give me your love and physical affection, give me the worst of you to hold
Essoufflée, Constance n'entendait plus que son coeur battre la chamade. Un rythme assourdissant, auquel sa respiration tentait de s'adapter. L'air de la pièce lui semblait bien frais au contact de sa peau encore un peu humide de transpiration. Ils retrouvaient tous les deux un peu de calme au fil des minutes qui s'écoulaient, sans échanger le moindre mot. Elle aimait sentir les doigts du médecin à peine frôler sa peau, ça la faisait sourire. Constance était bien heureuse, à ce moment, ressentant cette satisfaction qu'elle n'avait pas connu depuis longtemps. Elle était là où elle devait être, c'est-à-dire auprès d'Elwood. Bien sûr, elle aurait préféré que ce soit en des circonstances différentes, qu'ils n'aient pas à cacher ainsi leur amour aux yeux de tous. Quoi que leur secret ajoutait une touche d'excitation, mais à quel prix ? Cela ne valait rien à côté d'un mariage ou d'une vie de famille, ce à quoi elle rêvait réellement. Elle avait croisé ses doigts avec les siens alors qu'elle y pensait, jusqu'à ce qu'elle commençait à se sentir fatiguée. Sans ouvrir la bouche, elle se redressa afin de se vêtir de sa chemise de nuit et de sa robe de chambre et dégagea ensuite ses cheveux de ces deux couches de tissu. Elle échangea un dernier regard amoureux avec son amant avant de se rendre dans sa propre chambre sur la pointe des pieds. Elle s'endormait sans grand mal. Le lendemain, Constance avait passé une partie de la journée avec Eleanor, qui réclamait avoir un peu de sa compagnie avec elle. Le genre de demande que la benjamine ne pouvait guère lui refuser, parce qu'Eleanor respectait au possible les moments de solitude dont elle avait besoin. Et puis, il ne lui restait qu'une toute petite poignée de mois avant qu'elle n'accouche, elle commençait à avoir besoin d'aide pour beaucoup de choses et elle minimisait les déplacements. Les jours défilaient, sans que Cole et Constance ne puissent passer beaucoup de temps ensemble. Ils se croisaient quelques fois à la bibliothèque et profitaient volontiers d'une lecture ensemble. Mais Peter disait vouloir mettre de côté ses impératifs pour passer un peu plus de temps avec son épouse. Peut-être un message subliminal pour montrer au médecin qui était le mari et qui était celui qui ne l'aurait jamais. S'il savait. Il s'efforçait alors de lui faire plaisir tout en la monopolisant au possible. Nul doute qu'il devait être amoureux lui aussi, mais d'une bien étrange façon. Une présence, beaucoup de cadeaux, certes, mais sans véritablement s'intéresser à tout ce dont elle pouvait se passionner. Cela semblait lui plaire, qu'elle ne soit pas si bavarde. Elle l'était encore moins dernièrement, ayant une bien petit forme. Un manque d'appétit, une fatigue certaine, des sensations de vertige. Elle misait cela sur le fait que son époux ne le lui laisse aucun moment seul, aucun véritable répit. A vrai dire, tout était fait pour qu'elle ne se retrouve plus dans la même pièce que le médecin. La méthode de Peter était plutôt bien construite, parce que cela fonctionnait avec brio. Ce n'était pas comme s'ils pouvaient rattraper le temps perdu en s'échangeant des regards à table. Il commençait à lui manquer cruellement, à savoir qu'ils étaient sous le même toit, mais qu'ils ne pouvaient pratiquement jamais être dans la même pièce. Chaque soir devenait un nouvel espoir à l'idée de le retrouver et de pouvoir partager quelques moments intimes pendant que tous les autres dormaient. Les jours passaient, cela était le synonyme d'une éternité pour elle. Sa présence, sa voix, ses paroles, absolument tout venait à lui manquer. Eux qui espéraient qu'ils se retrouveraient régulièrement dans le plus grand des secrets, ils désenchantaient tous les deux mais ne se laissaient pas abattre. Deux semaines s'étaient écoulées avant que Constance ne puisse avoir quelques heures véritablement seule, dans la même salon où Elwood avait su la trouver après qu'elle ait appris qu'il allait bientôt partir. Mais cette fois-ci, c'était lui qui était là avant elle. Elle fermait discrètement la porte derrière elle avant de le serrer dans ses bras, de glisser une main dans ses cheveux. "Dieu merci, je peux enfin être un peu avec vous." souffla-t-elle avec un soupir de soulagement. C'était comme si elle retrouvait toute sa vitalité en étant dans ses bras. "Vous me manquez tellement." Après de longues minutes d'étreinte, elle l'embrassa longuement et langoureusement, se fichant bien de l'heure qu'il était, son visage entre ses mains toujours bien froides. "Eleanor me sollicite beaucoup, et je suis là pour elle. Et Peter veut me consacrer plus de temps, selon ses dires." Il était évident que personne sous ce toit ne voulait qu'il y ait un rapprochement entre eux. Après le moment de retrouvailles, ce petit moment de bonheur, la petite blonde desserrait son étreinte, soudainement beaucoup moins sereine. Elle baissait ses yeux, bien nerveuse. "Il faut que je vous parle de quelque chose." lui souffla-t-elle. Son coeur s'accélérait, sa bouche devenait sèche. "Il y a... Ca fait plusieurs jours que je ne me sens pas très bien. Je ne voulais pas vous solliciter parce que je ne voulais pas qu'il y ait quoi que ce soit qui puisse nous trahir, et je ne voulais pas vous inquiéter, je..." Constance soupira. "Je pensais que ça passerait, à vrai dire. J'ai l'habitude d'être malade." Un petit haussement d'épaules accompagnait ses paroles. Elle se torturait les doigts, regardait parfois un peu ailleurs. "Mais, ce matin, ça n'allait pas vraiment non plus et Eleanor l'a bien vu et elle m'a suggérée de venir vous en parler pour avoir votre avis..." Des larmes bordaient ses yeux. Elle aurait bien voulu tourner encore un peu autour du pot, coudre un peu autour avant d'arriver à ce moment fatidique. Mais elle ne pouvait plus y échapper. "Je... Je pense que être enceinte, Cole." C'était une annonce à laquelle il fallait s'attendre. La problématique n'était pas là, c'était le fait qu'elle ignore qui en était le père.
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Sous le toit gris du manoir Keynes, il ne fut finalement pas beaucoup plus simple de passer du temps à deux pour Constance et le médecin. La grande majorité de leurs contacts étaient visuels. L'un d'un côté de la table de la salle à manger, l’autre à l'opposé. Quelques sourires, trop rares. Les conversations communes avec la famille étaient quasiment leur seule occasion d'entendre le son de la voix de l'autre, en dehors des formules de politesse qui ponctuaient la journée, matin, midi et soir. Cole passait toutes ses matinées à Canterbury. Le rythme effréné des visites rendait les heures trop courtes. Il n’avait pas encore trouvé le temps de se pencher sur la recherche d'un remplaçant, et cela l'inquiétait peu à peu. Les mois avant son départ ne seraient jamais trop nombreux afin de rassurer Elwood sur les capacités de son futur apprenti à prendre la relève. Mrs Durden fut particulièrement attristée d'apprendre la décision prise par le médecin de partir en voyage à la fin de l'année. Elle ne lui souhaita que le meilleur malgré tout. D'autres patients lui firent part du goût doux amer que leur laissait cette nouvelle à l'heure où Cole recommençait tout juste à s'installer, et eux, à se réhabituer à lui. Le brun fait de son mieux pour ne pas se laisser miner, ou pire, influencer, par ces réactions. C'était une opportunité unique, je répétait-il, de celles qui n'apparaissent qu'une fois dans une vie. Elwood déjeunait chez lui parfois et profitait d'une heure seul, sachant qu'une fois de retour au manoir, la tranquillité ne serait qu'un souvenir lointain, un luxe. Certes, il aurait voulu passer plus de temps avec Constance, mais il savait se contenter de sa vie au détour d'un couloir de temps à autre, ou dans son champ de vision durant les repas. Il n'était guère demandeur, ni jaloux, et au contraire, particulièrement patient. Il avait toujours su être heureux avec peu et acceptait ce qui lui était donné, permis, tel quel sans en réclamer plus. Cette relation clandestine était susceptible de leur coûter beaucoup, mieux valait être raisonnable et se plier aux contraintes que les Keynes s'évertuaient à mettre entre eux, être des roseaux. Cole fut comprendre qu'il passerait un moment à la bibliothèque ce jour là, et il s'installa dans le petit cabinet de Clara. Il avait, avec lui, le premier roman qu'il avait lu à Constance. Il ne savait plus combien de fois il l'avait terminé et recommencé. Mais il ne l'ouvrit pas ; il savait que la jeune femme comprendrait le message et le rejoindrait, et cela tarda moins longtemps qu'il ne l'aurait cru. La petite blonde vint immédiatement se blottir dans ses bras, et il l’y serra délicatement. “Allons… Je ne suis jamais loin, vous le savez bien.” murmura-t-il en caressant ses cheveux et en déposant un baiser sur son front. Le médecin la laissa trouver un peu de paix tout contre lui aussi longtemps qu'elle le souhaitait. Lui profitait de cet échange en fermant légèrement les yeux. Il humait le délicat parfum qui émanait d'elle, comme si cela le rechargeait en courage. Ce dont il aurait besoin pour appréhender la suite de la conversation. Elwood fut immédiatement inquiet. Nul homme ne savait savoir la femme qu'il aimait se sentir souffrante, et il n’avait pas oublié le malaise de la jeune femme il y avait quelques mois de cela. Elle possédait un métabolisme fragile, et il était difficile de déterminer si elle était affectée facilement par de petits maux, ou de plus importants dont il ne se douterait que trop tard. La distance instaurée entre eux par le reste de la famille ne lui avait pas permis de remarquer le moindre symptôme chez Constance, pourtant il s'en blâmait. Attentif, il gardait ses mains posées sur ses frères épaules, et il fronçait des sourcils par moments. Jusqu'à ce qu'elle lui avoue suspecter une grossesse, et alors ses mains glissèrent le long des bras de la jeune Dashwood, sa tête, sonnée par le choc de la nouvelle. “Oh…” souffla-t-il, décontenancé. Son coeur se serra, puis commença à galoper. Ses doigts, moites, se rangèrent dans ses poches. Et son regard s'abaissa, inspectant au passage le corps de Constance à la recherche de signes évidents -car il n'était aucun autre moyen fiable d'en avoir le coeur net que d'attendre, ou de se fier à quelques changements physiques susceptibles de mettre sur la voie. Quelqu'un avait dit un jour qu'il était possible de déterminer qu'une femme était enceinte d'un simple regard, et sur le moment, il y crut. Il ne doutait pas de l'instinct de Constance et s'il lui murmurait qu'elle attendait un enfant, alors il s'y fiait. Et pas à un seul instant ne doutait-il que Peter en soit le père, pour la simple raison que celui-ci avait mis toutes les chances de son côté pour cela, tandis que le premier rapport qu'il avait eu avec Constance ne remontait qu'à un mois, et que pareils symptômes ne seraient pas si intenses si rapidement. De plus, le médecin pensait que la jeune femme ne lui parlerait pas de cette hypothèse avant d'avoir noté plus d'un mois, voire deux, sans saignements, et cela écartait toute possibilité qu'il soit le géniteur de l'enfant. Tout ce que son esprit, qui rationnalisait l'information dans la panique, ne parvenait à déterminer, était ce qu'il ressentait vis-à-vis de cette conclusion. “Pardonnez-moi, je ne sais pas quoi dire. Je… Des félicitations sont de rigueur.” Lorsqu'aucune autre option ne se présentait, être poli était toujours la meilleure solution, c'était ce que sa mère lui avait enseigné. Même si cela pouvait paraître hypocrite ou cynique, il avait appris qu'il était préférable d'articuler ce genre de phrases plutôt que de ne rien dire. La politesse ne pouvait pas vexer autant que le silence. “Vous devriez annoncer la bonne nouvelle à Peter.” Quoi qu'il fut sûrement plus sage d'attendre encore que cette suspicion se confirme plutôt que de risquer de lancer de faux espoirs. Un Keynes ne saurait pas accepter pareille déception. Du revers d'une main, Cole essuya les larmes qui roulaient sur les pommettes de Constance. Il avait conscience qu'aux yeux de celle-ci, cette annonce était un désastre, mais il ne voulait pas qu'elle se sente aussi désarmée. “Ne pleurez pas. Un bébé est une véritable source de bonheur, vous verrez. Vous l'aimerez de tout votre coeur, et il vous adorera en retour. Tout ira bien.” Malgré ses paroles, aussi maladroites qu'il tentait de se montrer réconfortant, Elwood n'oubliait pas une chose qui le peinait autant que cette nouvelle ; c'était encore une promesse qu'il ne pourrait pas tenir, celle d'être présent pour sa première grossesse, et mettre cet enfant là au monde.
give me your love and physical affection, give me the worst of you to hold
“Cela est déjà bien trop loin pour moi.” souffla-t-elle en se blotissant un peu plus contre lui comme si cela était encore possible. Une sorte de dépendance s’était construite au fur et à mesure de la relation, depuis les débuts. Sa présence la rassurait, la rendait heureuse et les Keynes refusaient qu’un homme n’étant pas de leur famille ne le puisse. Seulement, Elwood était bien la seule et unique personne capable de soulager tous les maux de sa bien-aimée, que ce soit physique ou mental. Cela mettait la famille d’aristocrates en rogne qu’il soit doté d’un tel pouvoir. Mais cette dépendance avait fini par s’accroître à force de s’être rapprochés et de se connaître un peu plus, jusqu’à ce que toutes les barrières soient tombées. Constance ne s’en plaignait pas. Et bien qu’elle en souffrait la grande majorité du temps, elle était bien heureuse de le retrouver à chaque fois et de se sentir à nouveau sereine et entière, parce qu’il n’y avait qu’auprès de lui qu’elle avec un tel sentiment de complétude. Ses bras étaient synonymes de refuge, ses baisers de tendresse et elle manquait cruellement de tout ceci. Les simples regards ne lui suffisaient plus. Certes, le fait de savoir entre ces murs l’éloignaient d’un sentiment de solitude qui était devenu omniprésent. Ils se faisaient confiance l’un l’autre, leur loyauté était quasiment infaillible. C’est pourquoi Constance voulait se montrer entièrement honnête envers lui et partager les secrets, mêmes les plus difficiles pour elle. Le médecin semblait véritablement inquiet de la récente fatigue de son amante, il voulait se montrer fort pour elle. Mais toute énergie disparut de son corps lorsqu’il entendit résonner ces quelques mots dans sa tête. Cela faisait énormément de mal à la jeune femme de le voir si dépité et abasourdi. Elle se mit à jouer nerveusement avec ses doigts, ayant une soudaine envie de boire un peu d’eau tant sa gorge était sèche. Vu l’expression de Cole, il n’avait pas espérer, à un seul moment, même pendant une fraction de seconde, que si enfant il y avait, il pouvait être le sien. Certes, les chances étaient infimes, mais cela restait possible. Un lourd moment de silence envahit le petit salon. “Les félicitations ne sont pas vraiment de rigueur.” répondit-elle avec un sourire bien triste, le regard tout aussi bas que celui de Cole. Il était le premier à savoir que la petite blonde ne se sentait absolument pas prête à être enceinte, et encore moins d’un petit Keynes. Il faisait certainement preuve d’optimisme juste pour lui donner du courage, rien de plus. “Non, je… Je préfère attendre un peu avant de dire quoi que ce soit.” confessa-t-elle, la voix tremblante. “C’est Eleanor qui en est persuadée, elle a voulu que je vous en parle pour avoir votre avis sur la question. Mais elle, elle est bien sûre de ce qu’elle avance.” Elle haussa vaguement les épaules. “Je...J’aurais du saigner il y a un peu moins de dix jours et ce n’est toujours pas arriver. Et je n’ai jamais eu de… retard par rapport à ça. Je me sens fatiguée, certes, mais ce n’est pas plus que d’habitude, et j’ai des nausées depuis quelques jours et c’est cet ensemble de données qui lui a mis la puce à l’oreille.” Constance aurait aimé que sa soeur ait tort. Que d’ici quelques jours, elle aura la preuve évidente qu’elle n’attend pas un enfant à son tour. Pourtant l’aînée avait le flair pour ce genre de choses et c’était bien ce qui effrayait sa soeur. Au point que cette dernière ne finisse par sangloter. Elwood tentait de faire au mieux, de respecter son rôle et de toujours faire preuve d’optimisme. Pendant qu’il parlait, elle secouait négativement la tête, prenant ses paroles pour des sornettes. Elle n’arrivait pas à s’imaginer qu’elle se mette subitement à aimer cet enfant une fois qu’elle l’aura dans ses bras alors qu’elle n’éprouvait qu’une profonde peine lorsqu’elle se pensait enceinte. A vrai dire, il n’y avait qu’une option qui pouvait lui donner un semblant de courage. Elle continuait de pleurer pendant plusieurs minutes. Il parait que les grossesses rendaient certaines femmes plus émotives, aussi. “Avez-vous songé que… Qu’il y ait cette toute petite chance que… Si je suis effectivement enceinte, cet enfant puisse être de vous ?” lui demanda-t-elle en hoquetant. Elle ignorait si cela pouvait être une bonne ou une mauvaise nouvelle pour lui. Mais pour Constance, cette possibilité lui donnait un espoir. Maigre, certes, mais peut-être suffisant pour accepter son éventuelle grossesse. Elle ne voulait certainement pas un enfant de Peter, mais en avoir un de Cole lui semblait bien plus envisageable, et bien plus acceptable. Après tout, pourquoi n’était-elle pas tombée enceinte plus tôt si c’était bel et bien l’enfant de Peter ? Elle aurait pu l’être dès les première semaines qui avaient suivi leur mariage. Alors, pourquoi maintenant ? C’était la principale question que se posait la petite blonde. Peut-être qu’elle délirait, peut-être qu’elle en faisait finalement que s’accrocher à ce qui pouvait la faire espérer – et ça marchait. “Je ne serai pas une bonne mère, je n’ai aucune idée de ce que je devrai faire.” Constance n’avait aucun exemple, elle n’avait aucun souvenir de sa mère. “Je ne saurai même pas comment le porter, le nourrir, le rassurer. Je ne saurai pas lui donner… une enfance heureuse. La première fois que j’ai porté un bébé, c’était avec vous, avec cette pauvre femme.” Un souvenir qui l’avait profondément marqué et qui n’égayait guère l’image qu’elle avait de la maternité et de l’accouchement. “Et je ne pense pas que cela puisse s’apprendre dès que je l’aurai dans mes bras… Je suis dépourvue de la fibre maternelle, je ne sais pas ce que c’est.” A ses yeux, elle ne pourrait rien apporter à son propre enfant. Elle ne pensait pas être une bonne didacte, ni être dotée de cette tendresse qu’avaient toutes les mamans qu’elle avait pu croiser et qu’elle avait déjà su repérer dans le regard d’Eleanor alors qu’elle n’avait pas encore accouché. Sentant ses jambes faiblir suite à un violent vertige, elle s’installa sur le canapé qui se trouvait derrière elle, dissimulant son visage à l’aide de ses deux mains. C’était comme si l’épée de Damoclès venait de s’abattre sur sa tête. La grossesse, le départ imminent de Cole… A ses yeux, à cette heure, rien ne pouvait être pire que cela. Elle n’avait pas d’autres choix que d’attendre de voir si elle était effectivement enceinte et elle aviserait selon ce que le temps lui annoncera. Mais l’angoisse de l’être la pétrifiait pour bien trop de raisons. La première étant qu’Elwood ne serait pas là pour l’accouchement. Elle aurait tellement aimé que ce soit son enfant à lui. A vrai dire, elle n’avait plus que cela à s’accrocher désormais.
