C’est avec un air particulièrement soupçonneux que l’employé de la bibliothèque examina comme toutes les semaines la carte de lecteur d’Axel. A croire qu’il ne l’avait jamais vu de sa vie ou qu’il le prenait pour un voleur de manuscrits auxquels personne, à l’exception de l’ancien militaire, ne s’intéressait. Ce n’était pas la première fois qu’il cherchait à avoir accès à cette partie de la bibliothèque. Axel n’y pouvait rien, il adorait les vieux bouquins. C’était pour ainsi dire, sa lubie. D’un signe de tête, l’homme accepta enfin de le laisser passer. Trop aimable. Agacé par ce manque évident de politesse, Axel secoua doucement la tête de droite à gauche avant d’entrer dans cet endroit fabuleux, qui était pour lui, synonyme de paradis. L’odeur de la bibliothèque, ce mélange si particulier de bois, de papier, de cuir et de vieilles pierres, ne manquait jamais de le mettre de bonne humeur. Il s’était promis d’emmener fréquemment Emily y faire un tour quand elle serait en âge de lire, bien entendu. Pour l’instant, elle appréciait seulement de tourner les pages de ses livres illustrés. Axel s’avança d’un pas décidé dans les allées qu’il connaissait sur le bout des doigts. Il n’aurait vraiment aucune difficulté à s’y repérer les yeux fermés. Il trouvait ce genre d’endroit apaisant, cela changeait grandement de son propre univers. Le soleil qui se déversait par les rares fenêtres à l’étage, illuminait les poussières qui flottaient dans l’air et traçaient des barres dorées sur les murs anciens. Axel observait les différents ouvrages avec un regard de gamin découvrant son cadeau au pied du sapin de Noël. Fascinant. Comme toujours, il déposa sa veste à la même place et s’installa sur une table de lecture légèrement à l’écart, là où la lumière naturelle était la meilleure. D’un pas décidé, il s’avança en direction des premières étagères qui étaient à sa portée avant de s’emparer d’un livre à la couverture légèrement abîmée par le temps. Il fit quelques pas supplémentaires et en dénicha un second, qui visiblement, semblait avoir pour lui des allures de véritable trésor. A en croire l’épaisse couche de saleté qui se logeait sur la tranche de l’ouvrage en question, Axel en déduisit qu’il n’avait pas été consulté depuis bien longtemps. Quel dommage !! Les gens n’ont décidément pas conscience des trésors de ce monde à côté desquels ils passent. C’est ainsi qu’Axel passa l’après-midi, propulsé dans un univers hors du temps. Lorsqu’il sortit enfin de la bibliothèque, le soleil commençait à décliner à l’horizon. Il était déjà tard mais pas suffisamment pour que les commerces ferment leurs portes. C’est ainsi que le jeune homme tomba sur une boutique d’antiquités… L’inspiration liée à ses précédentes lectures le poussa à y entrer. Peut-être qu’ici aussi, de vieux ouvrages n’attendaient que de trouver un acquéreur digne de ce nom. En tout cas, c’est dans des endroits comme celui-ci qu’Alex avait pu enrichir son impressionnante collection. A ses yeux, les livres étaient des œuvres sacrées. C’était un véritable crime que de les laisser de côté. Dès qu’il pénétra dans la petite boutique, il entendit une petite clochette tinter, sans doute pour signaler sa présence. D’un pas nonchalant, il s’avança dans la boutique, les mains dans les poches, cherchant à percevoir une quelconque présence. Un vendeur, peut-être ? Mais non… seule un autre client semblait s’intéresser à un tableau ancien, une croûte immonde que n’importe qui d’un temps soit peu sain d’esprit refuserait formellement d’accrocher dans son salon. Plus loin, une jeune femme blonde lui tournait le dos. Elle était en train de disposer quelques objets sur les étagères. C’est à elle qu’Alex s’adressa. « Bonjour ! Pardonnez-moi de vous déranger, mais posséderiez-vous des livres anciens ? Je suis collectionneur et … » La jeune femme détourna légèrement le visage vers lui et c’est à ce moment précis que l’expression d’Alex changea totalement… merde alors… celle-là, il ne l’avait pas vu venir. Sarah… elle ressemblait à Sarah… mais vraiment… à tel point que ça en devenait troublant. L’espace d’une seconde, il avait même pensé qu’il s’agissait d’elle. Mais non, bien évidement, ce n’était qu’une simple coïncidence.
Une nouvelle journée touchait à sa fin. La recette avait été bonne. Et elle s'en félicitait. Elle allait pouvoir faire quelques achats pour la fondation. Tout ça se mettait peu à peu en forme et elle adorait. Et surtout, c'était assez urgent en fin de compte que les choses puissent aller aussi vite. Des petites bêtes avaient besoin d'attention. Mais pour l'instant, elle devait ranger sa boutique. Elle mettait en place de beaux camées. C'étaient bien ces bijoux préférés. Si elle s'écoutait, elle n'en mettrait aucun en boutique. Mais voilà, ces petites merveilles avaient le droit de trouver un acquéreur qui pourra tomber amoureux d'eux, comme elle l'avait été elle-même. Elle devait se hâter, elle allait bientôt fermer. Il ne restait qu'un client. Client intéressé par l'une des toiles de Gabriel. Heureusement, qu'elle avait réussi à en récupérer d'autres. Parce qu'elles se vendaient bien. Et elle était contente pour son ami. Elle venait de poser l'un des derniers camées quand la clochette de l'entrée se fit entendre. Elle salua son nouveau visiteur sans trop y prêter attention, reprenant son travail. Non pas qu'elle s'en fichait mais dans sa boutique, elle aimait voir les gens flâner, jeter un œil ici et là, s'intéresser à des objets auxquels ils n'auraient peut-être même pas songé. C'était ça qui faisait le charme des lieux. Et ça, c'était aussi toute une magie qu'elle voulait entretenir. Combien de fois avait-elle observer ses visiteurs, les yeux s'émerveillaient face à ce qu'ils contemplaient. C'était agréable. Et puis ça montrait aussi qu'elle ne se trompait pas en faisant ces acquisitions. Et qu'elle avait l’œil. Elle n'avait pas toujours été sûr de ses choix au début. Elle prenait ce qui la touchait, ce qui lui parlait. Et parfois, elle restait avec ses objets. Parfois peut-être trop rare, trop originaux pour trouver acquéreur. Maintenant, elle se trompait rarement. Les pièces qui lui tapaient le plus à l’œil, elle les gardait pour elle ou pour décorer sa boutique. Enfin, certains objets étaient quand même vendus par des connaisseurs. Mais ils partaient entre de bonnes mains et c'était ce qui était important pour la jeune femme. Elle était donc entrain de finir son étalage quand une voix l’interpella. Elle posa le bijou, parallèlement aux autres puis elle porta son regard sur le visiteur. Apparemment, il cherchait des livres. Un bibliophile à la recherche de connaissances ou de nouvelles aventures. Célia se tourna vers lui, esquissant un sourire. Elle aussi, était une passionnée de littérature, surtout de littérature anglaise et slave. « Vous ne me dérangez pas. Et oui la boutique a une section livres. » Elle lui fit un signe de la main pour qu'il la suive et elle l'emmena dans une partie plus éloignée de la boutique. « Vous recherchez quoi exactement ? Quel genre d'ouvrage ? » Les livres qu'elle possédait, étaient entreposés dans une grande bibliothèque en bois travaillé. Elle prenait soin de chacun d'eux. Parce que certains étaient très vieux. Et donc, fragiles. Mais en fait, c'était le cas de tout ce qui était dans sa boutique. Célia était du genre attentionné, que ce soit avec les gens ou avec les objets. Elle en prenait soin. Et puis certains valaient vraiment chers et donc, la moindre détérioration pouvait faire baisser sa valeur et son prix d'achat.
