Chaos is a friend of mine
Raelyn Blackwell & @Jill McGrath-Fitzgerald

J’erre sans but, et les objets et visage sur lesquels je pose mes yeux ont des contours flous. Je cligne des paupières parfois croyant reconnaître quelque chose, croyant reconnaître quelqu’un, croyant le reconnaître lui. Sauf que ce n’est jamais lui, qu’il a certainement fuit dans sa ville natale ou le plus loin possible de moi et que je suis seule. Je suis sortie ce soir, j’ai bu en mauvaise compagnie - celle qui me pousse plus à la déraison qu’à la raison. Je suis sortie dans une boîte de nuit branchée quelconque, de toute façon trop allumée et alcoolisée pour en avoir quelque chose à foutre, et j’ai enchaîné les excès. Je l’ai fait jusqu’à ce que la main de l’un des homme assis à la table ne glisse sur ma cuisse, jusqu’à ce qu’elle ne glisse dans ma nuque et qu’il m’attire à lui pour déposer ses lèvres contre les miennes.

Ça, je ne l’ai pas supporté. Amos est descendu du taxi qui scella nos adieu il y a moins d’une semaine et la caresse des lèvres de l’inconnu, je l’ai vécu comme une agression, comme une attaque, comme un acte profondément dérangeant. Alors je me suis relevée à la hâte, le regard hagard, je ne l’ai pas entendu formuler des excuses, me demander ce qui n’allait pas, je ne l’ai pas entendu tenter de me retenir non plus, prise d’un haut le coeur, j’ai eu besoin de sortir trouver de l’air.

J’ai marché sans but, j’ai erré dans la ville en me laissant aveugler par ses lumières, et sans trop savoir comment, j’ai atterri face à cette soirée qui m’a semblée hors du temps. Je suis restée un moment à fixer le grand gymnase transformée pour accueillir une soirée dansante, à fixer les gens qui sortaient de là sans trop comprendre leurs accoutrement, à écouter la musique sans reconnaître un seul morceau. Je me suis fait l’effet d’une enfant perdue dans un centre commercial et poussée par l’angoisse qui me serre le coeur à l’idée de rentrer chez moi, je suis entrée sans m’en rendre compte. Je me suis acquittée des frais d’entrée comme dans un état second, j’ai à peine senti la main du vigile attraper la mienne pour y tamponner la marque de la soirée, et j’ai pénétré à l’intérieur pour me diriger jusqu’au bar, comme un papillon de nuit attiré par la lumière artificielle.

Il a préféré ses enfants à Jill. Il n’a pas accepté qu’elle soit partie pendant quelques jours pour prendre l’air et elle le vit mal Jill. Il ne l’a pas accueilli à bras ouverts et elle se demande pourquoi. Son soupire est long et le verre d’alcool qu’elle tient entre ses mains est encore plein. Ce n’est que le premier, et elle meurt d’envie d’enchaîner les bouteilles sans s’arrêter. Mais elle est passée au dessus de ça non ? Elle a réussi à ne rien prendre, à part un petit verre, pendant toute sa grossesse. Mais elle détruit tout Jill ces derniers temps, tout le monde s’éloigne d’elle et ils ont raison. C’est le but de la manoeuvre après tout. Maintenant, Dorian ne s’occupe plus du bien être de la brune, et Bailey se donne corps et âme pour les jumeaux, sans se préoccuper de ce que Jill peut bien faire ou non. Elle pourrait enchaîner les shots, peut-être même les rails et les pilules sans que personne ne s’en soucie.

Elle a marché dans les rues de Brisbane en jouant avec cette alliance qu’elle n’arrive pas à enlever de son doigt. Elle devrait le faire pourtant, elle devrait l’enlever comme Bailey l’a fait. Elle est de retour à la case départ, célibataire, traînant dans les rues sombres de la ville à la recherche de la soirée ou du bar dans lequel elle passera le reste de sa soirée et de sa nuit. Les musiques s’enchainent et la soirée qu’elle est choisi est étrange. Bien loin des endroits qu’elle fréquentait avant. Au moins, ici, elle est certaine de ne croiser personne qu’elle connait. Aucune personne censée ne viendrait la chercher ici, et de toute manière, personne n’a envie de la chercher ces derniers temps.

