J'ai perdu Wren. Nous avons été séparés, je ne sais même pas quand, ni comment. Toujours est-il que je me suis retrouvé seul avec cette putain d'arme dont je suis infoutu capable de me servir. Ce n'est pas tant que je ne sais, c'est surtout que je ne veux pas m'en servir. Elle m'a déjà été utile à l'extérieur, mais mes mains tremblent toujours trop lorsqu'elles trouvent le métal de cette engin de mort, comme si le fait d'appuyer d'abord sur le chien puis de presser la détente allait me réduire en cendres. C'est peut-être parce que je suis déjà mort. J'ai l'impression de pourrir de l'intérieur, un peu plus chaque jour qui passe. L'idée d'approcher d'autres humains me terrifie, qu'ils se disent alliés ou ennemis. C'est pour cela que j'ai pris la fuite, la première fois que je me suis retrouvé ne groupe. Un groupe qui élimine les fuyards. Un groupe qui m'empêche de dormir la nuit. Oui, je suis définitivement mort. Et pourtant, je ne ressens pas ce dont ils parlent - parlaient - dans les films; cette sensation grisante que l'on ne risque plus rien et que la mort effective n'est qu'une étape de plus. Je suis toujours aussi pleutre, mais de moins en bavard. C'est peut-être pour ça que les types chez qui je suis arrivé ne m'ont pas donné la mort en me voyant arriver, efflanqué et épuisé, avec pour seul bien mon sac, et l'arme qui se trouvait dans une poche de la veste trop grande pendant sur mes épaules.

« Debout. » Merveilleux réveil que l'on pourrait croire tout droit tiré d'une journée normale. Je me retiens de grogner un 'dégage' un peu sec, qui était destiné aux matins d'école. Mes souvenirs me rappellent à moi et je me redresse si vite que de petites étoiles noires se mettent à danser devant mes yeux. Se tient devant moi une femme qui n'a pas l'air commode. Il me semble avoir déjà posé les yeux sur sa tête brune, quelques heures après mon arrivée. « On part dans dix minutes. Nolan a démarré la voiture, manque plus que toi. » Dix minutes. Je suis à dix minutes de remettre les pieds dehors. Sans détacher mes yeux de ce drôle de réveil-matin, je me sors du lit pour m'essayer à un brin de toilette. Le miroir brisé à côté de mon lit de camp me renvoie mon reflet. Ce regard cerné de brun me donne un air morose. J'ai pris l'habitude de ne plus tant contempler mon reflet, qui me fait presque plus peur que les zombies eux-mêmes. Les Ravitailleurs, c'est comme cela que s'était (auto-)nommée la petite escouade de courageux qui sortait régulièrement pour réapprovisionner le campement. Je n'avais aucune envie de rejoindre leurs rangs, mais quelque chose en moi voulait probablement savoir Charlie encore en vie. Mon envie de la retrouver saine et sauve ne m'avait pas quitté une seule seconde. « Où est-ce qu'on va ? Y'a longtemps que les supermarchés, ça ne contient plus rien, sinon les restes des cadavres des gens d'avant. » Les gens d'avant, ceux qui sont morts pendant les débuts de la catastrophe. Je garde un mauvais souvenir de ma rencontre avec Wren, pendant laquelle nous avions presque été dévorés par une horde affamée dans des toilettes glauques.

« C'est quoi, ton nom ? » que je lance en enfilant des fringues. C'est mieux de le savoir si je dois demander de l'aide. Même si je sais qu'ici, c'est marche ou crève. Le froid fait germer sur ma peau toute une armée de grains en relief. Le froid, ou la peur. Au choix.

Il y a un moment, j'ai coupé mes cheveux au couteau. Avant l'année dernière, j'avais l'habitude de les tenir attachés, depuis que je n'avais pas eu l'occasion de passer chez le coiffeur. Et puis, il avait fallu se rendre à l'évidence : les cheveux longs, ça n'est pas très pratique. Alors, comme pour mettre derrière moi ces années 'normales', j'avais coupé - un peu aléatoirement - les touffes qui tombaient devant mes yeux. Mes cheveux avaient repris leurs quartiers, depuis. Mon reflet m'inspirais toujours un peu de crainte. J'avais peur de remarquer une morsure, un truc que je n'avais pas vu avant et qui signifierait 'ta mort est imminente'. Mais au final, la mort est imminente tout le temps, surtout depuis la catastrophe. « T’as un rencard ? Je te rassure, les morts se foutent bien d’à quoi tu ressembles. » Je lance à son reflet un regard mauvais. J'imagine que la considération de soi-même, c'est ce qui nous maintient tous en vie. Autant dire que désormais, nous sommes tous plutôt sur une mauvaise pente.