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Constance se liquéfiait devant lui, et il n’était rien que Cole puisse faire pour l'en empêcher. Il était présent, comme à son habitude, et il se montrait aussi optimiste qu'il en était capable face à une nouvelle pareille, mais son empathie pour la jeune femme prenait le dessus, et il sentait sa détresse comme si elle était la sienne. Il n’avait pas d'expertise à ce sujet, n'importe quel test qu’il connaisse permettant de confirmer une grossesse demandait du temps, et d'après lui, les symptômes déjà présents ne permettaient pas d’émettre un doute. Peut-être était-il déjà résigné à cette idée également. Il voyait là le point final de leur histoire qui arrivait bien trop tôt. Car il n’était plus question de toucher une femme enceinte, encore moins d'un autre, d'autant plus si cet autre est Peter. Puis il partira pour l'Égypte, l’enfant sera là et déjà bien grand à son retour. Constance l’aura oublié, et aura à coeur d'être fidèle à son époux ainsi qu'à son rôle de mère. Tout ceci formait un tout bien assez difficile à accepter, auquel la petite blonde ajoutait son évidente envie que l'enfant soit du médecin plutôt que de son mari, ne semblant pas songer une seule seconde à ce que cette possibilité impliquerait pour elle et le bébé. Elle ne le savait pas elle-même, mais ce cas de figure était la dernière chose qu'elle pouvait souhaiter. Et Cole également. “J-je ne sais pas. Cela me paraît assez peu probable… mais qui sait.” Elwood n'osait pas balayer la possibilité aussi brutalement qu'il le pourrait, mais il selon les dates, cela lui paraissait incongru de nourrir pareil espoir. Quoi que ce que lui espérait était bien différent. Il n’était pas prêt à avoir un enfant à nouveau, il ne le voulait pas ; le souvenir d’Annie était encore trop ancré dans son esprit, la culpabilité, la peur de refaire les mêmes erreurs, de ne pas être à la hauteur. “Nous ne le saurons jamais vraiment.” ajouta-t-il tout bas. Jamais rien ne le confirmerait ou ne l'infirmeriait. Le temps, peut-être, des ressemblances qui apparaîtraient, des mimiques semblables. Néanmoins, Cole et Peter avaient bien des similitudes physiques, et cela allait de leurs cheveux bruns à leurs yeux clairs. Au final, l’un ou l'autre, qu'est-ce que cela changerait pour eux tous ? Que cela soit vrai ou non, le bébé sera un Keynes, élevé ici, par eux. Et ce n'était qu'en ayant une femme comme Constance comme mère que le petit pourrait espérer s’en sortir mieux que le reste de la famille -ce dont elle doutait, n’y allant pas de main molle concernant sa prétendue absence de fibre maternelle et de la moindre qualité en la matière. La panique précipita l'effondrement de la jeune femme qui s'installa dans le fauteuil au premier vertige. La situation la dépassait, les dépassait, néanmoins Cole s’en trouvait particulièrement extérieur malgré sa compassion pour Constance. D'une certaine manière, une partie de lui était d'or et déjà sur le départ, prête à partir d'ici, et cela lui faisait voir les évènements avec un brin de détachement. Il savait qu'il ne serait pas là pour voir l'évolution de cette situation. Il savait qu'il ne serait pas présent pour soutenir celle qu'il aimait. Mais surtout, il savait que si grossesse il y avait, tout ce qu'il existait entre eux devait disparaitre. Et Cole était passé expert en deuil. Accroupi face à la jeune femme, il posa ses mains sur ses épaules. Il ne l'a forçait pas à ôter ses mains de son visage si elle souhaitait le couvrir de ses doigts, il ne l'obligeait pas à le regarder si elle préférait être en elle-même. Mais il était présent. “Ne dites pas ça, c'est entièrement faux. Personne ne sait comment ces choses fonctionnent. On se contente de faire au mieux. Et je sais que vous n'êtes pas du genre à laisser tomber, pas pour votre famille, alors encore moins pour votre propre chair et sang. De plus, vous aurez votre soeur pour vous épauler. Vous aurez tout le monde ici. Ce n’est peut-être pas la famille idéale, mais ils prennent soin des leurs.” Bien qu’Elwood ne se soit jamais considéré comme l'un d'eux, il était le fils de la bonne, sans père pour être assez fou pour le reconnaître, et cela avait suffit pour qu’il soit pris sous l'aile de la famille. Il en faisait partie malgré lui. Lui aussi y était fidèle et dévoué. Ainsi, il savait mieux que personne qu'un avenir brillant attendaient Constance et son enfant, si elle acceptait de mettre de côté son aversion pour les Keynes. “Peter vous adore, il trouvera les meilleurs professionnels pour vous accompagner. Vous n'aurez pas à penser à quoi que ce soit d'autre qu'à tisser ce lien avec votre bébé, et l’aimer aussi fort que je sais que vous le pouvez.”
give me your love and physical affection, give me the worst of you to hold
Ce n'était peut-être qu'une impression, mais Constance trouvait qu'une distance se créait entre son amant et elle. Le médecin semblait être bien détaché. L'annonce de la très probable grossesse de la petite blonde était synonyme d'une bombe dans leur idylle. Comme un rêve qui se brisait en mille morceaux. En plus de ces sensations de malaise devenues quasi quotidiennes, elle sentait son coeur être comme entre un étau que l'on serrait toujours un peu plus. Cole ne se positionnait quant à l'éventualité d'être le père de l'enfant qu'elle portait. Il se montrait un peu trop neutre face à cette histoire. Comprenant qu'elle brassait de l'air, la jeune femme n'en dit pas plus, alors bien refroidie par l'attitude de son amant. Elle avait bien compris, durant une précédente conversation, qu'il ne désirait pas être le père de qui que ce soit et elle se doutait bien que le fait d'être à nouveau tombé amoureux n'allait rien changé à son positionnement. De plus, elle doutait totalement de ses capacités de mère, n'ayant pas véritablement d'exemple en tête. Se laissant tomber sur le canapé, elle se noyait dans tout ce flot de nouvelles qu'elle ne parvenait pas à gérer, ni canaliser. Le bel homme s'était accroupi face à elle, posant délicatement ses mains sur ses épaules, ne voulant rien être d'autre qu'une présence. Il contredisait tout ce qu'elle venait d'énoncer, toutes ses incertitudes. Il trouvait en elle une force qu'elle ne se connaissait pas. Ne pas laisser tomber quoi, se demanda-t-elle. On ne lui avait pas vraiment laissé le choix pour son mariage, ni pour quoi que ce soit d'autre. Alors comment pouvait-il être persuadé de ses propres mots ? "Eleanor aura bien d'autres chats à fouetter une fois qu'elle aura accouché." dit-elle tout bas, complètement dépitée. "Dieu sait si elle changera à nouveau d'ici là." Parce qu'elle n'avait pas toujours été de son côté, ni de celui de Cole. Un nouveau retournement de veste était possible et Constance ignorait si elle pouvait à nouveau lui faire pleinement confiance. Mais elle doutait. La petite blonde aurait bien ri jaune à ses propos, mais elle n'en trouvait pas la force. Voilà que le médecin leur trouvait des qualités. Il semblait savoir que son mari ferait tout pour elle, y compris trouver les meilleurs médecins, les meilleurs obstétriciens afin que la grossesse de sa chère et tendre se passe au mieux. Nul doute qu'il voudra une surveillance rapprochée étant donné l'état de santé déjà bien fragile de Constance. Les propos de Cole la surprirent. Pas une seule fois il ne parlait d'eux, de ce qu'ils avaient ensemble. Pas une seule fois il ne lui fit un geste d'amour, pas même une caresse, un baiser. Juste un paire de mains sur ses épaules, que n'importe quel médecin ou ami plein d'empathie aurait fait pour l'encourager. Constance voyait l'écart se creuser, se creuser... sans qu'elle ne puisse faire quoi que ce soit. Elle n'avait pas même les outils pour construire un pont et se rapprocher de lui. Alors, elle en conclut qu'elle n'aurait peut-être pas du lui en parler. "Voilà que vous les couvrez d'éloges et que vous leur accordez votre confiance." dit-elle avec un sourire triste, alors qu'un nouveau sillon de larmes se formait le long de ses joues bien pâles. Son discours la touchait, mais pas dans le bon sens. Elle sanglotait longuement, silencieusement, le regard bien bas. Ses doigts finirent pas se déposer sur les joues de son amant. Puis elle se pencha pour pouvoir déposer un baiser sur ses lèvres. C’était bien la seule chose dont elle avait envie, sur le moment, le seul geste où elle pouvait trouver un semblant de consolation. En dépit du discours qu’il tenait, elle lui souffla un “je vous aime” entre deux baisers. Rien d’extravagant, rien de fougueux. Des baisers doux et délicat, avec énormément de tendresse, celle que Cole lui connaissait si bien. Elle se détacha ensuite totalement de lui, toujours bien peinée. “Vous n’avez pas parlé de nous. Pas une seule fois.” réalisa-t-elle quelques minutes plus tard, les regardant dans le vide, sans le moindre éclat. Qu’il ne veuille pas être le père de l’enfant, qu’il ne veuille pas s’investir davantage était une chose, qu’il oublie ou évince totalement leur idylle en était une autre. Constance était incapable de retrouver le sourire. Elle craignait soudainement de trop en dire, que de partager ses craintes deviennent un mauvaise idée. Etrange sensation, alors qu’elle avait toujours été encline à partager avec Cole ses secrets, des pensées qu’elle ne disait à personne d’autre. C’était juste là, au bord de ses lèvres, mais elle ne le pouvait pas. Elle se mettait à appréhender, puis finissait par se dire qu’elle ne se faisait que des idées et que tous les récents événements mettaient ses pensées sans dessus-dessous. Il lui était pourtant impossible de sécher ses larmes, d’arrêter d’angoisser et de sangloter. “Je… Je vais aller me reposer, j’aimerais être seule un moment.” C’était les seuls mots qui purent traverser ses lèvres, la voix faiblarde et tremblantes. Elle se leva en s’appuyant sur l’accoudoir du canapé avant de lui voler un baiser et de quitter la pièce pour se rendre dans sa chambre, sans faire le moindre détour. On ne la vit plus du reste de la journée. La petite blonde s’était allongée sur son lit, les yeux rivés vers l’extérieur. Elle appréciait le silence de la pièce et le fait que personne n’osait toquer à sa porte. Elle se fit même porter malade pour le dîner du soir, n’ayant pas le moindre appétit et étant prise de haut-le-coeurs depuis deux heures de cela. L’une des domestiques lui avait tout de même rapporté un plateau avec quelques aliments, si jamais l’appétit lui reviendrait d’ici là. Rien n’y fit, Constance n’avait pas bougé d’un pouce. Le seul effort de la soirée était au moment où il fallait se mettre en chemise de nuit pour aller au lit. Elle n’attendait pas Cole. Quelque part, elle se doutait qu’il ne viendrait pas. Le lendemain était particulièrement radieux. Après les nausées matinales devenant quasi systématiques, la petite blonde se rendait à l’extérieur. Elle faisait quelques pas toute seule pendant une bonne heure avant de s’installer sur un banc dans le jardin, à l’ombre d’un arbre. Elle avait, comme à son habitude, un livre entre les mains, si jamais l’envie de bouquiner lui venait subitement. Mais elle en était incapable. Eleanor avait fini par la rejoindre, disant qu’elle venait de voir le médecin pour un petit contrôle de routine. Elle précisait aussi qu’elle avait vu sa soeur sortir du salon bouleversée. Constance ne préférait rien raconter, doutant toujours de la loyauté de sa propre soeur. L’aînée n’insistait pas et fit acte de présence jusqu’à ce que son dos soit douloureux et qu’elle décide de s’allonger. Après avoir été seule tout ce temps, c’était le médecin qui fit son apparition. Elle ne pouvait s’empêcher de lui lancer ce regard amoureux, bourré de beaux sentiments, malgré la pointe de tristesse quasi systématique que l’on pouvait retrouver chez elle tous les jours. “Je me suis dit que je devrais au moins leur montrer que j’existais toujours.” dit-elle en tentant de plaisanter, faisant allusion à sa présence dans les jardins. Peter semblait bien occupé ces derniers jours. “Tant qu’il n’y a pas trop de monde, ça me va. Les sujets de discussion à l’heure du thé sont souvent très rébarbatifs, et je n’aime pas trop écouter les rumeurs et les potins des grandes gens des environs.” Elle forçait un sourire. Constance avait conscience qu’ils ne pouvaient pas parler de tout et n’importe quoi ainsi exposés. Mais les sentiments étaient présents, et elle retenait du mieux qu’elle pouvait cette envie qu’elle avait de le prendre dans ses bras, de lui caresser ses cheveux et de l’embrasser. Elle aimait ses lèvres, ses mains, se sentir tout contre lui. Elle aimait l’aimer et être aimé par lui, c’était tout ce qui importait à ses yeux. “Vous… Avez-vous commencé à préparer votre voyage ?” lui demanda-t-elle, n’ayant finalement que ce sujet de conversation là en tête. Son sourire se fit ensuite plus sincère. Elle était heureuse de le voir. “Seriez-vous d'accord de vous promener un peu avec moi ? J'ai eu des nausées ce matin mais je me sens mieux pour le moment, autant en profiter.” Motivée par sa propre idée, elle se leva d'elle-même et approcha son ami. “Veuillez me pardonner si je me suis montrée froide hier, je suis juste… bouleversée par les derniers événements et j'avais besoin d'être seule pour tenter de mettre à plat mes pensées.” dit-elle d'un air sincèrement désolé. Les résultats n'étaient pas là, les tracas restaient les mêmes.
