30 Days Without an Accident
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - deux ans après le début de l’épidémie

Nous nous retrouvons seuls, et une part de moi sombre à la paranoïa. Je jette des coups d'œil circulaire à la chambre sommaire à la recherche d’une caméra ou d’un micro, mais il n’y a pas grand-chose qui pourrait dissimuler l’un ou l’autre : les murs gris sont dépourvus de décoration. Je touche du bout des doigts le tissu propre qui a été déposé au pied de mon lit, sans trop oser m’en approcher, tant je me sens sale en comparaison. Mes cheveux ont besoin d’être lavés, et j’ai une épaisse couche de crasse à retirer de ma peau. Ont-il du shampoing ? Je ne peux m’empêcher d’effacer la paranoïa au profit d’une excitation que je maudis : elle endort ma méfiance. « Je pense que je n’aime pas que tous ceux que nous avons croisés portent le même t-shirt et le même jogging. Alors, j’attends de voir, au moins pour la douche et parce que je meurs de faim. » - « Ça a l’air d’être un ancien site militaire ici, peut-être que ce sont des tenues d'entraînement qui étaient stockées là ?  » Peut-être ont-il mis la main sur un stock de vêtements destinés aux recrues ? « Tu crois que ce sont des douches individuelles ? » - « Je vois où tu veux en venir. » J’esquisse un sourire mais je suis mitigée : d’une part, j’ai envie de profiter de l’occasion pour frotter ma peau jusqu’à ce qu’elle devienne rouge, et ça n’a rien de glamour. En plus de ça, je n’oublie pas la présence du test dans ma poche droite, celui que la jeune femme qui m’a fouillée au corps a remarqué sans faire le moindre commentaire - je l’ai bénie silencieusement. « Mauvaise question : tu crois qu’on sera combien à prendre notre douche à cette heure-ci ? » - « On a qu’à se dépêcher d’aller découvrir, non ? » De l’eau chaude. Je n’en ai pas senti couler sur ma peau depuis plus de deux ans.

Amos ne démord pas de l’idée qu’il a en tête : ses mains glissent sous mon t-shirt et dégrafent mon soutien gorge. Moi, je dépose un baiser sur ses lèvres. « Non pas que j’ai des idées particulières en tête, évidemment. Tu te doutes bien. » Prudents, nous nous aventurons dans les couloirs. Plusieurs personnes nous adressent des sourires et nous indiquent la direction jusqu’au douches… Qui ne sont pas mixtes. Une part de moi est soulagée. « Tu sais, ce n’est que partie remise… » Le jour se lève et, en plus de séparer les hommes et les femmes, les douches sont fréquentées. « Dis toi que, ce soir, on sera propres. Plus propres qu’on l’a été depuis deux ans. » Je glisse ma main sous son t-shirt et je l’embrasse, avant de m’éloigner. « Ça vaut le coup d’attendre. » Et moi, j’aurais tout le loisir d’obtenir cette fichue réponse que j’espère négative.

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@Raelyn Blackwell  & Amos Taylor  - Univers alternatif - 2007, 29 ans

Peut-être a-t-elle raison, Raelyn. Peut-être est-ce qu’à force de vivre dans la peur d’être frappé par des êtres humains à considérer comme des ennemis ou attaqué par des morts-vivants vêtus comme nous, encore, mais qui ne nous ressemble plus, je suis devenu plus paranoïaque que la raison ne l’exige. A moins que je ne sois gêné par les fantômes qui hantent ces lieux et qui me rappellent une partie de mon histoire dont je ne garde que de mauvais souvenirs. Je ne sais pas. Je ne sais plus. Quelque chose me dérange, c’est indéniable, mais je n’arrive pas à mettre le doigt sur ce qui me chiffonne et c’est agaçant. «Ouais. Je présume que c’est ça.» ai-je répliqué, soucieux de conserver pour moi mes doutes. Je préfère les noyer dans la promesse d’une douche et un moment coquin que nous nous interdisons depuis notre dernier douche. A quand remonte-t-elle, d’ailleurs ? Longtemps. Nous puons la sueur. Nos vêtements sont tâchés de boue et d’auréoles dont l’origine est cette substance douteuse que les rôdeurs dispersent autour d’eux après avoir été éliminés. Nous sommes tout sauf ragoûtants et je la comprends, les réticences de ma complice de galère. Je suis cavalier parce que je ne suis pas à l’aise et que j’aimerais noyer mes appréhensions dans ces instincts aussi primaires que manger, boire, respirer, avoir un toit sur notre tête et un minimum de confort. «C’est bon ! Je capitule. Partie remise.» Autant dire que son refus me dérange moins que de découvrir que les douches ne sont pas mixtes. Il n’y a que pour moi que c’est étrange ? L’eau chaude me soulage des quelques douleurs de mon corps, c’est vrai. Elle m’assainit de cette saleté qui me collait à la peau : j’admets. Toutefois, elle ne me débarrasse pas de mon mauvais pressentiment. Par chance, il ne se vérifie pas au mess. Rae et moi sommes libres de manger ensemble, mais pas de ne pas être importuné. Une jeune femme vêtue d’un tailleur - et celui-là, où l’ont-ils trouvés ? Que sous-entend-il ? - s’approche de notre table avant même que j’ai eu le temps de demander à ma partenaire si cette parenthèse sous un jet d’eau brûlant l’a enchantée. Elle se présente sans se préoccuper de la bienséance. Puis, elle s’adresse directement à mon acolyte. «Nous sommes heureux de vous accueillir. Nous espérons que vous resterez.» Certains sont-ils déjà arrivés pour repartir ensuite ? Pourquoi ? Le mystère m’interpelle, mais pas avec la même vigueur que la remarque qui a suivi : «Monsieur a pris la liberté de vous prendre un rendez-vous chez notre médecin, d’ici une demi-heure.» Pourquoi ai-je l’impression de ne pas être concerné ? « Pour nous deux ? C’est une sorte de visite médicale pour être certain qu’on n’a pas la gale ? » Il y a un soupçon d’ironie dans mon ton, un que je troque pour une véritable inquiétude de suite après son départ et, pour cause, seule Raelyn est conviée auprès du - je suppose - professionnel de la médecine. «C’est quoi cette histoire ?» lui ai-je aussitôt demandé, convaincu qu’elle est désormais mal à l’aise. «Il y a un truc que je ne sais pas que je devrais savoir ? » A une autre époque, l’éventualité m’aurait coupé l'appétit, mais celle-ci ne ressemble à rien de ce que nous avons connu. Rien du tout.

