Est-ce qu'il commençait à voir flou? Zeke se posait la question mais rien de ce qu'il voyait ne faisait réellement sens. Tout allait-il trop vite ou au contraire trop lentement? Il devait être sacrément fatigué de sa double journée de boulot pour avoir de tels effets secondaires à l'heure actuelle. Certes, le grand Blythe aurait dû se douter que suivre Birdie dans une de ses aventures loufoques n'était pas toujours une bonne idée, surtout quand on enchaînait les horaires à rallonge, autant à la ferme qu'à la scierie mais depuis la dernière fois qu'il l'avait rattrapée en pleurs dans sa cabane en haut d'un arbre, Zeke n'était pas tellement dérangé à l'idée de jouer le rôle du chaperon. Il avait tout de même peur pour elle, qu'elle tombe à nouveau sur un charlatan ou une figure de son passé qui la bouleverserait et Birdie n'avait clairement pas besoin de cela en ce moment. Alors, il l'avait rejoint au bar en ville après ses heures à la scierie, prenant un simple verre d'eau alors que la jeune Cadburry courait dans tous les sens pour lancer des conversations à la moindre personne qui désirait l'écouter. Pas le peine de préciser qu'Ezechiel se contenta de garder un oeil de loin sur elle parce qu'il n'était pas un grand bavard en mesure de l'aider à faire des rencontres agréables. Mine de rien, il avait fini son verre d'eau en moins de dix minutes et quelque chose se tramait depuis ce moment là: Zeke, lui, ne voyait pas la bande de filles qui riaient un peu plus loin, il ne pouvait pas se douter qu'il avait bu un sacré verre de vodka... Pourtant, le goût aurait dû être un indicateur s'il n'avait pas été autant concentré sur la bouille de Birdie. Ne pas la perdre de vue, ne pas la retrouver en larmes quelque part hors de son champ de vision, il y arrivait à merveille à l'heure actuelle mais il avait besoin d'un deuxième verre d'eau, un autre qui se solda par un remplacement inopiné qui le fit chanceler quelques minutes plus tard. Il n'était pas dans son état normal, Ezechiel pouvait au moins réaliser cela et il tâcha de se passer les mains sur son visage pour retrouver une contenance. Deux secondes d'inattention et il avait perdu de vue la petite blonde. Le grand brun tituba à la recherche de la disparue du moment, se prenant quelques personnes au passage, ignorant les réprobations de ces gens-là. Il avança jusqu'à la deuxième salle, celle plus cosy où il n'y avait plus grand monde passé les heures de grande affluence. Il la vit plus loin et sans s'en rendre compte, il hurlait déjà. "Ah bah t'es là, Birdinette! Je te cherchais partout, j'allais appeler Interpol, moi, faut pas me faire ça, j'ai un petit coeur tout mou, tu sais bien." Les filles s'approchaient de lui, toujours rieuses alors que Ezechiel essayait d'avancer vers Birdie. Échec cuisant. Il était à terre. On lui parlait et il riait sans comprendre la moitié des discours qui arrivaient à ses oreilles, c'était un capharnaüm là haut. "Dites, l'eau, c'est pas si bon qu'on nous le dit, hein. Et c'est moi ou la Terre tourne vachement?" Est-ce que la tête blonde de Birdie allait réapparaître avant qu'il ne se fasse avaler par un groupe de nanas en furie? Ezechiel aurait bien aimé le savoir parce que la nausée le guettait et il n'aimait pas tellement l'idée, là, tout de suite.

5 min. Elle a dit qu’elle s’éclipsait 5 frêles minutes.
Mais les 5 minutes solo se sont transformées en bande, un cumul de 5 minutes qui se sont enchaînés sans qu’elle ne s’en aperçoit. Parce qu’elle va à droite, à gauche, au centre, puis de nouveau à gauche avant de prendre un virage serré vers la droite.

Elle l’a laissé tomber alors qu’il est venu pour elle. Bizarrement, elle n’a pas eu trop à insister. Elle ne se rappelle pas pourquoi elle lui à demander de venir. Mais c’est Birdie, la raison même n’existe pas chez elle. Mais l’oiseau qu’elle est a papillonné, butiné, massacré à tour de bras et elle a zappé, complètement oublié le grand brun qui pourtant n’a pas bougé de sa place. Cadburry ne sent même pas les yeux de Blythe sur elle parce qu’elle a l’habitude qu’on la regarde, que ce soit à travers un écran ou juste dans la rue. C’est ce qu’elle cherche, de toute façon, quand elle s’habille avec un manteau de franges multicolores qui brillent encore plus sous la lumière.

Birdie passe de verre en canette en bouteille à un rythme effréné pour un œil inhabitué. Mais elle, elle a l’habitude. Son rire à gorge déployée ne passe pas inaperçue, sa main dans la tronche de celui qui se fout d’elle à cause de son comportement avec son ex lors d’une soirée d’il y a des mois non plus. Elle veut bien rigoler, la gamine, mais pas à ses dépens. C’est bien trop facile, sinon.

Elle a fini par s’échouer dans la pièce d’à côté, là où y avait moins de monde mais autant de fun parce que c’est là que passent les billes et les sachets en regards avides et sous-entendus. La blonde sourit parce qu’elle a son grâal qui allait lui être utile pendant plusieurs jours, avant d’entendre une voix au loin l’interpeler avec un surnom ridicule. « Wynnie ? » Qu’elle demande en premier réflexe. Parce que ça, ça peut venir que de son frère mais ce n’est pas la même voix que son frère. Ni même la même taille quand elle lève ses yeux bleus vers la foule pour voir la tête brune d’Ezechiel dépassée le reste du monde - parce qu’il dépasse toujours tout le monde, Zeze, c’est à la fois utile et emmerdant.

Y a des meufs qui rient et la tête disparait soudainement.
« Fuck. »

Birdie fourre son paquet dans une poche mystérieuse tout en se levant (trop vite, beaucoup trop vite, merde) avant de s’approcher de la foule qui s’amassait visiblement autour du Blythe qui semble rire - son presque incroyable à entendre. Mais pas autant que ses propos presque incohérents qui font monter au créneau Birdie, qui attrape par les cheveux la première fille à sa portée qui se moque. « Tu t’trouves ça drôle, p’tite conne ? Tu veux p’t’être que jte foute son verre dans la gueule pour te calmer, qu’est-ce que t’en penses ? Ça serait plus drôle de rire de ta sale tronche défigurée, j’en suis sûre. Si vous déguerpissez pas, j’lui explose la tête contre l’mur, c’est clair ? » Elle tire, l’autre rigole plus et ses copines ont l'air de s'être calmées instantanément.