Un visage familier, un seul. Jamais elle n’aurait pu croire que Raelyn s’amusait dans ce genre de soirée. Elle a l’air aussi désespéré que Jill, qu’est ce qu’il a bien pu lui arriver pour qu’elle se mette dans cet état ? Elle se rapproche du bar pour rejoindre la blonde et faire glisser le verre plein qu’elle avait encore entre ses mains devant elle. “T’as l’air d’en avoir plus besoin que moi.” Ou pas.

J’écoute à peine la musique. Je vois à peine les gens se déhancher et je ne réalise même pas que la plupart sont bien plus âgés que moi. Je ne réalise pas non plus que je détonne puisque l’ambiance semble bon enfant et que les gens évitent les excès. Je porte une main à mon sac à main pour allumer une cigarette, et alors que je l’accroche à mes lèvres le barman m’adresse une remontrance. Ma seule réponse est un grognement - il a de la chance que je n’ai pas levé mon majeur en l’air. Tant pis, je la coince dans la poche de mon pantalon moulant en cuir, et je commande un autre verre.

L’alcool qu’ils servent ici est dégueulasse, j’ai l’impression d’assister à une kermesse d’école alors que je n’ai jamais mis les pieds à ce genre de truc, mais je m’en fous. Je me noie dans mon verre, j’y met la trahison d’Amos, j’y met celle des Strange, j’y mets même le sourire suffisant d’Aberline, quitte à me débarrasser de tout. La silhouette qui m’approche je ne l’aperçois qu’au dernier moment, que lorsqu’elle se hisse sur un tabouret à mes côtés et je ne la reconnais même pas, elle ne ressemble à rien d’autre qu’un halo de lumière. « T’as l’air d’en avoir plus besoin que moi. » Elle pousse son verre jusqu’à moi, et je me concentre sur le son de sa voix. Un rire jaune s’échappe de mes lèvres lorsque je l’identifie et, en tournant mon corps dans sa direction, je m’accoude au bar, j’attrape la chope et je la lève dans sa direction. Santé Jill. « Qu’est ce qui te fait dire ça ? » Peut-être tout, de mon regard vide et hagard jusqu’à mon manque de vitalité et mon sourire qui sonne faux. « Mon teint frais ? » Je la toise. « La compétition est rude pourtant, la dernière fois que je t’ai vue tu m'apprêtais à mettre un monstre au monde. » Peut-être finalement que sa vie est plus pourrie encore que la mienne.

Il y a trop de lumières et de rires. Il y a même des familles. Qui emmène des enfants pendant des soirées dansantes ? Elle soupire et secoue la tête avant de trouver de quoi s’occuper en posant son regard sur une blonde qui n’apparaît apparemment que quand Jill va mal. Encore du hasard ou le jeu du destin, elle serait incapable de la dire. Et pourtant, Raelyn est bien là, dans un état lamentable qui lui rappelle les soirées qu’elles faisaient il y a des années de ça. C’est une mauvaise idée de la rejoindre et de lui adresser la parole. La pire des idées qu’elle aurait pu avoir.