« On va où Nolan a décidé d’aller. » Je crois que mes interrogations ne trouveront jamais aucune réponse. C'est peut-être mieux comme ça. Les animaux qui ne savent pas qu'ils vont à l'abattoir sont toujours moins stressés. Alors je me conforme, encaisse, baisse le miroir brisé et termine d'enfiler mes vêtements. Un rapide coup d’œil à mon sac m'indique que ce dernier a probablement été fouillé. Je fais super gaffe à ces choses là. Je sais comment il était posé la veille. Je sens qu'il a changé de place. On m'a laissé garder mon arme, parce que j'ai assuré savoir m'en servir. « Des fermes abandonnées, des habitations qui ont pas encore été pillées, et si, des supermarchés si on a eu de la chance. Mais effectivement, c’est pas la classe verte, je te conseille de prendre ton arme. » Super. De quoi bien échauffer les esprits, s'il reste encore des gens dans certaines habitations. L'ancien groupe dans lequel je me trouvais avait élu domicile dans un vieux manoir. « T'as l'habitude de ce genre d'expéditions, alors ? » Savoir si je suis bien accompagné, ou si je file tout droit à la mort. J'ai l'impression d'être un condamné qu'on habille avant son dernier repas. Mon sac reste bien campé à côté de mon lit, j'accroche mon arme à ma ceinture sur les conseils de celle qui se présente d'un sobre « Raelyn. ». C'est un joli prénom, mais je ne lui dirai pas. Je me contente d'un hochement de tête. « Léo. Mais tu le sais peut-être déjà. » que je réplique sur le même ton. Et déjà, il doit être l'heure de filer vers ces endroits que je crains tant. Nous sommes tous devenus plus ou moins des bêtes. Notre existence repose constamment sur une poudrière sur le point d'exploser. Qui sait qui fera sauter la mienne ? Peut-être moi-même.

Nous ne sommes même pas encore sortis que mon estomac se noue déjà d'appréhension. Ce refuge est situé dans un endroit de la ville que je n'ai jamais eu l'occasion d'explorer. Peut-être en apprendrai-je plus sur ce qui est arrivé à mes proches. Je ne sais pas si je veux vraiment le savoir, au final. J'ai peur de voir mes espoirs se faire détruire... à néant. Je me demande si Wren a trouvé celle qu'il cherchait. « Je suis ici depuis cinq mois, et ça en fait quatre que je participe aux ravitaillements. » Ah. Elle va vite se rendre compte que je la joue plutôt perso' alors. Mais qui ne le fait pas, dans ce bas monde ? Je veux juste m'en tirer vivant. J'aurai peut-être dû me tirer de la ville dès le début. Certains parlaient d'aller vivre dans des Zones Blanches, des zones où personne ne vit. Beaucoup se sont exilés dans ces zones au Début. Je n'ai jamais entendu parler d'eux à nouveau. Est-ce que c'est comme dans ces livres dont je n'ai pas retenu le nom ? Les hommes encore vivants ont-ils rebâti une société dans laquelle ils vivent en parfaite harmonie, sans les bouffeurs de chair humaine ?

« Mais j’étais dehors avant de rejoindre le camp. » « Accompagnée ? Ou seule ? » On ne voit pas le temps passer, lorsqu'on est seul. J'ai eu un chien avec moi, pendant un moment. Je l'avais appelé Hibou, à cause de ses grands yeux malheureux. Le temps semblait passer de façon plus rationnelle, avec lui. Hibou est mort. Il s'est fait bouffer par une horde après s'être coincé la patte dans une bouche d'aération. J'émerge de mes souvenirs pour donner mon prénom à Raelyn; prénom qu'elle connaît déjà. Evidemment. « Alors Léo, qu’est-ce qu’il y a à savoir sur toi ? » Que je tremble avec une arme à feu entre les mains, même si je m'en suis déjà servi. Que je ne tirerai sur aucun zombie que je crois reconnaître comme quelqu'un d'Avant. Que je me tirerai d'ici avec la bouffe d'un ravitaillement dès que l'occasion se présentera. « D’encore pertinent aujourd’hui bien sûr. Ou qui pourrait éventuellement me mettre en danger de mort si je l'ignore. » J'ai un rire cynique, boutonne la veste que je remplis un peu mieux depuis que je loge ici. « Les études que t’as faites ou ta couleur préférée je m’en fous. » « J'avais compris. », je coupe sèchement. « Je sais recoudre les plaies, si j'ai de quoi le faire. Par 'de quoi le faire' j'entends tout ce qui se rapproche de près ou de loin à un truc pointu et un fil. J'ai les bases du secourisme. J'ai un bon sang-froid, dans ces cas là. » Et dans ces cas là seulement. « Je suis meilleur avec un couteau entre les mains qu'avec un flingue. » Vrai aussi, même si ma compétence à tuer n'augmente pas drastiquement dans ces cas là non plus. « C'est à peu près tout. J'imagine que j'ai un très bon instinct de survie. Je cours vraiment très vite. » J'ai dit ces derniers mots avec un brin de cynisme dans la voix.

