« Un toast, à mon fils et à ses merveilleuses prétendantes. »

Le banquet touche à sa fin. Le premier soir aussi. Demain, beaucoup d'entre elles partiront. Elle retrouveront leurs vies ordinaires et leurs petits amis ordinaires. Elles quitteront les robes et les murs de ce palais somptueux, la capitale. Beaucoup d'entre elles, dans l'esprit de Saül, ne sont que des fantômes. Ce n'est pas parce qu'il est en âge de se marier qu'il a vraiment envie de le faire. On ne lui a pas demandé son avis. Sa mère est morte depuis longtemps et son père a remplacé sa génitrice par une autre qui ne lui donnera pas plus d'enfants que la remplaçante précédente. Pourtant, le trône doit avoir un héritier. C'est ainsi que sont conquis les empires. C'est ainsi que son gardées en place les monarchies.

Les rires sonnent tous faux au possible. Il n'a pas décroché un sourire à l'audience qui se trouve devant lui et Saül sait parfaitement qu'il en paiera le prix. Son père ne le surveille pas, il n'a pas que ça à faire. Ceux qui sont chargés de rapporter ses faits et gestes à son géniteur, en revanche, prennent en note chacune de ses respirations. Chacun de ses regards est épié, disséqué, observé. Pour la forme, il laisse traîner son regard sur une petite dizaine de jeunes femmes. Ses yeux s'arrêtent prestement sur l'une d'entre elles. Elle porte un immense nœud bleu dans les cheveux et Saül ne peut s'empêcher de penser qu'il déteste toute cette parade affreuse. Qui a choisi la robe de la suivante ? On dirait un ananas. Et celle d'après ? Une énorme baie rouge. Toutes, bien sûr, penseront qu'elles sont dans les faveurs du Prince. Elles ne savent pas encore qu'elles seront les premières à quitter le couvert du palais.

Dans les heures qui suivent, elles le rencontreront toutes. L'une d'entre elles aura peut-être même l'occasion de danser avec le Prince avant l'éviction qui suivra. En attendant, les convives se lèvent et se dépêchent de s'éparpiller dans la salle. Saül se contente d'aller chercher à boire auprès d'une femme à la robe plus terne que celle des autres. Une servante, peut-être. Saül n'a pas le temps de remarquer qu'elle fait partie de la tablée. Après tout, il n'a pas étudié les portraits, seulement passés entre les mains de son père. Sa validation n'a qu'un effet d'apparat. « Allez me chercher à boire. » La soirée ne fait que commencer.

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Tu n’as rien à faire ici.

Personne ne le dit avec des mots, mais c’est ce que je lis sur le visage de la plupart des autres filles, des autres sélectionnées. Bien sûr que non, je n’ai rien à faire ici. Mes dames de chambre le pensent aussi visiblement puisqu’après m’avoir fait passer une dizaine de robes plus affriolantes les unes que les autres dans lesquelles j’ai été mal à l’aise, elles ont fini par capituler et me laisser porter une robe de ma confection. Oh, elle n’a rien à voir avec les robes des autres filles, elles n’a rien à voir avec les robes de quiconque au palais, mais je suis une six, une couturière et si j’ai passé des années à coudre pour les autres, j’ai aussi travaillé sur celle ci depuis au moins autant de temps. J’étais supposée la porter le jour de mon mariage, avec un homme de caste évidemment, pas au palais le premier soir.

Je sais qu’avec une robe aussi simple que celle ci, j’ai toutes mes chances de rentrer chez moi demain matin. En soie blanche, parée de quelques perles récupérées à droite et à gauche chez mes plus riches clientes, elle me plaît à moi. De toute façon, le prince Saül ne semble pas avoir envie de nous accorder la moindre attention. La rumeur raconte qu’il est volage et qu’il ne souhaitait pas se marier, j’ai entendu une des mes suivantes en parler alors qu’elle tirait mes cheveux en arrières comme si elle voulait m’arracher le cuir chevelu et qu’elle m’appliquait plus de maquillage que je n’en ai porté en toute une vie.

« Allez me chercher à boire. » Je me retourne pour me trouver nez à nez avec le prince. Pas préparée à lui faire face, mes mains tremblent et mon verre manque de m’échapper. Il est plus beau encore de près. Plus revêche, aussi. « Votre majesté je... » Me prend-t-il pour un membre du personnel du palais ? « Je m’appelle Misty, je suis une des jeunes filles qui… Une des sélectionnées. » Je tente de ramener un mèche de cheveux en arrière, mais mes suivantes n’ont rien laissé au hasard : ils sont plaqués contre mon crâne et moi je passe certainement pour une idiote, à le dévisager de deux yeux ronds comme des billes. « Mais je peux tout de même aller vous le chercher, ce verre. » Si je suis devenue une trois grâce à la Sélection, j’ai encore du mal à m’y faire : les six sont supposés se mettre au service des autres et obéir au moindre ordre donné.

