give me your love and physical affection, give me the worst of you to hold
Constance ne parvenait plus à trouver le sommeil pendant plusieurs jours après l'annonce. Elle faisait tout pour que Peter la laisse tranquille, tous les prétextes étaient bons pour ne pas le sentir contre elle sous les draps le soir. Elle sanglotait silencieusemnt, humidifiant chaque nuit la taie d'oreiller de ses larmes, ne parvenant pas à se résoudre que Cole n'était plus de ce monde. Elle ne voulait pas y croire, elle refusait qu'il ne soit plus. Le chagrin et le désarroi lui créaient alors de nombreux mirages. Lorsqu'elle se réveillait en sursaut la nuit, elle sentait sa présence entre ses murs. Elle avait l'impression de voir son ombre marcher dans les couloirs ou le voyait parfois assis sur l'un des fauteuils de la bibliothèque. Mais lorsqu'elle clignait des yeux, il disparaissait soudainement. Ce bref moment de joie et d'espoir s'effaçait alors soudainement et Constance réalisait qu'elle n'avait plus l'esprit très clair. Eleanor fut d'un soutien indispensable, heurtée de ne plus voir sa jeune esquisser le moindre sourire, si ce n'est un rictus de façade lorsque toute la famille était réunie. La seule personne qui parvenait à lui mettre du baume au coeur n'était autre que sa petite Evie. Celle-ci grandissait bien, elle était en excellente santé. Toutes les occasions étaient bonnes pour passer un peu de temps avec elle, même si ce n'était que pour quelques minutes, car ce temps très précieux était gavé d'amour et de tendresse. Et le fait était qu'Evie adorait sa mère plus que tout. Dès qu'elle était capable de tenir sur ses deux jambes, Constance l'emmenait dehors, en compagnie de la nourrice. Evidemment, Peter continuait de couper court à ces moments chaleureux, mais son épouse ne se laissait jamais abattre. Elle se demandait si elle devenait particulièrement mauvaise à l'idée de presque se réjouir lorsqu'il avait encore ses crises d'ulcères. Elle avait l'impression qu'elles duraient plus longtemps. Certes, elle s'efforçait de rester de temps en temps à son chevet, mais c'était durant ces périodes là qu'elle avait les mains les moins liées et qu'elle pouvait passer plus de temps avec Evie. Eleanor et Constance s'en sortaient avec brio, ayant eu largement le loisir de comprendre le mécanisme vicieux qu'est celui des Keynes, afin que cela puisse tourner de temps à autre en leur faveur. La cadette Dashwood remerciait le ciel de ne pas être retombée enceinte depuis tout ce temps. Elle craignait plus que tout de porter à nouveau un enfant, un qui serait bel et bien de Peter, et elle ne désirait pas retraverser ce qu'elle avait pu enduré durant son accouchement. Pire qu'un calvaire, comme le répétait Quincy lorsqu'il s'en rappelait, la mâchoire serré et le regard mécontent, ayant toujours cette rancoeur pour les obstétriciens. Constance le voyait de temps en temps, surtout pour s'assurer de la bonne santé d'Evie. Le médecin était devenu un bon ami, une véritable bouffée d'air frais pour les soeurs Dashwood lorsqu'elles avaient l'occasion de se rendre à Canterbury.
Mais malgré les semaines qui passaient, les conversations concernant Cole qui s'amenuisaient, la petite blonde ne parvenait pas à l'oublier. Chaque détail de son quotidien lui faisait penser à lui. Lorsqu'elle regardait les étoiles, lorsqu'elle enfilait le bracelet qu'il lui avait offert, dès qu'elle ouvrait un livre, dès qu'elle admirait sa fille. Et en plus d'être confrontée aux étapes du deuil, la jeune femme était rongée par la culpabilité et les regrets, du fait de s'être quittés en de si mauvais terme avant qu'il ne parte pour un voyage dont il ne reviendra jamais. Dès qu'elle songeait à cela, elle devenait à nouveau inconsolable, la plaie toujours bien béante, impossible à cicatriser. Eleanor avait été là pour essuyer de nombreuses larmes, pour l'apaiser pour ne serait-ce quelques minutes avant de devoir à nouveau se mêler aux Keynes. Il y avait des jours où Constance se dirigeait vers la chambre où dormait le médecin, persuadée par moment que son décès n'était qu'un mauvais rêve, et c'était toujours avec tristesse qu'elle constatait qu'elle était vide, sans vie, le lit impeccablement fait. Une fois, Charlotte l'avait surprise à chercher ce fantôme. Constance lui parlait à peine, mais il y avait eu ce jour-là un échange de regards et de peine partagée. Même des mois après, la souffrance était toujours bel et bien là. Elle s'était ensuite mise en tête de lui écrire des lettres, des mots d'amour qu'elle dissimulait ensuite très précieusement. Mettre son chagrin et son amour sur papier semblait l'aider à surmonter cette épreuve. Mais malgré sa disparition, elle ressentait pour Cole toujours cet amour sincère et inépuisable.
"Constance, j'ai une bonne nouvelle à t'annoncer. Nos robes pour le bal masqué viennent d'arriver." dit Eleanor en entrant dans le salon dans lequel sa soeur se trouvait, en compagnie d'Evie qu'elle embrassa sur la joue au passage. Un maigre sourire étirait les lèvres roses de la jeune femme. Les Keynes organisaient de nombreuses réceptions, pour impressionner la galerie, pour se faire de nouveaux alliés. C'était purement stratégique et prétentieux. Mais ils ne lésinaient jamais sur les moyens, rendant chaque événement inoubliable. Constance était surprise de voir les yeux de sa soeur pétiller autant à l'idée de cet événement. Certes elle aimait les bals, mais là, il y avait un enthousiasme supplémentaire qu'elle ne parvenait pas à s'expliquer. "J'ai hâte de te voir dedans, je suis certaine qu'elle t'ira à merveille. Il faut que tu sois magnifique." dit-elle avec un doux sourire, puis elle eut soudainement peur de se trahir en disant qu'elle devait être resplendissante, plus que pour n'importe quel autre événement. "... Comme l'exigent nos chers maris à chaque fois." jugea-t-elle bon de préciser avec un rire quelque peu moqueur. "J'ignore si j'aurai vraiment le coeur à la fête. Ce sera la Toussaint et..." Constance baissa les yeux, haussait les épaules. On célébrait les morts, on se souvenait d'eux. Sauf qu'il n'y avait pas un jour où elle avait oublié Cole. "Je pense que s'il était là, s'il te regardait d'où il est, il serait ravi de te voir danser." l'encouragea Eleanor, espérant que sa soeur ne fasse pas faux bond, auquel cas son plan tomverait à l'eau. "Et rien ne t'oblige de n'être que la cavalière de Peter durant toute la soirée, il y aura des invités qui seront ravis de pouvoir te faire tournoyer." Enfin elle parvenait arracher un sourire à Constance. C'était, pour Eleanor, à chaque fois, la plus belle des victoires.
Le regard admiratif de Rosie était des plus adorables. Elle qu'elle serrait le corsage de la robe de Constance, elle ne put s'empêcher d'effleurer la mousseline et le satin du pan de sa robe. Celle-ci était bleue ciel, on avait brodé des arabesques argentées au niveau de l'encolure, orné de petites perles blanche scintillantes. Le bas de la tenue était également parsemée de perles et de broderies. Constance semblait aérienne, angélique. Rosie avait soigneusement peigné ses longs cheveux pour en faire un chignon avec des épingles décoratives assez discrètes. Avant de rejoindre Peter et les premiers convives, elle allait rapidement voir sa fille, qui avait exprimé son envie de la voir dans sa robe de bal. Constance avait pris le temps de l'embrasser et de l'enlacer tout en lui rappelant d'être bien sage avec sa nourrice. Et il était temps de commencer les festivités. La salle était majestueusement décorée et chaque invité s'était habillé de ses plus beaux vêtements, à n'en pas douter. Certaines étaient surchargées de bijoux, mais il fallait exposer les richesses que l'ont diposait. Constance restait fidèle à elle-même. Elle s'efforçait de porter les bijoux offerts par Peter. Ce soir-là, une rivière de diamants ornait son cou. Encore heureux que son époux avait des goûts raffinés. Tous les visages étaient couverts d'un masque. Là aussi, il n'y en avait pas un seul qui semblait être pareil à l'autre. Les danses ne tardaient pas à commencer, les chorégraphies étaient parfois quasi synchrones, rendant la scène particulièrement belle à voir. L'on ne fit pas attendre davantage Constance pour aller sur la piste de danse, au bras de Peter. Une autre qualité qu'elle pouvait lui trouver était qu'il savait bien danser. L'ambiance se fit rapidement plus chaleureuse grâce aux bulles que l'on servait dans des coupes en cristal et qui étaient remplis dès que l'on en buvait la dernière gorgée. Il y avait une danse où l'on changeait régulièrement de cavaliers. Les masques troublaient, restaient perplexes. Et parmi les hommes avec qui elle avait pu danser, Constance maudissait son esprit qui lui jouait des tours, car elle aurait juré avoir reconnu les traits du visage de Cole, à un moment donné. Mais voilà qu'elle changeait de partenaire, et encore, et encore, pour retomber à nouveau sur lui. Pourtant elle sentait son coeur s'accélérer, sa respiration se couper court, ses jambes trembler. Elle était à son bras jusqu'à la fin de la musique et il n'y avait pas un seul moment où elle avait détaché son regard du sien. Elle ne clignait pas des yeux, préférant se persuader encore pour quelques minutes que c'était lui, ayant trop peur que ce petit instant de rêve ne se termine une fois qu'elle aurait à nouveau ouvert les yeux. Parce que c'était ainsi que les choses se passaient, dès qu'elle fermait ses paupières, il disparaissait. Et pourtant, malgré le morceau de musique terminé, elle le fixait. Il avait pourtant cette chaleur, cette douceur dans ses mains, une aura sereine qui émanait de lui. Tant de détails et de sensations qui lui rappelaient indéniablement l'homme qu'elle aimait. Mais cela ne pouvait être vrai. Il était mort, il y a des années de cela. Tout ceci n'était qu'une illusion. "Vous n'êtes que son fantôme..." souffla-t-elle tout bas, résignée, attristée. Dans le pire des cas, le convive lui aurait demandé de répéter ce qu'elle aurait dit, tant elle avait murmuré ses mots, elle aurait trouvé le moyen de se rattraper. Constance s'inclina poliment avant d'aller à la rechercher d'une flûte de champagne. Voilà qu'à la Toussaint, les morts venaient hanter les vivants. Constance n'y aurait jamais cru, elle se doutait bien que ce n'était que son esprit qui lui jouait des tours durant ces derniers années. Secret qu'elle partageait avec sa soeur. "Retourne danser." "Je le vois, de nouveau. Il était juste là." lui confessa-t-elle tout bas, la voix tremblante. Eleanor mourrait d'envie de lui dire qu'il était pourtant bel et bien là, mais ce n'était pas ainsi qu'elle voulait que les choses se passent. Elle voulait qu'elle le réalise d'elle-même, qu'elle se rende compte que ce n'était pas avec un fantôme qu'elle dansait. "Retourne danser, ça te changera les idées." répéta-t-elle, comptant bien ne pas lui laisser le choix. Constance finit alors sa coupe de champagne avant de s'approcher à nouveau de la piste. Quelqu'un allait bien venir l'inviter à danser à un moment où à un autre.
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Si le jeu en valait la chandelle, alors Cole était prêt à tenter le tout pour le tout. Lui n’avait aucun plan, aucune autre ambition que de pouvoir poser ses yeux sur une Constance une nouvelle fois -peut-être une dernière fois pour ce qu'il en savait- et c'était Eleanor qui s'imposa rapidement comme cerveau de toute l'opération. Pendant les jours qui précèdent la réception, elle lui fournit le costume qu'il porterait -noir, puisqu'elle savait cette couleur tout à son goût- ainsi que le masque qui devait bien entendu couvrir son visage de manière à ne le rendre reconnaissable qu'aux regards avertis. La Lady avait également arrangé les détails de sa venue, se débrouillant afin que Quincy et son cousin soient invités au manoir pour l'occasion, envoyant une calèche les chercher à l'heure convenue, et les accueillant personnellement dans le hall afin qu'aucun soupçon ne puisse avoir lieu. Le subterfuge paraissait parfait, et il l'était, personne ne s'attendant à recevoir un véritable mort durant cette soirée qui leur était soit disant dédiée. Cole, étant d'hors et déjà un homme de peu de mots, n'eut aucune difficulté à se couvrir de silence afin que son timbre n'attire pas l'attention. On prétendit qu'il n’était pas d'ici et que son anglais était particulièrement approximatif. Elwood se surprit à se prendre au jeu et à l'apprécier, prenant malgré tout un soin tout particulier à toujours se trouver à bonne distance des Keynes qui pullulaient. Bien qu'il ne s'y sentait plus aussi sensible qu'il le fut autrefois, il le devinait encore, le malaise que lui procurait cet endroit, ces murs, cet air, leur présence. Il y avait ici et là les souvenirs bafoués d'Augustine, et surtout, dans cette même salle de réception, l'image encore nette aux vives couleurs du soir du mariage de Constance, de ce moment où il avait réalisé son erreur ; celle de tomber en amour d'une femme qu'il n'aurait jamais, qu'il aurait pu avoir s'ils avaient pris un autre train ce jour-là ; et toutes les promesses qu'il avait brisées, qu'il n'aurait jamais pu tenir de toute manière. Sauf s'ils avaient pris cet autre train, ce jour-là. Ici macéraient les émotions, dans le manoir qui avait ce don naturel de tourmenter et de faire revivre les mêmes cauchemars éveillés encore et encore. Mais ce soir, ce n'était qu'une bâtisse joliment décorée. Ces gens n'étaient que des silhouettes. Et dans ce faste masqué imbibé de champagne et pétillant de rires contrôlés, il n’y avait qu'une personne pour attraper son regard. Cole ne mit qu'une minute à la trouver, mais des dizaines avant d'oser approcher. Il fut pris d'un doute ; et si Constance était plus heureuse en le croyant mort, elle aussi ? Est-ce qu'il ne rouvrirait pas d'anciennes plaies en se dévoilant ? Elle semblait à sa place désormais, adaptée et survivant comme elle avait promis qu'elle le ferait. Elle faisait illusion au bras de son époux -ou alors s'était elle véritablement découvert de la sympathie pour lui. Alors il lui traversa quelque chose de plus terrible encore ; et si elle l’avait oublié ? Bien que cette pensée l'effrayait, elle ne le poussa qu'à s'avancer pour de bon, afin d'en avoir le coeur net. Eleanor accepta d'être sa cavalière pour débuter la danse qui, il le savait, le mènerait jusqu'à Constance. À force de tournoyer, à force de changer de partenaire, les mains de la jeune femme finiraient dans les siennes, et alors… Alors, il ne savait pas. De quatre temps en quatre temps, il laissa Eleanor s'envoler vers un autre cavalier tandis qu'il receptionnait Alicia, puis une duchesse, puis une jeune première, et enfin, la petite blonde. Il sut, quasiment dans l'instant, qu'elle l’avait reconnu et que par conséquent elle ne l'avait pas oublié. Il ne put s'empêcher, durant tout le temps qui leur restait, de l’observer avec une immense tendresse. Il ne voyait pas, dans ses traits délicats, les trois années passées, tandis que lui semblait avoir ajouté une vie entière à son compteur depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Et bien qu'il ne se sentait plus exactement le même, qu'il avait conscience qu'il ne reviendrait en arrière par aucun biais, il y avait une chose qui demeurait identique, ravivé par ce moment ; son affection pour Constance. Malgré qu'il n’y avait rien eu d'aussi réel pour Elwood depuis longtemps, la jeune femme refusa de se fier à ses sens. Elle lui glissa entre les doigts, comme tant d'autres fois auparavant. Mais il ne baissa pas la tête comme à cette époque, il ne courba pas le dos d'un air abattu, et il ne laissa pas passer sa chance comme cela avait trop souvent été le cas, écrasé par il ne savait qu'elle semelle au-dessus de sa tête, menotté à une loyauté à sens unique. Déterminé, il fendit la foule jusqu'à tomber à nouveau sur elle. Son coeur était serré, il serait mentir d'affirmer qu'il n’avait pas peur autant qu'il brûlait d'envie de la prendre dans ses bras pour qu'elle puisse voir qu'il était bel et bien sous ses yeux. Lorsqu'il réapparut, encouragé par le regard bienveillant d'Eleanor par dessus l'épaule de sa jeune sœur, il tendit une main à Constance, une main qu'elle pouvait décider de saisir pour constater d'elle-même qu'il était tout sauf un mirage. “Est-ce que vous accorderiez une autre danse à un simple fantôme ?” demanda-t-il avec un fin sourire, avant de déposer un doigt devant sa bouche afin qu'elle comprenne que si, pour elle, il acceptait de refaire partie du monde des vivants, pour les autres il demeurait l'homme tristement disparu, et au yeux de ce monde, il n'était ni ici, ni nulle part.
