A million little things ft @Rose Grant

ever be so polite, you forget your power ; never wield such power, you forget to be polite ∆ Taylor Swift, Marjorie

Si au fil des derniers mois, Mabel avait été bien occupée. Accueillir Rosalie avait été bouleversant, une tornade dans une vie qu'elle estimait plutôt organisée. Elle avait dû s'adapter au fait d'avoir ce petit bébé totalement dépendant toujours avec elle, et au fait que sa nouvelle priorité n'était que sa fille. Les premiers mois avaient été compliqués, entre le manque de sommeil et le fait de n'avoir aucun repère dans cette vie de mère, manquant de quelqu'un pour lui donner des conseils.

Surprenamment, dans cette période où elle avait surtout envie de se replier sur elle-même et sa fille, elle avait pourtant réussi à rencontrer de nouvelles personnes, comme Rose. La flamboyante styliste était devenue une amie - pas quelqu'un à qui Mabel confiait ce qui la torturait vraiment ces dernières semaines, avec le divorce et la recrudescence de ses troubles alimentaires. Mais en vérité, elle n'avait parlé de ça à personne, se contentant de cacher les signes et de faire comme si tout allait bien. Mais Rose lui offrait des moments où elle pouvait vraiment penser à autre chose, portée par l'enthousiasme de la jeune femme.

En se dirigeant vers le parc ce jour-là, Mabel n'avait pu s'empêcher d'envoyer un texto à Rose, si cette dernière voulait venir chercher un peu d'inspiration entre deux discussions. Sauf que la styliste y était déjà, sans doute à dessiner dans un coin, tout en observant les passants. La mannequin espérait juste pouvoir la retrouver facilement dans l'immensité du parc.

Sa voiture garée et Rosie posée sur la poussette, calme et ravie de profiter de la promenade, Mabel commença à arpenter les allées du parc, cherchant du regard la chevelure rose si caractéristique de son amie. Elle écoutait d'une oreille les gazouillis de sa fille, occupée à tirer sur ses chaussettes pour essayer de les retirer.

« Tu sais que tu vas avoir froid aux pieds si tu les enlèves ? »

Rosie émit un petit bruit dubitatif, tout en continuant de tirer sur le tissu pour libérer ses pieds. Pour l'instant, les chaussettes étaient encore bien rentenues, coincées sous l'élastique du pantalon de la petite, mais Mabel commençait à se dire qu'elle allait finir avec une petite fille aux pieds glacées, avec des chaussettes perdues dans un coin du parc.

« Hey Rose ! » reprit-elle, saluant avec enthousiasme la jeune femme quand elle l'aperçut enfin. « Inspirée par les couleurs automnales ? »

Elle installa une couverture au sol avant d'y déposer Rosie et quelques uns de ses jouets, avant de s'asseoir à côté de Rose. Il faisait encore assez bon dans le parc, même si la plupart des Australiens qu'elle avait croisée avaient déjà sortis doudounes et écharpes. Vivre à Londres lui avait appris à mieux apprécier le temps plus doux de Brisbane ! Elle espérait que Rosalie lui ressemble sur ce point, pour continuer de se promener dans le parc tout au long de l'hiver. Elles appréciaient l'une comme l'autre ces sorties, leur permettant de se vider la tête et de voir autre chose que les murs de leur maison.

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Rosie agitait son hochet dans tous les sens, essayant de comprendre pourquoi il faisait moins de bruit que d'habitude. Mabel ne put s'empêcher de sourire devant sa bouille concentrée, la laissant explorer le bruit sans retourner le hochet pour le mettre dans le bon sens. Rosalie allait sans doute finir par trouver - ou s'en désintéresser et attraper un autre jouet.

Elle s'assit donc à côté de Rose, ravie de pouvoir avoir une conversation avec une adulte tout en laissant à sa fille du temps en extérieur. Elle avait beau adorer sa petite Rosie, il fallait avouer qu'à part quelques babillages, la petite n'avait pas encore beaucoup de communication, ce qui était parfois assez restreignant pour une bavarde comme Mabel.

