Eh bien nous y voilà. Cela fait plusieurs minutes déjà que je suis face au Southern Cross Theather, mon sac sur une épaule tandis que je finis tranquillement ma cigarette. Mon regard est rivé sur la façade du bâtiment, semblant quelque peu rêveur alors qu’en réalité mes pensées ne cessent de se bousculer dans ma tête. En effet, mon retour à Brisbane est notamment dû à ce qu’abrite ce bâtiment. Après plusieurs semaines de recherche, j’avais décidé de tenter ma chance auprès de compagnies bien différentes que celles que j’avais pu connaître en tant que membre ou à la suite d’une collaboration. En effet, je m’étais posé beaucoup de questions concernant mon avenir de danseur. Mon contrat n’avait pas été renouvelé au sein de l’[i]Australian Ballet[i] et je me retrouvais finalement sans emploi. Si l’idée de repartir pour la France m’avait traversé l’esprit ou encore de tenter ma chance dans un autre pays, je restais fermement décidé quand même à rester en Australie afin d’aller à la rencontre d’un public que je n’avais finalement jamais côtoyé. Alors certes, être principal dancer à Sydney m’avait déjà permis une belle entrée sur la scène australienne mais j’avais envie de me tourner vers un autre style, vers quelque chose de très différent qui pourrait me permettre d’appréhender la danse d’une toute autre façon.
Et c’était en cela que résidait mon projet : intégrer la Northlight Compagny. Cette compagnie avait été créée en 2011 dans l’idée de proposer quelque chose de finalement très pluridisciplinaire en termes de représentations. Le concept était séduisant et j’avais toujours été très attiré par la diversité qui existait en matière d’expression artistique. Alors certes, j’allais me retrouver en lice face à une palette d’artistes très variée mais le défi était à la hauteur de la réputation de la compagnie. D’ailleurs, une fois n’est pas coutume, j’étais quelque peu nerveux à l’idée de présenter quelque chose. On pourrait croire le contraire pourtant au regard de ma carrière, mais le stress a toujours été une composante de ma personnalité lorsqu’il s’agissait de travail. Cependant, je tentais de me changer les idées, de me concentrer finalement sur ce que j’allais proposer afin de conquérir les cœurs des membres du jury.
Ecrasant ma cigarette sur le rebord d’une poubelle afin d’y jeter le mégot, je me décidais à traverser la route qui me séparait du bâtiment et entrer sans attendre. L’atmosphère qui régnait entre ses murs était caractéristique et je me sentais étrangement bien. Il était presque quatorze heures et les auditions débutaient dans une heure environs ce qui me laissait le temps de m’échauffer convenablement. Je suivis alors le chemin balisé qui m’amena jusqu’à une salle où se trouvait plusieurs artistes en train de s’échauffer pour leur représentation.
Je décidais d’en faire de même. Posant mon sac alors dans un coin de la pièce, je me dirigeais vers l’espace qui semblait être réservé aux danseurs : miroirs, barres… tout y était pour pouvoir s’échauffer dans les règles de l’art. Cependant, je préférais m’asseoir sur le parquet légèrement frais et commencer à m’étirer doucement. J’avais besoin de dénouer tout mon corps afin d’être à l’aise par la suite. D’ailleurs, je décidais de mettre mes écouteurs et lancer ma playlist du moment pour rentrer peu à peu dans ma bulle.
Une semaine. Sept jours. 168 heures. Voilà le temps qui est passé depuis que je suis rentré et que je me suis retrouvé comme un con face à Cian qui a du m'annoncer lui-même le départ de mon père. Depuis, quelque chose en moi s'est brisé, comme si une vieille blessure s'était ouverte à nouveau. Lorsque je dors, je ne me repose pas, étant bien trop facilement et souvent réveillé par des crises d'angoisses horribles qui arrivent après ou pendant des cauchemars divers et varié. Je n'arrive plus à manger et je peine à me lever du lit malgré Loan qui insiste. Celui-ci est un ange, un putain d'ange qui ne mérite aucunement la façon dont je réagis. La fatigue constante à cause de mes insomnies et mes terreurs nocturnes n'aident en rien et je me retrouve à nouveau à être impulsif, m'énervant pour un rien avant d'éclater en sanglot et m'excuser platement. Je le sais, pourtant, que je ne devrais pas réagir comme ça, je sais que Loan se donne du mal pour accepter cette situation, mais je n'arrive pas à m'y faire.
Alors j'ai décidé qu'aujourd'hui je fuirais la maison des Severide dans laquelle nous sommes installé depuis 7 jours le temps de trouver un hébergement qui nous convient à tous les deux. J'ai laissé mon copain partir au studio pour assurer les cours et je suis parti. Je sais qu'il va m'en vouloir lorsqu'il rentrera et que je ne serais pas sur place, mais j'ai besoin d'un peu de temps pour moi.
Je ne sais pas pourquoi, mais mes pas m'ont guidés jusque devant le Southern Cross Theater. Je suis resté là-devant pendant de longues minutes, avant de pousser un soupire et m'aventurer à l'intérieur. Eireen, la réceptionniste m'a accueillit avec un large sourire et a commencé à me poser pleins de questions. Questions auxquelles je n'avais aucunement envie de répondre mais par politesse j'ai tenu un peu la conversation tout en restant le plus évasif possible. Ce n'est que la porte de la salle s'ouvrant qui a coupé cours à notre conversation. Me redressant, mon regard se pose sur Charles qui, tout sourire, s'avance vers nous « Je me doutais bien que j'avais entendu ta douce voix» sourit-il en nous rejoignant «ça va ? » qu'il me demande et au son de sa voix je sais parfaitement qu'il est déjà au courant de la catastrophe que j'ai été lors de mon audition à New-York. Baissant le regard, j'hoche doucement la tête et hausse les épaules en répondant un «ça va » sans conviction. Charles a la présence d'esprit de ne pas insister et fini par se tourner par Eireen «Tu peux faire passer le message et dire aux gens qu'on est près pour les auditions ? » « Je ne peux pas là...j'ai beaucoup de travail et ...» « Bon, Clément ? Tu peux t'en occuper ?»je relève subitement mon regard sur le metteur en scène et l'observe en arquant un sourcils «Je ...hein ? Quoi ? » « J'ai juste besoin que tu ailles dans la salle pour prévenir les candidats que nous allons les recevoir tout de suite. Tu peux faire ça, tu pense ?» je pince les lèvres puis me redresse et hoche la tête.
