Dans la bouche de Leela, l’image de Graham pouvait être idyllique, mais il n’empêche qu’elle passait sous silence leurs prises de tête pour des grains de riz. Il n’était pas nécessairement utile de décrire leurs prises de bec, pour la simple et bonne raison qu’ils les réglaient la plupart du temps au poker, au billard ou avec de petits paris débiles. Il n’existait pas de « mauvais jeu » entre eux, puisqu’ils n’étaient pas ennemis ou même opposés mais plutôt des collègues proches qui menaient à eux deux une barque relativement lourde : celle d’un cabinet ne cessant de grossir. Leela était d’ailleurs persuadée que Graham ne serait pas contre embaucher un nouvel avocat pour les aider à gérer au mieux tous les dossiers leur arrivant chaque semaine… on n’est jamais trop de trois pour ce genre de choses. « Tu peux te laisser convaincre par le côté obscur de la force, on a des cookies maison fais par mes petites mains ! » plaisanta-t-elle avant de marquer une petite pause. « Quoi que tu décides, sache que tu auras toujours tout mon soutien et que j’espère bien te voir plaider un jour ! » L’indienne était un peu plus expérimentée qu’Eireen mais tout juste. Elle n’était pas beaucoup beaucoup plus âgée en même temps, et n’estimait pas tout connaître sur tout. Il lui arrivait encore d’envier l’aisance et l’expérience de Graham, c’est dire… « Ne le sois pas, ça devait arriver. J’ai mis d’ailleurs bien trop de temps à mon goût pour partir » expliqua-t-elle tout en lançant un regard hautement compréhensif à Eireen, qui avait vécu peu ou prou la même chose, bien qu’à la connaissance de la première avocate, elle n’ait jamais été battue de son côté. Malgré cela, une rupture reste une rupture, cela fait toujours un mal de chien et on ne s’en remet que très difficilement. Le temps guérit toutes les blessures, mon cul ! « On est trop sensibles nous je crois… mais j’ose espérer que ton nouveau potentiel loulou te feras oublier tous les mauvais souvenirs en les remplaçant par des bons, même si je sais que rien n’est jamais parfait ! » soupira-t-elle à cette constatation. « Vrai, t’as raison j’aime trop les jupes de cuir… je ne cherche pas uniquement des tailleurs de boulot, je veux aussi regarnir mon dressing avec des vêtements pour la sortir du boulot ! Je vais prendre cette robe je pense… »

Même si le courant pouvait ne pas passer avec Graham - ce sont hélas des choses qui arrivent - Leela savait par avance que le courant passerait en revanche avec elle. Eireen avait tout d’une future grande avocate, et de ça elle n’avait jamais eu aucun doute, tant et si bien que d’imaginer une collaboration ensemble ne pouvait que lui être facile. « Te tenter avec des cookies, c’est au contraire parfaitement délectable ! A voir si ça marche… » reprit-elle avec un rien de malice, tout en sachant que justement, elle savait faire les cookies avec un bon coup de main et pouvait réellement utiliser cet argument pour la faire venir. Que ce soit complètement intéressé, ça, Leela en avait pleinement confiance mais là résidait tout l’amusement de la chose. « Tu sais, je pourrais t’en faire à l’occasion. J’aime la cuisine mais particulièrement faire des cookies, j’avoue… » Le régime pouvait bien en prendre un coup, l’avocate pénaliste s’en moquait : elle courait partout à longueur de journée pour le boulot, entre les audiences et les rendez-vous avec les clients qui se trouvaient souvent à des endroits très espacés de Brisbane, mais quand ce n’était pas le cas, l’indienne faisait énormément de jogging. De quoi maintenir sa ligne et continuer à pouvoir porter ses fameux tailleurs relativement près du corps lorsqu’elle n’était pas en tenue de baveux. « La précipitation, comme la colère, est très mauvaise conseillère tu as bien raison. Bien pour ça que de mon côté, je ne suis pas du tout pressée. Je compte prendre mon temps, rencontrer des gens, en connaître de nouveaux que ce soit sur la longueur ou pas et adviendra ce qu’il adviendra. Mais je te souhaite que ça roule avec ton loulou » s’amusa-t-elle à l’appeler à nouveau comme ça, plus pour dédramatiser la situation qu’autre chose. « Ah je ne compte pas avoir les mains aussi vides pour la cabine, non, non ! Il me faut un nouveau tailleur, des bottes aussi, pourquoi pas plusieurs chemises et chemisiers… puis des robes de cocktails car oui, tu verras à l’usage, tu sors beaucoup en étant avocate avec des gens du barreau ! De quoi tu aurais besoin ou envie, toi ma belle ? »

