Disons que je ne suis qu'aux débuts de mes résolutions consistant à ne plus tout planifier en avance. Petit pas par petit pas. Bien sûr, me voir finir par nous caler tout un itinéraire dans le parc pour aller voir le monument qui se trouve tout au bout fait bien rire Joanne. Je fais mine de lui lancer un regard mauvais et, vexé, de commencer à marcher sans elle. « Je ne sais pas si l'indécision peut être considéré comme de l'imprévisibilité. » je lui réplique lorsqu'elle se trouve à côté de moi, pour la taquiner. Je lui donne un petit coup de coude, pour lui apprendre à se moquer de moi. Notre pas est tranquille, nous rejoignons doucement le chemin qui longe la rivière. En passant près d'un homme promenant son chien, je me dis que Ben et Milo aimeraient sûrement ce parc là. Mais je crois qu'ils ne se plaignent pas de leurs balades à la plage et le long de l'esplanade, là où ils peuvent slalomer entre les arbres et sauter sur les vagues. Joanne attire mon attention en évoquant ce jour où nous nous étions donné rendez-vous dans le parc du centre-ville de Brisbane, l'après-midi d'où est tiré l'une de nos premières photos tous les deux -celle que la jeune femme a rediffusé l'autre jour, sûrement par nostalgie. « Il nous faudra une photo ici aussi alors. » Plus d'un an plus tard, tous les deux à Melbourne, continuant d'aller plus loin que nous n'aurions jamais pu le prévoir. Un mois avant que la timide Joanne soit introduite à la haute sphère anglaise, quatre mois avant notre mariage, déjà un beau bébé nous attendant à la maison et des projets de frères et sœurs plein la tête. Intrigué, je suis ma belle hors du sentier jusqu'à finir à l'ombre des arbres, un peu à l'écart. J'arque un sourcil alors qu'elle glisse ses mains dans les poches arrières de mon pantalon et décide de m'embrasser pendant de longues et langoureuses secondes. « J'ai trouvé ça plutôt plaisant aussi... » je lui réponds avec un sourire en coin en y repensant. Il semblerait que ma fiancée tenait avant tout à me donner un avant-goût de ses propres plans pour nous avant de prendre l'avion ce soir pour Brisbane. « Bientôt tu seras pire que moi. » dis-je avec un petit rire alors qu'elle me traîne de retour sur le chemin principal. La balade reprend comme si de rien n'était, main dans la main. « J'ai cru comprendre qu'ils sont très portés sur le cricket à Melbourne, il doit bien y avoir un tout petit maillot de cricket quelque part pour lui. Ou une casquette. Un truc kitch. » Je ne sais pas pourquoi c'est la première chose qui m'est venue à l'esprit en pensant à un vêtement pour Daniel. Mais je l'imagine dedans et cela me fait assez rire. « Un truc qui lui donnerait un air de « papa est anglais, maman australienne, merci au cricket d'aider à la cohabitation ». » Même si ni elle ni moi ne sommes particulièrement intéressés par ce sport, je trouve l'idée amusante. Ne perdant jamais le nord, Joanne n'oublie pas de rappeler que Daniel, autant que moi, devra porter un costume pour notre mariage -et je ferais mieux de trouver le mien. « Je m'occupe de ça. Je pense être le mieux placé ici pour savoir quel costume ira parfaitement à mon fils. » S'il me ressemble tant que ça, et vu le choix limité qui s'offre à nous, cela ne devrait pas être trop dur. Et comme Joanne pour sa robe de mariée, l'habit des deux hommes de sa vie est une surprise que j'aimerais lui faire. C'est amusant de voir que, qu'importe les circonstances, nous finissons toujours par penser à notre petit bout. « Est-ce que nous ne sommes pas supposés être en week-end juste pour nous, tu sais, poser la casquette de parents pendant deux jours ? » Et pourtant, pendant nos dernières heures à Melbourne, nous ne pensons qu'à ce que nous pourrions lui rapporter de notre séjour. « J'ai l'impression que nous sommes incapables de décrocher. » dis-je avec un petit rire. « J'ai presque envie de skyper tes parents pour voir sa bouille. » Je n'y peux rien, il me manque, mon bonhomme.

