Vous avez beau penser que vous êtes proches de quelqu’un, vous avez beau penser que vous le connaissez suffisamment parce que vous le côtoyez depuis des années, il faut avouer que parfois, ce n’est pas toujours le cas. Et plus la soirée avance, plus les langues se délient, plus je fais ce constat avec Wren. Il m’avoue des choses dont il ne m’avait jamais parlé auparavant. Il est certain qu’il y a eu comme une longue pause dans notre amitié, notamment lorsque je suis partie étudier à Melbourne et que j’ai enchaîné ensuite avec mon tour du monde. Mais depuis quatre ans que nous nous côtoyons à nouveau, il y a bien des choses que j’ignore. Les apprendre ce soir passe peut-être mieux parce que l’alcool fait son effet « J’ai démissionné des pompiers parce que j’ai brûlé une forêt, oui… Et j’ai porté un bracelet électronique, j’ai été obligé de suivre une thérapie comportementale et ce genre de conneries…. Pour la pyromanie ». Ma bouche s’entrouvre sûrement quand il passe aux aveux, quand j’apprends et surtout comprend l’amalgame qui peut être fait avec son père. Je suis hésitante, ne sachant que répondre, sans lui donner la sensation de le juger « C’est cette adrénaline-là qui te manque ? ». Je ne peux pas prétendre ne pas être surprise même peut être choquée par cette révélation. Mais je ne veux laisser rien transparaitre parce que Wren n’a pas besoin de ça. Pas quand je le sens à ce point paumé, que je crains qu’il puisse peut-être faire une grosse connerie quand il ne semble ne plus avoir de repères.
On partage autant l’un que l’autre notre vécu, nos pires erreurs, nos conneries, certaines plus grave que d’autres, certaines moins honteuses que d’autres. Nous sommes sur un même pied d’égalité quand nos expériences sont pourtant totalement différentes, difficilement comparable. « Je sais pas si on est quitte, c’est un peu subjectif parce qu’on a pas classé ce qui est le pire entre tout ce qu’on a pu faire l’un et l’autre. Disons qu’on est pas plus avancés que quand on était ados et qu’on a pas l’air prêt à faire autre chose que de la merde, hein ? ». Triste constat qu’il fait là, et pourtant, je ne pourrais pas le contredire « J’en viens à regretter notre insouciance de l’adolescence. Notre comportement et nos conneries paraissaient moins pathétiques que maintenant à la trentaine ». Je soupire un peu, avalant un autre shot qui me fait tourner la tête car avaler trop rapidement « Je pense que toi et moi sommes voués à avoir une triste vie Doherty. Et tu sais quoi ? Fuck all ! ». Je me lève alors, me rattrapant de justesse au tabouret et à Wren. Je ris et avance doucement vers la sono pour lancer un peu de musique « Aller, viens, on est plus à ça près ». Je l’attire alors en lui attrapant la main pour l’inciter à descendre de son tabouret et à venir me rejoindre pour se laisser porter par le son de la musique. Il n’est pas en meilleur état que moi, ne tient pas forcément plus debout que moi, le retenant du mieux que je peux en rigolant. Autant lui que moi ne répondons plus d’aucun de nos gestes… La tristesse de la scène fait peine à voir quand autant l’un que l’autre donnons l’impression d’avoir touché le fond.
Il cherchait une issue, n'importe laquelle, juste un renouveau qui lui permettrait d'arrêter de glisser inévitablement vers les bas fonds. C'était beau de rêver, voilà ce qu'il pouvait se dire, le Doherty, parce qu'on ne pouvait clairement rien faire pour le sortir de là. Il était allé trop loin, il avait cherché à creuser au fond de lui pour en faire ressortir le pire et le suédois ne pouvait que s'acharner sur lui-même pour les tragiques résultats qu'il avait obtenus. Aujourd'hui, sa vie n'était plus qu'un amas d'erreurs dont on ne pouvait plus discerner ni les causes ni les conséquences, juste se dire que c'était là, que c'était affreux et que plus personne ne pouvait guérir des douleurs créées. Voilà ce qu'il était, le nordique, un homme qui avait trop de fois fait le mal pour se diriger de l'autre côté du voile, vers ce fichu bien qu'on lui vendait comme une recette magique pour avoir un ticket direct pour le paradis. Encore quelque chose qu'il ne frôlerait jamais, même du petit doigt, mais en soi, Wren n'était pas spécialement dérangé. Il ne pensait pas tellement à la vie après la mort, il essayait déjà de la vivre, du mieux qu'il pouvait et en trouvant un minimum de bonheur dans les choix qu'il faisait. Pour ce qui était du bonheur immédiat, il n'était pas en reste mais c'était tout ce que Doherty arrivait à récolter