Mais, bien évidemment, Jill est une adepte des mauvaises idées. C’est donc tout naturellement qu’elle se retrouve à lui glisser un verre d’alcool bien trop rempli sous le nez. Raelyn l’attrape, et rit quand elle semble reconnaître celle qui lui offre le verre. Elles sont toutes les deux au plus mal, elles ne devraient donc pas se retrouver toutes les deux, parce qu’elles n’ont aucune limite. Jill demande un nouveau verre au barman, verre qu’elle ne videra peut-être pas encore une fois. Elle pouffe de rire en entendant la raison. “Toujours aussi magnifique que d’habitude.” Elle est fantomatique, elle a rechuté et il n’y a pas besoin d’être quelqu’un qui vit dans le monde de la drogue pour le savoir. Elle fait peur à voir mais Jill n’est pas là pour lui faire la morale. “J’aurais plus dit l’air de zombie, ou le fait que tes pupilles sont si dilatées qu’on voit plus la couleur de tes yeux.” Ca lui manque Jill d’être dans cet état, et pourtant, elle n’a pas encore craqué. Pas encore. Elle parle des bébés et bien évidemment Jill penche la tête avant de se concentrer sur son verre. “Y’en avait 2” ce ne sont pas des monstres, seulement des enfants. Et pourtant, à deux, ils ont détruit son couple et toute sa vie.

On semble être comme des aimants qui ne s’attirent que lorsque c’est la merde dans notre vie Jill et moi. Je l’ai rencontré peu après la mort d’Aaron, elle a reparu en avril alors qu’une dispute avait éclatée entre mon amant et moi, et la voilà à nouveau maintenant que ma monde a volé en éclat et que j’ai tout perdu. Le destin a un drôle de sens de l’humour, de la transformer en oiseau de mauvais augure pour moi, ou peut-être que c’est l’inverse, puisqu’à nouveau elle est seule la brune. Pas de mari, pas de gosse, et je doute que ce soit parce que maman avait besoin d’une soirée à elle connaissant un peu l’animal. « Toujours aussi magnifique que d’habitude. » « Keep it in your pants s’il te plait. » Finalement c’est tout ce que j’ai le sarcasme, pour rire, sourire et pour me donner l’illusion que tout est normal. « J’aurais plus dit l’air de zombie, ou le fait que tes pupilles sont si dilatées qu’on voit plus la couleur de tes yeux. » « Ils sont verts, fais pas genre t’as oublié. » Je papillonne des cils quelques secondes avant de porter mon verre à mes lèvres. Ca fait du bien d’avoir une conversation tout sauf sérieuse. Ca fait du bien de parler avec quelqu’un qui ignore tout de la débâcle qu’est devenue ma vie.

« Y’en avait deux. » Ah. Merde. J’appelle le barman avant de lui glisser que je paierai le prochain verre de Jill. Elle me battrait presque à plates coutures si j’avais pas replongé. Là, on devra toutes les deux accepter que c’est certainement une situation d’égalité. « Ouais, t’as gagné alors. » Je fais semblant de chercher ses gosses autour d’elle, avant de jeter un coup d’oeil circulaire à la salle. « Quoi qu’ils sont pas là. T’as enfin appris à être raisonnable ? » Et à les laisser à quelqu’un de plus approprié qu’elle pour s’en occuper ?

Elle regarde dans son verre qu’elle ne vide toujours pas. Elle bloque un peu. Si elle commence elle ne sait pas si elle arrivera à s’arrêter. Elle l’a presque oublié la sensation, elle a aimé planer, et elle sait qu’elle aimerait encore cette sensation si elle se laissait aller aux excès. “Je sais que je te ramènerai jamais dans mon lit.” Et ce n’est pas faute d’avoir essayé il y a quelques années. Elle lui a proposé pendant leurs soirées, et elle a fini par passer à autre chose. Elles finissaient toujours par partir avec des personnes différentes, passaient même leurs soirées à faire des sélections sur quel mec elles allaient ramener. “J’ai pas de quoi le vérifier ce soir en tout cas.” Elle ne saurait pas se souvenir de la vraie couleur des yeux de Raelyn, elle aurait pu lui dire qu’ils étaient violets elle aurait pu la croire. Elle ne sait pas ce qui se passe dans la vie de Raelyn, et elle non plus, elles sont juste là pour s’envoyer quelques piques à la figure, s’enfoncer un peu plus l’une l’autre dans leurs démons et ne plus se revoir pendant des semaines, des mois, ou même des années.