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Ces yeux verts. Elle les connaissait par coeur, elle en avait vu différents éclats. Et pourtant, Constance fut incapable de réaliser que ces iris étaient là, à la fixer avec une affection que jamais son mari ne saurait lui donner. C'était un regard que Constance rêvait de revoir un jour. Mais cela était impossible, cela était si peu plausible, qu'elle avait fini par se dire que ce n'était encore qu'une de ses illusions. Un doux rêve qui la berçait et qui lui rappelait ce qu'était l'amour, l'affection, la tendresse. Perturbée, elle fut prise de quelques vertiges, elle sentait son coeur paniquer dans sa poitrine et sa respiration ainsi devenir haletante. Ce n'était qu'un fantôme, se disait-elle. Cette salle, ces murs, ce manoir, ce domaine tout entier regorgeait de centaines de fantômes, elle en était persuadée. Et Cole faisait partie d'eux depuis une poignée d'années, il était impossible qu'il puisse revenir un jour, si ce n'est dans les rêves de Constance. Le nombre de fois où elle tentait de deviner la réaction de Cole en la voyant telle qu'elle était. Elle s'était battue, elle tenait tête à sa manière, elle voulait qu'il soit fier d'elle. Elle se demandait comment il réagirait s'il voyait Evie, s'il parviendrait à dire s'il s'agit bien de son enfant à lui ou non. Tant de lettres qu'elle avait pu lui écrire et qu'elle adorerait pouvoir lui donner. Ces rêveries étaient comme une douce mélodie qu'Eleanor enchérissait par ses propres avis. L'aînée ne voulait pas que cette opportunité ne se flétrisse parce que sa soeur refusait la réalité, celle qui disait qu'il était toujours vivant. Elle comprenait Constance, car même si cette avait bien fini par comprendre qu'il ne reviendrait, elle n'avait jamais su franchir toutes les étapes de son deuil, loin de là. Sinon elle n'irait pas chercher le médecin dans sa chambre ou ne serait pas surprise de ne pas le voir dans un fauteuil de la bibliothèque. La cadette acquiesça d'un signe de tête avant de s'approcher à nouveau de la piste de danse. Et l'inconnu se présenta à nouveau devant elle avec une certaine détermination. Voilà qu'il reprenait les termes employés plus tôt par Constance. Ce fut à ce moment là qu'elle savait. Que ce n'était ni un rêve, ni un énième mirage, ni une mauvaise blague. La petite blonde fit alors le plus sincère et le plus beau des sourires lorsque son partenaire de danse mit son index devant sa bouche. C'était un secret, c'était leur secret. Sa main, fébrile et tremblante, se déposa dans celle du médecin. Elle avait l'impression que son coeur allait exploser à ce simple contact. Ses yeux scintillaient mais elle devait faire au mieux pour contenir ses larmes de joie. Ses jambes, quant à elle, ne devenaient que du coton. Elles tremblaient, à se demander comment elle parvenait à tenir debout. Constance ne s'était pas rendue qu'elle serrait ses doigts de plus en plus fort, comme si elle craignait qu'il ne lui échappe. Mais non, il restait bel et bien là. Constance désirait tant se jeter dans ses bras, le serrer le plus fort possible contre elle, voire même l'embrasser s'il en avait envie également. "Ce n'est plus le cas." souffla-t-elle tout bas, toute souriante et particulièrement émue. "Vous n'êtes plus qu'un simple fantôme. Pas pour moi, en tout cas." Gardant bien sa main dans la sienne, le couple finit par rejoindre la piste de danse. Cette valse devenait alors pour elle la plus belle danse de sa vie. Son sourire ne la quittait pas, son regard non plus, lui transmettant là tout l'amour, toute l'affection qu'elle avait pour elle. Cole devait savoir que durant son absence, les sentiments de la jeune ne s'étaient absolument pas essoufflées. Au contraire, elle les conservait précieusement dans son esprit. Elle ignorait combien de temps ils avaient dansé. Constance se sentait si légère, sur un nuage. Elle n'avait pas mal au pied, elle n'avait pas le tournis non plus. La petite blonde attendait avec une certaine impatience que l'ensemble des Keynes ait un peu trop abusé d'alcool et que leur esprit soit un peu embué pour ne pas remarquer l'absence de la jeune femme. Le cas contraire, elle savait que sa grande soeur trouverait un moyen pour justifier son absence. Mais pour le moment, et pour son plus grand bonheur, elle laissait Cole la faire tournoyer, la faire danser jusqu'à ce qu'ils soient épuisés. Ils étaient mêlés aux autres couples, ils passaient inaperçus. De toute façon, les Keynes étaient bien trop occupés à consommer beaucoup d'alcool et à discusser de sujets qui n'intéressaient qu'eux. Peter allait faire une nouvell crise d'ulcère après coup, Constance en était quasiment persuadé parce que c'était toujours durant ce genre d'événements qu'il oubliait qu'il avait un estomac fragile. Tout en profitant de leurs danses, elle espérait de tout coeur qu'ils puissent quitter la salle discrètement et avoir un moment un peu plus intimes. Ainsi, Constance pourrait le prendre dans ses bras, lui retirer ce masque afin qu'elle puisse voir tout son visage et se permettre enfin de verser ces nombreuses larmes de joie qu'ell contenait depuis que Cole lui avait secrètement révélé son identité. Bien sûr, elle avait des tas de questions à lui poser, mais tout ceci lui semblait tellement secondaire, en arrière-plan. Bien plus tard dans la soirée, ils décidèrent communément, d'un simple regard de s'arrêter. Ce n'était qu'à ce moment-là qu'ils réalisaient qu'ils étaient essoufflés. En toute discrétion, ils quittaient la grande salle. En grimpant les étages, ils échappaient aussi aux regards curieux qui restaient, mais aussi à la chaleur et aux effluves d'alcool qui commençaient à devenir importantes. Constance savait que sa soeur la couvrirait si Peter se souciait un tant soit peu de son épouse, mais cette dernière doutait qu'ils s'inquiète de quoi que ce soit à ce sujet. Elle se dirigeait machinalement dans sa propre chambre, ils avaient plus de chance d'être totalement tranquilles dans cette pièce plutôt qu'une autre. Une fois la porte fermée, tout était silencieux. Constance était soudainement bien nerveuse, et l'espace d'une fraction de secondes, elle craignait que son cavalier soit un imposteur. Que quelqu'un avait profité de ces mirages. Mais c'était un doute de courte durée. Au fond d'elle, elle était persuadée que c'était lui. Elle voulait voir son visage découvert, afin de pouvoir admirer ses traits de nouveau. Parce qu'entre eux, ils ne s'étaient jamais portés de masque. Que ce soit de l'amour ou l'éloignement qu'il y avait eu avant qu'ils ne partent, tout était vrai et authentique. Et qu'importe si Cole l'aimait ou la haïssait, il lui manquait tant. Mais il était venu la retrouver. Constance l'observait longuement, jusqu'à ce que la tentation soit trop grande. La jeune femme s'approcha donc de lui pour lui retirer le masque avec beaucoup de minutie. Ses gestes étaient délicats, sa respiration, haletante, jusqu'à ce que le visage de Cole soit révélé. Cela ne semblait pas suffire à la petite blonde pour réaliser qu'il était bel et bien là, elle effleura donc ses joues du bout des doigts avec tendresse, rien que pour sentir la chaleur de sa peau. C'était à cet instant que Constance ne pouvait retenir davantage ses larmes. Elle le prit dans ses bras en le serrant fort, toujours avec cette peur qu'il ne lui échappe. L'une de ses mains s'était logée dans ses cheveux. Jusqu'ici, les mots n'avaient pas leur place. Tout s'était échangé grâce à des regards, des gestes, des sourires. Les mots viendraient bien assez vite, mais un peu plus tard. Pour le moment, la petite blonde profitait simplement de cette étreinte pendant qu'elle sentait son coeur se remplir à nouveau. Ce n'était que des larmes de joie qui se déversaient sur ses joues, et elles étaient particulièrement nombreuses. Il était là, il était en vie et il était venu à elle malgré tout.
life worth living - AND MY HIGHS WHEN YOU'RE GONE GIVE ME A GOLDEN GUARDED SOUL BUT WHEN I'M CRAZY AND I'M LOST YOU CALM ME DOWN
Dès que Constance glissa sa main dans celle d'Elwood, celui-ci sut qu'elle avait compris. Que cette fois, elle le croyait, elle le voyait ; il était face à elle contre toute attente, au nez et à la barbe du reste des invités, de la famille qui fut longtemps leur bourreau. Mais plus pour ce soir. La musique pour échappatoire guida leurs pas dans une longue évasion, et ils se trouvaient au milieu des convives sans réellement y être, ils dansaient sans vraiment toucher le sol. La lumière n'était que sur la petite blonde dans un monde qui n'appartenait qu'à eux, ses yeux brillants grâce à plus que le simple scintillement des diamants à son cou, le sourire indélébile qui s'ajoutait à l'harmonie de son beau visage. Le coeur de Cole avait d'abord galopé sans ma poitrine, puis s'était apaisé tandis qu'il se sentait un peu plus à sa place, un peu plus chez lui, même dans le plus incongru des endroits. Car s'il ne connaissait qu'un soleil, il était aussi doré que sa chevelure, et s'il ne devait plus voir qu'un océan, il opterait pour l'horizon infini des iris bleus de Constance. C'était pour lui, à ce moment, l'unique évidence, la seule vérité qui avait de la valeur. Il ne vit pas les minutes passer, il ne ressentit pas la fatigue, uniquement ce besoin de plus en plus urgent de la prendre dans ses bras, de l'embrasser à nouveau, de poser son front sur le sien, de sentir le parfum au creux de son cou. Alors il la suivit sans attendre hors de la salle de réception, jetant régulièrement un coup d'oeil par dessus son épaule afin de s'assurer que personne ne les avait vus ni ne les suivait. Mais la voie était libre, tous étaient bien trop pris par les festivités au rez de chaussée, par le faste et l'alcool et les apparences étouffantes. La porte se referma sur la chambre de la jeune femme, un son qui fit à nouveau s'envoler le rythme cardiaque de Cole. Ils étaient seuls. Elle était là. Trois ans après la dernière fois où il avait posé les yeux sur elle. Elle était véritablement là. Tandis qu'elle approchait et glissait ses doigts de part et d'autre de son masque afin de le lui ôter, lui sentait son souffle chaud qui frôlait ses joues. La jeune femme frôla ses traits, les yeux de plus en plus embués, jusqu'à ce que les larmes s'écoulent à flot. “Constance…” La Lady lui sauta au cou, et il la serra tout aussi fort contre lui, soupirant de soulagement comme s'il goûtait à nouveau à un air respirable pour la première fois depuis bien longtemps. Comme il le souhaitait depuis des jours, il déposa un long baiser sur ses lèvres roses et salées, frôla son nez tendrement, et apposa son front au sien avec un sourire. “Je suis tellement heureux de vous revoir.” murmura-t-il. Cole n’avait jamais désespéré à ce sujet. Une partie de lui était demeurée confiante, celle qui était prête à tout pour rentrer en Angleterre, rentrer auprès d'elle, retrouver sa véritable maison. Il avait su et il avait eu confiance, foi en ce destin qui l’avait placé aux mauvais endroits aux mauvais moments toute sa vie, mais qui avait mis Constance sur son chemin. Et elle n’était pas parfaite, autant qu'il était bourré d'imperfections, elle pouvait le mettre hors de lui, elle pouvait le heurter comme personne d'autre ; mais la raison de cela était qu'elle tenait le coeur du médecin entre ses mains. Son coeur était resté en Angleterre, et son âme avait tout mis en oeuvre pour y retourner. “Vous m’avez manqué.” Les mots étaient faibles mais ils étaient les seuls qu'il avait. Bien qu'il pourrait lui raconter les nuits sans sommeil à songer à elle, les fois où il avait vu son visage dans le ciel, dans la terre, où il avait entendu sa voix dans la direction de cette patrie hors de portée, Elwood demeurait un homme de peu de mots, pensés, pesés et donnés avec sincérité. Armé de toute la douceur du monde entre ses grandes mains devenues rugueuses, il saisit le visage de Constance et glissa ses pouces sur ses joues. “Séchez ces larmes, mon amour…” Il avait le sourire paisible de celui qui ne doutait de rien. Le médecin savait qu'il était là où il devait être et que rien d'autre ne devait être plus important que ce seul fait, bien qu'il eut conscience que le temps était compté et qu'ils ne pouvaient pas demeurer ici bien longtemps sans que l'absence de la Lady n’éveille des soupçons. “On dirait que l'effet de surprise a plutôt bien fonctionné.” ajouta Cole avec un petit rire, peut-être un peu nerveux, sans trop savoir pourquoi. L'idée de cette mise en scène n'était pas de lui, et il s'était simplement comporté comme le pion que l'on permettait d'avancer jusqu'à la reine dans un grand échiquier. Mais il était satisfait de la magie du moment, sachant bien que sa belle y serait sensible. Lui… il était heureux au possible, le coeur gonflé comme un ballon. “Eleanor m’a permis d'entrer discrètement avec Quincy. Les Keynes ne doivent pas savoir que je suis de retour.” Il ne les craignait pas, il ne se cachait pas d’eux pour cela. Il était tout bonnement mieux mort à leurs yeux, eux hors de sa vie, lui hors de la leur. Il ne souhaitait pas non plus perdre son énergie en rancoeur, en colère, en haine ; il voulait les oublier, et enfin vivre sa nouvelle vie pour lui, tel qu'il le méritait. “Ne lui en voulez pas d'avoir gardé le secret.” ajouta Cole au sujet d'Eleanor, car le brin de malice de l'aînée qui avait échafaudé ce plan n’avait rien de négatif. Elle avait fait appel à bien des efforts et avait pris bien des risques afin que lui et Constance soient réunis. Pour cela il lui en serait toujours reconnaissant. .
