« Tu crois que ça fera l'affaire ? » Je traduis par “ton projet moi j’y crois pas”. Je peux la comprendre, ça paraît peut-être un peu tiré par les cheveux de faire une rame à partir de trois fois rien, surtout quand on a jamais essayé. Mais en regardant bien le bout de bois j’arrive à visualiser la rame et à imaginer comment je vais m’y prendre. “Fais moi confiance.” Je n’ai aucune certitude que ça puisse marcher, c’est une première mais il faut bien essayer. On ne peut pas juste se poser sur un radeau et dériver jusqu’à ce que la nature nous arrête, ce serait suicidaire. Maman observe de près ce que je fais, un peu trop par moments. « Fais attention... Je veux pas avoir à te faire un garrot. »  Je lui réponds sans lever le nez de mon ouvrage. “T’inquiètes, je maîtrise.” C’est le genre de phrase bonne qu’à attirer un mauvais karma mais j’arrive au bout de la première rame sans me blesser. Je la montre à maman qui a l’air vraiment impressionnée. « J'aurais jamais imaginé que tu pourrais transformer une branche en... Ca ! » C’est le genre de compliment qui flatte mon égo et qui rebooste ma confiance. “Je t’avais dit de me faire confiance.” J’ai un petit sourire victorieux, comme si j’avais encore 8 ans mais ça me fait du bien de savoir que je peux la rendre fière. Mais ma joie et ma fierté en prennent un coup brusquement quand, à peine dans l’eau, la rame trop fine et fragile se casse. Oh ça va commencer à me gonfler cette histoire de stage de survie à la con. Je soupire, je vais devoir tout recommencer, tant de travail gâché. « Allez on va pas se laisser abattre à cause d'un bout de bois ! » Je sais que je fais la gueule comme un gosse mais c’est décourageant tout ça. “Mouais.” Maman repart dans les bois et revient les mains chargées de branches qui ont l’air plus solides que ce que j’ai façonné juste avant. « Tiens, je t'ai trouvé ça. » J’attrape une des branches, effectivement ce sera sûrement mieux comme ça. “Merci, ça a l’air pas mal ça.” Je me remets sans attendre au travail pour nous éviter de passer la nuit à côté de cette foutue rivière. « Bon on réessaie ? ».  Je soupire, j’ai un peu peur de faire face à un nouvel échec. “Allez, je croise les doigts.” Le verdict est immédiat, l’une des deux rames cède très rapidement, l’autre a l’air de tenir le coup. « On n'a peut-être pas besoin de deux rames... » Je commence à être pas mal découragé mais ce qu’elle me propose ça sent la mauvaise idée à plein nez. “Purée c’est pas possible…bon au moins ça en fait une.” Il y a pas 36 solutions, il faut que je recommence. “Mais on est obligés dans avoir deux, ça va être l’enfer pour ramer sinon.”

Spoiler:

Le destin:

La deuxième rame a résisté au crash test du cours d’eau, elle devrait résister. Enfin en théorie. Ca devrait d’ailleurs être le titre de cette journée “en théorie tout va bien”, dans la pratique c’est autre chose. Nous sommes prêts pour naviguer mais j’ai de très gros doutes sur nos capacités à ne pas mourir noyés dans cette rivière. Aucun de nous deux ne sait nager correctement et nous avons un matériel de fortune qui tient par je ne sais quel miracle. « Quand faut y aller... » Elle a l’air tout aussi enchantée que moi par l’idée de nous jeter littéralement à l’eau. Mais c’était son idée, moi je subis cette mauvaise surprise depuis le début. Elle grimpe sur le radeau, enfin elle essaie puisque le radeau s’éloigne. « ¡ Mierda ! » Je n’ai pas le temps de soupirer ou de râler puisque si aucun de nous deux ne fait pas quelque chose tout notre travail d’aujourd’hui tombe -sans mauvais jeux de mots- à l’eau. “Mais fais quelque joder!” Je crie mais elle a l’air tétanisée. Sans attendre davantage je me jette dans la rivière pour attraper le radeau de fortune qui ne cesse de s’éloigner. Si au début j’ai pied, je ne touche rapidement plus le fond de l’eau. J’essaie de ne pas paniquer, de ne pas céder à la peur et je compte sur mon corps pour nous sortir de là à coups d’adrénaline. Le courant n’est pas extrême mais il suffit à me mettre en difficulté. L’eau me fouette le visage et j’ai du mal à voir devant moi. J’arrive tout de même à attraper le radeau, reste alors le chemin retour qui s’annonce difficile.

Spoiler:

Le destin:

Me retrouver au milieu de l’eau glacée pour récupérer notre radeau de qualité douteuse était loin d’être dans mes plans de la journée. A chaque instant qui passe je maudis un peu plus ma mère pour son idée de génie. L’idée de faire un genre de teambuilding dans un camp de survie est déjà tordue mais alors quand on est tous les deux aussi à l’aise dans l’eau que des cailloux c’est une idée pourrie. Presque suicidaire quand on voit comment on s’en sort maintenant. On aurait pu être emportés par le courant ou pire : couler et finir avec les cailloux et les algues. « Voilà au moins on est dans le même état » Elle a l’air énervée, mais bon c’était son idée de venir, c’était à prévoir. Elle a fait une sale chute et avec le nombre de rochers qu’il y a dans le coin j’espère quand même qu’elle ne s’est pas blessée. “ça va quand même ? Tu t’es fait mal en tombant ?” Si ça continue on risque de rentrer en pièces détachées. Je vais rentrer avec des bleus partout, Emery va se dire que je me suis encore battu, elle ne croira jamais que j’ai juste passé la journée avec ma mère. “Une douche chaude nous fera du bien en rentrant.” Pour nous réchauffer et détendre les muscles bien trop contractés. “J’espère qu’ils pourront nous passer une serviette pour nous sécher un peu.” Je suis presque sûr qu’elle n’a pas pensé à prendre des serviettes et des vêtements de rechange, donc j’espère qu’ils pourront nous filer un coup de main. “Allez on retente, ce serait dommage de s’arrêter là. Et puis bon on est déjà trempés, un peu plus ou un peu moins hein.” Plus on attend et plus on risque d’avoir froid et de tomber malade. Si on veut finir l’atelier sans être frigorifiés on ferait mieux de se lancer et de retenter le coup. Par contre si le radeau se barre encore je jette l’éponge, j’ai plongé une fois, pas deux.

Spoiler:

Le destin: