J’étais lààààà ! Enfin j’étais là… c’est vite dit. Je descendais du bus quand je t’ai aperçu descendre les escaliers du tribunal mais évidemment, il fallait qu’il y ait une vieille devant moi. J’ai couru aussi vite que possible mais tu étais déjà dans le camion. Ça m’a fait tout bizarre de te voir et très plaisir en même temps même si c’était que quelques secondes. J’ai un avantage sur toiii. Le 15, c’est noté, souligné, surligné, mon patron peut aller se faire enculer, c’est moi qui viens te chercher ! Tu sors à quelle heure ? Tu sais comment ça va se passer pour ta sortie ? J’imagine que tu vois quelqu’un dans la prison qui t’aide à organiser ta sortie pour le logement ou quelque chose comme ça. Si tu as besoin de quoi que ce soit, dis-moi.
Ahhhhh on va dire que le t-rex a vu des trucs qu’il n’aurait jamais dû voir. Disons que les mois d’abstinence et d’absence de libido, à un moment donné, ça te revient dans la tronche comme une boomerang et il faut compenser. J’ai recommencé à jouer courant mois de décembre et depuis bah… ça ne redescend pas. Et vu que je dormais le jour et que je bossais la nuit, il fallait bien que je trouve un moment alors j’ai associé les deux… Je pensais trop que j’avais été embauchée parce qu’il n’y avait pas de caméra de surveillance… lol. J’imagine leur gueule en nous voyant à poil en train de grimper sur les dinos en plastique et à s’envoyer en l’air dans les fausses plantes. Je crois que tu devines que je ne regrette rien. xD Et tu as raison de le croire, tout du moins j’ai l’impression que tu me connais mieux que n’importe qui d’autre. Qui l’aurait cru qu’en écrivant une putain de lettre je te confirais autant de trucs ?
Arf, je regrette tellement que ce soit plus la période des calendriers de l’avent, je t’en aurais envoyé un pour renforcer la sensation de noël et te faire patienter avec un chocolat tous les matins. Je t’imagine tellement comme un gamin, ça me flanque un grand sourire sur le visage, je suis vraiment contente pour toi. Je suis navrée que nos lettres t’aient causé du tort mais je te remercie d'avoir fait ton possible. Si jamais tu as en perdu et que tu aimerais en récupérer, je te donnerais des copies, en main propre cette fois. Et si jamais c’est une question de photos, tu pourras les narguer avec ta cochonne à ton bras à ta sortie, promis (et celle-là je sais que je vais la tenir ! ) ;)
Trois jours ?! Ah mais il y a pas moyen, je t’emmène goûter la même pâtisserie pour que tu puisses la déguster fraîche du jour. Tu vas t’évanouir, je te jure. xD Je te souhaite aussi tout ça, plus que jamais ! 2018 sera ton année ! J’ai hâte d’entendre ta voix, ça me parait si près et si loin à la fois. Je crois que lire ta lettre, ça a juste fait ma journée, toute la semaine même.
PS : Tu as envie de manger des haricots ? C’est un haricot ? …
Salut poussin (oui j’ai envie de t’appeler poussin depuis quelques temps, tu t’y ferras.)
Ouiiii, je suis sérieuse, je t’ai aperçu ! Mais je n’ai toujours pas vu tes yeux bleus, c’est regrettable. D’ailleurs je confirme que la photo de l’article n’était absolument pas flatteuse. Je n’ai pas eu la sensation d’avoir quelqu’un d’autre en face de moi mais ça n’avait rien à voir. Enfin j’imagine que c’est normal aussi, tu as évolué depuis. Hé dis donc, n’en profites pas sinon je les récupère ! xD Je finirais par avoir de quoi équilibrer la balance, j’en suis quasiment certaine.
Je serais là dès 9h, je n’ai pas envie de te faire attendre. Je t’emmènerais au parc. Putain j’ai l’impression de parler d’un chien, sorry. xD Mais j’imagine que ça fait longtemps que tu n’as pas eu le droit à un carré d’herbe, au bruissement des arbres, en plus le parc est calme le matin. Enfin si tu as envie d’y aller, évidemment, tu as peut-être des projets aussi, je ne sais pas. Dis-moi ce que tu veux faire éventuellement, ça me ferrait plaisir de t’accompagner. C’est noté pour les fringues, je me débrouillerais pour t’en trouver. Je t’en aurais bien acheté des neufs mais bon, tu sais ce que c’est, tu bosses comme un acharné derrière ta caisse mais le salaire ne suit pas quoi. Dès que je les aurais, j’irais les apporter aux gardiens pour qu’ils te les mettent de côté.
Que Dieu bénisse la mienne ouais, je vais en avoir besoin sur ce coup-là. Oh mais s’il y a que ça, je t’emmènerais aussi au musée… Tu comprends bien les choses. On a un point commun du coup, je te rejoins que certaines gonzesses ont le boule qui chamboule quoi, c’est compliqué de ne pas apprécier la vue et d’avoir l’imagination qui travaille. Je crois que la tienne a bien travaillé sur ce coup-là. J’aurais pu la faire travailler davantage mais ton poignet doit être encore fragile, ça serait tellement dommage de prendre le risque… d’ailleurs il parait que les mecs qui se touchent avec l’autre main ont la sensation que c’est quelqu’un d’autre qui leur fait du bien, c’est vrai ?
