Combien de temps Carmine pourra-t-il supporter la personnalité de plus en plus transparente d’Archie ? Ils ont passé assez de temps ensemble pour que la fleur s’ouvre et dévoile ses vraies couleurs : Archie ne sera jamais complètement comme sa majesté aux apparences coriace. Ce n’est pas seulement l’alcool qui agit sur lui. Au contraire, il lui faudrait bien plus de gin tonique dans le sang pour se transformer en ce qu’il n’est pas. Non, ce visage qu’il affiche ce soir dans cette bagnole de sport, il est tout à fait vrai, et seules ses sœurs et Autumn le connaissent. Il ne prend rien au sérieux dès l’instant où il décide qu’il n’a rien à perdre.

C’est peut-être l’approche insolente de Carmine qui a déclenché la bombe en lui. Il veut lui faire payer sa tentative d’exposer publiquement ce lien tabou qui les unit. S’il s’est laissé tenir la laisse la dernière fois, entre les quatre murs rassurants de sa maison, il refuse de le laisser penser qu’il pourra garder son autorité sur lui durant toutes les occasions. Il ne sera pas son toutou, ce n’est pas dans son sang de se plier aux règles, et c’est lui qui décide avant tout s’il va s’agenouiller ou pas. Ce n’est pas Carmine qui lui a accroché la base de la cravate ; c’est Archie qui lui a tendu les rênes le temps d’un orgasme.

Alors il s’agite, s’excite parce que c’est ainsi qu’il a envie d’être ce soir. Le ronronnement du moteur de la voiture fait vibrer chaque pixel de sa peau et il a bien l’intention de profiter de cette balade sans qu’on ne lui impose quoi que ce soit en dehors d’une chambre. Ce n’est pas une unique vitre sans teint insonorisée qui le fera changer d’avis. Après avoir passé une vie entière à se protéger, il ne laissera pas tomber sa couverture en un claquement de doigt. Certes, le parfum de Carmine envahit l’habitacle et lui met l’eau à la bouche, et cette proximité suggérée fait bouillir le bout de ses doigts, mais il préfère faire durer le jeu jusqu’à ce qu’il se sente en sécurité. Il veut d’abord savoir où ils se rendent, à bord de ce bolide de rêve. Carmine ne lui présente pas la réponse tant attendue, tandis que le claquement des serrures résonne dans la grotte en cuir. « Si. » Il soutient son regard, la commissure de ses lèvres soulevée en un sourire immuable, tandis qu’il passe sa main dans sa barbe pour dissimuler sa déception. Ce n’est pas qu’il n’aime pas les surprises ; c’est qu’il a l’habitude de les organiser. On lui bande trop rarement les yeux. Il lui faudra un temps d’adaptation. « Nous pourrions négocier la réponse à ta question implicite ... » Il a dirigé ses yeux vers la route qui défile à sa droite. Le silence qui régnait, avant que Carmine ne le dérange, le bordait. D’un air détaché, il bascule sa tête pour lui faire face à nouveau. S’il tente de lire dans ses yeux, il n’en ressort aucune information. Cependant, il a bien compris qu’il ne le ramenait pas chez lui pour terminer cette nuit sur une note sans saveur. Mais, de quoi Archie a-t-il envie, réellement ?

Soulevant la main à sa cravate qu’il ne trouve pas, il esquisse une moue. Il avait presque oublié qu’il s’était vêtu sobrement pour replonger dans son adolescence. Il devait peut-être le prendre somme un signal qu’il s’était envoyé à lui-même. « Je n’ai pas l’intention d’être ton petit chien, si c’est ce que tu veux entendre. » Il dicte avec neutralité sans détacher ses iris des siens. « Je ne perdrai pas le contrôle ce soir. Tu ne me renverseras pas de thé sur la tête. » Haussant les épaules, il explique enfin : « À toi d’adapter la destination en fonction de cette information. » Serait-il capable d’inverser les rôles ?  

