30 Days Without an Accident
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - deux ans après le début de l’épidémie

Le calme. Presque deux ans après le début de l’épidémie, je pensais avoir oublié ce que cela signifiait, ce que cela représentait. Nous sommes loin des villes et, de toute façon, elles ne s’agitent plus, plus comme autrefois. Mais ces deux dernières années, je ne me souviens pas que nous ayons jamais vécu une aussi grande période de calme, une aussi grande période sans incident. Nous n’avons pas croisé de créatures depuis plusieurs semaines mais, puisque je doute qu’elles aient disparu, je m’inquiète de perdre des réflexes, je m’inquiète de ne plus être sur mes gardes et que cela nous conduise à l’incident. Mais depuis ce matin, je m’inquiète aussi d’autre chose.

Je n’ai pas eu mes règles. Pas depuis que nous nous sommes installés dans la ferme abandonnée que nous avons trouvée, au beau milieu du pays, il y a plusieurs semaines. Combien exactement ? Le temps ne s’écoule plus de la même façon depuis le début de l’épidémie, mais depuis plus d’un mois, j’en ai la certitude. Assez pour m’inquiéter ? Aménorrhée du temps de l’humanité puisque j’étais porteuse d’un implant, il a fallu plusieurs mois - lorsque celui-ci est devenu inefficace et que, sans médecine moderne, je n’ai pas pu le remplacer - pour que la nature reprenne ses droits sur mon corps. Mes menstruations étaient irrégulières au début, mais elles ne le sont plus depuis quelque temps, assez pour que j’ai un nœud dans la gorge ce matin.

Bien sûr, les rapports charnels entre Amos et moi, ceux-là même qui étaient censés n’être qu’une exception sont devenus une habitude, sans que ni lui ni moi ne mette de mot sur ce que nous sommes. C’est compliqué de ne pas se dire que tout est biaisé lorsque l’autre est devenu la seule personne sur terre avec laquelle nous tenons des conversations, la seule avec laquelle nous trouvons un peu de chaleur humaine.

En pénétrant dans la salle à manger au décor rustique, je trouve Amos en train de faire l’inventaire de nos ressources restantes. « Il va falloir faire un raid bientôt. » Il a tout étalé sur la grande table et je n’ai pas besoin de compter les conserves avec minutie pour savoir que nous ne pourrons plus continuer à vivre sur nos réserves guère longtemps. « Je pense pas qu’il reste grand chose à Windorah, mais y’a quelques fermes aux alentours qu’on a pas encore fouillées. » L’avantage des terres aux centre de l’Australie, c’est qu’elles n’étaient que très peu peuplées et donc, qu’il n’y a que peu de rôdeurs. Mais c’est aussi un inconvénient : il n’y a que peu de ressources.

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@Raelyn Blackwell  & Amos Taylor  - Univers alternatif - 2007, 29 ans

Au plus je dénombre nos réserves et, par conséquent, ce qui nous manque pour survivre, au plus j’ai la sensation de réciter la liste de courses du premier chapitre des “Misérables”. Le premier ou le second ? Je ne sais plus. Je ne suis pas un amateur de lecture. J’ai commencé récemment pour passer le temps différemment qu’en recueillant plaisir et chaleur humaine entre les cuisses de Raelyn. C’est, en tout cas, un passe-temps devenu intéressant pendant quelques jours par mois ou ces soirs où nous sommes épuisés d’avoir baroudé une partie de la journée pour siphonner de l’essence dans les voitures abandonnées ou visiter les quelques fermes à peine infestées des engeances qui, durant près de deux ans, nous ont pourris la vie. Les premiers jours, nous nous sommes  souvent demandés pourquoi. Aujourd’hui, nous nous complaisons dans notre ignorance en s’interrogeant sur ce qu’il resterait ou non des survivants autres que nous. Je les imagine hostiles. Raelyn aussi. Cette femme, nous en prenons donc soin comme à la prunelle de nos yeux. Elle nous offre un certain confort et je l’ai bien barricadée, avantage d’être démineur. Ce qui se défait pour moi, je peux le refaire ou le fabriquer sans grande difficulté. Le tout, c’est de savoir où marcher. «Oui. Et, je pense qu’il ne faudra pas trop traîner et peut-être y aller de nuit cette fois. La dernière fois, j’ai eu le sentiment que nous étions épiés par quelque chose doté d’intelligence. Alors, à moins que ces choses soient en train de muter.» Ce que je n’exclus pas. «Je préfèrerais. Ce serait bon pour toi ? » Nous avons encore des armes et des munitions, mais nous ne l’utilisons qu’en cas d’extrême urgence. L’expérience a fait de noms des aguerris de l’arme blanche et le cuir est de loin notre meilleur allié. «Il y a de l’espace ici aussi. Tu crois qu’on pourrait se permettre de s’y installer pour plus longtemps qu’un mois ? » La question peut sembler bête, mais elle a du sens. Si nous restons, je pourrai planter, ce qui nous permettra d’avoir toujours des légumes à disposition. Ce n’est pas ragoûtant, c’est un peu peu en matière de protéines, mais qu’est-ce qu’on s’en fout de nos jours ? «Je pourrais renverser le dispositif de sécurité et on pourrait essayer d’en faire quelque chose, un vrai truc… même si…» Je nous trouve fort exposés finalement. C’est l’ombre au tableau, la poussière dans l’oeil, le “hic” qui sera sans doute débattu de suite, en plus du raid de ce soir ou du lendemain selon l’état de fatigue de Raelyn. Je la trouve de plus en plus palotte.