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Son coeur ne s'était pas senti aussi léger et transporté depuis plusieurs années. Il n'y avait pas le poids des responsabilités, ni des secrets qu'elle gardait précieusement. A force, Constance et sa soeur étaient devenues des expertes et les meilleures complices qui soient. Ainsi, la petite blonde se laissait transporter dans l'univers dans lequel Cole lui recréait. Un cadre d'insouciance, au décor rêveur et où leurs sentiments communs prenaient toute la place. Il n'y avait pas les regards qui jugeaient, ni les messes basses et les manigances qui les menaçaient. Le fait qu'il ne soit personne aux yeux de tous était un atout de taille. Mais la jeune femme, bien qu'ancrée dans ses certitudes, n'avait qu'une seule idée en tête durant leur danse; avoir un moment seule avec lui, être sûre et certaine qu'il s'agissait bien là de son amant et non d'un imposteur qui aurait abusé de l'espoir qu'elle avait nourri durant toute leur danse. Une légère nervosité se faisait sentir lorsqu'ils se retrouvaient seuls. Les coeurs battaient la chamade, une sorte d'excitation s'instaurait. Les mains de Constance, au moment même où elle retirait son masque,, après avoir retiré celui qui recouvrait son propre visage, tremblaient légèrement. Le médecin n'avait qu'à souffler son prénom pour qu'elle perde ses moyens et fonde en larmes dans ses bras. Ces murmures là, qui appelaient son prénom, elle les avait entendu dans bon nombre de ses rêves ces trois dernières années, et parfois même quand elle était éveillée, comme un fantôme qui la hantait et qui ne voulait pas être oublié. Constance n'avait jamais eu besoin de ces murmures là pour souvenir chaque jour du sourire de son amant, de la tendresse qu'il y avait dans cette paire d'yeux verts qu'elle aimait. Etre dans ses bras, pouvoir à nouveau profiter de son étreinte et de sa chaleur était pour elle ce qu'il y avait de plus beau. Constance se souvenait qu'ils ne s'étaient pas quittés dans les meilleures termes qui soient, ou du moins, qui ne méritaient pas de telles retrouvailles. Mais il semblerait que cette rancoeur fut rapidement balayer par un amour qui semblait avoir traversé bien des âges. Cole exprimait sa joie d'avoir pu enfin la revoir, mais la jeune femme ne s'attendait pas à ce qu'il vienne poser ses lèvres sur les siennes. Une belle surprise qu'elle acceptait volontiers et qu'elle renchérissait avec toute l'affection qu'elle avait à lui donner. Elle l'aimait tant. Posant son front contre le sien, il prit d'assaut son regard bien rouge et humide, un sourire heureux pendant aux lèvres. Il n'avait pas besoin de faire plus pour qu'elle se laisse totalement envoûter par ses iris verts. "Vous m'avez tant manquée aussi." lui souffla-t-elle tout bas, hoquetant de temps à autre. Les mots lui manquaient, et pourtant, ils avaient certainement bien des choses à raconter, à expliquer. Mais là n'était pas la priorité. Qu'il l'appelle mon amour ne fit que gonfler son coeur davantage, et grossir ses larmes également, qui n'en finissaient pas de couler. "Je vous assure que ce ne sont que des larmes de joie." lui dit-elle en prenant l'une de ses mains, qui s'étaient chargées de sécher ses joues, afin d'y déposer de nombreux baisers et de l'appuyer contre son visage ensuite. Le sourire et les rires de Cole étaient contagieux, parce que son amante ne pouvait s'empêcher de faire la même chose. Elle apprit donc qu'Eleanor avait été mise au courant avant elle de la survie du médecin et que c'était elle qui avait tout planifié afin que les deux amants puissent se retrouver sans que les Keynes ne puissent soupçonner quoi que ce soit. Cole semblait être particulièrement reconnaissant envers Eleanor, il lui devait beaucoup désormais. "Ils n'en sauront rien, je vous le promets." lui dit-elle en plongeant son regard dans le sien. Après avoir marqué une courte pause, elle dit alors, bien songeuse. "Eleanor savait..." Comme si tout prenait son sens, ce qui était le cas. Bien sûr que Constance ne lui en voulait pas, elle savait pourquoi. "Cela explique l'enthousiasme tout particulier qu'elle avait pour cette soirée, bien plus que de coutume et je ne comprenais pas pourquoi." Bien que la relation entre sa jeune soeur et le médecin relèvent de l'adultère, cela ne semblait pas être parfaitement le cas pour l'aînée. Sinon, elle ne les aurait jamais aidé à se retrouver et aurait très certainement fait part de son existence aux Keynes. Eleanor approuvait et, ces dernières années, avait toujours soutenu Constance et les sentiments qu'elle éprouvait pour Cole. La cadette aura bien des occasions pour remercier chaleureusement sa soeur pour ce plan merveilleusement bien trouvé. Avide de chaleur et d'affection, elle collait délicatement son corps au sien pendant qu'elle scellait un nouveau baiser, peut-être un peu plus fougueux mais pas moins tendre que le précédent. Ils avaient tous les deux bien conscience que le temps leur était compté et Constance comptait bien en savourer chaque minute. "Je n'ai jamais cessé de vous aimer, pas même une seconde." lui souffla-t-elle en frôlant sa bouche pendant que ses mains caressaient délicatement son visage. "Je vous aime tant, Cole." Et c'était ce à quoi elle s'était toujours accrochée, malgré les moments amères, malgré les tensions et déceptions. Tout ceci semblait tellement lointain désormais, loin derrière eux. "Aurons-nous la possibilité de nous revoir ?" La tâche semblait déjà bien compliquée, surtout si les Keynes ne devaient rien savoir concernant le retour de Cole. "Je ne parviendrai pas à me faire à l'idée que ces retrouvailles ne soient également des adieux." La petite blonde ne cessait de faire des gestes d'affection. Des caresses, des baisers volés, les visages qui se frôlaient. Sa présence même lui donnait un regain d'énergie, suffisamment de force pour continuer de faire face au poison des Keynes. "Nous aurions tant de choses à nous raconter, des lectures à faire, de baisers à partager..." Constance mentirait si elle disait que leurs relations les plus intimes ne lui manquaient pas. Ce n'était qu'une poignée de fois, ça ne se comptait que sur les doigts d'une seule fois et même pas, et pourtant. Leur amour avait pendant très longtemps été platonique et ils s'étaient risqués à jouer avec le feu, un désir charnel qu'elle avait découvert avec lui. "Je ferai tout mon possible pour vous revoir, je ferai n'importe quoi." lui dit-elle avec douceur et détermination à la fois. "Eleanor et moi sommes devenues assez douées pour... contourner et distraire les Keynes, disons. Pour avoir plus de libertés, profiter de nos enfants autant que possible. Nous sommes même parvenues à aller à Londres ensemble une fois, pour quelques jours." Ce qui, en soi, était un véritable exploit. La petite blonde continuait de se blottir tout contre lui, elle humait son parfum, absorbait sa chaleur, éternisait les baisers échangés. Ils voulaient tous les deux que ce moment ne se finisse jamais, mais avait conscience que le temps leur était tout de même compté. "J'ai quelque chose pour vous. Quelque chose qui... pourrait déjà nous aider à rattraper ne serait-ce qu'un peu de tout ce temps perdu." lui dit-elle à la fin de leur baiser. Elle se séparait à contre-coeur de lui pour récupérer une boîte précieusement dissimulée pour le poser sur le lit et l'ouvrir. Elle contenait une multitude de lettres, toutes adressées à Cole, sans adresse; car elle n'avait jamais su quoi mettre. Il y avait également quelques photographies d'elle et de sa fille. "Ce sont toutes les lettres que je vous ai écrite. J'ai commencé peu de temps après votre départ, mais je n'ai jamais osé les envoyer, de peur que vous les brûliez avant même de les ouvrir si vous ressentiez encore bien trop de rancoeur à votre égard." Elle sourit nerveusement, gênée. Toutes ces lettres, elle n'en avait parlé à personne, pas même à Eleanor. "Et après que l'on soit venu annoncer votre... disparition, j'ai quand même continuer de vous écrire, persuadée que... où que vous soyez, vous en connaîtriez le contenu un jour." Ses yeux se levaient enfin vers lui. "J'y raconte un peu mon quotidien, ma grossesse, les derniers livres que j'ai pu lire, les découvertes que j'ai pu faire... Tout ce qui aurait pu potentiellement vous intéresser." Ces lettres avaient été surtout thérapeutiques, elle partageait ses pensées aussi librement qu'elle le pouvait avec Cole. Elle y mentionnait aussi plusieurs qu'elle le voyait, qu'elle pensait deviner sa silhouette au loin, ou son murmure près de son oreille pendant qu'elle dormait. "Ca n'a rien d'extravagant, mais, je me disais que c'était des sujets de conversation qui auraient pu vous intéresser, nous en aurions débattu pendant des heures. Je parle aussi un peu de mon... accouchement." A ce simple, on pouvait en deviner le souvenir plus que douloureux. Constance se demandait alors si Quincy en avait parlé à Cole. "Et je parle aussi surtout d'Evie, ma fille." dit-elle en tendant le cliché le plus récent à Cole. Au fond, elle aurait adoré dire notre fille."Cette photo a été prise le mois dernier." Impossible pour Constance de ne pas sourire en parlant de sa fille. "J'aurais adoré vous la montrer en chair et en os, mais elle dort à cette heure-ci, et la nourrice trouverait cela suspect je pense, de vous emmener avec moi pour la voir." dit-elle avec un rire nerveux. La jeune femme se demandait s'il allait savoir, au premier coup d'oeil ou non, si cette petite fille était également sa chair et son sang, s'il verrait en elle son enfant ou non. "Tout ceci est à vous. J'ignore si vous parviendrez à partir avec ce soir en toute discrétion, mais je peux toujours vous l'envoyer. Je trouverai toujours une raison de devoir envoyer un quelconque colis." dit-elle avec un sourire avant de l'embrasser à nouveau. Elle était un petit peu anxieuse de sa réaction face à ce lot de lettres et de photographies d'elle ou d'Evie. C'était avant tout une preuve qu'elle ne l'avait jamais oublié, et même qu'il était resté partie intégrante de son quotidien, et que cela ne s'était jamais essoufflé au fil des années.
life worth living - AND MY HIGHS WHEN YOU'RE GONE GIVE ME A GOLDEN GUARDED SOUL BUT WHEN I'M CRAZY AND I'M LOST YOU CALM ME DOWN
Les larmes de Constance accompagnent les rires nerveux qu’ils échangeaient, comme si après toutes ces années, le soulagement balayait les peurs, les peines, les angoisses, les chagrins ; il n’y avait que la joie de se retrouver, de se voir, se toucher, et c’est avec un plaisir immodéré que Cole caressait ses lèvres, ses joues, humait son parfum, admirait sa blondeur, son regard bleu, et son large sourire. Le temps, les épreuves et la supercherie qui les avaient menés à cet instant étaient officiellement du passé, du souvenir. Seul le présent, le palpable, ne comptait et s’inscrivait dans la réalité. L’émotion jaillissante faisait déborder le coeur de Cole d’une multitude de sentiments, irrépressibles, enivrants. C’était un poids en moins sur ses épaules de pouvoir constater que la jeune femme se portait bien, et surtout, qu’elle ne l’avait ni oublié, ni remplacé. Elle était là, à l’accueillir bras ouverts, malgré l’absence, le vide qu’il avait laissé, ce grand point d’interrogation à propos d’un destin que tous crurent fatal. Là, à l’aimer tout autant que le jour de son départ, et peut-être plus encore. Le médecin demeura longuement silencieux face à toutes les actions et les paroles de Constance, presque plus occupé à l’observer, réaliser sa présence, à elle, à lui, ici, un sourire flirtant au bord de ses lèvres tandis qu’elle lui tendait les lettres qu’elle lui avait écrites sans jamais avoir d’adresse où les envoyer, les clichés de ces années manquées ; tout ce qui lui permettrait de rattraper une partie du temps perdu. Et il était ému, un peu dépassé, délicieusement noyé par les vagues d’affection de Constance, tandis que ses doigts de refermaient sur le petit tas de papier ficelé. “Merci.” Cole appréhendait bien des informations au sein de ces pages, et il était évident que la curiosité, le besoin maladif de savoir, le pousseraient à tout éplucher au plus vite. La Lady lui tendit également une photographie de sa fille. Il ne sut dire si elle était toujours aussi convaincue que la petit était de lui alors que rien ne l'attestait, et un coup d'oeil sur ce visage de poupée ne lui permit pas non plus de trancher la question. “Elle est adorable…” dit-il néanmoins avec un fin sourire avant de retourner le cliché. Il prit soin de dissimuler les lettres sous sa veste, songeant déjà à les dévorer le soir même, puis il s'approcha de Constance et la prit à nouveau dans ses bras. Aucune seconde d'étreinte n'était de trop. “Nous nous reverrons, Constance. C'est promis.” Bien qu'il n'était pas initialement dans ses projets de rester près du manoir d'une quelconque manière, pas même dans cette ville qui était la seule qu'il ait jamais connue, revoir son amante lui fit réaliser que chaque kilomètre de séparation serait désormais un kilomètre de trop. Alors que intérieurement il se battait face à ses propres plans devant lui permettre de retrouver une vie normale loin de la toxicité de cette famille, il demeurait apaisé et confiant dans son allure face à Constance. Il prit son visage entre ses mains, et se pencha vers elle afin de lui souffler comment assurer leur prochaine entrevue, celle-ci touchant inévitablement à sa fin ; “Dites à votre époux que vous êtes invitée chez Quincy un après-midi. Il me permet de rester chez lui temporairement. Dites que Evie peut venir jouer avec les enfants. Il est temps que je fasse sa connaissance. Dites que Janet sera là pour veiller sur eux, alors la nourrice peut avoir congé. Et nous aurons ainsi tout le temps que nous souhaitions.” Cela ne rattraperait pas ces années passées. Personne ne court aussi vite que le temps, et personne ne le rattrape jamais ; ce qui est perdu est perdu, les souvenirs qu'ils ne partageront pas, les conversations qu'ils n'ont pu avoir, et cette multitude de baisers cachés, volés au détour de la bibliothèque, dans l'ombre de la nuit. Tout ceci était parti, mais ensemble, ils pouvaient désormais créer de nouveaux souvenirs. Et n'étant ni l'un, ni l'autre, tout à fait les mêmes qu'à leur dernière rencontre, ils pouvaient commencer par s'apprendre encore une fois. “Je n’ai jamais cessé de vous aimer non plus.” murmura-t-il. Il n’avait cure de leurs désaccords passés, de tout ce qui donnait l'illusion d'un fossé entre eux, et que leur relation n'était qu'un pont trop fragile entre deux rives pris dans une tempête. Elwood était revenu pour récupérer sa vie. Non pas telle qu'il l'avait laissée, mais telle qu'il la voulait, la méritait. Pendant très longtemps, se comparer aux Keynes lui avait fait croire qu'il détenait bien des clés, des vérités qu'ils ne comprendraient jamais ; désormais, tout ce qu'il pensait savoir à propos des choses de la vie, des besoins, du possible, du bonheur, avaient subi une remise en perspective, une toute nouvelle vision. “Vous devez retourner à la réception, reprit-il finalement sans s'en montrer particulièrement désolé -le moment était terminé, éphémère depuis son commencement, et ils en auraient d'autres, il avait promis. Je crains que nous ne puissions pas nous permettre une dernière danse ce soir, mais nous en aurons d'autres occasions.” Il embrassa furtivement ses lèvres et son front, puis l'invita à quitter la pièce la première. Cole fit de même une minute plus tard, et se félicita de ne croiser personne dans les couloirs. Quincy et lui ne tardèrent pas à quitter le manoir.
La famille recomposée n’avait d'autre place pour Elwood que le canapé du salon, si bien que le médecin ne dormait qu'une fois toute la maisonnée au lit. Son habitude tenace d'être levé aux aurores lui permettait de bien vivre le réveil très matinal des plus petits. Néanmoins, ce matin-là, ils avaient tous découvert un Cole si profondément endormi qu'ils n'eurent pas le cœur de le sortir de son sommeil ; alors les parents, et tous les sept enfants, préparèrent et dégustèrent le petit-déjeuner dans le silence le plus religieux, n’articulant pas le moindre murmure trop fort, jusqu'à ce que ce soit l'odeur seule du pain chaud qui vint soustraire leur invité aux bras de Morphée. La nuit avait été courte, à vrai dire, passée à lire chaque ligne des lettres de Constance sous la lumière tamisée d'une bougie. Souvent, le petit dernier réclamait sa mère au milieu de la nuit, et Janet passait à la cuisine boire un verre d'eau avant de retourner se coucher auprès de son mari une fois le bébé rendormi. En voyant Cole éveillé dans le salon, elle sursauta, la main sur son cœur paniqué. “Je ne voulais pas vous effrayer.” avait dit Cole, navré. Janet eut un petit rire, à la fois soulagée qu'il n’y ait pas d'intrus dans la maison, et amusée de cette capacité du médecin, depuis son retour, à faire pâlir tout le monde par sa présence bien malgré lui. “C’est pourtant votre nouvelle habitude de fantôme.” Oui, il l'avait noté lui aussi. “Je n'arrive pas à dormir.” avait-il expliqué, sachant qu'il trouverait en son hôte une oreille attentive à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Elle vint s'asseoir près de lui. “Quelque chose vous travaille ? Vos retrouvailles avec Constance ?” À dire vrai, énormément de sujets faisaient tourner les engrenages de son esprit dès lors où il ses deux pieds avaient retrouvé le sol anglais, mais oui, Constance était l'élément qui le maintenait éveillé. “En quelque sorte. Durant mon absence, elle a écrit ces lettres, et les a accompagnées de ces photos. Et…” Il tira l'un des clichés de la pile qu'il confia à Janet, indiqua l'enfant. “C'est sa fille, Evie.” Elle inspecta la photographie un instant. Cole et elle avaient partagé plus qu’un simple lien de médecin à patiente, non seulement parce que celui-ci s’était pris d’affection et de compassion pour celle qui était soudainement devenue une mère célibataire sans ressources, mais aussi parce qu’ils avaient partagé un deuil, la perte d’un être cher. Elle était donc la mieux placée pour comprendre le désarroi de son ami, devinant sans mal le problème ; « Votre fille ? » demanda-t-elle en lui rendant la photo. « Qui sait... » Personne ne pouvait le savoir pour sûr, et pour pareille question n’étant qu’affaire d’instinct, il était particulièrement difficile de maintenir une frontière entre ce que ses tripes lui disaient, son coeur souhaitait, et sa tête martelait. « Je ne veux pas me convaincre que c’est le cas, et qu’en grandissant elle ressemble plus à Peter qu’à moi. Ca serait comme si… - Comme si ce rêve se fanait encore une fois. » Cole acquiesça dans un soupir. Ils avaient ainsi discuté pendant un long moment. Ainsi, lorsque l’appel du petit-déjeuner tira le médecin hors de son lit de fortune, les odeurs et la compagnie de cette famille qui avait enfin offert à cette maison toute la vie qu’elle méritait lui mirent du baume au coeur. Tant de bienveillance n’était pas ce qu’il s’attendait à trouver lors de son retour en Angleterre, mais tout portait à croire que Cole avait largement sous-estimé sa chance.
give me your love and physical affection, give me the worst of you to hold
Submergée par ses émotions, Constance avait à la fois tant de choses à dire, et si peu. Les années étaient passés et il n'y avait que l'amour qui ne s'était pas éteint suite aux ravages du temps. La colère, l'éventuel rancoeur n'étaient plus qu'un lointain passé qu'ils avaient tous les deux immédiatement oubliés. Ils ne se focalisaient là que sur l'essentiel, sur ce qui faisait battre leur coeur, ce qui leur donnait une raison de vivre. La jeune femme peinait à décrire le bonheur qui la submergeait à cet instant précis. Alors qu'elle avait beaucoup de choses à raconter, Cole se contentait de l'admirer et de l'écoutait avec attention. Elle lui avait confié les nombreuses lettres dont il était le destinataire. Emu, il ne savait pas quoi faire d'autre que de la remercier sobrement. Peut-être réalisait-il combien il lui avait manqué, qu'elle cherchait toujours un moyen de maintenir ce lien entre eux, fragilisé par une longue distance et une absence prolongée. Elle ne l'avait jamais oublié, pas à un seul instant. Constance lui montrait une photographie d'Evie, toujours bien convaincue qu'il était le père de l'enfant – à moins qu'elle ne s'en était persuadée durant ces dernières années ? Au fond, le mystère restait entier. Il prit sa belle dans les bras, comme s'il cherchait à rattraper toutes les étreintes qu'ils n'avaient pas pu se faire, glissant ensuite une promesse, la plus agréable et délicieuse à écouter. La petite blonde avait l'impression de sentir son coeur exploser en entendant ses mots, incapable de décrocher son sourire de ses lèvres. Cole avait déjà échafaudé tout un plan pour leur prochaine rencontre. Il n'avait pas oublié comment il fallait faire pour songer à chaque détail, s'assurer qu'ils ne soient pas trahis par la seule petite chose à laquelle ils n'auraient pas songé. La jeune femme buvait chacune de ses paroles, acquiesçant d'un signe de tête, approuvant le moindre de ses dires. Ses yeux s'humidifièrent et brillèrent de plus belle au simple fait de savoir qu'ils allaient se revoir. Mais, pour leur salut, elle se devait de dissimuler ce bonheur parfaitement indescriptible une fois qu'elle aura franchi la porte de sa chambre. Ce moment là était terminé, elle avait déjà bien hâte du prochain. La séparation était difficile, mais elle n'eut aucun mal à porter le masque qu'elle avait depuis quelques années, en plus de celui qui recouvrait une partie de son visage. Suite à cela, ils se croisaient à peine, la fête touchait peu à peu à sa fin. Mais leur coeur était à nouveau gonflé d'amour et d'espoir, une sensation que Constance n'avait plus ressenti depuis bien longtemps.