Oui je me doute bien mais au fond de moi j’espérais qu’ils aient la délicatesse de les refermer un peu quoi… ou éventuellement d’ouvrir le calendrier comme une boîte et de sortir tout le plastique d’un coup pour vérifier les chocolats. Enfin je rêve un peu trop j’imagine, ils n’ont pas le temps (pour rester gentille) de faire dans la délicatesse. N’espère pas que je tiendrais ma promesse, sois en certain.
Bon ok, je te les laisse, tu as bien mérité de les garder. Peut-être même que si tu es gentil, tu en auras d’autres, je ne sais pas encore… savoir que tu sors bientôt me fait hésiter quant à ma capacité d’être à l’aise en face de toi en sachant que tu m’as outrageusement matée de ces grands yeux bleus.
Je vais prévoir toute ma journée rien que pour toi ! Tu crois sérieusement, en sachant tout ce que tu sais de moi, qu’il suffit de me dire « je t’interdit de » pour que je ne fasse rien ? Sache, jeune homme, que je fais encore ce que je veux et que si j’avais eu l’argent pour, tu aurais des fringues neuves, non mais. Ça n’a rien à voir avec le fait de profiter de ma gentillesse, le geste serait venu de moi, ça aurait été fait avec plaisir. Bon je t’avoue que la taille… je ne vais pas me focaliser sur une seule parce que c’est sur le coup que je me plante, tu vas avoir l’air con avec des fringues trop petites ou trop grandes. Enfin j’ai l’impression que tu fais à peu près la taille de mon frère, ça devrait aller…
Tu comptes en œuvre de charité ou pas ? Non parce que j’ai donné beaucoup de ma personne je trouve depuis presque un an et demi avec toi. xD Je prendrais le temps de me faire jolie pour tes beaux yeux et appréhender doucement ta testostérone, je voudrais pas que tu ais un choc en allant dans le parc et que tu fasses vraiment le chien qui va se frotter à la jambe des coureuses du matin parce que tu n’en peux plus. xD Je suis désolée, je n’arrive pas à m’empêcher d’en rire. Maintenant qu’on sait que tu vas bientôt sortir, pouvoir retoucher à autant de filles que tu veux, je suis obligée d’en profiter pour te titiller là-dessus. (ton partenaire de cellule aurait pu t’aider, tellement peu de compassion en lui xD)
Je dirais juste de ne pas te raser totalement à blanc… ça fait gamin de quinze ans imberbe, c’est ridicule. Je discute avec un homme, pas un ado. Pour le reste, c’est à toi de voir. Ah ouais, c’est un date Tinder, tu comptes m’embrasser à la fin alors ? Non parce que depuis que tu n’as pas utilisé Tinder, l’appli de rencontre est plus devenue une appli femme d’une nuit que femme d’une vie quoi. Je sais que mes exploits avec les dinosaures te rendent curieux m’enfin quand même.
Salut petit vieux (bon anniversaiiiiiiire ! J-24 pour le gâteau, entre autres!)
Bon, on est d’accord là-dessus, restons sages comme des images, comme d’habitude… presque. Le truc, c’est qu’il y a une petite différence entre toi et moi. La coke, je l’aurais gardé pour moi, banane. xD (Je sais pas si c’est une bonne idée d’écrire ça… monsieur le gardien, c’est de l’humour, je vous le jure ! )
J’ai bien compris ton sarcasme, ne t’inquiètes pas pour ça. Très bientôt on pourra le détecter à la voix, ça sera top ! Non mais c’est promis, je ne me ferais pas trop jolie non plus, je ne voudrais pas que tu bandes, ça serait gênant quand même. Pas besoin de laisse, tu n’auras d’yeux que pour moi, c’est évident, enfin ! Au début, quand j’ai lu ta lettre, je me suis dit que c’était comme le vélo, ça ne s’oublie pas vraiment… et puis j’ai lu la suite… c’est sûr que si tu t'y prends comme un pied déjà de base. Tata Debbie te prendra sous son aile, va!
J’avoue touuuuut. Je suis navrée pour eux, vraiment, mais c’est un truc où j’ai du mal. Je pourrais passer au-dessus tu vois, pour certains, mais les crevettes imberbes, nop, ce n’est pas pour ça. J’ai été trop habituée à être entourée de bonhommes à barbes, c’est pas ma faute. M’enfin monsieur fait le moralisateur mais je suis sûre que tu as un type de meuf aussi. Ouais ouais, je m’en souviens de ton fantasme, t’inquiètes pas pour ça non plus. xD Je t’autorise le faire si vraiment ça te démange trop (m’embrasser hein… si tu fais le tripotanus, je t’en colle une, tu es prévenu… c’est horrible mais j’ai tellement ri à ce jeu de mots).
Je crois que tu n’imagines même pas comme j’ai hâte de te rencontrer. J’espère que tu es en forme physiquement parce que je risque fort de me jeter sur toi et je suis pas le genre de nana boulet de canon tout mignon, nan nan, là-dessus je suis plus du côté boulet que du côté canon alors tiens-toi prêt !
Je te fais plein de bisous pour ton anniversaire et je te dis à tout bientôt !