« J'aime bien quelques touches de couleur dans un ensemble plutôt clair ou neutre, mais ces derniers mois, je dois avouer que je baigne un peu trop dans les couleurs de filles... A croire que tout doit être rose ou violet ou pailleté, sinon c'est pour garçon »  soupira-t-elle.

Si Mabel n'avait rien contre l'argenté ou le doré, elle devait avouer que le rose n'avait jamais été une couleur de prédilection. Elle avait personnellement choisi des couleurs plutôt neutres et unisexe quand elle était enceinte, n'ayant pas voulu connaître le sexe du bébé. Mais depuis la naissance de Rosalie, son entourage lui offrait toute la panoplie de la parfaite princesse, et elle commençait à saturer un peu.

« On survit bien, surtout maintenant qu'elle commence à avoir de vraies périodes d'éveil, et plus juste quelques minutes où elle réclame à manger. Je savais pas combien ça peut être drôle de jouer un bébé. »

Dans sa tête, c'était un peu comme dans les Sims : on nourrit et on câline le bébé de temps en temps, jusqu'à ce qu'il devienne miraculeusement un bambin sachant marcher et communiquer ses besoins. Avec sa fille, elle découvrait tous les petits progrès faits au jour le jour, qui n'intéressaient que les parents, mais qu'elle adorait découvrir.

Rose alla s'installa sur la couverture auprès du bébé, qui la regarda avec attention prendre un jouet, peut-être un peu méfiante. Mais il ne lui fallut que quelques secondes pour babiller de joie, tapant ses pieds sur la couverture pour manifester son contentement.

« Elle adore écouter le son des voix en ce moment. Des fois, j'ai même l'impression qu'elle s'exerce à redire les sons qu'elle entend, mais c'est peut-être juste moi qui ait hâte d'avoir une petite fille qui sait parler ! »

Rosalie avait fini par apercevoir son doudou, positionné par Mabel en diagonale d'elle, et elle essayait de rouler sur elle-même pour se mettre sur le ventre et essayer d'attraper son précieux. On sentait que le mouvement était presque maîtrisé, mais si Rosie appréhendait le changement de position et y allait tout lentement.

« Tu as déjà pensé à avoir des enfants ? » demanda la jeune mère à la styliste, par curiosité.

Rose semblait apprécier les jeux des enfants, les couleurs vives ou les chansons entraînantes, et elle serait sans doute merveilleuse pour divertir des tous petits. Mais pour autant, être à l'aise avec des bébés ne signifiait pas forcément être prêt à en avoir un, avec toutes les responsabilités qui allaient avec.

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Mabel sentit ses joues s'empourprer sous le compliment de Rose. Elle n'avait pas spécialement l'impression de rayonner, pourtant, coincée entre les nuits entrecoupées et la fatigue administrative du divorce. Les sourires de Rosalie, et observer jour après jour ses progrès aidait un peu à faire oublier les soucis, mais ils restaient dans un coin de sa tête, prêts à la submerger dès qu'elle avait un peu de temps pour elle - ce qui arrivait nettement plus souvent depuis que son ex-mari avait commencé à prendre leur fille pour quelques heures un ou deux après-midi par semaine.

Elle n'avait pas vraiment prévu d'élever sa fille comme ça. Pour tout dire, elle n'aurait jamais pensé avoir un enfant, avant que le test de grossesse ne revienne positif un an plus tôt. Depuis, tout était de l'improvisation, et elle croisait les doigts pour faire plus de bien que de mal, prenant en pleine face son syndrome de l'imposteur chaque fois qu'il était question de maternité.

« Oh, ne parle pas de la marche ! Je sais que c'est une étape importante et que tous les parents l'attendent... Mais pas moi. Si elle ressemble à l'enfant que j'étais, je n'aurai plus une minute de repos, quand elle saura se déplacer seule ! »

Mabel avait été une petite fille aventureuse, cherchant à dépasser les limites. Dès qu'un endroit lui était interdit, il fallait qu'elle y aille - surtout quand il s'agissait de la chambre de sa sœur.  Tout était toujours plus intéressant chez Maddy, qui avait quasiment quatre ans de plus qu'elle, et donc des jouets plus cools - et trop fragiles pour ses mains maladroites de bambine.