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« Oui. Et, je pense qu’il ne faudra pas trop traîner et peut-être y aller de nuit cette fois. La dernière fois, j’ai eu le sentiment que nous étions épiés par quelque chose doté d’intelligence. Alors, à moins que ces choses soient en train de muter. Je préfèrerais. Ce serait bon pour toi ? » Moi aussi, j’ai eu le sentiment d’être observée mais j’ai préféré le mettre sur le compte de la paranoïa plutôt que de réfléchir à ce que cela pouvait impliquer. Dès lors qu’il me confirme avoir eu la même impression, je déglutis difficilement. « Je l’ai senti aussi… » Je doute que ces créatures soient réellement en train de muter. La dernière fois que nous en avons aperçues, elles semblaient aussi dépourvues d’intelligence qu’au début et ce genre de chose ne peut pas arriver en l’espace de quelques jours, non ? Mais je n’aime guère plus l’explication la plus logique à notre ressenti : ce n’étaient pas des morts qui nous observaient, mais des vivants. Et en ce qui concerne nos semblables, il est devenu difficile de prévoir leurs intentions.

La plupart des groupuscules de survivants évitent les autres au maximum. Méfiants, préférant ne compter que sur eux-même, nous faisons partie de ceux-là. Mais l’apocalypse a permis à certain de laisser libre cours à leurs pulsions sanguinaires et ces derniers sont plus dangereux encore que créatures. Je me racle la gorge, avant de demander. « Tu crois aussi peu que moi à la thèse de la mutation, je me trompe ? » Comme moi, il doit craindre des pillards. « Il y a de l’espace ici aussi. Tu crois qu’on pourrait se permettre de s’y installer pour plus longtemps qu’un mois ? » Dans l’absolu, je crois que j’aimerais bien. Moi qui ai fui si jeune ma bourgade natale par peur de m’enterrer dans ce genre de ferme, je me retrouve à présent à bénir la sécurité et le sentiment de normalité qu’elle nous procure. « Je pourrais renverser le dispositif de sécurité et on pourrait essayer d’en faire quelque chose, un vrai truc… même si… » - « Faudrait qu’on s’assure d’être les seuls survivants dans le coin… » L’Australie est un pays immense et la majorité des terres intérieures n’étaient que peu peuplées avant la catastrophe. « Mais ouais. Je crois que j’aimerais assez arrêter de courir et de jamais se poser nulle part plus de quelques jours. » Ici, c’est la première fois que nous restons sédentaires si longtemps depuis la catastrophe. « Tu crois qu’on pourrait faire en sorte de subvenir à nos besoins ? » Oublier les raids, c’est utopique. Mais si nous pouvions être le plus indépendant possible, nous serions moins exposés.

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@Raelyn Blackwell  & Amos Taylor  - Univers alternatif - 2007, 29 ans

Elle l’a senti. Elle a remarqué que quelque chose ou quelqu’un nous observait de loin et, c’est paradoxalement aussi rassurant que flippant. Raelyn aurait-elle été hermétique à cette impression que je me serais estimé souffrant de paranoïa passagère, ce qui aurait rendu mon projet d’installation viable et réellement envisageable. A présent qu’elle me prouve que je ne suis pas fou faute à la peur et nos expériences aussi difficiles que douloureuses psychologiquement que nous avons traversées durant ces long mois d’exode pour Dieu sait où - au moins, Moïse avait-il un objectif - j’hésite. Je ne sais plus s’il serait bon ou non de redevenir sédentaire. Je ne crains plus ses monstres vêtus comme des Hommes qui aurait pu ressembler à ceux que je pensais cachée sous mon matelas. Rae et moi sommes devenus des experts de l’extermination et, qui plus est, à l’arme blanche. Alors, je dénie sa question d’un hochement négatif de la tête. «Pour être honnête, pas trente secondes. Je crois que c’est autre chose, quelqu’un d’autre… ou des autres.» lui ai-je confessé en plongeant mon regard dans le sien. D’un geste, je l’invite à s’asseoir près de moi : je m’apprête à lui confier mes projets pour l’avenir et j’ai besoin de toute son attention. Je n’en peux plus de courir les routes. Je suis fatigué, tout simplement, alors qu’un endroit comme celui-ci nous permettrait d’être autonome. «Oui. Et, c’est pour ça que je voudrais qu’on fasse un tour pendant la nuit. On a déjà bien nettoyé le secteur. J’ai besoin qu’on se balade un peu autour, pour se faire une idée de qui serait ces voisins qu’on a cru sentir dans notre dos. » C’est la condition ultime avant d’entamer un processus de changement, un qui consisterait à faire de cette ferme notre pied à terre aussi longtemps que possible, un lieu sûr dont elle semble rêver autant que moi. «Oui, je le crois. Le terrain est vaste et déjà clôturé. Elles sont solides en plus. Elle ne tiendrait pas contre une horde, mais le coin est paumé, j’imagine mal en voir débarqué une… ou en tout cas, avant longtemps. Et, quand bien même, elle est électrifiable.» Quelques éoliennes fonctionnent encore. On peut les apercevoir de loin. Elle fabrique encore de l’énergie : il suffirait de trouver un moyen de les relier à cette vieille ferme en restant discret, peut-être en enterrant les câbles. « Bon, je t’avoue que je n’ai pas encore réfléchi à cette partie-là, j’ai d’abord pensé nourriture et pour ça, il y a de l’espace.  Planter, vivre sur nos réserves, récolter… Ce serait déjà un bon début. Petit à petit, on trouvera des solutions ensemble pour rendre notre quotidien plus confortable et enrichir notre garde-manger. On devra toujours fouiller les alentours, mais on saura toujours ou rentrer et ça… ça, ouais, ça me plairait bien. »