Tenter Eireen avec des cookies pourrait limite devenir un sport national si Leela s’amusait à pousser le vice encore un tout petit peu plus loin. Mais juste un peu, bien sûr, il ne fallait ni être trop cruel ni la tenter de façon incontrôlable… ce ne serait ni sport ni fun ! « Oh mais le cabinet t’es grand ouvert tu sais ! Ne serait-ce que pour goûter mes cookies… ma secrétaire et Graham en sont fan, on en a toujours quelque part du coup » expliqua-t-elle avec un petit air malicieux dont elle avait le secret, et qui se termina en sourire non moins malicieux étirant ses lèvres de façon lumineuse et enjouée. « Alors si les cookies ne sont pas les seuls à t’attirer, il y a quoi d’autre ? » s’intéressa-t-elle en passant subitement en mode Sherlock Holmes des bacs à sable, sait-on jamais, en vue d’avoir d’autres cordes à son arc pour la tenter plus encore. Au pire des cas, cela deviendrait un véritable jeu entre elles. « Si tu me donnes une info je t’en balance une sur ce qui me tente » alla-t-elle même jusqu’à marchander car après tout, l’indienne ne savait que trop bien qu’en ce bas monde, on n’a rien sans rien. Et la concernant, ladite info valait quand même de l’or, même s’il était bien évident qu’Eireen n’ait aucun poste d’avocate à lui proposer… là encore, cela faisait partie de la beauté du jeu. « Tu n’as jamais réussi à faire de cookies ? Qu’à cela ne tienne, si tu veux je te filerai un cours, c’est un bon argument pour séduire » ponctua-t-elle ses paroles d’un petit clin d’œil on ne peut plus entendu. Peut-être que le Loulou de Poméranie de son amie ne serait pas sensible à la recette de cookies de Leela mais cette dernière en doutait. Cela restait un excellent argument pour avoir dans sa poche différents types de gens, et pas uniquement en vue de séduire d’ailleurs ! La preuve, même sa secrétaire lui en réclamait… « Je te le souhaite… je croise même tous les didis tu sais ! » Eireen méritait de connaître le bonheur, même si pour l’heure, les deux acolytes voyaient surtout leur bonheur entre les rayons de ce magasin hautement attrayants. « Je me souviens très bien de cette jupe bleue, je la mets souvent d’ailleurs ! Ce haut irait effectivement très bien avec… chemisier blanc je prends pour l’essayage de tout à l’heure, et je vais essayer de me trouver quelque chose d’un peu plus coloré. Genre du rouge, du rose mais avec parcimonie car ça ne va pas avec tout, ou du bleu. Et toi, tu aurais besoin ou envie de quoi donc ? »

Le pire dans tout ça, c’est que Leela serait la première ravie qu’Eireen passe au cabinet, ne serait-ce que pour le lui faire visiter, lui montrer son bureau, prendre un café. Elle ne comptait pas lui présenter un contrat sous le nez et faire une propagande monstrueuse en vue de l’embaucher, non… il fallait savoir être sport en la matière et puisque son interlocutrice et amie était déjà sur une piste, autant la laisser aller jusqu’au bout dans un premier temps. « Tu peux passer même en dehors des lundis… au pire, tu m’envoies un petit message, si je ne te réponds pas, c’est que je suis en audience ! » En général, même en rendez-vous clientèle - hormis ceux qu’elle avait au commissariat pour ceux en garde à vue - elle gardait toujours son téléphone à proximité pour pouvoir répondre à d’éventuelles urgences. C’était la règle du cabinet, enfin l’une d’elles, Leela comme Graham devaient toujours être joignables en dehors des temps d’audience. « Le stock de cookies descend à vitesse grand V tu veux dire ! Mais si tu veux que l’on parle de kryptonites… effectivement, tu as mis le doigt dessus : je connais une de tes faiblesses, je t’en livre une des miennes… je raffole des cupcakes à la vanille ! » s’amusa-t-elle à répondre, un grand sourire aux lèvres, avant que les choses sérieuses ne soient lancées et que leur conversation tourne bien évidemment autour de vêtements, de mode et tutti quanti. « Ce n’est pas bien grave ! » la rassura-t-elle aussitôt, Leela ne se formalisant pas pour une simple question ayant attendu sa réponse quelques instants… les deux acolytes n’étaient pas aux pièces, après tout ! « Personnellement je ne jette jamais rien, à moins que ce ne soit usé jusqu’à la corne… je donne à des associations en général. On sait jamais, ça peut toujours servir à quelqu’un, et comme je suis comme toi et que mon dressing est archi plein… mais puisque tu parles de chouette gilet… que dirais-tu de ce charmant spécimen ? Jolie teinte émeraude, de la laine d’Ecosse d’après l’étiquette, et en prime, il est en solde ! Je trouve qu’il va très bien à tes yeux ! »