Mes yeux se posent alors sur sa main, celle au doigt manquant. « Il est arrivé quoi à ton doigt ? » Peut-être que la blessure date d'Avant, mais mon instinct me dit tout le contraire. Et je suis enfin prêt à sortir de cette foutue tente.

« Accompagnée. Puis seule. » Je hoche la tête. Visiblement, Raelyn n'a pas envie de m'en dire plus. Je crois que je n'aurais pas non plus envie de parler de Wren. Mais au final, j'imagine que « accompagné » ou « seul » devrait définir la manière de survivre de tous les individus. Ceux qui ont vécu avec des compagnons de route ne les lâcheraient peut-être pas aussi facilement que je compte lâcher mes partenaires s'il devait se présenter la malheureuse opportunité de le faire. Peut-être même que certains chanceux sont ici avec des proches d'Avant, bien que je sois persuadé que cette chance soit extrêmement rare. La plupart de ceux qui sont encore ensemble à l'heure actuelle doivent se trouver dans les Zones Blanches. J'ai entendu des rumeurs qui disent qu'ailleurs, les morts se regroupent par troupes de plusieurs centaines, voire de milliers d'individus. Je n'ai jamais pu valider, ou invalider cette théorie de mes propres yeux, puisque je ne suis jamais sorti de la ville. « C’est pour ça que j’ai remis les voiles vers la ville. » Ce genre de choix, c'est du quitte ou double. Zones Blanches, ça veut aussi dire « possibilités de tomber sur une horde », mais aussi une chance de trouver des régions vides de population. Et les morts ont l'air de préférer les villes, juste parce qu'il existe encore des foyers de population comme celui où nous nous trouvons en ce moment même.

Que je me débrouille mieux avec un couteau a l'air de la faire sourire. Mes prunelles se posent sur la longue forme effilée qui pend à sa ceinture. Peut-être partageons nous cette caractéristique et je ne sais pas si cela me rassure. Fait-elle partie de ceux qui tuent les fuyards ? Je sais qu'il en existe dans tous les camps qui peuplent la ville. Certains ont oublié qui sont nos réels ennemis. « Tu cours vite ? Tu m’en diras tant. »  Je choisis de maîtriser toute réaction, pour ne pas lui laisser penser que oui, je me tirerai si l'occasion se présente. Pour l'instant, je m'estime plus ou moins en sécurité parmi eux. Nous verrons comment évolueront les choses, même si je suis persuadé que Raelyn doit avoir quelques intuitions. « Ça tombe bien, moi aussi. » Et je crois que je ferais bien de me méfier et de rester attentif. Nous rejoignons la voiture, et Raelyn m'indique que son doigt a été mordu. J'ai eu la chance de ne jamais avoir eu à supporter cette épreuve. Dans le camp où j'ai passé quelques temps, un type s'était fait mordre à la jambe. Puisque c'était le fils d'une personne proche de ce qu'on pourrait appeler 'le leader', ils ont d'abord essayé de lui couper la jambe. Si le type n'est pas mort transformé, il est mort d'une infection généralisée qui aura été encore plus éprouvante que la simple mise à mort d'une balle dans la nuque. Ici, on m'a expliqué à mon arrivée que l'on laissait le choix aux infectés de sortir. Là où j'étais, on ne laissait le choix à personne. « Cool. », je lance distraitement en observant la blessure de guerre. « Allez, monte. » Je m'exécute docilement, grimpe à l'arrière en saluant notre conducteur. Et nous voilà partis sur les routes. Le trajet me permet de me renseigner un peu plus sur cette joyeuse troupe. « Comment est-ce que vous faites le plein d'essence ? Y'a longtemps que les stations sont complètement à sec. » Je me tourne vers Raelyn. « Pillage ? Y'a une escouade pour ça aussi ? » Savoir quelle est l'orientation de la troupe dans laquelle je me trouve. Est-ce que je me trouve chez des pacifistes... ou directement dans la gueule d'un loup ?