Elle parle de la grossesse et tout à coup l’ambiance perd en légèreté. La voix de Jill se fait un peu plus rauque et son regard encore plus fuyant. Elle remarque le barman qui fait un aller retour et elle sent que cette soirée est loin d’être terminée. “Je suis pas sûre de ça.” Elle ne sait pas ce qui est en train de ronger la blonde de l’intérieur, mais c’est pas beau à voir. Elle doit avoir un problème qui équivaut sûrement à la naissance de jumeaux suivie d’une rupture. Le coeur de Jill est lourd, mais face à la blonde, elle fera tout pour garder la face. C’est leur routine. “Y’en a qui diraient que je suis tout sauf raisonnable.” Des personnes qu’elle a réussi à éjecter de sa vie bien trop facilement.

« Je sais que je te ramènerai jamais dans mon lit. » J’esquisse un sourire et je secoue la tête. Il vient de loin ce sourire. Il n’a pas l’éclat de ceux d’antan, mais il est un peu plus sincère que ceux de ces derniers jours. Elle ne m’entendre pas rire aux éclats McGrath, mais elle réussit au moins à me faire oublier l’espace d’un centième de seconde ce que je fous ici dans cet état. Un centième de seconde j’ai dit, un centième de seconde après lequel je me sens plus vide encore. « J’ai pas de quoi le vérifier ce soir en tout cas. » « C’est bon, j’ai compris. » Je grogne, je n’aime pas qu’elle pointe du doigt ma rechute, je n’aime pas qu’elle parle de mes pupilles dilatées, je n’aime pas tout ce qui m’empêche de vivre dans le déni et d’accepter que j’ai un sérieux problème et que je suis en train de sombrer.

« Je suis pas sûre de ça. »
« T’es pas sûre que ce soit une bonne chose ? »

Qu’est ce qu’elle fout là dans ce bar alors, si elle est pas certaine que ce soit ce dont elle a besoin ? Parce que c’est le cas, elle a besoin de partir en vrille Jill, elle a besoin de ne pas avoir la sensation d’être un animal en cage et dressé pour amuser les bien pensants. Elle me ressemble plus que je ne voudrais l’admettre, avec deux trois câbles pas branchés au bon endroit en plus. « Y’en a qui diraient que je suis tout sauf raisonnable. » Je hausse les épaules, incapable de voir les choses comme eux. Je suis simplement persuadée que certaines femmes ne sont pas faites pour être mères, ma mère n’était clairement pas faite pour ça et j’ai du mal à m’imaginer différente d’elle sur ce point, comme j’ai du mal à voire Jill comme ça. « C’est de se forcer à être ce qu’on est pas qui est pas raisonnable. » Quoi qu’en dise les gens biens. « Et je te l’ai dis la dernière fois : c’est pas toi ça. » Tout comme cette junkie qui noie ses angoisses dans la drogue, c’est plus moi.

Elle sourit Raelyn, et Jill répond un peu. Elle ne sourit pas beaucoup et étonnement elle a l’impression de se retrouver face à un miroir quand elle observe les réactions de la blonde. Elle est perdue, peut-être désespérée et elle ne sait pas pourquoi. Elle ne saura pas pourquoi, et elle ne lui posera pas de questions. Parce qu’elles sont pas comme ça, elles ne posent pas ces questions et elles ne s’amusent pas à se réconforter mutuellement en se disant que tout finira par aller mieux. Rien ne va jamais vraiment bien dans la vie des gens comme elles, et Jill finira un jour par se rendre à l’évidence. “Je suis pas sûre d’avoir gagné la partie.” Elle soupire, cette fois elle aimerait ne pas gagner. Mais pour ça il faudrait que la vie de Raelyn soit encore plus pourrie que la sienne. “Mais selon le reste du monde c’est pas une bonne chose que je sois pas à câliner mes enfants juste après l’accouchement.” Tout le monde la juge, et, même si elle s’en fiche, elle ne peut pas s’empêcher de se dire qu’encore une fois elle est incapable d’avoir une vie normale.