C’est avec une attention tout à fait singulière qu’Axel dévisagea sa jeune interlocutrice, scrutant avec étonnement les moindres traits de son visage de porcelaine. « Vous ne me dérangez pas. Et oui la boutique a une section livres. » Sa voix… même sa voix ressemblait à celle de Sarah. C’était parfaitement absurde et incompréhensible, mais il fallait bien admettre que la similitude entre cette parfaite inconnue et son ex-fiancée était troublante. Axel avait déjà entendu dire que chaque individu possède au moins cinq sosies à travers le monde. S’il s’était toujours dit que ce n’était que légende, il était désormais contraint de constater que le mythe n’en était peut-être pas un… « Vous recherchez quoi exactement ? Quel genre d'ouvrage ? » Mine grave et manifestement perdu dans ses pensées, Axel continuait d’observer la demoiselle avec la fascination d’un cartographe découvrant des rivages nouveaux. L’espace d’un instant, il se demanda si sa chère et tendre Sarah ne lui aurait pas caché quelques détails concernant sa famille… une sœur cachée, pourquoi pas une jumelle dont elle aurait essayé de taire l’existence. Bien évidemment, cette théorie n’était pas crédible un seul instant. Ce n’est qu’après un long et troublant silence qu’Axel réalisa qu’il n’avait toujours pas répondu à la demande de la jeune femme qui devait certainement le prendre pour un psychopathe. « Oh… veuillez m’excuser, j’étais absorbé par mes pensées. Vous disiez ? » Rapidement, il la scruta de la tête au pied, comme pour essayer de trouver un détail chez elle qui ne ressemblerait pas à Sarah. Malheureusement, la ressemblance était bien trop évidente pour ça. Ce coup-ci, Axel tâcha cependant de se concentrer sur les propos de la demoiselle, afin de ne définitivement pas passer pour un être étrange. « J’apprécie particulièrement les ouvrages historiques et la vieille littérature anglaise. Vous comprendrez… » Axel esquissa un sourire amusé, faisant clairement référence à son propre accent anglais, extrêmement prononcé et remarquable dans un pays comme celui-ci. Il n’était pas question pour lui de vouloir mentir sur ses origines, personne ne le croirait. « Gamin, je passais mon temps à écumer les bibliothèques de Londres. J’aimais à la fois les trésors qui s’y cachaient, mais aussi l’ambiance particulière et propre à ce genre d’endroit. Les livres sont d’abord devenus mon refuge, puis une véritable passion. Au fil du temps, j’ai commencé à les collectionner. J’aime tout particulièrement les manuscrits mais bien entendu, ils sont extrêmement rares. » Tandis qu’il parlait, Axel s’était avancé pour observer avec davantage d’intérêt les différents ouvrages présents dans la petite boutique. Certains en valaient le détour et de toute évidence, ne méritaient pas de terminer sur les vieilles étagères d’un antiquaire. « Hum… celui-ci est un vrai petit bijou…» Axel tendit la main en direction d’un ouvrage à la reliure de cuir abîmée par le temps. Il en examina soigneusement les pages avant de relever le regard en direction de la jeune femme. « Vous allez sans doute trouver ma remarque cavalière, mais j’ai l’impression de vous connaître… Non, en réalité, vous ressemblez beaucoup à une personne que j’ai connu… auriez-vous vécu à Londres, autrefois ? » Peut-être allait-elle lui révéler avoir de la famille en Angleterre et un heureux hasard pourrait la lier à la famille de Sarah… Mouais… cette théorie fantaisiste était tout bonnement absurde. Cela dit, il n’avait pu s’empêcher de la poser. Comme ça. Pour savoir.
Ce qu'il y avait de bien dans la boutique, c'est que Célia ne se contentait pas d'une seule série d'objets. Elle était plutôt du genre à prendre tout ce qui lui tapait dans l’œil. Et cela pouvait aller du service à thé, au tableau de maître, à des cartes de base-ball ayant plus de trente ans. C'était ça qui faisait le charme de son métier. Ça qui faisait que la jeune femme aimait toujours autant ce qu'elle faisait. Parce qu'aucun jour n'était semblable au précédent. Et Célia adorait. Elle adorait partir le matin pour une enchère et ne pas savoir avec quoi, elle allait revenir. C'était excitant. Elle était comme une gosse qui trouvait une grosse malle dans un grenier et qui était émerveillée par tout ce qu'elle pouvait y découvrir. Et malgré trois années passées à faire ce genre de découvertes, la jeune femme ne se lassait pas. Cela voulait donc dire qu'elle avait tapé dans le mile en écoutant son cœur. En achetant cette bâtisse pour en faire une boutique d'antiquités. Et celle-ci était à son image, originale, éclectique, reposante et pleine de surprises. C'était ainsi qu'elle voulait que ses visiteurs découvrent son domaine. Là où elle passait la plupart de son temps. Là où elle avait fini par panser ses blessures, petit à petit. Célia reporta son attention sur son visiteur du jour et se rendit compte qu'il l'observait d'une façon un peu curieuse. Elle fronça un peu les sourcils. A ses mots, un fin sourire s'afficha sur ses lèvres. Un rêveur, apparemment. « Je vous demandais quel genre d'ouvrage vous recherchiez. » Tout bon bibliophile devait avoir un domaine de prédilection. Elle, c'était les romans historiques. Elle avait lu Guerre et paix, des dizaines et des dizaines de fois. Alors ce que lui disait son visiteur lui faisait plaisir. Son sourire était un peu plus présent sur ses lèvres. Si elle s'écoutait, Célia pourrait parler des heures de tous les ouvrages qu'elle avait pu lire. Une véritable dévoreuse d'histoires. Cet homme face à elle, était anglais. Elle s'est était rendue compte à ses premiers mots et il confirma ce qu'elle pensait. « Je dois vous avouer que les ouvrages historiques sont mes préférés également. Et il y en a quelques uns ici qui sont très agréables à lire. » Elle lui montra une rangée de bouquins, soigneusement entreposés les uns à côtés des autres. Elle écoutait l'anglais tout en hochant doucement la tête. « Je n'ai pas de manuscrits ici. Ce serait d'ailleurs dommage qu'ils se trouvent dans ma boutique. J'ai déjà découvert quelques perles pendant les ventes auxquelles j’assiste mais en général, je les confie à un ami, commissaire priseur. Il sait à qui les remettre pour en faire profiter le plus de monde. » Parce que les livres n'étaient pas les ventes principales de la boutique. Ici, les gens venaient plus facilement pour du mobilier. Mais il n'empêchait que Célia avait quand même de belles pièces. D'ailleurs, le visiteur en prit une en main. « Faites attention. » Chuchota-t-elle. D'ordinaire les éventuels clients ne touchaient pas aux ouvrages. Et elle, elle le faisait avec précaution. Mais elle pouvait voir que cet homme était du genre soigneux. Elle n'avait qu'a regarder la façon dont il était habillé pour le savoir. Alors, elle le laissa faire. Comme il disait, c'était un véritable petit bijou. Puis à ces paroles suivantes, elle reposa ses yeux verts sur lui. Elle avait bien compris qu'il était un peu trop insistant en la regardant. Mais elle n'avait jamais fait attention à ce genre de regard. « Je comprends mieux ces regards. » Ajoutait la jeune femme, nullement ennuyé ou gênée par cette révélation. « Malheureusement non. Je n'ai pas eu le plaisir d'aller à Londres. » C'était un voyage qu'elle avait toujours songé à faire. Mais au lieu de ça, elle avait préféré des lieux plus exotiques. Elle appréciait Londres pour sa culture, son melting pot mais sûrement pas pour son climat.