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« Pour être honnête, pas trente secondes. Je crois que c’est autre chose, quelqu’un d’autre… ou des autres. » - « Des survivants… » Je n’ai pas besoin de préciser le danger que cela implique. Je n’ai pas non plus besoin de cacher qu’un frissons me parcourt l’échine à l’idée d’être observé par d’autres êtres pensants et possédants encore tout leur libre arbitre. Nous avons tous les deux la même expérience, une qui nous souffle qu’il faut se méfier des vivants autant que des morts. « Oui. Et, c’est pour ça que je voudrais qu’on fasse un tour pendant la nuit. On a déjà bien nettoyé le secteur. J’ai besoin qu’on se balade un peu autour, pour se faire une idée de qui serait ces voisins qu’on a cru sentir dans notre dos. » - « Si ce sont bien des survivants et s’ils jamais ils sont nombreux et hostiles… » Nous serons en danger, cela va sans dire. « Il faut pas qu’on prenne de risques non nécessaires. » Il faudra qu’on prenne la fuite sans demander notre reste. Il n’est même pas dit que nous pourrons alors repasser à la ferme, si ce groupe nous suit, on pas tout de suite. Peut-être nous sera-t-il possible de faire profil bas et de venir récupérer nos maigres possessions plus tard. Dans le doute, emmener toutes nos armes n’est jamais une mauvaise idée.

« Oui, je le crois. Le terrain est vaste et déjà clôturé. Elles sont solides en plus. Elle ne tiendrait pas contre une horde, mais le coin est paumé, j’imagine mal en voir débarquer une… Ou en tout cas, avant longtemps. Et, quand bien même, elle est électrifiable. » L’électricité, un doux rêve. Un qui pourrait nous permettre de faire marcher les plaques de la cuisine, un qui nous permettrait de retrouver un semblant de vie normale. Bon sang, que je rêve d’une douche chaude. « Bon, je t’avoue que je n’ai pas encore réfléchi à cette partie-là, j’ai d’abord pensé nourriture et pour ça, il y a de l’espace.  Planter, vivre sur nos réserves, récolter… Ce serait déjà un bon début. Petit à petit, on trouvera des solutions ensemble pour rendre notre quotidien plus confortable et enrichir notre garde-manger. On devra toujours fouiller les alentours, mais on saura toujours où rentrer et ça… ça, ouais, ça me plairait bien. » Je hoche la tête. Jamais je n’aurais pensé que moi aussi, m’imaginer en agricultrice me plairait bien. Sauf qu’être indépendants est devenu l’utopie de tout survivant qui se respecte : les raids sont dangereux. « On peut sortir ce soir. Identifier cette présence, trouver un maximum de vivres, de médicaments, et on pourra même jeter un coup d'œil aux magasins de jardinage. » Peut-être trouverons-nous des graines, et au minimum des ustensiles, s’ils n’ont pas été dévalisés pour servir d’armes. Moi, j’espère secrètement pouvoir mettre la main sur un test de grossesse, si nous trouvons une pharmacie. Nous les cherchons toujours, parce que les médicaments sont devenus une denrée rare et qu’une mauvaise fièvre peut vous emporter. « Il reste quelques conserves de la dernière sortie. De quoi tenir quelques jours, peut-être une semaine en se rationnant. Mais je préfère qu’on fasse en sorte de pas être pris de court. » Et donc, que l’on aille fouiller la prochaine ville sur notre liste avant de tomber à court de provisions.

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@Raelyn Blackwell  & Amos Taylor  - Univers alternatif - 2007, 29 ans

J’ai tellement peu de foi en l’être humain que je me refuse à prononcer le mot de survivants. Je préfère l’entendre de la bouche de Raelyn parce que c’est plus facile d’acquiescer que de le prononcer. Durant la guerre, j’ai vu des enfants devenir des voleurs, des femmes se vendre en échange de la vie de leur enfant et, parfois, inutilement. J’ai été confronté à des hommes plus cruels que ne l'espérait leur propre général de guerre. Ils ont violé des femmes, pillé les maisons, battu des civils trop âgés pour prendre part au combat dès lors qu’ils avaient envahi la place de la ville ciblée. Horrifié par ce que l’Homme, devenu puissant prédateur, est incapable de se contenir ou de se fier à sa véritable condition, j’ai opté pour une mission différente auprès de la Navy et, cette fois, c’est à d’autres horreurs que j’ai dû faire face, d’autres dont l’origine n’était que notre espèce. Dès lors, même si j’ai envie d’être sédentaire, je ne le ferai pas n’importe comment. Je dois d’abord élucider le mystère qu’est de s’être senti épié durant une des quêtes de nos nourritures, de médicaments… «Si ce sont des survivants, je ne les imagine pas autrement qu’hostile.» C’est triste, bien entendu, mais je doute que Rae me détrompe compte tenu du milieu qu’elle a elle-même fréquenté. «Si on veut que notre projet aboutisse, je pense aussi qu’il faut fouiller les lieux ce soir.» ai-je admis en hochant de la tête, une carte ouverte sur la table. Je repère autant le coin que ce qui pourrait nous aider à bâtir notre rêve de vie normale. «Mais, il faut charger la voiture de tout ce qui nous reste. On fera ce qu’on peut pour rafler ce qui resterait, mais c’est pas pour ça qu’on partira. On y va pour trouver où pourraient se cacher les survivants. Je t’avoue que je ne veux même pas savoir qui ils sont et comment ils vivent. Je ne veux pas entrer en confrontation avec eux, je pense juste à fuir dans ces conditions. Fuir et trouver un autre petit bijou comme celui-là, mais ailleurs.» Il ne manque pas dans la région, on ne va pas se mentir. «Avant la nourriture, c’est de médocs qu'il faudra remplir la voiture. Sauf si notre intuition est plus proche de la paranoïa que de la réalité. » Ce n’est pas impossible, évidemment. Des mois d’isolement, de solitude, de méfiance : comment ne pas tremper dans les peurs les plus irraisonnables ?