Il n'a pas porté attention à celle qui lui fait face. De toute façon, pourquoi faire ? Peut-être y verra-t-il plus clair quand elles seront moins nombreuses. Après tout, l'amour, ça ne tombe pas sur la tête des gens par magie. L'amour, c'est une confection de longue haleine. C'est un tissage méticuleux. C'est ce qu'on a vendu au Prince quand il était petit. Lui qui était si friand de ces histoires n'est plus maintenant bercé que par les discours politiques de son géniteur. Lui n'épouse pas par amour. Lui épouse parce que les femmes apportent le soutien des pays d'où elles sont dérobées. Sa première épouse, bien sûr, était une femme issue de la Sélection. C'est ainsi que les choses se passent depuis La Grande Guerre. Tout le monde sait ça, même Saül qui détestait les leçons d'histoire. Lui a toujours préféré l'aventure, les chevauchées en forêt et les sorties en mer. Désormais, tout cela est interdit. Il n'a plus mis les pieds en dehors du palais depuis qu'on a essayé d'attenter à sa vie, sans réussir à faire autre chose qu'à arracher celle de sa mère.

« Votre majesté je... » Et soudain, il la regarde. Il la voit. Elle n'a rien d'une servante, en vérité. Elle est bien plus - bien trop - apprêtée. Elle porte des perles et des bijoux par dizaines, mais les merveilles sont ses yeux. « Je m’appelle Misty, je suis une des jeunes filles qui… Une des sélectionnées. » Misty. C'est un drôle de prénom, mais quand on s'appelle Saül on n'a pas le droit de se moquer. « Mais je peux tout de même aller vous le chercher, ce verre. » « Ce n'est pas la peine. » Ce n'est plus la peine. Il n'a pas soif, en réalité. Le subterfuge ne visait qu'à éviter de se faire offrir un verre par les jeunes filles. Et maintenant, le voilà piégé avec l'une d'entre elles.

Saül ne peut pas regretter sa venue. Après tout, il est lui-même allé vers elle et elle est là pour lui. Non loin de là, une petite troupe de sélectionnées lance des regards mauvais dans la direction de la dénommée Misty. « Elles rient de votre robe. » qu'il murmure, bras croisés dans le dos. Cette allure très militaire est la même que celle de son père. On ne peut pas nier leur lien de parenté, au moins. « Elles se demandent si vous avez fait exprès de vous déguiser en servante, pour m'attirer dans un piège. » Leurs regards s'adoucissent maintenant qu'elles ont remarqué que le Prince regarde dans leur direction. « Et elles s'en veulent de ne pas avoir été aussi maligne que vous. Vous êtes maligne, n'est-ce pas, Misty ? » Il faudra qu'elle le soit, si elle espère ne pas se faire engloutir par le système. Elle n'a pas l'air d'avoir les épaules pour survivre à tout cela, toute chétive qu'elle est. Elle vient probablement d'une caste plus basse, une caste dont on dérobe les filles juste pour faire croire que toutes les filles du royaume ont leur chance.

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Chaque semaine que je passe au palais rapportera à ma famille plus d’argent qu’elle n’en gagne en une année complète et, lorsque ladite famille est composée de sept enfants et que l’homme de la famille a trouvé la mort, laissant ma mère subvenir à nos besoin, ce n’est pas un luxe dont on peut se passer. Ma sélection pour participer à la compétition est une bénédiction si bien qu’à aucun moment je ne me suis demandée si je voulais vraiment être là.

Parce que dans mon cas, il n’est pas question de vouloir, il est question d’avoir besoin et, finalement, le destin m’a donné un coup de pouce en poussant le prince dans ma direction : j’ai besoin de rester le plus longtemps possible, pour les miens. « Ce n'est pas la peine. » Mes joues se colorent de rose et je lui adresse une révérence du mieux que je peux : Silva me tapera certainement sur les doigts pour mon manque de tenue et ma nuque trop pliée.

« Elles rient de votre robe. » Je n’ai même pas besoin de jeter un coup d'œil au groupe de filles qu’il désigne pour savoir de quoi il parle, mais je le fais tout de même pour éviter d’avoir à croiser son regard bleu si troublant. « Je sais. » Ici, je suis celle qui provient de la caste la plus basse. Une cinq et quelques quatre font partie du lot mais la plupart des filles proviennent des castes les plus riches. Les aléas du tirage au sort. « Elles se demandent si vous avez fait exprès de vous déguiser en servante, pour m'attirer dans un piège. » Je pourrais lui dire que je me sentais surtout étouffée dans toutes les couches de tissu des robes confectionnée par mes femmes de chambre, mais je croise son regard et constate que ses lèvres esquissent un sourire, peut-être le premier depuis le début de la soirée alors je n’ose pas le décevoir. « Et elles s'en veulent de ne pas avoir été aussi maligne que vous. Vous êtes maligne, n'est-ce pas, Misty ? » « Si je dois être tout à fait honnête, je ne pensais pas que cela fonctionnerait. » Je calque mon sourire comme le sien, pour donner l’impression au reste du monde que je maîtrise la situation, que je suis audacieuse et que j’ai le port d’une princesse. « J’en ai entendu plusieurs se lamenter de votre manque d’intérêt pour elles. » Je baisse d’un ton, comme pour lui faire une confession. « Mais vous ne me semblez pas particulièrement timide. Est-ce donc parce que vous ne voulez pas être ici avec nous ? »