Alors ils joueront au roi du silence. Le premier à céder perdrait la partie, et Archie est aussi fort que Carmine à ce petit jeu mélodramatique. Le reste de la balade se fera dans le plus grand des calmes, tandis que les pensées de l’actionnaire tambourinent son esprit à lui arracher des grimaces de temps en temps. Certains diraient que c’est l’alcool qui agit, lui il dira que c’est sa machine à réfléchir qui commence à bouillir sous l’effort. Le pour, le contre, le oui, le non. Il n’a pas apprécié le ton avec lequel sa Majesté a modifié leurs souvenirs à son avantage. Il y aura toujours deux versions de l’histoire, et Archie ne sera pas prêt à accepter la seconde tant qu’il refuse de croire qu’il a le droit de se laisser aller au vice avec un homme comme lui. Vêtu de la tête au pied, et encore ébranlé par ce rapprochement public qui vient de se produire, il ne sait plus où mettre de la tête. Il est un cartésien, son esprit est carré tout autant que les émotions qu’il refuse de peindre dans son visage. La nuit sera longue s’il n’arrive pas à se laisser aller.

Pourtant, le nouveau paysage se prête à une mise à nue. Archie mentirait s’il prétendait être surpris de leur destination. C’est avec des yeux fort peu impressionnés qu’il se laisse aller à la contemplation de l’Emporium Hotel, qu’il a déjà fréquenté à maintes reprises. Cela dit, malgré sa richesse et son statut, il ne s’était jamais fait accueillir de cette façon ; les employés n’ont d’yeux que pour la vedette aux cheveux de blé, et certains murmures, qu’Archie affuble de froncements de sourcils, se font deviner dans les coulisses. Niveau discrétion, il n’est pas certain d’avoir coché la case. Celle de la paranoïa l’a été, plusieurs fois, jusqu’au noircissement complet à l’encre noire. Mais, pour ne pas en faire tout une histoire grotesque, il se laisse guider par Carmine sans lui reprocher quoi que ce soit, la tête toujours haute et l’air confiant, qu’il peut arborer même dans les moments où il ne se sent plus comme un poisson dans l’eau. Il n’aura rien à prouver à personne s’il arrive à se convaincre lui-même de savoir ce qu’il fait.

C’est l’odeur d’eucalyptus qui lui met la puce à l’oreille alors qu’ils longent un couloir de marbre à l’apparence infinie. De l’endroit découle une impression de calme absolu, tandis que les deux hommes se font dévorer par un silence de plus en plus épais. Un spa rien qu’à eux ? Ça, Archie aurait pu seulement en rêver. Dissimulant sa surprise derrière son faciès resté sévère, il remercie l’homme d’un signe de la tête quand il lui ouvre le battant de la porte. Lorsqu’elle se referme derrière eux, il sent tous ses membres se détendre et il lâche un soupir serein, la tête basculée vers l’arrière. Il en profite pour sonder le plafond à la recherche de caméras de surveillance. Pour le moment ; une seule au-dessus du comptoir d’accueil abandonné. « Sauna ? »

Ha. Ha. Il a perdu au jeu du roi du silence.

« Non. » Ce n’est pas à Carmine de choisir. Archie s’est déjà fait à une autre idée depuis que le joueur de rugby s'est froissé les muscles. Faisant signe au mannequin de le suivre, ignorant quelconque objection qu’il pourrait avoir, il récupère deux robes de chambre et deux serviettes avant de se frayer un chemin jusqu’à la salle de massages, dont il a repéré l’enseigne à l’entrée. Elle se présente simplement : un sol pavé de roches arrondies, des lumières tamisées, une dizaine de mètres carrés et trois tables de massages, séparées grossièrement par des paravents en bois. Se tournant vers Carmine, il se dévêtit pour lui montrer l’exemple. Seulement paré de ses boxers, il s’enveloppe d’une des robes de chambre. D’un regard entendu, il propose au garçon de s’installer sur la table tandis qu’il se dirige vers une armoire où sont disposées huiles et crèmes de massage. « Une préférence pour le parfum ? »