Une fois tout le monde partis, les deux soeurs s'étaient octroyées une promenade nocturne au domaine, encore vêtues de leur belle robe de bal. La cadette peina à exprimer la reconnaissance envers sa soeur, avec le plan qu'elle avait montée avec Cole afin que les deux amants puissent se revoir. Eleanor réalisait qu'elle n'avait pas vu sa petite soeur aussi heureuse depuis longtemps. Non, elle était aussi bien quand elle passait des moments seuls avec sa fille, mais l'on ne pouvait guère comparer l'amour partagé entre une mère et sa fille à celle de l'amour de toute une vie. Ce fut pour elle également un moyen de se racheter de bon nombre d'erreurs, la première étant de ne pas avoir empêché le mariage avec Peter. Avec le temps, elle réalisait que Constance aurait été bien plus heureuse avec Cole si cela avait été envisageable. Mais à cette époque, le médecin ne songeait pas à se remarier, cela lui était inconcevable. Eh bien qu'il s'agissait d'adultère, Eleanor ne se sentait absolument pas désolée pour Peter, ni pour le reste de la famille. Au contraire, elle préférait être complice d'un amour sincère plutôt que de prêcher la méchanceté et la cruauté des Keynes. Elles se sauvaient l'une l'autre et les deux mères espéraient que leurs enfants puissent grandir avec un peu plus de bonté que leurs parents, oncles et tantes. Une tâche bien difficile lorsque l'on était au milieu d'un nid de serpents. Mais ces enfants étaient Dashwood à cinquante pour cent, ce qui était suffisant pour sauver la mise.
Le plan que Cole avait imaginé était passé crème auprès de la famille Keynes. Pas de doute ou de questionnement. Ils savaient que les soeurs Dashwood aimaient régulièrement se rendre au village, ne serait-ce que pour s'y promener et rencontrer quelques villageois. Ils connaissaient bien Quincy et sa famille, il était leur médecin après tout. Durant le trajet, le coeur de la jeune femme battait la chamade. Elle peinait à réaliser qu'il était à nouveau là, tout près d'elle, comme si le bal masqué était le plus beau des rêves ou si le fantôme de Cole venait la hanter une énième fois. Son esprit lui avait joué des tours, durant ces dernières années, une fois de plus n'aurait rien eu de surprenant. Arrivées devant la maison, la petite Evie fermement deux des doigts de sa mère alors qu'elles approchaient de la porte d'entrée, où Janet et Quincy les attendaient déjà. Evie était plutôt timide avec les personnes qu'elle ne connaissait pas trop, ce pourquoi elle demandait rapidement à être portée par sa mère. Elle nécessitait juste d'une petit temps d'adaptation, après quoi elle se montrait plus ouverte avec les autres. "Tu dis bonjour, Evie ?" demanda doucement Constance. Mais rien n'y faisait, la petite restait bien blottie contre elle. "On ne la changera pas." dit Janet en riant, nullement offensée par la comportement de la petite. On les invita rapidement à entrer. Le visage de Constance s'illumina instantanément lorsqu'elle vit Cole. Résister à l'envie de l'embrasser et de l'enlacer était particulièrement difficile. Constance restait très pudique à ce sujet et préférait qu'ils soient seuls pour ce genre de marque d'affection. Elle le regardait alors avec des yeux remplis d'amour et d'affection lorsqu'elle lui dit avec un doux sourire. "Bonjour." alors qu'elle s'approchait de lui. Non, ce qu'il s'était passé au bal masqué n'était donc pas un rêve. Il y eut un moment de flottement, un simple échange de regards que personne n'osait interrompre ou perturber. "Heum... Voici Evie, ma fille." dit-elle finalement doucement, avec un sourire. "Evie, voici Cole. C'est... un très bon ami à Maman. Il est aussi docteur, comme Quincy. Il guérit aussi les personnes malades." lui expliqua-t-elle calmement. "Elle est très timide." précisa-t-elle à Cole. Cela ne l'empêchait pas d'être curieuse et de regarder Cole avec un certain intérêt. "Mais très adorable aussi." Constance rit doucement. Quincy suggéra à ce qu'ils s'installent au salon pour y être plus tranquilles. Elle remercia la famille nombreuse de leur hospitalité et de permettre à ce qu'ils puissent se voir. Avec leurs enfants, ils se dirigèrent dans le jardin afin de profiter du beau temps et Janet précisa à la petite blonde qu'elle pouvait lui confier sa fille à tout moment, si besoin. Les deux amants pouvaient entendre sans mal les cris et rires des enfants à l'extérieur, alors qu'ils étaient dans le salon. Evie était installée sur les genoux de sa mère, les yeux toujours rivés sur Cole. Elle lui lançait même parfois quelques regards malicieux. "Je fais mon maximum afin de pouvoir passer le plus de temps possible avec elle. Peter ne voit pas cela d'un bon oeil, mais Eleanor et moi trouvons toujours des subterfuges pour être avec les petits." Elles étaient devenus plutôt douées, à force. Mais Constance craignait toujours de finir comme les Keynes, tout aussi vicieuse et malfaisante. "Je ne veux pas qu'elle devienne comme eux." Elle était déterminée, à ce sujet. Evie se décollait enfin un peu de sa mère, se sentant déjà plus à l'aise. ""Elle aime beaucoup que je le lui lise des histoires, et se promener dehors lorsque le temps le permet." Cela n'avait rien de surprenant quand on connaissait bien sa mère. Les chiens ne faisaient pas des chats."Tu veux bien lui dire bonjour, maintenant ?" tenta-t-elle une nouvelle fois, en passant une main sur ses cheveux blonds encore bien fins.. "...bonjour." dit la fillette tout bas, avec un sourire discret, reprenant un air un peu timide. "Vous en avez, de la chance, elle ne fait pas entendre sa voix à n'importe qui." dit Constance dans un rire. La jeune femme se demandait bien ce que le médecin pouvait bien penser, en rencontrant enfin la fille de son amante. Si l'évidence allait le frapper dès lors qu'il aura croisé le regard d'Evie ou s'il fallait encore attendre qu'elle grandisse pour enfin connaître la vérité. Constance y croyait dur comme fer. Pour elle, ce n'était pas un hasard qu'elle ne soit pas retombée enceinte depuis alors que Peter s'évertuait à la tâche dès que sa santé le lui permettait. Et elle était tombée enceinte peu de temps après avoir couché avec Cole. Selon elle, cela tombait sous le sens. Il y avait des périodes où Peter était bien moins observant sur le régime à adopter pour éviter de nouvelles crises et Constance avait laissé tomber l'idée de le lui rappeler quotidiennement. Selon elle, il était assez grand pour se prendre en main et savoir ce qui était bon pour lui ou non. Qu'il prenne ou non en considération les conseils de Cole, puis de Quincy ensuite était son choix. De plus, ses crises étaient synonymes d'un véritable répit pour la jeune femme, qui tenait malgré tout le choc face à l'indélicatesse d'un époux pour lequel elle n'éprouvait toujours aucune affection.
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Malgré l’hospitalité dont faisait preuve la nouvelle famille de Quincy et toutes les manières qu’ils avaient, chacun à leur façon, de faire sentir le médecin bienvenu, le faire sentir chez lui, Cole estimait qu’il abusait peu à peu de leur générosité. En revenant dans le Kent, son plan initial n’était pas de s’y éterniser pour longtemps ; son unique but était de revoir Constance, et suite à cela, il s’imaginait partir pour il ne savait où, une autre région, peut-être le nord, voire un autre pays où tout recommencer. Tout ceci était simple dans son esprit, et comptait sur le fait que la Lady l’aurait soit oublié, soit préféré le tenir à l’écart de cette vie qu’elle était parvenue à se construire durant toutes ces années d’absence. Désormais, Elwood revoyait tous ses projets et faisait malheureusement face à un mur, une vérité qui l’avait retenu prisonnier bien longtemps ; il n’y avait plus rien pour lui ici. Il était mort aux yeux de tous ceux qui l’avaient un jour connu, et d’une certaine manière, cela était pour le mieux, néanmoins il lui fallait trouver comment aller de l’avant. Puisque nul à Canterburry n’avait idée que le médecin était de retour de l’au-delà, mais qu’il évoluait dans la maison avec le reste de la famille, il lui fallait se cacher dès que l’on frappait à la porte. Les patients n’avaient aucune raison de s’aventurer au bout du couloir de l’entrée menant vers le salon et tournaient immédiatement à gauche vers la pièce servant de cabinet. Mais certains visiteurs aimaient saluer la famille, les enfants, rester pour le thé ou simplement une poignée de minute afin de rendre la consultation moins formelle, passer du patient à l’ami et du praticien au bon voisin. Cole avait donc pris ce réflexe et profitait souvent de l’aide des enfants passés maîtres en l’art de la diversion afin de lui laisser le temps de se rendre à l’étage par exemple, plutôt que de passer tout un après-midi dans un placard comme cela avait été le cas les premiers jours. Ils avaient pris la main pour ainsi dire. Depuis la réception de la Toussaint, Quincy et Janet savaient qu’ils devaient s’attendre à une visite de Constance dans les jours à venir -proches, espérait-il. Ils ne voyaient aucun inconvénient à jouer les alibis auprès des Keynes, cela leur conférant l’impression de faire ce qui devait être fait pour le bonheur de leurs deux amis. Alors la belle blonde vint, un jour, accompagnée de sa fille et amputée de la nourrice, comme prévu. On la fit entrer et l’un des enfants vint prévenir Cole qu’il n’était pas nécessaire de se cacher. Il apparut dans le salon, fort nerveux mais si heureux de la voir. Sa fille était dans ses bras, le portrait craché de sa mère, et d’un autre air familier sur lequel Elwood ne tenait toujours pas à mettre de nom. « Bonjour. » souffla-t-il au bord des lèvres, esquissant un sourire. La force avec laquelle son coeur battait dans sa poitrine lui donnait l’impression de trembler des pieds à la tête, jusqu’au bout de ces doigts qui vinrent frôler délicatement son visage porcelaine. Constance lui présenta la fillette qu’il avait reconnu sans mal grâce aux clichés accompagnant les lettres, bien qu’elle sembla plus tendre et polissonne dans la réalité. Timide, néanmoins, ses coups d’oeil alternaient entre le médecin, curieuse, et sa mère, avec le besoin d’être rassurée. « Cela me rappelle quelqu’un. » dit-il face au descriptif que Constance lui en faisait, même si ces détails n’étaient pas tant nécessaires pour écarter tout doute concernant le sang qui la liait à sa fille. Puis Cole se tourna vers la petite, et lui adressa un très simple, très poli ; « Bonjour, Evie. » Quincy comprit bien vite que lui et sa tribu étaient de trop dans le tableau. La famille s’exila dans le jardin et laissa aux amants l’intimité dont ils avaient besoin afin de se retrouver, dans de meilleures conditions qu’à la réception, moins soumis à la pression et la crainte d’être découverts. Cette maison était un endroit sûr pour eux, et même si le temps leur était encore une fois compté, ils avaient, cette fois, de nombreuses heures devant eux. Ils purent s’installer dans le sofa au plus grand soulagement des jambes de Cole, raides comme des bouts de bois. Lui ne savait que dire tant il se satisfaisait de la simple présence de Constance, alors celle-ci fit un peu de conversation. Elwood connaissait bien assez les Keynes et les personnes de leur rang pour savoir quelles étaient leurs convictions en matière d’éducation pour les enfants. La nourrice était au centre de tout et possédait plus de pouvoir sur les héritiers que les parents eux-mêmes, quand bien même suivait-elle leurs directives, instaurées dans la famille depuis des générations et rarement remises en question. Avant, le médecin tendait à croire que ces personnes n’étaient pas foncièrement malfaisantes, qu’il ne s’agissait que d’individus aveuglés par un héritage culturel particulièrement lourd à porter, des victimes d’une caste les ayant vu naître sans qu’ils n’aient choisi à en faire parti, des esprits conditionnés malgré eux ; des gens faisant tout bonnement ce qu’ils pensaient devoir faire pour survivre avec dignité. Son avis était changé. Désormais, Cole était convaincu qu’il existait une part de choix ; celui d’embrasser ou non les coutumes familiales de manipulations, traîtrises et les jeux d’égos. Ce à quoi Evie pouvait échapper. Elle daigna enfin lui faire entendre le son de sa voix, et le sourire du médecin s’élargit un peu. Elle était adorable, oui, et elle soufflait sur la poussière des souvenirs et des émotions que Cole avaient enterrés. « J’ai quelque chose pour toi, joli coeur. » lui dit-il. Il se leva un instant afin d’aller chercher le cadeau en question dans la malle derrière le sofa qui dissimulait le peu d’affaires qui lui appartenaient. Il revint avec une peluche, un lapin, que Quincy avait accepté d’aller lui chercher en prévision de la visite de Constance, car Elwood refusait de prendre le moindre risque d’être reconnu en mettant un pied à l’extérieur de la maison. Il tendit le petit animal à Evie qui préféra demander, du regard, la permission de le recevoir à sa mère. Puis ses petits doigts attrapèrent l’une des oreilles tandis qu’elle souffla un très timide « ...merci ». Elle l’inspectait, curieuse. Cole s’imaginait qu’elle ne manquait pas de jouets et de tout ce qu’elle pouvait vouloir malgré l’éducation stricte que se devait de faire suivre la nourrice. La peluche devrait passer inaperçu auprès des Keynes. « Est-ce que tu veux lui donner un nom ? » La question sembla soulever une intense réflexion chez la petite fille, pour qu’elle décide finalement de le baptiser « ...lapin ». « Lapin le lapin, cela me paraît tout à fait approprié. » approuva Elwood, amusé et attendri. Il crut apercevoir un sourire de la part d’Evie, et un de la part de Constance. Et tout ceci, ce moment, lui paraissait si simple, si tendre, si facile, qu’il lui laissait le sentiment étrange, oublié, d’avoir une place quelque part. « Tu ne peux pas te souvenir, mais nous nous connaissons depuis longtemps, toi et moi. » reprit-il d’une voix douce à l’intention de la fillette qui caressait la peluche avec attention. « Tu étais encore dans le ventre de ta mère. » Il soupira. Evie était la forme personnifiée du temps qui avait passé, l’incarnation de toutes les années passées loin de Constance. Toutes les lettres du monde ne pouvaient suffire à rattraper tout cela. « J’aurais dû être là quand tu es venue au monde. » Bien sûr, il avait lu à ce sujet, et son coeur s’était serré face à ce que son imagination tirait de ces lignes. Une partie de lui avait su que les choses se dérouleraient ainsi, de l’instinct ou un sens aigu de la fatalité. Il était parti malgré tout. « ...mais j’étais ailleurs. »