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Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - deux ans après le début de l’épidémie

Il a capitule et, moi, si je suis anxieuse à l’idée de me séparer de mon complice en plein territoire inconnu, j’y trouve deux avantages : le premier, de pouvoir frotter chaque grain de ma peau pour me débarrasser de la saleté, du sang et des peaux mortes. Le second, être à l’abri des regards et obtenir la réponse à cette question qui m’obsède depuis que j’ai réalisé le retard dans mes règles. J’espère qu’il existe une autre explication : devenir parent dans un monde comme celui dans lequel nous vivons, c’est hors de question.

L’eau chaude sur ma peau me donne l’impression de renaître et j’ai l’impression que c’est la meilleure sensation depuis des mois, depuis des siècles. Je ferme les yeux et je reste de longues minutes sous la douche sans bouger, regardant l’eau se troubler en entrant en contact avec ma peau. Je me savonne à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’elle tombe claire au sol et, concernant mes cheveux, c’est un défi. Lorsque je termine, je récupère le test au fond de la poche de mon jean abandonné sur la porte de la cabine de douche, les mains tremblantes. Je suis la notice, et je me prépare au résultat. Ce dernier, il me dévaste.

A table, je suis presque absente. Bien sûr, j’embrasse Amos dès que nous nous retrouvons : nous n’avons pas été aussi propres depuis des jours, depuis des semaines et je m’autorise une main dans ses cheveux mouillés qui sentent encore le shampoing. Nous avons à peine récupéré nos plateaux et nous sommes à peine installés à table que nous sommes dérangés par une nouvelle inconnue. « Nous sommes heureux de vous accueillir. Nous espérons que vous resterez. » - « Il y en a qui partent ? » L'apocalypse ne m’a pas appris à être moins franche et directe. Elle m’ignore cependant, notre interlocutrice. « Monsieur a pris la liberté de vous prendre un rendez-vous chez notre médecin, d’ici une demi-heure. » Mon regard croise celui de cette femme et je comprends. La femme qui m’a palpée à certainement parlé du test de grossesse dans ma poche au responsable de cet endroit. Je tente de rester de marbre, mais j’ai bien du mal à donner le change. « Pour nous deux ? C’est une sorte de visite médicale pour être certain qu’on n’a pas la gale ? » J’ai pris ma décision : ne pas parler de mes doutes à Amos avant d’être certaine. Un test est-il suffisant ? Sont-ils fiables ? N’est-il pas préférable d’attendre d’avoir vu ce fameux médecin ? La femme confirme ce que j’ai déjà deviné : il n’est que pour moi ce rendez-vous. Il est lié à ma grossesse qui n’a plus grand chose de potentielle. « C’est quoi cette histoire ? » - « C’est aujourd’hui ? » Elle hoche la tête, et je rajoute que je m’y rendrai après le petit déjeuner. Elle prend congé, et je sens qu’Amos se demande ce qu’il se passe. « Il y a un truc que je ne sais pas que je devrais savoir ? » - « J’en sais rien. Je sais pas ce qu’ils me veulent. » C’est un mensonge, mais il me semble innocent puisque je lui dirai la vérité. Ce soir. Je lui dirai que le test était positif. « Je suppose que le plus simple c’est que j’y aille ? C’est certainement un contrôle de routine, et tu passeras plus tard. Peut-être parce qu’ils ont remarqué qu’on mange pas à notre faim et que je pèse plus très lourd. » Je cherche des excuses pour noyer le poisson. Je suis maigre, c’est vrai. C’est plus flagrant sur mon petit gabarit que sur Amos qui est pourtant lui aussi sous nourri. Je change de sujet de façon éhontée. « La douche. Je crois que c’était un des meilleurs moments de ma vie. Pas toi ? » J’esquisse un sourire et je pique dans mon plat. Ce n’est pas grand chose. Une purée et quelques haricots rouges. C’est toutefois plus nourrissant que ce dont nous nous contentions parfois. « Les gens ont l’air en bonne condition physique. T’as remarqué ? » Eux, ils n’ont pas que la peau sur les os.

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@Raelyn Blackwell  & Amos Taylor  - Univers alternatif - 2007, 29 ans

