visite de ses parents a été de trop. Elle a fuit pendant près d’une semaine hors du pays avant de revenir, et c’est la chute libre. Surtout depuis que Bailey lui a demandé de partir.

Les yeux de Jill s’arrondissent. “Vraiment ?” Elle tourne vite sa tête, elle dit ça sous les effets de la drogue, jamais elle n’accepterait de se barrer avec Jill pour fuir le quotidien et les souvenirs des hommes qui ont pris bien trop de place dans leurs vies. “J’aime conduire dans cet état.” C’est dangereux, illégal, et c’est ce qui rend le truc fun non ?

Jill l’emmène dans le coin de la salle où les lumières et la musique se mélangent parfaitement. Elle pose sa tête et regarde le plafond comme si c’était la huitième merveille du monde. La musique résonne autant que les couleurs, sa tête tourne et son rire enfantin suit celui de Raelyn. “Tu partirais où ?” Si elle avait le choix de fuir où elle voulait.

« C’est dingue de pouvoir ressentir un tel vide. » Il m’est désagréable ce commentaire. Je la déteste de le pointer du doigt le manque. Je la déteste de mettre dans mots sur ce que je ressens : je me sens vide sans Amos, sans ses baisers le matin, sans ses doigts qui caressent ma peau, sans nos peau nues l’une contre l’autre, et son coeur qui bat contre le mien. Sauf que d’y penser ma gorge se serre, alors je commente pas, je me contente de hausser les épaules comme si de rien n'était, alors que c’est loin d’être le cas. « T’es pas de bons conseils, tu fais une bonne analyse. » « T’es pas très compliquée à analyser une fois qu’on a compris que t’étais complètement barjo. » Je lui adresse un sourire qui dévoile toutes mes dents avant de boire une gorgée de plus de mon verre, je ne sais même plus ce qu’il y a dedans.

« Elle l’est. » Je hoche la tête. Rien de surprenant. Elle ne serait pas là si elle arrivait à vivre avec ses gosses de toute façon, alors elle n’a pas besoin de mentir, de prétendre, de faire comme si elle était la mère parfaite face à moi. « 1 mois et quelques jours. » « Et t’as eu envie de te barrer au bout de combien de temps ? » Elle peut me le dire ça aussi, de toute façon il n’y a que peu de chance que je me souvienne de notre conversation demain matin. « C’est pour ça que tu t’es barrée ? Parce qu’ils étaient insupportables ? » Les enfants, le mari, je m’en fous.

« Vraiment ? J’aime conduire dans cet état. »
« Moi j’aime mes deux jambes fonctionnelles. Et j’aime ma colonne vertébrale aussi. »

Et je ne sais pas conduire non plus d’ailleurs. Mais c’est un détail, un détail qui me propulse il y a quelques mois en arrière sur Fraser Island, qui me rappelle nos éclats de rire à Amos et à moi alors que je tentais tant bien que mal de conduire le 4x4 pour visiter l’île. Alors que je n’ai réussi à qu’à nous embourber mais que, malgré tout, la journée était parfaite. « Tu partirais où ? » « J’irais sur Fraser Island. » Pas très original : tous les habitants du Queensland y sont déjà allé des dizaine de fois et les touristes du monde entier visitent l’île tous les jours. « J’en sais rien. Je suis jamais allée nul part. » J’ai quitté ma ville pourrie pour Brisbane et depuis je n’en ai plus bougé. « Et toi ? »

Jill rit, elle le sait qu’elle est complètement folle. Ce n’est pas la première à dire ça, Jill elle même se dit souvent qu’elle est folle. Autant en rire qu’en pleurer, elle ne fait rien pour arranger les choses et se soigner. C’est sa zone de confort depuis de nombreuses années. Elle est terriblement dangereuse cette zone, et pourtant, c’est dans celle ci qu’elle se sent chez elle jusqu’à maintenant. Elle n’est ni de bon conseil, ni une bonne fréquentation Raelyn, et c’est pour ça que Jill aime passer cette soirée avec elle. Elle ne la jugera pas parce qu’elle a des enfants et qu’elle se drogue, et c’est tout ce qui importe ce soir.

Les questions s’enchaînent et elle a l’air de s’intéresser la blonde. Jill fronce les sourcils mais elle a arrêté de trop réfléchir. Elle n’est plus en capacité de le faire. “A la première contraction.” Dès ce moment là, elle a été terrifié. Si tout s’est mal passé c’était de sa faute, elle n’était pas prête pour ça, elle ne l’a jamais été. “Je supporte pas de les entendre pleurer.” C’est une raison parmi tant d’autres mais c’est la seule chose qui lui vient systématiquement. “C’est lui qui est parti ou c’est toi ?” Si elle a le droit de poser des questions je le fais aussi. On est défoncées, alors autant en profiter pour vider une partie de ce qui ne va pas même si Jill n’a pas envie de penser à tout ce qui se passe en dehors de cette salle hors du temps.

“Quel dommage.” Perdre sa colonne vertébrale ou ses jambes c’est le risque quand on tente ce genre de jeux. Mais la blonde n’a pas l’air de vouloir prendre ce risque là ce soir, tant pis, elles trouveront d’autres risques à prendre. Les yeux rivés sur le plafond Jill vit dans un autre monde qu’elle se créé de toute pièce. Elle fronce les sourcils, il n’y a rien de dingue à partir à Fraiser Island. “Pourquoi ?” Ce n’est pas loin, c’est accessible. “Bali.” Tout était parfait à Bali, ils n’auraient jamais dû partir. “Y’a pas un pays qui t’attire ?” La gorge de Jill se noue un peu à repenser à Bali, ces souvenirs qu’elle aimerait pouvoir oublier au moins le temps d’une soirée.