« Pillage ? » L'éventualité de la chose a l'air de les amuser. Moi, je ne bouge pas d'un pouce. Ces trucs là me font flipper. « Tu nous a pris pour qui ? » « Pour un groupe d'humains encore plus ou moins sains d'esprit. » Là où j'étais, ils organisaient des pillages. Des trucs très très encadrés. Certains prenaient énormément de plaisir à organiser ces raids, que l'on pourrait presque qualifier de punitifs tant ils étaient violents. J'aurais compris cet engouement pour la stratégie, Avant. Maintenant, voir des humains s'organiser pour voler les ressources d'autres me donne juste l'impression d'être au milieu d'une meute de hyènes. Mais c'est ça, la sélection naturelle, n'est-ce pas ? Ceux qui ne s'adaptent pas... meurent. Je ne suis pas sûr de vouloir m'adapter. C'est peut-être pour ça que je me suis enfui de l'autre rassemblement. Ici, les choses ont l'air d'être un peu différentes. Mes épaules se détendent un peu à mesure que la ville défile par la fenêtre à ma gauche.

« Non, pas de pillage ou de guerres de gang. » Je laisse doucement mon dos se reposer contre l'assise centrale, celle sur laquelle je n'ai jamais été autorisé à m'asseoir étant enfant parce que mes parents avaient peur que je ne passe par le pare-brise en cas d'accident. Je ne sais pas vraiment pourquoi je pense à ça, soudain. « L’avantage de la quasi extinction de l’humanité, c’est qu’il y a aujourd’hui bien plus de voitures abandonnées que d’êtres humains pour les conduire. On se contente d’en siphonner les réservoirs quand on sort. » Voilà un truc que je n'ai jamais su faire, siphonner les moteurs. Je n'ai pas bien écouté, à l'école de la vie, lorsque les gars de ma classe faisaient les cons, au lycée. « T’as l’air de débarquer toi en tout cas. T’étais où les quatre dernières années ? » « J'ai erré. Je suis jamais sorti de la ville. » Je m'arrête un instant, hésite dans la sélection d'informations que je veux donner. « Je cherche quelqu'un. Je ne l'ai pas revue depuis la catastrophe. J'ai traîné un moment dans une sorte de... groupe. Et puis on s'est... séparés et j'ai erré avec un autre gars, mais on a été séparés aussi. » Je ne sais pas trop les relations qu'entretiennent les deux bandes. J'ai toujours peur de me faire attraper par ceux que j'ai lâché en emportant une partie de leur stock. « Est-ce que... est-ce que vous comptez rester en ville ? Genre vous établir ? Pourquoi ne pas avoir choisi les Zones Blanches ? Il paraît que là-bas, y'a presque une nouvelle société qui se développe. » Juste des contes pleins d'espoir - ou désespérés, selon le point de vue - entendus par dessus une épaule ou deux. Mais j'ai besoin de savoir si mes deux compères sont aussi gonflés d'espoir que moi.

Il y a sincèrement de quoi devenir fou, dans cette ville maudite. A force de voir des morts, on finit par penser que l'on en est un. J'ai arrêté de vivre le jour où de l'Avant, nous sommes passés à un monde désertique, peuplé de nos proches qui ne sont plus que des bouffeurs d'êtres humains sur pattes. Je crois que ce qui me tient debout, c'est la possibilité, même infime, de retrouver mes proches. « Quatre ans et tu la cherches encore ? » Je braque mes yeux sur Raelyn, sans pour autant parvenir à la haïr pour remettre en question ce qui m'empêche chaque jour de me jeter du haut du premier immeuble encore debout. « Laisse-moi deviner, ta copine ? » Je secoue la tête. « Ma meilleure amie. » Et Clément. Et les autres, ceux que je n'avais plus jamais revu, comme s'ils n'avaient jamais existé. « T’as plus aucune chance de la retrouver. Dans le pire des cas elle est morte depuis longtemps, dans le meilleure elle a eu la jugeote de se tirer au début et survit par miracle quelque part sur le continent. » « Si je suis en vie, qui te dis qu'elle ne l'est pas ? L'espoir de la revoir, elle, entre autre, c'est ça qui me fait mettre un pied devant l'autre. Je m'en fiche, de savoir. Je crois. Ça me suffit. » C'est presque comme un truc religieux. C'est drôle, mais maintenant je comprends mieux ce que trouvaient toutes les grenouilles de bénitier à un Dieu dont je ne ressentais même pas la présence. Je me suis moqué et désormais, je suis à leur place. La vie met parfois de drôles d'obstacles sur la route des gens... ou de ce qu'il en reste.