Il fait exprès. Il teste la patience de sa Majesté qui a l’habitude d’intercepter toute l’attention. Le moindre battement de cil soulève les caméras et les flashs, mais ce soir Archie ne lui ferait pas cadeau de cette normalité acquise. Autant parce qu’il veut lui faire payer son manque de retenue en public, autant parce que ça lui fait plaisir de découvrir le personnage sous le masque. Jusqu’à présent, Carmine s’est montré très fidèle à son image aux millions d’abonnés mais il a su entrevoir quelques failles qui pourraient hérisser le poil de la majorité. Pas le sien, parce qu’Archie ne se laisse pas intimider si facilement. Il connait toutes les techniques de manipulateur, les employant lui-même quotidiennement pour parvenir à ses fins. Il en faudra plus à Carmine pour l’ébranler. Bien plus que des soupirs, des sourcils froncés et des onomatopées de mécontentement. Il lutte pour ne pas faire un tour sur lui-même afin de contempler la nudité de l’homme, concentrant toute son attention à la lecture des étiquettes de produits cosmétiques dont il ne connait trop peu les bienfaits. Il fréquente bien moins souvent les spas que Carmine, visiblement, qui sait comment placer sa serviette sur la table de massage avant de s’y poser humblement. « Menthe poivrée. »  Le choix lui arrache un rictus amusé que son interlocuteur ne pourra pas avoir le plaisir de découvrir. Il passe ses doigts à travers les bouteilles, cherchant une illustration de feuille de menthe, mais les fouilles ne sont pas satisfaisantes. Tant pis. Il enroule sa main autour de la bouteille à l’eucalyptus puis se mord la lèvre inférieure, réfléchissant à cet obstacle qui se présente à lui de manière inattendue. L’eucalyptus, tout comme la menthe, est une plante qui ferait brûler la moindre plaie ouverte. S’il a l’intention de prolonger le massage au-delà de ce que les services de l’hôtel peuvent offrir, il vaudrait mieux choisir un parfum qui n’agresse pas. Se râclant la gorge, il continue ses recherches et jette son dévolu sur une huile de jasmin. Il en lit quelques lignes de l’étiquette, constate qu’elle est proposée en ajout dans les bains. Ça fera le boulot.

Il se retourne, constate le corps dénudé de Carmine apaisé sur la table. Le tracé de ses muscles est magnifique. Au niveau de ses omoplates contractés, ils forment des masses solides et arrondies. Il profita du silence pour monter à son niveau sans un mot, dévissant le couvercle de la bouteille d’huile, dont il hume le parfum afin de s’assurer de son intérêt. Muet, il en verse une petite quantité au milieu du dos du mannequin et il entreprend d’y glisser d’abord une paume, puise la seconde, effectuant des tracés linéaires de bas en haut. Sa peau est chaude et se replie en petites vagues sous son touché. « J'ai trop bu. » Il fronce les sourcils, cessant son mouvement un instant. Est-il en train de sous-entendre qu’il a envie de vomir ? « Je ne souhaitais pas te stresser. » Oh. C’est tout autre chose. Silencieusement, Archie reprend son travail. Il est intrigué d’entendre la suite. « Je m'excuse. Peut-être que j'étais un peu jaloux. » Il décide de ne pas répondre aussitôt. Il glisse jusqu’à ses omoplates, qu’il pétrie avec autant de rigueur, puis il laisse chacune de ses mains partir de part et d’autre de son axe symétrique, adoptant chacune un bras. C’est plus facile d’affronter cette discussion puisqu’ils ne se regardent pas. « Un peu jaloux ? » Il soulève à voix basse. Plus jeune, il aurait avalé cette confession avec gourmandise. Il adorait rendre jaloux parce que c’était sa manière de se sentir désiré. Aujourd’hui, c’est différent. Il ne cherche plus le même genre d’attention. « Jaloux de ces filles que je n’ai plus jamais rappelées ? » Il admet dans un gloussement subtil, tandis que ses doigts pianotent dans son cou et à la base de son cuir chevelu.

« Tu ne m’as pas stressé. » Il reprend d’un ton neutre. « Tu m’as surpris. Je pensais que nous avions un accord. » Personne ne doit être témoin de leur liaison. Les journaux auraient bien trop plaisir à vanter cette trouvaille et les deux garçons perdraient la majorité de ce qu’ils possèdent.      

À sa manière, Archie reprend les rênes. Il n’y a rien de nouveau pour lui dans cette interaction, si ce n’est que le paysage de fleurs japonaises et l’absence de silence entre ces quatre murs de la détente. Ce n’est pas la première fois qu’il pétrie le dos d’une autre personne, bien que cette consistante musculature ne vienne pêcher aucun souvenir précis dans sa mémoire. Il a touché des centaines de peau, seulement celles de femmes, et la première chose qu’il remarque dans la texture de celle de Carmine, c’est qu’elle paraît plus endurcie. La chair se malaxe sous ses paumes, forme des masses zigzaguées de zébrures ; la texture de son muscle qui vient épouser son épiderme. Le ton de leurs voix est doux. Il secoue le silence sans le fracturer. La discussion prend des allures de confessions tandis que le mannequin lui demande pardon. Si le geste surprend Archie, il ne le laisse rien paraître et continue d’enduire son corps d’huile au jasmin. L’odeur lui parvenait déjà aux narines, mais quand il s’approche de son dos, duquel rayonnent des vagues de chaleur, il peut le sentir jusqu’au dernier atome. Il se mélange au parfum d’homme de Carmine. Une formule subtile, équilibrée, qui fait traverser des vibrations dans le corps du massothérapeute de circonstance. Il l’a bien vérifié avant d’inviter le garçon à se coucher : la salle n’est pas munie de caméras, certainement pour assurer l’intimité des clients.