Un sourire légèrement amusé se dessina sur les lèvres d’Axel lorsqu’il entendit la demoiselle lui chuchoter de faire attention. Etait-elle inquiète à ce point ? Cela signifiait donc qu’elle était tout autant passionnée que lui par les livres anciens. Ou du moins qu’elle leur accordait elle aussi une véritable importance. Elle n’avait cependant pas à s’inquiéter, Axel savait les manier avec soin et respect. Il était accro à la littérature depuis son plus jeune âge et ne comptait plus les heures passées à écumer bibliothèques, librairies et petites boutiques, à la recherche de la perle rare. A dix-sept ans à peine, il connaissait les plus grands classiques sur le bout des doigts et était capable de faire preuve d’un jugement parfaitement cohérent quant à la qualité d’une œuvre littéraire. Axel avait passé sa plus tendre enfance à se cultiver à défaut d’avoir une vraie famille avec qui passer du temps. Les livres étaient ses compagnons d’infortune et à dire vrai, il se complaisait totalement dans cette solitude qui pour bien d’autres, aurait été trop lourde à porter. Axel avait besoin de comprendre le monde, il voulait connaître l’histoire, les civilisations disparues et avoir un sens aiguisé de la critique au sens noble du terme. Il avait toujours eu la tête sur les épaules et fait preuve d’une insatiable curiosité. C’est d’ailleurs ce qui l’avait poussé à autant voyager au cours de son existence. Il n’y avait pas de mot suffisamment puissant pour exprimer l’excitation qu’il avait ressentie en voyant de ses propres yeux tous ces lieux sur lesquels il avait lu tant de livres. Reposant son regard sur la jeune femme, il s’aventura tout de même à l’interroger, probablement dans l’espoir de trouver une explication à sa troublante ressemblance avec Sarah. Comme il fallait s’y attendre, la jolie blonde n’avait encore jamais mis un pied à Londres. Axel se sentit à la fois confus et ridicule d’avoir pu pensé ne serait-ce qu’un instant qu’elle pouvait être liée d’une manière ou d’une autre à son ancienne petite amie. En entendant sa réponse, il passa une main sur sa nuque, signe évident de nervosité. « Je me doutais de votre réponse. A vrai dire, je ne sais même pas comment j’ai pu avoir l’audace de vous poser une question pareille. Veuillez m’excuser. » Il était plus prudent de ne pas insister au risque de passer pour l’un de ces psychopathes qui faisaient tellement parler d’eux dans les faits divers. Reportant son attention sur le livre, Axel finit par en refermer les pages avant d’en saisir un second ; celui que la jeune femme lui avait indiqué. « Je vais prendre ces deux-là ! » affirma-t-il avec un large sourire et une évidente bonne humeur. A l’instar du client précédent, il se dirigea vers le comptoir afin de régler ses achats et continua d’observer les lieux avec émerveillement. Cet endroit était vraiment remarquable. Axel aimait beaucoup l’ambiance si singulière des boutiques d’antiquité. Imaginer la provenance de chacun de ces objets devait être un passe-temps proprement admirable. « C’est une bien jolie boutique que vous avez-là. Vous en êtes la propriétaire ? » Après tout, il était probable qu’elle n’en soit que la gérante. Ou une simple vendeuse. Cela dit, au regard de ses judicieux conseils littéraires, il semblait évident qu’elle connaissait cette boutique mieux que quiconque. « J’ai toujours trouvé les antiquités fascinantes. C’est un peu comme si chaque objet était porteur d’une histoire, d’un passé qu’il serait en mesure de nous conter. Ce doit être passionnant de travailler ici. » Ca l’était, sans aucun doute.
Sa boutique, c'était son bébé. Pendant des mois, elle l'avait attendu pour ensuite prendre mille soins avec lui. Elle y avait passé des heures et des heures, des jours à peindre, à clouer, à frapper du marteau, à donner un coup de vernis sur les bois qu'elle avait poncé, sculpté pour qu'aucun ne soit semblable à l'autre. Célia y avait mis tout son cœur. Sa boutique était à son image, apaisante, pleine de surprises, d'originalités. C'était un monde éclectique, faite pour attirer le regard et embarquer les visiteurs dans de longs voyages. C'était ce qu'elle ressentait à chaque fois qu'elle passait la porte de la boutique. C'était un monde où elle se réfugiait. Un monde qui l'acceptait comme elle était et où elle pouvait être elle-même. Quand elle était gosse, elle se réfugiait déjà dans les greniers. Elle y cherchait la tranquillité, les trésors cachés. Elle arrivait à se plonger dans un monde imaginaire où elle pouvait être ce qu'elle voulait : chasseuse de loup-garou, pirate, voleuse de grand chemin, dresseuse de fauves. Elle passait de beaux moments dans ses rêveries. Et peut-être qu'elle n'en était toujours pas vraiment sortie. Elle trouvait le monde triste, dangereux et parfois plus effrayant qu'un tigre sorti de sa cage. Elle aimait lire, dévorait tous les bouquins dont elle avait mis la main dessus, par découverte, cadeaux ou emprunt à la bibliothèque du coin. Elle aimait ça. Célia passait beaucoup de week-end dans ses lectures pendant que sa jumelle sortait avec des amies. Ce n'était pas le truc de Célia. Elle aimait rester au calme avec un bon bouquin et un gros mug de chocolat chaud avec une pointe de cannelle. C'était ça le bonheur pour elle. Et ça lui suffisait. Alors oui, elle tenait à ces livres, mais pas seulement. Elle aimait non seulement les histoires qu'ils racontaient, mais aussi leur propre histoire, comment ils en était arrivés là, exposés dans sa bibliothèque. Célia était fasciné par tout ça. Cela pouvait sembler totalement ennuyant pour certains. Et elle le concevait. Alors quand elle tombait sur un visiteur qui semblait aimer ce domaine autant qu'elle, celui lui soutirait des sourires sincères. Elle avait de la chance de croiser plus de passionnés, que de personnes à la recherche d'une bonne acquisition pour se remplir les poches. Parce qu'il y en avait malheureusement. Aux paroles de l'inconnu, Célia releva ses yeux verts sur lui. « Ne vous excusez pas. L'audace est une qualité que j'apprécie chez les autres. » Elle lui fit un doux sourire. Et puis, depuis les dernières conversations avec ses amies, elle s'était décidée, elle aussi de faire un peu plus preuve d'audace, au quotidien. « Elle est toujours le signe d'intelligence et d'ouverture d'esprit. » Et ce genre de caractère, la jeune femme appréciait. Elle détestait les personnes imbues d'elle-même, qui passaient leur temps à parler à la première personne. Quand il expliqua qu'il avait fait son choix, Célia acquiesça de la tête en prenant les livres que lui donnait l'homme face à elle. « C'est un très bon choix. Laissez-moi vous les préparer. » Elle se dirigea vers son comptoir. Elle posa les livres avec délicatesse sur le bois puis elle s'empara d'une feuille beige en papier recyclé. Elle coupa les étiquettes puis elle posa les ouvrages sur la feuille pour les recouvrir tout en jetant un regard à son client qui avait reprit la parole. « Effectivement, je suis la propriétaire. » A ce moment-là, le client les salua avant de quitter la boutique en promettant de revenir le lendemain avec son épouse. Cela faisait deux jours que cet homme d'une soixantaine d'années venait dans sa boutique. Il aimait la peinture de Gabriel. Et Célia, savait qu'il allait finir par l'acheter. Mais elle lui laissait du temps. Cela ne servait à rien de brusquer un éventuel client. Le coup de foudre était là. Elle laissait donc faire la magie. Et elle ne doutait pas qu'elle allait opérer. Célia esquissa un sourire après avoir salué le vieil homme puis elle reposa à nouveau ses yeux sur l'homme qui se trouvait à présent devant elle. Son sourire était encore plus présent quand elle entendit ce qu'il lui disait. « Je suis ravie de vous entendre dire ça. En général, quand je dis que je possède une boutique d'antiquités, on me regarde toujours avec un air sceptique. Mais j'aime les objets anciens. Ils racontent tous une histoire. Et comme vous, je trouve ça fascinant. C'est tellement enrichissant. J'apprends encore des choses à chaque fois que je découvre un nouvel objet. » Elle referma le papier sur les livres, le nouant avec une ficelle en chanvre. « Parfois mes amis me disent que j'aurais du vivre à une autre époque. Ils n'ont peut-être pas tort. J'adore les années 50/60. J'écoute encore Ray Charles, Otis Redding. Je ne pourrais même pas dire vous dire ce qui est à la mode dans les boites de nuit. » Elle fit une petite moue. Désespérée ? Ou désespérante ? Célia ne le savait pas. Quoiqu'il en soit, elle avait toujours été différente de ses amis. Mais ne pensait pas que cette différente était malvenue, loin de là.