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Il se tut, il n’y avait rien d’autre à dire. Rien qui ne fasse pas plus de mal. Il y aurait un temps pour tout, et pour parler d’eux, plus tard. Et il y aurait des larmes, pour sûr, autant, peut-être plus qu’à cet instant. Une perspective à laquelle se préparait déjà le médecin, résigné. Il ne répondit pas aux mots d’amour de Constance, même s’il le voulait ; son coeur si serré retint les mots en son fort intérieur, sa gorge, étouffante, servait de rempart, et ses lèvres demeurèrent scellées, daignant bien peu faire écho aux baisers de la jeune femme. Il était dégoûtée. Non pas par elle, pas même par l’enfant, mais par cette épée de Damoclès qui venait de lui tomber sur le coin du crâne. Il savait que cette annonce n’était que le premier des dominos, et que la suite leur ferait regretter à tout d’eux de s’être montrés trop naïfs, trop rêveurs, trop optimistes. Bien que Cole eut envie de sortir de la pièce et courir prendre une bouffée d’air frais dehors, asphyxié par la réalité pesante du moment, une partie de lui avait bien trop conscience que celui-ci serait le plus simple de tous ceux à venir, et il aurait presque souhaité rester figé ici, avec elle, dans le temps et dans l’espace, inatteignables pour aussi longtemps que l’univers serait. Mais au bout d’un long silence, bien plus long qu’il n’aurait du le tolérer sans rien dire, sans bouger, sans plus aider Contance à sécher ses larmes, prenant le parti-pris de se murer lui aussi, elle se leva et quitta le tout petit salon. Et ce ne fut que lorsqu’elle disparut qu’Elwood réalisa qu’il retenait avec une volonté épuisante ses propres larmes. Il ne fut pas surpris d’entendre que la petite blonde avait préféré se faire porter malade le soir-même. Il n’eut pas grand appétit, malgré les apparences et les aliments dans son assiette qu’il dispersait ici et là afin de donner l’impression de la vider -comme le font les enfants qui pensent faire illusion face à leurs parents. Il pensait beaucoup, comme toujours, et son silence ne surprit personne. Cole restait Cole, malgré les changements qui avaient opérées depuis un an sur lui au contact de Constance, et lorsque le moral n’y était pas, il se renfermait autant qu’un pharaon dans son sarcophage. Bien que Clara ne douta immédiatement que quelque chose se tramait, elle n’approfondit pas plus les investigations ; tout ce qui retenait sa belle-soeur au lit et rendait le médecin qui déprimé ne pouvait être que bénéfique pour elle, pour Peter, pour tout le monde. A dire vrai, elle en était ravie d’avance et bu son vin bien volontiers. Dans la nuit, Cole songea à aller rendre visite à son amante ; un pied à peine dans le couloir et il se ravisa bien vite, de peur qu’elle se trouve en présence de son époux, ou simplement, de son chagrin.
Comme tous les matins, comme il en était convenu avec les Keynes, le médecin passait la matinée à Canterbury. Les consultations allant bon train durant ces heures condensées, il ne trouvait à nouveau pas le temps de se chercher un apprenti, son futur remplaçant. Alors, avant de rentrer au manoir, il profita de déjeuner seul pour écrire un télégramme qu'il fit envoyer à tous les journaux londoniens dont le nom lui revinrent en mémoire. Il n'espérait pas plus de trois réponses, juste de quoi avoir un peu de choix, et une chance de tomber sur un homme correct. Son expérience, son cabinet, sa maison et sa patientèle étaient à la clé pour autant de temps qu'il serait parti, l'offre était irrésistible, et pourtant, il avait conscience que les jeunes gens aimaient les grandes villes et ne viendraient pas se perdre en campagne, dans le Kent, aussi magnifiques les paysages soient-ils. A son retour à Chilham, la bâtisse était calme. Dans le hall résonnaient les airs de piano émis dans le salon par les doigts agiles de Janine, assurément la meilleure musicienne de la famille. On prit son manteau, et il retrouva Eleanor dans ses appartements. Bien qu'il n'avait aucune crainte vis-à-vis de la grossesse de la jeune femme, qui se portait comme un charme contrairement à ce qu'ils faisaient croire au reste de la famille, il avait tout de même à coeur de s'assurer du bon déroulement de celle-ci semaine après semaine. Souvent, cela ne consistait qu'à poser ses deux mains sur son ventre, prenant toujours bien soin de les réchauffer au préalable, et ainsi, de s'assurer du positionnement du bébé. A dire vrai, il n'était pas grand-chose de plus qu'il puisse faire, et cela était déjà bien plus que la plupart des autres médecins. Lorsqu'elle se reposait, Cole lui avait suggéré de poser sur son ventre la même pierre qu'il avait offerte à la jeune sœur de la future mère, une onyx dont la liste des vertus s'étendait au bien des petits à naître et au bon déroulé des accouchements. Le genre de traitement discutable dont il lui remercia de garder la discrétion auprès des Keynes. Ils toléraient son intérêt pour l'hypnose, mais toute autre originalité le ferait sûrement mal voir.
L'après-midi était encore jeune et doré lorsqu'il se rendit dans le jardin, sur le domaine, afin de rejoindre Constance, enfin libérée par sa sœur, seule avec son livre pour prétexte. Il ne se sentait pas prêt à aborder les sujets délicats, mais jamais ne le serait-il, alors il s'avança, nerveux, d'or et déjà honteux, la tête un peu basse. Face à elle, malheureusement, ses regards amoureux ne faisaient écho en lui qu'à de la peine. Il avait également de l'amertume envers cette situation, cette vie, cet idéal qui l'avait poussé à s'installer à nouveau dans cette cage dorée pour qu'au bout de deux semaines, Constance lui soit mise hors de portée. Mais il ne pouvait plus partir désormais. “Ils ne s'inquiètent pas pour vous, ils commencent à vous saisir.” dit-il avec un léger sourire. Oui, déjà un an depuis la première fois que la petite blonde avait foulé la terre anglaise. Cela était amplement suffisant pour que les Keynes sachent à qui ils avaient affaire. Ils n'étaient pas dupes, et mêmes diaboliquement futés. Ils avaient l'oeil aiguisé, et un instinct féroce. Des loups dans la bergerie. Comme s'ils étaient à Londres, l'heure du thé était souvent dédiée aux potins, néanmoins le monde était bien plus petit à Chilham que dans la capitale, et rapidement, les mêmes noms revenaient, les scandales étaient redondants, et tout le plaisir se perdait. “Moi non plus, mais cela fait partie des quelques occupations par ici.” Entre médiser et chasser, lire et pianoter, la palette était réduite, et l'on apprenait à se satisfaire de tout ce que l'on pouvait se mettre sous la dent. Cole demeurait debout, ses jambes raidies par la nervosité le maintenaient bien droit. Il sentait cette foule de sentiments pour elle prendre le dessus sur tous ses mécanismes pour les réprimer en prévision de l'inévitable, et il aurait presque souhaité que l'amour se soit éteint dans le regard de la jeune femme. Car elle ne lui donnait qu'une envie ; la prendre dans ses bras, et hurler sa frustration à l'idée de l'avoir perdue, malgré lui, et malgré elle. Il feignait les sourires et cela lui était insupportable. Ils paraissaient civils, polis, alors que deux tornades sentimentales se nichaient dans leur poitrine. Le voyage, il ne l'avait pas oublié, et il bénissait un peu plus cette opportunité, se surprenant à espérer que l'adage était vrai ; loin des yeux, loin du coeur. Alors ils saigneraient moins. “En effet. J'aimerais apprendre quelques rudiments d’arabe avant de partir afin de ne pas être constamment dépendant d'un interprète, mais je crois que six mois ne suffiront même pas à apprendre leur alphabet.” répondit-il avec un léger rire et un haussement d'épaules. Il n'y comprenait rien, à ces symboles, ces lignes, ces petites courbes -et pourtant, il était médecin. Sûrement apprendrait-il la majeure partie du vocabulaire utile sur le tas, une fois sur place. Et sûrement son accent ferait-il saigner les oreilles des natifs. “Je ne perds pas espoir.” ajouta-t-il, car malgré tout, Cole était un home persévérant, parfois têtu, et il comptait bien en apprendre autant que possible par lui-même, ne serais-ce que par intérêt pour la langue, et par bonne volonté vis-à-vis de ce pays qu'il irait explorer. Il avait encore bien des mois pour en rêver. Il ne songeait qu'à tout ce qu'il verrait, aux personnes qu'il rencontrerait, aux paysages, au fleuve, aux pyramides, et cela éclipsait, pour le moment, la possibilité que Constance puisse lui manquer. Il devait se faire une raison ; à son retour, elle sera pleinement une Keynes, mère d'un petit Keynes, insérée, acceptée, captive. Et toute possibilité de s'enfuir aura définitivement disparue. “Je comprends.” affirma-t-il lorsque la jeune femme s'excusa de sa froideur de la veille tandis qu'ils s'étaient mis à marcher dans le jardin côte à côte. Lui même s'était montré particulièrement distant, et il savait qu'il n'aurait jamais pu réagir autrement. Ils étaient dépassés, tous les deux. Déboussolés, désarmés. Pourtant, ils auraient pu, dès le départ, prévoir, anticiper cette fatalité. Comment aurait-il pu en être autrement après tout ? “J’espère que vous comprenez aussi ma réaction. Cela a éveillé des souvenirs encore bien vifs.” Les mains jointes dans son dos, il ne proposait pas son bras à Constance et maintenait la distance. Jamais il ne lui était facile de mentionner sa fille, pas même pour si peu de mots ; y songer simplement suffisait à faire monter une foule d'émotions et à le submerger. Il ne savait pas s'il en guérirait un jour, mais jusqu'à présent, cela ne manquait jamais ; la moindre vague référence à Annie faisait saigner son coeur. Elwood soupira, et cet air qui gonfla ses poumons chassa le trémolo dans sa voix avant qu'il ne s'installe. “Et je suis… attristé que notre histoire doive prendre fin si vite…” souffla-t-il, le regard bien bas, le pas bien lent. Parce qu'il était là, le point final, craché, bâclé, comme un postillon d'encre sur le papier.
give me your love and physical affection, give me the worst of you to hold
Le temps ne correspondait pas à l'état d'âme de Constance. Si c'était le cas, le ciel serait bien gris, peut-être même noir. Des nuages épais que le soleil ne pourrait transpercer, pas le moindre rayon. Les cumulus seraient menaçant et ne se dissiperaient pas tandis qu'un épais manteau de brume envahirait progressivement le domaine tout entier. Une atmosphère à la fois oppressive et angoissante, sans la moindre issue possible, à moins de s'y perdre de ne jamais retrouver le nord. La grossesse quasi certaine de la jeune femme ne colorait pas plus le paysage, elle ne faisait que le rendre plus triste et plus gris, pour ne finalement trouver aucune couleur. Constance n'avait pas la moindre idée sur quoi se raccrocher, comme une chute libre interminable dans des abysses qui n'avaient pas de fond, sans savoir quand elle atteindra le sol, sans savoir à quel point cela serait douloureux. Si elle avait à choisir, elle préférerait ne rien ressentir du tout lorsqu'elle s'écraserait sur le sol. C'était dans ses pensées bien sombres qu'elle se noyait alors que Cole faisait son apparition. Il ne lui lançait plus les mêmes regards, ne semblait pas avoir envie d'avoir une moindre affection pour elle. Pourtant, ses yeux à elle débordaient d'amour, elle avait tant à lui donner. Elle ne voyait qu'une seule explication, et cela se résumait au petit être qui était logé dans son ventre, n'attendant qu'à grandir au fil des jours. L'écoeurait-il à ce point ? Cette question, la petite blonde se la répétait sans cesse. Tant bien que mal, elle tentait de démarrer une conversation un tant soit peu normale, bien que le fond de ses pensées savait qu'il n'y aurait jamais plus quoi que ce soit de normal entre eux. Cole connaissait depuis un moment déjà le manque d'engouement qu'elle pouvait avoir pour l'heure du thé. Fataliste, moralisateur, le médecin ne se montrait guère encourageant, ni d'un quelconque soutien lorsqu'il disait que cela faisait partie des quelques activités possibles dans le domaine. Comme s'il la forçait à entrer dans le moule des Keynes, à ce qu'elle devienne cette petite épouse parfaite dotée d'une grande fertilité et d'un faible caractère que l'on pouvait aisément dominer. Une véritable poupée de chiffon, et tout le monde faisait ce qu'on en voulait. Les sourires d'Elwood étaient faux, et bien que Constance faisait de son mieux pour ne pas montrer à quel point son attitude la touchait, elle sentait une nouvelle brèche se former sur son coeur alors déjà bien meurtri. Autant parler d'autre chose, autant parler de voyage. Ce n'était pas le sujet de conversation qui la réjouissait le plus, mais elle n'avait plus que ça. Elle était heureuse pour lui, de cette opportunité. Mais à quel prix ? Quels sacrifices ? "Je suppose que vous apprendrez la langue bien plus rapidement une fois que vous serez là-bas. Cela sera complètement immersif, votre esprit n'aura d'autre choix que de vous adapter, et vous apprendrez vite." répondit-elle doucement, alors qu'ils faisaient quelques pas ensemble. La distance maintenue entre eux était effarante aux yeux de la jeune femme, qui se persuadait de plus en plus qu'elle le révulsait. Bien que son comportement n'avait rien de choquant, Constance tenait tout de même à s'en excuser. Il y avait à ses yeux bien trop de bouleversements en si peu de temps qu'elle peinait à s'y retrouver et à garder sa contenance habituelle. Bien sûr qu'il pensait à sa petite fille décédée et la blonde en était désolée. Elle se demandait si, de par cette réflexion, il songeait à l'éventualité que cet enfant soit le sien, s'il avait un certain affect pour ce tout petit être. Apparemment non, étant donné le manque de proximité qu'il avait avec elle depuis la veille. Elle acquiesçait simplement d'un signe de tête, ne sachant comment réagir ou comment interpréter ses paroles. Cole était renfermé au possible, la mine grave, le visage bien bas. Quelque chose n'allait pas. Et là, c'était comme s'il jetait vulgairement un galet dans l'étang dont la surface était parfaitement plane. Un véritable séisme. Constance eut la vive sensation d'avoir été frappée à la tête à l'aide d'une masse, ayant pour poids les mots qu'il venait de prononcer. Elle s'arrêta net dans sa marche, le regard véritablement perdu. Non, elle ne voulait pas croire à tout ceci, c'était un un mauvais rêve, rien qu'un mauvais rêve. Ce n'était qu'après de longues minutes de silence, perdue dans sa réflexion, que Constance se plongeait dans le seul mécanisme de défense qui lui restait à ce moment là; le déni. "Vous n'êtes pas sérieux..." souffla-t-elle avec un maigre sourire, ô combien forcé. Elle secouait légèrement la tête, de façon négative. Elle occultait totalement ce qu'il venait de dire, elle refusait d'y croire. Ca ne pouvait pas être vrai, ça ne pouvait pas être réel. Mais l'expression de Cole ne changeait pas, il restait là, statique, osant à peine la regarder. Constance continuait de secouer la tête, tandis que sa voix commençait à s'éreinter par des émotions qui pointaient le bout de son nez. "Vous... Vous aviez dit que vous reviendriez, que... que vous m'aimeriez toujours." Elle s'en rappelait parfaitement, de ces mots là. C'était bien le seul réconfort qu'elle avait trouvé lorsqu'elle avait appris son départ devenu imminent. "Etait-ce des mensonges ?" lui demanda-t-elle alors que son visage se crispait peu à peu par une douleur intense qui s'installait au fond de sa poitrine. La dernière chose qui lui restait, s'envolait. D'un simple geste de la main, et juste avec quelques mots, Cole mettait fin à tout ce qu'ils avaient vécu. Et alors, ce paysage si gris, si monotone, si angoissant, se désintégrait peu à peu, sous les yeux de la jeune femme. Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien, pas même un grain de poussière, pas même une légère brise qui aurait pu la rassurer. Elle n'avait plus rien, elle était toute seule. Et la chute n'en devenait que plus angoissante, au point où Constance ne demandait qu'à ce que ça s'arrête. Plongée dans la pénombre, elle n'avait même pas réalisé que des larmes coulaient le long de ses joues. C'était la douleur qui avait envahi son coeur brisé qui l'avait éveillé de cette sorte de torpeur, et cet organe injectait cette même souffrance dans tout son organisme. Au point où chaque respiration, bien que vital, était synonyme de douleur et de chagrin. "Vous n'avez pas le droit..." Sa voix était si faiblarde, ses yeux suppliaient à Cole qu'il mette fin à cette douleur, qu'il lui assure qu'elle avait mal compris ses mots. Qu'il mette fin au supplice, d'une manière ou d'une autre. Le pire dans tout ceci, c'était que Constance ne pouvait même pas exprimé son esprit encore plus tourmenté qu'il ne l'était déjà. Si elle le pouvait, elle hurlerait, elle s'effondrerait certainement à terre sans trouver la force de se relever. Elle ne parvenait pas à expliquer comment elle tenait encore debout sur ses deux jambes. Les formalités, les obligations, la posture, la prestance, toujours bien paraître. "C'est...C'est à cause du bébé, c'est cela ?" finit-elle par lui demander. "Je vous révulse à ce point, désormais ?" Constance ne savait que pensait de tout ceci. Toutes ses pensées s'emmêlaient et se déformaient. Des dizaines de questions lui brûlaient les lèvres. Elle se demandait si cette dernière année n'avait été finalement qu'une mascarade, si elle n'était qu'une consolation, si tout ceci avait quoi que ce soit de réel. Confuse, la jeune femme bégayait longuement tant tout se bousculait dans son esprit. Mais plus rien ne sortait de sa bouche. Tout ce qu'elle voyait, c'était son univers s'effondrer tout autour d'elle et Constance finit par se demander s'il ne voulait tout simplement pas se décharger de toutes ses promesses et de ses engagements ici avant de découvrir de nouveaux horizons, la conscience bien légère. Elle ne savait plus quoi penser, plus quoi dire, bien que l'envie de l'embrasser et de le prendre dans ses bras pour qu'il annule ses paroles soit plus que présente au fond d'elle, mais elle ne se rendait pas compte qu'elle ne faisait que tenter de raviver un espoir dont les cendres bien humides empêcheraient toute étincelle pour le rendre brûlant et lumineux à nouveau.