Sans un mot de plus, je me pousse du comptoir de la réception et me dirige vers la salle de laquelle émane quelques bruits. Je pensais me faire discret en poussant la porte, mais celle-ci n'a pas été huilé depuis des années et son grincement raisonne donc dans toute la pièce. Instantanément, tous les bruits cessent et c'est une dizaine de paire d'yeux qui se braquent sur moi. «Je ...hum... » commençais-je avant de toussoter «Les auditions commencent. Du coup le numéro un peu déjà passer la porte et entrer » Mon regard glisse sur les gens et personne ne bouge. Ils sont cons ou juste demeuré ? Je laisse passer encore plusieurs secondes pour pousse un soupire «Si vous vous bougez pas TOUT DE SUITE, Charles Anderson et les autres seront vraiment furax. Et croyez moi, personne ne veut danser devant un metteur en scène furieux. » grognais-je en me dirigeant vers la porte pour l'ouvrir en grand « Alors un peu de nerfs » quelle bande de merdeux.
Assis dans un coin de la pièce, j’étais en train de m’échauffer en douceur. Déliant mes articulations, je ne tardais pas à commencer ma routine en barre à terre. Une série d’exercices relativement basique mais qui avait le don de me mettre en jambe pour passer une audition. D’ailleurs, je me sentais un peu lorsque je m’étais présenté au concours de Varna. Contrairement au concours de promotion interne du Ballet de l’Opéra de Paris, l’enjeu était bien différent. Alors certes, pouvoir gravir les échelons était quelque chose de très solennel et particulièrement complexe mais la sensation était quand même différente que celle que je ressentais en ce moment. D’ailleurs, je me faisais la réflexion que je n’avais pas du tout répété ma variation, contrairement aux autres artistes qui étaient en pleine répétition pour la plupart, tandis que d’autres étaient en train de bavarder tout en continuant de garder leurs corps chaud. Cependant, lorsque je me redressai pour commencer à travailler à la barre, la porte de la salle grinça d’une façon particulièrement sonore alors qu’un jeune homme faisait son apparition dans l’encadrement de celle-ci. Naturellement, un silence ne tarda pas à tomber sur la salle, alors que les regards se braquaient sur lui, le mien ne faisait pas exception d’ailleurs.
C’est alors que le jeune homme vint indiquer que les auditions commençaient. Je fronçais les sourcils en regardant ma montre… Une avance d’une demi-heure, c’était peu commun. D’ailleurs en y regardant de plus près, les artistes semblaient un peu déboussolés par l’annonce. C’est alors que le nouveau venu monta le ton, indiquant sans préambule qu’il était préférable de se bouger pour éviter de venir irriter le metteur en scène et le jury. C’est alors qu’une sorte de mouvement de foule se produisit. Le numéro 1 vint à courir vers la porte afin de se présenter sur la scène tandis que les danseurs qui étaient en train de s’étirer, se mettaient à répéter leurs variations. De mon côté, j’étais encore un peu dubitatif… Si bien que je vins alors à me diriger en direction de la porte grande ouverte par le châtain.
« Excusez-moi, bonjour. » déclarais-je afin d’attirer son attention. « Est-ce que je me suis trompé sur l’heure ou bien les auditions viennent d’être avancées ? Car dans la lettre que j’ai reçue, il m’était indiqué que cela débutait à quinze heures. » Il est vrai que certaines choses pouvaient m’échapper ou être inconnues par rapport à mon parcours.
Pour le coup, je ne savais pas si ma question allait être bien prise…
J'ai a peine ouvert la porte et prononcé quelques menaces, que le premier de l'audition accourt vers moi en panique. Je soutiens son regard puis referme la porte derrière lui dans un soupire et allait me diriger vers la sortie étant donné que mon devoir était rempli, lorsque tout à coup un des candidats m'interpelle. Levant les yeux au ciel, j'hausse simplement les épaules lorsqu'il précise que l'horaire actuelle ne correspond pas à l'horaire annoncé. « J'en sais rien» tranchais-je, agacé « A la base je ne suis pas responsable des casting je suis juste ...» je me tais subitement lorsque, relevant la tête, mon regard se pose sur l'homme qui vient de m'adresser la parole.
Abel Greetham. Un danseur mondialement connu, étoile de l'opéra de Paris, vainqueur du concours Varna en 2010, il représente à lui seul ce que je souhaite de tout cœur atteindre un jour. Alors, certes, je n'ai pas pour vocation d'atteindre son niveau en danse classique, mais cet homme a à peine 32 ans et est déjà connu par la terre entière. Il a un statut non négligeable et avec ce parcours toutes les portes de n'importe quelle école de danse lui sont ouvertes. Mais alors, pourquoi est-il ici ? Pourquoi se retrouve-t-il parmi les candidats qui auditionne pour cette pièce ? Pourquoi souhaite-t-il joué dans le spectacle mis en scène par la northlight, cette compagnie qui connaît, certes, une belle renommée, mais qui est loin, très loin, de son niveau ?