Elle fait la révérence, donnant à Saül la confirmation dont il avait besoin. Oui, elle fait partie de celles qu'on a enlevé aux mains caleuses de leur père. Elle a peut-être un petit ami quelque part. Un gars servant de chair à canons en dehors des murs qui délimitent le royaume. Un type qui sera mort l'année prochaine et qu'elle n'aura pas le temps d'épouser à cause de la sélection. « Je sais. » Les autres s'imaginent probablement à la place de Misty. Elles se disent qu'elles feront bien mieux. Qu'elles n'ont pas besoin de subterfuges pour attirer l'attention du prince. Que même dans des haillons, elles pourraient se saisir de son cœur sans faire beaucoup d'efforts. Puisqu'elles ont vu Misty faire, elles se montreront plus audacieuses dans leurs tentatives - si elles ont le temps de le faire.

« Si je dois être tout à fait honnête, je ne pensais pas que cela fonctionnerait. » Pour la première fois de la soirée, le prince sourit. Son père sera soulagé de l'entendre. Il ne sera en revanche pas très content d'apprendre que c'est Misty qui est à l'origine de l'étincelle de joie qui illumine le regard de son fils unique. Oui, c'est une maligne. « J’en ai entendu plusieurs se lamenter de votre manque d’intérêt pour elles. » Saül balaie à nouveau la salle du regard. A mesure qu'il lance des regards à droite et à gauche, les yeux des jeunes femmes fuient sans beaucoup de délicatesse. « Elles ne peuvent s'en prendre qu'à elles mêmes. » De toute évidence, Saül a déjà oublié qu'il était en présence de l'une d'entre elles. « Mais vous ne me semblez pas particulièrement timide. Est-ce donc parce que vous ne voulez pas être ici avec nous ? » Elle pose trop de question et Saül se dépêche de perdre son sourire au profit d'un regard las. « C'est mon mariage, qu'on célèbre en avance. Je suis ravi et très honoré que mon père organise tout cela pour me trouver l'épouse parfaite. » C'est un discours récité, qu'il a appris à force que ses précepteurs le lui fassent rentrer dans le crâne.

« Comment est-ce que- » Et soudain, on bouscule Misty. Une jeune fille à la robe mauve et aux magnifiques bagues de toutes les couleurs vient de renverser son verre sur la jolie robe de la jeune femme. « Seigneur, je suis désolée ! Je suis désolée... » C'est une véritable actrice. Avec les trémolos dans sa voix, on pourrait presque la croire. D'une main maladroite, elle tente d'essuyer Misty. « Mes parents le disent sans cesse : Marla, tu as deux mains gauches. Oh je suis désolée... » « Je crois que nous avons entendu que vous étiez désolée. » Le regard assassin dont s'est paré Saül n'est étranger pour personne. On n'a pas menti à ces jeunes filles quand on leur a prévenu que les rumeurs parlaient d'un prince difficile au caractère exécrable.

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« Elles ne peuvent s'en prendre qu'à elles-mêmes. » Pourquoi ? Les trouve-t-il déjà horripilantes ? Toutes autant qu’elles sont ? Certaines des filles sont si discrètes que je doute qu’il ait déjà eu le temps de se faire une opinion sur elles. Notre seul défaut à toutes est-il d’être ici pour lui ? Les rumeurs qui courent au sujet du prince sont-elles vraies ? Collectionne-t-il les amantes, toutes indignes aux yeux de son père de l’épouser ?

Comment une fille comme moi pourrait-elle l’être ? Je ne suis devenue une trois que grâce à la sélection, hier matin encore j’étais une six et si je ne réalise pas le bond sur l’échelle sociale que j’ai déjà fait, je me demande si je ne suis ici que pour faire bonne figure, pour montrer que le palais se soucie du sort des petite gens ? « C'est mon mariage, qu'on célèbre en avance. Je suis ravi et très honoré que mon père organise tout cela pour me trouver l'épouse parfaite. » - « Vous n’avez pourtant pas l’air de l’être. » J’avais promis de faire taire mon côté sauvage pour avoir l’air d’une lady. Force est de constater que c’est un brillant échec : j’espère qu’il aime les femme de caractère.

« Comment est-ce que- » - « Seigneur, je suis désolée ! Je suis désolée...  » Je n’ai pas le temps de connaître le contenu de la question que le prince se pose à mon sujet que me voilà trempée. La boisson rouge sang que buvait Marla Tames se retrouve sur ma robe blanc nacre et mes joues rougissent alors que je réalise qu’elle devient relativement transparante, une fois humide. Sans savoir où me mettre, je croise mes bras devant ma poitrine et observe la fautive : elle l’a fait exprès, j’en suis persuadée. « Mes parents le disent sans cesse : Marla, tu as deux mains gauches. Oh je suis désolée... » Marla, tu es une garce me semblerait plus approprié et, sur mon visage, haine et honte se mêlent à présent. « Je crois que nous avons entendu que vous étiez désolée. » Haine qui disparaît alors que je relève mes yeux vers le prince qui ne semble pas avoir plus apprécié que ça l’intervention de la prétendante. « Ce n’est rien Marla. Tout le monde ne peut pas avoir l’étoffe d’une reine. » Et moi, je mords. J’espère que cela ne me coûtera pas ma place dès ce soir. « Votre majesté, je suis désolée, de toute évidence, il faut que j’aille me changer. » Et dire que cette robe était le travail de toute une vie, ma vie.

