Il pouvait être tenace sur certains sujets, pas sur tous néanmoins. Zeke savait ce qu'il pensait de Birdie et il était convaincu que peu importait ce qu'elle avait à lui apprendre, il n'allait pas changer sa vision de la blonde en un claquement de doigts. Il fallait dire qu'il était excessivement difficile à décevoir, Zeke, on pouvait même dire qu'il avait toujours accepté les vices de tout le monde sans sourciller. Lorsqu'il avait appris pour le cambriolage et le meurtre présumé de son frère, le grand Blythe n'avait certainement pas changé d'opinion sur le garçon qui avait plus ou moins toujours partagé son existence. Il l'aimait malgré tout, malgré les erreurs qu'il continuait de faire pour des idéaux qui n'avaient plus lieu d'être. Certes, Zeke avait vécu une sacrée période de désillusion, certainement peu enclin à accepter le départ derrière les barreaux du second Blythe mais il n'avait pas été spécialement déçu de réaliser tout ce qu'il avait pu faire pour en aboutir à ce résultat. Il considérait que c'était la vie, que personne ne pouvait être parfait et qu'il n'aurait sûrement pas mieux fait que lui dans sa position. Alors, non, Ezechiel n'allait pas donner le dernier mot à Birdie, préférant largement tomber mollement au fond du fossé, les yeux fermés à attendre que le jour se lèvre pour qu'il retrouve un semblant d'énergie. Enfin, cela dit, Cadburry en avait encore à revendre alors, peut être qu'elle allait lui en prêter un tout petit peu afin qu'il se remettent en marche vers un réel abri plutôt que l'herbe froide après la nuit tombée. "Tu fais ce que tu veux le temps où je me repose." Enterrement, bombe atomique, n'importe quelle idée irait très bien à Ezechiel du moment qu'il pouvait embrasser le silence pour les quelques minutes à venir. Bon, c'était clairement trop en demander à une Cadburry, il aurait dû s'en douter puisqu'elle sauta vaillamment pour le rejoindre et même, lui proposer un coussin plus moelleux que la terre meuble de la fosse hivernale. Ce n'était franchement pas la meilleure idée que le brun avait eu jusqu'ici mais il pourrait au moins blâmer l'alcool au petit matin, pour la première et sûrement la dernière fois de sa piètre existence. "Et mourir dans un fossé avec le van?" Elle n'avait franchement pas de meilleures idées non plus parce qu'ils avaient tous deux bien trop bu pour pouvoir conduire. Zeke ne regrettait donc pas le moins du monde sa décision, probablement qu'il changerait d'avis une fois qu'il serait au fond de son lit avec une pneumonie. "Je sais même pas ce que c'est." Des tresses quoi? Est-ce qu'il avait envie de savoir cela dit? "T'es confortable, Bird'." Il avait déjà une voix beaucoup plus faible, le réveil allait être sacrément rude. "Tu dors, toi? Et t'as rencontré des gens cool ce soir?" Il ne l'avait jamais vue s'endormir tant elle était dynamique mais peut être qu'un jour, certains faits seraient amenés à changer... Pour qu'ils soient plus heureux, l'un et l'autre, Zeke se devait au moins d'espérer.

« Tu fais ce que tu veux le temps où je me repose. » Il est marrant, Zeke. Il devrait savoir depuis le temps que mélanger ‘‘repos’’ et ‘‘Cadburry’’, c’est purement impossible. Que ça ne va pas ensemble, que ce n’est pas compatible. « Okay okay, repose-toi alors, j’essaierai de me faire aussi discrète qu’une larve. » La bonne blague, elle ne réussira jamais. Il n’y a qu’à la voir atterrir dans la fosse pour le bouger allègrement pour le poser contre ses cuisses que non, Birdie Cadburry, tu ne seras jamais aussi discrète qu’une larve. C’est un fait indéniable et cela ne sert à rien de le nier.

« Et mourir dans un fossé avec le van? »
« Oh bordel, Zeke, c’est bon, j’ai mon permis spécial, celui qui certifie que je sais très bien conduit même bourrée. Faut arrêter d’être aussi pessimiste, mon coco. Autant se donner un coup de masse directement dans la tronche, à ce stade. » Comme elle le disait, Ezechiel bourré n’est pas franchement très drôle. Déjà qu’il ne l’est pas forcément en temps normal, il l’est encore moins ce soir. Son manque de confiance la chagrine, autant que son pessimiste qui lui donne envie de lui foutre un coup de pied au cul. Il a de la chance d’être allongé sinon, la sentence aurait été de mise.

« Je sais même pas ce que c'est. » Birdie soupire et elle se met à regarder le ciel. Peut–être qu’une étoile pourrait l’aider – les aider – à y voir plus clair dans tout ça. « C’est des tresses, Zeke. Compliquées mais des tresses. T’es pas assez con pour ignorer ce qu’est une tresse, quand même ? J’en faisais aux cheveux de ta ferme quand j’étais gamine. Ton père me détestait quand j’en faisais car y avait des nœuds après. » La jeune femme sourit à la voie lactée en repensant aux courses hors de la ferme Blythe qu’elle a dû faire pour échapper au courroux du patriarche.