Alors elle n'avait pas hâte de courir derrière sa fille, même si elle avait déjà commencé à revoir sa décoration d'intérieur. Les jolis bibelots avaient été remis en hauteur, remplacés en bas par des jouets ou des peluches, Mabel se préparant aux quatre pattes, qui devrait arriver d'ici quelques semaines.

« C'est important d'être sur la même longueur d'onde que son partenaire, pour avoir un enfant. Parce que les nuits sans sommeil et les pleurs, ça peut vite amené des tensions... » avoua-t-elle.

Pourtant, Rose, si douce et généreuse, avait tout pour être une bonne mère, aux yeux de Mabel. Même si elle ne connaissait pas la compagne actuelle de Rose, elle imaginait que la jeune femme devait avoir bon nombre de qualité pour que la styliste choisisse de faire sa vie avec, et se sente même prête à parler de son désir d'enfant avec elle.

« Tu as le temps d'y réfléchir, si vous n'avez même pas encore eu cette conversation. »

Mabel se souvenait avoir évoqué ce sujet dès les premières semaines de sa relation avec le père de Rosalie. Ils ne voulaient pas d'enfants, ni l'un, ni l'autre, et elle avait adoré ça, ne pas être jugée pour ne pas vouloir se reproduire. Et puis un accident et un bébé plus tard, elle se retrouvait mère et divorcée, sans trop comprendre ce qui s'était passée.

« En plus du corps qui change... Je dirais que les hormones vont dans tous les sens. Pas juste le truc où tu passes du rire aux larmes en deux secondes, et les envies soudaines de fraises. Mais comme si ton esprit s'habituait au fait que tu vas accoucher d'un bébé. Ca devient ta seule préoccupation, au fil de la grossesse. Est-ce que tu manges bien ? Est-ce que le bébé va bien ? Et là, tu le sens plus bouger, est-ce que c'est normal ? Et est-ce que tout est prêt pour l'accueillir à la maison ? »

Une litanie de questions et d'inquiétude, qui ne s'arrêtaient pas après l'accouchement. Mabel voulait toujours le meilleur pour son bébé, tout en se demandant si ce qu'elle faisait suffisait à assurer le futur et le bonheur de Rosie.

« C'est une expérience qui change plein de choses, et qui te fait te questionner sur toi, et ta vision des choses. »

Mabel avait l'impression d'avoir beaucoup changé, ces derniers mois, et en même temps, elle se sentait un peu plus perdue chaque fois, se remettant toujours en question. La Rosalie adulte, celle qu'elle avait rencontré au groupe de first time mums de la maternité où elle avait accouché, semblait avoir le même problème, ce qui la rassurait un peu. Gérer un bébé restait une étape compliquée !

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Mabel sourit de l'innocence de Rose face aux bambins. S'il y a bien une chose que la jeune mère a appris ces derniers mois, c'était bien que les enfants résistaient très bien à la fatigue - et qu'ils étaient encore pires quand ils étaient exténués.

« Je n'en suis pas si sûre ! Je pense que je serai fatiguée avant elle, à ne pas la lâcher des yeux de crainte qu'elle ne fasse une bêtise. Déjà qu'à quatre pattes, elle a pris un malin plaisir à attraper et jouer avec tout ce qui était à sa portée... »

Les bibelots fragiles et non adaptés aux petites mains potelées du bébé avaient été rangés dans des pièces inutilisées et de fait hors de portée de Rosalie - ou repris par son ex-mari pour être installés dans son nouvel appartement. Son salon, digne d'un magazine de décoration, était devenu le territoire coloré de sa fille.

« Je crois que je vais finir par transformer ma maison en espace de jeux géant ! Quoi que moi aussi, ça m'amuserait plus, un toboggan à la place des escaliers ! »

Elle avait sans doute un peu trop regardé Un mariage de princesse, et en plus de ses crush sur Anne Hathaway et Chris Pine, avait toujours rêvé de cet enterrement de vie de jeune fille dans le château de Génovie, avec ses matelas sur l'escaliers pour glisser dessus. Et la douceur de Julie Andrews en grand-mère, elle qui avait déjà accompagné ses rêves d'enfants dans Mary Poppins.