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« Mais, il faut charger la voiture de tout ce qui nous reste. On fera ce qu’on peut pour rafler ce qui resterait, mais c’est pas pour ça qu’on partira. On y va pour trouver où pourraient se cacher les survivants. Je t’avoue que je ne veux même pas savoir qui ils sont et comment ils vivent. Je ne veux pas entrer en confrontation avec eux, je pense juste à fuir dans ces conditions. Fuir et trouver un autre petit bijou comme celui-là, mais ailleurs. » Je hoche la tête : nous sommes sur la même longueur d’onde. L’apocalypse m’a endurcie, mais n’a induit chez moi ni instincts suicidaires, ni idées belliqueuses. Nous voyageons à deux depuis le début, Amos et moi, et c’est moins que la plupart des groupes que nous avons croisés ou aperçus jusque là. Sans compter que, de mon côté, je n’ai rien d’une militaire surentrainée. Des fermes abandonnées, il doit en rester des tas et si toutes ne sont pas équipées de panneaux solaires que nous pourrions peut-être réussir à faire fonctionner, cela n’en vaut pas le coup : le risque de perdre la vie est bien trop important. « Avant la nourriture, c’est de médocs qu'il faudra remplir la voiture. Sauf si notre intuition est plus proche de la paranoïa que de la réalité. » - « On est jamais trop prudent. » Surtout depuis que le risque d’être tués par un mort vivant à chaque coin de rue côtoie celui de se faire descendre en toute impunité par l’un de nos semblables. Qui vous étiez avant n’a alors plus la moindre importance.

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La voiture est chargée de tout ce que nous avons encore de précieux - cette définition ayant bien évolué en deux ans - nous avons roulé plusieurs dizaine de minute en silence, en scrutant les bords de route, et nous entrons enfin dans notre ville de destination. « Ralenti, mais pas trop. Qu’on puisse chercher des bâtiments à fouiller, mais sans prendre le risque de se faire arrêter. » Par cette même présence que nous avons tous les deux sentie. « Là, y’a un panneau pharmacie, on peut commencer par ça. » Ensuite viendra le moment de partir en quête d’une épicerie ou du moindre commerce alimentaire. En dernier recours et pour avoir râtissé la zone efficacement, il faudra fouiller chaque placard de chaque habitation, mais nous ne pourrons tout faire en une seule nuit. « J’attrape les lampes torches. » Que je rajoute, alors qu’il gare la voiture à côté de la pharmarcie.

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@Raelyn Blackwell  & Amos Taylor  - Univers alternatif - 2007, 29 ans

A force de barouder ensemble avec pour seul objectif assurer notre survie, Rae et moi n’avons plus besoin de discuter longuement pour tomber d’accord sur une procédure, une stratégie ou sur une marche suivre lorsque nous nous aventurons en ville pour remplir nos stocks de ravitaillement. Peut-être sommes-nous aidés par ce que nous partageons en intimité physique, quand c’est possible, et qui a parfait le tableau de notre complicité naissante il y a des années et plus vivace que jamais dans la catastrophe. Nous nous sommes donc couchés plus ou moins sereins, autant que l’on peut l’être en pareilles circonstances - les jours n’ont pas défalqué la peur liée à l’incompréhension, le temps l’a juste rendue plus acceptable - et la matinée du lendemain s’est déroulée sans heurt. J’ai vérifié l’état des panneaux photovoltaïques pour m’accrocher à l’espoir que cette ferme pourra devenir notre havre de paix si, d’aventures, les environs sont sans risque.Une part de moi l’espère. Une autre en doute. Cette impression d’avoir été épié, nous ne pouvons pas l’avoir inventé tous les deux. Dès lors, quand est survenu le moment de prendre la route - la voiture étant chargée puisqu’il est entendu que face à un groupe humain, nous fuirons pour une autre destination - j’ai respiré amplement dans l’espoir de maîtriser mes nerfs à fleur de peau. Ils le sont à cause d’un mauvais pressentiment qui m’enferme dans un silence durant tout le trajet. Rae, elle n’est pas mal à l’aise pour autant. Elle est habituée. Je crois qu’elle a fixé la route avec la même impression que moi collé à la peau. La preuve étant, elle m’invite à ralentir, non pas que nous pourrons cacher notre arrivée - le bruit du moteur nous trahirait - mais pour ne surtout rien rater de ce que cacherait les environs :  une lumière à l’étage d’un bâtiment, un potager mieux entretenu qu’un autre, une porte barricadée anormalement ou que sais-je encore. N’importe quoi qui nous alerterait et nous confirmerait qu’il vaut mieux éviter d’entrer dans un quelconque bâtiment, à commencer par celui de la pharmacie. De tous, si humains il y a dans le coin, ce sera le premier qui aura été fouillé. Or, il paraît indemne et, je l’avoue, je reprends espoir. Je gare la voiture en jetant autour de nous des regards circulaires et, tandis que Rae s’arme des lampes torches, je prends deux couteaux et glisse à ma taille un revolver chargé, juste pour le cas où. «Ensemble, ok ? » Je ne vois pas d’inconvénients à ce que nous nous séparions depuis que la chef de file du Club est plus efficace qu’un commando. Ce soir, je ne le sens qu’à moitié. «On ne se sépare qu’à l’intérieur du bâtiment, mais pas en ville.» Une fois de plus, nous sommes d’accord et, veillant l’un sur l’autre, nous avons forcé la serrure de la pharmacie qui regorge de tout ce dont nous pourrions avoir besoin. «Putain, il y a du dentifrice.» J’ai envie de crier Alleluiah, mais je me l’interdis : c’est trop beau être complètement vrai. «J’ai dû mal à imaginer que… que personne n’est passé par ici avant nous. C’est… étrange.» A moins que je ne tombe, petit à petit, faute à l’aliénation de l’isolement, dans la paranoïa.