« T'es confortable, Bird'. » Ah, au moins, ça a le mérite d’être plus positif. « Tu me noterais comment ? Matelas doux, ferme, rude ? » Son sourire s’entend dans sa voix alors que ses perles bleutées ne quittent pas les perles du ciel qui les regardent avec toute leur lumière. « Tu dors, toi? Et t'as rencontré des gens cool ce soir? » Birdie ricane. « On rencontre toujours des gens cools dans ce genre de soirée qu’on finit par oublier. Enfin cools... Pas forcément, d'ailleurs. » Elle ne garde jamais ses amis. Ni ses rencontres et encore moins les connaissances. Ils ne sont que de passage, des apparitions éclaires dans sa vie avant de repartir à leur état de base : l’inconnu. « Je pourrais les croiser demain que je m’en rappellerai même pas. » Birdie glisse une main dans les cheveux de Zeke, jouant avec les mèches et reportant une brève attention sur son visage. « Par contre, je suis sûre que les meufs risquent de se rappeler de moi. Et de toi aussi, sûrement. » Parce qu’un type comme lui, ça marque, même quand on est éméché. « Et ouais, je dors, ça se voit pas ? Je suis comme les crocodiles, je reste avec un œil ouvert sur la menace. »

La Terre était beaucoup trop ronde à ses yeux, le pauvre Blythe fondant au creux du fossé comme s'il était en train de vivre un instant de douce agonie. C'était plus ou moins le cas vu qu'il avait vomi tantôt dans la soirée, que des vertiges persistaient et qu'il ne savait franchement plus tellement où il habitait. Pourtant, on parlait d'Ezechiel, l'homme qui avait toutes les cartes de la région imprimées dans la tête. L'alcool faisait vraiment des ravages, un enfer qu'on n'avait pas envie de tester à nouveau. Pas lui, en tout cas. Il ne devait pas être plus faible qu'un autre mais le débit avec lequel il avait avalé le liquide qu'il pensait être de l'eau n'avait pas aidé le grand Blythe à tenir le cap et se retrouver dans un état correct pour conserver la position debout jusqu'au petit matin. Il allait vraisemblablement s'assoupir là, entre quelques fougères, entendant les paroles lointaines de Birdie, piaillements constants auxquels il avait été habitué il fut un temps. Récemment, c'était une toute autre affaire puisque Zeke n'avait pas eu l'occasion de renouer avec elle autant qu'à la période où ils se perdaient tous les deux en haut d'une cabane pour refaire le monde. Justement, ils avaient beaucoup trop mentionné ce pan de leur passé pour au moins l'année à venir et Ezechiel était trop las pour lutter contre les évidences assénées par Cadburry. "Je suis réaliste, c'est pas pareil." Il était terre à terre, le géant, il avait conscience qu'un destin pouvait basculer du jour au lendemain, en témoignait la maladie de son père, le destin de son frère alors, il n'y avait rien de pire que de se croire invincible. Ce n'était pas un discours qu'il pouvait laisser passer à Birdie, pas quand sa survie était en jeu, mais la jeune femme lui avait clairement montré ce qu'elle cherchait par cette attitude. "Pourquoi tu veux autant mourir, Bird'?" Aucune surenchère sur les tresses, il n'avait pas écouté de toute manière mais ce n'était pas plus mal, toutes ses anecdotes le rendaient nauséeux, la vodka devait être la principale responsable de cette étonnante décadence. "Tout à la fois." Doux, ferme, rude, tout dépendait du contexte et Zeke manquait cruellement de vocabulaire de toute manière. "Je me rappelle de tout d'habitude. Là, j'suis pressé de les oublier." Il n'en serait pas traumatisé, pas comme durant sa jeunesse où il avait tout subi et où il n'avait rien dit surtout. Plus jamais ça. "Quelle menace?" Il la cherchait mais Zeke ne voyait que lui-même comme véritable danger. "J'espère qu'ils nous oublieront..." Tous ces inconnus, tous les gens mauvais de cette planète et puis, bien sûr, le karma.

« Je suis réaliste, c'est pas pareil. »
« T’es un tueur de rêve, c’est pas pareil non plus. »

« Pourquoi tu veux autant mourir, Bird'? » Cette dernière a toujours les yeux branchés sur le câble des étoiles, bien partie à ne pas s’en lasser ni s’en déroger tant que la connexion n’est pas coupée. La question de Zeke lui prouve qu’il n’a sûrement rien compris. Que personne n’a jamais vraiment compris. « Je cherche juste à vivre comme si c’était la dernière fois. J’ai jamais cherché à mourir. Si j’avais voulu mourir, ça serait déjà fait. Plein de fois. » Rien qu’après son viol, Birdie a ressenti sûrement pour la première fois l’envie d’en finir. De crever sur place, de se laisser se décomposer et de ne devenir que ce foutu néant, ce grand rien qu’apprécie tant Ezechiel. Elle a manqué d’y penser tellement de fois après cette période. Et pourtant, elle est toujours là. Avec aucune envie d’en finir mais cette d’en profiter. Chose que le Blythe ne peut pas comprendre, lui qui n’a jamais connu le monde, le vrai.