Oui, c'est exactement comme cela qu'arriveront les catastrophes. Une à une, pour tenter de faire fuir les autres prétendantes, ces dernières s'essayeront toutes à des subterfuges idiots. Renverser un verre, c'est déjà ce qui est appliqué pour ce soir. Elles ne perdent pas de temps, ces jeunes filles qu'on pousse à devenir des femmes. Certaines d'entre elles ont été préparées à effectuer les pires coups-bas pour gagner le coeur du prince, semble-t-il. La première est une certaine Marla - un prénom énervant, si on demandait son avis à Saül. Mais qu'est-ce qui ne l'énerve pas, au juste ? « Ce n’est rien Marla. Tout le monde ne peut pas avoir l’étoffe d’une reine. » La répartie de Misty attire l'attention du prince, qui voudrait s'empresser de lui prêter un mouchoir. Dans la salle, tout le monde se tourne vers l'incident. Alors que Marla a cessé d'essayer de réparer son "erreur", d'autres prétendantes pouffent de rire. Mêmes les autres invités se laissent aller à des murmures. "La tache", c'est comme ça qu'ils ont renommé Misty.

« Votre majesté, je suis désolée, de toute évidence, il faut que j’aille me changer. » Sa majesté laisse filer Misty sans rien dire. Il aurait voulu en avoir l'audace, pourtant. Mais son père a déjà posé ses yeux sur son fils. Dans ces yeux, de la satisfaction. Misty était la garantie de cette Sélection, rien de plus. Il n'a jamais été prévue qu'elle passe les premières éliminations. Et le Roi n'a même pas eu à intervenir pour faire de Misty un élément du passé. « La pauvre. Elle avait vraiment une jolie robe. » Son ton faussement compatissant n'aura pas le Prince, qui perçoit dans le regard de la jeune femme une lueur victorieuse. Ses yeux bruns se tournent déjà vers Saül. « Ce doit être difficile, de faire un choix, Sire. » « Le choix est parfois plus facile qu'il n'y paraît. » Saül s'éloigne déjà à la suite de Misty. « Ce n'est pas Sire. C'est Votre Majesté. »

« Misty ! Attendez ! » Ils n'ont pas le droit d'évoluer dans le palais sans chaperon, mais ceux qui surveillent le Prince doivent s'être précipités dans le couloir qui mène aux appartements des prétendantes. Avant que le couloir ne s'enfonce plus avant dans le palais, Saül se déleste de sa veste, qu'il pose sur les épaules de la jeune femme. « Pour votre robe. Revenez. » Je vous en prie. « Ou je n'aurai personne avec qui danser. » C'est un autre sourire qu'il lui offre, moins soudain que le précédent mais non moins sincère.

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Je savais que certaines filles avaient l’intention de se battre pour la couronne et je savais que la compétition aurait à cause de celles-ci l’allure d’une lutte acharnée. Ce que je n’avais pas anticipé, c’est qu’elle commencerait si tôt et de façon si publique. Le premier soir, je pensais être relativement à l’abri des mesquineries d’autres participantes et force est de constater que certaines sont réellement prêtes à tout pour s’élever.

Même à ruiner les robes d’une autre. Alors que je regagne le couloir qui mène aux chambres, certaine d’avoir toutes mes chances de partir demain matin maintenant que je me suis donnée en spectacle de la sorte, je ravale mes larmes mais la tâche rouge et l’odeur de vin qui émanent de ma robe rendent la tâche compliquée. « Misty ! Attendez ! » Surprise, arrêtée par le son d’une voix que je n’arrive pas à croire reconnaître, je me retourne, toujours aussi honteuse et les bras croisés pour masquer mon corps donné en spectacle par le tissu mouillé.

Les spectateurs sont nombreux à voir le prince qui ôte sa veste pour la poser sur mes épaules, mais la plus grande surprise, c’est dans mes yeux qu’elle se lit. Mes yeux à présent ronds comme des billes alors que je le dévisage. « Pour votre robe. Revenez. » - « Je… Merci. » La veste sent son parfum et il me chatouille les narines de la plus agréable des façons. « Ou je n'aurai personne avec qui danser. » - « Vous voulez… Vous voulez danser avec moi ? » Ma timidité s’efface pour laisser place à une vraie surprise. De toutes ses prétendantes, je suis certainement la moins reluisante, avec ma robe faite main et à présent ruinée. « Vous savez de quelle caste je suis originaire ? » Je jette un coup d’oeil à la foule, amassée à quelques mètres de nous, les chaperons en tête. « Les autres filles me surnommaient déjà la tache avant cet incident. » Puisque les gens comme moi ne sont que ça aux yeux des gens comme eux. Et parce qu’après tout, nous passons notre vie à nettoyer derrière les plus riches. Je n’ai été sélectionnée que pour attirer les faveurs des petites gens à la couronne et au palais, je le réalise à présent.