Je suis sorti de la douche rasséréné, prêt à affronter le monde parce qu’il n’est rien de plus agréable que cette sensation d’être propre. Pour peu, j’en aurais oublié mes doutes alors que mes appréhensions, elles, elles s’envolent dès que je retrouve ma complice de galère. Elle glisse main dans mes cheveux propres et toujours mouillé et moi, j’approche mon visage de son cou pour respirer le parfum du shampoing mis à disposition par les « lieux », cet endroit où il semble impossible d’être tranquille. A peine nous sommes-nous installés avec nos plateau qu’une dame vient nous importuner pour tenir un discours troublant. « Pourquoi partent-t-ils, ces gens-là ? » ai-je donc renchéri après que Rae ait relevé l’objet de la première surprise dans ce monologue. Quant à la seconde, elle est à mon sens beaucoup plus personnelle : elle concerne un rendez-vous chez le médecin, non pas pour moi, mais pour ma partenaire. Interloqué, je suis du regard l’intruse qui nous fuit poliment et, par réflexe, j’interroge d’abord Raelyn du regard, un regard qu’elle fuit pour se concentrer sur son assiette pleine. Par la suite, pris par un mauvais pressentiment, j’ai utilisé des mots et pour n’y gagner qu’une réponse peu convaincante. « Le plus simple, c’est qu’on y aille. Je te laisse pas aller chez un médecin ou je ne sais quoi sans moi. On ne sait rien de ces types. On n’a aucune idée de ce qu’ils nous veulent et de ce qui nous intéressent chez nous. Franchement, qui, dans ce monde, aide encore son prochain gratuitement à ton avis ? » Je suis catégorique : pas de visite médicale sans moi, d’autant que j’ai l’impression désagréable que l’on me cache quelque chose, que Raelyn me dissimule un grand secret et, cette sensation, elle est confirmée par sa réaction téléphonée : elle change de sujet. « La douche était agréable. Une douche que tu n’as pas voulue partager avec moi d’ailleurs. Parce qu’on était dégueulasses ou parce que il y a un truc que tu veux pas me dire ? Tu es malade ? Tu as été mordue ? » Paniqué, j’attrape sa  main et je la serre drôlement fort, beaucoup trop fort : « Est-ce que tu as demandé un rendez-vous chez le médecin parce qu’il faut t’amputer un morceau de bras ? De pied ? Si c’est ça, pourquoi tu ne m’as rien dit ? » Parce que, tous ces croquants en bonne condition physique, je m’en cogne : il n’y a qu’elle qui compte parce qu’à survivre durant des années grâce à l’un ou l’autre pour notre duo, elle est devenue ma priorité « Quoi que ce soit d’ailleurs, pourquoi tu changes de sujet. Qu’est-ce qu’il se passe ? De quoi tu essaie de me tenir à l’écart ? »

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Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - deux ans après le début de l’épidémie

« Pourquoi partent-ils, ces gens-là ? » - « Parce qu’ils ont le choix. Nous ne forçons personne à rester et les raisons leur appartiennent. » La réponse est énigmatique et ne me convient pas tout à fait. Comme Amos, j'aurais voulu savoir les raisons derrière ces départs puisqu’ils ne devraient pas survenir, si l’endroit est aussi idyllique qu’on nous le vend. Nous n’obtiendrons jamais rien de la femme qui, de toute façon, prend congé juste après avoir jeté un pavé dans la mare. J’aurais voulu pouvoir gérer les choses à mon rythme et ne parler de tout ça à Amos qu’après avoir eu la confirmation que je suis bien enceinte. Si je me trompe - toutefois, le résultat du test ne laisse plus beaucoup de place au doute - je ne veux pas tirer sur la sonnette d’alarme pour rien. Maintenant encore, j’espère qu’on me dira qu’un test vieux de deux ans est périmé et que, par conséquent, le résultat n’est pas fiable.

Mais à cause de l’intervention de l’inconnue, Amos est méfiant et, si je tente de changer de sujet, il ne me laisse pas m’échapper si facilement. « La douche était agréable. Une douche que tu n’as pas voulu partager avec moi d’ailleurs. Parce qu’on était dégueulasses ou parce que il y a un truc que tu veux pas me dire ? Tu es malade ? Tu as été mordue ? » - « J’ai pas été mordue. Tu l’aurais vu. » Il me voit nue trop souvent pour passer à côté d’une telle blessure et, puisqu’elle mettrait sa sécurité en péril, je ne lui aurais jamais rien caché de tel, pas même quelques heures. « Est-ce que tu as demandé un rendez-vous chez le médecin parce qu’il faut t’amputer un morceau de bras ? De pied ? Si c’est ça, pourquoi tu ne m’as rien dit ? » - « Je suis pas blessée Amos. J’ai pas été mordue, je te le jure. » Et je ne suis pas de celles qui font des promesses à tout va et sans avoir la moindre intention de les tenir. J’ai beaucoup de défauts, mais je suis dépourvue de celui-ci. « Quoi que ce soit d’ailleurs, pourquoi tu changes de sujet. Qu’est-ce qu’il se passe ? De quoi tu essayes de me tenir à l’écart ? » - « Fait moi confiance s’il te plait. » Je fais glisser ma main dans sa direction en espérant qu’il l’attrape et noue ses doigts aux miens. « Laisse moi juste faire cette visite médicale. Je t’en parlerai après, je te le promets. » Même en cas de frayeur injustifiée, il faudra donc que je lui confie ce qui m’a agitée ces derniers jours. Je m’accroche toujours et malgré tout à l’espoir que tout ceci ne soit qu’une accumulation de symptômes qui ne veulent rien dire et d’un faux positif.