et en règle générale, les déceptions et les chagrins qui suivaient étaient plus terribles encore. Il en était arrivé à de terribles conclusions alors, à se dire que plus rien ne valait la peine, qu'ajouter quelques doses d'héroïnes dans sa liste de méfaits ne feraient plus une grande différence... Wren s'était trompé, tout avait changé à partir de là, il était tombé sur plus fort que lui, sur cet appel vicieux à tout détruire comme son père l'avait fait avant lui. Depuis, il ne vivait plus, ou en tout cas, il le faisait à peine, constamment à marcher sur des oeufs pour ne s'autoriser aucun dérapage. Il était important de savoir contrôler pour ne pas devenir son pire ennemi, sacré Doherty, âme en peine qui entraînait encore et toujours Mia dans son sillage. "L'adrénaline... Ouais, sûrement. Je sais pas. C'est plus fort que ça, je crois. C'est une maladie." Il le disait pour la première fois, certainement parce qu'il était complètement défoncé et qu'il ne s'en souviendrait pas au matin. Oui, ce fait arrangeait bien Wren parce qu'il avait honte de cette part de lui, celle qui l'obligeait à se mettre de la poudre blanche dans la narine et à se traîner partout avec un briquet au fond des poches. "Merci de le rappeler, Mimi. Ah parce que va falloir continuer comme ça encore jusqu'à la fin du bout de la vie? Oh merde..." Heureusement, Wren était convaincu qu'il ne ferait pas de vieux os et ça l'arrangeait bien aussi, il n'avait pas envie de se démener contre cette part sombre de lui jusqu'à cent ans. Non merci. A la place, il se retrouvait sur une piste de danse improvisé parce que son amie avait décrété qu'il devait oublier leurs emmerdes le temps de quelques mouvements de hanche dérisoires... Le résultat devait être déplorable du côté du suédois parce que sa tête tournait, qu'il perdait le fil, qu'il se sentait tomber et qu'il ne voyait plus rien. Littéralement.
« L’adrénaline… Ouais, sûrement. Je sais pas. C’est plus fort que ça, je crois. C’est une maladie ». Il y a ce regard de plus en plus inquiet posé sur lui alors qu’il semble avouer qu’il a peut-être ce même « gêne » que son père, cette attirance inexplicable pour les flammes et d’en être l’auteur. Une révélation de plus qui me fait me figer quelques secondes en le regardant, des yeux écarquillés par ce qu’il dit sans s’en rendre compte lui-même. L’alcool est bien présent dans ses veines, déliant sa langue plus facilement quand, en temps normal, Doherty n’est pas du genre à s’épancher sur ce qu’il peut ressentir. Je n’en ajoute pas davantage, préférant peut-être stopper le moment révélation, où autant l’un que l’autre nous rendons compte que nos vies ne sont pas si glorieuses que ça, que même passé la trentaine, nous étions incapables d’avoir une vie si différente que celle que nous avions à l’adolescence. Je fais ce triste constat, disant à Wren que nous sommes voués à cette vie là, et qu’après tout, nous ne devions rendre des comptes à personne. Si notre vie était celle qu’elle était, c’était de notre fait aussi, mais peut-être qu’au fond, même si nous ne l’avouerons jamais, nous aimions peut-être aussi cette vie remplie d’embûches. Peut-être qu’une vie trop rangée n’était pas faite pour nous, peut-être que nous rejetions même cette idée dans notre plus for intérieur, sans oser l’avouer. L’alcool en tout cas me brouille les pensées quand je ne sais plus quoi penser, préférant alors entraîner mon ami sur la piste de danse. « Merci de le rappeler, Mimi. Ah parce que va falloir continuer comme ça encore jusqu’à la fin du bout de la vie ? Oh merde… ». « Il faut croire », je lance dans un haussement d’épaules avant de commencer à me déhancher sur la musique entraînante qui résonne dans le bar. Je regarde Wren non sans rire quand je le vois faire des mouvements plutôt étonnants « Je t’ai connu plus gracieux que ça Doherty ». Et puis, je sens qu’il peine à tenir sur ses jambes, je m’avance alors vers lui, comme pour le rattraper de justesse avant qu’il ne s’écroule « Ok, je pense qu’on a suffisamment bu pour ce soir et qu’on va passer à quelque chose de plus soft ». Je l’entraîne alors en le soutenant vers le tabouret où nous étions il y a quelques minutes à peine. Je fais le tour du comptoir et lui pose un verre d’eau devant le nez, m’en ayant servi un aussi pour l’accompagner, et parce que j’en avais tout autant besoin « Aller, à cette soirée mémorable hon’ ». Je trinque dans son verre et avale ce verre d’eau d’une traite, signe que la soirée touchée peu à peu à sa fin.