Deux (vraies) minutes après, Birdie fout un jet de (vraie) flotte au visage d’Ezechiel tout en s’accroupissant. « Hey, Zeze, c’est normal que la Terre tourne, ça a été scientifiquement prouvé y a des siècles. Toi, par contre, ça doit pas tourner très rond là-dedans, elle tapote sa tête. Tu penses pouvoir t’lever ? On va aller voir l’air dehors, ça doit être plus respirable, qu’est-ce que t’en dis ? »

Elle était là, non loin de lui, du moins Zeke l'imaginait car la scène allait beaucoup trop vite pour lui. Il avait besoin de temps, juste pour que ses idées redeviennent légères. Ce n'était pas le cas à l'heure actuelle avec sa boîte crânienne qui devait peser au moins mille tonnes. On riait autour de lui, il voyait des gens danser ou tituber, il n'était plus très sûr de ses yeux non plus mais en tout cas, il était certain d'entendre les babillements d'un groupe de filles. Pas longtemps néanmoins parce qu'il y avait une voix qui les faisait taire, une voix qui aurait pu être joyeuse et délicate dans d'autres circonstances mais pas là, pas quand elle crachait son venin à cette bande de furies qui décampaient bien vite. Zeke, lui, ne comprenait strictement rien à ce qui se passait. Il releva la tête cependant et rencontra le regard perçant de Birdie, comme quoi il n'avait pas rêvé, il l'avait bien retrouvé au milieu de tous ces gens qui s'échangeaient des sachets en tous genres, clairement le milieu ne seyait pas à un bûcheron comme lui. Il devait être là pour Cadburry cela dit alors il avait tenu le cap jusqu'à cette salle sombre et au moins, il était assuré de la savoir vivante après tout ce bazar. "Ah... Bon? Mais tu sais que je sais pas lire? Donc je suis très bête pour savoir ça, p'tit oiseau." Il n'était clairement pas aussi démonstratif de ses sentiments à l'accoutumée même si, certes, Ezechiel se pensait franchement plus bête que la moyenne. Il ne le partageait juste pas avec le reste du monde: tout ce qu'il avait au fond du coeur ou du cerveau se devait de rester confidentiel de toute évidence. "Eh, mais il y a de l'air là, non? Regarde, je peux faire l'oiseau avec mes bras même et ça fait de l'air." Il riait comme un idiot, comme quoi l'alcool n'était pas fait pour un grand Blythe comme lui. Ezechiel devait se ressaisir, faire l'effort de s'appuyer sur le mur non loin de lui pour se relever avec une dégaine clairement mauvaise. On allait encore rire de lui, habituel. "Dis, Bird', tu crois que je t'ai bien protégé ce soir? J'espère que personne t'a embêté sinon... Couic comme quand je tue mes cochons malades." Il avait fait le geste du couteau contre sa gorge en titubant jusqu'à la sortie. Il suffisait d'un millimètre et il marchait sur ses lacets... La réitération d'un drame. "Non, parce que j'aime pas quand on t'embête. Comme j'aime pas qu'on coupe mes arbres. Quand ça disparaît, je meurs un peu à l'intérieur. Tu vas pas disparaître pour me tuer, hein?" Et peut être que t'étais carrément bourré, Zeke.

« La ferme, Zeze, t’es pas bête. T’utilises tes yeux pour autre chose. Et puis, tu peux l’avoir entendu. T’es pas sourd. La preuve, tu m’écoute blablater jusqu’à épuisement depuis la nuit des temps. » Aussi loin que Birdie se rappelle, Ezechiel a toujours été là, les oreilles toujours à l’écoute, attentif et patient, silencieux et abstrait. Elle ignore si c’est parce qu’elle disait n’importe quoi, parce que ce qu’elle raconte n’a pas de sens ou alors n’a pas d’intérêt. Mais elle s’en fiche, Birdie, si elle veut parler, elle parle. Et s’il l’entend, c’est qu’il le veut bien, n’est-ce pas ?

Trop bavarde, trop de répondant, trop de trop chez Cadburry, rien n’est fait à moitié.
Pauvre Blythe de l’avoir subi pendant des années.

Et même avec les années, les déménagements, les séparations, les absences, elle a trouvé moyen de le foutre dans son sac à problèmes. Une infime partie de l’iceberg que personne ne voit parce que Birdie fout tout son poids dessus parce qu’elle ne veut pas que ça se voit. Mais Zeke a rien demandé et elle lui a foutu ça dans la tête, sur ses larges épaules qui à cet instant précis, paraissent plus frêles que les siennes.
Birdie sourit, elle secoue la tête, ses mèches blondes suivant le mouvement alors qu’il veut faire l’oiseau. « Laisse-moi l’exclu de l’oiseau. On a dit que toi, t’es un castor, tu t’rappelles ? Tu peux essayer de gratter le sol ou les chaises avec tes dents mais j’te le conseillerai pas. » Ils étaient gamins, elle était sûrement en plein crush quand ça s’est passé, ça. Elle la pie naturellement, comme évidence, et lui le castor qui construit et qui protège.

Elle suit son mouvement quand il se relève - c’est fou comme on se sent bien plus aguerrie et presque sobre quand on a quelqu’un à s’occuper - les bras tendus, prête à (tenter de) le rattraper si y a besoin. Il parle, de nouveau, c’est presque épatant mais ce n’est pas naturel et ça fait ronchonner Birdie parce que non seulement il parle mais il dit des conneries. Elle le suit comme son ombre tout en fusillant du regard derrière son dos vers la première personne qui pourrait l’ouvrir ou pire, rigoler. « J’ai pas besoin de protection, Zeze, mais ouais, visiblement, je ressors entière donc t’auras pas besoin de faire couic à quelqu’un. On va éviter que tu finisses derrière les barreaux, tu seras extrêmement malheureux là-bas. Y a pas d’arbre et tu vois à peine la lumière du jour. On peut pas laisser ça arriver. Encore moins pour moi. » Il est trop bon, Ezechiel, contrairement à elle. Elle, elle mériterait de finir en prison. Elle, elle finira sûrement là-bas si ce n’est pas dans une tombe. Le happily ever after n’est pas pour elle.