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Autant la question était pertinente - pourquoi partir, en ces temps difficiles, lorsqu’on semble avoir trouver un nouvel eden - autant la réponse me désarçonne. J’aurais souhaité quelque chose de plus précis que le libre-arbitre, mais sur l’heure, je m’en contente. Un fait plus alarmant me happe dans le tourbillon de l’inquiétude. Rae a un rendez-vous chez un médecin et je me demande aussitôt à quel moment, entre celui où nous sommes arrivés et où nous nous sommes douchés, elle a eu le temps de l’organiser. Je m’étonne également parce que ce “lâcher-prise” ne lui ressemble pas, à ma complice de galère. Depuis quand confie-t-elle son corps et sa santé à un parfait inconnu ? Je doute qu’elle l’aurait fait hier. Aujourd’hui, cela me semble encore plus improbable. ça l’est tant que tous les voyants “danger” sont désormais au rouge dans mon cerveau malade de tracas. Alors, je la questionne. Je tente de savoir. J’émets des hypothèses toutes plus terrifiantes les unes que les autres. «Non, je ne l’aurais pas forcément vu. Quand ? Puisque, je répète, tu n’as pas voulu de moi tout à l’heure dans la douche.» Heureusement, elles ne sont pas mixtes. C’est “triste” à présent : mon imagination tourne à du mille à l’heure sur les raisons de son refus quand, tout à l’heure, la question de notre hygiène m’avait suffi. «Très bien. Tu n’es pas blessée et tu n’as pas été mordue. Alors, pourquoi ce rendez-vous ? Depuis quand tu fais confiance aux premiers venus ? » Cette fois, je me suis avancé dans sa direction et j’ai chuchoté, histoire que d’aucuns ne nous entendent. Nulle envie de nous mettre qui que ce soit à dos pour l’instant. «Comment je suis supposé te faire confiance si tu ne te ressembles plus ? Que tu fais des trucs bizarres ? » Dans ma poitrine, les battements de mon coeur se calquent sur le rythme d’une samba endiablée : j’ai peur. J’ai peur et je capitule. Je capitule et je boude en avalant difficilement le repas le moins frugal que j’ai eu la chance de déguster au cours de ses derniers mois. Je ne pipe plus mot. Je ne la regarde pas non plus et, plus tard, le sourire que je lui adresse alors qu’elle passe la porte pour rejoindre un inconnu est aussi timide que celui d’un enfant et crispé comme des muscles après une intense séance de sport. Le tout contraste avec la vigueur de mes pas dans le couloir et la violence de ma curiosité quand elle sort enfin, entière, saine et sauve, alors que je me la figurais en danger, gravement, à deux doigts d’être dépecée (par exemple.) « Alors ? Tu vas bien ? Tu m’as juré que tu me dirais. Tu m’as promis. Alors, je t’écoute. » ai-je demandé en la serrant d’abord contre moi, puis en la tenant fermement par l’épaule, mes pupilles ancrées dans les siennes.

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« Non, je ne l’aurais pas forcément vu. Quand ? Puisque, je répète, tu n’as pas voulu de moi tout à l’heure dans la douche. » Je pose mes doigts sur son bras pour l’apaiser mais pas sans la peur au ventre qu’il esquisse un mouvement de recul puisqu’il a l’air inquiet et blessé. Je lui assure que je ne suis pas blessée, que je n’ai pas été mordue puisque je peux au moins lui promettre ça. Mes jours ne sont pas comptés ou en tout cas pas à cause de ce genre d’événement. Mais qui sait comment se déroulera un avortement - je ne pense même pas à l’accouchement - dans le nouveau monde dans lequel nous vivons ? Possèdent-ils seulement des médecins qui savent en pratiquer dans ce complexe ? Des médicaments qui permettraient de le faire rapidement sans risque ? « Très bien. Tu n’es pas blessée et tu n’as pas été mordue. Alors, pourquoi ce rendez-vous ? Depuis quand tu fais confiance aux premiers venus ? » - « Je leur fais pas confiance. » Je suis aussi méfiante que lui : tout ça me paraît bien trop beau. Sauf que contrairement à lui je sais pourquoi on m’a pris ce rendez-vous : mon regard a croisé celui de la militaire quand elle m’a fouillée au corps et qu’elle est tombée sur le test de grossesse. Elle n’a rien dit, mais j’ai lu dans ses yeux qu’elle avait compris. « Comment je suis supposé te faire confiance si tu ne te ressembles plus ? Que tu fais des trucs bizarres ? » - « Parce que c’est moi, parce qu’on est là dedans ensemble depuis deux ans. » Et que pendant tout ce temps nous ne pouvions compter que l’un sur l’autre. « Et parce que je te dirai tout d’ici moins de deux heures. » Le temps de finir de manger et de voir le médecin du complexe militaire.

Il a boudé pendant tout le repas et j’ai eu du mal à lui tirer le moindre mot. Rapidement, j’ai capitulé et j’ai mangé en silence. Avant de partir, j’ai toutefois déposé un baiser sur son front et s’il a été aussi froid qu’un glacier, je ne m’en suis pas formalisée. Le rendez-vous a confirmé mes pires craintes : ce n’est pas une erreur ou un faux positif : je suis enceinte. Si on m’a expliqué mes différentes options je n’ai rien retenu puisque je suis bouleversée. J’ai peur de l’annoncer à Amos, j’ai peur qu’il m’en veuille et j’ai peur de mourir. Mon visage est fermé et j’ai l’air aussi préoccupée que lui lorsque je reviens dans la chambre où il m’attend et s’impatiente. « Alors ? Tu vas bien ? Tu m’as juré que tu me dirais. Tu m’as promis. Alors, je t’écoute. » Il m’attrape par l’épaule, comme pour m’empêcher de fuir, et je plonge un regard bourré de détresse dans le sien. J’ai la gorge sèche et la tête qui tourne. Mon ventre se serre mais je lui dois la vérité et pas uniquement parce que je lui ai promis de tout lui dire. « Je… » Les mots me manquent et je sens l’angoisse m’envelopper toute entière. « Je suis tombée enceinte. Je suis enceinte. » Alors que je pensais la chose impossible.

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@Raelyn Blackwell  & Amos Taylor  - Univers alternatif - 2007, 29 ans