« Je me rappelle de tout d'habitude. Là, j'suis pressé de les oublier. » Cadburry lâche un léger sourire. « T’inquiètes, laisse–toi quelques heures et ça devrait être fait. L’alcool a ses bons côtés, hein ? » C’est bien pour ça que c’est une amie fidèle, une alliée puissante et la seule chose dont elle se rappelle le lendemain. Le seul élément qui laisse des traces dans la poitrine, dans la bouche, dans la gorge, dans la tête, dans l’estomac. « Tu risques de te détester encore plus demain mais c’est pas grave. T’auras vu un peu de mon monde, comme ça. On est d’accord que t’es pas de taille pour l’affronter. Et encore moins pour veiller sur moi. » Elle ne le lui a jamais demandé. Jamais elle n’a voulu être chaperonnée. Birdie a toujours tout fait par elle–même – jusqu’à réparer ses propres blessures qui ne l’ont jamais été au final.  

« Quelle menace? » Birdie hausse les épaules. « Justement, on en sait rien, raison de plus de faire le guet. » Le monde extérieur est un danger permanent, une menace constante. Et pourtant, cela n’empêche pas la Cadburn ne pas faire si attention que ça. « J'espère qu'ils nous oublieront... » La blondinette passe sa main dans ses propres cheveux avant de tirer ses bras vers le haut tout en baillant. « On s’en fiche, on les reverra jamais, de toute façon. » On ne se fait jamais d’amis dans ce genre de soirées, juste des connaissances éphémères qui finissent par disparaître.

Le géant n'avait probablement pas dit son dernier mot, même si des relents d'alcool le rendaient encore fortement nauséeux, étalé qu'il était au fond d'un fossé. Il avait froid mais ne s'en rendait plus compte. Il avait mal au coeur mais il l'avait également oublié. Zeke n'avait plus aucune certitude, sauf peut être celle que le monde était beaucoup moins agréable qu'il ne l'avait imaginé. Cela faisait des semaines que Birdie lui avait révélé son plus terrible secret et il aurait menti en disant qu'il s'était remis de cette révélation. C'était loin d'être le cas parce qu'il l'avait poussée à agir, à s'émanciper du petit univers misérable où ils avaient tous les deux évolué... Où ils avaient tous les deux failli en mourir. D'ennui, surtout. Au final, ne persistait que sur cette petite étoile la silhouette dégingandée du Blythe, d'un homme qui ne croyait plus en grand chose alors qu'il avait été l'optimiste le plus virulent de l'histoire. Il n'avait plus envie d'en parler, plus envie d'y retourner mais est-ce qu'il avait envie de faire son entrée tonitruante dans ce que Birdie appelait son univers? Pas tellement non plus. Il voulait juste que tout s'efface autour de lui, qu'il retourne à son état d'innocence, cette persistante dans son existence qui l'avait rendu aveugle à tout le malin qui se propageait autour de lui depuis qu'il était môme. "Et ça te rend heureuse, ça?" De ne rien avoir, pas même la certitude du lendemain, Zeke, lui, n'y trouvait pas la moindre épiphanie, juste cette souffrance gênante de n'être qu'un corps de plus dans un monde biaisé par la drogue et l'alcool. Ce n'était pas quelque chose qui l'attirait et il ne pouvait pas tellement comprendre ce que Birdie trouvait à tout cela, le réduisant, lui, à un simple ignorant. Ou un naïf de grande envergure. Il n'était aucun des deux. "Tu sais pas ce que je suis capable d'endurer." Beaucoup trop en vue de ses emmerdes familiales mais tout cela, Cadburry n'en avait pas la moindre idée, ce n'était pas un sujet que le brun abordait à la moindre alerte. "C'est ce que tu crois. Le monde est pas si grand. Ils reviendront, eux aussi." Comme ses démons, leurs démons même et la souffrance ne les quitterait plus d'une semelle pour sûr. "Et maintenant quoi?" Rien. C'était sûrement la seule attente qui perdurait. Celle du néant.

Birdie a bien conscience de n’être qu’un visage parmi d’autres. C’est bien pour cela qu’elle s’applique à marquer les esprits d’une autre façon, à la sienne, aussi cinglant, piquant, flamboyant que cela peut être. « Et ça te rend heureuse, ça? » Il pose des questions qui n’ont pas lieu d’être. Certainement pas dans leurs états respectifs – même si en général, leurs états respectifs est exactement ce qui amène typiquement ces conversations sur la table. On devient tout d’un coup philosophe, avec une vision bien propre des évènements. Mais Birdie n’est pas de cette trempe. « Tu poses trop de questions, Zeke. » L’ironie. Pour une fois que c’est lui. Non, ce n’est pas qu’il pose trop de questions. C’est que le peu qu’il en pose, ses interrogations demandent trop de réflexion. Et elle n’a pas pris de ses petits buvards pour réussir à enclencher un long monologue sur le sujet. Ni avoir la patience de le faire à l’instant T. « C’est toujours ce que j’ai connu. » Faux. Gamine, elle a été épargnée. Mais comme tout le monde, elle a fini par grandir. « Je cherche pas à être heureuse, je veux juste passer du bon temps. » Parce qu’elle est pourrie de l’intérieur, qu’elle a des démons à étouffer, encore et toujours, qu’elle a l’air de n’avoir rien sur les épaules mais ce n’est qu’un mensonge. Elle ment, elle joue, elle cache.