Joseph reçoit la dernière lettre de Deborah le matin du 2 mai. Il prend, comme d’habitude, le temps de s’isoler avant de la lire, de plus en plus prévenant depuis que certains imbéciles se sont permis de voler ses biens les plus précieux. On notant la date, il se rend compte que, s’il lui répond, la lettre n’aura pas le temps de se rendre à elle avant qu’il se sorte de prison. Alors il hésite un moment puis décide d’écrire quelques simples mots qu’il ne donne pas au gardien comme il le ferait en temps normal. Il ressort de la salle d’écriture avec son papier, plié en trois, dans sa main.
15 mai 2018. La grille s’ouvre en même temps que les yeux fatigués de Joseph. Étrangement, il a réussi à dormir; peut-être parce qu’il savait que Debra tiendrait sa promesse, cette fois. Une fois que ses pupilles s’habituent à la lumière de la journée, il bondit hors de son lit et récupère le sac qu’il avait préparé le soir d’avant, contenant ses quelques biens. Il n’adresse pas un regard à ses camarades de cellule qui ont bien deviné : Joseph est libre, aujourd’hui. Sa douche, il la prend à la vitesse de l’éclair. Le petit déjeuner, il l’avale en une traite. Il ne prend pas la peine de bien mâcher ces aliments au goût fade, ces aliments qu’il ne posera plus jamais sur sa langue. Bientôt, deux gardiens viennent à sa rencontre et lui annoncent que c’est l’heure. Il serre son sac contre lui et, tandis que ses yeux se gorgent de lumière, il hoche doucement la tête, la bouche entrouverte, avant de jeter un dernier regard aux alentours, sachant qu’il ne verrait plus jamais cet endroit. Plusieurs yeux jaloux sont posés sur lui mais il les ignore, comme il a appris à le faire. Lorsqu’il franchit la porte qui sépare les gardiens des prisonniers, son cœur se fait déjà plus léger. Un homme souriant lui tend un second sac que Joseph empoigne, intrigué.
- Allez, va te changer. Tu ne peux pas sortir d’ici avec cette tenue.
Ses lèvres s’étirent en un sourire et le gardien lui montre gentiment la salle dans laquelle il pourra avoir un peu d’intimité. Le battant se ferme derrière lui et enfin Joseph plonge sa main dans le sac. Il en ressort une paire de jeans, un boxer, des baskets légèrement abimés et un t-shirt blanc. Il enfile tout sans réfléchir avant de finalement se planter devant un miroir accroché au mur. Ses sourcils se froncent lorsque ses yeux se posent sur l’imprimé sur le t-shirt blanc. Il louche un moment pour essayer de lire à l’envers mais il se décide finalement à baisser la tête pour regarder l’image de plus près. Ça lui prend quelques secondes pour comprendre mais… Il comprend. C’est un haricot aux yeux brillants qui se prend pour un cœur. Joseph ne peut retenir un rire éclatant : il est maintenant certain que ces vêtements ne sont pas à n’importe qui. Ils sont à Deborah. Lorsque son rire s’éteint lentement, il se rend compte de la joie qui baigne dans son cœur. Il observe une seconde fois son reflet dans la glace comme s’il essayait d’imprimer cette image au fond de son crâne.
- Voilà l’argent que tu t’es fait au cours des trois dernières années. Il y a exactement trois milles deux cent quatre-vingts dollars. À partir de maintenant, nous ne sommes plus responsables de toi. C’est à toi de trouver la route à prendre. En ce qui concerne les travaux communautaires que tu dois effectuer, rends-toi à la bibliothèque de Brisbane quand tu peux. Tu es attendu, là-bas. Ne tarde pas trop, s’ils n’ont pas de nouvelles, ils savent qu’ils doivent appeler les autorités.
Le garçon hoche machinalement la tête en enfonçant l’enveloppe contentant l’argent dans son sac. La main du gardien se tend vers l’avant et il vient y glisser la sienne pour la serrer fermement.
- Bonne chance à toi, Joseph. Je te conseille de faire les bons choix, à présent.
Un sourire malin soulève la commissure des lèvres de l’autorité et il ajoute, dans un murmure :
- Et prends soin de Debra.
Joseph ne peut contenir sa surprise et il secoue la tête en soufflant l’air par ses narines, faussement désespéré. Évidemment que les gardiens se sont tous passé les lettres comme s’ils suivaient une série américaine. Il remercie finalement chaque homme présent dans le bureau et il se fait rediriger vers la sortie. Lorsque l’air matinal de Brisbane vient caresser ses joues, son cœur s’empourpre et il se mord la lèvre inférieure pour s’empêcher d’exprimer ce mélange de joie et de crainte qui le submerge. Lorsqu’il reprend sur lui, il observe les alentours, le cou tendu, à la recherche d’un visage féminin qu’il connait bien. C’est à 9h34 que son regard s’arrête sur la seule et unique voiture (ou tas de ferrailles) présente dans la rue. Il fait un pas vers l’avant, la tête légèrement basculée sur le côté, et, quand enfin la portière de la bagnole s’ouvre pour dévoiler le visage tellement beau de Deborah, un sourire gamin éclaire son visage. Il reste planté sur ses pieds quelques secondes, incapable de bouger. Il réussi finalement à légèrement lever la main pour la saluer, timidement. Les deux jambes coincées dans du béton, il n’arrive pas à en faire davantage et il le sait : il est ridicule.