Dieu que me contenir est complexe. Elle pose les mains sur moi et j’ai envie de les tirer vers moi pour relever ses manches et analyser chaque parcelle de peau de ses bras. Il ne tiendrait qu’à moi que je l’aurais conduite de force dans notre chambre - C’est étrange comme appellation. ça résonne comme si nous allions rester alors que rien ici ne m'inspire confiance et sécurité - pour la scruter de la tête au pieds son corps nu. Je ne la toucherais pas autrement que pour calmer mon anxiété à l’idée qu’elle ait été mordue et que la fatalité me l’arrache. Or, je ne peux pas. Je nous sens épiés depuis notre arrivée dans ce mess. Alors, je me débats avec les mots. J’essaie de comprendre à l’aide du verbe quoique rien ne me soulage réellement, pas même celui de Raelyn. Au mieux, je hoche la tête. Le pis, c’est que je la suis jusqu’au couloir où le bureau de ce maudit médecin se cache. Je piétine. Je piaffe comme un cheval impatient puisque deux heures, c’est long. C’est long quand on est la proie de cette peur de l’abandon. C’est une éternité quand on a à peine terminé le deuil de notre vie d’hier et que l’on s’habitue à peine au quotidien apocalyptique qui est nôtre. Cette situation est tellement angoissante que j’ai bondi sur Raelyn à peine est-elle sortie de la consultation. Au cours de son absence, je me suis préparé à une catastrophe et, quand tombe la nouvelle, je ne sais comment réagir. «Tu quoi ? » Enceinte… c’est à des kilomètres de ce que j’avais envisagé et, perplexe, j’affiche de grands yeux rondes. «Ce n’est pas possible.» Non pas que nous ayons réellement fait attention, mais parce que je peine à concevoir que la misère dans laquelle nous évoluons et que la malnutrition soit favorable à la procréation. « Enceinte comme dans tu vas avoir un bébé ? » D’instinct, j’ai reculé de trois pas et j’ai sursauté lorsque le docteur m’a interrompu. «Effectivement. Et, c’est une bénédiction pour nous tous. Nous vous apporterons tous les soins nécessaires et tous les soins dont vous aurez besoin pour mener cette grossesse à terme. C’est le premier bébé de la communauté.» Son sourire narquois m’a confirmé que, d’après lui, nous n’avons pas le choix. La décision, ils l’ont prise à notre place. «C’est ce que tu veux ?» ai-je demandé à Raelyn par précaution, histoire de ne pas me mettre martel en tête alors que, peut-être - je ne le jurerais pas - en a-t-elle envie de cet enfant avec moi.

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Depuis que la nouvelle est tombée, j’ai du mal à respirer. Dans des circonstances normales, je n’aurais en rien été enchantée d’apprendre que j’attends un enfant, alors dans la réalité dans laquelle nous nous trouvons, je suis carrément terrifiée. J’ai le tourni et l’impression de me trouver au bord d’un précipice, aspirée par le vide. Je ne suis pas idiote, je sais comment c’est arrivé. Nous avions tous les deux enfouis loin dans notre esprit la possibilité que, sans contraception ou pas toujours, en fonction de ce que nous trouvons dans les pharmacies qui croisent notre route, il était tout à fait possible que je finisse par tomber enceinte. J’ai deux espoirs : qu’il soit possible de mettre un terme à cette grossesse malgré le peu de médicaments qui restent, et qu’Amos soit aussi réaliste que je le suis : qu’il veuille d’un enfant ou pas n’est pas la question. Dans un monde post apocalyptique, on ne donne pas naissance à un bébé. « Tu quoi ? Ce n’est pas possible. » Je l’observe en coin, angoissée par sa réaction et, surtout, angoissée qu’il prenne la chose comme le médecin du complexe : comme une bénédiction. « Enceinte comme dans tu vas avoir un bébé ? » Je hoche la tête doucement, sans qu'aucun son ne parvienne à sortir de ma gorge. « Effectivement. Et, c’est une bénédiction pour nous tous. Nous vous apporterons tous les soins nécessaires et tous les soins dont vous aurez besoin pour mener cette grossesse à terme. C’est le premier bébé de la communauté. » - « Laissez nous tous les deux. » Je m’exprime avec fermeté, peu préoccupée par le fait que nous venons d’être admis dans ce complexe et que, pour y rester, il faudra que nous fassions des efforts de sociabilité.

« C’est ce que tu veux ? » Je referme la porte sur la femme qui se retire bon gré mal gré. Lorsque je fais à nouveau face à Amos, je suis de la même couleur que les murs de notre petite chambre : livide. Doucement, je secoue la tête sans le quitter des yeux et, sans crier gare, je viens me réfugier contre son torse. « C’est ce que toi tu veux ? » J’espère qu’il dira non, qu’il sera sincère et qu’ainsi je n’aurais pas à partager avec lui toutes les raisons qui font que, pour moi, c’est la pire des idées que nous pourrions avoir.

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@Raelyn Blackwell  & Amos Taylor  - Univers alternatif - 2007, 29 ans

Ce n’est pas possible ! C’est de loin la remarque la plus idiote qui soit compte tenu des temps qui courent. La contraception est un luxe que nous ne pouvons plus nous permettre. Lorsque nous pillons des pharmacies, nous pensons antibiotiques, analgésiques et, quand bien même Rae pense-t-elle à subtiliser des boîtes de pillules, vient toujours un moment où elle en manque. Cette grossesse, sans être inévitable, ne peut être décrite comme une réelle surprise. ça nous pendait au nez et, si j’en reste pantois, c’est de me demander si, dans des circonstances différentes, j’aurais eu une réaction identique. Aurais-je été stupéfait ? Pantois ? Paniqué ? Convaincu - surtout - que le monde dans lequel nous vivons désormais n’est pas taillé pour les nourrissons ? Je crois qu’une part de moi regrette de ne pas être d’accord avec le médecin qui encense la nouvelle. Pour elle, Rae détient l’avenir de l’humanité. A l’entendre, elle est comme lestée à jamais d’un devoir de préservation. Moi, je ne l’entends pas de cette oreille. Je me méfiais de tous les membres de cette communauté, le sentiment est désormais démultiplié. Je dévisage le type avec cette expression qui trahit d’un “vous êtes fous” mêlé à un “de quoi je me mêle ?”. Je suis à deux doigts de lui exprimer ma façon de penser et, par ce biais, de nous attirer des emmerdes. Par chance, il répond aux exigences de la parturiente et il nous abandonne tous les deux, avec cette nouvelle sur les bras et, en ce qui me concerne, mes émotions contradictoires. Elles se bousculent en moi tandis que Raelyn se crée une place dans mes bras. Je l’enlace par réflexe. Je dissimule mes traits dans son cou et je respire l’odeur devenue rare du savon avec lequel elle s’est lavée, sans moi, puisque les douches ne sont pas mixtes. C’est étrange, non ? La doctoresse m’a laissé la sensation que toute cette communauté serait prête à hisser mon acolyte de galère sur un pied d’estale parce qu’elle porte le monde - expression qui n’aura jamais pris autant de sens que ce jour. Dans ce cas, pourquoi interdire tout rapprochements dans les salles de bain ? Je suis perplexe et, lorsque tombe la question de ma complice, je bégaie. «Hein ? Quoi ? » Est-ce que je veux rester ? Partir ? Non ! En plongeant mes yeux dans les siens, je me souviens que ce qui nous préoccupe, c’est que faire de ce bébé. «Et toi ? » Réponse de berger à la bergère. Je n’ose pas lui dire que, d’après moi, ce serait une mauvaise idée puisque je peine à nous envisager installer à demeure au sein de ces gens que je ne comprends pas et qui attisent le feu d’alerte en moi. Et si elle le voulait, Raelyn ? Et si elle désirait rester là ? Pense-t-elle que toutes les conditions seraient remplies pour être parents si nous sommes à l’abri des dangers qui rôdent ? « Ici, c’est pas vraiment pour nous, si ? Et dehors, c’est pas fait pour un nouveau-né… enfin je crois.»    