Peut-être qu'elle réussirait à transmettre ça à Rosalie : rester ferme quand c'était important, tout en sachant jouer et de défouler quand c'était possible. Pour l'instant, son bébé était encore trop petit pour vraiment comprendre les nuances, et Mabel devait donc répéter les règles encore et toujours, pour que Rosie sache ce qu'elle pouvait faire ou non. Mais à mesure qu'elle grandirait, la jeune mère pourrait se montrer plus souple - si tant est qu'elle sache le faire le moment venu...

Sans compter qu'elle serait peut-être seule à gérer l'enfance de Rose, sans personne pour l'épauler ou l'aider à soulager son anxiété. Elle espérait que son ex-mari continuerait d'être présent pour elles deux, mais au beau milieu du divorce, elle n'avait pas l'impression que leur relation prenait ce chemin-là. Pour autant, et malgré les difficultés de la maternité, elle ne regrettait pas une seconde d'avoir sa fille - elle regrettait juste le manque de sommeil, à peine compensé par les litres de café qu'elle buvait.

« Honnêtement, j'ai eu une grossesse facile. Des nausées le premier trimestre, et quelques coups de stress en ne la sentant plus bouger le dernier trimestre. Mais je n'ai pas vraiment apprécié être enceinte. C'était pas le truc épanouissant qu'on lit dans les magazines. Enfin, pas pour moi. »

Les autres mères du groupe de first time mums avaient l'air d'avoir apprécier chaque instant de leurs grossesses, des premiers symptômes aux premiers mouvements, de la baby shower au gender reveal. (Et leur façon d'en parler avait un peu rappelé à Mabel les filles populaires du lycée, à la vie parfaite mais qui en savaient toujours plus que toi sur la vie.)

Elle, elle avait retrouvé son obsession du poids, et les troubles alimentaires dont elle se pensait guérie. Elle s'était vue recompter les calories et tenter de faire du sport de manière irraisonnée, cachant l'angoisse de ce qu'il se passait à la maison derrière de grands sourires chaque fois qu'elle devait voir son entourage. Elle ne savait pas si elle serait capable d'en parler à Rose, de tout ça, de cette maladie qui lui empoisonnait l'esprit.

« Je n'ai repris le mannequinat que chez Weatherton pour le moment, autant pour éviter de quitter l'Australie que parce que James Weatherton a mis en place des pièces pour les bébés. De quoi allaiter en étant confortable, et de quoi installer Rosie avec quelqu'un qui la surveille, pendant que je suis occupée à shooter ou faire des essayages. Mais je sais que je ne trouverais pas une telle souplesse partout. Surtout dans la mode ! »

Les silhouettes devaient rester parfaites, inchangées, minces. Sauf qu'après sa grossesse, si Mabel avait réussi à retrouver son poids d'avant, elle savait aussi que son corps avait changé et n'était pas redevenu le même. Discrètes traces gardant en mémoire neuf mois de changements - mais des souvenirs qui se voyaient rapidement sous une robe ajustée de grand coutourier.

« Disons que je réfléchis à comment adapter tout ça. C'est un peu flou pour le moment, et le divorce n'aide pas vraiment » reprit-elle, une pointe de regret dans la voix. « Et puis Rose change encore beaucoup, n'a pas le même rythme d'une semaine à l'autre. D'ici quelques mois, ça devrait être plus facile pour moi de retrouver un rythme de travail. »

Tant de changements à prévoir, pour elle qui détestait voir ses repères changer. C'était une gymnastique mentale pas toujours facile, même si elle trouvait qu'elle réussissait à se débrouiller sans trop de mal, pour le moment. En tout cas, sa fille semblait bien le vivre, souriante et joueuse comme toujours !

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« Te connaissant, tu viendrais pour aider à décorer, mais tu passerais encore plus de temps que nous à jouer ! »

Il fallait avouer que Rose était tout aussi énergique qu'une enfant ! Plus que Mabel, en tout cas, mais la jeune mère avait aussi l'excuse des insomnies et des nuits trop courtes. Parce qu'avant d'avoir sa fille, elle était capable de faire la fête jusqu'au bout de la nuit, avec ou sans alcool. Mais là, l'idée d'avoir une nuit complète de sommeil était son plus beau rêve.

