« S'ils se sont fait attaquer c'était il y a plusieurs jours, ou il y aurait encore des morts dans le coin. » Il s’était contenté de confirmer en plissant les lèvres et en acquiesçant rapidement, toujours bloqué sur la question qui le tiraillait. « On peut faire le tour à l'intérieur, passer au moins la nuit ici, et on voit demain ? » Il prétendait agir comme si tout allait bien - et il était conscient d’à quel point cette affirmation était relative - mais il le connaissait trop bien pour ne pas voir l’inquiétude dans son regard. Diego faisait de son mieux pour ne pas laisser l’agacement faire son oeuvre et déverser une colère liée à la situation sur Mateo. Ce serait se mettre en danger et ce n’était pas justifié, ce n’était pas contre lui qu’il était énervé. Prenant une inspiration et ignorant les recommandations de l’espagnol, à la place, Diego lui avait posé la question. Clairement, sans détour. « C'est rien Diego, je suis épuisé. Je pensais rentrer me reposer et je me suis fait virer de ma maison à peine arrivé. Je suis juste un peu... » Difficile de comprendre ce qu’il ressentait, la seule chose qu’il connaissait actuellement étant la culpabilité de ne pas l’avoir accompagné et d’être inutile. Avant qu’il ait pu s’en plaindre, Mateo avait repris la parole. « De ce que j'ai pu voir dehors, j'ai cru comprendre que.. parfois, une griffure, si elle est assez profonde, peut suffire à transformer quelqu'un. C'est certainement lié plus à l'infection d'avoir été en contact avec un corps en décomposition que le virus lui même, mais.... » « Mais quoi ? » avait-il demandé immédiatement, haïssant la façon dont il minimisait ce qu’il savait parce qu’il s’agissait de lui. Il aurait probablement fait la même chose à sa place, mais les risques encourus étaient bien trop importants pour qu’ils s’y autorisent. « Rien que sur le trajet ça aurait pu t’être fatal, pourquoi tu l’as pas dit plus tôt ? » Bien sûr qu’il savait pourquoi il ne l’avait pas fait, il le regrettait juste amèrement. « Je vais prendre la voiture et partir, le temps de voir comment ça évolue. Toi tu vas rester ici, et tu vas pas me retenir. C’est compris ? » C’était la première fois qu’il se sentait réellement utile, en prenant les devants et en évitant à Mateo de prendre davantage de risques. (***) Lui tourner le dos avait été difficile, rester impassible à ses appels encore plus, et puisqu’ils s’agissaient des derniers souvenirs avec lui, la crainte de ne plus jamais le revoir s’était intensifiée. Pourtant, après ce mois passé loin du refuge qu’ils avaient trouvé à la hâte après l’attaque, Diego avait pensé l’apercevoir au travers des vitres barricadées et il avait osé pousser la porte. « T’es là ? » avait-il appelé, hésitant, pensant se faire recevoir par une balle dans le crâne s’il le confondait avec un zombie. Il n’en était pas un, il en était maintenant sûr.

« Mais quoi ? » Il avait longuement soufflé et ravalé sa salive avant d'enfin se décider à poursuivre. « Mais je suis sûr que c'est possible. » Ce qu'il avait présenté jusqu'ici comme une supposition plus que comme un réel risque avéré en était bel et bien un, il en était persuadé. Il avait eu l'occasion de s'en rendre compte en voyant les corps de certains zombies fraîchement transformés exempts de morsure, mais il avait aussi retrouvé un message écrit en sang sur les murs d'une supérette en ville qui indiquait que les griffures étaient fatales. Pour autant, il refusait de se dire que le sort de Diego était déjà scellé, c'était au dessus de ses forces. « Rien que sur le trajet ça aurait pu t’être fatal, pourquoi tu l’as pas dit plus tôt ? » La réponse regroupait un millier de raisons mais la plus évidente venait de le frapper de plein fouet : il l'aimait trop pour s'imaginer un tel scénario se dérouler sous ses yeux. Un lourd silence s'était installé tandis que Mateo tournait la tête vers son amour, profitant de la bulle qui se créait indéniablement tout autour d'eux alors que leurs regards se croisaient et ceux, même si la situation semblait complètement désespérée. « Parce que la plaie est pas énorme et que je savais qu'on avait le temps de voir venir. » Il aurait eu le temps de réagir si Diego avait montré le moindre signe que son état s'aggravait. « Ou parce que si de toute façon tu finis par en devenir un, je préfèrerais autant que tu m'emportes avec toi. » Ils s'étaient faits une promesse : si l'un tombait sous l'emprise du virus l'autre ne devait pas le laisser errer encore sur terre sous cette forme néfaste. Mais maintenant qu'ils faisaient vraiment face au risque que cela n'arrive, Mateo se disait qu'il n'aurait pas la force de le faire ; qu'au pire, finir par fouler cette terre pour l'éternité comme deux nuisibles semblait encore plus doux que de juste devoir continuer à combattre sans lui. « Je vais prendre la voiture et partir, le temps de voir comment ça évolue. Toi tu vas rester ici, et tu vas pas me retenir. C’est compris ? » « C'est hors de question que je te laisse partir, on sait pas si t'es vraiment infecté tu vas te mettre en danger et... » La panique se sentait dans son regard, sa main ayant attrapé la sienne pour l'empêcher de s'éloigner de lui mais Diego avait prit sa décision et rien n'aurait pu réussir à le faire rester.