« Non pas ça... non plus… certainement pas. » Au fil de ses mots les fringues s’accumulaient sur le lit. Ce n’était pourtant pas la plus équipée à ce niveau-là, elle avait son style, elle connaissait ses fringues par cœur, elle connaissait les pièces qui allaient avec d’autres et se contentaient souvent des mêmes tenues. Pourtant aujourd’hui, le choix de la tenue était particulier. S’il n’y avait qu’elle, elle aurait enfilé sa mini-jupe à carreaux, son débardeur noir surmonté d’un perfecto de la même couleur, le tout cassé par ses Dr. Martens mais il n’y avait pas qu’elle dans l’histoire. Avant même de penser à être à l’aise dans ses fringues, elle pensait irrémédiablement à Jo. Il ne s’agissait que de lui. Elle voulait que tout soit parfait, parfait pour le mettre à l’aise. Elle ne devait pas en faire trop et être trop carrée, ça ne lui ressemblerait pas, mais elle ne voulait pas non plus enfiler un jogging d’une de ses conquêtes qui l’avait oublié ici – allez savoir comment c’était possible. Elle lui avait promis de se faire jolie et elle allait tenir cette promesse-là aussi. Elle ne voulait plus en manquer, pas le concernant. Finalement, l’agacement du fameux « ne rien avoir à se mettre » finissait en une tenue des plus banales à base de jeans, de haut blanc et de converses. Elle était bien dans ses vêtements, ce n’était pas trop court ni trop décolleté, parfait pour un rendez-vous avec un ami. Quant au maquillage, elle avait opté pour celui de tous les jours, de quoi raviver son teint sans faire pot de peinture. Rien de fou une nouvelle fois.
8h37. C’est l’heure exacte à laquelle le moteur de sa voiture s’était éteint. En avance. L’impatience. Ça faisait trois fois qu’elle venait ici et jamais son cœur n’avait autant cherché à sortir de sa poitrine. Ça n’avait rien à voir avec l’amour, elle n’était pas amoureuse de lui – ça aurait pu, dans un autre contexte de vie – c’était simplement la joie de le savoir enfin libre. Tout bêtement heureuse pour lui et surexcitée de le savoir, ce n’était que ça mais c’était tellement à la fois. Ce n’était plus qu’une question de minutes désormais. C’est ce qu’elle avait cru… 9h, toujours rien. A partir de cet instant, elle avait commencé à regarder sa montre toutes les deux minutes avec toujours la même persuasion que ça en faisait déjà dix. Un stress un peu ridicule s’était immiscé dans son estomac. Et si cet idiot s’était attiré des problèmes juste avant de sortir et qu’il n’avait pas eu le temps de la prévenir ? Elle se faisait tout un film avant de se décider à souffler et allumer la radio pour écouter de la musique. Tout allait bien, il n’allait pas sortir à 9h comme ça avait été le cas de son camarade, voilà tout. Elle s’était alors emparée de son téléphone pour faire passer le temps.
Un stupide jeu. C’est ce qu’elle faisait en l’attendant et ça avait au moins eu l’effet escompté. La musique, sa concentration prise par le jeu, les minutes s’étaient envolées. Quand elle relevait les yeux, il était là, devant les grilles de la prison, libre. Il semblait tout petit face à la bâtisse et presque intimidé par cet extérieur qui lui avait manqué mais qui semblait presque l’effrayer. Un sourire fendait le visage de la brune qui posait alors son téléphone sur le tableau de bord de la bagnole pour mieux en sortir. Il n’était plus qu’à quelques pas mais il semblait encore si loin à la fois. Elle ne pensait pas que tant d’émotions viendraient la frapper d’un coup d’un seul juste en le voyant là, en devinant la couleur de ses iris sous ses cils, en laissant échapper un rire nasal en constatant chez lui la timidité d’un gamin qui rencontre une inconnue. Il n’était pas un inconnu. Pas pour elle. Ça faisait un an et demi qu’ils s’écrivaient, qu’ils se confiaient, qu’ils s’engueulaient – fort heureusement qu’une fois – qu’ils riaient. Ils n’étaient pas passés loin d’être plus intimes que ça encore. Il était tout sauf un inconnu.
Cette observation mutuelle l’un de l’autre n’avait duré que quelques secondes, comme s’ils s’assuraient qu’ils étaient de chairs et d’os. C’était finalement le claquement de la portière qui brisait le silence et la retenue de ses émotions. Comme une balle, aussi vite que possible, elle s’était précipitée dans sa direction pour le prendre dans ses bras, le regard brillant d’une émotion vive et ridicule qui la surprenait elle-même. Elle l’avait attendu ce putain de câlin ! « Salut Jo. » disait-elle dans un murmure étranglé par l’émotion. Putain, elle ne s’était pas préparée à ça, à cet élan de bonheur qui s’était épris de chacun de ses membres et qui faisait gonfler sa poitrine. C’était lui qui était libre et c’était elle qui allait chialer. N’importe quoi ! Mais elle n’allait pas pleurer, elle s’y refusait, c’était un jour heureux aujourd’hui, rien d’autre. Son émotion allait rester bien à sa place, dans ses pupilles foncées et brillantes, dans son estomac qui se tordait un peu. C’était comme si un poids s’en allait, un poids fantôme qu’elle n’avait pas senti jusque-là sans comprendre vraiment d’où il venait. Ça faisait juste du bien de ne pas avoir d’entrave entre lui et elle.