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Ils auraient mérité mieux, plus simple, plus beau. Une histoire qui ne se joue pas dans l'ombre, et qui prenne place plus d'une fois par mois. Ce genre d'affection qu'ils s'étaient découvert méritait le grand air, des heures ensemble, des danses, des regards et des sourires assumés. Même s'il résidait une forme de beauté incontestable dans leurs manières de se dévouer à l'autre et de se sacrifier, Cole aurait préféré qu'ils ne soient pas un tome de plus au rayon des tragédies, avec leurs dialogues volés et leurs pages manquantes. Il aurait souhaité connaître un moyen de rendre ceci moins pénible, qu'il existe des mots plus doux, un ton approprié, et même, qu'ils aient réellement un moment à eux afin de clore ce chapitre. Finalement, il jeta ce pavé dans la mare avec une vulgarité qui l’estomaquait lui-même. Il n’aurait pu manquer plus de tact et de délicatesse, il n’aurait pas pu moins la ménager et se brûler par la même occasion. Car malgré ces paroles prononcées étrangement sans une hésitation, son coeur se gonfla de regrets dans la minute ; des regrets qu'il ne pouvait écouter. Il cessa de marcher en même temps que Constance, toujours les mains dans le dos, toujours l'air grave et sincèrement désolé. Il lui semblait avoir eu à annoncer des morts plus aisément que la fin de cette relation. Le médecin ne supporta pas longtemps le regard peiné de la jeune femme et baissa le sien bien vite. “Je le suis.” avoua-t-il à contrecœur. Et il en était bien malheureux, elle ne pouvait en douter. Elwood était revenu au manoir pour elle, pour être auprès d'elle chaque jour, autant que possible, avant son départ en fin d'année. Il était venu afin de pouvoir poser son regard sur elle dès que l'occasion se présentait, pour entendre sa voix, converser parfois, pour recevoir des sourires, pour les baisers volés qu'elle parviendrait à lui donner au détour d'un couloir, et pour des nuits comme celles qui, pensait-elle encore peut-être, avaient mené à la conception de cet enfant. Et il venait d'arriver, il venait de s'installer, cela ne devait être que le début ; voilà déjà la fin. La fin des regards, la fin des sourires. Et faisait-il mentir encore une fois ? Cole ne pouvait déjà plus tenir sa promesse d'être présent pour la grossesse de Constance, désormais il donnait l'impression de se défiler totalement, retirer tous les bons sentiments qu'il avait juré d'avoir quoi qu'il arrive. “Ce n’était pas des mensonges Je reviendrai et je vous aimerai toujours.” assura-t-il sans s'attendre à la convaincre si facilement. Il resterait sûrement, à ses yeux, l'homme qui n’avait pas tenu parole à de trop nombreuses reprises. Son coeur s'emballait, ses mains étaient moites. Lèvres pincées, la gorge serrée, il lui était insupportable d’entendre le timbre brisé de la petite blonde qui tentait en vain de lui faire retirer ses paroles, qui demandait pourquoi. Il n’avait jamais été un médecin du coeur ni de l'âme, ces deux éléments de la vie lui échappaient, et encore une fois il n’avait pas les mots. Avant de ne se résumer qu'à une vulgaire présence entre les murs du manoir, un courant d’air qui laisserait sa place une fois l’hiver venu, Cole songea qu’il se devait d’être honnête et qu’il ne pouvait pas laisser Constance croire que ses sentiments avaient disparus à cause de cette grossesse. Qu’il n’était pas un menteur, et qu’il ne s’éloignait que dans son intérêt. Même s’il n’était pas convaincu qu’elle comprendrait. Il prit sa main et l’attira plus loin, sans écouter d’éventuelles protestations ; il avança jusqu’au premier arbre assez large pour les dissimuler, faisant fi des suspicions que leur soudaine disparition pourrait provoquer, et il captura les lèvres de Constance, appuyée contre le tronc. Il prolongea ce baiser autant de temps qu’il le fallut pour se faire comprendre. “Je vous aime, murmura-t-il, si proche de son visage qu’il pouvait sentir son souffle frôler ses joues. Mais vous portez l’enfant de votre époux et nous ne pouvons pas continuer pour cette raison. Non pas parce que cela me révulse, mais pour vous. Par respect pour cette vie en vous. Vous ne pouvez plus vous mettre en danger en ayant une liaison avec moi, Constance, vous avez besoin de sécurité.” Et plus qu’ils ne s’en doutaient, ils étaient sous l’étroite surveillance de tous ceux qui ne se laissaient pas duper par leur façade amicale. Poursuivre cette relation mènerait forcément au drame, or, Cole gardait toujours bien en tête qu’il était de son devoir de prendre soin de Constance, de la protéger, malgré elle, malgré lui, même si les solutions leur déplaisaient, même si l’issue les blessait. Il se protégeait, lui aussi. D’une nouvelle déception, d’un nouveau coeur brisé. “Et puis… A mon retour, vous serez mère, vous serez une épouse et vous aurez bien d’autres préoccupations. Vous vous souviendrez à peine m’avoir aimé, et quand bien même, vous ne m’approcherez pas non plus à cause de vos obligations. Vous savez aussi bien que moi que c’est ainsi que les événements se dérouleront. Que nous le voulions ou non, ceci est une réalité que nous ne pouvons pas occulter.” Ils ne pouvaient plus être naïfs dans ces conditions. Il y avait bien trop en jeu, pour Constance la première. Une vie dont elle ne voulait pas, mais qui était la sienne, et qu’elle se devait de préserver. Elle n’était plus seule dans cette équation désormais. Et lui n’était plus un facteur. Il partirait dans tous les cas, et il préférait de loin passer ces années de voyage à tenter de se faire une raison plutôt qu’à espérer et découvrir, à son retour, qu’il avait raison et qu’elle ne voulait plus de lui.
give me your love and physical affection, give me the worst of you to hold
Bien que son père et sa sœur doutaient qu'elle en était capable, Constance aurait été parfaitement prête à renoncer à la richesse de sa famille, aux titres que certains se plaisaient à lui promettre à l'issue d'un mariage. Elle aurait très bien pu vivre un peu plus modestement si cela lui permettait d'avoir une vie qui s'approchait un peu plus de son idéal. Dans la maison de Cole, elle s'y voyait y vivre, l'entretenir, la rendre vivante, faire en sorte que l'homme qu'elle aimait s'y sente toujours bien. Resonger à tout ceci, au vue des circonstances, ne fit que rendre plus profond le trou qui se creusait en elle. Un vide de plus en plus grand au fur et à mesure des mots et des regards que le médecin lui lançait. Il voulait lui faire comprendre qu’il l’aimerait toujours lorsqu’il reviendrait de son voyage. Constance ignorait comment il pouvait en être aussi certain. Elle en était que plus triste. Elle ne voulait pas que ce soit une énième promesse qu'il ne pouvait pas tenir. Un nouveau rêve qui se terminait pour elle, comme s'il mettait fin à la trêve qu'il lui avait octroyé en restant au manoir bien plus qu'il ne le souhaitait. Cole était venu pour elle et tous les prétextes étaient bons pour lui pour donner aux Keynes une raison d'être indispensable pour la famille. Et quoi de mieux que mentionner la descendance ? Le médecin n'osait même plus la regarder, ne supportant plus la peine qui rendait ses yeux à la fois si vides et si brillants. Elwood tentait de lui faire comprendre qu'il serait toujours amoureux d’elle mais en contrepartie, bien qu'elle adorerait que ses paroles soient vraies et certaines, elle savait qu'il ferait la connaissance d'autres femmes plus libres, qui lui correspondraient bien plus qu’elle. Il trouverait matière à l'oublier. Difficile de croire en ces quelques mots, alors que le monde entier de Constance s'effondrait petit à petit, à force de promesses brisées et de rêves avortés bien trop tôt. Elle n’aurait plus personne en qui croire, personne sur qui s'appuyer dans les pires moments. Bien qu’Eleanor s'était montrée bien plus compréhensive et aidant ces derniers temps, sa petite sœur ignorait si elle pouvait à nouveau se fier entièrement à elle. Elle allait redoublé de méfiance, craignant que l'on lui joue à nouveau un mauvais tour. Parce que c'était leur plan depuis le début, Constance en était désormais certaine. Plongée dans ses pensées et dans son chagrin, elle sursauta légèrement en sentant la main de Cole prendre la sienne pour marche jusqu'à un immense arbre, où ils pouvaient échapper aux regards indiscrets en se cachant derrière le tronc, l'espace de quelques minutes. Sans qu'elle ne s'y attend, Constance fut collée contre l'arbre et son aimant n’attendait pas davantage pour lui offrir un long baiser amoureux. La petite blonde y répondait avait tout autant d'intérêt et de sentiments, et profitait de chaque seconde qui passait, de chaque seconde d’affection qu'il voulait encore bien lui donner. Bien déroutée d'entendre encore des mots d'amour sortant de sa bouche, Constance se disait que c'était bien trop beau. Pendant une fraction de secondes, elle croyait qu'il voulait revenir sur ses paroles, qu'il ne comptait pas la laisser sans rien avant son départ. Cet éclat avait dû être visible, tout comme l'on pouvait voir la vitesse à laquelle il s'était effacé lorsque Cole avait repris la parole. Le visage de la jeune femme ne fit que se crisper davantage, sous ce flot continuel de larmes qui maintenaient ses joues bien humides. “J'ai besoin de vous avant tout.” s’essaya-t-elle à dire malgré tout, cherchant toujours à trouver une alternative, un moyen de le faire changer d'avis. Elle se devait d'essayer, encore et encore. La volonté de Cole qu'elle ne se mette plus en danger, même pour lui, mit la puce à l'oreille à Constance, qui se rappelait d'une conversation récente qu'elle avait eu avec sa sœur. Pour Cole, il était désormais bien évident qu'il n'était pas le père de cet enfant. Il le lui disait dès qu'il en avait l'occasion, comme s'il cherchait à lui mettre cette idée là en tête dans le seul but d'oublier l'éventualité d'avoir conçu un enfant avec son amant. Et à chaque fois, Constance refusait d'y croire, car le dernier espoir qui lui restait, après cette douloureux rupture, était bien de croire que Cole soit le père de cet enfant. Et à chaque fois, qu'il lui dise de telles choses à voix haute était d'une douleur insupportable pour elle. Plus il parlait, plus elle secouait négativement de la tête. Leur visage était resté très près l'un de l'autre. La tête baissée, Constance avait légèrement remonté ses mains, comme si elle avait l'intention de les poser contre ses oreilles afin de ne plus entendre ce flot de paroles qui faisaient office de torture pour elle. “Je ne me sens pas plus épouse que je ne l’étais lorsque nous passions tout ce temps ensemble.” dit-elle avec sa voix de plus en plus faiblarde, le regard bien bas. “La seule différence, c'est… ça.” ajouta-t-elle en indiquant son ventre pour le moment bien plat. Difficile pour elle de nommer l'enfant autrement, tant elle peinait à accepter sa simple présence alors qu'il était en son sein, en train de grandir. Même si c'était encore très récent, elle ne parvenait pas à avoir un quelconque affect pour ce petit être alors qu'elle partageait avec lui déjà tant de choses. Et à côté de cela, il y avait une autre chose qui avait profondément blessé la petite blonde. “Vous ne doutez pas des sentiments que vous aurez pour moi à votre retour, mais en revanche, vous n'avez aucune confiance en ce que je peux ressentir pour vous…” Alors un voyage bien loin d'ici ne risquait pas, d'altérer quoi que ce soit, mais une supposée vie de famille, si. Constance avait arboré l'un de ses sourires tristes qui était particulièrement déchirant à voir et à supporter pour son interlocuteur. “Je vous aimerai toujours, Cole, que vous le vouliez ou non.” lui souffla-t-elle en l'embrassant à son tour. “Croyez ce que bon vous semble.” On voyait que Constance se retenait de ne pas totalement s'effondrer devant lui. Elle grimaçant de temps en temps, avalait difficilement sa valise, fuyait son regard vert car si elle le contemplait, elle ne tiendrait pas longtemps. Elle lui caressait une dernière la joue avant de partir sans dire un mot de plus, afin de se réfugier dans sa chambre et d'y pleurer pour le reste de la journée.
Après le dîner, Eleanor se rendit dans la chambre du médecin, prétextant à son mari d'avoir besoin d'un renseignement. Mis à part elle, personne n'avait vu Constance du reste de la journée. L’aînée avait finit par se prendre de sympathie pour l'amant de sa sœur, admirant sa volonté à trouver un moyen de passer du temps avec Constance. Avant de prendre la parole, elle se permit de s’installer sur une chaise, son corps ne supportant plus trop le poids de l'enfant qu'elle portait. “Vous avez bien conscience que tout ceci était calculé depuis longtemps, n'est-ce pas ?” lui demanda-t-elle calmement, avec un regard désolé. “La seule variante qu'ils ne maîtrisent pas, et j'ose espérer qu'ils n'y parviendront jamais, c'est la volonté de Constance.” Mentionner ce trait de personnalité faisait sourire l'aînée, grâce à quelques souvenirs. Elle tendit une enveloppe qu'elle avait dissimulé dans sa robe. Elle laissait Cole découvrir ce qu'il y avait à l'intérieur, il s'agissait d'un ticket m'y qui aurait permis à Constance de se rendre au Caire. “Elle avait demandé à Rosie, sa domestique, de lui procurer uniquement un ticket aller, il y a quelques temps déjà. Pas de retour. Mais Charlotte a intercepté l'enveloppe en voyant Rosie rentrer dans le manoir et a jugé bon de me la confier et de m'en parler.” Eleanor marquait un moment de pause pour laisser le temps à Cole de tout comprendre. “Elle était prête à vous rejoindre là-bas, Dr. Elwood. Malgré le bébé, malgré son mariage, elle était prête à tout laisser derrière dans l'espoir d'être avec vous. Et de vivre une vie qu'elle n'aurait jamais pensé avoir un jour. Elle savait pertinemment que vous l'en auriez empêché si elle avait partagé ce secret avec vous. ” L'émotion était vive dans la voix de la Lady. “J'ai du lui en parler. Je sais qu'elle a pour le moment des rapports très… Compliqués avec son bébé, ce n'est pas ça qui l’aurait freiné. Mais vous et moi savons très bien ce que les hommes de cette famille sont capables. Et vous savez tout aussi bien que moi que ce n'est pas à elle qu'ils s'en seraient pris, mais à vous. C'était l'argument principal qui m'a permis de lui faire changer d'avis parce qu’elle n'y avait pas pensé de cette façon là.” Eleanor en avait les larmes aux yeux, perturbée de voir sa sœur dans cet état. Elle marquait une longue pause. “Je suis allée la voir tout à l'heure pour voir comment elle se portait, elle m’a encore une fois demandée de lui rendre le billet. Je pense qu'elle espère encore un peu vous faire changer d'avis.” Il faisait déjà sombre dehors, Eleanor le constatait en le regardant par la fenêtre de la petite chambre de Cole. “Est-ce que tout ceci en a valu la peine ? De leur mentir à tous, de vous faire espérer, elle comme vous, pour que finalement, elle finisse par vous voir partir après une rupture Ô combien douloureuse pour vous deux ?” lui demanda-t-elle tristement. Elle soupira. “Je vous parlais de sa volonté, tout à l'heure. Elle n'est pas toujours là, mais… Je suis inquiète pour elle, Dr. Elwood. Vous êtes son premier amour, je la connais suffisamment pour savoir qu'elle ne tombera jamais amoureuse de Peter. Et si elle parvient à mettre cet enfant au monde sans soucis- là aussi, je me permets d’émettre un doute-, j'ignore si elle parviendra à accepter l'enfant.” Eleanor ne pleurait pratiquement jamais, mais là, des larmes venaient border ses yeux verts, véritablement inquiète pour le futur de sa propre sœur. “J'ai tellement peur pour elle. Je sais qu'elle ne me fait plus autant confiance, et je regrette beaucoup de mes choix. De ce fait, je sais qu'elle ne me dira jamais tout, et que ce sera souvent bien le plus lourd pour elle qu'elle gardera pour elle. Et j'aimerais pouvoir vous assurer que je veillerai sur elle,Dr. Elwood, que je puisse au moins vous donner l’occasion de vous remercier d'avoir été là pour elle tout ce temps en vous permettant de vous laisser partir la conscience tranquille à ce sujet. Mais d'avoir vu Constance comme elle l’est aujourd'hui, je ne suis certaine de rien.” Elle essuya rapidement une larme qui s'était échappée de sa paupière. “J'adorerai pouvoir me dire et vous dire qu'il faut laisser le temps au temps, mais je doute que cela soit d'une grande aide. C'est la première fois que je la vois dans un tel état et je dois dire que je suis si inquiète pour elle.” Elle prit de profondes inspirations, sachant très bien que toute cette inquiétude et tout ce stress n'était pas bien pour elle surtout à ce stade de la grossesse, mais elle ne voulait pas laisser Constance gérer seule tout ce qui lui arrivait dernièrement. C'était beaucoup d'un coup pour elle, même sa sœur le reconnaissait. “Gardez le billet pour vous, elle a choisi une cabine plutôt confortable, vous y serez à votre aise.” finit-elle par dire avec un sourire sympathique, bien que toujours émue. "Elle vous aime profondément, vous savez. Je ne douteraient pas de l'affection qu'elle vous porte, si j'étais vous. Elle... Elle s'accroche juste à qu'elle pense lui rester, et c'était avant l'amour qu'elle a pour vous qui lui a permis de vivre... Non.. De survivre plutôt au milieu des Keynes."