« Tu sais pas ce que je suis capable d'endurer. »
« Tu m’as jamais dit. »
Birdie ne peut pas deviner ce qu’elle ne connait pas, ce qu’elle n’a pas vu. Zeke ne peut pas lui reprocher quelque chose qu’elle n’est pas au courant. Et il est clair qu’elle a préféré faire l’impasse totale sur la soirée où elle est venue – stupidement, comme une gamine, faiblement – pleurer dans ses jambes après avoir revu Joseph. Cette soirée n’a tout bonnement jamais existé. Alors non, Cadburry n’a aucune idée parce que Blythe n’est pas foutu de dire les choses mais il est capable de lui balancer ça, visiblement.

Alors Birdie ferme les yeux et reprend une inspiration. S’énerver de nouveau serait de mauvais augure et ça n’apporterait sûrement rien de bon. Même si elle n’a rien demandé et qu’il s’est imposé ce soir sans qu’elle puisse dire quoique ce soit. ‘Ça va être fun’’, qu’elle avait dit. Peut–être que ça l’aurait été si Zeke avec l’alcool joyeux. Mais visiblement, non. Elle est déçue de ce constat. « C'est ce que tu crois. Le monde est pas si grand. Ils reviendront, eux aussi. » La blonde secoue la tête tout en réouvrant les yeux pour les poser sur Zeke. « Ceux–là, ils reviennent jamais. »

« Et maintenant quoi? »
« T’as qu’à dormir. Y a sûrement une jolie gueule de bois qui t’attend demain. A part si tu te sens de bouger. On a de la marche à faire. » Même si son van aurait été une meilleure idée. Même si ce ne fut pas pour rouler avec, ils auraient pu au moins y dormir. Même avec la porte entrouverte avec les pieds et les jambes de Zeke qui dépasseraient. Forcément.

Zeke n'avait que rarement envie de parler de lui et dans l'état où il était à l'heure actuelle, l'idée lui semblait encore moins bonne, si c'était possible. Il savait qu'il était dans un état de faiblesse avancé, un état qui ne serait réparé qu'après de bonnes heures de sommeil. Autant dire que ce n'était pas gagné parce qu'Ezechiel était un insomniaque notoire, il ne savait pas s'arrêter plus d'un quart d'heure, son cerveau fonctionnant toujours à mille à l'heure dès que l'heure venait de s'assoupir. L'alcool avait au moins cet avantage là, il ne pensait plus à grand chose. Même pas au temps qui passait, au froid qui lui froissait les entrailles, au destin funeste de tous les Blythe de cette planète. "C'est vraiment du bon temps ou une illusion juste?" Il fallait qu'il sache parce que lui aussi avait envie de passer du bon temps et si Birdie avait le remède miraculeux qui lui permettrait de se remettre petit à petit de l'enfer qui virevoltait dans sa tête, Zeke n'allait tout de même pas refuser. Elle ne devait pas se douter, la blonde, qu'il n'était pas le moins du monde en train de la juger, mais plutôt de partir à la pêche aux informations parce qu'il avait bien besoin d'un renouveau. N'importe quoi. Est-ce que tout cela effacerait son passé pour autant? Blythe y penserait certainement plus tard lorsque ses connexions neuronales seraient de retour: là, c'était beaucoup trop tôt et il ne pouvait que hausser les épaules face à Cadburry. Non, il n'avait rien dit parce qu'elle n'avait pas demandé non plus. Elle était arrivée dans un état de détresse ce soir-là et depuis, la Terre entière tournait autour de Birdie et Zeke n'allait pas changer cela maintenant, pas alors qu'il n'attendait qu'à terrer tout ce qu'il était, justement. Il fermait les yeux, il écoutait vaguement ce que la jeune femme lui racontait, mais déjà les rêves l'emportaient à moins que ce ne fut les cauchemars. "Est-ce que... Mon frère... Meurtrier?" Puis, plus rien. Le noir. Assoupi. Peut être même mort.

Une fosse en plein milieu, s’ils avaient regardé de plus près, ils auraient vu le chantier qu’il y a tout autour de la fosse. Ils auraient vu qu’il y a d’autres trous, qu’on creuse, qu’on perce la terre avec abondance, sans état d’âme, et qu’ils sont peut–être en train de loger au creux d’une future fosse septique. Que Birdie se retrouve dans les déchets, ce n’est pas très surprenant. Vu tous les boulets qu’elle a aux pieds, aux chevilles et aux poignets, elle le mériterait amplement. « C'est vraiment du bon temps ou une illusion juste? » Elle se pince la joue de l’intérieur, la Cadburn, peut–être pour s’éviter de râler de nouveau. Pourquoi il ne peut pas faire comme d’habitude et se taire, pour une fois ? « Qu’est–ce que tu dirais ? » Une réflexion qui n’a pas de sens mais elle n’a pas envie de savoir la réponse à la question. Birdie ne veut même pas réflexionner sur le sujet, elle s’en fiche et elle ne comprend pas pourquoi Zeke lui demande ça. « Qu’est–ce que ça peut faire de toute façon ? Au moins, je vis. C’est le principal. » Sa voix est cassante et elle espère que ça clôturera le sujet, que l’esprit embrumé de Zeke ne va pas venir lui retourner le cerveau une nouvelle fois avec des questions qui vont la faire sentir plus misérable qu’elle ne l’est réellement. Elle n’a pas besoin de son aide pour ça, merci bien.