J'avoue buguer pendant plusieurs secondes, le regard ahuris fixé sur cet homme, avant de secouer doucement la tête «Je ...euh...enfin, je viens de croiser Cha-.. Mr Anderson qui m'a dit de venir ici pour vous dire que les auditions commencent » je m'humecte les lèvres et déglutis discrètement «Je suis désolé qu'il vous prenne de cours » m'adressais-je maintenant à toute l'assemblée «Mais le connaissant, ça ne m'étonnerait pas qu'il souhaite voir comment vous gérer le stress lors de l'imprévu » je me passe une main dans les cheveux puis hausse les épaules en reportant mon attention sur Abel «Désolé » m'excusais-je au nom du metteur en scène et des responsables de casting auprès du danseur face à moi.
Ce fut plus fort que moi que de demander la raison d’un tel revirement de situation en matière d’horaire de passage. Il est vrai que dans le milieu artistique, il y avait deux écoles : celle qui prônait une précision en matière d’horaires et l’autre qui était un peu plus approximative. Mais c’était bien la première fois que j’assistais à une avance aussi soudaine de la part d’un jury lors d’une audition. D’ailleurs, je me disais aussi qu’heureusement le numéro un était déjà sur place sinon sa chance lui serait passée sous le nez. Est-ce étonnant que je puisse être aussi conciliant avec les autres concurrents – car cela était quand même une compétition ? A mon sens, non. J’étais certes compétiteur dans l’âme, le métier voulant cela aussi mais j’aimais que cela se fasse dans les règles et dans le respect. Forcément, cette histoire me titillait quelque peu ; aussi tolérant et compréhensible que je pouvais l’être, certaines choses ne passaient pas.
Cependant le jeune homme vint quand même prendre le temps de me répondre, sentant comme une sorte d’agacement dans sa voix ou une forme de lassitude. Néanmoins, il sembla s’arrêter tout bonnement dans ses explications, me regardant alors fixement comme s’il venait de voir un fantôme ou plutôt quelque chose d’improbable. Mes traits se foncèrent légèrement, comme si je cherchais à le sortir de la torpeur dans laquelle il semblait être plongé. « … Juste ? » je me tentais quand même à reprendre son dernier mot afin de capter son attention. Je n’étais pas certain qu’il m’ait entendu mais il sembla reprendre contenance pour reprendre alors ses explications sur la situation assez inattendue, venant même hausser un peu plus la voix pour parler aux autres danseurs présents. Ce Monsieur Anderson semblait avoir de la suite dans les idées et cela me plaisait quelque part. La singularité avait toujours quelque chose de charmant quoi qu’en dise.
C’est alors que le brun vint à s’excuser, me tirant alors un sourire alors que je secouais la tête. « Ne le soyez pas. Ce n’est pas de votre volonté si le metteur en scène a décidé de sortir des sentiers battus. » Néanmoins, l’attitude du jeune homme m’avait quand même interpellé, outre cet instant où il semblait avoir arrêté de fonctionner pendant quelques secondes, Abel lui fit un léger signe de la tête pour lui indiquer de se décaler un peu, comme pour s’éloigner de l’agitation qui régnait dans la pièce. « Cela ne me regarde sans doute pas, mais vous n’avez pas l’air d’être dans votre assiette. » J’avais toujours eu une façon bien à moi de parler et de discuter, n’ayant jamais la langue dans ma poche, je pouvais me montrer très brut de pomme par moment et on peut dire que je venais clairement de déballer cela sans précaution. Néanmoins en regardant davantage ses traits, son visage me sembla tout d’un coup familier… Il avait indiqué ne pas être responsable des castings alors pourquoi ?
Qu'est ce qu'un homme de l'envergure d'Abel Greetham fait-il ici ? Et surtout, pourquoi fait-il parti des candidats qui auditionnent ? Ne fait-il pas parti de cette catégorie de personne qui peut passer les portes du théâtre et avoir un rôle dans une pièce rien qu'en donnant son nom ? Certes, c'est tout à son honneur de vouloir tenter sa chance face à d'autres professionnels, mais n'a-t-il pas autre chose de plus intéressant à faire ? Face à cet homme, j'ai quelques secondes de flottements pendant lesquelles je me pose d'innombrables questions.
C'est son insistance, toutefois, qui me sort de mes pensées et que je me rattrape en expliquant rapidement les raisons qui pourraient pousser Charles à avancer l'heure du début. Ces raisons sont totalement louable et c'est avec un certain soulagement que je remarque le sourire qui apparaît sur les lèvres du jeune homme alors que celui-ci m'indique de ne surtout pas m'excuser car de toute manière je n'y peux rien. Pinçant les lèvre en un sourire, j'hoche doucement la tête et baisse le regard en enfonçant mes mains dans mes poches. J'allais ouvrir la bouche pour répondre quelque chose lorsque le danseur reprend la parole pour dire quelque chose d'assez surprenant.
Relvant vivement ma tête, je fronce les sourcils et l'interroge du regard, me demandant sérieusement pourquoi il dit ça. « Pourquoi ? Je fais si peur que ça ?» demandais-je avec ironie, assumant que mes insomnies doivent avoir une réelle répercussion sur mon physique si même les gens qui ne me connaissent pas me font la remarque. «Enfin, ce n'est pas de votre ressort » répondais «ça va aller » que j'assure en hochant la tête «Vaudrait mieux que vous vous concentriez sur votre échauffement et sur votre passage devant le jury » déclarais-je. Mode acting : on. Je cache parfaitement mon malaise et mon ton est le plus sincère possible.
