L’ambiance est à l’image de la température de l’eau : glaciale. Je déteste cette journée pourrie, ce plan foireux et la galère dans laquelle les brillantes idées de ma mère nous ont mis. Je suis trempé, je tremble de froid et on a toujours pas réussi à naviguer sur ce foutu bateau de malheur. Je perds sérieusement patience et je n’hésite pas à le lui faire remarquer. « Oh je le sais. Et je ne suis pas prête de l'oublier puisque tu te sens obligé de me le répéter toutes les cinq minutes. » Je sais que je me comporte comme un sale gosse mais en même temps il y a de quoi. Je pense que n’importe qui aurait perdu patience dans une situation comme celle-là. Autant hier c’était drôle de passer la journée à se faire gentiment la guerre avec Sara pour allumer un feu. C’était sympa parce que c’était un défi qu’on s’était lancé. Enfin, c’était fun jusqu’à ce que ces foutues baies me fassent vomir mes tripes dans l’herbe. Bon finalement le seul truc cool c’était de battre Sara et de la voir rager parce qu’elle n’arrive pas à allumer un feu. J’ai eu une lueur d’espoir qu’on arrive à terminer cet atelier sans trop de complications quand on est repartis. Mais mes espoirs partent vite en fumée quand je comprends qu’on est embourbés, il ne manquait plus que ça. Je perds définitivement patience et je ne mets plus les formes pour râler. J’ai envie de rentrer, de prendre une douche et de passer la soirée tranquille. Au lieu de ça je vais sûrement être malade alors que je me remets à peine des maux de ventre des baies à la con d’hier. « Je suis désolée Cesar." Le bateau est décoincé donc nous ramons tous les deux, je reste silencieux, trop agacé je risquerais de dire des choses que je vais regretter. « Je sais que c'est pas facile entre nous ces derniers temps et que je suis en grande partie responsable. » La discussion prend un autre tournant, beaucoup plus sérieux. Parce qu’après tout c’est vrai : ce radeau est à l’image de la relation qu’on peut avoir en ce moment, bancale et qui prend l’eau. “Non mais c’est pas grave.” Je n’ai pas envie qu’on s’éternise sur ce genre de discussions. Oui elle a sa part de responsabilité dans l’histoire, sûrement que moi aussi mais j’ai pas forcément envie qu’on en parle. Je n’ai pas pour autant envie qu’elle culpabilise davantage alors j’ajoute. “C’est rien.” J’aimerais qu’on passe à autre chose, qu’on se concentrer sur la rivière, sur les rames et puis c’est tout, c’est pas le moment pour parler de ça. C’est pourtant loin d’être rien, on ne se parle presque plus, on se croise dans la maison pour manger -et encore- et c’est tout.

Spoiler:

Je suis tellement gavé par cette journée merdique que je n’ai aucune envie de discuter. Et surtout pas si c’est pour entendre ma mère me répéter à quel point elle est une mère affreuse. Je n’ai ni l’envie ni l’énergie pour cette discussion, pour la rassurer en lui disant que je ne suis pas en colère contre elle parce que c’est faux. Je suis saoulé qu’elle m’ait embarqué dans cette galère sans me prévenir, saoulé qu’elle ait pensé que ce genre de choses me plairait et qu’on pourrait passer un bon moment alors qu’on aurait très bien pu sortir prendre un café en ville. Je mets donc fin à la discussion, on reparlera sûrement de ça plus tard, ou pas ça m’est égal, tout ce que je veux c’est rentrer le plus vite possible. « Dès qu'on arrive, je fous tout ça au feu. » Je préfère ne pas répondre. Si je m’écoutais j’allumerais un feu une fois arrivé au camp pour brûler ce radeau de malheur, ça serait plus utile. Quand on arrive face à un croisement je laisse échapper un gros soupir et je marmonne des insultes en espagnol. J’en ai plus que marre de cette journée pourrie, quand est-ce que ça se finit cette histoire ? « Et comment on sait quel chemin on doit prendre ? On doit tirer à pile ou face c'est ça ? » J’ai un rire nerveux qui part sans que je puisse le contrôler, je suis à bout de nerfs et je sens que ma patience arrive à son maximum. Si je savais bien nager ça fait longtemps que j’aurais sauté du radeau pour nager jusqu’à la berge et rentrer au camp à pied. “J’en sais rien putain, j’en ai trop marre, ça s’arrête jamais.” En temps normal elle m’aurait fait la morale pour mon langage fleuri mais là, vu la galère dans laquelle on est à cause d’elle, elle n’est pas en position de faire ça. « Je te laisse choisir. Promis, je ne t'en voudrais pas si... » Je soupire encore, elle ne m’aide pas beaucoup, et comme ça c’est moi qu’on pourra accuser si je me plante, génial, vraiment, merci la famille. “Plouf plouf, ça sera ce chemin qu’on prendra.” Je fais comme quand j’étais à l’école primaire puisque je n’ai aucune idée de quel chemin serait le bon. La comptine s’arrête sur le chemin de droite vers lequel je me mets à pagayer. “Allez, par là.”

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