Mais elle est attendrie par les paroles du Blythe et elle se mord la joue intérieure pour s’empêcher de rire tout en l’entrainant vers son van jaune, les clés sautant entre ses doigts. « Si, Zeke. J’vais disparaitre avant toi mais tu vas pas en crever. T’es bien trop robuste pour ça. T’as l’apparence d’un chêne mais t’es un roseau à l’intérieur. » Il en survivra parce que c’est une sorte de survivant, un survivant de la société, de ses codes, de ce qu’il faut dire ou pas, être ou non. Lui il perdura mais elle, non. « Est-ce que tu t’sens de prendre la voiture ? Assis devant ou allongé derrière ? Interdiction de vomir à l’intérieur par contre. Tes boyaux peuvent se retenir ou non ? Sinon on peut stagner. Ou marcher. Mais jusqu’à la ferme, ça va être long. Et chez moi, j’ai deux intrus, ça va être compliqué. » Ses yeux bleus se reposent enfin sur lui, Birdie le dirigeant prudemment contre son van le temps que les questions viennent dans sa tête embrouillée d’éthanol. Ils ont tout le temps du monde, de toute façon.

Le monde était quand même hyper complexe dans ces circonstances et Zeke avait énormément de mal à démêler le vrai du faux mais son cerveau était vraisemblablement le fautif dans l'affaire. Il n'arrivait même plus à réfléchir, comme si on lui avait retiré l'usage du moindre neurone, ce qui était trop bête puisqu'il en utilisait une moitié de ci de là, juste de temps en temps. La vodka lui avait malheureusement tout subtilisé et il se sentait plus bête encore que d'habitude, si c'était possible. Mine de rien, Blythe avait passé la majorité de son existence à ne pas pouvoir se voir en peinture alors, c'était quand même difficile pour lui de paraître plus optimiste sur le sujet avec quelques verres d'alcool dans le sang. Il ne dit rien pourtant: preuve qu'il restait encore Ezechiel, ce grand muet qui laissait le loisir à tous les autres de parler pour lui. Birdie avait eu cette place là dans son existence justement puisqu'il écoutait et attendait sagement qu'elle ait fin avant d'enchaîner deux ou trois mots réconfortants. Ce soir-là, il ne pouvait pas tenir le cap habituel parce qu'on lui avait retiré ce droit en volant ses verres d'eau. Il n'avait jamais beau, Zeke, et les effets étaient franchement dévastateurs pour un grand dadais comme lui. S'il n'avait pas été aussi concentré sur sa quête de Cadburry, il aurait vite compris qu'il ne buvait pas une boisson saine et il aurait jeté le liquide dans le robinet derrière le bar mais Zeke avait perdu sa capacité de jugement entre la quatrième et la cinquième gorgée, à coup sûr. "'Me rappelle pas. Mais faut pas tuer les castors non plus, hein." Il n'avait pas spécialement envie d'être comparé à un animal maintenant, il préférait être un arbre parce qu'il les aimait particulièrement ce soir là, sans comprendre pourquoi. Blythe avait dû en couper beaucoup trop ce jour là et il culpabilisait d'être un tueur de photosynthèse, même s'il était doué pour cela. Finalement, Birdie l'entraînait vers l'extérieur et Zeke suivait plus maladroitement qu'autre chose puisqu'il se prit la porte, quelques individus étouffant un rire alors qu'il sifflotait un air d'une vieille chanson que tout le monde avait oublié depuis trois ou quatre lustres. "Je pourrais planter des arbres en prison, c'est pas grave ça. Ce qui serait plus grave, c'est que tu disparaisses, tu vois, ça, ça rendrait le monde encore plus flou qu'il ne l'est déjà là, tout de suite." Et pour cause, il s'étala de tout son long sur le pare brise de la voiture, refusant certainement que Birdie s'amuse à allumer le moteur pour les ramener vers leur maison respective. De toute façon, ce ne serait pas très prudent et puis, il y avait plein d'étoiles à observer par dessus le marché. "Les roseaux, ça se casse. Et les étoiles, ça disparaît. Pas de voiture, c'est pas bien la voiture, t'as bu, Birdinette. Et pas de l'eau hein, je t'ai vu de loin! T'es une vilaine jeune fille, dis! Faut pas faire ça, après regarde, pfiou, tu peux plus conduire." Il aurait pu se mettre en position foetale que l'effet aurait été le même. On avait vu mieux en termes de glamour et de posture assurée. Oui, Zeke était censé être le tronc d'arbre, celui qui soutenait tout à bout de racines mais le monde se fourvoyait de conserver cette image idéale de lui. "Je sais peut être pas lire mais je sais compter et il y a vingt quatre étoiles... Ah non, celle là, elle s'est dédoublée à l'instant, faut vraiment que je boive moins d'eau à l'avenir, Bird', tu fera attention hein?" Il ne savait même pas qu'il était ivre, voilà à qui la blonde avait affaire. Une catastrophe ambulante et qui se sentait si seul, par dessus le marché. Un véritable fléau.

« On tuera pas les castors, promis. » C’est tout ce qu’elle peut lui affirmer. Même si elle ne peut pas le confirmer parce que l’humain est bête, il est con, il est stupide et il est égoïste. Elle la première. Et pourtant, c’est dans l’immensité de son égoïsme que Birdie veille à chaque fait et geste du grand brun, l’épiant sans que ça se remarque, le soutenant sans le toucher. Juste de quoi lui donner la sensation qu’il maitrise la situation - autant qu’il maitrise son débit de paroles aussi incroyable qu’insensé.

