Finalement, ce ne fut pas aussi difficile que je pouvais le penser. Clément avait décidé de me montrer, de danser. Et le voir danser était un plaisir réel. Ce n’était pas juste un ensemble de gesticulations, c’était ordonné, fantasque, agréable, cohérent et surtout évocateur. Il y avait de l’émotion, de la passion. Il retrouvait tout ce qui semblait lui avoir manqué ces derniers jours à en juger par notre échange. Le voyant s’arrêter à la fin de la musique, reprenant son souffle, je décide de ne pas laisser l’euphorie retomber et le rejoins rapidement en ayant relancé la musique au préalable. Après tout, je n’allais rester là, à le regarder non plus. Je remarque bien rapidement son sourire, traduisant sa joie. Sans doute est-il ravi qu’on puisse danser tous les deux ? En tout cas, cela est réciproque. Le regard de défi que Clément me lance fait plaisir à voir. Il semble avoir retrouvé sa combativité, sa hargne. Je calque alors mes mouvements sur les siens, tout en me repassant la chorégraphie que j’avais vu précédemment. Cela me changeait un peu de mon registre mais ce n’était pas si éloigné. Mon regard est rivé sur lui, m’exécutant alors, avec certains décalages par moment. Mais je ne réduis pas pour autant mes mouvements pour suivre, profitant de l’espace qui nous est accordé pour poursuivre la chorégraphie. La musique s’arrête, la chorégraphie aussi. Je pousse alors un profond soupire pour reprendre une respiration moins erratique, mon regard sur le sol avant de me redresser tout sourire vers le comédien. « Avec plaisir. Je suis certain que cela peut rendre quelque chose de très sympa. » dis-je alors en faisant quelque peu également. Je souris face à son commentaire. « Quelques erreurs par moment, des départs à contre-temps… C’était loin d’être parfait. » En effet, je savais bien que je n’avais pas exécuté la danse de façon parfaite, mais l’objectif était davantage de donner à Clément l’occasion de se libérer un peu l’esprit après tout cela. Mais apprendre cette chorégraphie était une idée des plus agréables, je l’admets volontiers. « Ah je vois, on me met au défi l’ancêtre afin de voir s’il est capable de suivre la jeunesse. » Boutade alors que je m’approche du danseur qui se dirige vers la porte après avoir récupéré ses affaires tout en me rappelant que j’avais une audition à terminer. « D’ailleurs, c’est l’idée de Charles ou la tienne de m’avoir demandé de me faire passer une partie de comédie ? » demandais-je alors sur le chemin du retour vers la salle de spectacle.
Lorsqu'Abel accepte d'apprendre la chorégraphie avec moi, mon cœur accélère ses battements pour rattraper celui qu'il a raté. En arrivant aujourd'hui au théâtre, je ne pensais pas y trouver une telle célébrité. Je n'imaginais pas danser à ses côtés et encore moins qu'elle accepte d'apprendre ma chorégraphie. Et pourtant c'est ce que el danseur vient de faire. Est-ce ça voudrait dire qu'il souhaite qu'on se revoit même s'il n'est pas retenu ? Je n'en sais rien.
Tout ce que je sais c'est qu'il a réussi, avec son petit subterfuge, à me changer les idées. Et même si ça ne durera peut-être pas longtemps, j'ai eu la possibilité de faire taire mon cerveau et mon esprit pendant quelques minutes et c'est tout ce que je demandais. Je laisse même échapper un petit rire lorsqu'il annonce que la jeunesse souhaite mettre l'ancien au défit « Tu le relèvera sans aucun problème» assurais-je avec un clin d’œil alors que je range mes affaires et me dirige vers la sortie.
Tandis que nous longeons le couloir qui nous mène à nouveau vers la salle d'audition, Abel souhaite savoir de qui vient l'idée de lui faire passer un test de comédie. « J'avoue que j'ai glissé l'idée à Charles pendant que tu dansais» haussais-je les épaules alors que nous arrivons à la porte. Celle-ci s'ouvre au même moment, laissant apparaître Patricia, la directrice de casting «Ah vous tombez bien, j'allais justement envoyer quelqu'un pour vous chercher » lance-t-elle, avant que son regard ne se pose sur Abel « Vous êtes prêt ?» Je lance un coup d'oeil vers le danseur qui répond positivement et lui emboîte le pas.