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Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - deux ans après le début de l’épidémie

Le silence entre nous n’a jamais rien eu de génant. Nous ne sommes pas de ceux qui ressentons le besoin de le remplir par des inepties ou des mots qui n’ont aucune utilité. Vivre seuls tous les deux pendant deux ans a fait que nous nous comprenons sans avoir besoin de nous parler, Amos et moi. Ce que je sens, c’est qu’il est nerveux, inquiet et que, comme moi, il a un mauvais pressentiment. J’essaye de le faire taire en me convaincant que nous sommes devenus pessimistes et méfiants à force de vivre cette vie. Je me dis qu’il n’y a aucune raison de s’inquiéter mais je ne suis pas idiote : nous nous sommes tous les deux sentis observés l’autre jour. Lorsqu’il gare la voiture, j’attrape une arme que j’accroche à ma hanche, sur la ceinture étudiée pour. « Ensemble, ok ? » Je hoche la tête. Je n’ai pas envie que nous nous perdions de vue. « On ne se sépare qu’à l’intérieur du bâtiment, mais pas en ville. » - « Je suis d’accord. Je te suis. » Dans un endroit que nous ne connaissons pas, il est préférable de rester groupés pour éviter le pire. Mais je ne me fais aucune illusion : à deux nous ne sommes pas de taille face à un plus grand groupe.

La pharmacie est intacte. J’écarquille les yeux face à ce spectacle et, comme Amos, je commence à circuler dans les allées pour faire un inventaire de tout ce que nous pouvons trouver. « Putain, il y a du dentifrice. » - « Prends, et prends aussi tout ce qu’ils ont en savon et shampoing solide. Je vais voir du côté des anti-inflammatoires. » Dans le rayon, je me limite aux molécules que je connais. Anti spasmes, anti-inflammatoire et autres alliés face à la maladie. Je glisse également discrètement dans ma poche deux tests de grossesses, lorsque je suis sûre d’être hors du champ de vision d’Amos. « J’ai dû mal à imaginer que… que personne n’est passé par ici avant nous. C’est… étrange. » - « Pareil du côté des médicaments. J’ai rempli mon sac à dos, mais il faudrait retourner à la voiture chercher un plus grand. C’est fou tout ce qu’il y… » Je suis interrompue par un homme qui me tient en joue de son arme. Du côté d’Amos, c’est la même chose. Instinctivement, je porte ma main à mon arme et la braque dans sa direction. Sauf qu’autour de mon complice et moi apparaissent quatre types supplémentaires, tous armés jusqu’aux dents. « On vous veut pas de mal. Baissez vos armes. » J’échange un regard avec Amos et, en déglutissant, je remets la sécurité de mon glock, et je lève les mains en l’air.  « Vous êtes qui ? On veut pas d’ennuis. »

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@Raelyn Blackwell  & Amos Taylor  - Univers alternatif - 2007, 29 ans