De toute façon, il lui parle mais il finit par dormir alors à quoi bon ? Birdie est lasse, elle a mal aux jambes, elle a la tête qui tourne et elle a l’impression que Zeke lui cause mais sans comprendre la portée de ses paroles. « Est-ce que... Mon frère... Meurtrier? » Meurtrier ? Cadburry a une douche froide qui lui tombe sur le visage et le corps tout entier avant de secouer brusquement son ami par l’épaule. « Ezechiel ! Nan nan, tu pionces pas, c’est plus le moment, t’avais qu’à te la fermer. C’est quoi cette histoire de meurtrier ? » Elle lui tapote la joue et elle n’hésitera pas à frapper plus fort s’il s’endort trop profondément. L’oiseau panique et elle le secoue encore plus fort pour l’empêcher de rejoindre Morphée. Tant qu’il n’aurait pas donné un sens cohérent à ses propos, il sera privé de sommeil, tout simplement.

Devait-il laisser les mots continuer de flotter au fond de son esprit? Le cerveau malade de Zeke désapprouvait d'ores et déjà l'idée. Il avait juste envie que le tout s'arrête, si seulement on lui offrait la possibilité de retourner en arrière, seulement jusqu'au moment où on avait échangé son verre, tout aurait été si différent. Il aurait été à la ferme, rentré depuis une bonne heure, à observer les étoiles en attendant que le sommeil ne vienne le happer. Le grand homme aurait certainement attendu des heures encore plus sombre avant de fermes les volets et s'assoupir, se réveillant aux aurores pour s'atteler aux tâche quotidiennes. Tout avait été balayé par un simple verre de vodka et voilà qu'il avait les idées noires du siècle en se laissant emporter par Morphée au fin fond d'un fossé. Ezechiel n'avait clairement pas rêvé de cette issue en acceptant de rejoindre Birdie dans ce bar ce soir-là. Certes, il était novice dans tous ces endroits nocturnes, ne comprenant clairement pas ce que les gens pouvaient trouver intéressants dans le concept de se calfeutrer durant des heures sans même pouvoir s'entendre parler. Le brun était de son côté un adepte de grands espaces et s'être retrouvé cloîtré là dedans durant deux bonnes heures l'avait presque rendu claustrophobe. Là, il respirait l'air frais et humide du soir, n'écoutant plus que d'une demi oreille la réplique de Birdie. Au fond, savait-il pourquoi il lui demandait tout cela? Pour se rassurer, plus que pour la peiner, elle, mais même dans cette entreprise, Zeke se retrouvait juste être le plus nul du monde. Alors, autant passer à une autre étape, se laisser emporter par les effluve d'alcool et arrêter de penser. Jusqu'à ce débordement de mots qui ne manqua pas d'éveiller Birdie à nouveau. Elle le secoua sans vergogne et Zeke se força à ouvrir un oeil, clairement loin d'être cent pour cent réveillé, ce qui n'allait pas rendre la conversation aisée, surtout vu le sujet abordé. "Mon frère. En prison. T'as pas lu les journaux? J'sais plus l'année." Il n'aurait pas été en mesure de donner plus amples explications dans son état, se renfrognant et fermant l'oeil. Perdu pour ce monde.

Il n’est pas comme elle, Ezechiel, alors Birdie est satisfaite de voir qu’il ne réenchérit pas. Qu’il ne va pas être comme elle, même imbibé par l’alcool, à remuer le couteau dans la plaie, à chercher la vérité là où il n’y a rien, à enquêter des réponses qu’elle ne veut pas vraiment comprendre. Il n’est pas chiant comme elle, il n’est pas soûlant comme elle. Il se tapit dans son coin et il se terre, dans sa forêt, dans sa ferme, dans sa fosse. Alors qu’elle, elle aurait sûrement insisté, elle aurait persisté, elle aurait gêné, sans aucun doute ni scrupule. Et pourtant la voilà qui est la première à lui demander silencieusement de ne pas en poser plus, de laisser couler, que de toute façon, ce monde ne sera jamais le sien, qu’il n’a pas à s’en soucier si c’est réel ou non. Demain, il retournera dans sa ferme et elle, elle continuera à aller voler là où elle sait aller. Il n’y plus de marche arrière pour elle mais pour lui, rien n’est perdu, il a tout à gagner de ne pas se frotter à tout ça, d’ignorer ce monde et de faire comme s’il n’existe pas. Les choses sont bien mieux ainsi.

Zeke finit par ouvrir un œil puis l’autre et Birdie se retient de le relever entièrement pour contrer son manque d’énergie. Elle a besoin de réponse, elle veut savoir pourquoi il parle de ‘meurtrier’, elle n’a rien compris à ses mots d’avant et elle panique – il ne peut, non, impossible, pourquoi lui il saurait, c’est complètement absurde, il ne sait rien, absolument rien, personne ne sait. Blythe ne va pas assez vite pour elle mais il finit par lâcher quelques brides un peu plus claires. « Mon frère. En prison. T'as pas lu les journaux? J'sais plus l'année. » Birdie ne peut s’empêcher de lâcher un soupir de soulagement, tout léger, tout doux, presque discret mais présent. Les épaules se relâchent et elle lève les yeux au ciel pour remercier silencieusement les étoiles d’avoir été de son côté pour une fois. « Je suis pas l’actu, c’est déprimant. » Elle se contente de la météo, c’est déjà bien suffisant. Cadburry descend ses yeux de nouveau sur le visage de Zeke, secouant ses jambes et se transformant en matelas mouvant pour ne pas qu’il sombre totalement. « Je me rappelle pas d’avoir fait un défi avec lui qui impliquait la case prison. Qu’est–ce qu’il a fait pour être là–bas ? Depuis combien de temps ? Pourquoi t'as rien dit, Zeke, sérieux, t'es chiant. » Parce que franchement, son frère a échoué là où elle a réussi ; se faire prendre dans les mailles du filet.