Zeke est maladroit, il chavire un peu, il ne sait foutrement pas quoi faire ses jambes, de ses bras, de toute cette corpulence qui n’a jamais cessé d’épater sa jeune voisine. Il est adorable, il l’est sûrement encore plus que d’habitude, parce qu’il fait moins homme des cavernes, il fait plus homme du monde. Même si ça rit sous cape par derrière, même si ça fredonne des airs perdus d’il y a longtemps, même si ça confond un mur avec la sortie - elle ne le blâme pas, il y a trop de murs, trop de prisons, trop de carrés et de rectangle, pas assez de liberté. Ils sont des enfants de la terre, ils ont grandi les pieds dans la boue et le visage pointé au ciel, l’entrée et la sortie, c’est abstrait, c’est contraignant, c’est chiant.
Alors elle ne le blâme pas.

Par contre, Birdie ricane. Elle ricane parce qu’Ezechiel dit n’importe quoi et il fait encore plus n’importe quoi. Il s’étale sur la voiture qui ne peut que grincer et s’affaisser sous son poids. Alors la blonde émit un léger « heeey, fais gaffe ! » de protestation mais le miracle de cette soirée veut que le Blythe se remette à parler, sans se soucier de ce qu’elle dit. Pourtant, il ne l’ignore pas. Au contraire, je t'ai vu de loin ! Il a voulu veiller sur elle, pourtant, ce n’est pas pour ça qu’elle l’a amené… Si ? La question restera vide de réponse parce qu’il compte les étoiles et que Birdie vint le rejoindre, le bruit de ses clés résonnant doucement. « Régime sans eau pour toi dès demain, Zeze. » Cadburn tourne sa tête vers lui tout en esquissant un léger sourire de coin. « Je t’abandonnerai pas, la prochaine fois. J’aurai pas dû. » Surtout que ce n’est pas son univers, tout ça, tout ce monde, toute cette agitation. Il n’est pas fait pour ça, elle l’a embarqué ici et elle l’a salement lâché. Elle est indigne, jusqu’au bout. « C’est pas en te foutant sur le capot que ça va m’empêcher de démarrer la voiture. Et chiche que je peux même conduire avec les coudes. » Elle en serait capable. Foutrement cap. Il suffirait juste que Zeke lui donne le défi et elle le prend, elle saute dedans et elle s’y roule.

« Si on peut pas faire ce qu’on veut, c’est pas amusant. Je m’en fiche d’être une vilaine fille, la vie est faite pour être vécue. Je suis pas une fille bien, de toute façon. La preuve, je t’ai laissé tout seul. Une fille bien, elle aurait pas fait ça. Crois-moi, le monde se portera mieux quand j’aurai disparu. Surtout toi. Tu serais pas dans cet état sans moi. » Et ça, c’est le mal absolu.

Il n'avait pas l'air de pouvoir s'arrêter, première fois de son existence que Zeke n'était pas en contrôle constant de ses mots ni de ses gestes. Il n'avait pas spécialement demandé à sa robuste carrure de se retrouver sur le capot de la voiture de Birdie mais c'était chose faite finalement, le pauvre Blythe se perdant en tergiversations qui ne devaient pas avoir le moindre sens pour la petite blonde qui devait le supporter dans cet état pitoyable. Certes, le grand brun n'avait rien demandé de son côté, si ce n'était un verre d'eau pour faire passer le temps jusqu'à ce que Birdie décide que sa soirée dans ce bar était terminée mais il suffisait de quelques personnes mal intentionnées pour ruiner tous les plans du fermier. Il n'allait certainement pas savoir où se mettre au petit matin car il n'était pas un individu qui parlait beaucoup, encore moins pour sortir toutes les bêtises qui lui passaient par la tête, il n'était pas comme ça, Zeke. Là, il ne pouvait pas faire autrement, se complaisant à regarder la course des étoiles au dessus de son joli minois en écoutant d'une oreille attentive les dires de Cadburry. Elle ne devait pas tout saisir sur ce qui lui arrivait, en tout cas, lui-même ne savait pas qu'il avait été alcoolisé à son insu, n'étant pas en mesure de capter les signes puisqu'il n'avait jamais touché à une goutte d'alcool fort jusqu'ici. "T'es dure, Bird'! Quand je scie le bois, j'suis une véritable fontaine à eau, j'ai besoin de mon stock!" Il ne comprenait même pas le double sens car il n'était pas familier de la vodka, ni des soirées dans les bars de manière générale, à croire qu'il avait vécu dans une caverne pendant plus de trente ans. En un sens, c'était le cas, même s'il y avait le plein air à la ferme. "T'oserais me tuer en me laissant sur le capot, toi?" Il fit une mine outrée, à croire qu'il devenait expressif avec un gramme d'alcool dans le sang mais c'était Birdie qui allait devoir gérer sa chute, comme si celle-ci allait être belle à regarder. Elle n'était déjà pas belle à écouter. "Tssss, qu'est ce que tu racontes? Si t'avais disparu, j'aurais couru après toi, va. J'suis p'tet qu'un castor ou qu'un arbre mais on laisse pas mourir les étoiles par chez moi, non mais! Arrête tes bêtises ou je te mords!" Il riait à gorge déployée, il n'y avait rien de drôle pourtant, Ezechel était juste pathétique au possible mais c'était peut être ce qui faisait son charme à l'heure actuelle. Pourvu qu'il oublie tout dès demain.

« Faut pas dire les choses comme ça, Zek, les gens comme moi peuvent avoir l’esprit mal placée et avoir d’impures pensées sur ton adorable innocence. » Il ne se rend même pas compte de son propre état et rien que pour ça, Ezechiel est la candeur pure. Il n’a pas laissé le monde le consumer, non, il a préféré s’en isoler un peu plus. Au contraire de Birdie qui s’y est frottée, qui en a été abusé et qui subit depuis, sans cesse, sans répit, et qui le regrette sans vraiment le faire parce que ce n’est pas drôle, les regrets. Les remords n’amènent rien de bon à part une grande nostalgie et une amertume certaine. Birdie n’en veut pas, elle veut grimper sur le toit de son van, elle veut rouler à 200 à l’heure et si elle doit en crever en faisant tout ça, tant pis, c’est mieux que de flétrir et souffrir en tombant malade. Agonisant dans une peau ridée, seule et oubliée de tous. L’horreur absolue.