Plus il observait les lieux, plus Axel avait l’impression que cet endroit se situait hors du temps et de l’espace. Rien ne permettait d’affirmer avec certitude qu’il ne venait pas d’effectuer un saut dans le passé, comme s’il existait une brèche du continuum espace temps à l’entrée de cette boutique. Ce point de vue était amusant et le laissait incontestablement rêveur. Poliment, il adressa également un léger signe de tête au client qui venait de les saluer avant de reporter toute son attention sur la jeune femme. « Je suis ravie de vous entendre dire ça. En général, quand je dis que je possède une boutique d'antiquités, on me regarde toujours avec un air sceptique. Mais j'aime les objets anciens. Ils racontent tous une histoire. Et comme vous, je trouve ça fascinant. C'est tellement enrichissant. J'apprends encore des choses à chaque fois que je découvre un nouvel objet. » Il n’y avait pas à dire, Axel la trouvait touchante. Elle était d’un naturel déconcertant et la douceur et la gentillesse qui émanaient d’elle en faisaient une femme en apparence sensible et délicate. Pourtant, malgré son regard brillant et son sourire tendre, quelque chose manquait. Axel n'aurait pas su dire quoi, mais cela se voyait. Son regard se posa sur les doigts fins de la demoiselle qui était en train de soigneusement emballer ses livres. « Parfois mes amis me disent que j'aurais du vivre à une autre époque. Ils n'ont peut-être pas tort. J'adore les années 50/60. J'écoute encore Ray Charles, Otis Redding. Je ne pourrais même pas dire vous dire ce qui est à la mode dans les boites de nuit. » Il leva le regard vers elle et esquissa un sourire imperceptible. Non, il ne pouvait pas lui dire. Leurs deux mondes étaient diamétralement opposés et le sien semblait beaucoup plus beau et doux que celui d’Axel. Ce dernier ne tarda pas à retrouver le sourire, chassant ses sombres pensées de son esprit. Il hocha la tête pour approuver et répondit : « Oui, j’imagine que ce devait être une belle époque. Quant à vos goûts musicaux, ils sont des plus exquis. Ce sont des voix intemporelles. Et pour être tout à fait honnête avec vous, j’ai appris à jouer du piano sur du Ray Charles et ma toute jeune fille connaît la plupart de ses chansons.» A force d’entendre Axel les écouter, la petite Emily finissait par les connaître également. Et bien que son répertoire soit majoritairement influencé par les princesses Disney, elle n’avait aucun mal à apprécier celui de son père. Bref, tout ça pour dire qu’Axel ne pouvait qu’être réceptif à tout ce que la jeune femme lui racontait. Il la trouvait vraiment touchante et appréciait cette petite parenthèse plus que de raison. C’était agréable de pouvoir échanger avec quelqu’un comme elle… et indéniablement, en dehors de leur troublante ressemblance physique, elle n’avait rien à voir avec Sarah. « J’aime votre univers. Et votre boutique est une bien belle découverte à mes yeux. Je suis déçu de ne pas avoir eu le plaisir de la connaître plus tôt. » Mais de toute évidence, Axel n’avait pas l’intention de disparaître dans la nature. Au contraire, il allait certainement revenir dans les jours et les semaines à venir non seulement pour voir s’il n’y avait pas de nouvelles merveilles à découvrir, mais aussi pour pouvoir de nouveau échanger avec la charmante propriétaire des lieux. « Vous vivez ici depuis longtemps ? » Simple curiosité. Axel avait cette fâcheuse manie de beaucoup parler, simplement car il aimait en apprendre davantage sur les gens. Ce n’était pas de la curiosité mal placée mais un véritable intérêt envers ceux avec qui il avait l’opportunité d’échanger.
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Dernière édition par Axel Westlake le Dim 26 Juin - 15:03, édité 1 fois
Ce qu'elle aimait le plus dans son métier, c'était de pouvoir partager sa passion. Partager une sensation, une connaissance. Bien longtemps, elle n'avait opté que pour la science, régulière, sans compromis, qui régissait le monde et nos actions. Ces dernières années, elle avait appris à apprécier la vie telle qu'elle se présentait : comme un cadeau. Il n'y avait rien de matériel dans tout ça, juste des sensations, des émotions. Des choses qui vous marquent bien plus fortement qu'un cadeau, une marque matérielle, de l'argent. Les choses qui nous rendaient heureux ne s'achetaient pas. On devait les trouver au quotidien, ici et là. Dans un sourire, une poignée de main, un regard, une conversation. Célia était persuadée que le bonheur, c'était ça. Il fallait trouver sa place au lieu de chercher à s'en faire une de force. Avec ce qui s'était passé dans sa vie, elle avait finalement appris à relativiser. La vie était trop courte, trop précieuse pour s'attarder sur des futilités. Elle n'aimait pas entrer dans un moule. Elle ne regardait quasiment pas la télévision, elle ne passait pas son temps dans les boutiques de vêtements. Elle ne prenait pas son animal de compagnie pour un objet. Elle se maquillait très rarement, s'habillait avec ce qui la mettait à l'aise. Bref, elle était elle. Et parfois elle détonnait. Oui, elle ne s'habillait pas à la dernière mode, elle ne conduisait pas de voiture, elle n'écoutait pas de techno. Elle n'aimait pas les artifices. Et sa boutique en était le parfait reflet. Quand on s'attardait dans sa boutique, on découvrait l'univers de sa propriétaire. Et chaque client entrait de plein pieds dans sa vie. Comme le faisait ce visiteur bibliophile. Et parfois, elle avait de belles surprises. Surprise de se sentir un peu sur la même longueur d'ondes. Et c'était ce qui se passait.Célia esquissa un autre sourire aux paroles de l'homme. Ainsi elle n'était pas la seule à apprécier ces chanteurs. « Vraiment ? Cela fait une éternité que je n'ai pas joué du piano. » Et cela lui manquait. Elle n'avait pas la place pour avoir un piano chez elle. Elle préférait son piano qui avait une grande place dans sa vie. Le compagnon de ses moments solitaires. « Votre fille a de la chance d'avoir un père qui peut lui faire découvrir ce genre de musique. » La jeune femme glissa doucement une carte sous le nœud de ficelle qu'elle venait de faire. La carte de sa boutique. Elle faisait ça à chaque achat. Une façon pour elle de garder le contact avec ses clients et de la fidéliser. « Mais j'imagine qu'elle vous demande aussi des chansons de Walt Disney, n'est-ce pas ? » Demandait la jeune femme avec un sourire. Et c'était bien normal après tout. Elle restait une petite fille. Bien que Célia ne savait pas vraiment quel âge pouvait avoir cette petite miss. Elle même avait des enfants dans son entourage et en ce moment, c'était la folie Zootopie et Dory. Célia glissa le paquet vers l'homme qui lui faisait toujours face alors qu'il reprenait la parole. Cela lui faisait plaisir d'entendre ce genre de paroles. « Merci. » Et elle était sincère. Sa boutique, c'était son bébé. Elle était toujours très fière, d'en entendre du bien. « Ne soyez pas déçu, je suis sûr que si vous repassez, vous allez avoir de nouveaux coups de cœur. » Parce qu'elle faisait de nombreuses adjudications. Elle assistait à de nombreuses enchères. Et Célia avait toujours des coups de cœur. Rares étaient les fois où elle repartait sans rien, les mains vides. Ou alors c'était parce qu'elle laissait parler un peu trop souvent son cœur. A sa question, elle fut un peu surprise mais pas tant que ça. « Depuis quelques années oui. Mais j'ai voyagé un peu pendant mes études et j'ai passé des étés en Afrique comme bénévole. » Mais c'était un peu tout. C'était peut-être un de ces regrets : ne pas avoir visiter autant de pays qu'elle n'aurait voulu. Mais bon, elle n'avait que trente ans, elle avait encore l'opportunité d'en découvrir, probablement. « Et vous ? Anglais pure souche si je comprends bien. Mais j'imagine que vous avez voyagé avant d'arriver ici. » C'était l'impression qu'elle avait en le regardant, sans savoir vraiment pourquoi.