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Encore une fois, la tablée fit avec l'absence de Constance durant le dîner. L'habitude qu'elle avait pris de ne pas se montrer tous les quatre soirs pour une raison ou l'autre faisait sourire -comportement de princesse, disaient-ils, encore enclins à le prendre à la légère, pleins de patience, tandis que Cole ne savait que trop bien la raison de son absence et s'en morfondait. Il se montrait moins compréhensif avec le temps, l'usure se faisant sentir sur ses épaules et son coeur égratignés. Les fuites incessantes de la jeune femme le laissait, et il en avait assez d'être celui qui faisait face, qui faisait bonne figure pour eux deux à chaque contrariété alors que la petite blonde s'accordait le luxe de la solitude. Les conditions n'étaient pas plus aisées pour Cole, et sa présence était uniquement liée à celle de Constance ; pourtant elle n'hésitait pas à le laisser seul parmi les loups, certainement loin de comprendre qu'il avait aussi mal qu'elle. Il était forcé de constater qu'il avait bien plus la tête sur les épaules qu’elle également. Le repas lui laissa donc un goût amer et, renfrogné, il ne tarda pas à rejoindre sa chambre. Il aurait été préférable de ne pas s'y inviter, pourtant, Eleanor y prit ses aises comme si elle y avait été invitée, et sans aucune gêne, secoua sous le nez du médecin les billets que sa soeur avait cherché à se procurer afin de le rejoindre au Caire. Un comportement absolument irresponsable de la part des deux Dashwood qui laissa Elwood sans voix durant un long moment. Constance est insensée et n’a définitivement pas les pieds sur terre. Quant à sa soeur, désarmée, elle n'inspirait plus de sympathie à Cole. Son regard, posé sur elle avec intensité, l'assassinait et ne pardonnerait pas sa démarche, encore moins son discours qui osait faire planter un doute sur sa capacité à prendre soin de sa cadette. Le brun se sentait accablé plus que de raison, et plus qu'il ne pouvait le supporter en une journée. « J'ai déjà pris ma décision à ce sujet. » dit-il fermement. Il ne reviendrait pas là-dessus. Ces billets ne changeaient rien, la manoeuvre d’Eleanor non plus, et à vrai dire, toute autre stratégie que les Dashwood cacheraient dans leurs manches dans ce sens ne feraient que lui prouver qu'il s'éloignait pour le bien de tous. « Cette histoire n'a jamais été faite pour durer pour toujours... » Néanmoins, il aurait souhaité qu'elle dure plus longtemps. Cole pensait, sûrement à tort, que Constance en avait conscience autant que lui et qu'elle ne les imaginait pas, dans dix ou vingt ans, continuer de se bécoter dans le dos de son mari, de toute la famille. Leur statut était éphémère, qu'importe si les sentiments, eux, seraient éternels. Ses sentiments tordaient son coeur, son estomac, et déjà sentait-il les symptômes d'un manque ; pourtant il.ne revenait pas en arrière. Il lui semblait être véritablement la seule personne sensée de ce manoir tout entier, et son amertume devenait une colère que son naturel si calme rejetait. Alors il serrait les dents, les muscles crispés et la respiration, profonde, visant à le calmer tandis qu'il effectuait quelques pas dans la pièce. « C'est votre sœur, Eleanore, ce sont vos erreurs, c'est votre responsabilité. Endurcissez-la, faites-en quelqu'un qui peut survivre ici, par n'importe quel moyen. Trouvez un moyen. Tout ce qui lui reste, c'est vous, c'est son bébé, et c'est d'avoir ce toit sur la tête, et cela est bien assez pour qu’elle crée son propre bonheur. Si j'ai tenu ici tout ce temps, si vous le pouvez, alors elle le peut aussi. Encore faut-il que vous cessiez de la traiter comme une enfant. » Rêveuse, idéaliste, capricieuse ; Constance se permettait bien trop alors que le reste du monde prenait sur soi, lui le premier, forcé de servir de façade à leur relation face aux Keynes car elle se montrait incapable de jouer son rôle. Même lorsqu'il avait emménagé à nouveau ici, cela n’avait pas été assez. Mais que pouvait-on décemment lui demander de plus ? « J'en ai assez que vous fassiez reposer son bonheur sur mes épaules. Qu'elle, vous et votre père me mettiez tout sur le dos. Constance n'est pas ma responsabilité. Ça, dit-il en secouant les billets sous son nez, cette fuite toute planifiée, son intention de tourner le dos à ses engagements, ses responsabilités, sa famille, son incapacité à s'adapter, ce n'est pas ma responsabilité, c'est la vôtre, c'est votre œuvre. J'ai fait la promesse de prendre soin d'elle, je n'ai jamais dit que tout serait rose et plaisant. Parfois les remèdes font sont aussi terribles que le mal lui-même. Je fais justement ce que j'ai à faire pour son propre bien. Il est temps de vous y coller sérieusement aussi. Vous êtes jeunes, toutes les deux, et vous n’avez rien vécu. Mais il est temps qu'on vous apprenne qu’être adulte consiste à prendre des décisions qu'on déteste, faire des choix qu'on méprise, et vivre une vie à des kilomètres de nos attentes, de nos souhaits et de nos rêves. C'est supporter, c'est encaisser, c'est faire des sacrifices, être bourré de regrets, c'est tenir bon et continuer d'avancer. » Et Constance Dashwood n'était pas la plus à plaindre au monde, entourée de sa famille aimante, d'un mari qui n’avait d’yeux que pour elle, d'un amant prêt à sacrifier sa liberté pour elle, le tout dans un domaine somptueux et sans jamais avoir à se soucier de l'argent. Elle avait tout, et pour Cole, il était plus que temps qu'elle cesse de cracher sur sa chance. Sa tolérance avait trouvé des limites, et elles étaient les mêmes que celles de la capacité de la jeune femme à comprendre que son intérêt passait avant tout pour le médecin. « Je ne suis pas heureux non plus. Qu'est-ce que vous croyez ? J'ai tout perdu, j'ai retrouvé l'amour et je dois à nouveau tirer un trait dessus. Alors qu'est-ce que vous attendiez en venant me montrer ça et me dire que vous ne vous pensez pas capable de prendre soin de votre propre sœur ? Qu'est-ce je suis supposé faire de tout cela ? J'ai un devoir, Eleanor, envers Constance, envers les Keynes et envers moi-même. Je fais ce qui me paraît juste et cela est loin d'être facile. J'ai pris une décision, et je m'y tiendrai. C'est ma manière de l'aimer. » conclut-il, et il ne souffrirait pas de la moindre objection de la part d'Eleanor. Elwood était loyal, dévoué, bien plus que de raison, et plus qu'il n’était possible de le saisir. Et il était fatigué, usé. Plus qu’il n’était possible de l’imaginer également.
Il fut levé de bonne heure le lendemain, pour ne pas dire à l’aube. Après sa conversation avec Eleanor, il avait passé une bonne partie de la nuit à réfléchir, et s’il avait finalement peu dormi, il en avait tiré une idée qui était, à ses yeux, le dernier moyen de secouer Constance et de lui faire comprendre pourquoi il agissait comme il le faisait. Le dernier, le plus efficace peut-être, et aussi le plus dur, le plus cruel. Mais il était déterminé à lui ouvrir les yeux, bien qu’il craignait sa réaction qui pourrait être parfaitement à l’opposé de ses intentions. Qui ne tente rien n’a rien, se disait-il, et il jouait là sa dernière carte. Il se rendit dans la chambre de la jeune femme qu’il réveilla doucement. Néanmoins, il n’y avait pas de temps à perdre s’ils ne voulaient pas rater le premier train. « Constance. Préparez-vous, nous allons à Londres ce matin. Je dois vous montrer quelque chose. » Quoi qu’elle pouvait se douter que cela n’était pas synonyme d’escapade en amoureux, vu ce qu’elle avait tiré de sa première expérience à Londres, Cole ne lui laissait guère le choix. Ils se retrouvèrent sur le perron du manoir, le chauffeur les attendait ; un déjà-vu qui n’était pa splus plaisant la seconde fois. Le voyage se fit dans le silence le plus total. Elwood, dans ses pensées, se sentait désolé que Constance ne puisse se préparer autant que lui à ce qu’ils allaient voir -le choc n’en serait que plus fort et l’effet, espérait-il, plus probant. Lui, il avait le coeur serré, un brin de nausée. Il s’était dit auparavant qu’il n’aurait plus jamais le courage de s’y rendre à nouveau, et les souvenirs de la dernière fois lui retournait l’estomac. Ce n’était pas une plaisante journée, et cela ne risquait pas de le devenir au fil des heures. Il se mit à pleuvoir durant leur trajet en train vers la capitale, et plus ils approchaient, plus l’averse semblait s’intensifier. Ils arrivèrent à destination, face à la porte d’entrée du bâtiment en question, trempés, malgré le parapluie sous lequel ils s’étaient couverts ; les trois pas séparant le fiacre du trottoir ayant suffit à les faire ressembler à deux sachets de thés infusés. A l’intérieur, il ne faisait pas meilleur, mais au moins, il faisait sec. Elwood se présenta à l’entrée, et rien de plus n’était nécessaire pour le laisser aller plus loin. Ils étaient néanmoins escortés par un homme dont la carrure le prédestinait à s’occuper de la sécurité d’un lieu pareil. Même si le hall était blanc et d’une relative propreté, une fois une épaisse portée passée, ils arrivèrent dans un couloir où la lumière du jour ne pénétrait jamais. Et là, l’air humide et froid trahissait la réelle vétusté des lieux. Mais le plus terrible n’était pas ce vent, semblable à la caresse de la mort elle-même, transportant une odeur acide qui piquait jusqu’au fond de la gorge. C’était les cris. Ils transpiraient des murs, de l’autre côté des portes, à travers les barreaux et les minuscules fenêtres. Des cris aigus, des cris rauques, des voix cassées, brisées, d’âmes errantes ou se frappant la tête contre les murs. Il était connu que toutes les femmes ici n’étaient pas folles et n’avaient pas leur place dans pareil établissement, que rares étaient celles qui ne le quittaient pas les pieds devant, et surtout, avec toute leur tête. Car il suffisait de s’enfoncer dans cet interminable couloir sombre, de respirer cet air, pour avoir l’impression que la folie s’infiltrait dans vos poumons et votre crâne. Cole se stoppa devant l’une des portes et la fit ouvrir par leur escorte. Il n’entra pas pourtant autant et demeura dans l’encadrement avec Constance. Impossible de savoir quel genre d’animal se trouvait là. « Reconnaissez-vous quelqu'un ? demanda-t-il avant de pointer une jeune femme du doigt, assise sur une couchette, calme, absente, vide. Juste ici. » Elle était maigre, elle était pâle, et son crâne nu fendait le coeur. Elle était l’ombre d’elle-même, transparente et bloquée, flottante dans sa propre éternelle peine. Mais bien que son aura soit méconnaissable, ses traits, eux, restaient les mêmes. « Oui, c'est elle. C'est Wendy. La dernière fois que vous l'avez vue, elle vivait dans une petite chambre tous frais payés avec son fils, Henry. Elle avait de beaux cheveux blonds à ce moment-là, je comprends que cela puisse vous… déstabiliser. » Il soupira, le coeur lourd. La question était pourquoi ? Pourquoi cette femme s’était retrouvée ici ? Pourquoi semblait-elle faire partie intégrante de ce vide dans lequel son regard se perdait à longueur de journée ? « Le garçon est mort. Il a succombé à la maladie il y a quelques mois. Elle en a été, disons, folle de chagrin. Et puis, le père du petit a cessé de payer son loyer, on l'a oubliée, abandonnée, et alors qu'elle n'avait plus la volonté de faire ce qui était nécessaire pour survivre, elle a été conduite ici. Elle n'est pas folle. Du moins, elle ne l'était pas à son arrivée. Mais les autorités ont décrété qu'elle serait mieux ici que errante dans les rues.» Question de point de vue. La ville pensait peut-être faire une fleur à toutes ces pauvres en leur donnant au moins un toit et un repas par jour. Qu’importent les conditions de vie, tant que l’on vit ? Cole ne pouvait s’avancer pour elles, il ne saurait dire s’il valait mieux mourir dehors ou errer ici. Là n’était pas tant la question. En ces lieux, Wendy était oubliée, rayée de la surface du monde. Comme si elle n’existait plus, n’avait jamais existé, ni elle, ni son fils. Qui s’en souciait ? « Elle, Constance, elle est une pauvre petite chose. » murmura Elwood. Il lui était insupportable de la regarder, et pourtant, il ne pouvait détourner le regard. Il ne pouvait plus l’aider, mais il pouvait lui permettre de perdurer dans le regard de quelqu’un, dans le sien. Et c’était peu, c’était insignifiant. Wendy ne le saurait jamais. Pourtant, jusqu’au bout, elle demeura un être vivant pour Cole, réelle. De la chair, des os, une âme. Et il gardait précieusement le souvenir de celle qu’elle était, même si elle s'éteignait à petit feu. « Henry était le fils de Brentford. Il est né avec une santé fragile, c'était une brindille, alors je suis venu toutes les semaines pour m'occuper de lui. Je l'ai vu grandir, et je l'ai vu dépérir, le véritable tout premier héritier Keynes. » Pourtant, aux yeux de son propre père, il n’était rien de plus qu’un erreur de jeunesse, un bâtard, un danger. Cole n’avait pas pu le sauver, lui non plus. Pas plus qu’il n’avait pu sauver Wendy, ou Annie. Mais tout ceci n’était pas à propos de lui. « Regardez la bien, Constance. Regardez la. Puis regardez vous. » Elle, et les dîners auxquels elle se permettait d’échapper pour pleurer, et pour quoi ? Elle, dans ses robes hors de prix, et son éternelle insatisfaction. Elle et toutes ces personnes qui l’aimaient, et cette chance qu’elle aurait de ne pas perdre son enfant dans les premières années de sa vie comme encore de trop nombreuses mères. Elle qui ne finirait jamais dans un asile pour être cachée, le crâne rasé pour faire des perruques. Sauf si leur liaison était exposée et que l’enfant n’était pas celui de son mari. Tout ce que Cole s’efforçait d’empêcher en mettant un terme à cette relation au moment le plus critique. Quand le spectacle lui parut suffisant pour Constance, le médecin fit refermer la porte. Désormais, c’était elle qu’il regardait avec grand sérieux, et une peine sincère. Lui aussi, il était malheureux. Lui aussi était triste. Lui aussi tremblait et pleurait parfois. Ils en avaient terminé ici. Ils laissèrent les cris derrière eux, coincés derrière la grande porte. Ils rentrèrent à Chilham, plongés dans le silence où demeurait l’écho, l’empreinte de toute cette détresse, comme des murmures, un souffle froid frôlant le creux de leur cou. Ou peut-être était-ce la pluie. « Maintenant, j'espère que vous comprenez. » dit Cole tout bas, une fois dans le train, loin d’être fier. Il se sentait mal, sale, et presque souffrant. Et rien ne pouvait soulager cela. Il comptait bien entendu sur la discrétion de Constance qui ne pouvait révéler ce qu’elle avait vu et découvert ce matin, autant qu’il espérait que tout ceci l’endurcisse, bien qu’il ne souhaitait qu’une chose suite à cette épreuve ; la prendre dans ses bras afin de chasser ces images et la culpabilité de son esprit.