Je fini toutefois par m'avancer d'un pas vers le danseur et lance un coup d'oeil discret vers les autres « Charles adore mélanger les numéro aussi» lui glissais-je discrètement «Je ne sais pas combientième vous êtes, mais il se pourrait bien que vous passiez directement en deuxième position ou en dernier, c'est à son bon vouloir » je relève mon regard, le pose dans les yeux de l'australien et agrémente le tour avec un sourire en coin et un rapide clin d'oeil avant de me reculer «Merde à vous ! » lançais-je à l'assembler en me détournant du danseur professionnel pour ressortir.
Une fois dehors, Eireen me fait signe de la rejoindre et m'indique que Charles a demandé à ce que je sois présent dans la salle. J'avoue que je suis plus que surprit de cette indication car décide de ne pas passer outre les ordres du metteur en scène et, avec le plus de discrétion possible, je me faufile à l'intérieur de la salle. Le premier candidat est bien trop occupé et concentré sur sa danse qu'il ne remarque pas qu'Anderson me fait signe de prendre place sur le fauteuil à côté de lui. « Merci Mr. Thewlis» l'interrompt-il finalement « Nous vous contacterons» une grimace s'affiche sur mon visage tandis que celui du candidat semble de se décomposer car nous savons tous les deux ce que ça veut dire « Dites au numéro 8 de venir se présenter à nous» indique-t-il au moment où l'homme se dirigeait vers la sortie. Une fois hors de notre champ de vision, Charles se tourne vers moi avec un sourire « t'as pu semer un peu le doute et la panique ?» demande-t-il visiblement très amusé par sa petit blague «Ouais, un peu» dis-je sobrement avant de soupirer doucement « Tu peux me dire ce que je fais ici ?» demandais-je finalement en posant mon regard sur le quinquagénaire «J'ai envie que tu vois l'autre côté des auditions» répond-t-il avec un clin d'œil avant de se concentrer en même temps que moi sur la nouvelle personne qui apparaît sur scène.
Chaque metteur en scène, directeur artistique, directeur de compagnie avait sa façon de procéder. On pouvait presque dire que cela faisait des prérequis nécessaires pour tenir un tel rôle. Dans ma carrière, j’avais rencontré mille et un chorégraphes qui avaient leurs petites manies, leurs habitudes aussi singulières soient-elles. Cela faisait partie du jeu, quelque part. Moi-même, je devais bien concéder que j’avais aussi certains rituels dans mon métier ; tout cela ne finissait pas constituer un style, un personnage qui était rapidement identifiable. D’ailleurs, les explications du brun me permirent quand même de comprendre davantage la raison de tout ce chamboulement dans le programme. Cela avait de quoi décontenancé, j’en convenais et ce n’était jamais agréable non plus d’être pris de court. Si la théorie voulait que l’organisation soit maître mot à bord, il était souvent question de désorganisation ; et encore cela ne constituait finalement qu’un des nombreux paradoxes qu’on pouvait retrouver dans ce monde.
Celui qui semblait être très familier des lieux me suivit sans histoire, après son moment de flottement. Loin de moi l’idée d’imaginer toutes les questions traversaient son esprit à mon sujet. Il est surpris et cela me fait alors sourire légèrement. « Peur non, mais vous semblez irrité, fatigué. C’est important de savoir se ménager. » déclarais-je alors en penchant légèrement la tête sur le côté, offrant finalement à mon interlocuteur une expression sincère et aussi compatissante en dépit de l’ironie qui était palpable dans sa voix. « Ce n’est pas moi qu’il vaut rassurer sur la question. » indiquais-je, ne pouvant m’empêcher quand même de poursuivre ma réflexion avec une certaine forme d’humour, lui adressant même un signe de la tête, haussant les sourcils comme si j’étais capable de sonder son esprit. En réalité, son visage qui me paraissait de plus en plus familier ne cessait de me faire réfléchir en parallèle. Mais où est-ce que j’avais pu le voir ?
Alors que j’allais retourner m’échauffer, le jeune homme vint faire un pas vers moi, prenant le temps de regarder que personne ne nous écoutait ; enfin c’était l’impression donnée. C’est alors qu’il me glissa une indication sur le fameux metteur en scène, Charles Anderson, à la façon d’une confidence. « Oh… Il faut que je sois vigilent alors ! Merci du conseil ! » Mon sourire vint se marquer davantage sur le coin droit de mes lèvres, alors que le brun quitte la salle après le traditionnel encouragement. Je me retournais alors vers le grand miroir où se trouvait déjà plusieurs danseurs en pleine répétition pour terminer mon échauffement et m’immerger dans ma bulle. Mais à peine ai-je terminé mon échauffement que le numéro 1 revenait dans la salle, essoufflé et dépité également. Les danseurs présents ne purent s’empêcher de venir à sa rencontre afin d’avoir ses impressions et à en juger par ses propos, cela ne semblait pas s’être bien passé. C’est alors qu’il demanda le numéro 8. Baissant le regard sur le macaron qui m’avait été envoyé avec la lettre de l’audition, je remarquais qu’il s’agissait de moi. « C’est moi. » déclarais-je alors en m’avançant vers lui. Le danseur me fit un signe de tête en direction de la scène. Apparemment, c’était à moi. Le brun m’avait prévenu que Charles avait ses habitudes et lorsque j’entrais dans le couloir, je ne pus m’empêcher de sourire avant d’arriver devant un membre du personnel qui me fit signe de faire mon entrée sur le plateau. Le remerciant d’un signe de tête, j’entrais alors sur la scène du Southern Cross Theather vêtu de mon jogging gris et de mon débardeur blanc pour faire face alors à l’ensemble des personnes qui composait le jury. Je crus distinguer aussi une tête familière mais mon attention se reporta bien vite sur celui qui devait être le fameux Charles Anderson qui me fit signe de commencer.