Les caméras suivent, bien sûr. Elles ne rateraient cette rencontre pour rien au monde. C'est la première, celle qui ouvrira le bal. Pour les heures suivantes, le Prince devra toutes les rencontrer. Un marathon épuisant, auquel il voudrait pouvoir échapper. Les caméras se font discrètes. Certaines sont installées directement contre les murs, dans le décor du somptueux palais. Heureusement, il y a longtemps que le prince a appris à vivre avec leur regard de verre et de métal. « Vous voulez… Vous voulez danser avec moi ? » La requête semble un peu plus idiote, maintenant. Un peu trop formelle. Sous les yeux du chaperon et de la suite du Prince, ce dernier reprend une attitude qui se prête un peu mieux à son rang. « Je vous le demande, oui. » Son père lui a demandé de céder le verbe demander au profit du verbe ordonner, mais il n'en a pas encore eu la force. Saül n'est pas comme son père, bien qu'on lui prête un mauvais caractère et une nature solitaire.

« Vous savez de quelle caste je suis originaire ? » « Je n'en ai cure. Vous avez été sélectionnée, comme les autres. » La parité, c'est ce que promet la Sélection à ces filles. Et si le Roi s'est toujours arrangé pour que ses prétendantes soient issues de la Haute, le Prince prendra l'intitulé du concours au pied de la lettre. « Les autres filles me surnommaient déjà la tache avant cet incident. » « Elles auraient trouvé autre chose si vous étiez issue de la seconde caste. » Elles se trouveront toutes des surnoms plus horribles les uns que les autres. La première à étrenner cette horrible compétition de méchanceté est Misty.

Sous les yeux des spectateurs, Saül tend une main à la jeune fille qui lui fait face. « Venez. Il ne faut pas les faire attendre, elles vont adorer votre nouvelle tenue. » Un sourire malicieux se glisse sur le visage du Prince, qui entraîne Misty à sa suite. « Je ne veux plus vous voir fuir devant ces filles. Ne vous laissez pas impressionner par un peu de vin sur une robe. Elles seront capable de faire pire. Me suis-je bien fait comprendre ? » Le ton est un peu trop dur, mais il est aussi assez bas pour que Misty soit la seule à entendre les paroles de Saül. Doucement, sans se presser, les deux jeunes gens reprennent le chemin de la salle dans laquelle les attendent les musiciens.

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« Je vous le demande, oui. » C’est une demande, mais je n’ai pas d’autre choix que d’accepter de toute façon : c’est du Prince qu’il s’agit. Et je suis également bien obligée d’admettre que si la perspective de faire à nouveau face à toute l’assemblée ne m’enchante guère, celle de danser avec Saül me donne en revanche l’impression de flotter sur un petit nuage.

« Je n'en ai cure. Vous avez été sélectionnée, comme les autres. » Je sonde son regard à la recherche d’une lueur d’hypocrisie que je ne trouve pas : il a l’air sincère lorsqu’il me dit ça. J’ai l’impression que ma caste est accrochée sur mon front et lui s’en moque : est-ce le privilège de ceux qui n’ont jamais été bridés par la leur ? « Elles auraient trouvé autre chose si vous étiez issue de la seconde caste. » Si j’étais une deux… Quel doux rêve. Les caméras sont, je l’espère, trop loin pour capter nos paroles mais ne perdent pour autant aucune miette de ce moment si bien que je m’efforce de referme la bouche pour ne pas passer pour une idiote. « Venez. Il ne faut pas les faire attendre, elles vont adorer votre nouvelle tenue. » - « Attendez. » Je ferme les boutons de sa veste pour masquer la tache et, surtout, le galbe de ma poitrine à moitié dévoilé par le tissu mouillé. Timidement, je place ma main dans la sienne et je suis surprise et ravie de constater qu’elle ne tremble pas. Je doute que les jeunes filles impressionnables plaisent à ce prince de caractère. Lorsque ses doigts se referment sur les miens, mon sourire s’étire un peu plus encore. « Je ne veux plus vous voir fuir devant ces filles. Ne vous laissez pas impressionner par un peu de vin sur une robe. Elles seront capables de faire pire. Me suis-je bien fait comprendre ? » Le ton est ferme, presque directeur et je hoche la tête doucement tandis que nous regagnons la salle de bal. C’est l’ordre d’un prince que j’ai reçu, et je n’ai aucunement envie de le décevoir : être renvoyée chez moi serait une catastrophe pour ma famille, et j’aime aussi le son de sa voix…