A dire vrai, si Leela avait fortement envie de travailler avec quelqu’un comme Eireen, elle voulait également lui montrer le cabinet, pourquoi pas lui donner deux ou trois conseils en vue, elle l’espérait, de la voir s’épanouir dans la profession, que ce soit à ses côtés ou pas. L’indienne n’était pas chasseuse de têtes, cela n’avait jamais été son métier et puis cela ne l’intéressait pas du tout à dire vrai. « Tu plaisantes ? La gourmandise c’est limite LE trait de caractère que je partage aussi bien avec toi qu’avec Graham… vaut mieux être au taquet pour en avoir d’avance sinon on peut limite être de mauvais poil ! » s’amusa-t-elle à plaisanter de bon cœur - après avoir confié à son acolyte préférée que son péché mignon résidait aussi dans les cupcakes. Cela ne devait pas être très étonnant : on pouvait laisser pleinement son imagination agir en faisant ce genre de pâtisserie, puisque les parfums pouvaient être changés en un tour de main. Pour sa part, Leela adorait mélanger du Nutella à la préparation avant de la glisse dans la poche à douille. Ce qui faisait d’elle une gourmande +++. « Je crois que nous sommes tellement des puits de mystères que l’on aura toujours quelque chose à se raconter » ajouta-t-elle avant qu’un grand éclat de rire ne lui secoue subitement les épaules. Ce qu’elle pouvait raconter comme conneries à la seconde une fois sortie du bureau… c’était vraiment impressionnant ! Mais son sérieux fut de retour sur le devant de la scène une fois que les deux brunettes se furent glissées dans les rayons du premier magasin, et pour cause ! Lorsqu’elle parlait vêtement, Leela plaisantait tout de suite bien moins… il ne s’agissait pas d’être vêtue d’un sac sur la tête quand même ! « Je suis souvent généreuse donatrice… au point qu’ils ne savent pas toujours quoi faire de tout ce que je leur donne… mais je sais qu’au bout du compte, c’est forcément utile à quelqu’un qui a très certainement moins de moyens que moi » expliqua-t-elle alors qu’un petit sourire étirait subitement ses lèvres : Eireen venait de sélectionner le gilet proposé par l’indienne, en vue de l’essayer… encore une petite victoire de canard ! « Alors personnellement je ne suis pas contre le rose… mais je vais essayer rose et rouge, pour voir laquelle me va le mieux ! Par contre le jaune… je ne sais pas toi mais j’ai HORREUR de cette couleur ! Elle ne me va ja-mais ! »

Face à la réplique d’Eireen, l’indienne émit une petite moue, preuve qu’elle réfléchissait intensément. D’un côté, difficile de donner tort à son amie : mettre trois gourmands dans un même cabinet, c’était la certitude certaine qu’à neuf heures du matin, il n’y ait plus âme qui vive côté cookies et cupcakes. Mais d’un autre côté… « Pas faux mais en même temps, nous pourrions garder cookies et cupcakes juste pour toi, Graham et moi… c’est alléchant tout de même ! » s’amusa-t-elle à répondre, ponctuant ses propos d’un grand éclat de rire. Leur discussion n’avait rien de sérieuse et cela faisait un bien fou à l’indienne, qui avait été sous grande pression ces derniers jours. De quoi faire disparaître toute tension de ses muscles, pour son plus grand bonheur… enfin, elle arrêtait de regarder derrière elle, d’être possédée par l’irrépressible envie de s’essuyer constamment la sueur du front, et, surtout, dès qu’elle se retrouvait seule, de hurler pour que quelqu’un vienne lui tenir la main et lui dire que tout irait bien. Leela connaissait un vrai moment de paix, le premier depuis un très, très long moment. « Je ne suis jamais du genre à parler tout le temps boulot. On en parle au sein du cabinet, et une fois dehors, on recommence à évoquer nos vies, nos tracas, les choses funs, et tout le reste ! Il ne faut pas tout mélanger et ainsi… garder des conversations différentes pour chaque instant ! » Pour sûr, la brunette ne serait jamais quelqu’un de profondément ennuyeux, comme ces vieux avocats qui restent bloqués sur la même affaire perdue depuis des dizaines d’années. Leela avançait, pensait, bougeait, évoluait. Elle demeurait actuelle… et encore jeune qui plus est. « Généralement, les vêtements déglingués font de très bons chiffons chez moi… ou alors un joujou pour Darius, mon chien » avoua-t-elle sans honte, car nombre de ses vêtements restaient tout à fait utilisables pour les gens dans le besoin. « On peut peut-être te trouver une autre veste ou un autre gilet… pour ma part, j’ai envie également d’opter pour un peu de pantalons. Ce jean par exemple ! La coupe m’irait sûrement, qu’en penses-tu ? »