Je tournais la tête vers le régisseur son afin de lui indiquer que j’étais prêt. J’allais présenter une variation néo-classique afin de proposer quelque chose de finalement plus contemporain par rapport à ce que la compagnie avait l’habitude de présenter. Il ne restait plus qu’à convaincre les jurés de mon aptitude à intégrer la compagnie. Me laissant alors envahir par les premières notes de la musique pendant quelques secondes, je finis par m’élancer.
Mes dents se serrent et mes poings se ferment, faisant tressauter les muscles dans mes avants bras, lorsque le jeune homme me dit que je semble réellement irrité et fatigué, précisant en plus qu'il est important de savoir se ménager. Mais pour qui il se prend, sérieux ? Il a, certes, un statut de danseur professionnel, il sait de quoi il parle, mais il ne me connaît pas et j'ai bien l'impression qu'il est dans le jugement le plus total. Dans le fond je sais qu'il n'a pas tort, mais putain qu'il apprenne à fermer sa gueule. « J'y penserais» répondais-je toutefois avec un sourire « Merci du conseil» si on écoute bien et qu'on tend parfaitement l'oreille on peut facilement entendre ce soupçon d'ironie qui s'est invité dans ma voix.
J'allais reste là-dessus et laisser l'égo surdimensionné d'Abel dans cette pièce, mais mon naturel curieux fini par me rattraper. N'ais-je pas toujours rêver d'un jour atteindre son niveau de danse ? Et de partager la scène avec lui ? Certes, j'ai aussi rêvé de Broadway et ce rêve m'a éclaté en pleine gueule la semaine dernière, me prouvant qu'il ne fait pas bon de courir trop vite avec ses rêves. Et pourtant, je ne peux m'empêcher de m'avancer vers Abel pour lui donner des conseils quant à la suite des auditions, précisant que le metteur en scène aime beaucoup jouer lors des castings. Je décide donc de mettre Abel en garde puis m'en vais après un dernier encouragement général.
Arrivé dans le hall, pourtant, je me vois obligé de rejoindre Charles et m'installe à ses côtés, alors qu'il m'explique qu'il aimerait que je vois comment se déroulent les auditions du côté du jury. Je fronce les sourcils, mais ne dit rien de plus, d'autant que mon regard est inexorablement attiré par Abel qui fait son apparition sur la scène. Je me redresse un peu sur mon siège, observe silencieusement l'échange entre Charles et le danseur, avant que la musique ne se lance.
Et ce que je vois ensuite me coupe le souffle, littéralement. Je savais qu'Abel était talentueux, mais le voir se mouvoir ici, sur la scène, devant moi, me procure des frissons. La souplesse de ses muscles est incroyable, la maîtrise de son corps est totale, il ne laisse rien au hasard et pourtant il ne s'exécute pas machinalement. Il a une chorégraphie, mais je remarque bien qu'il ne s'y tient pas à 100% et qu'il se laisse un certaine marge pour l'improvisation. Les émotions qu'il réussi à dépeindre me touchent énormément, si bien que je me retrouve un peu frustré à la fin lorsque la musique s'arrête et que la responsable de casting le remercie. Mon regard passe d'Abel à Charles, puis de nouveau au danseur avant que je ne m'approche du metteur en scène. « Demande lui s'il sait aussi jouer la comédie et chanter» soufflais-je «Vu son niveau de danse, ce serait trop dommage de le mettre en arrière plan et ne pas le laisser évoluer au devant, avec les comédiens et les chanteurs » je lance un coup d'œil vers Abel. «Si tu veux je peux lui donner la réplique rapidement, je connais encore mon texte... » proposais-je, l'air de rien. Les regards des trois adultes se posent sur moi, Charles m'interroge silencieusement puis fronce légèrement les sourcils avant que son regard ne s'éclaircisse et qu'il hoche la tête
«Mr. Greetham, est-ce que vous avez de l'expérience en comédie musical ? » demande-t-il sans plus tarder «Seriez-vous capable d'apprendre un texte en quelques minutes et nous le présenter avec un des comédiens de la compagnie ? » il me désigne d'un coup de tête « Est-ce tu as le script Clément ?» je pince les lèvres et fronce les sourcils en une moue de réflexion «Dans mon casier, oui » il hoche la tête «Eh bien, Mr Greetham, si vous voulez bien suivre notre petit prodige, je vous retrouve dans une demi heure, ok ? » instantanément, je me lève de mon siège et fait signe au danseur de me suivre.
La réaction du brun ne passe pas inaperçu de mon côté. A force de danser, je me retrouvais à être attentif à beaucoup de choses en matière de langage corporelle. Déformation professionnelle sans aucun doute. En effet, chaque expression, chaque mouvement était significatif dans le monde de la danse ; il fallait transmettre quelque chose émotionnellement parlant. C’était une forme d’expression non verbale, une expression qui avait beaucoup de sens selon moi. Alors que je vis la mâchoire du jeune homme se contracter légèrement, alors qu’une tension commençait à s’installer en lui, je sentais bien qu’il n’était sans doute pas nécessaire d’aller plus loin, déjà que je jouais les intrusifs à lui faire remarquer son état. D’ailleurs, l’ironie dans sa voix était plus que palpable et je préférais d’ailleurs ne pas en ajouter davantage, préférant me concentrer sur mon audition comme il me l’avait chaudement recommandé précédemment. Cependant, son conseil ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd, preuve en est, lorsque le numéro un entra dans la pièce pour appeler le numéro 8, qui n’était nul autre que moi.