Morphée lui tendait la main, pourquoi ne pas la saisir? Sûrement parce que Zeke avait la nausée, qu'il avait très peur de ce qui se passerait pour lui au réveil et puis, il avait tout de même conscience qu'il était dans un fossé et qu'en termes de sécurité, on avait vu beaucoup mieux. N'était-il pas venu jusqu'à ce bar ce soir-là pour faire attention à ce qui pourrait potentiellement arriver à Birdie? Il s'avérait qu'il était un très piètre ami car c'était la jeune femme qui se retrouvait en charge de lui, un déchet sur le bas côté, tout cela à cause d'un vodka bas de gamme. On ne l'y reprendrait plus et surtout, il n'était pas prêt de voir autre chose que sa ferme après le soleil couché parce que cet univers était définitivement trop dangereux pour un être aussi innocent que lui. Etait-il encore assez naïf pour croire de telles inepties? Mine de rien, cela faisait des années qu'Ezechiel ne croyait plus en grand chose parce qu'on était venu cueillir son frère un après-midi tout à fait normal et depuis, le sort semblait s'acharner contre leur nom de famille. Le fermier avait bien essayé de faire sortir son frère de prison mais ses moyens étaient extrêmement limités. Les finances des Blythe étaient au plus bas, Zeke ne savait toujours pas lire et le temps passait. Les gens oubliaient, certains n'en avaient jamais rien su. Comme Birdie. Quelque part, le brun préférait que l'information n'ait pas volé jusqu'à la blonde parce qu'elle était beaucoup plus impulsive que lui et Ezechiel n'était pas prêt à gérer les conséquences. Avec du recul, il se posait quand même la question: quel danger prenait-il à tout lui dire maintenant? Certes, il n'était pas dans son état normal et l'heure n'était pas franchement à ce genre de confidences mais plutôt au sommeil, fichu cerveau. "J'aime pas le téléphone." Raison peu valable. "J'ai pas ton numéro." Là, on touchait quelque chose de bien plus concret. "T'étais sûrement occupée." Mais encore? Elle aurait peut être pu le soutenir, ce que Ezechiel n'avait apparemment pas souhaité. "Braquage. On manquait de sous." Idée à la con et Zeke le méprisait pour ce dérapage. "Un gars est mort." Et voilà, la boucle était bouclée alors que le grand Blythe ouvrait les yeux, le ciel tournant au dessus de lui mais il s'y ferait. Il s'en remettrait.

« J'aime pas le téléphone. » Birdie aurait pu avoir la tête qui sort d’une bande dessinée. Le genre d’expression qui affiche clairement qu’il est en train de se foutre de sa gueule et qu’elle ne croit pas une seule minute à ce qu’il peut lui sortir. Visiblement, Zeke a dû le sentir parce qu’il rajoute « J'ai pas ton numéro. » Une nouvelle absurdité, elle le lui a forcément donné dès qu’elle a été en âge d’en avoir un. Ou alors elle avait oublié ? Faut dire que Birdie ne se préoccupe pas vraiment de son cellulaire, elle ne s’y intéresse pas plus que ça, préférant se contenter du vrai monde – ou au moins, celui dans sa tête. « Personne n’aime le téléphone et c’est pas comme si je passais jamais à Elimbah, hein. » dit–elle avec le ton lourd en reproches car bien sûr que si qu’elle y passe, dans son quartier d’origine. Souvent, régulièrement, pour s’aérer. Toutes les raisons ne suffiront pas à la satisfaire, Birdie aurait pensé qu’ils étaient assez proches pour qu’il puisse lui parler au lieu d’essayer de se trouver des excuses fumeuses et encore plus grandes que lui. « T'étais sûrement occupée. » Okay, pour ça, il n’a pas entièrement tort. Contrairement à lui qui a l’air d’être dans l’expectation, l’attente passive, la Cadburn reste la pile électrique qu’elle a toujours été. Celle qui a une idée, qui la perd en cours de route et qui en trouve une autre, bien plus intéressante mais dont elle oubliera l’intérêt au bout de quelques minutes.

Mais il n’empêche que la jolie blonde est toujours là où il faut quand on a besoin d’elle et il y a une boule de frustration qui se loge au creux de sa poitrine mais qu’elle essaie de canaliser. Pourquoi on ne lui dit jamais rien ? Pourquoi les gens qu’elle considère comme proches d’elle la laissent patauger dans la semoule ? Est–ce qu’elle est si peu fiable alors qu’elle a prouvé au fil des années à quel point ils comptent pour elle, qu’ils sont les seuls et qu’elle demande seulement la même chose en retour ? Birdie ravale sa frustration, elle centralise ses yeux vers le ciel pour ne pas qu’il voit le désarroi et encore moins l’humidité – de toute façon, vu l’état du grand brun en plus de l’obscurité, il y a peu de chance qu’il voit quelque chose.