Melbourne ne m'a pas l'air d'être la plus belle ville qui soit. Du peu que j'en ai vu, en comparaison, je préfère encore Brisbane. Mais l'empreinte de la conquête anglaise est indéniable, et se devine depuis les noms des rues et leur aspect jusqu'à la culture locale et propre à la ville. Ils ont ici un immense terrain de cricket, nous pouvons le voir depuis notre river du fleuve car il se trouve juste de l'autre côté, après les arbres. Ce n'est pas un sport qui m'a un jour créé un engouement particulier, mais j'étais ben obligé de m'y intéresser, un peu par défaut. Néanmoins, je dois avouer que les matchs vécus depuis la petite tribune familiale à Londres étaient loin d'être déplaisants. Je devrais peut-être aller en voir un en Australie un jour, voir si l'ambiance est différente par exemple. Tant de choses ont gardé leur inspiration de mon pays natal, tout en ayant été complètement appropriées par l'ancienne colonie. Je me demande si Daniel se sentira parfois anglais, où s'il ne se sentira qu'australien. Si nous arriverons à lui faire mettre un pied dans les deux cultures et réussir à l'y intéresser. C'est le genre de questions que l'on se pose parfois en tant que parent. « On trouvera ça dans les boutiques de l'aéroport avant le départ je pense. » dis-je au sujet du t-shirt ou de la casquette que nous souhaitons donc acheter pour notre fils. L'idée semble finalement avoir plu à Joanne. Autant que je suis impatient de la voir dans sa robe de mariée d'ici quelques mois, la jeune mère a hâte de découvrir l'accoutrement de ses deux hommes. Hors de question de faire un faux pas. « Bien sûr qu'on le sera. Un formera un trio de Keynes incroyablement beaux. » Le bonheur sera un accessoire qui ira avec toutes les tenues. Alors que le soleil est bien haut dans un ciel aux nuages presque trop rares pour cette période de l'année, nous poursuivons notre marche à l'ombre des arbres pour que la peau pâle de ma belle ne souffre pas. « C'est assez dingue à quel point jouer à attraper ses pieds ou gazouille avec son doudou peut le tenir occupé pendant une ou deux heures en attendant que nous émergions le matin. » je réponds, toujours à propos de Daniel. Il s'émerveille de ses propres progrès en matière de langage et de motricité. Ce doit être impressionnant, même pour lui, de se dire qu'hier encore il n'arrivait pas à faire ce geste qu'il parvient à effectuer le lendemain. Je fais la moue quand Joanne décrète que nous n'appellerons pas ses parents pour faire un coucou à notre fils. Je hausse les épaules, résigné. « Je suppose que tu as raison. Nous le voyons ce soir après tout. » Ce sera bien assez tôt. Nous arrivons finalement au monument, dont je trouve l'architecture vraiment étrange. Edifié en tant que mémorial de guerre, de l'intérieur et de l'extérieur, il dégage une forme de majestuosité et de noblesse indéniables. Ses longs couloirs bordé de souvenirs ne sont pas sans me rappeler les fantômes de Dan et Lucy que nous avons chassés. Une fois sortis, nous reprenons la balade dans le sens inverse, vers un retour à l'hôtel. Mais puisque nous avons tout notre temps, nous nous posons un moment sous un arbre. « Je le saurai demain. Je pense qu'ils me les accorderont. » je réponds à propos de mes congés à venir. « Ca sera pile pendant les vacances scolaires, c'est un moment où les audiences sont basses, alors nous pourrons lancer quelques rediffusions sans prendre trop de risques. » En espérant qu'il ne se passe rien de majeur pendant cette période. Nous repartons après quelques minutes pend ant lesquelles je somnole, la tête sur les jambes de Joanne, la laissant glisser ses doigts dans ses cheveux en luttant pour ne pas m'endormir. Il ne faudrait quand même pas nous laisser surprendre par le temps qui passe, nous avons un avion à prendre et d'autres choses à voir. En chemin, nous traversons une partie du jardin dédiée aux enfants. Je nombreuses activités pour les petits leur proposent de mettre leurs mains dans la terre pour planter et découvrir des fleurs ou des légumes. « Peut-être que nous devrions faire ça à la maison pour Daniel, comme un petit potager dont il pourrait s'occuper quand il sera un peu plus grand. » Je ne sais plus si nous avons pareil jardin à la fondation également.