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Qu'il était agréable de réaliser encore une fois qu'il était bel et bien vivant. Il n'était plus une ombre, un fantôme qu'elle croyait voir déambuler au milieu de la nuit, lorsqu'elle n'arrivait pas à fermer l'oeil. Elle avait tant craint d'oublier son visage, sa voix, ses caresses. Que les souvenirs résistant au temps et aux épreuves quotidiens ne soient pas assez gravés pour qu'elle se remémore chaque trait de son visage, chaque lueur qu'elle avait aperçu dans ses iris verts. Elle chérissait chacun de ses souvenirs, tout comme elle comptait graver dans sa mémoire cette simple main qui venait frôler sa joue, au moment des salutations. Avec la lueur du jour, la petite blonde eut l'impression de le redécouvrir à nouveau. Il avait quelques rides supplémentaires, les cheveux un peu plus grisonnant, mais il n'était pas moins beau à ses yeux. La commissure de ses lèvres était sensiblement arquée vers le haut. Il y avait de nombreux moments où elle regrettait de ne pas être montée dans ce train. Durant l'absence de Cole, elle finissait par se dire que si elle l'avait fait, il l'aurait certainement rejoint, à un moment ou à un autre. Elle aurait adoré faire sa vie avec lui, se marier, fonder une famille avec lui. La qualité de vie n'aurait pas été la même que celle qu'elle avait actuellement, mais cela n'était qu'un détail à ses yeux. Le destin en décida autrement et voilà qu'ils devaient se voir sans que personne ne soupçonne cette miraculeuse résurrection du médecin. Il semblerait qu'il n'y ait pas que le physique d'Evie qui rappelle énormément sa mère, mais aussi son caractère. Elle était discrète, timide. Constance laissait le temps à Cole de saluer la petite. Juste après, la famille de Quincy les laissait tranquille. Ils méritaient bien un peu d'intimité, pour les quelques heures passées ensemble, à se retrouver, à se réapprendre. Le médecin semblait particulièrement de pouvoir enfin entendre la voix d'Evie, qui commençait tout doucement à prendre ses aises. Cole lui attribuait déjà un surnom particulièrement affectif. Il semblait déjà beaucoup s'y attacher, alors qu'il n'avait fait sa connaissance que quelques minutes plus tôt. Il avait même un présent pour la fillette, qu'elle appréciait particulièrement. On ne peut plus attendrie par cette scène, Constance souriait, et caressait les cheveux d'Evie pendant que celle-ci découvrait sa peluche. Elle lâchait un petit rire en entendant le nom qu'elle attribuait à son nouveau jouet. Evie adressa un sourire timide au médecin, qui devint un peu plus franc au bout de quelques secondes. Elle finit par quitter les genoux de sa mère pour s'installer entre les deux amants. Pendant ce temps, Cole effleurait un sujet particulièrement sensible. Il semblait beaucoup s'en vouloir. Tout se serait très certainement passé autrement s'il avait été là et n'aurait sûrement pas laissé faire cet obstétricien soit-disant renommé pour son talent et son travail. Rien qu'à ce souvenir de ces très longues et nombreuses heures de souffrance, un frisson parcourut le dos de la jeune femme. Elle tendit sa main afin de caresser délicatement la joue de l'homme qu'elle aimait. "Vous étiez dans mon coeur." lui souffla-t-elle avec tendresse. "Vous y avez toujours été, et vous y serez pour toujours." Un maigre sourire étirait ses lèvres roses. "Il arrive que Quincy et moi revenions sur le sujet. Cela le met hors de lui à chaque fois." Si bien qu'il ne recommandait à personne, au contraire, il conseillait aux patientes qui désiraient avoir un spécialiste d'éviter cet énergumène. "Tout le monde a cru que j'allais y passer, moi la première. La fièvre, la... La douleur. Je n'en pouvais plus de vivre cela, j'étais à bout. Je me demandais pourquoi je n'ai pas eu droit à un accouchement similaire à celui d'Eleanor. Et j'avais si mal, c'était insupportable." Elle s'en souvenait comme si cela s'était passé la veille. "Mais je vous ai vu, dans un rêve. Et il y avait Evie. Je me suis dit que j'avais là, en face de moi, les deux personnes que j'aimais le plus au monde et qu'il fallait que je me batte pour elles. Pour vous deux." Constance esquissait un maigre sourire. "Et là voilà, ma petite Evie." Ses doigts caressaient ses cheveux pendant que sa fille s'attachait beaucoup à sa nouvelle peluche. "Je ne suis pas retombée enceinte depuis." Ce qui, en soi, n'était pas une mauvaise chose pour elle. La jeune mère regardait son amant avec tendresse. Elle aurait tant à dire mais elle se sontentait simplement de l'admirer, de profiter de sa présence. Elle lui souriait, le contemplait inlassablement. Sa main venait se glisser délicatement dans ses cheveux bruns. Evie serrait sa peluche tout contre elle et se débrouillait pour descendre du canapé sans lâcher son jouet une seule seconde. Sa petite main tenait fermement la tissu de sa robe pendant qu'elle lançait des regards charmeurs et malicieux au médecin. "Que voudrais-tu, Evie ?" demanda Constance, sachant très bien ce que ces regards signifiaient. Mais la petite faisait sa timide, elle riait nerveusement, le regard pétillant, toujours tourné vers Cole. "Il suffit de le lui demander poliment." Mais elle n'osait pas, sa timidité prenant le dessus. "Tu sais que nous pourrions faire tout à l'heure ? Lire une histoire avec Cole." Il n'en fallait pas plus pour illuminer le regard de la petite. "Cole adore les histoires, lui aussi. Et il les raconte très bien. Maman adore quand il lui lit un livre." Elle regardait le médecin avec émerveillement. Et pour Constance, cela refit monter des souvenirs particulièrement agréables. La petite acquiesça vivement d'un signe de tête. Mais il semblerait qu'elle désirait avant tout à montrer sa peluche adorée aux enfants de Quincy. "Fais attention à ne pas la salir, surtout." rappela-t-elle. Avec détermination, la petite tenait fermement son lapin tout contre elle, comme s'il s'agissait de son bien le plus précieux, de peur de le tomber par terre, avant de filer au jardin en courant avec ses petites jambes. Constance la regardait partir, le sourire aux lèvres, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus dans son champ de vision. Après un nouveau moment de silence – quoi que l'on entendait les enfants s'amuser dans le jardin –, la jeune femme glissa ses doigts entre celles du beau médecin. Ce simple contact faisait accélérer sa fréquence cardiaque. Elle retombait sous son charme dès qu'elle croisait son regard, dès qu'il esquissait un sourire, dès qu'il prononçait un mot. Constance avait oublié toutes ces sensations agréables, les émotions ressenties quand on se trouvait en présence de l'être aimé. "Elle reviendra assez rapidement pour son histoire." dit-elle avec un rire. "Elle adore cela et elle va certainement craindre de manquer ce moment. Et si elle me ressemble tant, je pense qu'elle sera toute conquise en vous entendant conter." A vrai dire, elle connaissait suffisamment sa fille pour savoir que cela allait être le cas. Constance saisissait la moindre occasion qui se présentait pour la partager avec sa fille. "Je suis heureuse que vous ayez enfin pu faire sa connaissance. Que vous ayez pu la voir de vos propres yeux, avoir des premiers échanges avec elle. Cela signifie tant pour moi." Il ne pourra malheureusement pas faire partie de sa vie comme Contance pouvait le rêver, mais au moins, Evie aura croiser la route de Cole une fois dans sa vie. "Depuis le bal masqué, je n'attendais que ce moment là. De vous revoir, d'avoir un peu plus que quelques minutes." Elle se penchait vers lui pour déposer un baiser ses lèvres sur les siennes. Un doux baiser, simple et tendre. Rien que cela la rendait heureuse. "Avez-vous eu le temps de lire mes lettres ?" lui demanda-t-elle finalement, en se rapprochant un petit peu de lui – cette question lui brûlait les lèvres depuis qu'elle les lui avait donné, à vrai dire. Elle souhaitait tant savoir ce qu'il en avait pensé, s'il avait des commentaires à faire, des faits à pointer du doigts, ce qui l'avait ému, bouleversé, rendu heureux, irrité. Peut-être même serait-il enclin à raconter ce qu'il avait vécu ces dernières années également. S'il ne le désirait pas, Constance n'en serait pas offusquée. Cole était secret, il y avait des aspects de sa vie qu'il lui avait révélé avec difficulté. Elle désirait simplement être là pour lui. Il n'était pas l'homme qu'il lui avait passé la bague au doigt, mais il était et sera toujours celui qui détenait son coeur.
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Il ne la voyait plus en la Constance qu’il avait sous les yeux, la jeune femme persuadée qu’elle serait une mauvaise mère, tétanisée à l’idée d’être enceinte, traumatisée par le premier accouchement auquel elle avait pu assister. Lui n’avait jamais douté d’elle et savait toute la force sommeillant en elle et ne demandant que le bon prétexte pour se dévoiler ; nul cause n’était meilleure que le bonheur de son propre enfant. C’était ce qui lui avait permis de supporter la douleur d’un accouchement compliqué, puis de se donner les moyens de préserver sa fille de l’influence des Keynes autant que possible. Son amour pour Evie était évident, et comme pour n’importe quelle mère, même si l’allure n’en allait rien présager, personne ne pouvait douter que sa volonté d’obtenir le meilleur pour son enfant lui ferait soulever des montagnes. Constance précisa qu’elle eut aucune autre grossesse depuis, ce qui ne manqua pas d’interpeller le médecin en Elwood. Si la jeune femme avait démontré qu’elle pouvait tomber enceinte mais que ses rapports conjugaux demeuraient sans résultat depuis la naissance de son premier enfant, alors il était évident que quelque chose clochait. Pour n’importe qui d’autre, l’évidence aurait sauté aux yeux de Cole, mais dans ce cas particulier, son esprit persistait à nier. Son regard se posait sur Evie. Quelle soit sa fille ou celle de Peter, qu’est-ce que cela pouvait changer, dans le fond ? Cela ne la définissait pas. Elwood ne voyait en elle que l’innocence et la malice de tout petit être de son âge. Elle était descendue du sofa avec l’intention de réclamer une chose, puis elle se ravisa et compta sur la perspicacité de sa mère afin de traduire sa pensée à sa place. Bien entendu, Constance mit immédiatement le doigt dessus et la fillette approuva l’idée de lire une histoire. Cole eut un rictus nostalgique ; oui, ils en avaient passé des heures à lire, à se conter des histoires tout haut. C’était leurs moments. D’une certaine manière, Evie en avait hérité. Il approuva également l’idée de la lecture donc, et observa la petite rejoindre les autres enfants dehors, déjà fort attachée à sa nouvelle peluche. Même s’il s’agissait de leur première rencontre, leur premier contact, Cole avait l’étrange sensation, inexplicable, que la simple vue d’Evie gonflait son coeur de tendresse. Elle remplissait en lui le trou béant qui l’avait dévoré durant bien longtemps. Elle lui inspirait l’envie de la prendre dans ses bras, d’embrasser ses joues, de partager et développer ensemble tout ce qu’ils pourraient avoir en commun. Elwood finit par se dire que si Constance était toujours absolument persuadée qu’elle était sa fille et non celle de Peter, alors il pouvait bien lui accorder le bénéfice du doute, il pouvait bien la croire, et laisser cette émotions, cet instinct qui vibrait à son contact, prendre le dessus sur ses veilles peurs et lui faire enfin accepter ce que la jeune femme avait toujours considéré comme un fait. « Je suis heureux d’avoir pu enfin la rencontrer. » dit-il, distrait mais souriant, appréciant ces flottements, ce calme, cette touche de sérénité dont il n’avait pas fait l’expérience depuis des années. Enfin, Cole posa à nouveau les yeux sur la Lady. Elle l’embrassa ; afin de prolonger un peu ce baiser, il déposa une main sur sa joue. Contre toute attente, la jeune femme ne profitait pas de ce tête-à-tête pour demander des explications. Des années séparés, à croire à la mort du médecin, et elle ne posait pas de questions à ce sujet. Ce qui épargnait à Cole la tâche de lui faire comprendre qu’il n’en parlerait pas, comptant laisser le voile couvrir ces événements. « Je les ai lues. » dit-il. Il avait été surtout touché de constater à quel point elle avait pensé à lui et souhaitait se confier à lui quand bien même il n’était pas à ses côtés. Puis son coeur s’était serré en lisant les lignes où l’encre avait bavé lorsqu’elle évoquait sa disparition, tous ces moments où le deuil ressemblait à une épreuve insurmontable. « Je suis désolé de vous avoir causé tant de peine. Je... » C’était surtout cela qu’il avait retenu. Le mal qu’il avait causé. Et Cole souhaitait lui dire que tout ceci n’avait pas dépendu de lui, qu’il n’avait pas eu de choix et qu’il n’avait cherché qu’à agir dans son intérêt, mais cela revenait à bien trop en dire à Constance, et le médecin s’était juré de tenir sa langue. Néanmoins, il prit les mains de son amante entre les siennes et s’adressa à elle avec le plus grand sérieux ; « Ecoutez. Le passé est passé, Constance. J’ai raté tant de choses durant mon absence que rien ne me permettra de tout à fait rattraper. Ces dernières années ont été… compliquées, pour nous deux. Mais ne les laissons pas nous détourner de ce qui importe maintenant. » L’avenir, leur avenir. Leur sort, leur place sur l’échiquier, et ce qu’ils étaient prêts à faire ou non au nom de leur bonheur et de ce qu’ils pensaient être juste. « Je ne peux pas rester ici, à Canterbury. Personne ne sait que je suis de retour et cela doit rester ainsi, mais je ne peux pas vivre comme un fantôme éternellement. J’abuse de l’hospitalité de Quincy depuis trop longtemps maintenant, et même si ça me peine… Il faut que je m’en aille, que je reprenne une vie normale, aussi loin que possible de l’ombre des Keynes. » Cela impliquait de nombreux kilomètres entre lui et Chilham, sans aucun retour en arrière possible. Une opportunité d’une valeur inestimable ; celle de recommencer à zéro, de pouvoir reprendre sa vie en main, d’avoir enfin le choix. Une véritable question de salut. Alors Cole reprit, nerveux mais déterminé, l’estomac noué par l’appréhension, la possibilité de voir ses espoirs rencontrer un mur ; « Est-ce que vous viendriez avec moi, Constance ? Avec Evie. Tous les trois. Partons comme nous aurions dû le faire il y a des années. » Cole avait appris à ses dépends qu’un choix qu’il pensait être le sien n’avait été qu’une mascarade. Il avait appris qu’il n’existait pas plus traître que des flatteries et que baisser sa garde face aux Keynes avait été sa plus grande erreur. Il avait eu confiance, en eux, et en lui-même pour un si court moment. Quelques jours, quelques semaines, où il s’était cru en contrôle des événements, de sa vie. Mais alors qu’il quittait l’Angleterre, le médecin n’avait encore une fois que suivi le chemin tracé par eux, qu’ils guidaient chacun de ses pas dans la direction qu’ils avaient choisi. Au même titre que tous ceux qui naissaient et grandissaient au manoir. Puis il mourut, à leurs yeux, et gagna sa liberté, payant le prix fort au passage. Pour bien des raisons, il regrettait son départ pour l’Egypte. Pour autant d’autres, il ne ressentait pas de culpabilité ou de regrets. Ce qui l’intéressait avant tout était de déterminer quelle serait la suite de sa vie, qu’il espérait meilleure que celle qu’il avait laissée derrière lui ici. Mais il ne l’imaginait pas sans elle.