Elles évoquèrent doucement la maternité, Mabel se demandant ce que Rose pensait de tout ça. Elle savait que son amie était en couple, mais elle ne savait pas trop si elle se projetait dans une famille, bien placée pour savoir qu'être à deux pouvait suffire pour faire son bonheur, et sans besoin de devenir parents. C'était un choix à faire, et si pendant longtemps, elle avait eu du mal à penser qu'on pouvait être heureux après avoir eu des enfants, elle commençait doucement à pouvoir voir le positif et le négatif de chaque option.

« Je ne suis pas prête de quitter l'Australie, mais on verra quand ce sera le moment » glissa-t-elle dans un sourire.

Et puis, entre le père de Rosie, Maddy ou Joy, elle avait déjà de nombreuses options de garde. Pour autant, elle ne se voyait pas quitter le pays sans son bébé, et Weatherton lui permettait de ne faire que des shootings sur sa terre natale, ce qu'elle appréciait autant que la petite pièce et la nourrice où elle pouvait déposer Rosalie quand elle venait travailler - avec les autres enfants du personnel de l'agence.

« Tu sais, c'est le problème... Je veux être là pour ses premiers pas ou ses premiers mots, et toutes les grosses étapes de sa vie... »

Elle ne voulait pas que sa fille vive entourée de nourrices, et ne la voir que lorsque des journalistes venaient interviewer la famille. Elle avait grandi comme ça, et refusait de faire subir la même chose à sa fille. (Visiblement, Maddy partageait cette vision de la maternité, même si les deux sœurs n'avaient jamais vraiment parlé de tout ça toutes les deux.)

« Le truc, c'est que c'est compliqué de rester avec un bébé toute la journée. Déjà, ça manque d'activités vraiment excitantes, pour un adulte, et puis ça me laisser personne avec qui vraiment parler. »

Si elle croisait parfois Rose ou même son amie Rosalie - dont elle s'était rapprochée par coïncidence après la naissance de sa fille - quand elle venait au parc, ce n'était pas forcément le cas à chaque fois. Et elle parlait à sa fille, ayant lu qu'il fallait parler et lire et communiquer le plus possible pour développer le langage chez son enfant, mais pour l'instant, Rosie ne répondait pas vraiment.

« Travailler, ça me fait du bien. Ça rythme les semaines, ça me fait sortir de chez moi, et ça me pousse à parler à des adultes, avec de vrais discussions où on me répond, voire où on débat. »

Elle l'avait bien vu pendant ses premiers mois de maternité : à force de s'occuper de Rosie, elle passait sa journée en pyjama en ayant du mal à trouver le temps de se laver. Devoir sortir pour aller travailler la pousser à se préparer et à préparer sa fille dans un temps donné. Et être propre et habillée était bon pour son moral.

« Du coup, c'est un équilibre à trouver entre ma vie d'adulte que je ne veux pas totalement abandonner, et cette nouvelle vie de maman, dans laquelle je veux voir ma fille grandir » conclut-elle.

Pas des plus simples, surtout quand elle se retrouvait la plupart du temps seule chez elle sans personne pour prendre le relais quand elle avait besoin d'une pause pour souffler deux minutes. Elle aurait bien appelé Maddy, maintenant qu'elles s'étaient rapprochés, mais vu la grossesse avancée de sa sœur, c'était hors de question. Et il n'y avait pas tant de monde que ça qu'elle était capable d'appeler au milieu de la nuit, quand Rosie faisait ses dents et que rien ne la calmait...

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Mabel fronça le nez, songeuse mais pas très convaincue. Elle avait vécu sans sa mère, et le repère féminin le plus fiable de son enfance devait être Maddy, qui n'avait même pas quatre ans de plus qu'elle. Elle était incapable de se souvenir de si sa mère avait suivi leurs résultats scolaires ou avait encouragé leurs passions - elle voulait juste faire de ses filles des célébrités reconnues, plus célèbres qu'elle-même. Maddy et Mabel avaient fui à l'étranger dès qu'elles avaient été majeures, et n'avaient aujourd'hui qu'une relation superficielle avec leurs parents, bien qu'elles soient toutes deux revenues vivre à Brisbane.