Elles ont l’air de deux vieilles amies. Jill l’écoute, un peu trop sûrement. Et elle se surprend à se dire que la blonde a raison. Elle sait qu’elle a eu raison de partir, mais personne n’est d’accord avec elle. Personne sauf Raelyn. Elle devrait arrêter de parler avec la blonde, arrêter de penser qu’elle est de bon conseil parce qu’elle est la pire personne à écouter aujourd’hui. “Je sais.” Elle y croit dur comme fer, elle n’est pas faite pour cette vie là, elle n’a pas les épaules pour ce rôle là, et elle a préféré laisser les responsabilités à Bailey. “Si seulement tout le monde était capable de comprendre ça.” mais malheureusement elles sont deux à comprendre.

« Je suis pas sûre d’avoir gagné la partie. » Je hausse les épaules. Pour une fois, je préfèrerais avoir la certitude que j’ai perdu, et ils sont rares ces cas de figure, parce que je n’aime pas ça manger la poussière. Pourtant j’accepte et je la laisse dire : surement qu’elle aussi, elle n’en veut pas de cette victoire. Surement qu’elle préfèrerait se dire que j’ai une vie plus pourrie que la sienne encore mais je suis loin d’être sûre que ce soit la cas. « Pour être sûres faudrait qu’on se raconte nos déboires. » Nous ne sommes psy ni l’une ni l’autre. « Et ça non plus c’est pas nous. » Je secoue la tête. « Comme c’est pas nous de nous apitoyer sur notre sort. Allez, santé. » Je lève à nouveau mon verre dans sa direction avant d’en boire quelques gorgées. Elle est dégueulasse cette bière, pour me donner son verre elle aurait pu commander un whisky.

« Mais selon le reste du monde c’est pas une bonne chose que je sois pas à câliner mes enfants juste après l’accouchement. » Là, je crois qu’elle va avoir le droit à la Raelyn version tough love. « C’est pas une bonne idée que t’aies eu des enfants si tu me demandes mon avis. » Elle l’a pas fait, mais depuis quand j’ai besoin de ça ? « Et j’aime pas dire que je te l’avais dit mais... » Je le dirais pas. Mais je le lui avais dit, c’est ce que veut dire le clin d’oeil presque instant de condescendance que je lui adresse. « Je sais. Si seulement tout le monde était capable de comprendre ça. » Je suis pourtant pas du genre empathique je dirais pas que je comprends comment elle se sent : je suis simplement en train de dire que n’importe qui l’ayant côtoyée cinq minutes aurait dû être capable de dire que c’était la pire idée du monde. « Je dis surtout que c’était prévisible. » J’aime pas ça, l’impression d’être son oreille attentive. « Allez, je suis pas psy McGrath. Confie plutôt tes problèmes à ta bière et dit moi si t’as envie de te retourner la tête en souvenir du bon vieux temps plutôt. »

C’est bizarre cette ambiance, et c’est la preuve qu’elles vont mal et qu’elle ont personne les deux jeunes femmes. Mais elle a raison Raelyn, ce n’est pas elles de s’apitoyer, de se plaindre et de pleurnicher au dessus des verres d’alcool que Jill ne vide pas. “On change pas les bonnes habitudes.” Et elle envoie un clin d’oeil à la blonde qui l’accompagne. Et, ce soir, elle n’a vraiment pas envie d’être hostile avec elle, elle a juste envie de profiter d’une soirée avec une femme qui lui rappelle le bon vieux temps. Elle grimace en buvant une gorgée de la bière et Jill est tout de suite assez heureuse de ne pas en avoir bu une gorgée. C’est quoi cette soirée pourrie ? Pourquoi elles se retrouvent dans un endroit aussi nul pour boire ? Elles auraient pu trouver mieux, mais au moins, ici, elles ne croisent aucun autre visage connu.