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Cole semblait plus heureux, d'avoir pu rencontrer la petite Evie. La jeune femme ne parvenait pas à l'expliquer, ni décrire ce qu'elle voyait. Mais elle le trouvait un peu plus rayonnant, plus à l'éveil, plus entier. Elle peinait à trouver les mots exacts. Comme une exaltation, une révélation. A se demander s'il admettait que la petite puisse être sa fille, son sang. Beaucoup d'éléments affirmaient ce que Constance avait toujours pensé, peut-être le réalisait-il à son tour. Elle ne pouvait le deviner. Elle savait seulement qu'avoir pu faire la connaissance d'Evie l'avait rendu un peu plus heureux, plus accompli, qu'il soit le père ou non de cette adorable fillette. Cette dernière était partie jouer avec d'autres enfants, laissant les deux amants ensemble, pouvant discuter de ce que bon leur semblait. C'était à ce moment là que la jeune femme s'était permise d'échanger un baiser avec lui. Contact que Cole désirait prolonger en posant une main délicate sur sa joue pâle. Ils restaient près l'un de l'autre, elle gardait sa main précieusement dans la sienne. Le médecin disait avoir lu toutes les lettres. Ce n'était peut-être qu'une maigre compensation à son absence, aux discussions qu'ils auraient pu avoir, aux événements auxquels il aurait pu ou du assister. S'il avait été là, tout aurait été bien différent. Ces écrits étaient pour Constance le seul moyen de partager la moindre de ses pensées, celles qu'elle n'aurait pu confier qu'à lui. Même lorsqu'elle le pensait disparu, elle continuait à lui écrire, à partager les sentiments qu'elle avait pour lui. Même le temps et l'affliction nu purent éreinter, ni même frôler l'amour qu'elle lui portait. Ce qui avait le plus marqué Cole dans toutes ces lettres était la souffrance qu'il lui avait fait endurer. C'était à ce moment là que la petite blonde que son amant avait bien changé. Il ne voulait plus se laisser phagocyter par les remords ou l'ombre des souvenirs douloureux. Dans la suite de ses paroles, il prouvait que cette fois-ci, il voulait aller de l'avant. Il ne voulait plus laisser qui que ce soit décider de ce qu'il devait faire ou ressentir. Constance se demandait si son long voyage était l'explication de cette révélation. Suspendue à ses lèvres, elle l'écoutait attentivement. Elle sentait son coeur se pincer lorsqu'elle l'entendait dire qu'il devait partir loin d'ici, et faire sa vie ailleurs avant que les Keynes et le reste du village n'apprenne que son décès n'était en fait qu'une supercherie. Non, elle ne voulait pas le voir partir loin d'elle alors qu'ils venaient à peine de se retrouver. Cela la peinait déjà. Mais son coeur fit un vif bond dans sa poitrine lorsqu'il vint à poser sa question, non sans nervosité. La bouche entrouverte, elle peinait à réaliser. Elle qui avait tant rêvé d'entendre un jour ses mots. Ils étaient si doux à ses oreilles que cela semblait irréel. Emue, ses grands yeux bleus se bordaient de larmes. Ses mains vinrent encadrer le visage de son amant, ses pouces caressaient doucement ses joues pendant que son regard brillant se plongeait dans le sien. Elle l'embrassa, longuement, non sans une certaine fougue, alors que des larmes de joie créaient un fin sillon le long de ses joues. Elle avait l'impression allait exploser, tant elle était heureuse. Elwood attendait toujours une réponse, plus explicite que ce baiser. "Mon amour..." souffla-t-elle tout bas, en gardant son visage près du sien. Ses doigts se glissaient dans ses mèches brunes. Elle souriait, elle était si heureuse. Elle acquiesça d'un signe de tête. Elle n'avait pas hésité, pas une seule seconde. C'était ce qu'elle désirait le plus au monde. "Oui, je viendrai avec vous. Et Evie aussi." Elle marqua une brève pause. Sa respiration était légèrement tremblante, reflettant là toute son émotion" Partons. Partons loin d'ici." Bien sûr qu'elle appréhendait un petit peu. Il y avait tout à organiser. Mais elle s'en sentait capable, car elle savait qu'elle allait partir avec lui et avec sa fille. Eleanor comprendrait, il était même certain qu'elle serait prête à les aider et à garder ce secret jusque dans sa tombe. Elle avait bien aidé Cole pour le bal masqué et elle savait que là était le seul moyen pour que sa jeune soeur soit véritablement heureuse. C'était l'occasion rêvé, personne ne se douterait qu'elle partirait avec le médecin, étant donné que tout le monde le pensait mort. "Où vous voulez." Peu lui importait. Elle se sentait soudainement si légère. Evie allait sortir de ce cercle infernal, elle aurait droit à une belle enfance, à une atmosphère idéale pour son épanouissement. Constance laissait échapper un rire, à la fois nerveux et heureux. "Quand vous voulez." Elle se sentait prête à tout pour lui. La blonde se réjouissait de cet instant, du départ, de sa nouvelle vie, du moment où elle allait pouvoir retirer cette alliance pour de bon. Constance l'enlaça ensuite, longuement. Elle soupirait d'aise, se sentant déjà de moins en moins enchaînée au manoir. "Il y a tant à prévoir et à décider." finit-elle par dire en desserrant son étreinte. "Il est certain que je ne pourrais emmener que très peu d'affaires. Quand bien même, je penserai avant tout à Evie. Mais je ferai avec, je saurai me débrouiller." lui assura-t-elle. "Je me doute bien que ce sera compliqué, qu'il y aura des jours difficiles qu'il faudra que je réapprenne beaucoup de choses. Mais cela ne me fait pas peur, tant que je suis à vos côtés. Il me tarde tant de commencer notre nouvelle vie." Une vie qu'ils méritaient, après tant de souffrance et d'absence. Ils parviendraient certainement à s'établir ailleurs. Cole pourrait continuer à exercer son métier, celui lui prendrait du temps d'avoir une patientèle. Tout un éventail de possibilités s'offrait à eux. Ses doigts continuaient d'effleurer les traits de son visage, avec beaucoup d'attention. "Je vous aime tant." lui souffla-t-elle au bord de ses lèvres. L'une de ses mains vint chercher la sienne. Il y eut quelques minutes de flottement. Il n'y avait que de la tendresse, la plus simple, mais aussi la plus pure. "Où devrions-nous aller ? Devons-nous quitter le pays ? Le continent ?" La décision était si soudaine que Constance n'avait pas encore eu l'occasion de songer à tous ces détails. Tant de questions se bousculaient alors soudainement dans sa tête. Il fallait trouver le meilleur moyen afin de ne pas être trouvé par les Keynes, un endroit où personne ne les connaissait afin de pouvoir véritablement partir de zéro. "Cela peut vous paraître idiot, mais, lorsque j'imaginais notre vie ensemble, je la voyais toujours dans village paisible et isolé. Il doit bien y en avoir qui accueillerait un médecin à bras ouvert. Serait-ce possible, selon vous ?" Cole était un médecin compétent, il retrouverait certainement une ambiance similaire à Canterbury. Quoi que ce village l'avait vu grandir, il était chez lui. Elle espérait qu'il se sente tout aussi bien dans leur future demeure. Constance était curieuse de savoir ce que lui avait en tête, la manière dont il envisageait cette nouvelle vie. Il était bien plus terre à terre qu'elle, peut-être omettait-elle des détails. Vivre à huis clos au manoir l'éloignait de nombreuses réalités, bien que, par chance, son éducation ne lui faisait pas tout oublier.
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Rester était une trop grande prise de risque. Partir relevait également du coup de poker, quitte ou double. Et si la proposition pouvait paraître précipitée, irréfléchie, Cole mûrissait ce souhait de laisser absolument tout ce qu’il avait connu de l’Angleterre derrière lui depuis son retour, pour ne pas dire depuis le jour où il avait accepté de s’embarquer dans ce voyage en Egypte. Son existence ici ne lui était plus supportable, chaque jour passant le rongeant un peu plus de l’intérieur ; même Constance ne pouvait lui être d’aucun salut tant qu’elle fut la femme d’un autre, une énième propriété exposée dans ce trop grand et sordide manoir. Si désormais la formulation n’était qu’une image pour elle et lui, le reste de leurs connaissances n’en connaissaient que la littéralité : il était mort, là-bas, il y avait enterré ses démons, enfoui ses souvenirs, et remis en perspective toutes ses aspirations, ses désirs, ses ambitions. S’il avait fait marche arrière, ce n’était que pour cette femme qu’il s’était vu incapable d’oublier, de rayer de son esprit. Parce qu’elle était l’étincelle qui lui manquait, le premier rayon de soleil du matin et le dernier du soir qui donnait son sens au jour. Il n’y avait aucun intérêt à mourir s’il ne devait que errer par la suite. Cela ne revenait qu’à l’abandonner, et décevoir son propre coeur. Il n’avait pas perdu l’esprit, et lui demander de fuir avait plus de sens que quoi que ce soit d’autre à ses yeux. Il était certain, il était convaincu que leur vie était ailleurs, que leur bonheur les attendait quelque part, et qu’il suffisait de saisir à deux mains le courage de sauter dans un train, d’aller à sa recherche, et de ne jamais se retourner. Lui partirait quoi qu’il en fut ; il n’avait pas le choix. Mais Constance l’avait, elle, et tout reposait sur les trois lettres positives ou négatives qu’elle formulera en réponse. Elle demeura longuement muette, une éternité de silence où même ses yeux bordés de larmes ne suffisaient pas à traduire ses pensées. Elle embrassa le médecin, décontenancé, qui craignait un baiser d’adieu avant que sa belle ne lui tourne le dos. Il ne lui en voudrait pas, de ne pas se sentir capable d’abandonner son train de vie, son époux, son honneur et toute cette sécurité pour un homme à peine revenu d’entre les morts. Cole avait conscience de l’ampleur du sacrifice, de la confiance qu’il exigeait d’elle afin de mener à bien ce projet de vie à deux. Et la peur était un sentiment bien puissant. Mais elle se mit à sourire, à secouer doucement la tête, puis à prononcer cet accord qu’elle lui offrait sans concessions. “Vous ne pourriez pas me rendre plus heureux. Je ne m’imaginais pas partir sans vous.” Les détails, Elwood ne les avait pas. La date, le lieu, les conditions du départ étaient encore de nombreuses inconnues. Quant à la destination, à ce qu’ils deviendraient, c’était un mystère supplémentaire. Mais c’était une aventure, et désormais, rien ne lui faisait peur. Sa confiance en leur destin était inébranlable. “Je m’occuperais de tout, Constance, fit-il en serrant ses mains fines dans les siennes. Ne vous en faites pas, ne vous souciez de rien. Nous partirons quand le moment sera opportun. Vous le comprendrez immédiatement.” Car c’était là la seule partie du plan qui fut, à ses yeux, claire comme du cristal. La mise en place nécessaire afin d’atteindre cette finalité demanderait du temps et des efforts, mais aucun doute ne l’animait quant à sa faisabilité. Il voyait là une ultime vengeance, un dernier coup au coeur des Keynes avant de disparaître pour de bon. Ils ne sauraient même pas qui ni pourquoi ils furent frappés de la sorte. L’esprit de Constance était encombré de questions pragmatiques, et Cole ne faisait que l’observer et lui sourire tendrement. Elle avait accepté, et pour le moment, rien d’autre n’importait. Il ne souhaitait que savourer ce bonheur là, avant de se charger des préparatifs. Il eut un léger rire, presque nostalgique, en écoutant la Lady imaginer leur nouvelle vie dans un lieu reculé. Elle n’avait pas perdu sa capacité à rêver. “A partir de maintenant, tout est possible.” se contenta-t-il de répondre avant de déposer un baiser sur ses lèvres. Edimbourg, Paris, Prague ou New-York, en ville, à la campagne, sur une île déserte ; ils iraient jusqu’où il fallait aller pour avoir la paix et bâtir leur foyer. Tendrement, il enlaça à nouveau Constance dans ses bras quelques instants. Jusqu’à ce que Evie refasse son apparition dans le salon, le lapin en peluche toujours fermement serré contre elle. “Déjà de retour ?” Elle acquiesça timidement. “Tu veux une histoire, n’est-ce pas ?” La fillette acquiesça à nouveau. Cole lui adressa un fin sourire, la prit dans ses bras et la déposa sur le canapé, près de sa mère. “Installe-toi, petite Lady.” Puis il partit à la recherche d’un livre parmi la collection des enfants de la maison, des contes classiques qui feraient l’affaire pour une petite fille de son âge, et il s’assit à son tour à côté d’elle. Entre lui et Constance, Evie était ravie. Et dès lors où le médecin débuta par “Il était une fois…” elle demeura pendue à ses lèvres, captivée, sage et attentive.
L’alibi permettant à Constance de quitter le château arriva malheureusement à expiration. Il était temps pour elle et sa fille se rentrer au manoir, à contrecoeur. Elwood passa en dernier dans l’ordre des au revoir afin d’obtenir jusqu’à la dernière seconde de temps raisonnable auprès d’elles. Il étreint la fillette, puis la mère aussi longuement que possible. Une main sur sa joue pâle, il embrassa la belle blonde une dernière fois. “Je ne peux pas promettre que nous pourrons nous revoir avant le départ, avoua-t-il, préférant faire preuve d’honnêteté plutôt que de laisser la jeune femme espérer nuit et jour qu’ils aient l’occasion de se croiser. Mais je veux que vous ayez confiance en moi. Je ne vous laisserai pas tomber, n’en doutez pas une seconde. Ce sera notre dernière séparation.” De ça, il en était convaincu. Car il ne laisserait plus rien les forcer à se dire au revoir à nouveau contre leur gré. La prochaine fois serait la bonne, et il ne pouvait en être autrement. Cependant, pour ce jour, il lui devait la laisser partir et subir, une fois encore, la vision de la calèche qui l’emportait, et la sensation qu’une partie de lui s’éloignait avec.
“Laissez-moi entrer, Quincy.” Alicia dansait sur un pied et sur l’autre dans le but d’esquiver le médecin qui se dressait sur son chemin, en vain, si bien qu’elle finit par forcer le passage avec la force de sa détermination que même la haute silhouette du nouveau propriétaire de la maison ne suffisait pas pour l’en empêcher. “Où est-il ?” interrogea-t-elle sur ce ton bourgeois qui exigeait une réponse tandis qu’elle déboulait dans la pièce à vivre infestée d’enfants. Depuis qu’elle subissait son neveu et sa nièce depuis leur naissance au manoir, la jeune femme avait découvert une véritable aversion pour ces petits êtres. Leurs cris, leurs voix, leurs gestes malhabiles, leurs corps potelés disgracieux, leurs babillages, leurs jeux, leur odeur… Elle n’en tolérait plus rien une fois les portes du domaine passées. A l’intérieur, en revanche, elle tenait à la perfection son rôle de tante. Sa comédie permanente s’était presque perfectionnée avec les années ; plus son coeur était devenu amer et ses préceptes aussi sévères que ceux de sa mère -comme de tout Keynes qui se respecte- plus son sourire était devenu le plus beau, le plus agréable, le plus angélique de la région. Malgré tout, il semblait impossible de lui trouver un mari. Ses tripes lui dictaient de se rendre dans le jardin, et c’est ce qu’elle fit. Elle y trouva Elwood, et son coeur se serra, ses joues s’empourprèrent, étourdie par un mélange de satisfaction et de colère. “Je savais que c’était vous !” Elle l’avait vu, elle en était certaine, il y a quelques jours de cela, se risquant à prendre l’air hors de la maison. Une seule et unique fois qui avait suffit à trahir absolument toute la supercherie. Cole eut un vertige, soudainement éreinté, vidé par un profond désespoir ; cette scène ne pouvait pas avoir lieu, les choses ne pouvaient se dérouler ainsi, ses plans ne pouvaient être ruinés de la sorte. Il était incapable de revenir en arrière, de retourner à la solde de cette famille, sentir à nouveau leur joug au-dessus de sa tête. Pas après avoir connu la liberté durant des années, et alimenté tant d’espoirs de regagner son libre arbitre. “Alicia, vous ne pouvez le dire à qui que ce soit.” fit-il avec un maigre espoir qu’elle l’écoute. Mais il ne reçut qu’un rire strident et sadique. “Vous plaisantez ? Je dois le dire à tout le monde !” Il devait l’empêcher, mais Cole ne savait pas comment. Il s’imaginait fermer ses deux mains autour du cou délicat de la Lady jusqu’à ce qu’elle pâlisse, que ses yeux s’exorbitent et ses lèvres deviennent bleus. Il n’avait pas ce courage. Ses forces l’avaient quitté, laissant ses bras ballants le long de son corps. “Non, s’il vous plaît, vous ne comprenez pas...” “Me prenez-vous pour une idiote, Cole ? Ma belle-soeur est soudainement de bien meilleure humeur et je vous trouve ici. Vous pensiez pouvoir reprendre votre petite affaire au nez et à la barbe de tous. Est-ce que vous faire passer pour mort faisait partie du plan pendant tout ce temps ?” Elwood demeura muet. Alicia ne pouvait pas comprendre, elle n’avait pas toutes les données, toutes les cartes en main. Décéder aux yeux du monde n’avait jamais été son plan. Mais il l’avait fait sien, car tel était l’unique moyen de survivre. Et c’était en tant que disparu qu’il avait réellement ré-appris à vivre. Jusqu’à ce moment.
L’expression narquoise, le rictus mutin, l’éclat presque diabolique dans le regard de la Lady disparurent à la seconde où elle pénétra dans la bibliothèque en une terrifiante fraction de seconde. “Constance !” Alicia apparut devant celle-ci, qui lisait là -et elle se fichait bien du livre qu’elle avait entre les mains, qu’elle la dérangeait au milieu d’une phrase, car tout cela n’avait pas la moindre importance. Non, la jeune femme s’était pressée dans cette pièce, avait retrouvé sa belle-soeur dans un but précis ; être la toute première personne à voir l’expression sur son visage lorsqu’elle lui annoncerait la nouvelle elle-même. Elle voulait scruter toute la palette d’émotions qui transparaitraient dans ces iris bleus, au coin de sa bouche, au bout de ses doigts, et lire le mensonge avant qu’elle n’ose le prétendre vrai, la surprise qu’elle essayerait de lui servir, le choc, le soulagement, n’importe quel bobard sur sa face de poupée immaculée. Et elle se délecterait d’être la seule à avoir démasqué la supercherie. Bien sûr, elle avait gardé le plus croustillant pour elle lorsqu’elle avait annoncé à ses parents que le docteur Elwood était de retour en Angleterre bien vivant. Ayant l’orgueil de se croire plus maline que les vieux singes, elle n’imaginait pas qu’ils puissent se douter de la liaison entre la parfaite Constance et le fidèle médecin. Cette même liaison qui avaient poussé les Keynes à envoyer celui-ci sur un autre continent. Plus intelligente que tous, donc, Alicia portait ce sourire sympathique, cette moue ingénue et naïve comme une seconde peau. Feignant un parfait enthousiasme, elle prit place juste à côté de Constance et posa ses mains sur les siennes. Aurait-elle la chair de poule ? Un sursaut ? Quel genre de frisson traverserait son petit corps ? Allait-elle pouvoir deviner son pouls à travers son épiderme pâle ? Alicia avait si hâte qu’elle mettait toute son exaltation au service de sa comédie.“Nous allons donner une petite fête demain soir -enfin, petite, vous savez ce que cela signifie. Et vous ne devinerez jamais qui sera notre invité d’honneur…”
give me your love and physical affection, give me the worst of you to hold
La manière dont Evie regardait Cole, dont elle l'écoutait raconter l'histoire pour enfants, pendue à ses lèvres, avait fait sourire sa mère. Elle s'identifia immédiatement, imaginant qu'elle devait être exactement pareille lorsque son amant et elle prenaient le temps de lire des romans ensemble. Une vision qu'elle chérissait et se remémorait dès qu'elle avait un peu de temps pour elle, une fois qu'elle était de retour au manoir. La petite blonde se sentait si légère, à savoir qu'elle allait bientôt pouvoir être libérée de l'emprise des Keynes, à vivre une vie bien plus simple avec l'homme qu'elle aimait, à elever ensemble la fillette. Une image parfaite, qui n'avait pas le moindre défaut, pas le moindre nuage à l'horizon. Elle avait bien appris à porter des masques après avoir longuement côtoyé la famille dont elle faisait partie, mais elle ne se doutait pas que cette légèreté, la fin de son calvaire approchant, allait être remarqué. Elle tentait de se contenir, de ne pas trop y penser. Constance ne voulait pas faire preuve d'impatience. Sa confiance n'était tournée qu'envers le médecin, qui avait pris la responsabilité de tout organiser pour le grand départ. Ils n'avaient aucune idée de la destination, ni de la date, mais ils savaient tous deux que cela ne saurait tarder. La prochaine fois qu'elle le verrait, ce serait pour partir loin d'ici. Alors elle attendait le moindre signal pour annoncer le début de cette nouvelle vie. Constance n'en avait même pas parlé à Elenore, ne sachant si Cole comptait l'inclure dans son plan ou non. Tout semblait si parfait. Il y avait de nouveau de l'espoir, un rayon de soleil qui éclairait le long chemin de vie de la jeune femme. Elle sursauta lorsqu'Alicia fit irruption dans la biliothèque, se fichant bien d'interrompre sa lecture. Une sale habitude de la Keynes que Constance n'appréciait guère. A force de la côtoyer, la blonde avait compris que sa belle-soeur était une parfaite actrice. Elle ne saurait dire si chacune de ses paroles était un mensonge ou non tant elle maîtrisait les mots avec intelligence. Cela faisait d'elle un être particulièrement vicieux, non digne de confiance. Personne ne l'embêtait pour qu'elle se marie, elle. Constance s'était demandée plus d'une fois si elle avait encore des sentiments pour Cole. Ou si, au contraire, elle le haïssait au possible parce qu'il était amoureux d'une autre. Le visage neutre en la voyant approcher d'elle, la blonde se demandait ce qui pouvait bien la mettre de si bonne humeur. Elle semblait être glorieuse, satisfaite, mais Constance ne comprenait pas pourquoi. Elle n'appréciait pas trop les contacts physiques avec Alicia. Comme tout le reste qui émanait d'elle, ça sonnait faux. Mais elle ne sourcillait pas, elle ne disait. Elle allait certainement lui proposer de faire une autre activité, ou une envie pressante d'élargir encore plus sa garde-robe en choisissant des tenues à la mode, plus chargées les unes que les autres. Le large sourire d'Alicia était presque effrayant. Soudainement, Constance fut prise de terreur, elle ignorait pourquoi. Un mauvais pressentiment, quelque chose qui ne tournait pas rond. "Une fête ? En quel honneur ?" finit-elle par demander avec le sourire qu'elle portait usuellement. Ce qui ne la confortait pas était l'attitude d'Alicia lorsqu'elle mentionnait la présence d'un invité d'honneur. Au fond, Constance avait sa petite idée, mais elle espérait de tout coeur avoir tort. "Comme si nous avions besoin d'avoir une raison de célébrer quoi que ce soit." pouffa Alicia, amusée. La blonde tentait d'élargir en acquiesçant d'un signe de tête. "Et quel sera cet invité ?" questionna-t-elle. Le regard de la brune, perçant, se mit à pétiller soudainement. Elle penchait légèrement la tête sur le côté. Alicia savait. Constance en était persuadée. Pétrifiée face à ce visage d'apparence sympathique, elle sentait sa bouche se sécher, ses doigts devenant à la fois froids et moites. Sa colonne vertébrale devenait toute raide tandis que ses muscles se crispaient, tétanisés. Satisfaite d'avoir implicitement transmis le message, Alicia gardait son sourire et pouffait de satisfaction. "Il me tarde d'y être. Je me suis même trouvée une robe à couper le souffle, j'ai hâte de vous la montrer. Ce ne sera pas un événement à manquer, vous verrez." dit-elle en se levant, victorieuse. Et elle filait comme l'air pour sortir de la bibliothèque et se lancer dans les préparatifs, laissant derrière elle une Constance qui était en train de voir tous ses rêves tomber en ruines.