« T'oserais me tuer en me laissant sur le capot, toi? »
« Ça dépend si tu réussis à te tenir. » Sa survie ne se doit qu'à lui-même, Birdie se dédouanant totalement de tout risque de décès dans la manœuvre. Elle n’est pas faite pour garder les choses en vie. Les animaux peuvent avoir plus de chances avec elle que les humains. Elle l’a prouvé plusieurs fois. Elle brise les humains au lieu de les aider, elle n’y peut presque rien. En aurait-elle déjà assez sur la conscience ? C'est plus sa volonté de survie qui prime, si on lui demande son avis. (Chose qu'on ne fait parce que l'avis cadburienne, tout le monde s'en passe très bien dans les faits.) Mais la jolie blonde ne pourrait rester insensible si Ezechiel venait s'ajouter à son esprit brumeux, à ses épaules qui ont l'air de l'affaisser un peu plus dans le bitume du sol sans qu'elle ne semble s'en apercevoir (elle est si high, si perdue dans des contrées qu'elle seule comprend qu'elle ne voit rien, évidemment. ou alors cette aveuglement n'est qu'une illusion pour ne pas avoir de responsabilités).

Birdie entre cependant son épaule dans le bras de son ami, se penchant maladroitement vers son oreille (ou alors c'est son cou ? ce n’est pas un œil, ça ?) pour lui confier un secret avec cet air et ce timbre enfantin qui ne peut laisser présager si c'est une fantaisie ou la réalité. « Ça serait pas la première fois, sinon. J'ai l'habitude de laisser traîner des cadavres dans mon sillage. » La ferme, Birdie, clous ton bec et arrête de piailler. Ne va pas en dire trop, y'a des choses pas bonnes à dire et ça, ça c'est une énorme chose qu'on prétend que ça n'est jamais arrivé. Elle a l'habitude, pourtant, de prétendre. D'écraser dans un cimetière interne ce qu'elle ne veut plus entendre parler, les secrets à oublier tant et si bien qu'ils finiront bien par être effacés et ne jamais avoir été réels, pas vrai ? Tout se passe dans ta tête, n'est-ce pas Birdie ?

Elle rit dans quelque chose qui se rapproche plus du gloussement, l’adrénaline de l’éloigner du peuple étant redescendue en même temps que la remontée de l’éthanol se faisait dans chaque recoin de ses vaisseaux sanguins. Le pire, c’est qu’Ezechiel s’y met aussi, à rire, et elle ignore si c’est le son que ça fait ou ce qu’il a dit juste avant qui accentue un peu plus ses propres éclats. Un bon fou rire qu’elle n’aurait pas pensé avoir, pas avec lui, pas dans ces conditions et qu’elle espère se rappeler le lendemain. « Je suis au mieux une étoile morte. Les étoiles, elles meurent quand même, désolé de te l’apprendre, Zeze ! Vu ton état, t’es ni capable de mordre et encore moins de courir, j’en suis sûre. » Et pour preuve, Birdie le pince au flan avant de rire de nouveau, un bras passant autour des épaules du brun et ses jambes s’installant sur les siennes. Like he was home.

Il ne pouvait pas ouvrir ses synapses pour connecter ses neurones restants: les pauvres étaient noyés dans des bribes d'alcool depuis un moment désormais et Ezechiel avait peu d'espoir de les retrouver avant le petit matin. Autant dire que la nuit allait être très longue, surtout qu'on parlait d'insomniaque sous l'emprise d'un excitant alors, le ramener à la maison n'allait pas être coton. La preuve, il était déjà joyeusement allongé sur le capot de la voiture, sifflotant en dessinant des formes dans le vide du ciel, comme s'il était en train de devenir un magicien de renom du jour au lendemain. Il n'avait ni la carrure ni l'intelligence et ce genre d'individus devaient sûrement savoir lire pour s'en sortir avec leurs multiples tours de magie. Zeke devait se débrouiller autrement, en restant un garçon parfaitement innocent alors qu'il était beaucoup trop grand pour que le tout reste franchement crédible plus de dix minutes normalement. "Parce que c'est impur les fontaines à eau?" Birdie était sûrement en mesure de lui faire éclater tout son petit univers avec son discours à venir mais Zeke ne pouvait même pas se rendre compte, il était dans sa bulle, à voir le monde virevolter dans tous les sens ans réussir à attraper une bribe de pensée cohérente. "Tes essuie-glace ont pas l'air solides donc." Il était certainement mort par avance mais la blonde n'oserait pas rouler à pleine vitesse alors qu'il n'était pas en sécurité, si? Au fond, Ezechiel n'en savait rien parce qu'elle n'était pas plus nette que lui à l'heure actuelle, Birdie. Elle se calait à côté et il continuait à déblatérer, loin d'être son genre ce type de méthodes. "Tu les caches où?" Les cadavres bien sûr, pas des choses impures, pas le genre de Zeke de mentionner tout cela impunément. Non, lui, il était plus l'homme qui sursautait comme un idiot lorsqu'elle lui pinça le flanc et il se retrouva à terre à peine quinze secondes plus tard parce qu'elle ne l'avait pas averti et qu'il riait dans le gravier, sans même savoir s'il s'était fait mal quelque part. "Les étoiles, ça fait tomber les arbres, tu penses?" Il était bien par terre aussi, à ignorer les cailloux qui lui rentraient dans la peau, entre autres choses. "Je peux ramper, eh!" Et il essayait, sûrement en train d'aggraver son état, pourvu que Birdie ait suffisamment de cervelle à cette heure pour le sauver de lui-même avant qu'il ne fasse une trop grosse bêtise.

« Les fontaines, nan. Mais parfois, les atomes dans l’eau peuvent l’être. J’ai jamais trop compris. Par contre, je comprends très bien que l’humain peut être impur. Je suis impure, Zeke, j’ai pas fait exprès, j'le jures. » Même si la gamine en elle doit sûrement en rougir à forte dose, ce n’est pas le cas de l’adulte qu’elle est devenue. Birdie n’est pas sans pareil pour évoquer ce que d’autres se contenteraient de penser, elle est dépourvue de ce filtre qui n’a jamais eu place en elle mais qui fut plus maladroit quand ils étaient plus jeunes. Quand Ezechiel l’impressionnait un peu plus, parce qu’il était juste là, qu’il était gentil et qu’il savait l’apprécier avec toute sa folie et ses bizarreries. Mais elle s’excuse quand même, malgré le fait que Blythe ne comprend pas. C’est assez drôle de le voir perdu, encore plus que d’habitude parce qu’il n’a pas l’air de s’en soucier. Pour une fois, le grand tronc qu’il veut absolument être ne prend pas en compte les moqueries éventuelles. Il sait qu’avec elle, il est protégé. Ils se protègent mutuellement et elle ne sera jamais celle qui le jugera. Un cocon sain où Zeke peut être totalement lui-même sans prétention, sans masque, sans rien. Birdie ne voudrait le voir autrement.