give me your love and physical affection, give me the worst of you to hold
Eleanor ne s'attendait certainement pas à une telle réaction de Cole. Certes, la relation entre les deux étaient loin d'être amicale mais ils avaient désormais une personne en commun qu'ils aimaient tous les deux. L’aînée Dashwood avait ainsi espérer mettre les choses à plat mais la manière dont il lui parlait, bien qu'il n'avait pas tort, la braquait aussitôt. A vrai dire, elle ne préférerait rien ajouter parce qu'elle savait très bien que cela n'arrangerait en aucun cas la situation. Personne n'était blanc dans toute cette histoire, personne ne l’était sous ce toit. Elle ignorait comment faire en sorte que sa jeune sœur puisse se contenter de tout ce qu'elle avait déjà. Elles avaient grandi dans un cadre plus qu’idéal, et cela leur avait empêché de se confronter à des réalités bien plus difficiles et pitoyables que les leur. Le médecin avait, dès le lendemain, l'intention de corriger le tir en espérant peut-être ouvrir les yeux à Constance. Celle-ci était plus que surprise de le voir dans sa chambre, là, à la réveiller de si bon matin. L'expression qu'il avait, le timbre de voix, laissaient comprendre que leur sortie incongrue n'allait pas être des plus plaisantes. De plus, Constance avait cette pesante impression que le médecin ne lui laissait pas le choix. Elle se sentait obligée et forcée de prendre ce premier train pour Londres. Le cœur serré dans un étau, elle se vêtit rapidement pour le rejoindre dans le hall d'entrée. Quelque part, elle avait toujours l'espoir qu'il se rétracte, qu'il ait une nouvelle option à lui proposer. Mais l'air pesant, le manque cruel de conversation et l'absence de regards échangés en disaient long. Il avait pris sa décision et ne comptait pas revenir dessus. Alors où allait-il l'emmener ? D'un côté, elle était effrayée de ne pas savoir. Et rien des paysages qu'elle voyait défiler lorsqu'elle était dans le train ne lui permettait de rêvasser un petit peu, pas même quelques secondes. Et le reste du voyage ne fut pas plus rassurant, avec ces épais nuages gris qui semblaient être de plus en plus foncés alors qu'ils approchaient Londres. La pluie allait de pair, si bien que les paysages devenaient vite flous et grisonnant. Rien de très réjouissant jusque là. Constance finissait même par se demander ce le médecin comptait bien faire d'elle. A vrai dire, elle était terrorisée. Encore plus lorsqu'elle se retrouvait face à ce grand bâtiment de pierres où Cole lui faire franchir les portes. Il fallait en passer d'autres pour tomber sur une réalité que la petite blonde ne connaissait pas. Déjà prise de nausées matinales durant tout le trajet, cette sensation bien désagréable se manifesta de plus belle lorsque les premières odeurs fétides atteignirent ses narines. Son pas s'était alors ralenti, son teint était devenue bien plus pâle et elle dut placer une main devant sa bouche en n'ayant plus qu'à espérer que ce malaise ne passe. Ils s’arrêtaient devant une petite cellule dont l'agent de sécurité ouvrit la porte avec un énorme trousseau. Il restait ensuite un petit peu en retrait, mais n'était finalement pas si loin que ça. Le médecin attendait d'elle qu'elle reconnaisse une femme et elle n'eut aucun mal pour cela. Impossible pour elle d'oublier ce moment traumatique, encore moins depuis qu'elle savait être enceinte. Wendy avait été la pour l'accouchement compliqué de son amie. C'était la première fois qu'elle voyait quelqu'un mettre un enfant au monde et cela n'avait en rien arrangé l'aversion et la terreur ressentie à cette simple idée, là où bien d'autres femmes y trouvaient un quelconque bonheur, un quelconque plaisir. Depuis qu'elle l'avait reconnue, Constance ne quittait pas Wendy du regard pendant que le médecin lui expliquait toute la situation. Elle se souvenait vaguement de ce petit garçon souffrant dont Cole s'occupait. Il s'était pris de pitié d’elle, et la petite blonde aussi. Bien qu'elle n'avait pas d'affinités particulières pour les enfants, elle ne souhaitait à aucune mère de vivre une telle expérience, pas même pour elle-même. Constance ne savait que penser. Entre le fait de voir le destin tragique de Wendy et de son enfant, Cole qui tentait de lui faire comprendre quelque chose, et elle, là, les yeux rivés sur une femme qui pourrait finalement très bien être elle. Elle était dans un état de choc, et c'était un euphémisme. Une véritable secousse pour elle. Elle pouvait épargner une telle vie à son propre enfant. Elle était terrifiée, profondément triste, peinée, voire même bouleversée. Et sur le moment, elle se demandait quel genre de cruauté avait pu traverser l'esprit celui qui fut encore tout récemment son amant pour avoir voulu l’emmener jusqu'ici. La petite blonde ne voulait même pas lever les yeux vers Cole, bien qu'elle sentait son regard peser sur elle. Elle ne voulait pas voir ce qu'elle y trouverait ni ce qu'elle pourrait y décrypter, sachant pertinemment qu'il n'y aurait rien de positif ou décourageant dans cette paire d'iris verts. Elle ignorait combien de temps s'était écoulé jusqu'à ce qu’Elwood demande à ce que l'on ferme la porte de la cellule et à ce qu'on les fasse sortir de là. Constance avait avant tout besoin d'air. Entre les odeurs et les symptômes de sa grossesse, on ne pouvait pas dire qu'elle se portait au lieux. Avant de monter à nouveau sans le fiacre, elle s'était appuyée quelques secondes contre le mur du bâtiment en regardant le ciel, sentant les gouttes de transpiration qui seraient mises à perler sur son front se mêler à quelques gouttes de pluie. Leur fraîcheur lui faisait un petit peu de bien, à vrai dire. Elle refusait l'aide de qui que ce soit, pas même pour remonter dans le véhicule. Elle maintenait une certaine distance avec lui, les yeux toujours rivés vers l'extérieur. Bien que son regard était vide, elle ne pouvait s'empêcher de retenir les quelques larmes, les seules qu'elle parvenait à extérioriser lorsqu'il se permit de lui adresser à nouveau la parole. Comprendre quoi ? Cette question occupait son esprit pour une bonne partie du voyage en train. Les messages qu'il avait pu vouloir lui transmettre étaient multiples, et certains d'entre eux n'étaient absolument pas plaisants à entendre, surtout venant de la bouche et des intentions du beau brun. Elle était encore bien trop secouée pour parvenir à faire le tri dans toutes ses suppositions. Aucune d'entre elle n'était un tant soit peu positive, aux yeux de la jeune femme. Constance ne lui répondait pas. Elle craignait avant tout de penser faux, et d'attirer les foudres de Cole. Or, une confrontation avec lui était bien la dernière chose dont elle avait besoin à l'heure actuelle. De plus, Constance savait pertinemment qu'elle ne pouvait en parler à personne d'autre. C'était le genre de choses qu'il valait mieux garder secret. Ainsi, elle se sentait à nouveau coincée, et terriblement seule. Le train arrivait en gare et il fallait prendre une autre voiture pour retrouver le manoir. Le temps y était devenu tout aussi maussade, avec une bruine des plus désagréables. Constance restait murée dans son silence. C'était ainsi que son cher et tendre mari l’aimait, n'est-ce pas ? Une belle femme qui n’exprimait jamais ses opinions. Le trajet lui semblait durer une éternité, mais elle préférait qu'il en soit ainsi avant d'arriver trop tôt au manoir. Les images, les sons et les odeurs associés à tout ce qu'elle venait de voir faisait toujours la réapparition dans son esprit, dès qu'elle commençait à l'oublier. A nouveau prise de nausées, elle somma le cocher d'arrêter le cheval afin qu'elle puisse descendre. Son corset semblait trop lui serrer, et bien que le temps était particulier automnal ce jour là, elle avait des bouffées de chaleur avec des sueurs. Nauséeuse, elle plaça à nouveau sa main devant la bouche, masquant en même temps son visage à la fois triste et terrifié. Pourquoi, elle ne le savait pas réellement. L’horreur de ce qu'elle venait de voir, à l'idée de revenir au manoir, de se persuader que Cole ne devait plus beaucoup penser du bien d'elle. Elle n'en savait rien, mais cela la prenait aux tripes. Peut-être qu'elle réalisait qu'elle n'avait d'autres choix que de tenir le coup. Pour qui, pour quoi, elle l’ignorait également. Elle sentait son cœur palpiter dans sa poitrine. Bien qu'elle se sentait faiblir, elle fit deux trois pas au bord de la route tandis que sa main tirait un peu sur le col de sa robe dans l'espoir de desserrer un peu son corset. Le cocher la regardait d'un air inquiet et attendait qu'elle veuille bien à nouveau monter dans le fiacre pour adopter un rythme plus doux afin qu'elle ne soit pas trop secouée, ayant bien vu qu'elle était mal en point. Malgré son état, elle n'adressait aucun regard à Cole, ne lui demandait aucun conseil ou auscultation bien qu'il était le seul à pouvoir éventuellement l’aider. Et puis, ils n'étaient plus qu'à deux pas de Chilham. Elle n'osait toujours pas voir ce qu'elle pourrait lire dans son regard, ayant bien trop peur que cela ne la fasse souffrir davantage. C'était aussi un moyen pour elle de se protéger. Lorsqu'ils étaient arrivés à destination, personne ne vont lui reprocher qu'elle tienne à se reposer un peu dans sa chambre, il était difficile de passer à côté de son teint plus que pâle, quasi morbide. Bien qu'elle tenait à peine sur ses jambes, elle refusa l'aide de qui que ce soit.
Malgré tout, et contre toute attente, Constance se présenter au déjeuner, à l'heure du thé et au dîner. C'était le seul moyen qu'elle avait trouvé pour se changer un peu les idées. Même ses livres ne lui étaient d'aucun secours. Certes, personne n'avait entendu le son de sa voix et elle semblait toujours un petit peu ailleurs lorsqu'on l'interpellait. Mais au moins, elle était là. Durant le dîner, Eleanor avait voulu le prendre discrètement la main sous la table, en signe d’encouragement mais sa cadette dégagea immédiatement la sienne pour la poser sur ses propres genoux. Elle ne pouvait plus compter sur elle non plus. Peter et Catherine s'inquiétaient de son manque d'appétit, en voyant ses assiettes encore bien pleines à la fin de chaque met. D’une voix faiblarde, Constance se sentait obligée, devant tous ces regards insistants, que son état datait déjà depuis quelques temps, que les malaises se faisaient récurrents. Personne n'était dupe, et tout le monde avait une vague idée de ce cela pouvait signifier. Cela faisait quasiment office d'annonce pour tous, et c'était encore bien trop tôt pour Constance. “Le Dr. Elwood devrait tout de même vous ausculter afin d'en être sûr.” dit Catherine d'une voix posée en adressant un sourire amical au brun. “Peut-être aura-t-il des conseils à vous donner, ou des recommandations. Vous êtes déjà bien fragile, peut-être que nous devrions redoubler d'attention si nous sommes sûrs que vous attendiez un enfant.” Beaucoup peinaient à dissimuler leur satisfaction, Peter le premier. Le torse gonflé à bloc, fier comme un coq, il arborait un sourire qui était synonyme de victoire pour lui. A ses yeux, il gagnait sur bien des tableaux et il comptait bien se pavaner bien plus que nécessaire. “Avant de célébrer quoi que ce soit, soyons-en sûrs.” dit alors Eleanor, cherchant à calmer l'effervescence naissante. C'était encore une fois beaucoup trop en une seule journée pour Constance. Aussi, son époux devient soudainement particulièrement affectueux avec elle, en prenant sa main pour embrasser délicatement ses doigts, le regard plus qu’amoureux. Constance esquissait un faible sourire, déroutée par autant d'attention. Elle n'était pas à l'aise et n'avait jamais aspiré à être l'héroïne de la soirée. Cela dit, cela ne la rendait pas moins silencieuse, bien que l'ensemble des Keynes semblaient être un peu plus avenants avec elle. A la fin du dîner, Constance grimpait les étages en compagnie de Catherine qui lui donnait déjà tout un tas de conseils issus de sa expérience personnelle. Cela partait certainement d'une bonne intention, mais elle ne l'écoutait que d'une oreille, se sentant libérée dès qu'elle arrivait à la porte de sa chambre. []“Le Dr. Elwood ne devrait plus tarder, je l'ai vu discuter avec Peter tout à l'heure, suite à quoi, vous pourrez vous remettre de cette journée pleine de rebondissements.” [/i]dit Catherine avec un sourire sympathique. Une fois seule avec sa suivante, cette dernière l’aida enfin à se débarrasser de son corset, pour enfiler chemise et robe de nuit. Ses cheveux étaient tressés en une seule natte. Elle attendait avec beaucoup d’appréhension la venue du médecin, sachant pertinemment que tout le monde attendait avec un impatience la confirmation de sa grossesse. C'était la première fois qu'elle le regardait depuis le début de la journée. Son cœur se serrait de plus belle, son rythme s’accélérait. Impossible pour elle d'oublier tout l'amour qu'elle lui portait, mais aussi me déroulé de ces derniers jours. Elle s'était levée, puis il y avait eu ce long moment de silence, à se regarder, sans trop savoir quoi se dire. “Je ne voudrais pas vous importuner ou… Vous faire perdre votre temps, vous avez sûrement bien d'autres choses à faire.” dit-elle en forçant un sourire. Le ton de sa voix laissait comprendre qu'elle ne savait absolument plus comment s'adresser à lui, ni à qui elle avait affaire désormais : son amant, son ami ou juste le médecin de famille ? Elle jouait nerveusement avec ses doigts, baissait la tête. “Vous savez déjà ce qu'il se passe, je suppose que tout ce qu'ils veulent, c'est de l’entendre de votre bouche. N’est-ce pas ? J'ai…l’impression que c'est un peu tôt pour en être totalement sûr...” A moins qu'elle ait totalement occulté une période avant qu'elle ne se rende véritablement compte qu'elle n'avait pas eu ses menstruations. Son inconscient préférait la laisser croire qu'elle pouvait potentiellement être enceinte du médecin. Constance ignorait totalement ce qu'il pouvait faire de plus pour confirmer ou infirmer cette nouvelle. Elle ne savait pas non plus s'il fallait revenir sur leur voyage du matin même, si elle pouvait encore se confier à lui. Épuisée, elle se permit de se rasseoir sur le bord de son lit. La petite blonde gardait même ses larmes pour elle. Pourtant, dans le regard amoureux qu'elle lui lançait malgré tout, Cole pouvait deviner tout ce qu'elle gardait désormais pour elle, que les pleurs étaient juste là sans se manifester pour autant. Elle ignorait d'où lui venait cette force de tout canaliser, il était certain qu'elle ne parvienne pas à tout contenir éternellement. La matinée à Londres était devenue un véritable traumatisme pour elle, et elle ne pouvait pas le partager avec qui que ce soit. “Les…nausées, les vertiges… Ça va durer encore longtemps ?” finit-elle par demander, dépitée. Constance n'arrivait pas à accepter sa grossesse, encore moins le fait d'avoir un enfant dans moins de neuf mois, elle espérait alors au moins que ça ne soit pas désagréable tout du long, afin que ce soit le plus supportable possible pour elle. Lorsqu'elle voyait Eleanor, tout semblait aller parfaitement bien, à moins qu'elle ne cache la réalité histoire de parfaire son image. Constance avait malgré tout envie d'être dans les bras de Cole, de pouvoir l'embrasser. De sentiments dont elle ne voulait pas se débarrasser, bien qu'elle lui en voulait un peu rapport à ce qu'il avait tant tenu à lui montrer. Elle se doutait bien qu'il en souffrait également quoi qu'il avait de quoi se réjouir à l'idée d'échapper à cette famille, de réaliser un de ses rêves, de ne plus avoir de véritables responsabilités désormais. En somme, tout ce qui lui restait à faire était d'aider Eleanor à accoucher dans les meilleures conditions possibles. En dehors de cela, Constance n'avait plus aucune raison de le retenir ici, pas pour que le reste des jours passés ensemble soit similaire à celle-ci. Elle était à court d'idées pour prolonger la durée de cette fameuse auscultation afin qu'elle soit le plus plausible possible.