Il est question de jalousie. Archie aurait pu imaginer tout un tas de défauts à sa Majesté. Des défauts qu’il partage avec lui, d’ailleurs, mais qui paraissent tellement plus visibles quand ils se présentent chez autrui. La jalousie est le dernier qu’il aurait nommé. Comme un personnage aussi idolâtré que lui pouvait-il envier la popularité ailleurs ? Le monde entier lui embrasse les pieds. Et, aux dernières nouvelles, Archie et lui ne sont rien du tout. « De la place qu'elles prennent dans ta mémoire. » La mention le mène à la réflexion. Parler de ces femmes qui ont ponctué son passé, c’est sa manière de se faire la morale et de se rappeler qu’il s’est fait trop de promesses pour les briser aujourd’hui. Hélas, c’est trop tard, et l’énumération de ces partenaires sexuelles à la longue chevelure s’apparentait davantage à de la vantardise. Mais il n’y a rien à vanter auprès d’un homme qui claque des doigts pour obtenir. Archie s’est toujours considéré chanceux avec ces demoiselles – cela dit, il n’ose pas imaginer la chance dont Carmine a hérité avec sa couronne. « Je ne saurais plus poser un nom sur leurs visages. » Si ça peut le rassurer.

« Et je pensais que nous étions seuls. » Il s’attarde à la hauteur de son cou, qu’il modèle de ses dix doigts. Il veut l’entendre couiner de plaisir. La satisfaction et la fierté le submergent à chaque fois qu’il lui arrache un gémissement. Ces derniers ne le laissent pas indifférents. « J'éviterai l'alcool en ta présence, à l'avenir. » Il glousse clairement et se redresse un peu. Il fait patiner sa main jusque dans le bas de son dos. Se mordant le bout de la langue, il apprécie la rondeur de ses fesses. « Tu n’as même pas terminé ton verre. » Il pense à voix haute, contournant la table de massage pour se retrouver de l’autre côté. Il tartine ses mains d’une nouvelle couche d’huile au jasmin et entreprend d’apaiser la jalousie de ses lombaires. Ses pouces s’enfoncent dans sa chaire de part et d’autre de sa colonne vertébrale. Il la longe jusqu’à ce qu’il retrouve ses épaules déjà plus détendues. Il approche ses lèvres de son oreille. « Je ne pourrai pas terminer le travail si tu ne te retournes pas. »          

« Remercions ma présence d'esprit. » « Ou blâmons ta faible tolérance. » Il renvoie sur le même ton à demi provocant, ne comptant pas le froisser réellement, souhaitant plutôt faire prolonger cette guerre de piques entre lui et sa majesté pour qu’ils franchissent la ligne d’arrivée en même temps. Aucun des deux n’a le droit de se mettre sur un piédestal. Ce devrait être inscrit sur leur contrat tacite. Dans tous les cas, Archie ne voulait pas que Carmine oublie que, ce soir, c’est l’anglais qui a dérapé et que, pour cette raison, il ne mérite pas de prendre les décisions à sa place. Pas de sauna. C’est au tour de l’homme d’affaire de retrouver sa place sur le trône et d’assaisonner cette soirée avec ses herbes favorites. À la fin, il se doute que Carmine trouvera le plat à son goût même s’il n’a pas dirigé sa préparation. Il doit bien récolter un peu de plaisir au détour de la surprise et de l’inconnu même s’il a passé toute sa vie à contrôler la température de l’environnement dans lequel il se trouve.