La mannequin avait donc du mal à imaginer avoir une relation fusionnelle avec sa fille, elle qui n'avait pas connu ça avec sa mère. En refusant les nourrices et en faisant de son mieux pour travailler tout en s'occupant de son bébé, elle savait déjà faire plus d'efforts pour Rosie que ses parents ne l'avaient fait pour elle. Pour autant, ça lui restait compliqué d'imaginer combien elle serait proche de Rosalie quand celle-ci serait enfant ou adolescente...

« Dormir, ça n'existe pas ces derniers mois. Peut--être que c'est pour ça que j'ai parfois l'impression de dire n'importe quoi ! Je rêve d'une nuit complète sans réveil ! »

Quoi que la plupart du temps, Rosie s'endormait vers vingt heures, dans son berceau, et se réveillait six heures plus tard, affamée. Elle se rendormait ensuite contre Mabel, toute détendue - et c'était la jeune mère qui restait éveillée à la regarder, plutôt que de la reposer dans le petit lit collé au sien. Mais elle aimait aussi ses petits moments apaisés, la chaleur de Rosalie contre elle, les petits bruits de bébé endormi qu'elle faisait, et ses légers mouvements quand elle rêvait...

« Et oui, je lui parle. Toute la journée, en décrivant ce que je fais, ce que je vais lui faire, d'où viennent les bruits qu'elle entend... Mais elle ne répond pas vraiment. Ça me manque de parler avec des adultes, et rien que pour ça, je suis ravie d'aller chez Weatherton régulièrement ! »

Certes, c'était pour parler mode, collection ou défilé. Mais ça restait plus intéressant que de décrire pour la énième fois la tenue des Pyjamasques sur le même livre, celui que Rosie lui donnait chaque fois qu'elle voulait qu'on lui lise une histoire. (Et ce n'était pas faute de lui en avoir offert d'autres, que ce soit d'autres aventures des petits héros en pyjamas, ou celles tout aussi colorées de Ladybug et Chat noir, ou bien les classiques Disney...)

« Des fois, j'ai l'impression que quand tu as un enfant, toutes tes conversations devraient tourner autour de lui. S'il dort bien, s'il mange bien, comment il va. Pas comment toi tu vis la maternité, ou les autres trucs donc tu voudrais parler, genre ton boulot ou ta série du moment... Quand Rosie venait de naître, on allait au groupe de first time mums de l'hôpital, et toutes les autres mamans ne parlaient que de leurs bébés, c'était un peu flippant ! »

Surtout quand Mabel aurait préféré parler des séries qu'elle pouvait regarder pendant ses nuits d'insomnies, quand elle n'arrivait pas à se rendormir après une tétée. Ou juste des sorties qu'elle pouvait faire - ou avait du mal à faire, parce qu'il fallait penser à prendre un milliard d'objets pour tout avoir à portée de main au cas où ! Heureusement qu'elle y avait rencontré Rosalie, qui portait le même prénom que sa fille et avait une vision de la maternité assez proche de la sienne.

« Pour l'instant, on joue à cache-cache. Enfin, juste cacher ma tête suffit, j'ai pas encore besoin de courir dans toute la maison » avoua-t-elle en souriant. « Ou je mets un miroir devant elle, et elle essaye de jouer avec le bébé qu'elle voit ! Et elle a un ballon, elle adorait jouer avec mais depuis quelques jours, elle s'en désintéresse un peu. »

Des activités simples à mettre en place, mais vu le temps de concentration de Rosie, il valait mieux rester simple. Organiser une grosse activité pour cinq minutes de jeu, ça ne valait pas le coup !

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Pour toute réponse, Mabel se contenta de hausser les épaules. Elle avait de la famille, il suffisait d'une rapide recherche sur internet pour voir ses parents, sa sœur ou sa cousine. Pour autant, malgré les jolis sourires qu'ils affichaient sur toutes les photos, ils ne formaient pas une famille unie. Quoi que Mabel s'était rapprochée de Maddy, ces derniers mois - mais son aînée approchait de la fin de sa grossesse, devait rester alitée et n'était donc pas la personne idéale pour garder une Rosie qui commençait à bien ramper.