La seule qu’elle mettait, c’était cette distance qui se créait naturellement quand elle s’écartait enfin de lui, relâchant la pression de l’étreinte. « Je ne te demande pas comment tu vas. » La réponse lui semblait tellement évidente. Son sourire ne quittait pas son visage et son regard se relevait enfin vers ses yeux bleus. Elle s’y perdait, complètement, sans aucune honte ni aucune gêne. C’était presque trop naturel, trop évident entre eux, comme s’ils trainaient derrière eux une amitié vieille de plusieurs années et qu’aucun tabou n’était possible, pas même celui d’être un peu trop observatrice de chacun de ses traits de son visage. « C’est tellement bizarre de te savoir là. » L’une de ses mains s’aventurait sur son torse. Simple échange de chaleur humaine sans ambiguïté, simple contact pour s’assurer de sa présence une nouvelle fois. « Je ne me suis pas trompée… » D'avoir relevé ce pari débile d’écrire une lettre à un parfait inconnu emprisonné. « …de taille de fringues. » Pour ça non plus, elle ne s’était pas trop plantée. « Il te va à ravir ce t-shirt. » Un rire amusé et plus détendu passait le seuil de ses lippes. Putain ce que ça faisait du bien !
Il la voit enfin, pourtant sa silhouette reste inerte comme s’il était effrayé d’accepter la vérité. Pourtant, c’est ce qu’il a attendu tellement longtemps : de sortir d’ici et de prendre son amie dans ses bras, celle qui a éclairé ses journées pendant plus d’un an. Celle qui lui a permis de fermer les paupières la nuit sans craindre de subir la solitude encore et encore le lendemain matin. Elle est là, Deborah. Ses longues jambes couvertes d’un jean pâle la portent jusqu’à lui et il ne bouge toujours pas. Il n’a pas le temps de dire un mot que ses bras fins et doux s’enroulent autour de sa taille et un long silence de réconfort flotte s’élève autour des deux amis. Joseph laisse quelques secondes de surprise s’écouler avant de finalement l’enrouler de ses bras protecteurs, à son tour. Il ferme les paupières, contrôlant sa respiration pour s’empêcher de pleurer – parce qu’il en a énormément envie – et il pose son menton sur le dessus de sa tête en profitant du bonheur qui le submerge pendant l’étreinte. Il a envie de la remercier d’être là, de lui poser tant de questions, mais seulement deux mots s’échappent de ses lèvres.
- Salut Debra.
Il se reprend sur lui juste avant que le contact entre eux ne se rompt. Il profite de cette petite distance entre leurs deux corps pour observer les traits de son visage avec peut-être trop d’intérêt. Mais, il ne les a jamais contrôlés : ses yeux voyagent là où ils en ont envie. Alors, ses iris noisette, il en note la forme comme s’il ne les avait jamais vues. Ses lèvres rosées, il les admire en se mordant le bout de la langue, rougissant légèrement. Il savait qu’il réagirait ainsi : il n’a pas été si près d’une femme depuis trois ans. La simple douceur de sa peau a rallumé en lui son amour pour la gente féminine. Pas de barbe rude, pas de poings plus forts que les siens : juste un joli nuage de barbe à papa. C’est comme ça qu’il la voit, Debra. Elle lui redonne le sourire sans dire un seul mot. Le garçon glisse sa main dans ses cheveux pour les replacer vers l’arrière en ricanant légèrement à la suite de ses propos. Il mime avec ses lèvres un simple « je vais bien » qui semble tellement apaisé. Lorsque la main de Deborah s’aventure sur son torse, il souffle l’air par ses narines en se pinçant les lèvres, concentré. - Non, ils sont parfaits ces fringues. T’as l’œil.
Il baisse la tête pour regarder le haricot sur son torse et un gloussement amusé gonfle sa poitrine.
- Il sent encore le plastique. Je t’avais dit de ne rien m’acheter ! Mais, j’avoue qu’j’aurais fait pareil si j’avais eu l’idée de faire imprimer ce stupide haricot.
Il défie son amie du regard et, légèrement plus détendu, il continue : - J’voudrais partir maintenant, j’veux plus voir cet endroit. Plus jamais. Si j’me souviens bien, tu m’avais proposé d’m’amener au parc, et c’est exactement là qu’j’ai envie d’aller.
Il attend sa réponse et, tandis que les deux amis se dirigent vers la bagnole, Jo s’arrête en sursautant.
- Ah merde, c’est vrai, j’voulais te donner ça.
Il fait glisser son sac le long de son bras et y enfonce sa main. Il déplace quelques objets, dont plusieurs lettres pliées dans le fond, puis il trouve enfin celle qu’il cherche. Il la tend à Deborah, le regard incertain.
- J’me disais que ça s’rait cool d’te donner la dernière lettre à notre rencontre mais… Maintenant que j’le fais, j’trouve que ça fait vraiment « mauvais film romantique pour adolescent ». Tant pis !