Elles parlent d’enfants et Jill se demande tout de suite pourquoi elles ont abordé ce sujet. La dernière fois qu’elles se sont vues, Jill était enceinte et elle luttait pour ne pas boire d’alcool. Ce soir elle lutte encore, mais pas pour les même raisons. Elle n’a pas demandé son avis mais elle écoute quand même. Elles sont d’accords, Jill n’a jamais vraiment cru qu’elle pouvait être mère, et c’est certainement pour ça qu’elle ne se laisse même pas la chance d’essayer. Jill lève les yeux au ciel, elle n’a pas envie de parler de tout ça alors elle tourne la tête, à la recherche d’une issus de secours pour prendre la fuite. Elle n’a pas rejoint Raelyn pour remettre les sujets qu’elle fuit sur la table. “Tu ferais une mauvaise psy.” Et, croyez le ou non c’est un compliment venant de Jill. Elle croise le regard de la blonde, elle est là la barrière, le mur, la limite qu’elle se refuse de franchir mais qu’elle touche du bout des doigts. “T’as quoi sur toi ?” Mauvaise idée Jill, très mauvaise idée.

« On change pas les bonnes habitudes. » Et on nous réinventera pas. On deviendra jamais deux amies qui discutent de leur journée de travail autour d’une bière, qui se confient quand à leurs déboires ou plutôt aux aléas de leur petite vie plan plan. On deviendra jamais ces femmes qui s’appellent dès qu’elles sont dans le creu de la vague pour se remonter le moral en regardant une comédie romantique et en mangeant des glaces Ben & Jerrys. On deviendra jamais ces femmes qui ont besoin de mettre des mots sur tout : moi, je garde jusqu’à ce que j’explose, et généralement cette explosion se traduit par un comportement autodestructeur. Et là, alors que je suis sous influence de cocaïne j’ai aucune envie de changer ou de faire les choses autrement.

« Tu ferais une mauvaise psy. » J’esquisse un sourire avant de vider ma bière cul sec. « Merci. » J’aurais détesté qu’elle affirme l’inverse. J’aurais détesté qu’elle peigne un portrait de moi plein de compassion et d’amour pour son prochain, je crois que je préfèrerais encore me tirer une balle tout de suite que d’entendre ce genre de connerie. « T’as quoi sur toi ? » Là ça me plait plus. Là ça me parle plus et, avant de lui répondre, je prends quand même la peine de commander deux verres d’un whisky qui sera certainement mauvais, mais moins dégueulasse que la bière qu’elle m’a offerte. Finalement, je sors la petite bouteille en verre remplie de poudre de la poche de ma veste, juste le temps qu’elle la voit. « J’ai rencontré une nouvelle amie. » Sauf que c’est pas une rencontre, que Jill l’ignore mais qu’avant de la rencontrer elle je consommais de la cocaïne à outrance et que, si elle pense avoir rencontré une droguée, elle n’a rien vu. Elle a vu la version de moi qui luttait pour ne pas pencher son nez sur un rail, qui trouvait d’autres drogues pour palier à l’envie toujours présente d’abuser. « Je crois que vous vous connaissez déjà. Et si c’est pas le cas, je suis certaine qu’elle va te plaire. » Tout ça ce sont que des conneries. Je l’ai vu consommer Jill, je m’en souviens, ça m’a brûlé les veines que d’assister à ce spectacle sans pouvoir l’imiter.

Elle regarde son verre et attend la suite des évènements. Elle ne va plus rien contrôler Jill, et c’est certainement ce qu’elle attendait au fond. Elle avait besoin de quelqu’un pour la suivre et l’enfoncer, encore un peu plus quand elle veut virer tous ceux qui essaient de la rendre normale. Et elle s’attendait qu’elle lui propose de se défoncer avec elle. “T’es sûre que tu peux suivre avec tout ce que t’as déjà dans le sang ?” Elle sait que quand elle commencera, elle n’arrivera plus à s’arrêter, et elle ne veut pas avoir à gérer une overdose ni une redescente un peu trop violente. Donc elle doit rester défoncée sans aller trop loin, et elle est sûre que Raelyn est capable de gérer ses doses comme une cheffe.