Pourtant toutes les pensées parasites qui pouvaient se presser à ma conscience s’effacèrent bien vites lorsque je me mis à danser. Alors oui, j’étais dans le cadre d’une audition, d’un concours. La compétition promettait d’être rude d’après les bribes que j’avais aperçu dans la salle tout à l’heure. L’idée que mon statut de danseur connu à l’international pouvait certes faire pencher la balance dans la décision, mais je ne désirais pas être pris sous couvert de cet état de fait, je voulais être pris parce que mes qualités de danseur, ce que je pouvais proposer avait plu et surtout s’intégrait parfaitement à la vision de la compagnie. M’élançant alors sur la scène, je laissais mon corps tout entier se laisser porter par la musique, se laisser porter par cette douce mélodie au timbre éthérée, aux accents marqués malgré la fluidité qu’elle contenait. Mais au-delà de l’aspect technique, mon regard était vif, présent, n’hésitant pas à fixer de temps à autre la salle, les juges et cette tête que j’avais reconnu. Les bras déliés, les jambes tendues mais souples, je laissais mon corps s’élever dans les airs tel un oiseau, retombant sur le plateau avec légèreté, contrastant avec mon physique ou la puissance qui pouvait s’en dégager afin de donner une impression de facilité, une impression d’effort inexistant. Ce fut quand la musique cessa que je terminais mon dernier mouvement. Mes yeux s’étaient fermés un instant, savourant les sensations qui parcouraient mon corps, essoufflé par l’effort avant de me repositionner au-devant de la scène vers les juges.
Je constatais alors qu’un échange semblait avoir lieu entre Charles et le brun qui m’était de plus en plus familier. C’est alors que le metteur en scène me demanda si j’avais de l’expérience dans la comédie musicale. Une question sans doute logique au regard de la thématique de la Northlight Compagny. « J’ai eu reçu une formation en comédie et en danse de caractère au corps de ma formation à la Queesland Ballet Academy. » entamais-je alors en préambule. « Je ne vous promets pas d’être le meilleur des comédies mais je suis ici pour apprendre donc oui je peux vous présenter cela. » déclarais-je alors en hochant de la tête. C’est alors que le prénom du brun fut énoncé. Clément. Oui, voilà pourquoi sa tête me disait quelque chose : Clément Winchester. Mon sourire s’étira davantage lorsque mon regard se porta sur lui. D’ailleurs, ce serait lui qui allait me donner la réplique. « Très bien, à dans une demi-heure. » Je quittais alors la scène pour rejoindre Clément, le petit prodige pour arriver à sa hauteur. « Je me disais bien que ton visage m’était familier ! Il va falloir que tu sois patient, la comédie n’est pas mon premier domaine de compétence ! » avouais-je sans détour.
Je sais qu'Abel est talentueux, mais je ne savais pas qu'il l'était à ce point là ! Tout en lui respire le talent, la joie de vivre, l'envie de se dépasser et le bonheur d'être là. Il ne stress pas, ne montre absolument aucun signe de trac ou autre peur lorsqu'on se retrouve sur les planches face à un jury et gère son corps et son mental à la perfection. Si bien que je me sens encore plus naze que je ne le suis réellement. Il est là, à nous montrer sa performance alors que moi je reviens de New York où je me suis littéral$ ridiculiser devant des comédiens, danseurs, metteurs en scène et autres personnalités de la scène. Je suis donc aussi heureux que frustré que de voir Abel là, dans toute sa splendeur.
Toutefois, je réussi à mettre mon ego de côté et décide d'intervenir dans l'éventuelle future décision de Charles en lui demander de poser quelques questions en plus à Abel. Celui-ci répond qu'il a été effectivement reçu une formation de comédie lors de sa formation au Queensland ballet et que, même s'il ne sera sans doute pas le meilleur, il a au moins l'envie tenace d'apprendre. Il n'en faut pas plus pour Charles pour me dire d'aller chercher mon texte. Je me lève et reste un instant interdit face au metteur en scène lorsqu'il m'appelle 'le petit prodige' mais fini par secouer discrètement la tête et fait signe à Abel de me suivre.
Lorsque nous sortons de la salle de théâtre et que je le guide vers une porte à la gauche de l'entrée, le danseur s'exclame que mon visage lui semblait vraiment familier et que je dois, dans tous les cas être patient car la comédie n'est pas son fort. «Comment ça mon visage te semble familier ? » demandais-je en m'immobilisant pour tenir la porte pour lui «Je ne suis qu'un simple comédien. On commence à me connaître à Brisbane et peut-être vers Sydney aussi, mais c'est tout » haussais-je les épaules, persuadé qu'il doit sûrement se tromper « Enfin peu importe» je lui emboîte le pas et l'entraîne derrière moi le long du couloir «La comédie musicale n'est pas compliquée. Enfin genre ...tu sais déjà danser et ça c'est super important. T'arrive donc déjà a gérer donc corps, ton placement sur scène et t'auras pas de mal à assimiler la chorégraphie » je me stoppe devant la deuxième porte et laisse Abel passer « Etant donné que ton cerveau est déjà en mode 'apprentissage' le texte ne devrait pas être un souci» je me dirige vers le vestiaire et y entre «Le reste ...c'est de l'entraînement, tout simplement. Savoir poser sa voix correctement, gérer son souffle de manière à ne pas se fatiguer plus que de raison ...bref ça va le faire » je m'avance vers mon casier et ouvre le cadenas « Le texte c'est celui-ci» dis-je en lui tendant le script ouvert à la bonne page « moi je joue Jonas et toi tu vas apprendre le texte de Max» reprenais-je en désignant les lignes avant de reporter mon attention sur Abel «ok ? »
La question de Charles était légitime. Même si j’auditionnais pour intégrer la compagnie en tant que danseur, il cherchait des artistes qui n’avaient pas qu’une seule corde à leur arc. Je n’intégrais pas une compagnie de danse, mais bien une compagnie qui croisait plusieurs disciplines afin de proposer des pièces les plus complètes possibles. Il est vrai que je n’attendais cependant pas à ce qu’on pense que je pourrais convenir pour ce genre de rôle mais se prêter au jeu était intéressant et formateur ; d’ailleurs ma réponse ne se fit guère attendre à ce sujet. Et apparemment, ce serait Clément qui allait me donner la réplique. Un partenaire qui avait du niveau à en juger par le surnom donné par le metteur en scène, ce qui me fit sourire alors légèrement.