Il n’empêche que Birdie se sent craquer un peu plus à chaque fois, les évènements la frappant en plein fouet et les sentiments avec sans qu’elle puisse y faire gaffe. Elle lui en veut, à cet instant, à Zeke, de ne lui foutre une bombe sous le pif. Et encore plus de n’avoir rien. L’absolu idiot. « Braquage. On manquait de sous. » Parce que ça aussi, elle n’est pas au courant. Il faut dire que l’argent, les finances et ces conversations, ce ne sont pas son domaine. « Un gars est mort. » Un cadavre, encore un. Birdie déglutit, elle serre les lèvres, elle ravale sa bile. Le manque de confiance envers Zeke la perturberait presque plus que l’annonce sur son frère. Son frère qu’elle entrainait dans des défis et des compétitions foireuses – mais là, il l’a devancé. Et surtout, l’ironie voudrait que ce soit elle qui devrait être à sa place. Birdie se mord la lèvre avant de bouger la tête d’Ezechiel pour le déloger et pouvoir s’échapper. Elle a besoin de se dégourdir les jambes. La terre tourne beaucoup trop – ou alors ce sont ses membres qui ne la supportent pas quand elle se tient debout. « T’es supposé être mon ami, je suis censée être la tienne, tes excuses sont connes. L’amitié qu’on a, c’est pas une illusion. C’est réel. T’aurais pu m’en parler avant. T’aurais même dû le faire. T’as pas confiance en moi ? Alors que t’es au courant d’un des moments de ma vie le plus– » Dramatique, marquant, brutal, fracassant ? Dos à lui, Birdie serre les poings pour centraliser son énergie négative. Non, elle ne va pas s’énerver. Elle se l’est promise à elle–même.

Alors Birdie se distrait. « Ils pensent qu’il est le meurtrier ? Ça n’a pas de sens. Ton frère est capable de choses stupides, mais pas de tuer quelqu’un. » Elle se retient de rajouter qu’elle a une longueur d’avance sur lui de ce côté–là.

Parler était au dessus de ses forces, habituellement déjà, Zeke n'en usait que très peu, de tant de palabres, tant de fioritures qui n'intéressaient franchement personne. Il préférait largement rester invisible, il avait beaucoup moins de surprises quand on l'oubliait dans un coin et il se sentait aussi mille fois plus libre lorsqu'il n'avait aucun regard dérangeant sur lui. Certes, cela rendait Ezechiel beaucoup trop indépendant, clairement incapable d'appeler à l'aide quand il en avait réellement besoin mais il avait toujours été ainsi, un grand idiot qui ne savait pas s'exprimer. Si les gens autour de lui n'étaient pas en mesure de le comprendre après des années à le pratiquer, c'était qu'il ne le connaissait pas beaucoup au final. Blythe aimait sa solitude, il aimait aussi pleurer seul quand personne ne regardait et c'était ce qu'il avait fait après que la police ait emmené son frère derrière les barreaux. Il l'avait fait aussi après les résultats du procès mais maintenant, il ne le faisait plus. Il attendait juste que le karma devienne plus clément pour que, enfin, il puisse retrouver une véritable paix dans leur corps de ferme même si rien ne serait jamais plus comme avant. Zeke avait conscience de tout cela, que son frère avait changé par la force des choses, et lui aussi certainement. La déception avait laissé place à l'amertume et persistait une certaine incompréhension chez le grand brun. Là, autant avec Birdie qu'avec toute cette histoire vis-à-vis de son frère. Il avait envie de changer la cadence du discours, tout reprendre, rebrousser chemin mais c'était trop tard. Zeke avait tout dit et l'accueil froid et distant de ces mots par Birdie lui glaça le sang. "T'as attendu combien d'années pour tout me dire?" Il n'avait pas envie de se faire enguirlander, tout cela parce qu'il avait essayé de gérer sa crise tout seul, comme un grand. Chacun avait ses fardeaux à gérer et Blythe avait agi exactement de la même façon que la jeune blonde, deux idiots qui ne savaient pas compter sur les autres quand cela comptait. "On a fait pareil." Elle et lui. Le silence avant la confiance. "Il est condamné pour ça." Et malgré tous es efforts, Zeke ne voyait pas le bout du tunnel pour le second Blythe. "J'en sais trop rien, ça tourne pas rond. On va perdre la ferme du coup." Point barre. Fin de l'histoire. La pire tragédie de son existence résumée en une misérable phrase, le visage dénué d'émotions parce qu'il était las, Ezechiel.