Silva, la gouvernante, nous a prévenues que la première danse de la soirée serait une valse et alors que le prince pose une main contre mon omoplate, je dépose la mienne sur son épaule avant de nouer les doigts de ma main droite aux siens. Évidemment, je n’avais jamais esquissé le moindre pas de danse avant l'entraînement de la veille et je retiens presque ma respiration, soucieuse de ne pas me ridiculiser une fois de plus. « Vous devez être flatté, de voir ce que ces jeunes filles sont prêtes à faire pour attirer votre attention. » J’esquisse un sourire avant d’avouer. « La robe n’était pas une manigance de ma part. Je n’avais pas pensé une seule seconde que vous pourriez me confondre avec le personnel. » J’ai menti, mais le mensonge était bien innocent. « La vérité, c’est qu’elle n’a simplement pas été confectionnée par mes femmes de chambre. J’avais l’impression d’étouffer dans celles qu’elles m’ont proposées. »

La veste lui va à merveille. Elle est un peu grande, mais Saül se surprend à l'apprécier sur les épaules de Misty plus qu'il ne l'aime sur les siennes. Main dans la main, les deux jeunes gens filent vers la salle de bal. Aux côtés de Saül, Misty ne tremble pas. Elle a vraiment l'air d'une dame, ainsi décidée à rejoindre celles qui l'ont humiliée.

La salle est toujours aussi bruyante. Les jeunes filles cessent de murmurer lorsque le prince et Misty passent à nouveau les portes. Le Roi, accompagné de sa Reine, sont encore assis en bout de table. D'un regard, le Roi indique à son fils qu'on lui a tout rapporté. S'il veut affronter son père, c'est avec Misty que Saül doit danser. Les yeux du monarque lancent des éclairs, alors que la Reine semble parfaitement s'amuser. Elle est la pire belle-mère que Saül ait eu jusque là. Quand les musiciens se préparent à jouer une valse, Saül plante ses yeux dans ceux de son géniteur. Non, il ne dansera pas avec celle que son père a déjà choisi comme sa favorite. Une deux à la robe jaune. La fille de quelqu'un de riche, certainement. C'est avec l'argent de cet homme que le royaume pourrait gagner la guerre au delà des murs de la Capitale.

Mais le prince ouvrira le bal avec Misty, dont il n'a pas lâché la main. « Vous devez être flatté, de voir ce que ces jeunes filles sont prêtes à faire pour attirer votre attention. » Le regard interloqué de Saül s'accroche à celui de Misty. « Flatté qu'elles soient prêtes à toutes les perfidies ? » Ou flatté qu'elles veuillent le conquérir sans même le connaître ? Le prince n'a jamais eu une seule interaction sincère, excepté avec sa mère. Jamais personne ne l'a sollicité pour autre chose que pour son rang. Peut-être est-ce pour cela qu'il a oublié ce que signifie la gentillesse. Peut-être est-ce pour cela que la sincérité de Misty l'intrigue.

Les premières notes permettent au premier couple de s'élancer sur la piste. « La robe n’était pas une manigance de ma part. Je n’avais pas pensé une seule seconde que vous pourriez me confondre avec le personnel. » Le sourire de Misty appelle celui de Saül. « La vérité, c’est qu’elle n’a simplement pas été confectionnée par mes femmes de chambre. J’avais l’impression d’étouffer dans celles qu’elles m’ont proposées. » « C'était votre occupation ? Avant. » Avant la sélection, avant qu'elle ne soit forcée de venir vivre ici entre les murs du palais. « J'adorerais avoir une occupation semblable. Comment avez-vous convaincu ces femmes de vous laisser filer sans passer une robe prévue pour vous ? » Et pour une fois, le prince ne s'intéresse pas seulement par convention, mais parce que la conversation lui fait oublier les regards mauvais qui maudissent son choix, ainsi que l'intelligence de Misty.

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« Flatté qu'elles soient prêtes à toutes les perfidies ? » Les musiciens se préparent, le duo que je forme à présent avec le prince sera le premier à s’élancer sur la piste de danse et je sais que tous les regards seront braqués sur nous. Les gardes et autres membres de la cour feront danser les autres prétendantes qui doivent déjà mourir de jalousie. « Flatté qu’elle se battent pour vous. » La plupart se battent pour la couronne, je ne suis pas une petite idiote. Mais après tout, dans son monde à lui, quelle différence cela peut-il bien faire ? « Votre père n’a pas l’air ravi par votre choix. » J’ai surpris les coups d'œil du prince au roi, ainsi que son regard désapprobateur. Encore une fois, je n’ai pas besoin d’être un génie pour comprendre ce qu’il désapprouve : il s’agit de moi. Si son fils se moque de ma caste d’origine, cela n’est pas le cas du père.