Confiant, je pense que la chaîne m'accordera les quelques vacances que j'ai demandées et qui tombent, par le meilleur des hasards, pile sur la période des basses audiences qui permettent donc de prendre plus de libertés sur les programmes. J'espère ne pas retrouver la radio à feu et à sang à mon retour. Joanne s'en réjouit avant même la confirmation de ces congés, si impatiente à l'idée que je puisse enfin rencontrer cette vieille femme qui a tant d'importance dans sa vie -et à qui je dois le retour de ma fiancée dans un meilleur état qu'à son départ pour Perth. « Ne m'ajoute donc pas plus de pression que nécessaire. » dis-je avec un petit rire nerveux. « Qu'est-ce que je ferai si finalement elle ne m'aime pas, elle est déçue de moi ou me trouve d'immenses défauts qui te rebuteront ? Dieu sait l'influence qu'elle a sur toi. J'ai plutôt intérêt à me la mettre dans la poche. » Et malgré mon ton qui est à la rigolade, c'est un point qui m'inquiète réellement. Si elle décrétait que je ne suis pas fait pour sa petite-fille, que je ne suis pas bon pour elle ? « Je me baladerai tout le temps à moitié nu pour détourner son attention de mes défauts. » j'ajoute, puisque apparemment, en tant que morceau de viande, je lui plais déjà d'avance. Plus tard, au milieu du parc, en traversant l'espace pour les enfants, Joanne estime qu'organiser un petit potager dans notre jardin pour Daniel est une idée qui vaut le coup que l'on se penche dessus. « Ca devrait lui plaire, curieux comme il est. » Je le vois bien jouer avec la terre, observer les insectes, et demander à tout bout de champ quelles sont les différentes parties de chaque plante, comment poussent certaines fleurs ou certaines légumes. « Et ça sera un point dans le camp du végétarien, boum. » j'ajoute pour taquiner ma fiancée, même s'il n'y a pas de compétition à ce sujet. A son tour, elle propose d'aménager une pataugeoire pour notre petit afin qu'il puisse jouer dans l'eau. « Milo fera forcément n'importe quoi à côté, c'est ce qu'il sait faire de mieux. Ca, et creuser des trous sous le portail du jardin pour filer en douce à la plage. » je fais remarquer avec un petit rire. Ce chien est intenable. Une fois à l'hôtel, voyant le temps qu'il nous reste, une fois nos valises prêtes, je propose que nous allions profiter du lounge à la vue panoramique qui se trouve quelques étages au dessus. Le service d'étage est appelé afin que nos bagages soient récupérées et descendus dans le hall en attendant l'heure à laquelle nous partirons. D'ailleurs, notre chauffeur a rendez-vous en bas de l'hôtel d'ici deux heures. La chambre est vidée lorsque nous prenons l’ascenseur pour monter vers le salon. Toute en longueur, la salle offre une superbe vue. Un bar aux nombreux verres et bouteilles brillantes longe le mur face à la baie vitrée, et tout le long sont installés des petits fauteuils et canapés autour de tables basses. La plupart des quelques clients présents sont des personnes que nous avons croisées au gala de la veille. Je demande un thé noir qui est servi quasiment instantanément. Puis la sonnette de l’ascenseur annonce l'ouverture des portes au fond de la salle ; en sort Lionel et son visage tuméfié, visiblement maquillé pour amoindrir les dégâts, se tenant plus droit que nécessaire afin de ne pas trop sentir les hématomes sur ses côtes. Alors qu'il passe près de nous, je lui adresse un regard et un petit signe avec ma tasse à la main.