Une nouvelle amie ? Jill fronce les sourcils, pas vraiment convaincu par ce que dit la blonde. Elle a déjà les mains moites la McGrath, et une envie irrépressible de plonger son nez dans la bouteille qu’elle a rapidement vu. Elle ferme les yeux, serre les dents, et c’est déjà trop tard. Elle n’a pas besoin de réfléchir car la décision est déjà prise depuis la seconde où elle s’est rapprochée de sa vieille amie. “Je la connais bien.” Et, même si ce n’est pas sa drogue préférée, elle donnerait n’importe quoi pour que Raelyn soit plus rapide à partager avec elle. Le verre de whisky est bu d’une traite, et c’est trop tard. Elle a envie de boire et de faire toutes les folies qu’elle s’est retenue de faire pendant des mois. Son ancienne vie l’a rattrapé bien plus vite qu’elle n’aurait pu l’imaginer. “Ici ?” Ses sourcils se froncent alors que son dos se pose contre le bar pour qu’elle puisse observer l’assemblée qui l’horripile de plus en plus. “Cette soirée n’a rien d’excitant.” Mais la perspective de prendre de la cocaïne, ça ça la fait frissonner Jill.

Je lui fais une proposition à Jill, et pas uniquement par nostalgie des années où je me foutais bien de m’imposer des limites et ou elle elle était le parfait binôme de soirée parce qu’elle est bien trop jetée pour en poser elle même où avouer quand les choses vont trop loin. Bien sur, je le savais, à sa façon de traîner des pieds, à sa façon de chercher une excuse, à sa façon de me demander si j’étais sûre mais elle me suivait toujours dans mes connerie au bout du compte. Ce soir, c’est à propos de moi qu’elle doute et je me sens presque insultée. « T’es sûre que tu peux suivre avec tout ce que t’as déjà dans le sang ? » « Je vois même pas de quoi tu parles. » Et vu mon état, c’est possible que ce soit vrai. Mais je tiens debout, je me souviens de mon prénom, je me souviens de lui alors je considère que je n’ai pas encore assez tiré sur la corde. « T’en fais pas pour moi. » Bien sûr que je peux la suivre, j’ai jamais été à la traîne avec elle et c’est pas aujourd’hui que ça va commencer.

« Je la connais bien. »
« Je m’en doutais. »

Je le savais aurait été plus correcte, on a peut-être pas créé un album photo immortalisant notre amitié, mais c’est pour autant que je ne me souviens pas de ça. J’ai trop résisté à l’appel de la poudre blanche pour ne pas me souvenir de toutes les fois où j’ai été tentée, et j’ai rarement été autant tenté qu’en présence de Jill, parce qu’elle se gênait pas à l’époque. « Ici ? Cette soirée n’a rien d’excitant. » Je jette un coup d’oeil à la pièce. La musique, je l’entends à peine et je distingue mal le contour des inconnus qui se trémoussent sur la piste de danse. Ici ou ailleurs je m’en fiche, l’avantage c’est que, ici, je suis installée au bar. « C’est pas le but de la rendre excitante ? » Ma main plonge dans ma poche et je me rassure au contact du verre de la fiole. Elle est toujours là. Je lui montre l’autre, celle tamponnée pour prouver que je me suis acquittée des frais d’entrée. « Puis regarde, ils m’ont fait un tatouage, ça serait con de partir maintenant. »