En ville, tout est tranquille. A mon sens, c’est presque trop et, tandis que je récupère l’arme que me tend ma complice, j’invoque l’impératif de ne surtout pas nous séparer, pas dans le dédale qu’est ce patelin. A l’intérieur de la pharmacie, je ne m’y opposerai pas, mais nous n’y sommes pas encore. Rien ne me dit que nous ne serons pas cueillis juste devant le bâtiment qui, étrangement, n’a pas encore été pillé. Ai-je perdu toute foi en l’espoir alors que je me présume déjà qu’il s’agit d’un piège ? Les survivants se ruent sur les officines. Que celle-là soit intact ne présage rien de bon et je suis sur le qui-vive. Je ne me détends qu’une fois à l’intérieur, trop heureux de trouver du dentifrice et autres matériels utiles à l’hygiène. Sans me poser de questions, j’exécute l’ordre de Rae. J’enfonce dans mon sac de courses shampoing, savon et crème en tout genre. Tout a de la valeur de nos jours, y compris la crème solaire. J’en oublie presque l’angoisse qui me tend depuis que nous avons quitté la ferme que nous avons investies. Il y a de tout : des anti-inflammatoires, des pansements, des bandes, des pommades pour les muscles, des produits antiseptiques. Et moi, je le suis, sceptique. Je le suis et je le confie sans dissimuler ma surprise d’apprendre, de la bouche de ma partenaire, que les stocks du pharmacien étaient pleins à craquer d'antibiotiques, par exemple. Je jure que ça sent mauvais, sauf que je n’ai pas le temps de répliquer un avertissement ou même de jeter un coup d’oeil circulaire autour de moi. Deux hommes nous tiennent en joue et je mettrais ma main au feu qu’ils n’ont pas l’intention de plaisanter. Ce n’est certainement pas le moment de jouer au plus malin ou militaire entraîné. Ils ne sont pas seuls. Par les temps qui courent, six gars, c’est une armada et pour des types qui ne nous veulent pas de mal, je les trouve drôlement armés à défaut d’être complètement hostile. «Nous non plus.» ai-je remarqué d’emblée sans agressivité. D’un regard, j’invite ma partenaire à montrer patte blanche. Je ne dirige pas mes mains vers mon arme rangée au préalable pour le bien de ma mise à sac. Je me contente de lever les mains en signe de reddition tandis que Raelyn m’imite en posant cette question qui me brûle les lèvres : qui sont-ils ? « Vous êtes nombreux ?» ai-je ajouté tant pour me faire une idée du risque que de nos chances de survie. «Et, qu’est-ce que vous voulez ? » A priori, ils ne sont pas là pour les médocs. C’était calculé que de laisser cette pharmacie intacte. «On vous l’a dit, on ne veut pas d’ennuis, parce qu’on a pas grand-chose.» Contrairement à eux. «On veut juste que vous nous suiviez voir notre chef. On va monter à quatre dans votre voiture et vous allez suivre la nôtre.» Tous mes feux d’alerte ont virés au rouge. Je n’aime rien de ce qui se déroule sur l’heure, mais je sais aussi que nous n’avons d’autres choix que d’obtempérer. Alors, je murmure sans voix en direction de Rae que : “tout se passera bien.”

Résultats des dés:

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J’échange un coup d'œil avec Amos, et résignée, je lève les bras en l’air, mon arme toujours dans ma main, mais la sécurité à nouveau enclenché. L’un des hommes s’approche de moi et attrape le glock : je ravale ma frustration en tentant de calmer le rythme de ma respiration. « Vous êtes nombreux ? » - En plus des six présents ? Pense-t-il à ces communautés dont on entend parfois parler, l’utopie de certains survivants ? Si loin dans les terres ? Quelles sont les probabilités ? Ils ne répondent pas, celui qui a pris mon arme se contente d’en vider le chargeur, avant de me la tendre. « Et, qu’est-ce que vous voulez ? » Ils n’ont pas l’air de chercher le conflit, mais j’ai appris à ne plus forcément me fier aux apparences. Elles sont trompeuses, elles l’étaient déjà avant la fin du monde, et l’humain est devenu plus fourbe encore qu’avant depuis que son univers s’est écroulé. « On vous l’a dit, on ne veut pas d’ennuis, parce qu’on a pas grand-chose. » - « On peut juste repartir chacun de notre côté. » Ni Amos ni moi ne sommes belliqueux, et surtout pas face à un groupe de cette taille. « On veut juste que vous nous suiviez voir notre chef. On va monter à quatre dans votre voiture et vous allez suivre la nôtre. » A nouveau, j’échange un coup d’oeil avec Amos, sur mes gardes. « On vous l’a dit. On est pas une menace. On peut quitter la région, si vous êtes installés dans le coin. » Je l’avoue, ça me déplairait. Pour autant, nous n’avons aucune chance de gagner une guerre de territoire. « Vous le regretterez pas. On veut vous parler, et si ce que vous voyez ne vous plait pas, on vous laissera partir. » Amos pose une main sur mon épaule et je comprends en un regard qu’il ne sert à rien de continuer à négocier. « Vous êtes uniquement tous les deux ? » Rien ne sert de mentir à ce stade : personne ne viendra à notre secours. Je hoche donc la tête, un regard noir planté dans celui qui s’adresse à nous depuis tout à l’heure.

« Stan, toi et moi on monte avec eux. » Il doit être le leader de ce petit groupe puisque le dénommé Stan opine du chef et que, déjà, les autres remontent dans leur véhicule. Moi, je vais pour monter devant mais l’homme m’arrête en refermant ses doigts sur mon avant bras. « Non. Tu montes à l’arrière avec moi. » Ainsi, chacun surveillera l’un d’entre nous. Je n’aime pas ça, mais je me plie aux règles du jeu. J’espère simplement qu’ils ne fouilleront pas le coffre de la voiture, puisque nous avons emporté toutes nos précieuses possessions avec nous. « On va ou. » - « Au camp. » C’est le dénommé Stan qui s’installe derrière le volant. On nous bande à Amos et moi les yeux - et si je tourne comme un lion en cage, je me soumets aux conditions de l’homme qui tient les rênes : nous ne pouvons pas avoir l’ascendant sur ce groupe. La voiture roule un moment, peut-être une demie heure, avant de se stationner. On m’ôte mon bandeau et, lorsque mes yeux s’habituent à nouveau à l’obscurité, ils s’écarquillent. Devant nous se dressent un complexe, certainement un ancien complexe militaire, fortifié et gardé par des hommes armés. Devant nous, un vieil homme au sourire accueillant écarte les bras et prend la parole. Il explique que nous sommes les bienvenues, mais qu’il nous faudra laisser nos armes à l’entrée. J’échange un coup d'œil avec Amos, guettant sa réaction.