Il n’y avait plus vraiment de secrets quant au déroulement de cette soirée. D’abord, Archie a pu satisfaire son désir de savoir en pétrissant le dos de Carmine jusqu’au moindre pixel d’épiderme. Désormais, c’est son revers qu’il veut admirer, sonder de ses doigts aventureux. Bien sûr, il n’annonce pas la suite telle qu’elle sera. D’abord, il avise le garçon d’une probabilité, celle d’étendre le massage par-delà les limites de la chasteté. Se reculant de quelques centimètres, il laisse la place à Carmine pour se retourner et son regard se visse au mouvement qui froisse les muscles de son flanc tandis qu’il entame la manœuvre. Il s’humecte les lèvres sans vraiment en avoir conscience. Son imagination survole les possibilités. Il se perd dans sa contemplation et, bien trop appâté pour réaliser la prochaine action de Carmine, il se fait surprendre par la poigne qui reprend possession de son col. Il l’aura finalement eu, ce baiser-là. Mélangeant sa langue à la sienne, il ne réalise pas que son souffle a été coupé par l’étonnement. Ses paupières se sont fermées dès le contact de leurs lèvres, et, déjà, ses ongles s’enfoncent dans la table de massage pour chercher un ancrage, un seul petit ancrage, qui pourrait l’empêcher de tomber dans le trou du lapin. Mais c’est bien trop tard. Les hormones font leur effet. L’interdit multiplie ses sensations, et il se retrouve bien rougi quand leurs visages se séparent. Lâchant un soupir de désir, il lance un regard noir à celui qui l’aura finalement vaincu, mais il ne le condamne pas avec des mots. Son silence pesant suffit à lui envoyer le message. Il est pourtant trahi par la commissure de ses lèvres, soulevée par le contentement.

Deux orgasmes à la synchronisation dont peuvent seulement rêver les amants fougueux. Un instant, Archie se plonge dans la contemplation du moment ; il retient les sons, les textures, les frissons qui peu à peu réduisent leur portée maintenant que les deux corps se détendent. Le baiser se prolonge plus doucement. Il est passé de la bestialité à une tendreté dont seul Carmine semble connaître le secret pour mieux le partager à un garçon qui n’a jamais pris le temps d’aimer correctement. Ses paupières battent comme les ailes d’un papillon. Le souffle s’échappant de sa gorge est sec et ne fait plus réverbérer les gémissements. Le calme plat. L’ambiance sonore de la salle de massage les borde aux creux de ses cigales et sauterelles crépitantes.

Il sourit. Puis il réalise qu’il sourit, et ça rend le sourire tout à fait plus beau. Son visage se décolle de celui de son amant. Sa main se dérobe de sa poigne puis ses lèvres accueillent une grimace innocente à la vision de la chevelure souillée de Carmine. « Bouge pas. » Il propose plus qu’il ordonne, se redressant doucement pour s’assurer d’arriver à marcher sans tomber dans les pommes. Il s’abaisse pour atteindre l’une des serviettes blanches roulées en boudin dans une armoire basse. Quand il revient, il a terminé d’astiquer ses doigts. Il surplombe Carmine et d’un regard attentif, la bouche à moitié ouverte, il vient essuyer ses quelques mèches. Quand il termine de soigner son image, il replace sa coiffe avec sa main, s’attarde une seconde de trop à ses pointes qu’il prend le temps de loger derrière ses oreilles. Seulement après s’être perdu dans ses yeux où il jurerait apercevoir une lueur attendrie, certainement un reflet des siens, il se racle la gorge et se recule de quelques pas. Une boule s’est formée dans ventre. Il réalise ce qu’il vient de faire pour la deuxième fois. Un combat fait rage dans son cerveau en ébullition. La honte mène une lutte contre l’affection. Pour ne pas laisser la première prendre le dessus, il s’exclame : « Quel est le numéro de notre suite ? »

***

Une grande et spacieuse suite, bien sûr. Des rideaux aux allures du toit d’une chapelle retombent en lambeaux épais de part et d’autre de la fenêtre immense donnant une vue sur Brisbane et son entièreté. La mer en fond, la nuit envoûtante en couleur dominante, et autant d’étoiles dans le ciel que sur les surfaces bétonnées des bureaux, où certains travailleurs refusent de rentrer chez eux pour retrouver leur femme et leurs enfants. Dans la main d’Archie, une coupe de vin se fait vider à chaque goulée. Il sent la présence de Carmine derrière lui, comme un ange gardien ou un petit démon sur son épaule. Pour ne pas découvrir ce qu’il est vraiment, il rompt le silence. « Ça a toujours été les hommes ? » Sa question mérite des éclaircissements. « - qui te plaisent. » Il précise en se tournant pour lui faire face, assemblant sa silhouette à la nuit étoilée peinte derrière lui désormais.