« Vraiment ? Cela fait une éternité que je n'ai pas joué du piano. » Axel pencha légèrement la tête sur le côté, à la fois amusé et intrigué de constater que leurs passions communes ne se limitaient pas aux livres anciens et aux chanteurs d’autres décennies. Pour sa part, il avait appris à jouer du piano très jeune et avait même intégré le conservatoire national de Londres lorsqu’il était enfant. Bien qu’autodidacte, il y avait appris à appréhender la musique d’une manière nouvelle et bien plus rigoureuse. Désormais, il était ravi de constater qu’Emily s’intéressait de plus en plus à la musique. Jamais il ne lui forcerait la main pour apprendre, elle le ferait uniquement si elle en avait envie. Toutefois, la petite fille avait déjà quelques notions de l’instrument fétiche de son père et se plaisait à jouer quelques notes avec fierté dans l’unique but de l’épater. « Votre fille a de la chance d'avoir un père qui peut lui faire découvrir ce genre de musique. Mais j'imagine qu'elle vous demande aussi des chansons de Walt Disney, n'est-ce pas ? » Alex haussa les yeux au ciel avec amusement. Par la force des choses, il les connaissait toutes sur le bout des doigts. Dans son salon, Bach avait peu à peu laissé place aux mélodies du Roi Lion et de la Reine des Neiges… entre autres. « Ne m’en parlez pas, je suis convaincu de faire un sans faute au blind test Disney. Cela dit, jouer la petite sirène au piano peut s’avérer particulièrement distrayant. » Un léger rire s’échappa de ses lèvres avant qu’il ne se permette de nouveau quelques remarques au sujet de la boutique. Vraiment, cet endroit lui plaisait beaucoup et il avait la ferme intention de revenir dans un futur proche. « Ne soyez pas déçu, je suis sûr que si vous repassez, vous allez avoir de nouveaux coups de cœur. » - « J’en suis certain…» Difficile de savoir précisément à quel genre de coup de cœur il faisait allusion tant son intérêt pour la jeune femme grandissait. Maintenant qu’il en savait un peu plus sur son univers, Axel était curieux d’en apprendre davantage sur ses origines. Depuis qu’il vivait ici, il avait eu l’occasion de rencontrer bon nombre d’expatriés qui comme lui, souhaitaient s’offrir une nouvelle vie. « Depuis quelques années oui. Mais j'ai voyagé un peu pendant mes études et j'ai passé des étés en Afrique comme bénévole. » Et bien !! Cette demoiselle était décidément pleine de surprises. En un sens, Axel n’était pas vraiment étonné d’apprendre qu’elle ait pu être bénévole en Afrique. Célia était une jeune demoiselle particulièrement surprenante et il émanait d’elle une incroyable douceur à laquelle personne n’aurait pu demeurer insensible. L’intérêt qu’elle portait aux autres et sa manière d’appréhender le monde en général en faisait une jeune femme tout à faire exceptionnelle. A bien des égards, elle semblait sortir du lot. Plus il l’écoutait, plus Axel avait l’impression qu’elle était irréelle. Elle lui faisait penser à ces personnages de romans qu’il affectionnait tant… « Et bien, et bien … vous m’avez tout l’air d’être une personne remarquable et profondément généreuse. Beaucoup en parlent mais rares sont ceux à avoir le courage d’aller au bout de la démarche. Je suis sincèrement admiratif. Heureusement qu’il existe des personnes comme vous.» Axel aurait aimé faire du bénévolat. Sarah était partie en mission humanitaire une fois… elle aurait aimé qu’il puisse l’accompagner mais Axel était en mission à l’autre bout de la planète et avait été contraint de décliner sa demande. Toutefois, Sarah avait fini par y renoncer également, estimant que les conditions d’hébergement serait bien trop insalubres à son goût… tssss… elle n’avait décidément pas la fibre humanitaire. « Et vous ? Anglais pure souche si je comprends bien. Mais j'imagine que vous avez voyagé avant d'arriver ici. » Anglais de pure souche, non… Techniquement parlant, il ne l’était pas. Son père était New-Yorkais, sa mère anglaise. Mais bien qu’ayant servi sous le drapeau américain, Axel avait passé la majeure partie de sa vie à Londres. « Hum…j’ai effectivement eu l’occasion de voyager au cours de ma carrière. J’étais militaire, alors forcément… » Axel se garda bien de préciser quelle était sa véritable fonction dans l’armée. Il n’était pas certain qu’elle puisse comprendre sans émettre le moindre jugement. Lui-même se demandait parfois comment il avait eu le cran d’accomplir certaines des missions qui lui avaient été confiées. Enfin… « Mais étant d’un naturel profondément curieux, j’aime partir à l’aventure afin de découvrir de nouveaux pays, de nouvelles coutumes… Dès que j’en ai l’occasion, je saute dans un avion et entame un nouveau périple. Le monde regorge de merveilles bien souvent ignorées par les hommes.»
Oui, cela faisait une éternité qu'elle ne s'était pas assise devant un piano. Une éternité qu'elle n'avait pas joué le moindre morceau. Elle jouait davantage plus jeune. C'était une façon pour elle de s'évader, de sortir la tête de ses bouquins de médecine. La seule occupation qui arrivait à la distraire en période d'examens, en dehors des sorties avec sa sœur. Maintenant, il était plus rare de pouvoir en jouer. Elle n'en avait pas. Elle jouait quand elle allait voir ses parents, ce qui était de plus en plus rare ces derniers temps. Elle avait un peu trop de boulot à la boutique. Et à vrai dire, elle préférait les éviter et éviter les éternelles questions qui revenaient sans cesse sur le tapis. Elle n'avait pas besoin de ça en ce moment. Célia se mit à rire doucement aux propos de son client. Elle l'imaginait bien entrain de pianoter pour sa fille. « C'est adorable. Je suis sûre que vous entendre jouer « Sous l'océan », doit être un moment inoubliable. » Elle rigolait mais ce n'était pas de la moquerie. Loin de là, ça l'amusait. Et elle trouvait ça adorable qu'un père fasse ça pour sa petite fille. Son père ne s'intéressait pas à la musique. Et elle avait appris quasiment seule chez elle ou avec son professeur de musique à l'école. Cela lui avait manqué. Bien qu'elle avait partagé ça avec sa sœur. Un fin sourire sur les lèvres, elle se rappelait des après-midi qu'elle avait passé à l'hôpital dans le service pédiatrique, à chanter quasiment toutes les musiques des Disney. « J'ai passé des après midi entières dans un service pédiatrique à chanter ce genre de chansons, alors je comprends. Quand les enfants sont lancés, on a parfois un peu de mal à les arrêter. » Elle en avait appris pas mal avec ses petits patients. Le Roi Lion, Aladdin, Mulan, etc. Elle devait les connaître par cœur encore aujourd'hui. Cela lui manquait tout ça. Cette innocence dans le regard des enfants. Cet espoir pour ce monde qu'ils apprenaient à connaître. Puis elle reposa ses yeux verts sur l'homme qui avait repris la parole. « Oh vous savez, il n'y a rien de remarquable. Je pense que lorsqu'on a la possibilité de tendre la main à quelqu'un, on doit le faire. Et puis, mon meilleur ami est médecin. Il allait là-bas en mission humanitaire. Alors je l'ai accompagné. J'ai tout aimé là-bas. Ils ont très peu, mais ils donnent beaucoup. C'est gratifiant de se sentir utile. De savoir que quelque part, on a besoin de nous. Et puis, ils en ont tellement besoin. » Partir lui avait fait du bien. Cela lui avait permis pendant toutes ces années, à garder la tête froide, à relativiser. Après la mort de Timothée, cela l'avait aidé à ne pas sombrer. Tous ces enfants qui avaient besoin d'elle, qui ne demandaient qu'un peu d'attention. « Cela me rappelle chaque jour, que je n'ai aucun droit de me plaindre et que je dois simplement profiter de ce qui m'est offert. Le plus important, ce n'est pas la richesse matérielle, mais ce qu'on apprends sur soi et sur les autres. » Le bénévolat avait permis à Célia d'apprendre à se connaître, à s'écouter et à chercher ce dont elle avait vraiment besoin, de ne pas se faire happer par la société de consommation, de toute cette overdose de richesses qui n'était, finalement pas utile pour être heureuse. Puis Célia écouta son visiteur lui expliquait qu'il avait voyagé grâce à son métier . Il avait fait parti de l'armée. Ce qui expliquait ses déplacements fréquents. Enfin, on ne pouvait pas non plus parler de « voyage », parce qu' à chaque fois qu'il se déplaçait, c'était pour mettre sa vie en danger... Ce n'était pas des moments pendant lesquels il pouvait profiter du paysage. « Je suis bien d'accord avec vous. J'adore voyager également, même si je n'en ai pas trop la possibilité en ce moment. Vous devez en profiter plus que moi. » Un nouveau sourire s'afficha sur les lèvres de l'antiquaire. Si elle pouvait, elle partirai tous les week-end. Seulement c'était compliqué. « Votre fille et votre compagne vous accompagnent, j'imagine. Cela doit donc être plus agréable. » Elle, quand elle partait, elle aimait y aller en solitaire. C'était différent. Elle s'était dit à plusieurs reprises qu'elle aurait du proposer un voyage à sa sœur mais bon, pour l'instant ce n'était plus à l'ordre du jour. D'autant plus qu'elles ne s'étaient pas parlés depuis un bon moment.