« Je crois que c’est tout vu, trois gourmands ensemble, ça peut faire de grandes choses ! » s’amusa-t-elle à en remettre une couche mais cette fois-ci, son air malicieux certifiait du trait d’humour : Leela n’obligeait en aucun cas Eireen à la rejoindre au cabinet qu’elle partageait avec Graham, elle préférait mille fois que cela vienne d’elle, et qu’elle soit ravie de travailler avec eux deux plutôt que de se sentir obligée. L’indienne ne connaissait rien de pire que d’exercer un métier inintéressant, lourd ou bien exercé justement dans un environnement discutable. Après tout, s’il existait de bons et de mauvais avocats, il existait tout autant de bons collègues et, à l’inverse, de très mauvais. Jusqu’ici, la brunette avait eu la chance de ne pas rencontrer cette deuxième catégorie, mais lors de ses stages, ça n’avait pas toujours été aussi évident. Notamment son tout premier poste photocopie… une atrocité parmi toutes les atrocités du monde des hommes et femmes de loi ! « N’aie aucune crainte là-dessus ! Déjà, je suis quelqu’un de super bavard mais tu n’as pas vu Graham… impossible de l’arrêter quand il se met à déconner, faut vraiment s’imposer et limite lui gueuler de la boucler pour en placer une ! Mais c’est bon enfant. C’est toujours dans un bon esprit… même quand on essaye de se faire pardonner nos coups de sang, je te dis pas » s’amusa-t-elle à répondre sans forcément en dire davantage : créer un teasing mais ne pas trop en dévoiler. Il fallait en garder pour si jamais son acolyte venait ne serait-ce que prendre un café au cabinet ! « En fait… si je ne donne pas ce genre de joujou à Darius, il me bouffe mes meubles, mes murs, certaines boîtes de DVD et je te parle même pas de mes chaussures ! De nombreuses paires ont perdu la vie dans l’affaire… » Petit soupir. Son husky était aussi adorable que destructeur, parfois. Mais dès lors qu’il la regardait avec ce petit air de crapaud mort d’amour… Leela lui pardonnait tout, absolument tout sans exception aucune. « On va opter pour de la COULEUR ! Je veux davantage de tenues pour l’après boulot… pas de couleur stricte à adopter, je peux oser tout ce que je veux, même le saumon ! Ah j’aime bien ce jean aussi… le bleu ciel me fait aussi de l’œil ! »

En même temps, devenir avocat sans avoir le goût de la discussion, d’en découdre dans un débat et d’être capable de sortir un argumentaire fumeux et paraissant pourtant tout à fait crédible… ce serait un gâchis monstrueux. De son côté, Leela savait apprécier les moments de silence et de solitude, comme lorsqu’elle faisait du jogging ou sortait son chien, mais sa gouaille la rattrapait toujours. D’une part car elle se liait assez facilement aux gens, et on le lui rendait bien, mais d’autre part parce qu’elle demeurait une grande bavarde devant l’éternel et que pour lui fermer sa bouche… encore fallait-il avoir de très solides arguments à portée de main. « Tu la trouveras j’en suis certaine, si d’aventure tu ne craques pas mais je t’ai dit, il n’y a aucune obligation ne t’en fais pas. Tu as beaucoup de qualités sociales et ça, ça change beaucoup de choses ! » Il existait beaucoup d’avocats timides ayant du mal à faire leur trou comme dit l’autre, mais Leela pensait que ce ne serait pas le problème d’Eireen. Sûrement en aurait-elle d’autres dans sa carrière mais pas celui-là non. « Darius, un hyperactif ? Bah comme sa maîtresse tu sais, quand on dit que les animaux sont les reflets de leurs maîtres, ce ne sont pas des âneries ! Mais pour te répondre… il m’a cassé un cadre très joli, en bois gravé et fais main contenant la photo de mariage de mes parents. Là, j’ai cru que j’allais le tuer… mais je finis par tout lui pardonner, parce que j’ai fait réparer le cadre et parce qu’il peuple souvent ma solitude tu sais ! » répondit-elle avec une petite note de mélancolie dans la voix. Après tout, quitte à ne plus avoir de compagnon humain d’un point de vue amoureux, autant avoir un fidèle compagnon canin à ses côtés ! Darius ne l’emmerdait pas avec ses états d’âme… « Ce n’est pas grave pour le choix de couleur, après tout rien ne nous empêche, une fois que l’on en aura fini avec ce magasin-ci, d’aller à un autre pour essayer de trouver notre bonheur final ! Mais je suis d’accord… on va faire une première session d’essayage, je commence à avoir les bras assez pleins au bout du compte ! »