« T'as attendu combien d'années pour tout me dire ? »
Outch. Sa mâchoire se crispe. Dans le plan merveilleux qu’elle s’était fixé, Birdie n’avait jamais cru qu’elle allait le sortir un jour. C’était censé être quelque chose de secret, l’évènement le plus salissant de son histoire, la pierre grise qui terne son parcours. Celui qui a changé sa vision des choses, qui l’a ébranlé dans sa confiance envers le monde, qui a tout chamboulé pour elle, en elle, vis–à–vis d’elle. Et il compare les deux ? Birdie éjecte un soupir qui se veut apaisant, même l’éthanol et surtout la violence des mots ne calment en rien l’adrénaline qui la tenaille de toute part. Il est injuste, elle en a mal au bide et elle doit se canaliser avant de finir par faire ou dire quelque chose qu’elle pourrait regretter. Parce que ça reste Ezechiel. Mais est–ce que cela va être suffisant ? « On a fait pareil. »

Non.
Non.
« Est–ce que t’es vraiment aussi con ou c’est juste un rôle que tu peaufines ? » Sa remarque en pleine gueule, Birdie la trouve injuste. Ce n’est pas équitable comme combat. Son frère avait fait le con et il paie pour ça. Elle, elle n’avait rien demandé à personne. C’est un débat qui n’a pas lieu d’être, qui lui glace les veines et qui fait rompre à merveille les battements d’un cœur affolé qui n’aurait pas besoin d’autant de sollicitude vu son état. Le ton est froid, les dents grinçantes et pourtant, tout n’est que retenu parce qu’elle ne veut vraiment pas que Zeke voit un côté qu’il n’appréciera forcément pas.

« Il est condamné pour ça. » Birdie relâche les doigts, décontracte ses poings mais elle peste d’avoir cette conversation à cette heure–ci, dans une putain de fosse, alors qu’il est à moitié comateux et qu’elle, elle a des risques de ne pas se rappeler le lendemain. Si, tu souviendras de cet élément parce qu’il te marque, il te fouette et que c’est bien trop gros et important pour que même toi, tu ne t’en rappelles pas. La conscience susurre mais elle est sourde, Birdie, elle n’a que l’angoisse au bide. Comme à chaque fois qu’on évoque la prison, l’autorité, la mort. Même si elle se montre bien de le cacher. « J'en sais trop rien, ça tourne pas rond. On va perdre la ferme du coup. » Cadburry regarde ses pieds, dont l’un dérange la terre d’un coup de savate hasardeux alors qu’elle se tourne à moitié. « J’aimerai dire que je pourrai aider mais– » La phrase reste en suspens parce que franchement, elle n’en sait rien. Birdie est aussi démunie que Zeke, elle n’a pas l’esprit adéquate et requis pour trouver une solution miraculeuse – chose qu’il ne lui a pas demandé de toute façon.

Pour une fois, Birdie n’a pas les mots pour réussir à combler le silence.

Il n'aurait pas dû en parler, voilà qu'il regrettait, misérable Ezechiel. Etait-ce l'alcool qui le rendait aussi petit dans son attitude? Zeke n'aurait su le dire, il manquait cruellement d'expérience en la matière pour pouvoir juger mais il avait au moins conscience d'une chose, il s'en voudrait le lendemain. Peut être commençait-il d'ores et déjà à se blâmer pour la tournure des événement car il était clairement responsable de cet enfer dans lequel ils avaient terminé, Birdie et lui. Il n'avait qu'à faire attention à son verre, voilà tout. A croire que vouer une confiance aveugle en l'humanité finissait toujours par lui porter préjudice mais il y retournait, l'idiot, parce qu'il voulait croire que les gens étaient capables de changer, que tout n'était pas pourri à l'intérieur de se congénères. Une bien belle utopie qu'il était grand temps d'écraser. Serait-il capable de le faire, néanmoins? Rien n'était moins sûr parce que, à jeun, il était très clairement une douceur, quelqu'un qui préférait voir le beau, le bon au lieu de se porter sur tout le mauvais qu'il y avait autour. Il suffisait d'un rien, d'une nuée d'oiseaux pour se dire que, quelque part, l'univers était bien fait. Après le récit de Birdie sur ses aventures, Zeke avait été mis à mal dans ses convictions et il n'arrivait pas tellement à s'en remettre, en témoignait certainement cette douleur dans le ton de sa voix en remettant les choses en perspective. Il détestait ça, cette ardeur qu'ils y mettaient là, à se mépriser alors qu'ils n'auraient qu'à tendre la main pour recevoir le réconfort dont ils avaient besoin, l'un et l'autre. L'humanité avait sûrement trop d'ego pour cela, et trop d'alcool dans le sang, pour sûr. "Oublie." Il était con. Vraiment. Idiot comme aucun autre mais l'entendre dire des lèvres de Birdie, cela donnait un effet très différent à toute cette affaire. Il ravala son manque d'assurance et ses larmes aussi parce qu'il était question de son frère derrière le barreaux avant tout le reste, la priorité de son existence depuis cinq longues années. Néanmoins, la petite blonde ne pouvait rien pour lui, personne ne pouvait faire quoique ce fut, à vrai dire. Alors, Blythe n'avait qu'à s'en remettre à la chance, au karma ou n'importe quoi d'autre et attendre. Sagement. Il était la patience incarnée alors, tout devrait bien se passer, non? "Je sais. Il y a rien à faire. Il y a que les riches qui s'en sortent toujours. Mais toi ni moi, on l'est." Ils n'étaient que des gens de la campagne qui s'étaient perdus en route, pas grand chose en somme. "Tu veux venir à la maison demain? On pourra faire du cheval." Comme des gamins. Oublier le monde. Zeke se remettait debout, chancelant mais sentant les effluves d'alcool s'envoler peu à peu. Ils pouvaient repartir sur la route, et ne plus jamais retourner en arrière cette fois.