Il n’y avait pas à dire, Axel se plaisait sincèrement à converser avec cette charmante demoiselle à l’existence peu commune. Plus il l’écoutait, plus il avait envie d’en apprendre davantage sur elle, sur ses passions et sur son histoire. A croire que tout en elle suscitait l ‘admiration et de toute évidence, Axel la trouvait fascinante. Et particulièrement touchante. « J'ai passé des après midi entières dans un service pédiatrique à chanter ce genre de chansons, alors je comprends. Quand les enfants sont lancés, on a parfois un peu de mal à les arrêter. » L’espace d’un instant, il fut tenter de lui demander si elle avait travaillé dans un tel service, puis jugea que la question était potentiellement déplacée. Après tout, il ne savait rien de son histoire et il ne tenait pas à commettre une lamentable erreur en l’incitant à évoquer de douloureux souvenirs. Qui sait ? Peut-être était-elle maman et l’un de ses enfants avait peut-être été contraint de séjourner en pédiatrie un certain temps. C’était un peu trop risqué à son goût. Aussi, Axel se contenta d’hocher la tête et d’esquisser un petit sourire amusé à l’idée de l’imaginer chanter du Disney, entourée de nombreux gamins. Quoi qu’il en soit, elle évoquait cette expérience avec une petite lueur dans le regard qui laissait entendre que cette période ne la laissait pas indifférente. Elle semblait avoir un cœur en or et cette impression se confirma lorsqu’elle évoqua son séjour en Afrique. Il y avait là de quoi être admiratif, d’autant qu’Axel n’avait jamais eu l’occasion de servir une si noble cause. « Cela me rappelle chaque jour, que je n'ai aucun droit de me plaindre et que je dois simplement profiter de ce qui m'est offert. Le plus important, ce n'est pas la richesse matérielle, mais ce qu'on apprends sur soi et sur les autres. » Cette fille allait finir par le rendre fou. Non, elle ne ressemblait définitivement pas à Sarah… Elle était bien trop belle, bien trop pure également. Il y avait toujours cette même étincelle scintillant dans son regard, tandis que les mots franchissaient la barrière de ses lèvres. Discuter avec elle était vraiment déconcertant. Pour peu, il en aurait presque oublié la raison l’ayant poussée à entrer dans cette petite boutique. Il y avait cette petite chose en elle qui l’intriguait, le fascinait. Cette chose qu’il souhaitait comprendre. Pour un peu, il aurait même culpabilisé à l’idée d’être autant fasciné par une créature féminine, aussi pur ce sentiment soit-il. « C’est une bien belle philosophie de vie. Malheureusement, rares sont les personnes à avoir conscience de leur propre bonheur. Moi-même j’ai parfois du mal à me détacher de certaines commodités matérielles qui dans le fond, n’ont aucune espèce d’importance. Je pense qu’il est important de savoir se recentrer par moment et de ne pas perdre de vue que notre passage sur terre n’est qu’éphémère. Alors autant profiter des personnes qui nous entourent à leur juste valeur plutôt que de s’embarrasser avec de faux problèmes. Vous avez l’intention de repartir ? » demanda-t-il avec un réel intérêt. Certaines personnes ayant la fibre humanitaire se lançaient dans de beaux projets sur le long terme. Peut-être avait-elle pour objectif d’y retourner, ou peut-être que cet ami médecin s’y rendait encore parfois. Voyager était une chance. Le faire dans le but de donner de son temps à d’autres était admirable. Axel avait beaucoup voyagé à la fois dans le cadre de son service, mais également parce qu’il était un aventurier dans l’âme et qu’il aimait partir à la découverte de nouvelles cultures. Les souvenirs de ses voyages étaient ses biens les plus précieux et pour rien au monde il n’aurait manqué une occasion de pouvoir s’enrichir humainement parlant. « Je suis bien d'accord avec vous. J'adore voyager également, même si je n'en ai pas trop la possibilité en ce moment. Vous devez en profiter plus que moi. Votre fille et votre compagne vous accompagnent, j'imagine. Cela doit donc être plus agréable. » Axel pencha légèrement la tête sur le côté et afficha une petite moue qui laissait entendre qu’elle se trompait. Oh le sujet n’avait rien de délicat, mais il ne pouvait décemment pas affirmer effectuer ces petits voyages en famille car c’était faux. « J’imagine que voyager en famille doit être une expérience plutôt agréable. Je n’ai jamais eu cette chance. » Il esquissa un sourire amusé puis haussa les épaules avec désinvolture afin qu’elle ne se sente surtout pas gênée de l’avoir entrainé sur un terrain aussi glissant. Mais bon, Axel n’avait rien à cacher et cet épineux sujet n’en était finalement pas un. Les choses étaient ainsi faites, voilà tout. « Mon ex-future femme et moi nous sommes séparés juste après la naissance de notre fille. Sarah est une personne admirable mais extrêmement individualiste et les voyages n’ont jamais vraiment été sa tasse de thé. » D’ailleurs, bien que vivant à Londres, elle n’envisageait pas une seule seconde de venir à Brisbane rendre visite à Emily. Elle était ce genre de mère qui finalement, préférait faire passer sa carrière en priorité. Qu’importe. Si Emily en souffrait parfois, elle n’en était pas moins heureuse de partager le quotidien de son père qu’elle considérait comme une sorte de prince charmant des temps modernes. Axel savait qu’elle aurait tôt ou tard besoin d’une présence féminine et que malheureusement, Sarah ne serait peut-être pas disposée à lui accorder du temps, mais pour l’instant leur petite vie à deux semblait parfaitement leur convenir, à l’un, comme à l’autre. « Pour tout vous dire, elle vit à Londres tandis qu’Emily et moi habitons ici depuis près de trois ans. Je n’ai encore jamais eu l’occasion de voyager avec ma fille mais nous envisageons sérieusement d’effectuer un petit séjour en Europe l’été prochain. J’imagine que l’idée de passer quelques jours dans un célèbre parc d’attractions saura la séduire. » De nouveau, il esquissa un petit sourire, amusé. « Hum, vous avez des enfants ? » demanda-t-il avant de sortir son portefeuille de la poche de sa veste pour pouvoir régler la jeune femme. En jetant un rapide coup d’œil à l’extérieur, Axel se rendit compte que la nuit tombait déjà. Diable, combien de temps était-il resté ici, à discuter ? « La boutique ferme à quelle heure ? »
Célia a toujours eu beaucoup de mal à rester assise à ne rien faire. Sauf bien sûr quand il s'agissait de ses études, mais là c'était quand même diamétralement différent. En dehors de ça, la jeune femme avait toujours eu la hantise de gâcher ses journées. Elle n'aimait pas perdre ses journées à ne rien faire alors plus elles étaient remplies et mieux c'était. Et puis, après l'arrêt de la médecine, elle avait encore eu plus besoin de s'occuper l'esprit. Alors elle avait repris la sport. Elle s'était inscrite à un atelier de menuiserie. Et puis, peu à peu, elle avait retrouvé le courage d'aller à l'hôpital, parce que les enfants la réclamaient et qu'elle leur manquait. Alors elle était revenue. Son cœur à chaque fois était mis à rude épreuve mais elle gardait le sourire. Parce qu'au final, c'était eux qui étaient malades. Elle, elle allait repartir chez elle à la fin de la journée. Alors elle prenait sur elle, encore une fois. Et encore une fois, ces enfants lui donnaient une superbe leçon de vie. Alors elle réapprenait à sourire et à ouvrir son cœur comme elle l'avait fait autrefois. Ces dernières semaines, son emploi du temps était assez rempli , surtout avec l'ouverture du refuge et de l'accueil de tous ces petits pensionnaires. Mais Célia venait quand même à l'hôpital, au moins une fois par semaine. Cela lui faisait du bien. Il lui en fallait peu pour être heureuse. Un peu comme le dicton de Baloo dans le Livre de la Jungle. La jeune femme ne rêvait pas de gloire, d'argent. Elle voulait simplement être en harmonie avec sa vie, ses choix et ses convictions. Aux paroles de son visiteur, elle haussa un peu les épaules. « Je pense également qu'il faut savoir se recentrer sur le principal. Cela ne fait jamais mal de se remettre en question. Au contraire, je pense que c'est ce qui nous fait avancer. Il ne faut jamais rien prendre pour acquis. » En tout cas, c'était sa conviction. Que ce soit au niveau de ses relations avec les autres ou sur le regard qu'elle portait sur elle-même. La jeune femme avait traversé pas mal de tempête. Elle avait failli chavirer à la mort de Tim. Elle était à deux doigts de