« La question, c’est pourquoi il l’a été. » Je sais pourquoi. Je n’ai aucunement l’intention de lui laisser le bénéfice du doute à mon ancien ami : il ne le mérite pas pour m’avoir menti pendant années. Aurait-il été quelqu’un de confiance, aurait-il agi pour me protéger et aurait-il était rongé par le mensonge qu’il aurait fini par tout m’avouer en douze ans, j’en suis persuadée et je suis incapable de voir les choses autrement. Il a fait un choix. Il a vécu avec et, pour apaiser sa culpabilité, il s’est assuré que j’ai toujours une épaule sur laquelle m’appuyer. « Parce qu’il se sentait coupable. Pour se racheter. Par pour les bonnes raisons en tout cas. » Et c’est exactement pour ça que, lui aussi, il a perdu ma confiance et certainement à tout jamais. S’il a protégé son frère d’un tel mensonge, jusqu’où est-il prêt à aller ? Que se passerait-il un jour s’il devait faire un choix entre ma vie et celle de Mitchell ? Du reste, je n’ai pas besoin d’être son oeuvre de charité, je n’ai besoin d’être celle de personne. « À préserver ce que je ne... A maintenir ce que tu pourrais reconstruire. » Sous entend-t-il qu’il m’imagine encore récupérant le Club du corps fumant de Mitchell ? Qu’il rêve de m’y placer à la tête, pour nous, pour moi, ou pour se sentir moins coupable parce que j’ai tout perdu, lui aussi ? « Quand bien même je me lancerais dans ce genre de croisade... » Et c’est hypothétique, parce que pour l’instant je ne me suis pas assez reconstruite pour l’envisager. « Je veux rien devoir à Alec. Rien du tout. » Encore moins à son frère, mais cela va sans dire.

Ce serait possible pourtant. Je suis une femme et il s’agirait du plus gros obstacle, mais le vent a tourné en un an. Mitchell n’est plus assez fiable et beaucoup se sont tournés vers moi. Combien pourrais-je en rallier à ma cause ? Combien quitteraient le navire plutôt que d’accepter de prendre leur ordre auprès d’une femme, après de moi ? « Son objectif est de mettre Mitchell à terre et c’est ce qu’on fait. S’il entraîne le Club avec lui, c’est qu’il n’était entouré que d’imbéciles. Et tu n’es pas une imbécile. » Je l’observe et je me demande s’il a réellement réussi à se convaincre que c’était la bonne chose que de s’allier avec ma Némésis. « Et toi non plus. » Tu n’es pas un imbécile. « Alors tu ne peux pas ne pas t’en être rendu compte. Qu’elle a jubilé, qu’elle apprécié ce qu’elle a fait. » Me mettre à terre moi, et pas uniquement Mitchell. « Qu’elle a pas fait ça que pour Mitchell. » Je pousse un soupir avant de jouer. Je rate, je ne suis plus réellement concentrée sur la partie, pourtant le lot pour le gagnant m’intéresse. « Elle t’a dit ce que j’ai fait à son compagnon, quelques semaines avant ça ? » Lui a-t-il dit qu’elle avait toutes les raisons de m’en vouloir, à moi, de vouloir me faire mal, à moi et pas à Mitch ? « Je vais aller nous chercher à boire. Tu vas en avoir besoin. » Je reste silencieuse, je hoche la tête doucement et je déglutis. Que peut-il avoir à m’annoncer qui nécessite un verre ? J’appréhende, j’appréhende au point que je n’entends même pas le blond qui m’approche, profitant de me trouver seule pour m’aborder.

« De mon point de vue, c’est lui qui te devra toujours quelque chose. Alors, entends bien, je suis pas en train de t’encourager à pardonner. Je le déteste, autant que son frère, peut-être même plus, mais pour des raisons différentes. Je dis juste que les choses sont pas toujours ce qu’elle montre. » Je ne veux pas plus qu’il me soit redevable que l’inverse, mon ancien ami, puisque cela supposerait qu’une relation existerait encore entre nous et je ne veux plus jamais avoir à lui adresser la parole. Comment peut-il penser qu’il reste quelque chose à réparer ? Comment peut-il continuer à m’appeler en espérant un résultat différent que la fois précédente ? « Pourquoi différentes ? » C’est le seul détail que je demande : le reste, je ne reviens pas dessus.