Diego était mort, il en était maintenant certain. Un mois qu'il l'avait laissé sans se retourner, un mois que Mateo vivait seul dans cette demeure qu'ils avaient trouvé après avoir fuit leur chez-eux. S'il avait survécu à cette griffure, s'il était encore en vie, il serait revenu le retrouver bien plus tôt, il en était certain. Il avait perdu l'amour de sa vie et à présent, chaque jour qui passait n'était plus d'aucune saveur. Depuis le début de cette apocalypse Mateo s'était affirmé comme l'aventurier du couple, mais la réalité l'avait rattrapée : s'il savait se montrer fort jusqu'à présent c'était uniquement parce qu'il le faisait pour Diego ; sans lui, il ne valait rien, il le savait à présent. Comme depuis quelques jours, depuis qu'il avait totalement perdu l'esprit et le goût de vivre, Mateo était installé dans le salon, une bouteille de whisky à la main : au moins ce nouvel abri avait l'avantage d'être livré avec une cave pleine de bouteilles d'alcool divers. « T’es là ? » La voix de Diego résonnait dans son esprit : ça y est, il avait des hallucinations auditives en plus d'être dans un état presque dépressif. Mais en plus de cette voix il entendait les chaînes de Marta, son zombi de sécurité attaché dans le couloir de l'entrée qui s'agitait. Était-ce possible... ? « Diego ?! » Il entendait du bruit qui prouvait que oui, clairement, quelqu'un venait d'entrer. « Diego recule ! »

« C'est hors de question que je te laisse partir, on sait pas si t'es vraiment infecté tu vas te mettre en danger et... » Et quoi ? Diego ne le saurait jamais réellement parce que les derniers mots que Mateo lui avait dit étaient devenus de moins en moins précis dans son esprit. Il ne l’oubliait pas, mais son souvenir était bien moins vif qu’aux premiers jours, la douleur également, mais c’était bel et bien l’amour qu’il lui portait qui l’avait forcé à survivre. Il s’était imaginé bien des scénarios durant sa période de solitude, mais jamais il n’aurait pensé à ce qui l’attendait. « Diego ?! » avait-il répondu quand il l’avait appelé et sa voix témoignait de son étonnement. Si son premier réflexe aurait été de le serrer dans ses bras, un grognement suivi d’un « Diego recule ! » l’en avait empêché. Evitant de justesse les griffes du zombie - qui étaient à l’origine de leur descente aux enfers - Diego avait dégaîné son colt pour venir tirer entre les deux yeux du monstre. Essuyant le sang qui avait giclé sur son visage, il s’était endurci, assez pour tenir tête à un Mateo qui vivait dans le chaos le plus complet pendant que lui n’avait cherché qu’à le retrouver. « Qu’est-ce que tu fous ? Attends t’es saoûl ? » Son premier réflexe avait été de s’énerver et à juste titre, il mettait sa vie en danger de deux manières différentes. En s’alcoolisant dans un monde où la lucidité était gage de survie, et en s’offrant les services d’un zombie comme ces riches fanatiques. « Tu sais bien que tout ceux qui ont essayé sont devenus l’un des leurs ou sont morts ! » Alors qu’il pestait, lui restait debout, chancelant, incapable de prononcer le moindre mot et il avait compris. S’approchant délicatement de lui, il avait hésité un instant avant de poser sa main sur sa joue et comme il l’avait craint, Mato l’avait repoussée. « C’est moi, je suis là… » Mais de son point de vue, tout devait se mélanger, il avait tiré une balle dans la cervelle de son zombie qui recouvrait maintenant une partie du plancher, et lui devait être semblable à un fantôme.