made by black arrow
Dernière édition par Joanne Prescott le Sam 23 Sep 2017, 00:24, édité 1 fois
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Constance ne répondit pas. Elle n'avait donc pas saisi. Voyant que tout ce voyage eut lieu pour rien, le médecin lâcha un long soupir. Il n'insista pas, il n'ouvrit plus la bouche pour le reste du chemin de retour au manoir. Il ne pouvait rien faire de plus afin que la jeune femme prenne conscience de toute sa condition, de sa chance, de ses dangers. Eleanor n'avait pas semblé saisir son discours de la veille non plus. Il n'espérait plus rien d'elle. Alors il se surprit à attendre que novembre vienne avec un peu plus d'impatience que cela n'était déjà le cas. Il se sentait impuissant, ici. Vis à vis de Constance, de lui-même. D'eux deux. Il n'y avait plus rien à faire. Ainsi, il observait, désarmé, la jeune femme prise de vives nausées, mélange de choc et de début de grossesse. Peut-être que les images feraient leur chemin, peut-être qu'elle en tirerait un maigre enseignement. Mais il en avait pris la responsabilité, et de grands risques, pour la dernière fois. Désormais il resterait à sa place. Au dîner, il se garda bien d'émettre la moindre réflexion. Il sourit poliment, en bon invité, lorsque la tablée comprit que le second mariage serait à son tour fructueux. Il vit Peter se réjouir, et sur le visage de Constance, rien qui ne puisse laisser penser que la scène de ce matin fut d'une quelconque utilité encore. A sont tour, il fut inquiet. Eleanor avait peut-être raison ; sa sœur ne s'adapterait pas. Bien évidemment, on lui demanda de confirmer, ou d'infirmer les soupçons de grossesse. Une auscultation n'était pas nécessaire, mais Cole ne débouta pas cette occasion d'être en tête à tête avec la jeune femme. Il attendit qu'elle lui parle de ce qu'elle avait vu ce matin-là, de ce qu'elle devait en déduire, qu'elle réponde enfin à sa question, qu'elle profite d'un moment si rare pour parler librement ; rien de tout ceci. Déçu, il souffla et haussa les épaules, résigné ; « Je suis médecin, je n'ai pas mieux à faire. Et aux dernières nouvelles, je suis ici pour des histoires de bébé. » Bien qu'il eut pensé, et espéré, qu'il n'aurait à s'occuper que de l'arrivée d'un seul petit Keynes. Il ravalait sa contrariété, sa peine, et il se réfugiait dans un comportement strictement professionnel. « D'après moi cela ne fait aucun doute. Pour en être totalement certain je devrais faire des tests qui sont longs et que je trouve franchement barbares, alors je préfère me fier à ma propre expérience. » A savoir, les débuts de la grossesse de sa propre femme, et de celles qu'il avait suivies à Canterbury. Cela valait toujours mieux, à ses yeux, que d'injecter un échantillon de sang de la jeune femme dans un lapin ou une grenouille puis de disséquer celle-ci pour constater les réactions des hormones sur leur appareil reproducteur. Même s'il n'était pas impressionnable, Cole trouvait ceci impudique. « Et d'après moi, vous êtes enceinte. Le seul point sur lequel il est trop tôt pour que je me prononce, c'est la date du terme. » Néanmoins, personne n'était jamais capable d'être plus précis qu'une période s'étalant parfois sur tout un trimestre, ou un mois. Son estimation était vague à ce stade, et ce fut à l'instinct, et à en juger par la silhouette de Constance, qu'Elwood lui livra une estimation de la fin de ses nausées ; « A première vue, je dirais… encore un bon mois. Mais ce n'est pas une science exacte. J'ai suivi quatre des cinq grossesses d'une de mes patientes, et pour la première, elle fut malade tout du long. Pour la dernière, elle ne s'est pas sentie malade. » Mrs Durden avait été enceinte quasiment la moitié de sa vie, au final. Quelque chose lui disait que cela ne serait jamais le cas de Constance, vu le temps nécessaire afin qu'elle tombe enceinte. L'important, aux yeux de Cole, était avant tout qu'elle accepte cet enfant. Car il avait parfaitement conscience que s'il avait été en mesure de tenir entre ces murs, de ne pas être comme le reste de cette famille, c'était uniquement grâce à sa mère ; car cet amour là et cette guidance pouvaient tout changer. « Je vous donnerai quelque chose pour apaiser les symptômes. Reposez-vous. » conclut le médecin avant de quitter la chambre. Dans le couloir, il fut surpris de constater que personne n'épiait, personne n'attendait là, sur le qui vive, prêt à cueillir les premières informations à la source. Il ne trouva Peter que près de la porte de sa propre chambre. Dernière épreuve avant la tranquillité qu'il méritait. « Elle l'est. » dit-il en feignant un sourire. « Pour le moment… je pense que la naissance sera prévue pour le début du printemps. Je veillerai à l'avancement de la grossesse jusqu'à mon départ, puis je vous fournirai les noms de bons collègues qui pourront prendre la relève. » L'apprenti qu'il prendrait ne ferait sûrement pas l'affaire à leurs yeux, d'autant plus s'il s'avérait jeune. « Elle n'a pas l'air particulièrement heureuse de cette nouvelle. » souleva Peter, l'air inquiet. Elwood se voyait désormais forcé d'apaiser le mari de son amante, et le père de l'enfant qui les séparait désormais. L'ironie aurait presque pu le faire sourire. « Elle est prise par surprise. Laissez-lui un peu de temps pour réaliser et tisser un lien avec le bébé. » Cela lui paraissait évident, mais bien des personnes avaient besoin d'entendre ce genre de paroles tout haut afin de les assimiler. Peter acquiesça d'un signe de tête. Le médecin avait sûrement raison. Et c'était un bon ami de son épouse après tout, n'est-ce pas ? Sur ce, Cole se pensa libre de prendre congé. La main sur la poignée de la porte de sa chambre, il se tourna pourtant une dernière fois vers le jeune homme ; « C'est un cap, pour une femme, le premier enfant. Un moment important. Soyez à l'écoute et soutenez-la. Rassurez-la. C'est ce dont elle a besoin. » Encore une fois, il se devait de prendre soin d'elle. Encore une fois, il agissait dans le meilleur intérêt de la jeune femme. Et s'ils ne pouvaient être ensemble, alors, oui, cela serait toujours sa manière de l'aimer.
give me your love and physical affection, give me the worst of you to hold
S'il y avait bien quelque chose dont Constance avait horreur, c'était lorsque sa relation avec Cole ne se résumait qu'à une relation entre soignant et soigné. Le médecin lui en voulait, certaine à cause de sa totale non réaction suite à ce qu'il avait tenu à lui montrer dans le but de la secouer, de la brusquer un petit peu. Mais la jeune femme avait besoin de plus de quelques heures pour tirer des conclusions. Pour le moment, elle peinait à le comprendre, elle avait du mal à oublier les images, les odeurs, les cris incessants et cela l'empêchait de penser correctement. Si bien qu'elle n'osait pas se prononcer sur quoi que ce soit, pour la plus grand déception de son amant, qui se contentait alors, ce soir-là, de jouer le bon médecin. Elle répondait aux questions de la jeune femme en donnant autant de précisions qu'il le voulait, lui faisant comprendre que chaque grossesse était différente. Constance pouvait donc être malade durant les prochains mois tout comme elle pourrait se sentir bien mieux dès le mois suivant, et ça, personne ne pouvait le lui prédire. La petite blonde, sentant bien le poids de la déception de Cole sur épaules, ne se sentait capable que d'acquiescer la tête de temps en temps. Lui ne s'éternisa pas dans la chambre, lui donnant comme dernière indication de se reposer. Seulement, la nuit fut loin d'être tout repos. Elle avait tenté de s'endormir, mais elle n'eut droit qu'à des cauchemars et s'en réveilla couverte de sueurs et les larmes aux yeux. La main plaquée sur sa bouche pour étouffer ses pleurs, elle se forçait à garder les yeux ouverts jusqu'à ce qu'il soit temps de se lever et d'attaquer une nouvelle journée. Constance s'était présentée au petit-déjeuner, et au déjeuner. Peter, inquiet, avait constaté son teint pâle et ses petits yeux, signe d'une fatigue certaine. Elle se contenta de lui dire que suite aux derniers événements, elle ne parvenait pas à trouver le sommeil. Ainsi, son époux voulait apparemment se charger de trouver un moyen pour que la nuit prochaine soit un peu plus paisible. Après le repas, elle avait vu que Cole s'était rendu à la bibliothèque. Elle espérait qu'il n'y avait personne en ouvrant la porte de la pièce, afin de pouvoir discuter un peu avec lui. Mais elle tombait nez à nez avec Catherine. "Vous devriez vous allonger, vous êtes totalement épuisée." lui conseilla-t-elle. Déroutée, la petite blonde bégaya longuement avant de pouvoir dire quoi que ce soit, déposant parfois un bref regard sur Cole, installé dans l'un des fauteuils. "J'avais... J'ai des questions concernant... Vous savez..." Elle ne se voyait pas nommer le bébé ça comme elle le faisait jusqu'ici, devant sa belle-mère. "...Et j'espérais pouvoir m'entretenir avec le Dr. Elwood en privé un petit moment." Un sourire compréhensif étira les lèvres de Catherine. "Vous avez besoin d'être rassurée." conclut-elle, et la blonde lui répondit par un hochement de tête. "Très bien, je vous laisse tranquille, dans ce cas." dit-elle, avec le livre qu'elle cherchait en main, avant de quitter la pièce. Constance la regardait fermer la porte avant de regarder le médecin. Elle était penaude, très nerveuse, les mains jointes et très crispées devant elle. La jeune femme savait que c'était désormais à elle de parler, de faire part de ses impressions suite à la sortie de la veille. Durant la nuit, elle avait eu tout le loisir d'y penser, de tisser un discours qu'elle pensait pouvoir réciter par coeur lorsqu'elle se retrouverait devant lui. Mais ses phrases s'étaient soudainement décousues, et elle avait oublié par où elle voulait commencer. Elle bégayait longuement, déglutissait difficile sa salive, regardait parfois ailleurs dans l'espoir de trouver un indice sur la manière d'aborder un sujet aussi sensible. "...Je ne veux pas devenir comme elle." souffla-t-elle tout bas. Les yeux bien bas, elle regardait ses doigts se torturer entre eux tandis qu'elle peinait à trouver ses mots. "Je n'ai pas bien dormi cette nuit. Pour le peu de sommeil que j'ai eu, j'ai fait un cauchemar et j'étais à sa place. Cela me semblait si réel... si bien que de longues minutes après m'être éveillée, je ne savais toujours pas si c'était vrai ou non. Même maintenant, rien que par ce cauchemar, j'ai la sensation de l'avoir vécu moi-même." A ces souvenirs totalement inventés par son esprit, son visage se crispa de terreur pour quelques secondes. Elle marquait une longue pause. "C'est pour cela, que vous préférez tout arrêter ? C'est ce qui m'arrivera, s'ils découvrent toute la vérité ?" Et c'était un premier élan de panique qui s'emparait d'elle. Elle s'efforçait tout de même de parler le moins fort possible, bien qu'il était probable que Catherine ait demandé à ce qu'on les laisse tranquille le temps de leur conversation. "Et si... si le bébé était le vôtre, s'il vous ressemble de trop ?" Constance connaissait pourtant déjà la réponse. Cependant, une première étape franchie était à notifier : ça était devenu le bébé. Pas encore le sien, en revanche. Il ne valait pas mieux précipiter ce très long processus que vivait la jeune femme, afin de s'assurer qu'elle tolère au moins la maternité. Si on l'y forçait, si on voulait la hâter, il y avait des risques qu'elle doive repartir de zéro. Il était en revanche bien moins certain qu'elle puisse l'apprécier. Il y avait bien évidemment beaucoup plus de choses qu'elle voulait lui dire, lui partager et qui lui pesait extrêmement lourd sur la conscience. Mais le temps était compté et ils n'avaient pas de longues heures devant eux pour discuter. Elle tentait, tant bien que mal, d'en tirer des points qui lui semblaient essentiels bien que cela ne lui semblait pas suffisant, d'où ses très longues minutes de réflexion. "Je vais m'en occuper. Je ne peux pas promettre d'être... une bonne mère..." Mais elle réalisait qu'elle n'avait de toute façon pas le choix et qu'elle allait devoir se confronter à toutes ses responsabilités. "A vrai dire, je ne pense pas pouvoir l'être." Si déjà elle parvenait à être mère, tout court, ce serait déjà une très grande avancée. "Je peux essayer de le rendre différent, que ça soit une meilleure personne que toutes les personnes réunies vivant sous ce toit, peut-être lui inculquer des qualités que je n'ai peut-être pas. Comme... Le courage et la force nécessaires pour partir loin d'ici, que ça puisse vivre sa vie dans une maison plus saine, avec la personne qu'il aime. Le plus loin possible d'ici." La petite blonde regardait dans le vide, totalement plongée dans les pensées qu'elle verbalisait. "Mais... s'il ou elle ne m'aime pas ? S'il préfère être comme son père, son oncle, son grand-père ?" se demanda-t-elle alors. "Et si... et si je le perds ? S'il est comme le garçon de Wendy, ils m'enverront aussi là-bas ?" Constance n'avait pas bougé d'un pouce. Elle avait l'impression d'être pétrifiée sur place, incapable de se mouvoir durant ses réflexions. Ses doigts commençaient un peu à rougir, à force d'être constamment triturés depuis plusieurs minutes. "Je vous déçois, je le sais." dit-elle les yeux baissés. Elle se disait que ça devait être dur pour lui, de voir une femme ne pas accepter le fait qu'elle porte un enfant, qu'elle n'en veuille pas, alors que lui, donnerait certainement tout pour redonner vie à sa petite fille. "Mais je peux vous promettre que je ferai au mieux, essayer de permettre à cet enfant d'être quelqu'un de bien, et de vivre dans les meilleures conditions que je pourrais lui donner."