« On nous répète toujours qu'on doit dormir en même temps que notre bébé. Mais c'est oublier qu'on a un milliard de choses à faire chez nous ! »

Les courses, préparer les repas, laver le linge, faire un brin de ménage... Même si Mabel avait techniquement les moyens d'engager quelqu'un pour faire tout ça à sa place, elle n'était pas très fan de l'idée de faire rentrer une personne inconnue chez elle. Elle gardait le mauvais souvenir de la ronde des nourrices dans son enfance, de ces visages toujours changeant et du manque de repères qu'elle avait pu ressentir...

Il lui arrivait bien sûr de tomber de sommeil sur le canapé, devant la pile de linge fraîchement lavé et attendant d'être plié et rangé. Il lui arrivait aussi de faire le ménage avec Rosie en écharpe de portage dans le dos. Selon ce qui était le plus simple, et lui permettait d'avancer dans les tâches ménagères sans pleurs et cris en fond sonore.

« Je sais bien que les bébés se lassent vite. C'est juste que c'est pas toujours facile de savoir quand elle se lasse ! Parce que ça peut aussi être une couche sale, une poussée dentaire ou juste pas l'envie de jouer... D'un côté, j'ai envie de garder mon bébé tout mignon, mais d'un autre, j'ai parfois envie qu'elle grandisse vite ! Genre qu'elle commence à parler, et que ce soit plus facile de comprendre ce qui ne va pas. »

Pour l'instant, Mabel était surtout sur des devinettes et des essais, et c'était parfois concluant. La plupart du temps, elle s'y reprenait à plusieurs fois avant d'être vraiment sûre de ce que communiquait Rosalie, et c'était frustrant de ne pas mieux réussir à savoir ce que voulait son bébé.

« Après, j'essaye de faire tourner les jouets. On en a reçu beaucoup en cadeaux, et si je les mettais tous dans sa chambre... Y aurait plus de place pour son lit et ses meubles ! Mais au moins je peux les faire tourner et la faire découvrir de nouvelles choses sans trop de mal. »

Rosalie commença à chouiner sur sa couverture, visiblement lassée d'être allongée, et Mabel s'empressa de la prendre dans ses bras, l'asseyant face au parc. La petite fille s'empressa de babiller en pointant les enfants qui jouaient un peu plus loin, avant de chercher à câliner sa mère.

« Oui, un jour tu pourras jouer à la balle avec eux » souffla Mabel, tout en caressant les petits cheveux fins de sa fille.

Quand elle avait ce petit corps lové contre elle, elle espérait que Rosie ne se lasse jamais d'elle. Elle avait un peu de mal à croire que c'était possible, vu la relation désastreuse qu'elle entretenait avec sa propre génitrice, mais elle voulait croire aux mots plein d'espoirs de Rose.

« On verra quand on en sera à l'adolescence. Tous les ados détestent leurs parents, non ? Ça fait partie de cette période de la vie ! »

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Elle avait toujours été du genre pressée, Mabel. Elle voulait vite devenir adulte, pour tenter de rattraper Maddy et ses quatre années de plus, pour gagner un peu de la liberté que sa sœur semblait avoir et qu'elle, elle n'avait pas. Et puis à dix-huit ans, elle avait commencé le mannequinat, et elle s'était maquillée à outrance pour sembler un peu plus âgée et mûre, maigres illusions pour cacher sa solitude et son incapacité à gérer sa vie. Alors bien sûr, maintenant qu'elle était mère, elle voulait que le temps passe un peu plus vite. Elle adorait le petit bébé qui se blottissait contre elle, innocente et confiante. Mais elle restait assez peu à l'aise face aux tous petits, et rêvait d'une Rosie sachant marcher et parler. Plus indépendante, en soit.

« Je suis trop impatiente pour laisser le temps choisir sa vitesse. J'ai jamais aimé attendre » releva-t-elle, un petit sourire désolé au visage.