plonger, de se laisser aller. Mais elle n'avait pas le droit. Parce qu'elle vivait, elle respirait. Et chaque jour elle pouvait employer cette énergie à bon escient : pour faire sourire quelqu'un, aider une autre personne, pour simplement tendre la main. Et chaque petite chose comme ça, la faisait avancer chaque jour un peu plus. « Je compte effectivement repartir. Avec des amis nous sommes entrain d'organiser le rapatriement de plusieurs enfants du Mali afin de les faire opérer ici à Brisbane. Cela met pas mal de temps mais tout est presque prêt. D'ici un petit mois, on pourra les ramener ici et leur offrir une nouvelle vie. En tout cas, je l'espère. » Et Duncan aussi. Ils avaient pas mal travailler pour que tout cela se fasse. Duncan surtout, en ouvrant son dispensaire, il avait mis la pierre finale à l'édifice. Maintenant, il fallait juste attendre que toutes les parties étaient disponibles pour aller là-bas. Puis la conversation aborda la famille de l'homme. Enfin, cela semblait plus compliqué qu'elle ne le pensait, apparemment. Elle voyait le visage de son visiteur faire une petite moue, signe qu'elle venait de se tromper dans ses propos mais qu'il ne lui tenait pas particulièrement rigueur. Elle était un peu gênée d'avoir posé cette hypothèse. Mais en fin de compte, elle en apprenait un peu plus sur lui. Et il était assez à l'aise avec elle pour lui faire certaines confidences. « Et bien j'espère que vous allez profiter de cet été avec votre fille. Je suis certaine qu'elle va adorer les parcs d'attraction. » Tous les enfants les aimaient. Enfin même si elle, elle préférait les réserves naturelles. Là où elle pourrait observer certains animaux, participant aux plans de sauvegarde des espèces. « Il y a tellement de choses à voir en Europe. Je suis sûre qu'elle va aimer. » Cela lui rappelait que ça faisait une éternité qu'elle n'avait pas été en voyage. Cela lui manquait un peu. Mais maintenant, c'était plus compliqué. Elle avait encore des tas de projets à mettre en place et un rôle de futur tata à prendre. Et ça, c'était une grande première. Pas certaine qu'elle soit à l'aise au début. Puis à sa question, elle releva ses yeux verts sur lui. Cette question la surprenait mais pas tant que ça. « Non malheureusement. Je n'ai pas cette joie. » Pas le bon moment, pas la bonne personne jusque là. La vie quoi. « C'est peut-être pour ça que je m'occupe de ceux des autres... » Ajouta la jeune femme avec un air légèrement triste. Elle repensait à Timothée et bien qu'elle ne l'avait pas porté pendant neuf mois, il avait été comme son fils. Et elle en portait encore le deuil. L'idée d'avoir un enfant ne lui déplaisait pas, contrairement à quelques années auparavant. Elle se sentait prête. Mais pour concrétiser tout ça, elle devait penser à sa vie sociale, sentimentale et surtout amoureuse. Et pour l'instant, c'était un peu la traversée du désert. Célia s'empara de l'argent que lui tendait son visiteur alors qu'il posait une nouvelle question. Elle jeta un œil à l'horloge ancienne au dessus de la porte d'entrée. « Elle est fermée depuis dix-sept minutes » Répondait l'antiquaire avec un sourire. Elle rendait ensuite la monnaie à son visiteur. Quand on passait un bon moment, le temps passait beaucoup plus vite. En tout cas elle, elle avait passé un agréable moment et elle imaginait que l'homme qui lui faisait face, aussi.
A mesure de leur conversation, des millions de questions se bousculèrent dans son esprit mais, même si elle semblait y répondre avec plaisir, Axel ne souhaitait pas aller trop loin au risque de se montrer intrusif. Peut-être aurait-il l’occasion de la découvrir peu à peu au fil de leurs rencontres. Ou pas. Peut-être qu’elle resterait pour toujours la mystérieuse inconnue de la boutique d’antiquités. Il trouvait cette situation un brin poétique et comme il l’avait pensé quelques instants auparavant, Célia avait l’étoffe d’une héroïne de roman tragique et romantique. Elle lui plaisait beaucoup et chaque détail aussi insignifiant soit-il qu’il découvrait à son sujet la rendait plus merveilleuse encore. Elle était bien mystérieuse en tout cas et Axel aurait volontiers prolongé cet instant durant des heures. « J’espère que vous pourrez aller au bout de ce beau projet et permettre à ces enfants de retomber dans l’insouciance. » Aucun enfant sur cette planète ne devrait avoir à subir les souffrances et l’inquiétude liées à la maladie. C’était d’autant plus difficile pour les familles lorsque l’accès aux soins était relativement limité voire totalement inaccessible. Il n’y avait pas à dire, elle servait une bien noble cause et il ne pouvait qu’être admiratif face à tout ça. Elle était décidément très belle, dans tous les sens du terme. « Et bien j'espère que vous allez profiter de cet été avec votre fille. Je suis certaine qu'elle va adorer les parcs d'attraction. » Oh cela ne faisait pas l’ombre d’un doute ! Pour sa part, Axel était davantage attiré par les excursions en montagne, la découverte de paysages nouveaux, la culture du pays etc… mais bien entendu, la perspective de passer deux ou trois jours au cours de ce voyage à manger des glaces et faire des tours de montagnes russes avec sa fille ne pouvait que l’enchanter. « Il y a tellement de choses à voir en Europe. Je suis sûre qu'elle va aimer. » Axel avait l’intention de l’emmener visiter la France, l’Italie et pourquoi pas les îles Grecques. Même si Emily était encore bien jeune, il voulait se créer avec elle d’éternels souvenirs et la sortir de son quotidien. Par chance, elle était une petite fille curieuse et ouverte aux autres. Un peu trop parfois… « Je l’espère… quoi que je ne m’inquiète pas trop à son sujet, elle fait constamment preuve d’une immense curiosité envers le monde. » Oui, elle était parfaite. Mais quoi de plus normal aux yeux d’un papa totalement objectif quant à sa précieuse progéniture ? Curieusement, il se demanda si Célia avait des enfants. Elle parlait d’eux avec une immense tendresse qui lui laissa penser que c’était effectivement le cas. Elle les aimait beaucoup, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute. Mais contrairement à ce qu’il imaginait, elle lui fit savoir que non et que c’était sans doute la raison pour laquelle elle prenait soin de ceux des autres. C’était une bonne explication, en effet. «Et vous semblez vous y prendre de manière remarquable. Je ne vous cache pas que je suis assez surpris pour ne pas dire admiratif face à un tel engagement. J’imagine que ça ne doit pas être évident pour vous de tout gérer en même temps. Je veux dire entre la boutique et tous vos merveilleux projets, vous devez certainement faire preuve d’une grande disponibilité.» Pour sa part, il avait déjà bien du mal à déterminer à quel moment faire ses courses alors s’imaginer gérer à la fois sa vie professionnelle, ses engagements externes et tout le reste semblait relever du prodige. Cela dit, à force de parler, Axel se rendit compte qu’il était peut-être en train d’abuser du temps de sa charmante interlocutrice. Incontestablement, il aurait pu continuer à parler ainsi toute la soirée et même toute la nuit. Les problèmes du quotidien semblaient avoir perdu toute leur importance aux côtés de Célia. Elle avait su le faire s’évader le temps de quelques minutes vers un monde plus beau et plus tendre que tout ce qu’il connaissait jusqu’à lors. C’est exactement ce dont il avait besoin ces derniers temps. « Je vous prie de m’excuser, je ne voulais pas abuser de votre temps. J’imagine que vous avez encore pas mal de travail mais … est-ce que ça vous dirait d’aller marcher un peu ? Ne vous sentez pas obligée d’accepter, je comprendrais parfaitement votre refus…» Axel prit délicatement son paquet entre les mains, en attendant une réponse de la part de son adorable interlocutrice. Il espérait sincèrement qu’elle accepte de le suivre, ne serait-ce qu’un tout petit moment. Elle ne craignait absolument rien avec lui, rien du tout. Aussi, se contenta-t-il de l’observer avec douceur dans l’optique, ou non, de partir d’ici en sa compagnie. De toute façon, tant qu’il sera en sa présence, il n’arrivera à rien d’autre que vouloir tout savoir sur elle. « J’ai simplement envie de prolonger cet instant encore un peu… C'est juste que...je me sens bien avec vous. »