Le timbre de sa voix. Elle ne l’avait pas imaginé comme ça. Elle la pensait plus aiguë. Sûrement l’effet de son imagination concernant ses petits dessins où elle avait vite compris que ça le représentait. Agréable surprise de constater que non, elle n’était pas aiguë. Sa voix coïncidait parfaitement à son physique, au grand brun aux yeux clairs. La nature était sacrément bien faite. A l’instar de la jeune femme, il l’observait en détails. En revanche, à contrario, ça se voyait sur sa tronche qu’il n’avait pas fréquenté le sexe opposé depuis longtemps. Elle se sentait presque comme un mirage sous son regard, flattée malgré tout par ses pommettes colorées – qu’elle n’allait pas lui faire remarquer, ça ne servait à rien d’enfoncer le clou. C’est vrai qu’elle ne lui avait jamais posé la question quant à la possibilité qu’il y ait des gardiennes et elle n’allait pas le faire. La prison, c’était derrière lui, il était hors de question de lui rappeler à peine sorti, ni jamais d’ailleurs. Les questions manquées, elle allait les garder pour elle. « Mais je ne t’ai rien acheté ! Je me suis fait un cadeau figure-toi. Ça n’a définitivement aucun prix de voir un mec de ta carrure porter ce t-shirt, je te jure. » Ca casait tellement l’aspect brun ténébreux qu’il pourrait avoir que ça la faisait rire, ce fameux rire sincère qu’il avait voulu entendre. « Oui, on y va. » Un fin sourire et direction la voiture.
« Est-ce que tu... » Ils se coupaient la parole mais la précipitation de Joseph la rendait curieuse. De sa part, et en dépit du fait qu’il ne pouvait pas grand-chose derrière les barreaux, elle s’attendait à tout. Ils avaient tellement parlé de tout et de rien qu’il avait peut-être fait la même connerie qu’elle. Lui faire un cadeau simple, lui fabriquer une connerie qui allait lui rappeler les lettres. Vraiment, elle s’attendait à tout… sauf à l’évidence. Ce papier, cette texture si spécifique de mauvaise qualité, elle le connaissait par cœur et ça la faisait naturellement sourire. Ce n’était pas comme si son sourire s’était éteint une seule seconde depuis qu’il était entré dans son champs de vision de toute façon. « Tu as de la chance qu’on soit pas des ados alors. » Une façon de lui faire comprendre qu’elle n’y irait pas croire au film romantique. Elle n’était plus une adolescente, elle prenait le geste tel qu’il était : une attention pleine de considération à son égard. La lettre en main, elle fouillait dans la poche de son jean et sortait les clés de sa voiture pour lui tendre à son tour. « J’allais te demander si tu savais conduire. Il parait que la voiture est le symbole de la liberté, alors si ça te tente… » Ouais, elle était prête à le laisser conduire sans avoir toucher un volant depuis trois ans. La conduite ça ne se perdait pas vraiment et puis sa voiture ne craignait rien. « Je pourrais lire ta lettre comme ça mais je t’oblige à rien, je pourrais la lire en marchant dans le parc aussi. C’est juste que… si je lis dans la voiture, tu ne pourras pas m’échapper pour te taper si tu racontes des conneries. »
Jamais Joseph n’aurait pu imaginer qu’il se sentirait si petit devant Deborah, alors qu’il mesure bien plus qu’une demie tête qu’elle. Du haut de ses souliers plats, elle atteint la hauteur de son nez, il serait dans le meilleur angle pour poser un baiser sur son front comme les couples le font. Toutefois, il se garde une certaine retenue : aucun sentiment amoureux ne flotte entre eux, c’est plutôt la peur du nouveau qui tend les muscles de Joseph. Peut-être craint-il de la décevoir, cette fille innocente qui lui a envoyé une lettre à la suite d’un pari proposé par d’autres filles bourrées. La jeune femme se permet de rire une seconde fois de son accoutrement enfantin qui fracture son look habituellement plus imposant. Ça ne le dérange absolument pas, le ridicule ne l’a jamais effrayé. Il fait partie de cette catégorie de gens qui n’accorde pas d’importance à l’opinion des autres. Deborah accepte immédiatement sa proposition de tout de suite se diriger vers le parc, ce qui a pour effet de le détendre légèrement. Il a hâte de voir la verdure et le ciel déployé.
Il n’entend pas la voix plus douce de son amie et la coupe sans s’en rendre compte. Il continue donc de chercher la lettre dont il parle avant de la lui tendre et sent que, finalement, son idée de lui remettre cette dernière missive le jour de la sortie n’était pas la meilleure. Légèrement surpris de voir la jeune femme enfoncer sa main dans sa poche pour en sortir un trousseau de clés, il penche la tête sur le côté en se mordant la lèvre inférieure, cachant un sourire de tentation. Oui, il en a horriblement envie, toutefois… - J’sais conduire mais j’ai pas le permis… Ça ne m’a jamais empêché de prendre le volant mais…
Il pointe du menton la prison pour lui faire comprendre son point.
- J’vais pas commettre une infraction l’jour d’ma sortie, ce serait tellement con d’me faire prendre. Les policiers seraient pas très compréhensif avec moi !