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La doctoresse – elle ne l’était pas avant tout ça, elle me l’a dit, elle n’était qu’aide-soignante mais il convient dans des circonstances aussi exceptionnelles que celles-ci de se réinventer – quitte la pièce sans protester mais, avec au fond de l’œil, une bonne dose d’amertume et de déception. Ne peut-elle pas comprendre que les circonstances ne sont pas favorables à la venue au monde d’un enfant, quel qu’eut été notre point de vue sur la question avant l’épidémie ? Que nous avons besoin d’être seuls pour encaisser la nouvelle, la digérer et commencer à prendre une décision ?

Elle n’importe pas, de toute façon. C’est Amos que je ne peux pas quitter des yeux depuis que les mots "je suis enceinte" sont sortis de ma bouche. C’est sa réaction que je guette, effrayée à l’idée qu’il puisse vouloir de cet enfant malgré les circonstances. Ce serait un cauchemar pour moi. Je ne suis pas maternelle pour un sous et, aujourd’hui, la question ne se pose même plus : si cette grossesse devait être menée à terme, j’aurais toutes les chances d’en mourir. Après tout, des centaines de femmes ne mourraient-elles pas en couche avant l’époque de la médecine moderne ? Et cet enfant, lorsqu’il criera et pleurera parce qu’il ne saura pas se contrôler, n’aura-t-il pas toutes les chances d’attirer tous les rodeurs des environs ? « Hein ? Quoi ? » Amos est surpris que je puisse l’envisager. Choqué, même. De mon côté je respire un peu mieux : sa réaction en dit long sur son avis. Comme moi, il envisage la chose comme une catastrophe en devenir. « Et toi ? » Je retrouve des couleurs et je secoue la tête. J’aimerais parler, mais pour l’instant, ma gorge est sèche et j’ai besoin d’une minute. « Ici, c’est pas vraiment pour nous, si ? Et dehors, c’est pas fait pour un nouveau-né… enfin je crois. »

« Je sais pas si c’est chez nous. Je sais pas si j’ai envie de lui donner sa chance ou pas. » Tout a l’air trop beau, mais l’idée de ne plus me sentir en perpétuel danger est séduisante. Nous sommes propres, notre ventre est plein et nous allons dormir sans avoir à monter la garde toute une nuit. Quand avons-nous pu affirmer ça pour la dernière fois ? « Mais ici ou pas… Non, j’en veux pas. » Je n’en ai jamais voulu avant, alors maintenant ? Rien que d’y penser, j’ai la tête qui tourne. « La question se pose même pas. C’est ridicule, je pourrais mourir pendant la grossesse, je pourrais mourir pendant l’accouchement, et on survivrait pas une minute avec un gosse dehors, si on devait se retrouver dehors. » Je secoue la tête vivement, avant d’admettre, à voix basse. « Je suis terrifiée. Est-ce que c’est seulement possible ? » De s’en débarrasser ?

30 DAYS WHITHOUT AN ACCIDENT
@Raelyn Blackwell  & Amos Taylor  - Univers alternatif - 2007, 29 ans

L’idée d’avoir un enfant n’a rien de séduisant à mes yeux. J’en ai déjà un : il a été avalé par un monde où le luxe et le confort régissaient notre quotidien. Comment pourrais-je imaginer qu’un nouveau-né pourrait survivre dans cet univers où les rôdeurs se manifestent au moindre bruit ? Où nous n’avons plus d’endroit sécurisé pour prétendre dormir en paix ? Où nous ne mangeons pas toujours à notre faim et où une simple angine nous tuerait faute au manque de médicaments ? J’y pense et l’angoisse m’étreint l’estomac. J’en aurais presque la nausée. Dès lors, je crois pouvoir affirmer, compte tenu de la réaction de Rae, que nous sommes d’accord. Il n’est pas question qu’elle porte un enfant, et ce qu’importe qu’il soit le nôtre et c’est là que blesse le bât. Cette communauté dans laquelle nous avons atterri semble bénir la nouvelle. Le regard de la doctoresse n’aurait trompé personne et je doute qu’il autorise ma compagne de galère a avorté. Je redoute qu’il s’y oppose fermement et, peu confiant en la nature humaine, je les imagine déjà user de tous les moyens à disposition pour nous garder prisonniers en ces lieux. « Oui ! Je suppose que ça doit être possible, mais je ne sais pas si ça ne mettrait pas aussi ta vie en danger.» Tout comme ma complice, je suis mort de trouille. Depuis les premières heures de cette apocalypse, nous n’avons jamais été séparés. Nous nous sommes soutenus, aidés, protégés l’un l’autre. A ce stade, imaginer ma vie sans Raelyn est source de tétanie. Je suis quasiment convaincu que, sans elle, j’abandonnerais. « En tout cas, ça pourrait l’être si les gens d’ici avaient envie de nous aider, mais quelque chose cloche. Je ne suis pas certain qu’ils vont nous aider à faire ça, et pas certain non plus qu’ils nous laisseront partir. Ce qui ne colle pas avec le fait que les douches sont séparées. On n’a pas vu non plus un seul enfant dans le coin alors que ça a l’air sécurisé et bien organisé. » Conscient qu’aucun des mots quittant ma bouche ne sont âs rassurants, je serre ma partenaire un peu plus fort contre moi. Je lui chuchote à l’oreille que tout se passera bien, mais Dieu que je doute. «On va trouver une solution, d’accord ? Là, on est sous le choc. On devrait visiter les lieux, un peu mieux, qu’est-ce que tu en dis ? » Moi, ça m’aidera à me faire une idée sur un péril potentiel, sur le pourcentage de liberté dans ce “domaine”, sur ce que libre-arbitre est respecté ou non.