Cette conversation était plaisante. La journée touchait à sa fin. Et Célia avait plus de temps à consacrer à son visiteur. Et puis même en pleine journée, la jeune femme appréciait échanger avec les visiteurs qui franchissaient le seuil de sa boutique. Elle aimait partager sa passion, faire découvrir son monde. Et parfois, la discussion allait un peu plus au delà de ce qui se trouvait dans la boutique. Comme c'était le cas ce soir-là. Célia avait pris la parole, échangeant sa passion, ses expériences. C'était agréable de se savoir écouté ou même comprise. Et puis, elle parlait de sujets qui lui tenaient à cœur. « Je l'espère aussi. Nous sommes là pour ça après tout, leur redonner l'insouciance à laquelle ils ont droit. » Certains enfants avaient de lourdes pathologies. Des pathologies qui les condamnaient dans leur pays d'origine. Parce que les médecins locaux n'avaient pas les connaissances ou les moyens de les soigner comme il le fallait. Voilà pourquoi Duncan avait décidé de changer la donne. Et quand il lui avait proposé son aide, elle avait tout de suite accepté parce qu'il savait que ce pays comptait beaucoup pour la jeune femme. Parce qu'elle avait crée des amitiés là-bas. Qu'elle avait rencontré des familles entières qui avaient désespéramment besoin qu'on leur vienne en aide. Ils avaient les moyens de le faire alors pourquoi attendre ? Si elle avait encore été médecin, il était certain qu'elle aurait passé ces dernières semaines en Afrique, à mettre tout ça en place. C'était peut-être ça qui lui manquait de son ancien métier. Le contact humain. Enfin, elle le remplaçait par celui qu'elle pouvait avoir dans sa boutique d'antiquités. Avec des personnes qui partageaient les mêmes passions. Aux paroles de son client, un nouveau sourire s'afficha sur les lèvres. « C'est une enfant, la curiosité est dans leur nature. Si en plus, la génétique vient se mêler à tout ça, je ne doute pas que votre petite fille trouvera toutes les réponses à sa curiosité. » Il était certain que si la petite Emily tenait de son père, elle allait être curieuse de tout. Mais c'était ce qui était le plus intéressant. Quand un enfant arrivait à poser des questions sur tout ce qu'il voyait, voulant connaître davantage le monde qui l'entoure. C'était quelque chose qui l'avait toujours agréablement surprise. « Et puis les voyages sont enrichissants. Elle va adorer découvrir le monde. » Elle n'en doutait pas. Pas du tout. Elle même adorait les voyages. Et elle ne connaissait personne qui n'aimait pas. Et d'ailleurs, elle se disait de plus en plus qu'elle devrait partir à nouveau, à l'aventure comme elle en avait autrefois l'habitude. Puis à ces mots, elle posa ses yeux verts sur lui. Elle haussa doucement les épaules. « Je fais de mon mieux. Même si je me dis souvent qu'il n'y a pas assez de vingt-quatre heures dans une journée. Mais certains projets valent la peine qu'on s'investisse à fond. Je rentre souvent chez moi très tard et je n'ai jamais vraiment de week-end mais ce n'est pas grave. La vie est courte, il faut en profiter tant que c'est possible. » Elle qui n'aimait pas rester à ne rien faire. Ses projets permettaient de lui occuper l'esprit, de ne pas songer à certaines choses qui la rendaient triste. Elle n'aimait pas broyer du noir. Et elle faisait tout pour y échapper. « Et puis, cela me permet de couper court aux questions de ma mère, qui rejoint la vôtre, à savoir les enfants. » Elle se mit à sourire. Elle avait trente ans, il était temps pour elle d'avoir un enfant. Enfin c'était ce que croyait sa mère. Maintenant que Selina était enceinte, elle allait peut-être la laisser tranquille avec ce sujet. Ou alors cela allait être totalement l'inverse, la pousser à avoir elle-aussi son enfant. L'angoisse. Cela lui aurait presque donné des sueurs froides si elle y songeait vraiment. Pour l'instant, elle avait d'autres priorités. Alors à la question de son visiteur du soir, elle secoua la tête en signe de négation. « Ne vous excusez pas. Ma journée est terminée. » Puis à sa question, elle l'observa un instant, un peu surprise. Elle entendait la voix de Jolène à ses oreilles et elle imaginait sa meilleure amie lui mettre un coup aux fesses pour qu'elle accepte la proposition qu'on venait de lui faire. D'ailleurs, un sourire s'était affiché sur ses lèvres quand elle pensa à sa meilleure amie. « Ce sera avec plaisir. » Elle clôtura sa caisse puis elle ajouta : « Mais laissez-moi le temps de fermer la boutique. Je n'en ai pas pour longtemps. » Célia le laissa prendre son paquet puis elle alla éteindre les lumières au panneau électrique. La lumière de la rue baignait encore la boutique et la jeune femme n'avait pas de mal à trouver son gilet et son sac, qu'elle posa sur son épaule. Elle enclencha ensuite l'alarme et elle sortit de la boutique accompagné de son invité du soir. D'ailleurs, elle se rendait compte qu'elle ne connaissait même pas son identité. Après avoir fermé le volet devant les vitrines de sa boutique, elle plongea ses clefs dans son sac. « Je crois qu'on ne s'est pas encore présenté. Je m'appelle Célia Scott. » Elle lui tendit la main.
Ces quelques minutes irréelles et hors du temps avaient un goût de trop peu. Axel aurait donné n’importe quoi pour prolonger cet instant magique, comme déconnecté de la réalité. Etonnant pour cet éternel solitaire… Lorsqu’elle accepta, il sentit une immense plénitude l’envahir et il acquiesça doucement, la laissant fermer sa boutique. En attendant, Axel se posta à l’extérieur, admirant le paysage urbain mais néanmoins paisible en ce début de soirée. L’air était doux et suffisamment appréciable pour s’octroyer une petite promenade en charmante compagnie. Il n’était pas capable de s’expliquer pourquoi la présence de Célia lui tenait tellement à cœur. C’était comme ça, voilà tout. « Je crois qu'on ne s'est pas encore présenté. Je m'appelle Célia Scott. » Un nouveau sourire aux lèvres, il serra délicatement la main de la jeune femme dont il connaissait désormais le nom. Il est vrai qu’il n’avait même pas pris le temps de se présenter. « Axel Westlake. C’est un vrai plaisir, Célia. » Oui, ça l’était. Sans compter qu’elle était de loin l’interlocutrice idéale, son attention était de celles dont on rêve. Son visage semblait méditer sur tout ce qui lui était dit. Elle ne se penchait pas en avant pour bondir sur la moindre pause qu’il marquait et donner son point de vue personnel avant même que la pensée ne soit arrivée à son terme, ni pour argumenter, emportée par un élan irrésistible. Toutes ces choses qui rendent le dialogue impossible en somme. Axel n’avait pas l’habitude de ça. « C’est marrant cette impression… Si je peux me permettre, j’ai l’impression de vous connaître depuis toujours. Et je ne dis pas ça à cause de la ressemblance frappante entre vous et… » Il s’interrompit, n’allait pas au bout de sa phrase. D’ailleurs, il n’aurait même certainement pas dû lui faire part de ce sentiment étrange qui l’habitait depuis qu’il était entré dans cette boutique. Mais sincèrement, il se sentait à l’aise en sa compagnie. Un peu comme on se sent en présence d’un ami bienveillant avec qui on ne voit pas le temps passer. Paquet sous le bras, il glissa ses mains dans ses poches et commença à marcher auprès de la jeune femme, appréciant la douceur de ce début de soirée. « D’un côté je voudrais comprendre, et d’un autre, je ne le souhaite pas. Je veux juste profiter de cet instant. Vous allez me prendre pour un fou…» Il laissa échapper un petit rire amusé, se rendant compte qu’elle allait finir par le prendre pour l’un de ces maniaques aux intentions douteuses. Pourtant ce qu’il venait de dire était la plus stricte vérité. A quoi bon vouloir trouver à tout prix une explication rationnelle à tout ce qui nous dépasse ? Pour une fois qu’il se sentait véritablement à l’aise en présence de quelqu’un, autant en profiter. Son regard s’attarda sur l’horizon aux couleurs nuancées. Un vrai plaisir pour les yeux. « Vous avez évoqué votre mère tout à l’heure. Vit-elle à Brisbane également ? » demanda-t-il le plus naturellement du monde. Axel avait une notion relativement limitée de la famille en générale. Il faut dire que la sienne était loin d’être un exemple ou un modèle de vertu. Il avait toujours secrètement espéré avoir un entourage solide et uni. Malheureusement pour lui, ses proches passaient leur temps à se quereller et à créer des histoires impossibles pour mieux se tirer dans les pattes. Il n’y avait aucun soutien, aucune complicité et aucun amour. Une famille désunie en somme.