Il jette un regard sur la lettre, les yeux pensifs, puis il hausse les épaules en replaçant ses cheveux vers l’arrière, furtivement, nerveusement. Mais qu’est-ce que tu fiches avec cette timidité nouvelle, Jo ? Tu n’as jamais été gêné de la sorte devant personne.
- Tu la liras dans le parc. J’te promets de pas fuir quand tu approches du passage où je parle du gras de tes fesses.
Il contourne la voiture pour s’installer du côté passager et un soupir de confort s’échappe de ses narines. Il attend que Deborah soit installée derrière le volant et que le moteur vibre pour pointer la radio avec son doigt :
- Allez, c'est ma tournée.
Il n’attend pas sa réaction pour entamer ses recherches. Il tombe directement sur la chanson Barbie Girl et immédiatement, il arrête de tourner la roulette.
Lui proposer de conduire, de prendre lui-même sa liberté en s’éloignant de la prison sur les chapeaux de roues. Tout un symbole… loupé. De nos jours, il était tellement évident que les adultes avaient le permis (encore que, dans une grande ville ce n’était pas tout à fait vrai puisqu’il est sûrement plus facile de se déplacer en transports en commun qu’en voiture) que Debbie en avait oublié qu’il était tout à fait possible de conduire sans. Un rire amusé par sa bêtise s’échappait de ses lippes. « Ouais, on va éviter de tenter le diable, je vais prendre le volant. » Les clés comme la lettre, elle les gardait avec elle avant d’aller s’installer au volant. Elle avait remarqué que le jeune homme n’était pas à l’aise mais elle ne comptait pas lui faire remarquer. Premièrement parce que c’était naturel quand on rencontre une personne pour la première fois, échanges précédents ou non déjà présents. Et deuxièmement, faire remarquer sa timidité à un timide ne faisait qu’empirer les choses. Combien de fois avait-elle vu des gosses fondre en larmes parce que leur mère insistait auprès d’inconnus sur combien ils peuvent être timides a ainsi avoir peur de dire bonjour à la dame… bande de connes.
De toute façon, elle préférait mettre son énergie à le détendre plutôt qu’autre chose, c’était bien pour ça qu’elle entrait dans son jeu et faisait courir la plaisanterie. « Tu ne comprends pas, ce n’est pas du gras, c’est une protection… on enveloppe toujours ce qui est fragile et précieux. » Sourire taquin, elle finissait par démarrer son engin et prendre la route alors que son ami cherchait une musique qui lui ferait plaisir pendant ce court trajet. Baby Girl… « Mon dieu j’aurais dû débrancher cette radio avant de venir te chercher. » disait-elle, faussement gênée par son choix de musique avant de se mettre à chantonner dans le véhicule. Cette putain de musique était bien trop entraînante.
Quelques minutes de route, un moment pour trouver une place, c’est tout ce qu’il leur fallait avant que le moteur à peine chaud s’éteigne et que les compères sortent de la voiture. « Qu’est-ce que ça te fait, là, maintenant, de suite, de te dire que tu peux aller où tu veux, quand tu veux, le temps que tu veux, sans avoir de compte à rendre à qui que ce soit ? » Est-ce qu’il réalisait vraiment être en liberté totale ? Debbie prenait un instant pour faire le tour de la voiture et en sortir un sac à dos du coffre. « Tu peux laisser tes affaires dans la voiture si tu veux. » Il n’allait pas trimballer son sac toute la journée mais de son côté, elle en avait besoin pour plus tard. Tout en commençant à marcher avec lui, elle dépliait la lettre, ralentissant sensiblement sa marche avant d’ajouter quelques mots. « Passe devant, profite ! » Profite et me regarde pas quand je lis, ça serait trop perturbant.
Il regrette tout à coup de ne pas avoir passé le permis de conduire. Il aurait adoré pouvoir prendre le contrôle d’une bagnole tout juste sorti de prison car, Deborah avait raison, il n’y a pas plus grand symbole de liberté que de tenir un volant entre les doigts et de choisir sa propre direction. Il n’a pas pu faire de choix pendant trois ans, il ne peut pas imaginer le plaisir qui l’aurait envahi s’il avait eu le droit de contrôler les quatre roues du véhicule dans lequel il vient de s’installer. Il se rassure en se convainquant du fait qu’il ne sait probablement plus conduire après tout ce temps et qu’il mettrait la vie de son amie en danger. Un poteau est si vite arrivé dans le capot.
La réplique de Deborah le fait doucement rigoler. Il aurait probablement réagi plus fort s’il n’était pas bouleversé par une dizaine d’émotions bien trop fortes. Même s’il est très content de finalement la rencontrer, il n’arrive pas à se concentrer entièrement sur sa présence, comme si les paysages qui se dessinaient autour de lui l’enveloppaient, égoïstes morceaux de monde. Tandis que la mauvaise chanson Barbie Girl prend possession de l’habitacle, Joseph ne se gêne pas une seconde pour chanter les paroles telles qu’il l’est connait (parce qu’il ne les connait pas toutes), accompagnant les fredonnements plus discrets de Deborah.