« C'était votre occupation ? Avant. » Je n’ai pas précisé que la robe était ma création, mais il l’a compris sans mal. De qui d’autre, de toute façon ? « Oui, j’étais couturière. Mais je n’avais jamais eu de tissu aussi beau que ceux des robes des dames du palais entre les doigts. » J’ai rarement habillé des dames de la haute société. Les élites et les deux font appels à des couturières bien plus qualifiées que je ne le suis, moi qui rêvait pourtant petite d'œuvrer pour les plus belles femmes du pays. « Plus jeune, je rêvais de servir le palais. Et me voilà ici, avec une armée de suivantes prêtes à me servir moi. » J’en ai le tourni, et pas forcément d’une façon positive : je ne suis pas encore décidée. « J'adorerais avoir une occupation semblable. Comment avez-vous convaincu ces femmes de vous laisser filer sans passer une robe prévue pour vous ? » J’esquisse un sourire, presque honteuse d’avouer au prince que j’ai bien failli être à l’origine d’un scandale dès mon arrivée. « J’ai prétendu que je les ridiculiserais en trébuchant d’une quelconque manière si je portais l’une de leurs œuvres. Et quand ça n’a pas fonctionné, j’ai mis un coup de ciseau sur les bretelles de toutes celles qu’elles me proposaient. » Mes joues prennent une teinte rosée, mais je ne détourne pas mon regard de celui du Prince. « J’ai aussi promis de faire des efforts, si je restais. » Vais-je pouvoir tenir ma promesse ?

« Flatté qu’elle se battent pour vous. » Aucune ne se bat pour Saül et Misty le sait aussi bien que lui. Elles se battent toute pour un statut, pour une place dans une caste supérieure à la leur. Elles se battent pour un peu de sécurité et un peu de pouvoir. Elles se battent parce que c'est ce qu'elles savent faire de mieux. Quand on n'a jamais connu la facilité, on n'est forcément bien armé. « Votre père n’a pas l’air ravi par votre choix. » « Vous croyez ? » qu'il murmure, le ton piquant. Le regard que le prince lance à son père n'a rien de sympathique. Celui que lui renvoie le roi est pire. Menaçant. Quelqu'un paiera, quand les caméras détourneront leurs yeux de verre.

La danse est un art que Saül maîtrise depuis son plus jeune âge. En plus d'être un bon épéiste, il est excellent à la valse. Son père s'est assuré que Saül ne le déçoive pas, bien sûr. Misty ne déçoit pas Saül, en tout cas. Pour l'instant. « Oui, j’étais couturière. Mais je n’avais jamais eu de tissu aussi beau que ceux des robes des dames du palais entre les doigts. » Couturière. Voilà quelque chose que Saül n'a jamais pratiqué. Il ne s'est demandé d'où venaient ses vêtements, ceux que ses serviteurs lui passent sur les épaules tous les jours. On ne le laisserait rien faire de lui-même, et certainement pas le loisir de choisir lui-même ses habits. « Plus jeune, je rêvais de servir le palais. Et me voilà ici, avec une armée de suivantes prêtes à me servir moi. » Servir le palais, c'est un travail que l'on vend au peuple comme idéal. Ce qu'on ne dit pas, c'est que beaucoup meurent de fatigue. Pas un n'est traité comme un être humain. Ils sont tous remplaçables. Le palais est une machine meurtrière. « C'est honorable. J'espère que vos suivantes ne seront pas trop dures avec vous. » Quand il était petit, Saül avait une nourrice. Son père l'a faite congédiée quand il a jugé qu'en plus d'avoir perdu sa mère, il lui faudrait aussi perdre cette femme là pour devenir un homme.  

Les autres prétendantes ont pris place sur la piste, elles aussi. « J’ai prétendu que je les ridiculiserais en trébuchant d’une quelconque manière si je portais l’une de leurs œuvres. Et quand ça n’a pas fonctionné, j’ai mis un coup de ciseau sur les bretelles de toutes celles qu’elles me proposaient. » Un rire s'échappe d'entre les lèvres du prince. « Ne vous les mettez pas à dos. Les servantes parlent entre elles, vous savez. » Et elles peuvent se révéler utile, dans cette compétition acharnée. « J’ai aussi promis de faire des efforts, si je restais. » Des applaudissements retentissent alors que la première danse touche à sa fin. Les yeux rieurs, le prince s'incline dans une révérence. « Pour ça, je peux m'arranger. » Il n'accordera pas un baise-main à la jeune femme, ce serait signer son arrêt de mort. Les autres compétitrices ont assez de matière à la détester. « Ne dansez pas avec Lord Simon. Il vous parlera de ses récoltes d'huitres et vous ne pourrez plus l'arrêter. C'est un horrible vantard. » Un conseil avant de filer loin d'elle, un regard avant de se détourner de Misty au profit d'une autre. Pour eux, malheureusement, la soirée semble se terminer.

you felt like summer and I am spring
Megan Monroe & @Saül Williams

« Ne vous les mettez pas à dos. Les servantes parlent entre elles, vous savez. »
« Et vous les écoutez ? » J’esquisse un sourire provocateur, juste ce qu’il faut pour que cela ne semble pas déplacé puisque je m’adresse à un prince.
« Pour ça, je peux m'arranger. »

Mon sourire s’agrandit, plus sincère cette fois. Sans le quitter des yeux, je mords ma lèvre, comme si cle pouvait empêcher mes joues de rougir. « Je ferais en sorte de tenir la promesse que je leur ai faite, dans ce cas. » Cette promesse, je l’ai faite en pensant qu’elle ne m’engageait à rien, que je quitterai le palais dès le premier soir, dès la première cérémonie. Lui ai-je plu ? Désire-t-il me garder à ses côtés ? Je n’ai pas le temps d’échanger plus avec lui que la musique s’arrête et, alors que nos mains se lâchent à regret, que je recule pour esquisser une révérence je l’entends murmurer. « Ne dansez pas avec Lord Simon. Il vous parlera de ses récoltes d'huîtres et vous ne pourrez plus l'arrêter. C'est un horrible vantard. » - « Je ferai attention, votre majesté. Merci pour vos conseils éclairés. » Un dernier sourire étire mes lèvres charnues, un sourire qui donnera aux autres prétendantes l’impression que nous avons partagé un moment privilégié mais, ce soir et pour la première fois depuis que j’ai mis les pieds au palais, je me fiche de ce qu’elles pensent.