Attendre, c'était se poser et réfléchir, voire ressasser ses pensées. Mabel préférait être dans l'action, tout le temps. Ce qu'elle ne pouvait plus vraiment faire maintenant qu'elle avait un enfant, puisqu'il lui fallait se plier au rythme imposé par Rosalie. Entre les moments de doute et d'angoisse rajoutés par la maternité et les insomnies passées à réfléchir, sur elle, sur ses relations familiales, sur l'avenir qu'elle voulait pour sa fille... Mabel avait plus que son content de réflexion et de patience !

En attendant, elle essaye de taire son impatience pour être à l'écoute de ce que veut Rosie. Le bébé en a marre d'être sur le dos, un peu plus rapidement que d'habitude, sans doute parce qu'elle entend les deux femmes parler plutôt que de n'avoir que sa mère entièrement focalisée sur elle. Mabel reprend donc sa fille contre elle, la laissant trouver un nouveau jeu - elles auront tout le temps du monde de revenir s'étendre sur l'herbe pour regarder les nuages.

« C'est rare, non ? De garder de bonnes relations avec ses parents. Ou alors mes amis et moi, on a pas eu de chances ! » souffla-t-elle, intriguée.

Chez elle, il n'y avait pas de disputes, juste l'ignorance entre deux moments passés en famille sous les caméras. Jusqu'à ce que Maddy soit élue Miss Brisbane, après une compétition contre sa cadette, et que le peu d'espoir que Mabel avait encore envers sa famille ne se brise devant les félicitations reçues par sa sœur. Rose semblait croire que les parents Griffiths avaient été enchantés de devenir grands-parents, la vérité étaient qu'ils étaient partis en croisière et que Rosie avait plus de trois mois la première fois qu'ils l'avaient vue.

Ses amis parlaient plus de disputes, et de difficultés à communiquer, avec ces adultes qui ne les comprenaient jamais. Une frustration de ne pas réussir à être écouté et entendu que Mabel partageait entièrement, adolescente et même encore adulte. Quand ses parents l'avaient rabrouée après son divorce, elle avait eu l'impression d'avoir de nouveau quatorze dans et n'avait plus su se défendre...

« Tu sais que tu ne peux pas encore attraper le ballon comme font les plus grands ? » demanda-t-elle à sa fille, se concentrant sur le présent pour chasser ses pensées noires.

Elle attrapa la balle que Rosalie essayait de lui donner, la faisant bouger devant sa fille et s'amusant de voir la petite essayer de se tendre pour l'attraper.

« Tu vois, elle a hérité de moi, elle aussi déteste attendre. Elle voudrait déjà savoir marcher ! »

Elle voyait Rosalie essayer de tenir debout. Dès qu'elle avait su s'asseoir, elle avait voulu se dresser sur ses jambes, mais ces dernières étaient loin d'être assez musclées pour la soutenir.

Mabel fit disparaître la balle derrière sa manche, avant de la faire réapparaître, gagnant un éclat de rire, suivant d'un mouvement de main qu'elle interprétait comme un "encore, maman !". Elle refit donc le même mouvement, attendant un peu plus longtemps avant que la balle ne revienne dans sa main, enfin visible par la petite fille.

« Le cache-cache, c'est vraiment son jeu favori. Heureusement que c'est encore assez simple à son âge ! »

Pas besoin de courir se cacher dans un placard. Tout ce qui n'était pas dans le champ de vision du bébé n'existait pas - ce qui permettait à Mabel d'observer sa fille sans que celle-ci ne la voit, mais aussi de faire disparaître et réapparaître les objets sans trop de mal, pour gagner à chaque fois des rires ravies.

« Tu essayes, toi ? » reprit-elle, redonnant la belle à Rosie.

La petite la manipula maladroitement, ses doigts ayant encore un peu de mal à faire des mouvements volontaires. Elle finit par la laisser tomber, poussant un cri mécontent en la regardant rouler à ses pieds. Mabel reposa Rosie au sol, la laissant aller chercher sa balle. La petite se laissa tomber dessus, agrippant sa balle de mousse et la serrant contre elle.

« Merci d'avoir rejoint notre promenade au parc » dit-elle, relevant la tête vers Rose. « C'est toujours agréable d'avoir un adulte à qui parler ! Les journées avec un bébé, c'est parfois long ! »