Les parkings sont vides, la voiture trouve rapidement un coin où endormir son moteur. Les deux amis hument l’air frais en fermant leur portière respective – l’un d’entre eux semblent apprécier davantage le parfum du vent. L’interrogation de Deborah offre à Joseph un sourire naïf qu’il ne peut contenir. Il est heureux. « C’est génial. J’ai l’impression qu’il n’y a plus personne pour braquer ses yeux vers moi, que je suis invisible. » Il lorgne son amie, les mains enfoncées dans les poches, tandis que sa démarche devient plus naturelle. « Il n’y a plus que tes yeux à toi, en fait, et ils sont encore plus beaux qu’en photo. » Aussitôt, il grimace. « Désolé, je m’attendais pas à c’que cette phrase prenne une tournure romantique. J’voulais juste dire que ça me fait plaisir de voir la vraie couleur de tes yeux, pas celle que me montrent les photographies. » Photos qu’il garde précieusement dans son sac à dos qu’il préfère garder en sa possession. « Non, ça va. J’pense que ça va me prendre du temps avant d’accepter de laisser mes trucs hors de ma vue. » Le jeune homme hausse les épaules et les jambes des deux amis jambes les entraînent vers un large sentier bétonné. Les yeux de Joseph sont grands ouverts devant chaque détail du parc. C’est la première fois qu’il vient ici et il regrette de ne pas y avoir posé le pied plus tôt. Le son du froissement d’un papier le sort de ses pensées, il pivote la tête vers la jeune femme pour constater que la patience ne la contrôle plus. Elle a l’intention de finalement lire sa lettre. Un sourire à la fois timide et malin étire ses lèvres et il fait quelques pas plus rapides pour allonger la distance entre eux. « Yep ! Régale-toi, surtout. Ne me fais pas de croche-pied, ça ne serait pas fairplay ! » Il voudrait concentrer ses esprits sur les paysages verts, à nouveau, mais il ne peut se détacher de la lecture en cours, derrière lui.
« Ce n’est pas qu’une impression. Tu es libre de faire ce que tu veux sans que personne ne te surveille. » Sauf elle mais ce n’était pas parce qu’elle devait le surveiller sous prétexte d’un métier mais parce qu’elle le voulait, parce qu’on garde toujours un œil bienveillant sur ses amis. Ses excuses la faisaient sourire tandis qu’elle fermait le coffre avant de le rejoindre dans la marche. « Ne t’excuses pas, je sais que ça n’a rien de romantique, t’inquiètes pas pour ça. Ça me fait plaisir aussi de voir enfin la couleur de tes yeux. » De le voir tout court à vrai dire. Entre eux, tout semblait clair et fluide, il n’y avait pas d’ambiguïté et ça faisait du bien. Elle n’attendait rien de romantique comme dans les films où l’ancien prisonnier épouse cette femme de qui il est tombé amoureux à travers ses mots. Non, clairement, ce n’était pas leur genre, ils étaient seulement des amis et c’était très bien ainsi.
Ça ne l’empêchait pourtant pas de se sentir gênée si jamais il l’observait lire. Elle le laissait donc passer devant tandis qu’elle s’emparait de la lettre pour la déplier et commencer à lire. Ses premières lignes la faisaient sourire et rire. Il ne pouvait pas ne pas dire de connerie, c’était tout lui, elle le reconnaissait bien là. Elle relevait un instant ses iris et observait sa démarche quelques secondes avant de balancer sans aucune gêne. « Je vois à ta démarche que c’est pas le cas. » qu’il ne bande pas cet idiot, il ne marcherait pas aussi naturellement. Un rire amusé et elle reprenait sa lecture sans attendre une quelconque réaction. Quant au reste de la lettre, elle rougissait presque un instant avant de faire une grimace en passant par un faux air choqué. A la fin de ses mots, quand son regard quittait le dessin qui lui avait collé un sourire tendre sur les lèvres, elle se rendait compte que ça allait lui manquer. Lui écrire avait souvent été un instant en suspend dans sa semaine, un instant où elle se consacrait à lui et où ça lui faisait du bien à elle de prendre du temps. Elle repliait la lettre et la rangeait précieusement dans son sac à dos, presque à regret de savoir que c’était la dernière. Quelque part, sachant parfaitement que d’écrire et d’avoir la personne devant soi n’était pas la même chose, elle espérait qu’ils parviennent à continuer sur cette lancée, à développer une réelle amitié. Elle n’avait pas de doute là dessus ou très peu.
L’herbe lui donnait l’opportunité d’avoir une accélération de marche discrète, assez pour s’élancer un peu et être un boulet comme il l’avait écrit dans la lettre, sautant sur le dos du brun sans prévenir. « Tu mériterais de tomber à la renverse, vilain. » Elle profitait de l’occasion pour frotter sa joue à la sienne, abîmée sa peau contre sa barbe. « Ça me plait beaucoup cette petite barbe, ça sera encore plus joli dans deux ou trois jours si tu veux vraiment mon avis. Et sache que c’est noté pour la session matage de femmes, j’ai déjà hâte. » Elle riait avant de descendre de son dos et de marcher à ses côtés. « Dès que tu trouves l’endroit parfait selon toi, tu me dis et on se pose. J’ai quelques trucs dans ce sac à dos qui peuvent te rendre encore plus content que juste ce parc. » Amusée, elle lui lançait un regard taquin, comme si elle le défiait de deviner ce qui pourrait rendre sa libération encore plus parfaite.