Sauf avec ce qui ressemblait à de l’eau mélangé à de l’éthanol.
C’est plutôt drôle et ça aurait vraiment malheureux de ne pas voir le spectacle au moins une fois.

Ses essuies glaces n’auraient aucune chance. Entre la vitesse de Birdie et sûrement la volonté de Zeke de s’y raccrocher pour survivre (quoiqu’il dise, il n’a pas envie d’y passer tout de suite, elle en est persuadée), les pauvres engins ne tiendraient pas le premier virage. Tout comme eux, peut-être. Mais ce n’est pas comme si Birdie avait aucune expérience en la matière (elle occulte le résultat d’un de ces tests, d’ailleurs, cela vaut mieux pour sa santé mentale).

Ezechiel finit rapidement, en un clignement d’œil à peine, au sol, alors que Cadburn est persuadée de l’avoir suffisamment accroché à elle pour pas qu’il glisse. C’est elle qui a provoqué ça ? Non, il n’est pas si soûl que ça… Mais apparemment si parce que quand elle se met à quatre pattes sur le capot, c’est pour voir le grand brun qui lui affirme qu’il peut ramper. « T’as conscience d’avoir l’air con, Zeze ? » Parce qu’il l’est et elle secoue la tête en souriant, amusée, avant de sauter au sol, de prendre les graviers et les cailloux sous ses voûtes plantaires et se mettre à plat ventre à côté, le regard noyé sous le dessous de la voiture. « Je suis une pro du cache-cache, en vrai, donc si tu veux trouver mes cadavres, c'est raté. » Une professionnelle du mensonge. Ce qu’elle voit plus comme une omission de la vérité. Après tout, Birdie ne ment pas, pas vraiment. Elle ne fait qu’omettre des détails qu’elle seule connait. « En tout cas, si tu meurs, je serai forcée de te suivre. Je compte pas vivre toute ma vie avec ta mort sur ma conscience. C’est bien trop de responsabilité. Et j’aime pas les responsabilités. » Rien que le mot réussit à lui faire frissonner l’échine. Elle est une gamine, une enfant avec des problèmes d’adulte, bien trop grands pour elle à gérer, surtout émotionnellement. Alors elle intègre, elle emmagasine et elle étouffe. La bonne vieille technique de l’étouffement pour mieux croire à sa disparition. A sa non existence. Cadburn se relève pour s’asseoir en tailleur à côté d’Ezechiel. « Je pourrai faire quelque chose avec tes cheveux. T’as jamais songé à les attacher, les colorer ou quelque chose ? » Bah vui, Zeke, tu n’y as jamais songé ?

Pour sûr qu'il lui faudrait plusieurs jours pour se remettre de cette épopée inattendue car Zeke détestait avoir honte. Là, il enchaînait les bourdes monumentales en parlant beaucoup trop pour son extrême timidité et il n'y avait rien qu'il méprisait plus que de ne pas se sentir lui-même. Voilà pourquoi, jusqu'ici, il n'avait pas décidé de boire une goutte d'alcool, peu intéressé par l'idée de perdre le contrôle de ses actes et ses pensées. "Deviens pure alors, Birdinette, comme ça tu pourras venir au paradis avec moi." Il souriait comme un idiot, loin de se rendre compte de ce qu'il racontait parce qu'il n'était pas spécialement croyant en réalité. Zeke aurait dû faire attention à ses paroles, ne pas laisser croire qu'il était heureux d'entendre ce genre de choses quand, en réalité, il était très inquiet pour Birdie depuis des semaines. Il avait bien vu qu'elle n'allait pas bien lorsqu'il l'avait trouvée dans un état pire qu'instable à pleurer à même le sol d'une de ses cabanes de fortune. Le pauvre brun n'avait rien pu faire pour la sauver de sa détresse, si ce n'était être là et c'était pour cette raison qu'il se retrouvait au beau milieu de ce bar dans un état plus que douteux. Pour elle, sa sécurité et il avait sacrément échoué. "Chut." Il avait quand même envie de se relever, histoire de retrouver un semblant de réputation d'homme noble et responsable. En plus, les graviers lui faisaient mal aux côtes et il était à peu près sûr qu'il saignait sur le flanc après la chute. Enfin, la partie consciente de son cerveau car l'autre n'existait plus que pour rire, jeter des mini cailloux sur Birdie qui s'était couchée au sol pour jouer les apprentis détectives en mesure de vérifier l'état du châssis de son véhicule. Ni l'un ni l'autre n'auraient été en état de gérer une panne quelconque, disons le. "Que nenni, Bird', tu vivras aussi vieille qu'une fleur fanée depuis mille ans, va! Tu géreras très bien les responsabilités que je te mettrais sur les épaules si ça arrivait parce qu'il faut quelqu'un pour la ferme, hein." Comme s'il avait déjà envisagé d'en finir par le passé, peut être, peut être pas, aucun moyen de le savoir là, tout de suite. Ezechiel retrouva une position assise, posant une main sur ses cheveux pour les protéger de l'enfer Cadburry. "Jamais! Sinon je te transforme en choucroute garnie!" Pourquoi cela en particulier? Zeke n'en savait rien mais la terre tanguait beaucoup trop, l'obligeant à porter son dos contre la voiture pour gérer cette histoire de gravité. "Je me sens pas très bien, Bird', je vais pas mourir hein?" Il n'aurait même pas trop cillé, l'alcool n'était clairement pas son ami alors Zeke préférait fermer les yeux, grossière erreur puisque la nausée l'emporta sur lui. Au moins, pour cette fois.