« J’ai vu la même chose que toi. Et je ne sais pas ce qu’il s’est passé entre vous. Pas même ce que tu as fait à son type. » Je l’observe, interdite, et j’en oublie même qu’il faudrait que j’arrête de manquer les billes pour les empoche si je veux gagner mon pari. Je ne sais pas, la posera-t-il la question ? Je ne l’éclairerait pas s’il n’est pas intéressé. « Tu ne t’es pas dit qu’elle a pris son pied justement parce que t’écarter du Club, c’était ça sa vengeance à elle te concernant ? Mais que c’est Mitch sa vraie cible ? Ne te méprends pas. Je ne suis pas en train de te dire qu’elle est excusable ou qu’on a bien fait. » Non, ils n’ont pas bien fait. Il m’a sacrifiée pour un accord, il m’a utilisée comme monnaie d’échange et au delà de ça, c’est nous qu’il a sacrifiés. Il aurait pu me le dire lui même et affronter ma colère plutôt que de laisser l’opportunité à la brune de prendre son pied en me détruisant. « Pourquoi tu l’as laissée faire ? » Pourquoi tu ne me l’as pas dit toi ? Il ne pouvait pas ignorer comment les choses aillent se passer comme ça, avec une Aberline jubilant de ma détresse qu’elle a certainement devinée malgré mes efforts pour rester digne. Si tu m’aimes, pourquoi l’as tu laissée me faire ça ?

Il s’éloigne avant de répondre à ma question et je ne sais qu’en penser. Qu’a-t-il de pire à m’annoncer que tout ce que j’ai déjà appris ? Quand les surprises cesseront-elles ? Quand n’aura-t-il plus le moindre vilain secret ? Je jeune homme qui m’approche et qui m’adresse quelques phrases lourdes de sens, je l’entends à peine et je lui réponds sans faire l’effort d’être polie si bien que la possessivité d’Amos, elle n’est même pas justifiée. « Je peux le rappeler si tu ne veux pas connaître la suite. » « Je lui ai pas demandé de venir me parler. » Ai-je à présent tous les défauts du monde à ses yeux ? « Je t’ai pris un scotch. Sans glace. » J’attrape le verre entre mes doigts et je le porte à mes lèvres : quelque chose me dit que l’heure n’est plus à trinquer.

Concernant Alec je ne réponds rien : s’il avait voulu m’apporter des précisions il l’aurait fait et je crois que j’aurais simplement voulu qu’il admette qu’il s’agissait toujours de jalousie et possessivité : j’aurais cru en nos espoirs. « Pour plusieurs raisons. La première, c’est que tu ne m’aurais pas cru. J’ai trop souvent craché sur eux. La seconde, c’est qu’il s’agissait de son secret, qu’elle m’avait vu de dix minutes qu’elle me le confiait. Ce n’était pas à moi à te le dire. J’aurais préféré, ça aurait été plus facile, mais j’en avais déjà trop fait. » « C’était pas vraiment son secret. » Le prétendre, c’est admettre qu’elle avait le droit de jubiler en me l’annonçant. Que je l’apprenne de la bouche de quelqu’un d’autre n’aurait rien changé au résultat : la seule chose que cela lui a permit, c’est la joie de me voir m'effondrer sous ses yeux : et il le lui a permis.