S'il est une personne que Joanne met bien plus sur un piédestal que moi, c'est bien sa grand-mère. Cette personne dont la sagesse l'inspire, dont les paroles deviennent des vérités incontestables. Est-ce qu'elle pourrait m'avoir aidé à sauver notre couple pour mieux encourager sa petite-fille à me quitter une fois qu'elle m'aura rencontré en personne ? Elle pourrait croire avoir fait une erreur à mon sujet, il est si facile d'idéaliser ou mettre trop d'espoirs sur quelqu'un. Jusqu'au moment où il se trouve juste devant vous, et la réalité n'a rien à voir avec la belle image que vous vous en étiez fait. Je n'insiste pas au sujet de mes appréhensions, je préfère garder le ton de la plaisanterie et rire aux paroles de Joanne qui tente de me rassurer. Peut-être que ça se passera très bien. Notre chemin de retour à l'hôtel est ponctué d'idées pour notre maison de campagne qui est encore un peu vide, mais que nous personnaliserons petit à petit. Les idées tournent avant tout autour de Daniel, ce qui doit être normal de la part de jeunes parents. Nous nous taquinons régulièrement sur des choses et d'autres, faisant ainsi rester sur nos lèvres un sourire qui ne disparaît pas de toute la balade. Notre vie continue de se dessiner comme une aventure en famille que j'ai hâte de vivre. Il ne reste désormais qu'une poignée d'heures avant que nous rentrions à Brisbane, là où nous pourrons retrouver ce bout de chou qui nous manque tant. Un dernier thé avant le voyage, un dernier moment pour profiter de la vue sur Melbourne. Cela serait parfait sans l'entrée de Lionel, et l'audace dont il fait preuve en demandant à Joanne de le suivre pour parler. Je lève les yeux au ciel. Qu'est-ce qu'il ne comprend pas quand je lui dis de ne plus approcher d'elle ? Elle s'absente un moment qui me semble trop long. Mon regard tombe parfois sur eux, la vue ne me distrayant qu'à moitié alors que je m'inquiète de la durée de leur conversation. Je remarque immédiatement les yeux rougis de ma fiancée à son retour, trop digne pour donner à cet homme plus de peine qu'il n'en a déjà engendré. « J'espère bien. De toute manière, s'il avait recommencé, c'est soit qu'il est encore plus profondément idiot que je ne le pensais, soit qu'il est suicidaire. » Parce que je n'aurais pas hésité à lui tomber dessus une nouvelle fois si l'ombre d'une enveloppe brune venait à planer dans notre boîte aux lettres. « Qu'est-ce qu'il a dit d'autre ? » je demande avant de boire un peu de mon thé. Joanne ne semble pas vraiment vouloir répondre à cette question. Après tout, si elle ne me l'a pas dit d'elle-même, c'est qu'elle ne souhaite pas d'office me donner les détails de leur échange. Néanmoins, il est hors de question que je ne sache pas. « Je ne suis pas idiot, Joanne, il y a eu beaucoup trop de phrases prononcées là-bas pour que ça se résumé à « il ne recommencera pas ». Tu sais que je sais qu'il ne se serait jamais contenté de capituler comme ça. » Pas sans une dernière tentative bien placée. Un dernier essai dans l'espoir de placer un coup de maître. Le loup déguisé en mouton, repentant et apeuré. Mon regard met au défi Joanne de me dire le contraire. Que Lionel s'est juste platement excusé, faisant tant de caisses que cela a nécessité cinq bonnes minutes pendant lesquelles il a juré sur la Biblie, la Torah et le Coran qu'il ne s'approchera plus jamais d'elle, de nous. Je prends une gorgée de thé, lui laissant ce court délai pour réfléchir à la réponse à la question qui suivra inéluctablement ; « Alors, qu'est-ce qu'il a dit ? »