Lorsque je grimpe sur la scène, je capte un instant le regard et le sourire d'encouragement de Charles, mais me concentre bien rapidement sur mon partenaire de scène. Et, alors que je vais m'adosser contre le mur, je prie tous les dieux du théâtre et des comédiens de m'aider à faire passer cette audition au jeune homme sans crise d'angoisse intempestive.
Je ne sais pas si mes prières ont été entendues ou si c'est le fait d'avoir danser juste avant, mais je suis bien plus serein et la scène que nous jouons se déroule dans les meilleures conditions possibles. Je suis sûr de moi, le texte me vient sans aucun problème, mes gestes sont contrôlés mais pas robotiques et restent naturels. Je vis la scène, je joue mon rôle comme jamais, comme si c'était moi qui passait l'audition, sans pour autant faire de l'ombre au talent d'Abel. Lorsque celui-ci butte sur le dialogue et qu'il hésite dans son texte, je le relance avec une rapide improvisation, l'aidant au maximum, jusqu'à la fin de la scène. Nous nous observons quelques instants encore avant que Charles de tape dans ses mains « Parfait !» s'exclame-t-il, les autres jury approuvant ses paroles «Je vais vous demander de rejoindre les autres, nous allons prendre une décision dans les prochaines minutes » indique le metteur en scène.
J'hoche une fois la tête dans sa direction puis sort de la scène avec Abel. Une fois dans la salle dans laquelle se trouve les autres candidats, j'hésite quelques instants puis sort une feuille et un stylo de mon sac, griffonne mon numéro de téléphone puis tend le papier au danseur « Je vais devoir y aller mais ...tu me tiens au courant, ok ?» demandais-je avec un petit sourire. Après une réponse positive de sa part, je me détourne, épaule correctement mon sac à dos et sort de la salle puis du théâtre pour prendre la direction vers la maison de Loan.
Le commentaire rassurant de Clément avait quelque chose de forcément agréable. L’expert en matière de comédie, c’était lui après tout. Peut-être ne s’en rendait-il pas encore compte mais être encouragé par un ainé dans un domaine auquel on se confronte permet souvent de prendre du recul et d’aborder les choses avec plus de sérénité ; je n’étais pas fondamentalement angoissé ou anxieux à propos de cette audition un peu particulière par la tournure qu’elle avait prise. C’était un peu un coup de poker pour moi, j’allais tout donner et voir ce que cela donnerait. J’espérais quand même que le jury distingue quand même ma prestation en tant que danseur et celle en tant que comédien novice. Je n’avais aucune réelle expérience dans le domaine et j’étais fort dubitatif dans mes capacités à l’être d’ailleurs. Cependant, l’attitude de Clément à mon égard m’encourageait à ne rien lâcher. Et puis le fait qu’il soit aussi à l’origine de cette idée en disait aussi long d’une certaine façon. « Je te retiens toi et ton idée ! » soufflais-je alors faussement irrité, avant qu’un sourire ne revienne sur mes lèvres, apportant un côté mutin à mon expression. C’est alors qu’une personne du jury venait de faire apparition devant nous alors que nous étions en train de revenir. Je hochais d’un signe de la tête alors face à sa question, entrant rapidement alors dans la salle de spectacle pour gravir la scène derrière Clément.
Bon, ce n’était pas désastreux mais c’était loin d’être parfait. Si la réplique venait sans mal par moment, à d’autres moments, je me retrouvais avec le fameux trou de mémoire, laissant une sorte de silence qui aurait pu devenir presque gênant si Clément n’était pas venu à ma rescousse, reprenant alors la réplique, modifiant quelque peu la direction du script. Mais cela m’aida indubitablement, me permettant alors de me lancer de nouveau, quitte à changer quelques répliques par moment afin de garder une certaine cohérence. Lorsque la scène arriva à sa fin, je regardais alors le comédien avec un sourire avant de tourner la tête vers Charles qui tapa des mains. Je hochais légèrement de la tête alors en signe d’acquiescement afin de quitter la scène avec Clément à ma suite, qui vint s’arrêter pour me tendre une feuille où se trouvait griffonner son numéro de téléphone. Saisissant celle-ci, j’acquiesçais de la tête. « Tu peux compter sur moi ! Et puis même si on ne se revoit pas ici, n’oublies pas que tu as une chorégraphie à m’apprendre. » lui dis-je avant qu’il ne disparaisse.