Birdie glousse de nouveau parce qu’il est absurde, Ezechiel. « Désolé, coco, j’ai déjà ma place réservée en enfer. On peut plus devenir pur quand on s’est autant enfoncé comme j’ai pu le faire. Les retours en arrière, c’est que dans la fiction c’est possible. » Ce n’est pas réalisable dans la réalité des faits. Ce n’est qu’une douce chimère, un simple rêve, un voile d’espoir qu’on se dit ou qu’on essaie de réaliser aux autres pour ne pas qu’ils s’enfoncent plus, ou pour essayer de trouver foi en l’humanité de nouveau. Mais elle se sait perdue d’avance, Cadburn. Elle n’ignore pas qu’elle est foutue pour foutu, que les règles ne changeront pas pour ses beaux yeux et ça, c’est bien la seule chose dont elle pourra râler mais qui ne changera jamais. Elle sourit à son ‘‘chut’’, elle le perd un peu plus quand il lui jette des cailloux. Elle émet un bruit outragé, elle lui tape la main, elle le pousse de son pied parce que « c’est vilain de faire ça. Je croyais que tu veillais sur moi, pas que tu m’attaquais. Je vais aller me plaindre. A l’ordre des bûcherons protecteurs. Ça doit bien exister quelque part, pas vrai ? »

Si ça n’existe pas, alors Birdie l’inventera. Elle est douée pour ça. S’inventer une vie, des histoires, des vérités qui ne sont que des mensonges, des mensonges qui deviennent ses vérités. Comme les vêtements qu’elle (re)crée, la jolie blonde brode avec application et délicatesse chaque morceau ensemble. « Tu sais très bien que ta ferme tombera en ruine si je m’en occupe. Et puis, j’adore les bestioles, mais je compte pas être fermière, Zeze. Je suis pas faite pour le travail, les horaires, les contraintes et ces conneries. J’vais pas te remplacer, tu m’as vu ? Donc, en résumé, tu crèves pas sinon je te bute, compris ? » Et elle papillonne des yeux en penchant la tête comme une gamine, l’expression mutine au visage parce qu’elle est à moitié sérieuse.

Puis il lui parle de mourir. Et là, elle aurait envie de le frapper. Ce qu’elle fait. Elle se redresse brusquement et elle le gifle, histoire de le réveiller. « T’as l’air de mourir, là, tu crois ? Qu’est–ce que vous avez tous à me parler de mort en ce moment, hein ? Vous pouvez pas juste vivre, bordel de merde ? Vous faites chier, okay. Non, Zeke, tu vas pas mourir. T’as juste trop picolé, t’as pas l’habitude, rien d’alarmant. » Birdie est presque piquée à vif alors c’est d’une main tremblante qu’elle tâte pour chercher (et trouver) son paquet de cigarettes. Elle en sort une, l’allume en bougonnant dans sa barbe et tire un coup juste pour se calmer. C’est ça. « Tu veux essayer ? Tu vas peut être pas te sentir mieux mais ça peut aider à l’oublier un moment. » En théorie. Dans les faits, ça peut être autre chose. Après, elle ne lui propose pas ce qu’elle a dans l’arrière poche de son short en jean. Parce qu’elle ne tient pas à ce qu’il crève, bordel de merde.

Il n'allait certainement pas finir la soirée en un seul morceau, sauf que ce n'était pas spécialement précisé dans le contrat toute cette affaire. Zeke n'avait jamais vraiment eu envie de finir en serpillière dans les cailloux à cause de personnes mal intentionnées mais l'univers était construit ainsi. La méchanceté, le mal, tout cela, ce n'était que des notions absurdes et inconnues pour Blythe. Il y goûtait un peu ce soir-là et il regrettait relativement d'avoir osé mettre le pied dans une telle embuscade. Au fond, il savait que ce n'était pas tant sa faute, mais plutôt celle d'un concours de circonstances hasardeux. Néanmoins, c'était bel et bien eu grand brun de devoir gérer les conséquences de ces verres échangées, de cette conversation qui n'avait pas l'air de former un réel sens parce qu'il était aussi perché que Birdie à l'heure actuelle. "Non, ça existe pas! Et puis, c'est ta faute, t'avais qu'à rester sage en haut de la cabane, voilà!" C'était pourtant lui qui avait forcé Birdie à voir un peu de pays mais depuis qu'elle lui avait dit ce qui lui était arrivé, Zeke reconsidérait sérieusement ce qu'il avait pu balancer un soir il y avait très longtemps de cela maintenant. Il s'en voulait atrocement pour ce qu'elle avait subi et il n'avait aucun moyen de retourner en arrière pour réparer son erreur. "Ta logique est pas top. Si je meurs, tu peux pas me tuer, ça marche pas comme ça la mort, Birdinette!" Il se pensait incroyablement intelligent avec cette remarque quand c'était tout l'inverse et certainement que rien que pour cela, il avait mérité la gifle monumentale que Cadburry lui lança. C'était peut être le coup qui l'acheva et le poussa à vomir sur le côté, avec un glamour exemplaire. Elle adorait le martyriser, ce petit oisillon de malheur. "Qu'est ce que vous avez à tous vouloir me frapper, là? Chacun son malheur, Bird', non mais! Regarde, maintenant, je vomis et c'es ta faute! Non, tu enlèves ça de ton minois, c'est dégueulasse!" Il avait tapé sur la clope pour la voir disparaître, sûrement parce que rien que cette vision n'aidait en rien sa flagrante nausée. "T'as déjà assez souffert alors, t'arrête tes conneries là." Il aurait aimé avoir de l'autorité mais en réalité, Zeke avait les entrailles en feu, un front ruisselant de sueur et il avait envie de pleurer sans comprendre pourquoi. Lui, dans cet état, c'était improbable, voilà pourquoi on ne l'y reprendrait pas à deux fois avec son ennemi l'alcool.

Voilà qu'elle devenait méchante avec lui. Elle devrait se gifler elle-même pour ça. Non, elle devrait plutôt se jeter toute nue dans les ronces. Et des orties. Parce qu'elle mériterait une telle punition pour être aussi affreuse avec Zeke. Une des rares personnes auxquelles elle tient sûrement plus que sa misérable existence – bien pour ça qu'elle se montre aussi violente. C'est sa façon tordue de montrer son affection. Moins elle s'en fout, plus elle s'en soucie, plus ses réactions sont disproportionnées. Cela est logique, n'est-ce pas ? Venant d’elle, ça tombe sous le sens le plus limpide.