30 Days Without an Accident
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - deux ans après le début de l’épidémie

tw : avortement

« Oui ! Je suppose que ça doit être possible, mais je ne sais pas si ça ne mettrait pas aussi ta vie en danger. » Nous côtoyons la mort depuis deux ans. Nous évoluons dans un monde où elle peut surgir à chaque instant, à chaque coin de rue, que ce soit sous la forme de l’un de nos semblables ou d’un être plus vivant que mort. Pourtant, je suis tétanisée à l’idée de mourir entre les mains de quelqu’un qui n’est pas médecin et qui tenterait de me débarrasser artisanalement de cet enfant. Depuis combien de temps grandit-il dans mon ventre, cet embryon ? Est-il trop tard pour une approche médicamenteuse ? Est-ce simplement possible de trouver ce genre de chose dans la nature ? Les hôpitaux ont été pillés au début de l’épidémie. Je suppose que toute médicamentation liée à l’IVG n’a pas été la priorité des pillards, mais sommes-nous simplement capables d’identifier celui qu’il me faudrait ? Existe-t-il encore quelqu’un pour nous donner l’information ? Le fait de ne pouvoir se procurer que des médicaments périmés aura-t-il un impact sur l’efficacité ? Vais-je devoir porter à terme une grossesse dont je ne veux pas, pour donner naissance à un monstre à cause de notre tentative ratée d’avorter ? Mes mains tremblent et je ne peux le contrôler. « En tout cas, ça pourrait l’être si les gens d’ici avaient envie de nous aider, mais quelque chose cloche. Je ne suis pas certain qu’ils vont nous aider à faire ça, et pas certain non plus qu’ils nous laisseront partir. Ce qui ne colle pas avec le fait que les douches sont séparées. On n’a pas vu non plus un seul enfant dans le coin alors que ça a l’air sécurisé et bien organisé. » - « Qui voudrait des enfants maintenant ? Même ici ? » Est-ce surprenant qu’aucun bambin ne courre dans les couloirs de ce complexe ? « Les douches, je ne sais pas… » En tant que femme, j’ai un autre point de vue sur la question. « Ça pourrait être pour éviter tout… Débordement. Tout risque d’agression. Tu sais comme moi que tous les hommes ne sont pas… Bien intentionnés. » Comment pourrait-il l’ignorer ? Lors de notre rencontre, il a refait le portrait d’un homme ayant franchi le pas de l’agression physique envers moi. « Tous les hommes ne sont pas toi. » Et malheureusement, ma remarque concerne plus ses congénères masculine que le genre humain avec un grand H.

« On va trouver une solution, d’accord ? Là, on est sous le choc. On devrait visiter les lieux, un peu mieux, qu’est-ce que tu en dis ? » Je hoche la tête. « Il faut qu’on sache combien de temps on a. » Avant qu’il devienne impossible d’envisager une solution non invasive. « Ils veulent me revoir demain pour des analyses approfondies. » Là, on s’est contenté de s’enquérir de ma santé et de me donner un test de grossesse. Peut-être est-il possible de conduire des analyses ? « D’ici là, on peut faire un tour des lieux. »

30 DAYS WHITHOUT AN ACCIDENT
@Raelyn Blackwell  & Amos Taylor  - Univers alternatif - 2007, 29 ans

Avant cette apocalypse, j’avais perdu toute foi en l’humanité. A mes yeux, le monde tournait déjà fou. Je considérais déjà qu’il fallait manquer de jugeote pour donner naissance à un enfant dans ces conditions. Ma conviction s’est renforcée, mais pas mon jugement ce que sont les Hommes. Peut-être que, d’antan, j’envisageais que le désir de paternité découler de l’égoïsme. Aujourd’hui, je pense que ça tient à l’espoir, celui qui m’a quitté il y a longtemps, celui qui ne dépend que de ma partenaire de galère. Dans ces conditions, comment vouloir qu’elle mène à terme cette grossesse ? C’est impensable et, pour mieux réfléchir à que répondre, je me déconnecte de toutes ces images où elle finit morte par la faute d’un bébé que nous ne souhaitons pas. «L’envie de s’accrocher à l’idée que nous ne sommes pas perdus, qu’on peut repeupler cette planète, que nous avons reculé, mais que ce n’est pas encore la fin du monde.» lui ai-je chuchoté à l’oreille, la serrant contre moi puisqu’elle s’est réfugiée dans mes bras. Ressent-elle ma nervosité ? Mes inquiétudes ? Entend-elle derrière mon propos que je ne partage pas son constat à propos de l’organisation des lieux ? Je ne tranche pas évidemment. Il me manque encore des inconnues. «Admettons que ça soit pour ça, oui. Mais, tu ne me feras pas croire qu’il n’y a pas des couples et qu’on est les seuls à se retrouver dans cette situation. Il y a un truc qui ne colle pas.» J’en suis persuadé, mais je tais l’ensemble de mes pressentiments. Un combat à la fois et je soupçonne également que Rae ne soit pas apte à affronter une réalité effrayante de plus. «Mais, tu as peut-être raison.» Je caresse sa joue tendrement. Je lui souris avec la même émotion. Mais je lui propose de découvrir l’endroit non sans une idée derrière la tête. «On devrait mettre ça de côté jusque demain. De toute façon, là, on ne peut rien faire. Sauf peut-être découvrir où on se trouve exactement sur une carte, voir ce qu’il y a aux alentours.» Une pharmacie, éventuellement. Questionner le peuple de naufragés réunit dans cette ancienne prison est une mauvaise idée. C’est beaucoup trop tôt. Nous sommes des étrangers et je parie mes maigres effets que les bouches demeureront cousues. «On ira demain matin, première heure. Allez, viens.» Je la saisis par la main et l’entraîne à l’extérieur de cette chambre. Bien sûr, j’aurais bien piqué un somme. A défaut, je m’imprègne de l’ambiance alors que des gens nous saluent.   «Il y a personne qui se dévoue pour une visite guidée ? Etonnant.» A peine avais-je fini ma phrase qu’un homme d’une soixante d’années s’approche. Il affirme qu’il nous attendait afin de partager avec nous les règles de la communauté qui s’accompagne, bien entendu, d’une balade à travers les dédales de l’établissement.
   