« J'essayerai. » Ce qui est déjà un sacré engagement de ma part, essayer de ne pas m'énerver. La seconde d'après, alors que Joanne commence sa tirade, mes dents se serrent. Bien sûr que Lionel ne regrette rien. Bien sûr qu'il est persuadé d'avoir fait ce qu'il fallait. Lui, le bon samaritain qui prenait la jeune femme pour rien de plus qu'une parure l'ornant lors d'un gala, se découvre finalement fou d'amour pour elle si bien qu'il se doit de la protéger de la bête. C'en serait presque beau si l'homme n'était pas si pitoyable, arrogant et détestable. Je me demande encore et toujours pour qui il se prend, à prendre le droit de s'immiscer dans notre vie, et décider ce qui est bon ou non pour ma fiancée qui n'est nulle autre qu'une femme adulte, majeure et vaccinée, libre de ses propres choix, menant sa propre vie. Elle n'a pas besoin d'un ange gardien empoisonné. Elle n'a pas besoin d'être protégée de moi. J'essaye de prendre une grande inspiration, mais je n'arrive qu'à inspirer l'air de manière entrecoupée. Est-ce que Joanne va épouser un homme qui aime deux femmes ? Je ne sais même pas si je pourrais le nier sans avoir l'impression de mentir. Mais à propos de ces sentiments, je me sens terriblement seul contre tous, seul contre un monde qui est incapable de comprendre ce que je ressens pour elle et Hannah. Peut-être que cela serait plus simple si je parvenais à l'expliquer clairement, à mettre de bons mots dessus, ou s'il existait une quelconque manière scientifique d'en faire la démonstration. Sauf que je ne le peux pas, et je suis si mauvais pour dire ce que je ressens. Alors oui, tout ce que les autres peuvent voir, c'est un homme qui aime deux femmes. Moi, je sais ce qu'il en est. Je ne sais pas si Joanne, elle, comprend. Je n'ai pas vraiment d'espoir à ce sujet, je la vois plutôt occulter tous les détails de l'affaire pour se concentrer sur une seule chose, comme elle le dit ; mon choix, c'est elle. C'est elle que j'aime. Notre vie, notre famille, et l'avenir que nous rêvons d'avoir. Non, un enfant et un mariage ne garantissent plus l'éternité d'un couple de nos jours. On brise les contrats comme on déchire une feuille de papier, c'est aussi simple que ça, et l'on trimballe les enfants d'une maison à l'autre en pensant que cela est normal. Mais si je reste avec Joanne, cela ne sera jamais pour ces idéaux qui aujourd'hui ont l'air d'un autre temps. Je serai là tant que je l'aimerai, je me battrai pour nous tant que je ressentirai de l'amour pour elle. Je ne partirai que le jour où je constaterai que je peux croiser son regard bleu dans ressentir quoi que ce soit. Et je sais que ce jour n'est pas vrai d'arriver, je sais que mon coeur ira toujours sensiblement plus vite lorsque mes yeux se poseront sur elle. C'est quelque chose qui est ancré en moi depuis des siècles. Cela n'a pas de sens de croire que je pourrais prendre le moindre plaisir à faire du mal à Joanne un jour. Je fronce les sourcils, comme si ces mots n'avaient pas le moindre sens -et c'est le cas. Qui pense une chose pareil n'a pas la moindre idée de l'étendue de sa bêtise. A la fin, je ne suis pas en colère. Tout cela m'attriste beaucoup. Je ne sais pas pourquoi, mais je ressens beaucoup de peine. Je serre encore les dents alors que je secoue négativement la tête. Je ne suis pas en colère. « J'espère seulement que tu ne le crois pas. » dis-je tout bas, baissant finalement le regard. Je déglutis difficilement, et repose mon thé sur la table basse, me sentant incapable d'avaler quoi que ce soit. Pourquoi faut-il que Lionel s'acharne ? Je n'en sais rien. Il tourne le couteau dans une plaie à peine cicatrisée. C'est lui qui prend un malin plaisir à la faire souffrir, pas moi. « Ce n'est plus notre problème. » je finis par dire. Je prends les mains de Joanne et l'embrasse tendrement. Je veux croire que nous n'entendrons plus jamais parler de lui, que nous sommes enfin tranquilles. « Je t'aime. » je lui murmure, en espérant que ce soit la seule chose qu'elle croit. « Je t'aime plus que tout. Nous allons rentrer chez nous, et l'oublier. Nous allons retrouver notre fils, et nous faire une joie de lui donner tort en étant heureux ensemble. » C'est tout ce qui importe. « Et devines quoi ? Demain, nous serons un peu plus proches du mariage. »