Les Zones Blanches ne leur donnent pas plus d'espoir que mon idée de retrouver Charlie, je crois. « Et se ravitailler là-bas, c’était devenu impossible. » Je hoche la tête. Ça semble logique. Il faudrait rebâtir toute la société et je crois que le temps n'est pas assez passé pour cela. Quand on n'a comme préoccupation "ne pas mourir", construire une société n'est pas la priorité. C'est marrant, mais cette assertion pouvait aussi s'appliquer à Avant. Aujourd'hui, riches et pauvres sont juste plus ou moins sur le même pied d'égalité quant à cette mort douloureuse et prématurée qui nous guette partout et tout le temps. « Quant aux autres, la plupart des gens du camp ont jamais foutu un pied dehors. Ils survivraient pas deux minutes. » « Et les entraîner ? Former une vraie escouade pour dehors ? » Comme si on avait le temps, que l'on risque de me répliquer. Mais dehors défilent déjà une bordure d'auto-route où s'entassent, les unes après les autres, des centaines de voitures. Je crois que c'est là que nous allons. Ce cimetière de voitures est toujours très impressionnant. Je peux encore entendre les klaxons des premiers jours, la panique dans les rues, lente. Grouillante. Terrifiante. « Prochain arrêt : la mort. », je marmonne entre mes dents. « Y'a une procédure à suivre ? Un genre de... plan ? »

« Si les choses tournaient au vinaigre, je m’encombrerais pas de gens comme eux. J’ai fait ce que j’ai pu pour m’intégrer au sein du campement, mais je suis pas une bonne samaritaine. » Alors nous pensons pareil. Ces gens, dont elle parle, devront un jour s'entraîner à vaincre leurs peurs. S'ils veulent survivre, ils seront obligés de se former à la survie. Ils seront contraints de se plier aux lois de cette ville post-apocalyptique. « Et j’ai pas envie de perdre mon temps. Si t’as un grand cœur et de l’énergie à revendre, libre à toi, mais tu te rendras rapidement compte que la plupart d’entre eux se complaisent dans ce pseudo sentiment de sécurité, dans ce sentiment qu’il ne peut rien leur arriver à derrière la palissade. » Ils ont tord. Combien de rumeurs ais-je entendu à propos de ces fous, qui laissaient les palissades ouvertes parce qu'ils pensaient pouvoir contrôler ou soigner les morts ? Combien de temps aura-t-il fallu aux zombies pour achever les viviers grouillants de certains campements, vautrés dans leur sentiment de sécurité ? Je ne souhaite pas que cela arrive au campement dans lequel je viens d'arriver, mais si personne n'est prêt, alors ils peuvent se considérer comme déjà morts.

Notre conducteur a l'air d'avoir envie d'aller faire le plein et j'opine du chef. « Non pas de procédure. On fouille simplement des zones qu’on a pas encore ratissées entièrement. De plus en plus loin à chaque fois. » De plus en plus loin. Un jour, il faudra probablement établir des bases plus avant dans les terres, pour pouvoir communiquer plus de vivres de façon plus efficace. La voiture ralentit sur la route que nous avons prise à contre sens, probablement pour éviter les bouchons provoqués par ceux ayant choisi de fuir la ville en catastrophe. Beaucoup ont probablement délaissés leurs véhicules pour partir à pieds. Ils auront sans doute bien fait, jusqu'à ce qu'ils ne soient eux aussi retrouvés par les morts. Je descends de la voiture lorsque cette dernière est arrêtée, à hauteur de quatre voitures alignées et qui n'ont vraisemblablement pas été visitées. Dehors, c'est calme. Le silence me frappe toujours étrangement, même quatre ans après. « OK, heum... Je sais pas siphonner de voiture. Soit vous m'apprenez, soit je reste pour faire le guet. » Soudain, je crois reconnaître l'endroit. Je n'y suis pas revenu depuis que je me suis tiré du campement précédent. L'endroit m'est familier, bien que je me souvienne l'avoir quitté de nuit. « Je suis pas sûr que nos pires ennuis soient les morts, par ici. » Mes yeux se posent sur le haut d'un immeuble, a distance raisonnable. Les dessus d'immeuble étaient mes planques préférées, lorsque j'errais seul. « Vous ne tenez pas une carte ? C'est utile, pour savoir qui traîne où. » Et quand. De ma veste, j'extirpe une carte de la ville un peu usée et rayée dans différents sens. « Les gars qui squattent par là sont généralement pas trop prêts à... partager les ressources. J'en sais quelque chose. Mais ils ne reviennent généralement qu'en fin de journée, dans ce coin. Pour faire le plein. » La crise du pétrole, encore et encore. L'histoire se répète.