Et pourtant, elle ne peut pas s’en empêcher parce que ce qu’il dit, ça la mécontente grandement. ‘‘Sa faute’’, ‘‘son malheur’’, sans parler de ce foutu mot avec un grand M qui revient sans cesse sur le tapis. Alors oui, même si elle doit bien s’en vouloir quelque part dans son fort intérieur pourri, sa claque fut méritée. Birdie finit le front sur le capot alors que Zeke se vide de ses tripes, un soupir exagéré sifflant entre ses lèvres. Elle a le palpitant en feu sans trop savoir pourquoi ; est–ce que c’est parce qu’elle se soucie trop pour lui qu’elle a l’impression d’étouffer ? Ou alors ce sont ses mots qui lui arrachent le thorax sans qu’elle y fasse gaffe ? ‘‘Ta faute’’, ‘‘c’est ta faute’’, les mots qui tournent comme une berceuse morbide dans sa tête. Il n’a pas fait exprès, pas vrai ? Il n’a pas conscience de ce qu’il raconte. Que ses mots sont violents, qu’elle exulte de rage en tapant contre la voiture pour ne pas se mettre à chialer comme la première des gamines. « T’es devenu amnésique et t’as oublié qui m’a poussé à partir que j’étais bien là où j’étais ? Ce qui est dégueulasse, c’est de me blâmer alors que s’il y a bien une chose qui n’est pas de ma faute, c’est bien ça. » Birdie rentre son doigt dans son torse et elle n’en a rien à foutre qu’il soit plus grand qu’elle. Parce qu’il a tout l’air d’un gamin de toute façon. « J’ai visiblement pas assez souffert puisque je les continue, mes conneries. Mais c’est de ma faute, n’est–ce pas ? Et puis, tu vas dire que c’est de ma faute aussi si t’as picolé ? Si t’as pas été foutu de faire la différence entre de la flotte et de l’alcool ? Si t’étais sorti de ta cabane toi aussi, t’aurais pas été pris au piège. » Cadburn clôture ses lèvres subitement, tout en reculant d’un pas. Puis un autre avant de se tourner de nouveau, une main au visage et se dirigeant vers l’arrière de son van pour ouvrir une porte arrière. Elle fouille de ses doigts rageurs, de ses phalanges ébranlées avant de revenir vers Zeke en lui fourrant une bouteille d’eau dans les mains. « Pour nettoyer ta bouche et éviter une trop forte gueule de bois. De la vraie. » Birdie n’aurait pas pensé que ça l’aurait foutu dans un état pareil. Mais elle n’aurait pas pensé qu’Ezechiel lui aurait balancé tout ça à la tronche. « Rappelle-moi de plus jamais être dans les parages quand tu picoles. T’es pas drôle et cruel. » Sa voix est abattue, elle sort une nouvelle cigarette tout en retournant sur le capot de la voiture. Non, même mieux, elle grimpe carrément sur le toit. C’est bien mieux, c’est plus haut même si ce n’est pas la cabane. Tant pis. Elle est déçue, elle est blessée et elle veut juste fumer sa nicotine en les regardant, ces foutues étoiles. Elle n’en sera jamais une. Elle est bien trop bousillée pour cela.

Elle ne pouvait pas savoir ce qui le tiraillait à l'intérieur et pourtant, Zeke avait énormément de choses qui le rendaient amer à ce moment là, en plus de cette nausée qui aurait pu le faire somnoler plus vite qu'il ne l'aurait envisagé. Il en était à un point critique, à celui où il n'avait plus envie de parler car rien de bon ne s'échappait d'entre ses lèvres et il savait qu'il devait faire plus attention, que l'alcool ne pouvait pas tout justifier, lui qui était si loin de toute notion de cruauté habituellement. La vérité résidait ailleurs, dans le fait qu'il s'en voulait atrocement de ne pas avoir su déceler les signes, d'avoir poussé Birdie vers la sortie alors qu'elle aurait eu besoin de tout l'inverse. A cette époque néanmoins, Ezechiel avait une vision biaisée de l'affaire parce qu'il était enfermé entre les quatre piquets de sa ferme, sans espoir d'avoir un autre avenir que celui-ci et peut être qu'il cherchait à vivre par procuration. Quoi de mieux pour cela que d'envoyer au casse-pipe sa petite voisine si joyeuse qui pouvait avoir le monde entier à ses pieds? Ainsi, elle aurait pu lui raconter ce que c'était, la vraie vie. Au final, le résultat faisait plus de mal que de bien et Blythe devait vivre avec les conséquences de son discours d'adolescent depuis que Cadburry avait mentionné en pleurant ce qui lui était arrivé en rejoignant la ville. Il la laissa donc cracher son venin en retour, lui se retenant de cracher le reste de bile qu'il avait au fond de sa gorge, jusqu'à ce qu'elle s'éloigne pour lui lancer une bouteille d'eau et retrouver un semblant de liberté sur le capot de la voiture et Zeke se sentait bête. Pire encore, il se sentait fautif et c'était une émotion qu'il détestait ressentir en vue de tout ce qu'il offrait constamment aux gens autour de lui. Cette fois-là, il avait fait une erreur alors, il n'était pas si différent des autres au bout du compte. "Je suis pas cruel. Je suis juste un débile profond, c'est pas pareil." Peut être que cette piètre estime de lui suffisait à tout argumenter sur le sujet ou peut être qu'il savait qu'il ne pourrait pas terrer plus longtemps ce qu'il cachait à Birdie. "Justement, c'est ma faute. Alors, si je suis là ce soir, c'est pour me rattraper." Sacré échec, soit dit en passant parce qu'avec son état, il n'avait rien surveillé du tout de ce qui se tramait pour son amie. "Mais j'ai raté ça aussi." Il n'avait pas su faire et sûrement que Zeke ne saurait faire, échec constant d'un homme qui en disait trop peu mais qui avait trop à l'intérieur.