Depuis son retour de Perth, je sais que Joanne ne s'est pas guérie en claquant des doigts. Et je ne m'attends pas à ce qu'elle soit complètement d'aplomb du jour au lendemain. Que nos problèmes ne remontent pas parfois à la surface, et que tout devienne subitement rose tous les jours. Je ne lui en veux pas, d'avoir encore quelques doutes et d'y penser de temps en temps. Je sais qu'elle ne comprend pas, je pense que personne ne comprend, sauf peut-être Hannah. Ce n'est pas grave. Tout ce qui m'importe, c'est que ma fiancée ne finisse plus dans l'état dans lequel elle était avant de partir pour Perth. Que nous ne soyons plus aussi mal en point. Et surtout, qu'elle ne croit pas un mot des paroles de son ancien supérieur. Je l'aime, c'est la seule vérité à laquelle elle doit croire dur comme fer. « Ne t'en fais pas. Je comprends. » dis-je avec un petit sourire triste. Cela passera avec le temps. Je décolle mon front de celui de Joanne et tire une de ses mains pour lui faire comprendre qu'elle peut se lever pour se transférer sur mes genoux -je tapote dessus au cas où le message ne serait pas clair, et lui adresse un petit clin d'oeil complice en murmurant un « Viens-là ». Alors la jeune femme s'installe sur mes jambes, histoire que nous soyons plus proches l'un de l'autre et que je puisse la serrer dans mes bras comme il se doit afin de mieux la rassurer et lui transmettre un peu de tendresse. La belle blonde m'avoue qu'elle souhaite avoir un deuxième enfant plus que tout, cette petite fille que j'aimerais tant avoir, comme si c'était la seule chose qui puisse assurer la longévité de notre couple et notre bonheur à tous. Mais aussi pour asseoir le choix que j'ai fait d'être avec elle, d'avoir ma famille avec elle, et personne d'autre, prouvant à qui veut l'entendre et le voir qu'elle est mon unique destinée. « Je t'aime aussi. » dis-je avec un fin sourire avant de l'embrasser délicatement. Je la serre un peu plus et caresse son visage du bout du pouce. Mon regard trouve le sien, débordant d'affection, même si ce que je vais dire ne lui plaira sûrement pas, et pourrait être difficile à entendre et à comprendre pour elle. « Joanne, et si nous n'avons pas de fille ? » Nous pourrions nous retrouver avec deux garçons après tout, ils sont très largement majoritaires dans ma famille. « Et si notre deuxième enfant a un problème ? » Ce qui n'est pas à exclure, et ce n'est bizarrement pas une option qui m'effraie. Je ne blâmerai pas Joanne pour ça. Personne ne contrôle la génétique. « Et s'il n'y a pas de deuxième enfant ? » Ca aussi, c'est tout aussi possible. Tout au fond de moi, j'en doute, et je donne très peu de crédit à cette théorie, mais je ne peux pas faire comme si cette possibilité n'existe pas. Non, je ne me montre pas soudainement pessimiste, je ne cherche pas à plomber Joanne et remettre en question nos espoirs ou sa volonté. En témoigne le sourire qui ne m'a toujours pas quitté. Je l'embrasse pour qu'elle comprenne. « Je serais heureux dans tous les cas. Je t'aimerais dans tous les cas. » dis-je tout bas au bord de ses lèvres. « Je veux que tu saches ça. Notre histoire ne dépend pas de ça. » Alors si nous essuyons des échecs, s'il faut un jour se résigner -mais cela prendra du temps et de nombreux essais- elle ne devra pas s'en vouloir ou mettre en doute notre univers. Je serai toujours là, nous serons solides. Je garde la jeune femme ainsi contre moi quelques minutes. Puis le téléphone sonne au bar, et un jeune homme nous indique que notre voiture nous attend en bas de l'hôtel. « Nous devrions y aller. Nous avons un avion à prendre, et un bébé qui nous attend. »