Rejoignant Clément, je quitte la salle en sa compagnie tout en lui faisant quelques commentaires à son sujet et à mes propres compétences en matière de comédie. La surprise semble l’envahir, ne comprenant pas vraiment ma réaction. « J’ai vécu trois ans à Sydney pour informations. Et puis, si ta tête me disait quelque chose, c’est bien parce que j’ai eu l’occasion de te voir à l’œuvrer au travers des vidéos de la compagnie présente sur les réseaux sociaux. Et puis, tu étais en tête d’affiche aussi. » déclarais-je alors en souriant. J’avais face à moi l’un des artistes professionnels de la troupe, l’un de ses membres permanents ce qui forçait naturellement le respect. Et voilà que j’apprenais qu’il allait être mon partenaire pour la suite de mon audition. Cela me faisait forcément quelque chose : j’avais toujours un profond respect pour les artistes, quelque soit leur discipline respective car je savais très bien le temps qui était consacré à cette passion et l’énergie dépensée. Les efforts n’étaient pas toujours récompensés ou reconnus à leur juste valeur, alors à mon sens il était important de le signifier.
Suivant alors Clément le long du couloir, j’écoute alors ses propos au sujet de la comédie musicale, les prérequis nécessaires. Je ne m’étais jamais produit dans ce genre de production, donc cela était forcément nouveau pour moi. Attentif, je le suis dans les dédales du Southern Cross tout en écoutant ses recommandations sur le sujet. Le regardant se diriger vers son casier, je ne peux m’empêcher de commentaire ses derniers propos : « Tout est question d’entrainement ! Je vais tâcher de faire au mieux ! » Mon entrain était bien présent sur mon visage, m’avançant pour prendre le script, je parcourais ce dernier alors rapidement. J’allais lui donner la réplique, cela promettait. « D’accord. Est-ce que tu peux juste me situer l’histoire, le contexte ? Qui est Max par rapport à Jonas afin que je puisse m’en imprégner avant de commencer ? » Je me disais que c’était comme lors d’un ballet : chaque rôle était créé et pensait d’une certaine façon, là cela devait être pareil. Si je voulais être convainquant, j’avais besoin d’éléments supplémentaires.
Ainsi donc, le danseur le plus connu d'Australie, celui que j'admire le plus et pour qui je pourrais créer un autel pour l'aduler d'avantage me connaît. A vrai dire, rien que le fait qu'il m'ait vu sur des vidéos qui sont diffusées sur différents réseau sociaux, ça gonfle mon cœur de fierté. Toutefois, je suis incapable de me réjouir plus que de raison et à part un sourire, un hochement de tête entendu et un « ah ouais, ok, je vois » je ne dis rien de plus et préfère me lancer dans des explications concernant la comédie musicale et les qualités requise.
Je fini par lui tendre mon script alors que, d'un ton enjoué, le jeune homme, me dis qu'il va tâcher de faire au mieux avant de me demander de lui situer un peu l'histoire, la relation entre les deux personnages et tout cela. «Jonas et Max sont colocataires » expliquais-je en déposant mon sac à dos sur le sol avant de retirer ma chemise, ne gardant plus que le t-shirt pour être plus à l'aise «Et meilleurs amis aussi » je parcours la feuille des yeux «Là c'est la scène juste après que la copine de Max soit partie et que la jalousie de Jonas se révèle » je pince les lèvres «spoiler alert : les deux finissent ensemble à la fin en mode 'happy ending' » j'hausse les épaules et relève mon regard sur le danseur «dans la pièce qu'on présent, Max est joué par celui qui est aussi mon copain dans la vraie vie » première confidence «La scène là est assez ...émotionnelle. Les deux passent par beaucoup d'émotions différents, des sentiments enfouis, des ressentiments qui sortent à cause de tous ces non dis » je m'appuie avec une main sur la chaise «Jonas est un hyper sensible, il vit tout au quadruple, ressent tout tellement plus fort que Max qui est plutôt du genre stoïque et qui a souvent du mal à suivre Jonas » je baisse le regard et ignore les battements de mon cœur qui commencent tout doucement à s'emballer « On va le lire une première fois, ok ?» je lance un coup d’œil furtif à Abel «Essaie de mettre le ton comme tu peux et comme tu l'imagine »
Je ne peux m’empêcher de sourire face au détachement dont Clément fait preuve face à mon commentaire sur son identité. Peut-être que ce dernier avait l’habitude de ce genre de situations et je n’en rajoutais pas davantage, préférant me concentrer en effet sur le script qu’il me tendait. Mais j’avais besoin de davantage d’éléments pour situer tout cela, pour vraiment m’imprégner du personnage que j’allais incarner. Clément ne se fait pas attendre au niveau des explications, m’indiquant que alors que Jonas et Max sont colocataires et meilleurs amis. La copine de Max vient de partir, signant la fin de leur couple. Toutefois, Jonas révèle alors davantage ses sentiments à l’égard de son meilleur ami. Face à la soudaine révélation, je lève mes yeux du script pour fixer alors le comédien, un petit sourire en coin. « Digne d’une belle série qui fait rêver ! » indiquais-je alors que je me replongeai dans le texte tout en écoutant la suite des indications qui m’étaient données. « D’accord, donc on est vraiment sur de l’expression pure et dure des sentiments, un moment phare de la pièce. Cela me convient. » indiquais-je alors sans lever les yeux du papier. D’ailleurs, Clément me dit que si Jonas est hypersensible, qu’il ressentit tout plus fort que Max, lui de son côté faisait preuve de davantage de maîtrise, de plus de pragmatisme alors même si les deux finissaient par être ensemble. Mon regard alors se pose de nouveau sur le comédien. « Très bien, Jonas. » dis-je alors d’un ton posé. Mon visage arbore à présent des traits relativement détendus, presque sérieux même. La neutralité peut se lire à présent sur mon visage alors que je me retourne vers la porte du vestiaire, afin de prendre l’action comme indiquée dans le script.