Troublée, je me retourne vers le billard et je prétend observer la configuration du jeu quand je l’ai depuis longtemps perdu de vue. Je ne sais même pas quelle question j’aurais envie de lui poser si je gagnais puisque j’en ai des tas. Qu’il se débarrasse de l’inconnu en revenant a deux effets : cela me satisfait puisque cela dénote encore d’une certaine jalousie, mais cela m’agace puisque j’ai l’impression qu’il n’a plus confiance en moi. « Ce n’est pas ce que j’ai dit. » Je hoche la tête et je décide de le croire. « Tu m’as demandé ce que j’avais gagné ce jour là. C’est Mitchell. Le Club. C’est eux que j’ai gagné. » Je pousse un long soupir, serrant la tige en bois entre mes doigts, m'appuyant dessus comme sur une béquille. « Et ça valait le coup ? » Je lui pose la question d’un ton neutre : est-ce que cela valait le coup que de faire de moi l’objet d’une transaction ? Ne s’est-il pas senti coupable ? « Et pour ce qui est de l’autre question. C’est Olivia Marshall qui t’a trouvée. Moi, je t’ai juste approchée. » Olivia Marshall. Je mets quelques minutes avant de mettre un visage et une situation sur ce nom, mais lorsque j’y parviens je hausse les sourcils : simplement surprise. Je crois que, finalement, tout ce que j’ai appris m’a anesthésie. Ce n’est qu’une preuve de plus que je ne savais rien, mais certainement pas la pire. « Marshall, la flic. C’est avec eux que tu travailles alors ? » Je regarde la table, tentant de me rappeler à qui est-ce de jouer. « C’est à ton tour. Pourquoi moi ? » Parce que je suis une femme ? Parce qu’il m’a imaginée plus approchable, plus faible ? « Tu lui as fait quoi à son mec ? » J’esquisse un sourire et je le regarde se placer pour jouer. « Disons que j’espère qu’elle aime les meubles en kits. » Parce qu’elle l’aura retrouvé en pièces détachées. « Je lui ai envoyé un message. Et à lui, je lui ai appris avec qui il fréquentait puisqu'il ne savait rien. » Je le lui confie d’une voix neutre : il me connait Amos, moi je n’ai rien caché et il sait que je suis. S’il s’horrifie de ce que j’ai fait, ce n’est qu’une preuve de plus qu’il m’a menti sur toute la ligne.

« D’une certaine manière, si. Elle sait depuis longtemps. Elle aurait pu s’en servir contre toi il y longtemps. Et, Mitchell, il était au courant qu’elle pouvait tout faire exploser. Et qu’est-ce qu’il a fait lui ? » Je secoue la tête parce que je ne suis pas d’accord. Je secoue la tête parce qu’il ne comprend pas : ce n’est pas Mitchell que je dédouane, lui je le préfèrerais six pieds sous terre, c’est Lou dont je remets en question les motivations. Elle l’a dit quand elle a estimé que c’était le moment d’agir : elle ne me l’a pas caché par bonté d’âme. « C’est moi qui agis, c’est donc moi le coupable idéal. Mais rien de toute cela ne serait arrivé s’il avait été à la hauteur. » « J’ai pas dit que je le dédouanais. J’ai pas dit que je pourrais envisager un jour de le pardonner. » Parce que ça n’arrivera pas. « Je dis juste que tu as fais un choix entre la peste et le choléra. » Et que si je préfère être au courant, j’aurais aimé qu’il ne me mette pas dans cette situation. « Qu’est-ce qui valait le coup ? Nous sacrifier ? » Le visage neutre mais fatigué, je plonge mon regard dans le sien sans hocher la tête : il sait que c’est ce que j’entends. « Non ! Bien sûr que non. Je l’ai cru. Je crois que je me suis trompé. » Il secoue la tête vivement, à plusieurs reprise et je me demande pourquoi il se justifie, pourquoi il le fait plutôt que de s’excuser et de reconnaître que son acte m’a donné toutes les raisons du monde pour réagir comme je l’ai fait ? Et ce je crois que signifie-t-il ? Qu’il n’est pas sûr ? Je ne suis pas certaine de pouvoir rester dans l’attente qu’il se décide. Je ne suis pas certaine que mon coeur le supporterait.

Alors je ne réponds rien. Je me tourne vers la table pour dissimuler mes émotions et il s’éclipse pour aller chercher deux verres. Au diable les addictions croisées, j’en ai besoin, il n’a pas tort. Plus à cause de la globalité de notre conversation qu’à cause de sa révélation concernant Olivia Marshall : elle n’est qu’une goutte d’eau de plus dans un océan de duplicité, et elle est loin d’être la plus douloureuse. Elle me prouve juste à quelle point sa vengeance est organisation, une machine huilée qui aurait marché sur le Club qu’il tombe amoureux de moi ou pas. « Oui. Elle. Mais je ne travaille pas avec eux. Elle et moi, on est amis de longue date. Elle est comme une soeur pour moi. Elle m’aide parce que je lui ai demandé. » Lou, Olivia Marshall. Plus je découvre de nouveaux protagoniste plus, sans savoir l’expliquer, j’ai l’impression de le perdre. Quand j’ai cru que nous vivions coupés du monde avec comme devise celui qui n’est pas nous est forcément un ennemi, il en avait pléthore des alliés et ça, en revanche, je ne suis pas certaine de bien le vivre. Comment ne pas envisageait qu’il n’a jamais fait que ça de son temps libre, comploter ? Comment ne pas me sentir mise à l’écart, comme ne pas avoir l’impression que notre relation n’était qu’une parenthèse, un à côté à ses yeux quand je faisais tourner une bonne partie de notre monde autour de nous ? « Elle l’a mal vécu, toi et moi... » « Grand bien lui fasse. » Elle est amère ma remarque, je digère encore. « Je te reconnais bien là. » J’esquisse un sourire et lui rapporter mes faits de guerre a moins de saveur que si je n’avais pas appris qu’il était de son côté à ma Nemesis. « Elle sait ? Que c’est toi ? Et lui ? Il a réagi comment ? » « J’espère qu’elle l’a su. » Au contraire, je le lui ferais savoir. « Comme quelqu’un qui découvre son partenaire. » Un peu comme moi, surement. J’annonce la douze, et je tire.