Alicia savait. Tout le monde allait bientôt savoir.
Elle fit mine de lire encore pendant une heure, sachant que si elle s'agitait après cette brève conversation, elle ne ferait que se trahir davantage. Elle sentait son coeur paniquer, battant de manière totalement anarchique. Tentant de garder ses gestes lents et calmes, elle se dirigeait sans se presser vers les appartements de sa grande soeur. Enfin seules, Constance n'avait plus à forcer ses sourcils arqués par l'inquiétude et la tristesse, ni à retenir ses larmes qui vinrent immédiatement border ses iris bleus. "Alicia sait." souffla-t-elle d'une voix étouffée. Eleanor se leva pour se rapprocher de sa soeur. "Elle ne me l'a pas dit, mais... Elle le sait, elle sait qu'il est revenu." Elle plaque une main devant sa bouche, terrifiée par la suite des événements. L'aînée lui caressait tendrement le bras, tentant de l'apaiser un peu. "Elle m'a parlée d'un invité d'honneur... Tu penses que c'est lui ?" Constance acquiesça d'un signe de tête, désemparée. "J'ignore comment, mais dans sa manière d'annoncer la fête, dont elle me regardait... J'ai senti mon sang se glacer. J'ai tout de suite compris qu'elle est au courant, Dieu sait comment." La cadette ignorait quoi faire. Son avenir tombait subitement à l'eau, toute la supercherie allait être mise au grand jour le lendemain sans qu'elle ne puisse faire quoi que ce soit. "Nous avions prévu de partir loin d'ici, dès que possible. Peut-être...Peut-être devrais-je partir dès ce soir avec Evie, avant que tout ça ne se passe." proposa-t-elle d'une voix tremblante. "Si Alicia a découvert que le Dr. Elwood est de retour, elle sera d'autant plus attentive à ce que tu diras, à ce que tu feras. Elle va littéralement le hurler sous les toits, si elle voit la moindre attitude suspecte." "Tout est de ma faute. J'ai du paraître trop heureuse, trop... enthousiaste. J'aurais du faire attention. Cole m'en voudra." souffla-t-elle tout bas en se laissant tomber dans un des fauteuils en cuir de la chambre. La petite blonde se sentit soudainement vidée, désemparée. Elle ne voyait pas d'issue, aucune brillante idée ne lui venait à l'esprit pour résoudre ce problème. Alicia le faisait par vengeance, à n'en pas douter. Constance sentait ses mains trembler. Sa soeur les prit, tentant de lui faire retrouver ses esprits. "Nous devons faire comme les autres, continuer à prétendre. En d'autres circonstances, que ferions-nous si nous savions qu'une grande soirée nous attend, le lendemain ?" Eleanor ne voulait que remettre sa réflexion dans le processus habituel. Et il fallait que sa soeur se ressaisisse à tout prix. "Nous choisirions quelle tenue nous mettrions." finit-elle par dire après quelques minutes de réflexion. "Alors, allons choisir notre robe." Eleanor réunissait tout son enthousiasme dans l'espoir de donner un peu de courage à sa jeune soeur. Avant même qu'elle n'ouvre la porte de la chambre, Constance demanda, avec un regard bien triste. "Tout ça n'était qu'un rêve, n'est-ce pas ?" Tenant la poignée de la porte en main, elle tourna son regard vert en sa direction, avec un doux sourire. "Bien sûr que non." L'aînée déposa un baiser sur son front. "Garde espoir." Constance acquiesça d'un signe de tête. Elle inspira profondément afin de reprendre son courage à deux mains et ainsi reporter un masque qu'elle ne connaissait que trop bien. En allant vers sa chambre, elles croisèrent Alicia et lui transmirent un certain enthousiasme lorsqu'elles lui dirent qu'elle comptait choisir leur robe pour la fête. Forcément, elle insista pour se joindre à elles.
Comme la jeune Keynes l'avait annoncé, la soiréee s'annonçait somptueuse. La famille n'avait une nouvelle fois pas lésiné sur les décorations florales, sur les bouteilles de champagne et le nombre d'invités. Ils ne manquaient jamais une occasion pour éblouir ses invités. Un décor de scène parfait pour Alicia, qui jubilait intérieurement. Elle n'avait effectivement pas lésiné sur les moyens sur sa tenue. En plus d'une robe venant parfaire sa silhouette, elle portait toute une parure ornée de diamants et de saphirs. Le menton bien haut, elle menait à la perfection son rôle d'hôte. Constance, quant à elle, restait aux côtés de Peter, endossant le rôle de l'épouse parfaite. Il continuait à la gâter en vêtements et en bijoux, certainement pour montrer aux autres qu'elle n'était pas dans le besoin. Elle devait éblouir tout le monde. Elle était une Keynes, après tout. Parler de mondanités lui faisait même oublier la pression qu'elle ressentait sur ses épaules. Elle avait déjà une flûte de champagne dans sa main, discutant avec des amis de la famille. Constance s'était persuadée depuis la veille que rien ne forçait le médecin à venir après tout. Peut-être qu'il avait eu l'occasion de fuir depuis la veille, sans se faire remarquer. Alicia ne pouvait pas le tenir en laisse, pas autant qu'elle le pouvait avec sa belle-soeur. La blondee en rêvait toujours, de cette vie à construire avec lui. Mais voilà que cela ne la rendait plus triste qu'autre chose, persuadée qu'il ne s'agissait désormais plus que d'un rêve. "Ne serait-ce pas... le Dr. Elwood, là-bas ?" fit remarquer l'un des Lords avec qui elle discutait, faisant un signe de tête en direction du médecin. Tous les regards du groupe de discussion le virent, furtivement. Les yeux ronds, la mâchoire qui tombait par terre. Constance y compris, mais peut-être pas pour les mêmes raisons que les autres. Quoi que cela lui faisait une nouvelle fois réaliser qu'il était bel et bien en vie. Mais, la première question qu'elle se posait était : qu'est-ce qu'il faisait là ? Comment Alicia était-elle parvenue à le faire venir ici, quelle menace, quelles manigances a-t-elle échafaudée en un temps record pour le convaincre de venir ? Peter, juste à côté, malgré la surprise, serrait sa mâchoire d'insatisfaction. "Vous le saviez ?" souffla-t-il à son épouse d'un air suspect et le ton agacé. Toujours décontenancée par sa venue, la stupéfaction qu'elle ressentait et montrait pouvait se faire largement passer pour la surprise ressentie par toutes les personnes qui avaient reconnu Cole. "Non, je..." Elle bégaya longuement, ne sachant que dire. Un mort revenu à la vie. "Je l'ignorais." Constance regardait son époux avec des yeux suppliants. Parfois, lui lancer de tels regards évitaient les représailles une fois qu'ils se trouvaient dans une sphère plus intime. Mais rien ne garantissait qu'il ne soulage sa colère sur elle plus tard. Entre ça et ce que pouvait avoir planifié Alicia, elle était tétanisée. Derrière son visage surpris, elle avait tellement peur. "Ils avaient dit qu'il était décédé." "Ils ont eu tort, de toute évidence." rétorqua-t-il, contrarié. Mais il ne bougeait pas d'un pouce. Il ne fallait pas faire de scandale en public. Tout semblait être comme une immense scène. Les invités faisaient office de figurants, immobiles, invisibles, pour combler les vides. Et les lumières étaient désormais rivés sur Cole, sur les Keynes. Et tous se demandaient quelles seraient la suite des événements. Constance était certaine qu'Alicia avait déjà prévu tout un plan, car il n'y avait absolument rien d'innocent derrière le masque avec lequel elle faisait croire à tout le monde que ses intentions étaient louables et sincères.
life worth living - AND MY HIGHS WHEN YOU'RE GONE GIVE ME A GOLDEN GUARDED SOUL BUT WHEN I'M CRAZY AND I'M LOST YOU CALM ME DOWN
Le coeur n’était ni à la fête, ni à la danse. Il était lourd, serré, recroquevillé dans un coin de sa poitrine au moment où Cole pénétra sur les terres ancestrales des Keynes. D’une certaine manière, il savait à l’avance que cette soirée serait déterminante pour la suite de son existence et celle de Constance. Un pressentiment. Elwood avait toujours été une personne instinctive, plus qu’un homme de science, contrairement à ce que son métier aurait laissé présager. Concernant ses hôtes, l’on ne pouvait jamais être trop prudent, ni trop s’attendre au pire. Et c’était le pire qu’il sentait planer au-dessus de la bâtisse tandis qu’elle s’imposait à son champ de vision, de plus en plus menaçante par dessus sa toile de fond nocturne. Il manquait de souffle et de forces une fois à l’extérieur de la calèche. Même la présence de Constance de l’autre côté de l’imposante porte d’entrée ne pouvait ôter ce poids qui écrasait sa poitrine. C’était la bouche de l’Enfer, l’antre où sommeillaient toutes les déviances. La musique et les rires qui s’échappaient au dehors se transformaient en hurlements glaçants. Un corbeau noctambule gardait le porche, comme un avertissement. Mais Cole ajusta son chapeau et son manteau sur ses épaules, puis pénétra à son tour dans le grand hall qu’il connaissait si bien. Lui aussi avait quasiment grandi ici, entre ces murs rongés par un mal invisible à l’oeil humain. Il n’avait cependant pas l’impression de rentrer à la maison, bien au contraire. Il confia ses affaires à la bonne en charge, le regard de celle-ci médusé par cette apparition fantomatique. Une expression qui suivit chacun de ses pas une fois dans la grande salle de réception. Il était temps de jouer de jeu, de prétendre. Mais en serait-il capable cette fois ? Le médecin tenait une coupe dans sa main uniquement pour les apparences. Trop vigilant pour laisser l’alcool baisser sa garde, il ne comptait pas boire une seule goutte. On trouvait toutes les excuses à son air fatigué, renfermé et maussade ; ses quelconques mésaventures en Egypte qu’ils fantasmaient comme des romans de Verne, un difficile retour à la civilisation, le soudain surplus d’attention. Le masque n’était pas si difficile à porter, lorsqu’il n’était pas question de forcer un sourire poli. Il n’était pas invité, ici ; il était captif. Monopolisé ici et là, Cole n’avait pas eu le temps de chercher Constance ; il n’avait pas non plus le coeur de croiser son regard, de crainte d’y lire l’exacte même détresse qu’il contenait en lui. Pour leurs mensonges, leurs cachoteries, une sentence tomberait à un moment de la soirée, ils le savaient aussi bien l’un que l’autre. Et le plus terrifiant était d’attendre, dans l’ignorance la plus totale. “C’est un tel soulagement de vous voir en bonne santé !” lui semblait-il entendre pour la vingtième fois depuis son arrivée. Il acquiesça en remerciement tacite. “Que vous est-il donc arrivé, là-bas ?” lui demandait-on régulièrement, et il y avait toujours cette personne pleine de prétendue bienveillance pour lui épargner de répondre. “Voyons, Winifred, quelle question. Je suis certaine que le Dr Elwood n’a aucune envie de se replonger dans ces souvenirs.” Non, en effet, il n’en avait aucune envie ni aucune intention. Ce secret le suivrait dans la tombe, logé dans un coffre au fond de sa mémoire, et si Dieu le veut, enfoui par d’autres souvenirs plus heureux. Comme lorsqu’il avait fait la lecture à Evie, dans son ancienne maison. Ces quelques heures passées entouré de sa véritable famille -et qui semblaient déjà lointains, arrachés à lui. “Profitez de la soirée, vous le méritez, mon garçon.” Que méritait-il, exactement ? D’être ivre jusqu’à ce que les invités disparaissent de son monde, de danser sans entendre la musique ? Il n’était rien qu’il aurait plus souhaité que d’être aspiré par un trou dans le sol, là, sous ses pieds.
Alicia apparut face à lui. Déjà petite, elle avait ce sourire plein de malice qui vous laissait constamment croire qu’elle détenait tous les secrets -mais surtout le sien, un secret bien à elle, si bien dissimulé qu’en percer le mystère reviendrait à tenter de casser un rocher à mains nues. Les années passant, ce sourire s’était peu à peu tordu en un rictus mutin, et ce soir, il faisait planer sur son joli visage un reflet démoniaque. “N’allez-vous pas m’inviter à danser ?” demanda-t-elle avec un naturel saisissant, consciente que le moment lui appartenait, que la victoire était sienne. Sans un mot, Cole lui tendit une main, qu’elle saisit, et l’attira un peu plus au centre de la pièce où l’espace était disponible. Mécanique dans ses mouvements, froid dans son aura, son visage était également inexpressif. Il n’avait rien à lui dire, ni à elle, ni à qui que ce soit. Tout ceci était une mascarade, et il refusait d’être sur le devant de la scène. “Je vois bien ce que vos silences cachent, Cole.” dit finalement la jeune femme. Autrefois, Alicia était capable de compassion ; désormais, tous les calculs de ses manoeuvres se lisaient dans ses iris à la fausse sympathie, à la fois morts et aussi profonds qu’un puis. “C’était un bon plan, vous faire passer pour mort. Mon frère ne vous aurait jamais laissé vivre en paix face aux soupçons qu’il avait à votre sujet. Mais vous ne pouviez pas la laisser derrière-vous, n’est-ce pas ? Vous deviez revenir pour elle.” D’un signe de tête, elle indiqua Constance au bras de son époux, à l’opposé de la salle. Cole ne leva pas les yeux. Il ne lui donnerait pas le plaisir de se laisser si aisément manipuler, quand bien même il n’était qu’une marionnette aux ficelles prisonnières de ses mains. “Ou était-ce votre projet depuis le début, de vous enfuir ensemble dans le soleil couchant ? Vous êtes si naïf, Cole. Quel gâchis.” ironisa-t-elle, celle qui fut un jour la plus douce, la plus innocente de sa fratrie. Elwood ne comprenait pas ce qui lui était arrivé, ce qu’il s’était passé pour en arriver là. Une blessure avait nécrosé en elle, l’empoisonnant au même titre que le reste des Keynes. Le gâchis était devant lui, et non l’inverse. “Qu’est-ce que vous aimez chez elle ? Qu’est-ce qui la rend si exceptionnelle ?” demanda Alicia en observant plusieurs fois Constance. Sa mâchoire s’était serrée, de même que ses doigts sur l’épaule du brun. A vrai dire, tout son corps s’était soudainement raidi afin de contenir une vague d’émotions qui ne transparaissent que dans ce muscle qui scellait ses dents. “J’ai tout essayé, tout, dans l’espoir que vous me regardiez de cette même manière.” Des efforts d’autant plus vains que jamais, strictement jamais, Cole ne s’était permis de voir Alicia comme autre chose qu’une soeur. Et pour cause, bien qu’elle l'ignorait, ce sang en commun qui les liait. Néanmoins, la jeune femme ne lui laissa pas le temps d’expliquer qu’elle poursuivit, s’enfonçant de seconde en seconde dans une rage pudique ; “C’est ce que vous faites de nous, les hommes. Nous souhaitons tant être aimées de vous que nous nous rabaissons plus bas que terre. Nous vous laissons nous humilier, et vous jouer de nous. Je vous étais tellement dévouée.” Les yeux de la cadette Keynes s’étaient désormais bordés de larmes. Tristesse ou colère, Cole était incapable de le déchiffrer, déjà paralysé par la situation dont il ne pouvait s’empêcher de se sentir si profondément coupable. C’était l’un de ces moments où, dans la vie de tout être humain, l’on souhaite n’avoir jamais existé, n’être jamais venu au monde. Toute cette peine autour de lui tout au long de sa vie lui était insupportable. Il avait blessé Alicia sans le vouloir, et il réalisait alors que la plaie nécrosée était celle qu’il lui avait infligée lui-même. Et de la plus horrible, perturbante et terrifiante des manières, un sourire vint défigurer une Alicia qui pâlissait de seconde en seconde. “Maintenant, vous ne me laissez pas le choix.”