30 Days Without an Accident
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - deux ans après le début de l’épidémie

« L’envie de s’accrocher à l’idée que nous ne sommes pas perdus, qu’on peut repeupler cette planète, que nous avons reculé, mais que ce n’est pas encore la fin du monde. » Je ne suis pas de ceux-là. J’ai cessé d’être une optimiste bien avant le début de l’épidémie, des années avant, et je me moque de la planète et de la survie de l’espèce humaine. Tout ce qui m’intéresse, les seules choses que j’ai à cœur protéger, elles sont dans cette pièce. Moi, Amos, notre confort et survie, le peu de ressources que nous possédons. Le reste n’a plus la moindre importance. « C’est la fin du monde. » Du monde humain en tout cas, c’est typique de l’Homme que d’adopter une vision autocentrée. Le monde continuera sans nous. Avec ces choses, ou peut-être finiront-elles un jour par disparaître, et tout un tas d’espèces animales qui n’ont jamais été menacées par l’invasions de ces créatures mortes-vivantes.

« Admettons que ça soit pour ça, oui. Mais, tu ne me feras pas croire qu’il n’y a pas des couples et qu’on est les seuls à se retrouver dans cette situation. Il y a un truc qui ne colle pas. » Si j’esquisse un sourire, ce n’est pas pour me moquer de la méfiance d’Amos. Non, il a raison de l’être, la réalité dans laquelle nous vivons a accru cette caractéristique que nous possédions tous les deux déjà autrefois. Non, ce qui me fait sourire, c’est qu’il nous qualifie de couple alors que nous n’avons jamais mis les mots sur notre situation. Pourquoi faire ? Les mots, ce sont pour les autres, le reste du monde, et il n’y a plus personne pour nous demander de définir notre relation. C’est nous contre le reste du monde, alors je suppose que cela va au-delà du concept de couple. « Je suis flattée que de te doucher sans moi t’agace à ce point. » Il glisse une main sur ma joue, et je caresse son avant-bras du bout des doigts. « Mais, tu as peut-être raison. » - « On restera sur nos gardes. » De toute façon, c’est devenu notre mode de fonctionnement par défaut. Je n’ai pas confiance en ces hommes qui peuplent cet ancien complexe militaire. Mais contrairement à Amos, je suis dans une situation qui m’oblige à envisager d’accepter l’aide d’autrui. « On devrait mettre ça de côté jusque demain. De toute façon, là, on ne peut rien faire. Sauf peut-être découvrir où on se trouve exactement sur une carte, voir ce qu’il y a aux alentours. » Je hoche la tête, faisant appel à mes souvenirs du petit matin. « On a roulé vingt-cinq minutes, peut-être une demie heure, mais pas beaucoup plus. » De plus, il m’a semblé que nous n’avons emprunté aucun gros axe autoroutier. « On a pas dû faire plus de trente-cinq kilomètres. » Pas en roulant à une vitesse approximative de quatre-vingt kilomètres par heure. « Tu étais dans l’armée. Est-ce que tu connais les installations militaires dans la région ? » C’est peut-être un coup d’épée dans l’eau, mais la question vaut la peine d’être posée.

« On ira demain matin, première heure. Allez, viens. » Je hoche la tête. S’il y a une chose que je n’aime pas ici, c’est que je ne me sens plus capable de me protéger moi-même et je le confie à Amos. « Je n’aime pas qu’on nous ai pris nos armes. » Si ces gens cherchent à construire une communauté, je le comprends. Les armes à feu tendent les rapports. Mais cela ne m’empêche pas de ne pas aimer ça.

Dans les couloirs, certains nous saluent, un salut que je ne leur rends pas. Nous connaissons le trajet jusqu’au mess, celui jusqu’aux douches mais guère plus. « Il y a personne qui se dévoue pour une visite guidée ? Etonnant. » Je jette un coup d’œil circulaire autour de nous à l’instant où une personne s’approche. Il se propose et partage avec nous les règles de base : aucun type de violence n’est tolérée. Je ne suis pas surprise, mais échange quand même un regard équivoque avec Amos. La violence fait partie de notre quotidien depuis deux ans – ou même plus. « Nous sommes loin d’être autosuffisant, mais nous avons des serres, et des gens qui travaillent à leur entretien. On produit une partie de nos ressources. Pour le reste, des équipes font des raids aux alentours. » Nous ne l’ignorons pas : c’est surement l’une de ces équipes qui nous a capturés. « Tout le monde contribue d’une façon ou d’une autre. »