Le dé   :

« Je n’avais qu’elle, Rae. Elle était tout ce qui me restait de bien. » J’accuse le coup et, si c’est égoïste, tout ce que j’entends c’est que moi je n’en ai pas fait partie, de ce qu’il avait du bien. Les doigts serrés autour du Club de billard, je l’observe sans tiquer. Je ne réponds rien, cette fois ci pas tant parce qu’il est question de sa fille, mais parce qu’une fois de plus je constate qu’elle était son unique priorité et, si je n’ai pas le droit de lui en vouloir, dieu que je lui en veux. Je lui en veux autant que je m’en veux à moi d’être tombée dans les bras d’un homme qui n’avait pas grand chose à m’offrir, finalement. « Et je voudrais pouvoir me regarder dans un miroir sans avoir honte. » Je ne rétorque pas que je n’ai que faire de sa honte. Qu’est ce que cela nous apporterait ? Je suis de toute façon persuadée qu’il ne fait pas référence à ce qu’il m’a fait, mais bien à elle, toujours à elle, au fait de ne pas avoir été là et de ne pas avoir pu l’aider. « Je ne saurais pas te dire combien de fois j’ai pensé à tout arrêter et combien de fois je m’en suis senti coupable. » A ça, je n’ai à apporter comme réponse qu’un bref rire sans joie. Encore une fois il ne s’agit pas d’excuses à mes yeux mais de justifications et, à partir du moment où il y a pensé sans le faire, j’ai du mal à voir la valeur que cela devrait avoir à mes yeux.

Alors si je ne me braque pas, je ne rebondis rien. Je lui laisse le dernier mot et je le laisse aussi s’éloigner pour laver sa honte et anesthésier ma peine dans une boisson alcoolisée. Qu’a-t-il à m’apprendre de plus ? Quelles est cette révélation qui nécessite qu’il m’endorme comme un animal que l’on emmène à l’abattoir ? Il la dépose entre mes mains en même temps que mon verre, mais elle remue rien, elle ne fait que renforcer ma certitude d’avoir été aveugle et une parfaite idiote. « Pourquoi tu ne lui dis pas ? S’il a mal réagi, il n’a peut-être rien dit. Tu sais où la trouver maintenant.  Qui sait, ça pourrait te faire du bien d’équilibrer la balance. » « Je lui dirais le jour venu. En attendant, j’espère qu’il le fasse, j’espère qu’il la confronte. » J’espère qu’il la quitte aussi et qu’elle ait mal à son tour, aussi mal qu’elle m’a blessée. Mais il ne le fera pas : je n’ai pas lu la moindre force de caractère dans ses yeux. « Et si ça suffit pas, je trouverais autre chose. » Parce que je ne la laisserais pas s’en tirer si facilement.

« Elle s’est parjurée, pour moi, pour toi, parce que je le lui ai demandé. Une descente est prévue au Club...Je ne sais pas quand... mais elle arrivera, quand tu iras mieux et Mitch n’en saura rien. Ils ont débusqué sa taupe dans le service. » Il est de nouveau question de son acolyte au sein des forces de l’ordre et si je me fous bien qu’elle se soit parjurée - pour lui, uniquement pour lui, la suite attire mon attention. « Pour moi ? » J’ai du mal à percevoir ce que j’ai gagné dans l’histoire. « Une descente… Alors tu vas vraiment faire payer à tout le monde pour les actes d’une poignée. » Je ne sais qu’en penser, pour l’instant je suis encore trop en proie avec mes propres démons. Il rate, j’annonce la douze, à nouveau.

Le dé   :