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Glanant des informations sur ses futurs petits-enfants à toute occasion, Catherine s'était invitée dans la bibliothèque où le médecin avait trouvé refuge depuis une bonne heure. Elle était enthousiaste, à la fois ravie et pleine d'inquiétudes, même si sa propre expérience issue des cinq enfants qu'elle avait mis au monde lui permettait d'avoir l'esprit particulièrement clair à ce sujet. Bluffée par le stratagème mis en place par Cole et Eleanor, c'était pour elle que la maîtresse de maison était la plus soucieuse pour le moment, et elle en prenait des nouvelles quotidiennement. D'ici quelques mois encore, la famille s’agrandirait, et Elwood serait le seul dans ce manoir à savoir que cet enfant n'était pas le premier de Brentford. Il tiendrait sa langue, comme toujours depuis que ce secret lui avait été confié. Une partie du médecin s'était toujours persuadée qu'il y avait un fond de bonté dans le jeune Lord et que s'il envoyait un docteur veiller sur son bâtard toutes les semaines alors il y avait là le signe d'un quelconque attachement émotionnel, d'une prise de responsabilité. Cette partie s'était tue le jour où le brun avait appris le destin de Wendy une fois le petit garçon décédé. Alors il comprit qu'il n’avait été qu'un messager pendant tout ce temps, utilisé afin de déposer l'argent du loyer de la chambre où la mère et l'enfant logeaient à Londres et rapporter des informations sur la santé du petit jusqu'à ce que Brentford puisse pousser ce soupir de soulagement le jour où il sut qu'il n’avait plus ni à payer, ni à se soucier d'un futur conflit d'héritage. Il n’avait eu que faire d’Henry tout ce temps, et Wendy était comme effacée de sa mémoire, du tableau de ses considérations. Désormais, Cole doutait que Brentford soit capable d'aimer l'enfant à venir et d'être un père digne de ce nom pour lui. Il n’y avait rien de plus injuste, se disait-il, qu'un homme pareil puisse fonder une famille alors que lui avait perdu la sienne. Néanmoins si le monde était juste, cela se saurait. À l'arrivée de Constance dans la bibliothèque, Catherine prit congé. Il n’était évident que pour eux deux que la jeune femme n’était pas ici simplement pour interroger le médecin de famille à propos de sa grossesse. Elle était bien pâle et visiblement fatiguée, c'est ce qui fit froncer les sourcils de Cole dans un premier temps. Puis elle demeura silencieuse un long moment, avant de lâcher un long flot de paroles en réaction à leur visite de la veille. Peut-être la nuit avait-elle porté conseil. Elwood doutait que la petite blonde puisse réellement imaginer dans quel enfer Wendy vivait désormais, et il se dit que qu'importe ce qu'elle pensait avoir vécu dans son rêve, cela ne pouvait être qu'une version édulcorée de la vérité. Néanmoins cela lui permit enfin de comprendre la démarche du médecin. Il acquiesçait sans articuler un mot, désolé d’admettre qu’ils devaient bel et bien mettre un terme à cette relation, et même que, peut-être, hypothétiquement, l'enfant puisse lui ressembler. Le souhaitait-il ? Il n'en était toujours pas certain. Alors il se montrait pragmatique ; d'une manière purement mathématique, le nombre de chances pour que ce bébé soit le sien était de deux contre le nombre de rapports qu'avaient eu les époux ces dernières semaines, et il n'avait pas besoin d'en avoir les détails pour en déduire que cette option était la moins probable. Cole donnait très peu de crédit aux paroles de Constance lorsque celle-ci doutait de sa capacité à être une bonne mère, il n’y réagissait pas, commentant intérieurement qu'elle n'avait de toute manière nul autre choix que de se montrer à la hauteur. Elle ne saurait décevoir sa propre chair et son propre sang, partagé avec celui d'un Keynes ou non. Elle était le seul moyen pour cet enfant d'être plus sain que le reste de la famille, d'être différent comme elle le souhaitait. “Ils ne le laisseront pas partir.” souffla Cole, en revanche, afin d'avorter l'ambition utopique de Constance. S'il s'était retrouvé lui-même lié aux Keynes à jamais, alors jamais l'un de leurs héritiers ne quitterait le manoir. Peut-être deviendra-t-il comme les autres, peut-être est-ce dans le sang. Le plus important était que la jeune femme fasse de son mieux, non seulement pour cet enfant, mais aussi pour elle-même. Pour survivre ici. “Je sais que vous le ferez.” acquiesça-t-il, confiant. Son seul doute était dans l'estimation de ce que la jeune femme appelait “faire de son mieux”. Elle ne lui apparaissait pas comme une femme capable de voir au-delà de ses propres limites, mais plutôt à garder le nez écrasé sur le premier obstacle. Contre cela, il ne pouvait rien. “Asseyez-vous.” fit-il en indiquant la place juste à côté de lui dans le canapé qu'il occupait. Tendrement, il se saisit de l'une de ses petites mains tièdes, et son bras s'enroula autour de ses épaules. “Je ne suis pas déçu. Vous manquez simplement de discernement vis-à-vis de votre situation. Mais cela viendra. Comme je l'ai dit à votre soeur, vous avez toutes deux besoin de vivre vos propres épreuves pour vous forger. Mais votre mariage n’est pas le genre d'épreuve que vous pouvez vous permettre de rater.” Si bien souvent la vie était principalement constituée d'épreuves visant à vous grandir, l'on ne se relevait jamais de certaines d'entre elles. C'était ce qui inquiétait Cole ; que Constance n’ait ni conscience de sa chance, ses privilèges, ni des efforts à fournir pour continuer à en jouir. Et ils étaient innombrables pour une demoiselle telle qu'elle. “Cette famille n’a pas la même notion de bien et de mal que vous et moi. Ils ont uniquement la notion de ce qui est dans leur intérêt, ou contre leur intérêt. Alors tâchez de vous rendre indispensable, c'est la meilleure stratégie que vous puissiez avoir. Car si vous êtes des leurs, ils sauront vous choyer. Si vous les embarassez…” Eh bien, elle en avait eu un aperçu. Traîner dans la boue, reniée, abandonnée, oubliée. Le traitement n'est souhaité à personne, et encore moins à Constance. “Croyez-moi, quoi que ce je fasse, je ne pense qu'à votre meilleur intérêt. Notre liaison les embarasserait, et cela pourrait avoir des conséquences terribles. Not-... Le bébé…” Il se pinça les lèvres et regretta immédiatement son lapsus. Un bébé, il en avait déjà eu un. Son véritable bébé, sa petite fille, était décédée. Et celui-ci ne pouvait être le sien. “Ils vous l’arracheraient.” Qu'il soit de Peter ou non, qu'ils se ressemblent ou pas, là n’était pas un scandale dont ils s'encombreraient, mais en revanche, un mensonge qu'ils entretiendraient ad vita eternam jusqu'à ce que la vérité finisse par être oubliée. Autrement dit, rien de bon ne pouvait résulter du comportement actuel de Constance. “Et je ne veux pas que quoi que ce soit vous arrive…”
give me your love and physical affection, give me the worst of you to hold
Les sourcils un peu froncés, Cole regarait longuement la petite blonde alors bien fatiguée. Elle n'était pas certaine que son sommeil ne soit plus serein que la nuit précédente, comme toutes les nuits qui suivront, et encore moins une fois que le médein sera parti loin d'ici. Plus les jours défilaient, plus elle appréhendait son départ, des au revoirs qui ne seront peut-être pas à la hauteur des sentiments qu'ils avaient l'un pour l'autres, des au revoirs plus froids et plus formels qu'elle ne l'aurait voulu. C'était ainsi qu'elle s'imaginait les choses. Des adieux qui ne représentaient pas leur relation certes courte, mais intense et qui avait sauvé la petite blonde. Celle-ci s'était lancée dans un long discours, gardant pour elle bon nombre de pensées et d'appréhensions qui allaient finir par la ronger de l'intérieur à force de les conserver. Cole était son seul et unique confident, une fois qu'il serait parti, il n'y aurait plus personne. Il ne fallait pas qu'il compte sur elle pour qu'elle accorde sa confiance à l'un des Keynes, ni même à sa soeur, ni à qui que ce soit vivant dans ce manoir. Elwood jugeait de briser d'emblée un espoir sur lequel elle comptait beaucoup; permettre à son enfant de partir loin d'ici. Un rêve qu'elle s'était forgée durant toute la nuit et qui était déjà brisé. "Mais c'est ce manoir qui..." souffla-t-elle, le visage crispé par la tristesse et la déception. "J'essaierai quand même." ajouta-t-elle un petit moment après, avec une détermination qu'on ne lui connaissait pas vraiment jusqu'ici. Qui ne tente rien n'a rien se disait-elle. Ca ne lui coûterait et tout ce qu'elle pourrait récolter n'était qu'une énième déception. Mais elle ne voulait pas passer à côté de la moindre opportunité qui permettrait son enfant de faire sa vie ailleurs, le plus loin possible de Chilham. Constance hésitait un moment avant de venir s'installer à côté de lui. Avoir trop de proximité physique avec lui faisait un peu peur. Elle craignait d'être tentée de l'embrasser, de le toucher, d'échanger avec lui quelques gestes d'amour alors qu'il avait mis un terme à leur relation. Et pourtant c'était lui qui rompait toute distance entre en lui prenant la main, en passant un bras autour de ses épaules en lui assurant qu'il n'était pas déçu. Constance ne le croyait qu'à moitié, se disant qu'il ne devait plus la voir que comme cette enfant de riche capricieuse qui ne savait pas se satisfaire de ce qu'elle avait; sinon il ne lui aurait pas montré le triste sort de Wendy. Ses paroles ne firent que confirmer ces quelques pensées qu'elles s'étaient forgées. Son regard était restait bas depuis qu'elle s'était assise, éteinte, et surtout épuisée. "Quel était l'intérêt de marier la moins convaincante des deux soeurs Dashwood alors qu'ils avaient déjà tout ce qu'ils voulaient avec la première ?" lui demanda-t-elle alors. Constance n'était pas aussi belle qu'Eleanor, pas aussi solaire, pas aussi souriante, pas aussi bavarde, pas autant dans le paraître qu'elle. "Indispensable..." Elle ne l'était pas et n'avait jamais voulu l'être. "Depuis quand accorde-t-on autant d'importance aux femmes ?" se questionna-t-elle, le sourire bien triste. Disons qu'elles ne disposaient pas, à l'époque, de beaucoup de droits. Elles appartenaient à leur mari, leur identité découlait d'eux et de rien d'autre. Et la seule chose qu'elles pouvaient faire pour les satisfaire étaient d'avoir des enfants et Constance ne comptait pas ne devenir qu'une mère porteuse. Mais même Cole parlait d'intérêt et non de ce qui était ou de ce qui était mal. Il était peut-être bien plus loyal aux Keynes qu'il ne le pensait. Certes, Constance savait qu'il leur devait beaucoup, mais elle avait l'impression que cela avait fini par déteindre un peu sur lui, également. Et elle ne se sentait pas particulièrement choyée par son époux, qui, malgré ses petites intentions et ses cadeaux hors de prix, restait particulièrement indélicat, voire même violent, durant leurs rapports intimes. Impossible pour elle de se considérer comme étant son épouse malgré son alliance, impossible pour elle de se dire qu'elle était une Keynes.J'aurais du prendre ce train. Là était devenu son principal regret. Mais d'un autre côté, elle n'aurait pas pu vivre son idylle avec le médecin, alors elle ne savait plus vraiment. Elle avait l'impression qu'il lui demandait tout simplement de ne plus être ce qu'elle était. De déshumaniser la Constance qu'il voyait devant lui pour en créer une toute nouvelle, qui deviendrait alors parfaitement méconnaissable. Autant devenir l'ombre d'elle-même. Plus il parlait, plus elle désenchantait et se rendait compte que ce qu'il lui demandait allait peut-être bien au-delà de ce dont elle était capable de faire. Mais elle savait ce qu'il adviendrait d'elle. Alors, est-ce ainsi ? Devait-elle vivre dans la peur de finir comme Wendy ? Certes, c'était peut-être une excellente source de motivation qu'il avait générer en l'emmenant à Londres, mais Constance finirait de survivre sur le qui-vive, à craindre la moindre réaction de sa prétendue famille à la moindre erreur qu'elle commettrait. "Je vais vivre dans la peur pour le restant de mes jours." pensa-t-elle tout bas avec un sourire forcé. Une pensée qu'elle n'aurait pas voulu que Cole entende. Elle le regretta aussitôt. Son regard ne se leva vers lui que lorsque Cole eut ce lapsus plus que révélateur. C'était qu'il y pensait, qu'il espérait peut-être que cet enfant soit de là. Constance ne saurait le dire et elle se dit qu'elle pourrait tenter de le questionner à ce sujet mais qu'elle n'en tirerait rien. Cole ne voudrait certainement pas de fournir un nouveau faux espoir à celle qu'il aimait. Peut-être que l'enfant n'aura que ses yeux, ou que sa couleur de cheveux, espérait-elle intérieurement. Peut-être qu'elle, elle saurait qui était le véritable père, et elle l'aimerait bien d'une toute autre façon. Mais non, on ne lui arracherait pas son enfant, elle ne les laisserait pas faire. Constance fut surprise de ce soudain attachement qu'elle avait pour ce bébé, ignorant si c'était du fait qu'il puisse être du médecin, ou si c'était tout simplement cet instinct maternel qui se forgeait de lui-même et qui l'incitait à protéger sa progéniture coûte coûte. Elle ne savait pas. Si Cole lui disait tout ceci, c'était pour qu'elle tienne le coup, il ne voulait pas qu'il lui arrive quoi que ce soit durant son absence. "Vous ne serez pas là pour le voir ou pour l'entendre. Vous ne devriez pas vous en soucier." dit-elle avec un sourire sincère. Elle ne voulait pas qu'il gâche son voyage en se souciant trop d'elle. Et il ne pourrait rien faire d'où il serait. Peut-être même qu'il l'aurait oublié d'ici là. Qu'il serait tombé amoureux du pays ou d'une autre femme au point de vouloir y rester et ne jamais remettre les pieds en Angleterre. La main libre de Constance effleura délicatement la joue d'Elwood, elle le regardait avec tendresse et amour. L'envie de se confier à lui était bien présente, mais elle ne pouvait plus se le permettre, c'était un luxe qu'elle n'aurait bientôt plus. Elle avait envie de lui dire que si elle appliquait ses conseils, c'était pour lui, dans l'espoir d'être toujours là, en vie peut-être, quand –ou peut-être si– il reviendra. C'était pour lui qu'elle allait faire tout ça, certainement pas pour elle. Elle voulait lui demander d'accorder du crédit aux sentiments qu'elle avait pour lui autant que lui lui demandait d'avoir confiance en l'amour qu'il lui portait. Mais il ne la croirait certainement pas. La liste de ce dont elle rêvait de lui confier était tous les jours un peu plus longue. Elle rompit soudainement tout contact avec lui, réalisant que l'envie de l'embrasser ne faisait que s'accroître. "Je vais aller m'allonger un peu, je suis épuisée." La nuit agitée avait empêché son corps de mère d'avoir le repos dont il avait besoin. Elle se leva et se dirigea vers la porte, elle se retourna une dernière fois, ayant l'intention de lui dire encore quelques mots d'amour, mais se ravisa. Ils devaient arrêter, c'était lui qui le lui avait. Et cela fendait le coeur de Constance à chaque fois qu'elle se rappelait de ses mots. Encore un nouvel item qu'elle ajoutait à la liste de ce qu'elle voulait lui dire. En grimpant les escaliers, elle croisait Peter. "Mère m'a dit que vous aviez l'air épuisé et que vous vouliez en parler avec le Dr. Elwood." dit-elle d'un air soucieux. "C'est déjà fait. Je comptais aller m'allonger un peu, je peine à tenir debout..." Se rendre indispensable, faire en sorte d'être choyée. Elle se répétait ces phrases sans cesse. "...à moins que vous ayez besoin de moi ?" "Non, non... Vous devez vous reposer, c'est ce qu'il y a de plus important maintenant, pour votre bien à tous les deux." dit-elle en se permettant de poser la main sur le ventre de son épouse tout en déposant un baiser sur sa tempe. Constance tressaillait un peu à ce contact, quelque peu traumatisée de ce que les mains de Peter étaient capable de faire durant leurs moments d'intimité. Mais il semblait plus qu'amoureux que jamais, particulièrement ravi de savoir son épouse enceinte. "Si vous avez besoin de quoi que ce soit pour votre confort, n'hésitez pas à m'en faire part." "C'est gentil." se força-t-elle à dire avec un sourire. "Avec le Dr. Elwood, nous tâcherons de vous trouver le meilleur obstétricien de Londres, et qu'il reste ici. Il est hors de question que vous ne bénéficiez pas d'une présence médicale, nous ne devons prendre aucun risque." "Cela me rassurerait, oui." dit-elle en serrant un peu plus la rampe d'escaliers, se rappelant que Cole avait du renoncer à l'une de ses premières promesses pour son voyage. Peter sourit avec satisfaction avant de laisser Constance rejoindre sa chambre. Elle s'allongea sur le lit mais ne trouvait pas le sommeil, songeant aux conseils donnés par Cole, à la quasi menace qui pesait sur ses épaules si elle ne se moulait pas parfaitement aux exigences des Keynes. Eleanor interrompit le cours de ses pensées, comptant certainement lui parler. "S'il te plaît, non. J'ai envie d'être un peu seule, et de me reposer." "J'ai pensé que nous pourrions discuter, nous confier, je sais combien tu... n'acceptes pas cette grossesse, ni le départ du Dr. Elwood..." "Pour ensuite mieux lui en parler, ou à Brentford et Peter, peut-être ? Certainement pas, je préfère encore garder mes pensées pour moi." Bien sûr que cette crevasse qui s'instaurait entre elles blessait Constance, mais elle savait désormais qu'elle ne pouvait plus pleinement lui faire confiance. Elle était livrée à elle-même, et ne pouvait que compter sur elle. "Laisse-moi me reposer, s'il te plaît." Eleanor n'insista, espérant que d'aller dans le sens de sa soeur lui permettrait de retrouver grâce à ses yeux. La cadette avait réussi à s'endormir, bien que son sommeil fut assez agité et écourté par de vives nausées. Elle espérait que cela ne dure qu'un ou deux mois. Avoir envie de vomir à la moindre odeur déplaisante, aussi légère soit-elle, n'était pas plaisant. Elle ne semblait donc pas plus reposée au moment du dîner, mais elle était tout de même présente, et faisait un maximum d'efforts pour s'immiscer uniquement dans les conversations qui l'intéressaient vraiment – il n'y en avait quelques uns ce soir-là, tout de même. Elle était même restée un peu plus longtemps après le dîner, dans le petit salon, où de petits groupes s'étaient formés pour discuter. Catherine, ayant constaté que sa belle-fille était assise seule sur l'un des canapés. "Je sais bien que les premiers mois sont loin d'être plaisants." "Le Dr. Elwood m'a dit que cela dépendait des grossesses. Cela pourrait peut-être durant un mois comme cela pourrait durer tout du long." "Vous n'êtes pas toute seule pour passer cette épreuve, nous serons là, nous vous aiderons. Nous restons une famille." Catherine savait certainement ce que c'était, elle avait été à sa place bien qu'elle l'avait certainement vécu différemment. Constance n'avait pas eu l'occasion déjà de voir à quel point les Keynes étaient une famille. Du moins, elle n'avait pas l'impression d'en faire partie jusqu'ici – elle ne pouvait que s'en vouloir à elle-même. "Et vous en faites partie, ma chère." lui assura-t-elle en lui prenant la main. Son interlocutrice lui sourit. "Nous prenons soin de l'un l'autre, vous n'avez aucune raison d'avoir peur quant à votre grossesse." Catherine savait qu'elle avait la santé fragile, et d'un côté, elle ne pouvait pas s'empêcher de la materner un petit peu. Une heure plus tard, Constance finit par se lever, annonçant qu'elle allait se coucher. Une fois allongée, elle espérait toujours qu'Elwood vienne, même s'il n'y avait plus lieu. Elle rêvait de le prendre dans ses bras, de l'embrasser. Mais comme elle ne trouvait pas le sommeil, elle préférait occulter les souvenirs qu'elle avait du voyage à Londres en imaginant comment la vie aurait été si elle avait pu être avec lui, si elle avait pu l'épouser lui, même s'il ne le voulait pas. Puis ses réflexions déviaient et elle finit par songer aux efforts qu'elle devrait fournir pour pouvoir surpasser toutes ces épreuves, dans l'espoir d'être toujours là le jour où Cole foulera à nouveau le sol britannique. Elle cherchait surtout comment elle pourrait faire pour convenir aux exigences sans pour autant oublier qui elle était véritablement.