Raelyn a consommé, beaucoup. Jill se fiche de son état, elle ne veut juste pas avoir à gérer une overdose alors qu’elle commence à craquer et à avoir vraiment envie de se retrouver dans le même état que la blonde. Elle n’a plus rien sur elle, c’est comme ça depuis des mois. Pas un sachet ni une seule pilule, et ce n’est pas le cas de Raelyn qui sort une bouteille pleine de poudre de sa poche. Le sourire de Jill s’agrandit et elle finit rapidement son premier verre. Elle avait réussi à lutter jusque là, elle aurait lutté toute la soirée si elle n’avait pas eu à faire face à ses vieux démons. Elle hoche la tête, elle ne s’en fait pas pour la blonde, elle ne s’inquiètera pas pour son état, et, dans quelques heures, elle sera certainement trop défoncée pour être capable de gérer quoi que ce soit.

Elles n’ont pas fait de soirée comme ça depuis des années, depuis avant Londres. Elle regarde autour d’elle, serre les dents tant elle a hâte de retrouver les effets de la drogue qui lui manquent tant. Elle ne montre rien, et elle attend que Raelyn expose son plan. Elles ne peuvent pas faire de ligne sur ce bar, le barman est déjà à l’affût de la moindre cigarette qu’elles voudraient sortir de leurs poches. Jill esquisse un sourire. “Si on la rend trop excitante on va se faire virer.” Et même si ça arrive elles trouveront bien un autre endroit pour continuer de s’amuser. Elles vont donc rester là, et devoir être discrète pour prendre tout ce qu’elles veulent. Jill fronce les sourcils. “Tu te balades avec une seule amie ?” Elle parle avec le même langage codé que la blonde apparemment. Elle regarde le tampon sur la main de la blonde et secoue la tête. “Très bien on reste là, y’a plus qu’à trouver un endroit discret.” Parce que l’attente commence à être bien trop longue et insoutenable.

Elle a l’air d’une adolescente qui a peur de se faire choper Jill, c’est presque drôle, parce qu’à côté moi, je pourrais pas plus m’en foutre. Peut-être est-ce parce que je suis défoncée, peut-être est-ce parce que je suis plus tout à fait ici dans le même monde qu’elle, mais je n’ai pas peur de me faire prendre la main dans le sac. Je n’ai plus peur des regards sur moi, plus maintenant que je plane. « Si on la rend trop excitante on va se faire virer. » « Qui on va choquer ? T’as regardé un peu les gens dans la salle ? Y’a que des boomers, c’est pas eux qu’on va choquer. » Ils ont fumé du shit et plané bien avant nous, bien avant que la consommation de stupéfiants soit régulée et, en tout cas, je vais pas me priver pour eux.

« Tu te balades avec une seule amie ? » Je lève un sourcil et je l’observe. Maintenant qu’elle réalise ce que je trimballe sur moi a-t-elle des regrets ? Envie de revenir sur sa réaction et finalement refuser de toucher à ça ? Elle fait ce qu’elle veut, mais elle pourra pas m’en voulait de me foutre de sa gueule. « Ouais pourquoi ? Tu veux autre chose ? Quelque chose d’un peu moins fort ? » Je la regarde avec mon sourire idiot, avec mon sourire provocateur et je sais qu’elle ne pourra plus reculer. « Très bien on reste là, y’a plus qu’à trouver un endroit discret. » Elle cède, mon sourire s’étire et dévoile toutes mes dents et je jette un coup d’oeil autour de moi avant de refermer mes doigts autour de son poignet. « Suis moi. » Je l’entraine dans un coin de la salle j’appuie mon dos contre le mur et, vérifiant qu’elle me dissimule grossièrement de son corps, je glisse mes doigts dans la poche de ma veste. J’en sors la fiole et je la débouche. Je plonge la cuillière miniature en argent accrochée au bouchon dans la poudre pour en sortir une petite quantité et, me bouchant une narine, j’aspire avec l’autre. Je ferme les yeux un instant, j’essuie distraitement le dessous de mon nez avant de lui tendre le flacon. « C’est ma tournée.. »