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Et je suis restée. Sept prétendantes sont parties et je suis restée. J’ai lu sur le visage des autres filles une certaine déception lors de la cérémonie pour laquelle j’avais enfilé une tenue confectionnée par mes femmes de chambre - une promesse est une promesse.

Sauf que les journées se sont enchaînées, les rendez-vous entre le prince et d’autres filles aussi, le tout sans qu’il ne me convoque pour un instant à ses côtés. Alors j’ai douté, j’ai douté de son réel intérêt pour moi. Peut-être étais-je un amusement, peut-être l’ai-je déçu d’une quelconque façon. Ma gaucherie a certainement cessé d’être divertissante pour lui. Alors en cette cinquième soirée sans un mot pour moi, je m’arme de courage et attrape mon jupon entre mes doigts, je profite qu’il est en pleine discussion avec un noble qui m’est inconnu et qu’aucune fille ne lui tourne autour pour l’aborder. « Votre majesté ? Puis-je voler quelques minutes de votre temps ? » L’homme inconnu s’excuse et s’éclipse, me laissant en tête à tête avec Saül et la nervosité me gagne. Seulement, je ne la laisse pas faire et continue sur ma lancée. « Ai-je fait quelque chose qui vous a déçu ? Si c'est le cas je vous prie de m'excuser et de m'en faire part. »

« Et vous les écoutez ? »
« Parfois. Elles parlent facilement. Il suffit de savoir s'y prendre. »

Leurs sourires se répondent. La danse est fluide, bien que Misty n'ait pas pratiqué avant la veille. Elle a donné sa parole et Saül la donne aussi, sourire aux lèvres. « Je ferais en sorte de tenir la promesse que je leur ai faite, dans ce cas. » Ainsi, ils sont quittes. Quand la musique s'arrête et que les applaudissements retentissent, Misty et Saül échangent quelques mots. D'ultimes paroles avant que la soirée ne se termine - pour eux, en tout cas. « Je ferai attention, votre majesté. Merci pour vos conseils éclairés. » Il voudrait la remercier d'avoir rendu sa soirée plus supportable, mais les mots ne viennent pas. L'échange de regard suffira. Et puis, elle disparaît dans la foule. Ce qui est sûr, c'est qu'elle n'a pas à s'inquiéter pour son sort. Sur la liste de celles qui partiront demain, son nom n'apparaîtra pas.

***

Certains sacrifices méritent d'être faits. Certains choix méritent que l'on se batte pour eux. Le prince l'a appris a ses dépens. Ces derniers jours, il a fréquenté un certain nombre de jeunes filles. Il n'a pas retenu la moitié de leurs noms, plus occupé à penser à une autre. Cette pensée a bien vite filée, cependant. A force d'être enfermé, Saül a finit par plier. Misty ne partira pas tout de suite, mais son père souhaite qu'il cesse de la fréquenter. Il voudrait la pousser à l'erreur et si Saül s'est rebellé quelques jours, il n'a pas fallu beaucoup de temps pour que son père le fasse céder. Le Roi n'est jamais violent directement avec son fils. Les coups pourraient se voir et puis, les serviteurs parlent entre eux. Non, il est bien plus facile de contenir un Prince loin des siens. L'enfermer dans un petit cabinet à côté de ses propres appartements est supposé lui donner à réfléchir.

Ces derniers jours, Saül a bien réfléchi. Certaines choses méritent qu'on se batte pour elles, mais elles ne méritent pas de se mettre à dos un père; un roi. « Votre majesté ? Puis-je voler quelques minutes de votre temps ? » D'un regard, le prince indique à son interlocuteur qu'il est temps de filer. Du coin de l'œil, il remarque aussi que les caméras sont en place et filment discrètement son interaction avec Misty. « Ai-je fait quelque chose qui vous a déçu ? Si c'est le cas je vous prie de m'excuser et de m'en faire part. » « Quand je suis occupé, vous n'avez pas le droit de m'interrompre. N'avez-vous pas lu le règlement ? » Droit comme un -i, le prince détaille Misty des pieds à la tête. « Ils ne vous ont peut-être pas appris à lire, là où vous venez. » Mordant, mais pas méchant. Je veux qu'elle disparaisse, mais pas que le public soit offusqué, que lui a dit son père quand il a sorti son fils de sa prison. « Je ne sais pas ce qui vous fait penser que vous aviez le droit à certains privilèges. »