La séparation entre Max et sa copine venait juste de se produire. Et il rentrait alors à leur colocation abattue. Je fais mine de pousser la porte dépitée, soupirant même fortement tout en me dirigeant vers une chaise qui constituerait le canapé sur lequel je me laissais tomber lourdement. Etrangement, cette situation me rappelait quelque chose que je n’avais jamais oublié, jamais laissé de côté. Cette sensation qui m’avait pris dans les tripes lorsque j’avais appris la sinistre vérité entre Alexandre et ma meilleure amie. Je me penche alors finalement, laissant mes coudes venir sur mes cuisses, croisant mes doigts alors que j’ai laissé le script de côté. Mon front repose contre mes mains. J’attendais alors que Clément enchaine avec sa réplique.
J'aimerais me montrer plus expressif et démontrer ma joie lorsque le danseur m'avoue qu'il me connaît à travers les différentes vidéos qu'il a pu voir. J'aimerais réellement lui dire à quel point ça me touche et combien j'apprécie le fait qu'un homme de son statut et de son envergure puisse me reconnaître. Mais je n'y parviens pas. Il m'est tout simplement impossible de me montrer plus sincère et plus ouvert, du coup je reste détaché et fini par me concentrer sur l'essentiel : le script et le fait le préparer Abel à la suite de son audition.
En lui tendant les feuilles, je lui explique rapidement de quoi il retourne et ce qui se passe dans cette scène là, précisant tout de même que le rôle de Max est celui de Loan. Abel comprend très rapidement de quoi il retourne, désigne cette pièce comme étant digne des plus belles séries -ce qui m'arrache enfin un doux sourire- avant d'ajouter que c'est une scène phrase de la pièce. «C'est ça, oui » hochais-je la tête en croisant les bras. Les lèvres pincées et me mordillant légèrement l'intérieur de la joue, j'observe le danseur qui parcours les lignes du regard avant de se redresser, de hocher la tête et de se détourner. L'espace d'une seconde je me dis qu'il va s'isoler pour apprendre au maximum ses lignes, avant que je ne me rende compte qu'il est tout de suite près à se mettre dans son personnage.
Me reculant pour lui laisser la place, je dépose ma liasse de papier sur la table avant d'afficher la mine que Jonas afficherais dans cette situation. Les sourcils froncés, les lèvres ne formant qu'une seule ligne, je fixe durement Abel qui se laisse tomber sur les chaises dans un lourd soupire emplie de tristesse. Alors que celui-ci se penche en avant, je me recule un peu et m'appuie avec une épaule contre le mur « J'espère que t'as au moins une bonne excuse pour avoir totalement zappé qu'on devait se voir et passer la soirée ensemble» lâchais-je finalement dans un grognement mauvais marquant ainsi le début du dialogue.
Jouer la comédie. J’avais été formé pour cela, enfin j’avais reçu des cours dans ce domaine dans l’idée de faire de moi un artiste le plus complet possible : que ce soit au Queensland Academy Ballet ou lors de ma carrière professionnelle. Cependant, je pouvais le dire, je n’étais pas le meilleur à ce jeu-là. En matière de pantomime, je me fondais complètement dans le rôle, c’était comme danser. Mais quand il s’agissait de mettre des mots, beaucoup moins car je ne savais pas feindre l’émotion ; pourtant cette scène faisait écho en moi et j’avais décidé de puiser dans ces souvenirs douloureux pour m’imprégner alors plus facilement de la sensation, des sentiments que pouvaient avoir Jonas à ce moment-là. D’ailleurs, j’avais pris place sur la chaise qui servait de substitut au canapé, le front contre mes mains croisés. C’est alors que la voix de Clément se fit entendre. Une voix qui trahissait sa mauvaise humeur, un commentaire désobligeant.
Je me redresse alors sans daigner lui adresser un regard, me laissant aller contre le dossier de ma chaise tout en soupirant. « Je n’avais pas oublié. Je te rappelle qu’on habite ensemble. » dis-je alors d’un ton lasse. Cependant, ma langue claque sur mon palais. En effet, cela faisait son bonhomme de chemin dans ma tête. Mon regard se braque alors sur Clément. « Je devais aller voir Claire avant. » indiquais-je alors comme dans le script. Toutefois, les choses n’allaient pas en rester là d’après le script. Et c’était bien là aussi tout le pilier de la scène ; cependant, je me disais étrangement que cette scène, j’aurai pu la vivre aussi à Paris. Mais je tâchais de rester focus, de ne pas me perdre en digression. J’avais fait mon deuil de tout cela, mais cela n’était finalement jamais simple de l’évoquer. Surtout que j’allais devoir parler de la séparation qui avait lieu entre Claire et Max. Je n’oubliais pas non plus que cette scène, que ce moment de comédie constituait aussi peut-être mon ticket d’entrée pour cette compagnie. Je devais tout donner, ne rien lâcher au détriment de ce que je pouvais penser, ressentir, il fallait que je puise l’émotion, la sensation. C’était tout ce qui comptait à ce moment-là.