30 DAYS WHITHOUT AN ACCIDENT
@Raelyn Blackwell  & Amos Taylor  - Univers alternatif - 2007, 29 ans

Qu’importe ce qui sort de nos bouches : nous sommes cernés de toute part. Nous défendre serait suicidaire. Discuter semble vain. Pourtant, on met du coeur à essayer de nous tirer de guêpier. On promets que nous ne sommes pas dangereux, que nous ne possédons pas grand-chose, qu’en résumé, nous avons rien à offrir à ce petit groupe qui a eu le luxe de ne pas toucher à une pharmarcie et qui sont armés jusqu’aux dents. Sont-il en quête de ressources humaines ? Une question me vient : depuis combien de temps nous observe-t-il ? Qu’ont-ils vu en nous qui pourrait leur servir puisqu’ils veulent nous emmener auprès de leur leader. La façon me dérange : je n’aime pas être séparer de Raelyn. Je déteste avoir les yeux bandés. Je ne supporte pas qu’un étranger conduise notre voiture - par chance, il n’a ouvert le coffre - le tout avec des armes au poing pour éviter les échauffourées. Suis-je fou d’imaginer qu’ils ne nous mentent pas ? Qu’ils ne nous veulent aucun mal ? Qu’au contraire, nous serons déjà morts ? Cette impression est appuyée parce que ces précautions qu’ils prennent pour qu’on ne puisse pas nous retrouver. J’ai le sentiment que nous serons bientôt amené à faire un choix, mais lequel ? Qu’attendra-t-on de nous ?

Arrivés sur place, je respire mieux maintenant que l’on me retire l’entrave qui bouchaiit ma vue. Je cligne des yeux à plusieurs reprise : la luminosité me brûle la rétine, mais malgré tout, je le vois l’homme âge qui nous tend les bras comme si nous étions déjà alliés ou, en tout cas, qu’il aimerait que nous le soyons. Est-ce que ça cache quelque chose ? Pourquoi devons-nous laisser nos armes à l’extérieur ? ​​ «Pourquoi ? Parce que c’est une sorte de communauté pacifistique ?» Un regard vers les sentinelles sous-entend que je ne suis pas convaincu par cette hypothèse. «Vous dites que nous sommes les bienvenus, mais comment ? Est-ce qu’on vous suit, on ne pourra plus sortir ? Ou est-ce que vous l’accepterez sans nous rendre ce qui nous appartient ? Est-ce que c’est une prison que vous nous offrez ? » ai-je soufflé en jetant des œillades curieuses sur le complexe. «Chez nous, tout le monde est libre. Rien ne vous retiendra si ce que nous avons à vous proposer ne vous intéresse pas. Mais, ne trouverez-vous pas sage d’au moins visiter les lieux ? Combien de temps pensez-vous survivre encore dans ces conditions ? Cela fait un moment que l’on vous observe. Nous vous avons choisi. Je vous implore de prendre le temps de nous écouter. Vous déposez vos armes dans votre voiture, si ça vous chante. Vous pouvez garder les clés.» Je ne sais ni que ni penser et, conscient que je n’ai pas à décider seul, je plonge mon regard dans celui de Raelyn. «Tu en penses quoi ?» ai-je chuchoté en direction de ma complice, nos corps s’étant rapproché l’un de l’autre sans que nous le réalisions vraiment.

30 Days Without an Accident
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - deux ans après le début de l’épidémie

Amos est aussi méfiant que moi et je n’ai pas besoin de grand chose de plus qu’un regard pour le confirmer. Dans cet univers, les armes sont notre unique moyen de nous défendre contre les rôdeurs et les survivants mal intentionnés. Nous demander de nous défaire de nos armes, c’est bien pire que de nous demander de nous défaire de nos vêtements ou de nos réserves de nourritures. Je préfère évoluer nue et affamée que sans moyen de neutraliser les morts vivants. « Je vous implore de prendre le temps de nous écouter. Vous déposez vos armes dans votre voiture, si ça vous chante. Vous pouvez garder les clés. » Avons-nous réellement le choix ? Nous avons été désarmés et emmenés ici sous le joug de la contraire alors que nous ne nous sommes pas attaqués au groupe de survivants. « Tu en penses quoi ? » J’échange un regard avec Amos, avant de tourner à nouveau mon visage en direction de celui qui semble être le leader ici. « On a le choix ? » Il échange un regard avec les sentinelles et m’adresse un sourire qui me déplaît. « Vous seriez fous de refuser. Depuis combien de temps n’avez vous pas avalé un bon repas ? Enfilé des vêtements propres ? Pris une douche chaude ? » Il utilise nos instincts et besoins les plus primaires pour nous convaincre d’entrer, mais je me demande toutefois ce qu’il sous entend réellement, pas ce ”vous seriez fous de refuser.” Que les gardes s’en prendraient à nous si nous le faisions ? « Tout reste là, dans notre voiture ? » Le vieil homme hoche la tête, et je me retourne vers mon complice. « C’est pas comme si on avait le choix. » Je murmure, la mâchoire serrée par l’angoisse.