“Alicia, qu’avez-vous fait ?” Le pire était à prévoir. Il n’était rien de plus dangereux que la soif de vengeance d’une femme bafouée, d’autant plus lorsque la femme en question est une Keynes. Elle ria, et Cole aperçut du sang colorant ses dents et ses lèvres. En toussant, il lui en coula du coin de la bouche jusqu’au creux du cou. La vision toute entière semblait sortir d’un cauchemar, et Elwood espérait brièvement qu’il se réveillerait dans la chambre d’amis de Quincy. Ce fut lorsque la jeune femme tomba de tout son poids dans ses bras et qu’il accompagna son corps dans sa chute jusqu’au sol marbré de la salle de réception qu’il réalisa que rien de tout ceci n’était un mirage. “Non ! Alicia !” Elle étouffait. Toujours plus de sang s’écoulait de sa bouche. Ses yeux exorbités laissèrent apparaître une dernière lueur de conscience, tandis qu’elle sera au possible la main du docteur dans la sienne. Lorsqu’elle la relâcha, il découvrit dans sa paume un flacon vide. S’en échappait des vapeurs d’amande. “Hors de mon chemin.” C’était Brentford qui accourait d’un pas de rhinocéros en pleine charge. Elwood sauta en arrière, peinant à réaliser le piège qui se refermait sur lui, à assembler un puzzle qu’il comprenait bien plus qu’il ne voulait se l’avouer sur le moment. “Quincy !” L’ancien apprenti de Cole se précipitait déjà sur place. A genoux auprès d’Alicia, il bascula son corps convulsant sur le côté. Il savait qu’il ne faisait que retarder l’inévitable. Les lèvres de la jeune femme étaient déjà violacées. “Que s’est-il passé ?” somma le Keynes avec un regard accusateur. Cole balbutia tant bien que mal ; “Je n’ai rien fait.” A ses pieds, Quincy dressait le constat le plus évident ; “Elle a été empoisonnée.” La respiration de Cole se saccadait, celle d’Alicia se raréfiait, et tous deux tremblaient pour leur vie. Sauf qu’elle avait abandonné la sienne, orchestrant ainsi la plus grande et la plus dramatique des sorties de scène. “Quincy, faites quelque chose !” Il n’y avait rien à faire. Son sang tachait le sol. Ses ongles s’enfonçaient dans ses paumes sous les spasmes qui faisaient trembler son corps. Le moment semblait durer éternellement, assez longtemps pour s’inscrire dans ses moindres détails dans la mémoire de Cole. C’était ainsi qu’elle le punissait. En le forçant à regarder. “Vous, reculez !” Brentfort éjecta le docteur un peu plus loin d’une pulsion sur son thorax. Il en eut le souffle coupé, lui qui était déjà si fébrile qu’il ne savait comment il tenait sur ses deux pieds. Il en avait oublié le flacon, et celui-ci lui glissa des doigts pour rouler jusqu’aux pieds de l’aîné. “Qu’est-ce que c’est ?” demanda-t-il en se redressant après avoir ramassé l’objet. En belles lettres sur l’étiquette, il lut à haute voix “cyanure”. Derrière lui, sa soeur venait de s’éteindre. Un murmure d’effroi s’éleva de partout dans la pièce. “Je suis désolé…” souffla Quincy, désemparé. Cependant, Brentford garda la tête froide et lui confia immédiatement le fameux flacon. Le regard que son ami lui jeta glaça le sang de Cole en un instant. Un regard à la fois navré et accusateur. Même lui ne pouvait croire à son innocence face à des faits aussi probants. “Cole… C’est vous qui avez fait cela ?” Son coeur se brisa d’une manière dont il n’avait encore jamais fait l’expérience. Le jeune homme n’avait pour ainsi dire jamais eu d’ami quel que Quincy, personne qui comptait autant à ses yeux, à qui il aurait confié sa vie. Et de fait, jamais n’avait-il ressenti pareille déception, pareille trahison et pareil déshonneur que le moment où un être si cher et spécial vous tourne le dos et vous croit capable du pire. Qu’importe à quel point Elwood l'implora du regard de le croire innocent, Quincy se ferma à lui et détourna son regard. Quant à Brentford, submergé d’un mélange de rage et de chagrin, il décrocha un coup de poing droit dans l’estomac du médecin, le mettant à genoux. “Vous avez empoisonné ma soeur ?!” “Non... “ souffla-t-il, les yeux rivés sur le cadavre d’Alicia gisant à un mètre d’eux. C’était cela, sa punition. Non pas de le forcer à la regarder mourir, mais de tout mettre en oeuvre pour qu’il soit accusé de son meurtre et en paye le prix. Le sacrifice ultime pour un dernier coup d’éclat. “Je le jure, je vais vous tuer.” A voir Brentford respirer comme un buffle, il aurait été mal avisé de doute de ses paroles, en effet. Et personne ne bougeait le petit doigt, peut-être par terreur, ou plutôt par sentiment que la suite logique des événements ne serait que justice.
give me your love and physical affection, give me the worst of you to hold
Si un peintre avait été présent avec son chevalet au moment des faits, il aura pu immortaliser l'instant sans le moindre mal tant la scène était immobile. Les quelques invités craignaient même de respirer devant un spectacle qui glaçait le sang. Un frisson d'horreur qui parcourait l'échine qui tétanisait et paralysait le moindre muscle. Même les nombreuses chandelles allumées de par et d'autres de cette immense salle de bal ne fournissaient plus la moindre chaleur, ni même une lueur d'espoir. Les flammèches semblaient même se ternir. Les couleurs des plus belles robes semblaient se ternirent, les plus belles parures perdirent de tous leurs éclats. Les regards étaient longuement rivés sur le corps gisant d'Alicia. Les gouttes de sang qui s'évacuaient de sa bouche formaient peu à peu une flaque rouge sur le sol froid. Le teint de sa peau avait rapidement viré au gris. Et sa dépouille avait beau être dépourvu de tout souffle de vie qu'une étrange étincelle brillait encore sensiblement dans son regard. Les Keynes savaient qu'un nouveau fantôme allait hanter ces lieux, ce manoir étant devenu le théâtre de nombreux drames et de morts étranges. La Faucheuse avait de quoi recueillir de nombreuses âmes dès qu'elle se rendait dans son domaine et, encore une fois, elle n'allait pas être déçue. Constance avait l'impression de sentir un courant d'air glacial qui la fit frissonner, alors que ses yeux restaient écarquillés et rivés sur ce qu'il se passait en plein milieu de la salle. Comme un signe avant-coureur de la Mort, venant là caresser sa peau porcelaine qu'il désirait pâlir davantage. Constance aurait tant aimé que la nuit fut étoilée. Que la lune admire son propre reflet dans l'eau paisible de l'étang qui ponctuait le vaste domaine des Keynes et qu'elle puisse être la spectatrice de toutes ces beautés de la nature une dernière fois avant que l'obscurité ne vienne la prendre dans ses bras. Mais cette nuit-là, à son grand désarroi, il n'y avait que d'épais nuages. Ils étaient même menaçants, se souvint-elle, ne laissant transpercer aucune lumière. Elle avait si froid. A moins qu'il ne s'agisse du sol ? Sa vision légèrement brouillée l'empêchait de deviner avec précision les silhouettes lointaines. Leur contour était flou, les couleurs, monocordes. Comme toutes ces personnes que les peintres aimaient dessiner en arrière-plan, se dit-elle. Elle peinait à réaliser qu'elle venait tout juste de devenir l'une des figures principales de ce tableau macabre.
Le cri d'Eleanor résonnait dans toute la pièce. Elle le savait. Son regard avait alternait les deux amants en sachant que l'issue ne pouvait désormais qu'être malheureuse. Cependant, jamais n'aurait-elle pu deviner que sa petite soeur, qui avait toujours eu tendance à rester en retrait et être témoin plutôt qu'acteur ne vienne s'interposer entre Brentford et Cole sans que qui que ce soit ne puisse l'en empêcher. Pas même Peter, qui avait tendu son bras par réflexe dans l'espoir de se saisir de celui de son épouse et l'empêcher de commettre l'impardonnable. Mais tout était arrivé tellement vite. Comme si Constance était alors la seule personne de cette salle à être en mesure de se mouvoir et d'intervenir, si tant est que cela semblait surréaliste. Même pour elle, le monde semblait rester immobile. Sauf le bras de Brentford. Au départ, la jeune femme avait surtout eu le souffle coupé, comme une réaction immédiate suite à un vif coup de poing dans son abdomen. Il lui fallut quelques secondes pour réaliser qu'il y avait plus que cela. Ses doigts frêles et tremblaient touchèrent le tissu devenu soudainement humide de son corsage, et constata que la pulpe de ses doigts étaient couverts de son propre sang. Soudain, elle aurait juré sentir la lame dans son ventre et ses yeux se relevèrent pour croiser ceux de son assassin, à qui il n'avait pas compté lui destiner ce geste. Cependant, cette alternative semblait tout autant lui convenir. "Justice." souffla-t-il avec un rictus satisfait très discret. Un couteau était vite dissimulé sous un costume, Brentford venait tout juste de le prouver. Constance ne comprenait pas vraiment ce qu'il se passait, sur l'instant. Elle se sentait faiblir et trembler et ses yeux restaient encore rivés sur sa main ensanglantée alors que son agresseur s'était reculé de quelques pas. Elle regardait ensuite autour d'elle, elle apercevait Eleanor qui se sentait impuissante et qui n'arrivait pas non plus à comprendre ce qui se déroulait devant ses yeux. Prise d'un vertige, la petite blonde fit un pas en avant, elle ne savait pas pourquoi. Puis elle regardait de côté et croisait les yeux ébahis de Quincy, qui ne comprenait pas non plus. Le corps d'Alicia était toujours là. Et Cole, toujours à genoux, avec qui elle put échanger un regard. Je l'aime tellement... se dit-elle. Constance finit par s'effondrer par terre. C'était là qu'elle voyait toutes ces silhouettes lointaines et floues, qu'Eleanor avait hurlé avant de se précipiter vers elle, insultant son époux au passage. A genoux à ses côtés, elle lui prit sa main, et nourrissait rapidement l'espoir qu'elle puisse survivre dès qu'elle se rendit compte que Constance avait toujours les yeux ouverts. "Quincy, sauvez-la..." supplia-t-elle. "Il y a bien quelque chose que vous puissiez faire. Un de vous deux doit bien savoir quoi faire." dit-elle en regardant ensuite Elwood. Quincy savait qu'il n'y avait rien à faire, mais Eleanor pensait qu'il était encore trop sous le choc pour réagir comme il l'aurait du. Elle se tourna alors sans attendre vers Cole, le regard rivé sur lui. "Vous, vous pouvez la sauver, n'est-ce pas ?" L'aînée voyait bien que le sang continuait à se déversait de la plaie de sa soeur, qu'elle avait beau mettre sa main dessus, ça ne s'arrêtait pas. Elle refusait d'admettre qu'elle connaissait bien l'issue de cette soirée tragique.
De très légers clignement des paupières venaient encore humidifier les yeux clairs de la jeune femme. Elle ignorait ce qu'elle ressentait. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle avait froid et qu'elle se sentait de plus en plus fatiguée. Elle sentait la vie lui échapper de minute en minute, un temps qui lui semblait être une éternité. Constance était surtout inquiète pour sa fille, pour l'avenir de Cole. C'était pour eux que des larmes venaient perler au coin de ses yeux. "Prends soin d'Evie, d'accord ?" Eleanor secoua négativement la tête pendant que sa main tremblante caressait les cheveux de sa cadette. "Tu t'occuperas d'elle, tu verras. Tu l'emmèneras loin d'ici, avec le Dr. Elwood." Un faible sourire étirait légèrement les lèvres de Constance, attendrie par le trop plein d'espoir que se faisait sa soeur. Constance avait envie de fermer ses paupières. Elle avait sommeil. Mais on l'en empêchait. Il fallait qu'elle reste éveillée. Sa tête se tournait vers Cole. Ils auraient du prendre ce fameux train. Mais l'heure n'était plus aux regrets. "Vous souvenez-vous des lectures que nous faisions ensemble ?" lui demanda-t-elle dans un murmure. "Le livre que je vous ai offert se trouve toujours ici. Vous devriez le récupérer, c'est le vôtre. Il se peut que je l'ai lu plus d'une fois, pardonnez-moi si les pages paraissent un peu plus usées que la dernière fois que vous l'avez vu." Même si Constance était apeurée de savoir que la Mort allait bientôt la faucher, elle se sentait paradoxalement sereine. "J'ai relu Frankenstein plus d'une fois aussi." C'était l'ouvrage préféré de son amant, des écrits qu'il avait toujours affectionné et qui, par conséquent, faisait beaucoup penser à lui quand elle le lisait. "Et il y a tout un paragraphe qui me revient en tête, auquel je m'identifiais aisément durant toutes ces années où je vous pensais mort." Elle déglutit difficilement et laissa échapper un râle montrant que c'était bientôt la fin.Constance tenait malgré tout à prononcer encore quelques mots et puisait dans le peu de force qui lui restait pour y parvenir. "Il faut du temps à l’esprit pour admettre que celle que nous voyions tous les jours et dont l’existence paraissait faire partie intégrante de la notre, a disparu à jamais, que l’état d’un regard aimé s’est étaient et que le son d’une voie si familière et si chérie à notre oreille, s’est tue pour ne plus jamais se faire entendre." Des sillons de larmes traversaient ses joues. "Avoir pu faire partie de votre vie est la plus belle chose qui me soit arrivée. Je vous aime tant, Cole. Et je vous aimerai toujours." Elle en était intimement convaincue, que ses sentiments perdureraient malgré tout. "Toujours..." Bien que Constance n'était plus en mesure de parler, la phase agonique suivait son cours. Elle était à bout de force, mais elle pouvait encore écouter, et voir, bien que sa vision se troublait de plus en plus. Depuis peu, elle avait nourri l'espoir de s'échapper enfin de cette prison dorée qu'était le domaine des Keynes et pouvoir à nouveau respirer l'air frais sans être empoisonnée au quotidien par leur malveillance. Elle avait déjà considéré se laisser mourir quelques années plus tôt. Sa mort prenait alors des goûts de liberté, bien qu'elle aurait largement préféré savourer le reste de sa vie avec Cole et Evie. Comment en était-elle arrivée là ? Elle se comptait déjà parmi les nombreux fantômes qui hantaient ces murs, qui avaient leur propre histoire à raconter. Elle était navrée de devoir faire endurer une peine à ses proches. Elle espérait qu'Evie reste la belle personne qu'elle était même si les proches capables de la préserver disparaissaient les uns après les autres. Elle priait pour qu'Eleanor reste aussi forte, comme elle l'avait toujours été. Et Cole... Il fallait qu'il fuit. Que son âme, aussi meurtrie pouvait-elle être, ne soit pas torturé davantage par la cruauté de cette famille.
Elle mourut paisiblement, conservant sur ses traits éteints l’image de la tendresse. Je n’ai pas besoin de décrire les sentiments de ceux dont les liens les plus chers sont ainsi rompus, la douleur qui s’empare des âmes, le désespoir qui marque les visages. Il faut du temps avant de se rendre compte que l’être aimé que l’on voyait chaque jour près de soi n’existe plus, surtout lorsque sa vie même semblait être une partie de la nôtre, que l’éclat des yeux qu’on a admirés s’est évanoui pour toujours et qu’une voix familière et douce ne vibre plus à nos oreilles. C’est à quoi l’on pense les premiers jours mais quand le temps prouve la réalité du malheur, s’installe l’amertume du chagrin subi. À qui la main effroyable de la mort n’a-t-elle pas enlevé un être cher ? Pourquoi devrais-je décrire une peine que tout le monde a ressentie ou devra ressentir ?