Nous sommes délestés de toutes nos armes. Un homme et une femme nous fouillent au corps et nous privent des couteaux que nous cachons toujours sur nous. Les clés sont remises à Amos et, sans moyen pour me défendre, je me sens nue. « Comment on se défend, en cas d’attaque de rôdeurs ? » Il éclate de rire, avant de nous faire signe de le suivre. « Il n’y en a pas ici, ma chère. » Une utopie à laquelle je ne sais pas réellement s’il faut croire. Il nous fait faire le tour des parties communes du complexe en nous en expliquant la politique : ici, chacun contribue à l’effort commun. « L’abrogation de tout système monétaire nous a contraints à revenir aux fondamentaux. Chacun sert la communauté en fonction de ses compétences. Et chacun est récompensé en mangeant à sa faim et en étant en sécurité. » On nous présente Maya, chargée de nous faire faire le tour et, après nous avoir montré la zone réservée aux habitations, elle nous abandonne devant une porte grise. « C’était une base militaire ici, avant. Tout est triste du sol au plafond, mais y’a tout le confort dont vous pouvez rêver. Je vais vous laisser vous installer. Les douches sont au bout du couloir et je reviendrai vous chercher dans une heure, pour le petit déjeuner. On le prend dans l’ancien réfectoire. » Nous sommes sortis de nuit et le jour montre en effet le bout de son nez. Je pousse la porte de la chambre pour y trouver deux lit jumeaux, un joggings gris et un t-shirt blanc plié au pied de chaque. Je referme la porte derrière moi, avant de me tourner vers Amos et de me nicher dans ses bras. « Qu’est ce que tu penses de tout ça ? C’est du délire… » Ce genre d’endroit, nous en avions entendu parler en pensant que tout ça n’était qu’un mythe. « Elle a parlé de douches. » Et d’eau chaude. Je n’ai pas oublié.

30 DAYS WHITHOUT AN ACCIDENT
@Raelyn Blackwell  & Amos Taylor  - Univers alternatif - 2007, 29 ans

Face au leader qui nous accueille avec trop d’enthousiasme à mon goût - qui, par les temps qui courent, débaucheraient deux bouches supplémentaires à nourrir - Rae et moi arrivons à la même conclusion : nous sommes privés d’options. Nous n’avons pas d’autres choix que de remettre nos armes, d’accepter qu’elle soit stockée dans la voiture, cette dernière rentrée à l’intérieur de l’ancien complexe militaire - je le reconnais, ils ont tous la même allure, à peu de choses près - et d’entendre les explications du chef de cette communauté. Il prétend qu’il n’y a pas de rôdeurs et je tique. L’un de mes sourcils se lève : je n’y crois pas. Je pense qu’ils sont au contraire comme des animaux, attirés par les amas de viandes - autrement dit, nous - qui se planquent dans des endroits tels que celui-ci. Pourtant, comme Rae, je suis séduit par quelques-unes de ses promesses : manger à sa faim, une chambre, des douches, de l’eau chaude. Mon estomac en gronde et ma peau qui, quelquefois, me chatouille d’être trop sèche et mal entretenue, semble chercher à m’adresser un message claire puisqu’elle me démange : ne passe pas à côté de cette chance. Or, quelques chose me dérange dans toutes cette mise en scène. La dénommée Maya qui s’est substituée au “grand patron” est elle-même trop enjouée pour une femme qui vit dans un monde post-apocalyptique. N’a-t-elle perdu personne ? Comment peut-on se remettre si vite d’un tel désastre ? Du massacre de milliers de nos semblables ? Parce que l’on mange, que l’on boit, que l’on vit dans un confort relatif à l’abri d’un danger qui, lui, ne l’est pas ? A-t-elle seulement été confrontée à l’un de ses rôdeurs, cette femme ? «Je pense que je n’aime pas que tous ceux que nous avons croisés portent le même t-shirt et le même jogging. Alors, j’attends de voir, au moins pour la douche et parce que je meurs de faim.» ai-je répondu à la question de Raelyn que je tiens dans mes bras. Ensemble face à l’adversité, ai-je pensé. En la tenant si serrée contre moi, je me suis demandé si j’étais amoureux d’elle parce que nous avons été seuls jusqu’ici ou si c’est la volonté du destin. Qu’importe, je lui souffle déjà à l’oreille : «Tu crois que ce sont des douches individuels.» En général, ça l’est, bien qu’elles ne soient pas insonorisées. «Mauvaise question : tu crois qu’on sera combien à prendre notre douche à cette heure-ci ? » Mon oeil brille de malice tandis que mes mains hasardent déjà dans le creux de ses reins, sous son t-shirt et remonte doucement vers l’agrafe de son soutien-gorge. «Non pas que j’ai des idées particulières en tête, évidemment. Tu te doutes bien.» Je conclus par un sourire et un baiser alors que, la tenant par la main, je la guide vers notre destination. En chemin, nous croisons quelques quidams qui nous saluent comme si nous étions amis depuis toujours et, je l’admets, ça me met mal à l’aise. J’en suis désarçonné, mais, sur l’heure, j’attends de voir. J’attends, je ne juge pas…je m’étonne.