And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
L’on ne sentait pas le froid, emmitouflé dans les grands manteaux doublés en fourrure. Mais alors que, habituellement, la douceur et la chaleur du poil animal peuvent apporter du réconfort face à la grisaille hivernale, il ne semblait pas que cette caresse soit suffisante pour apaiser le vague à l'âme dont Constance et Cole étaient victimes. Ils réalisaient l'ampleur de leurs sentiments en même temps que tout ce qui rendait leur existence impossible. L’un et l'autre découvraient, ou redécouvraient cette sensation toute particulière qui vous attire vers l’être convoité comme un aimant. Et cela leur était si injuste. Il y avait bien trop d'obstacles se dressant entre ce sentiment naissant et son épanouissement. Des ennemis extérieurs et intérieurs contre lesquels ils ne pouvaient pas se battre. Du moins n'en avaient-ils pas le courage, pas la force, ni les armes. Cette idylle était morte dans l'oeuf, dans leur imaginaire. Ils en faisaient le deuil, là, dehors. Elwood aurait préféré que ce moment d'égarement ne signifie rien, ou qu'il s'agissait bel et bien d'un rêve. Mais depuis qu'il avait senti le souffle de la jeune femme frôler ses lèvres, son esprit fait tourner cette scène à l'obsession. Perdu pour perdu, pourquoi ne pas l'avoir embrassée ? Tout ceci était définitivement un gâchis. Cole comprit la demande de la petite blonde de ne pas s'attarder plus longtemps sur ce sujet. Sa mention créait une douleur lancinante dans la poitrine et d'infinis regrets. Ils pouvaient faire diversion, et forcer leur esprit à songer à autre chose. Peut-être qu'ils oublieraient vraiment. Non, bien sûr que non. “Je…” Le médecin hésita à participer à cette comédie. Feindre qu'il n’y avait pas de sujet, même s'il avait conscience qu'il n’y avait plus rien à en dire. Feindre qu'il n'avait pas envie de la prendre dans ses bras pour lui assurer que tout ceci ne le ferait pas fuir loin d'elle. Il demeurait son gardien, son ami. Envers et contre tout. C'est pour cette raison qu'il exécuta sa demande et commença à lui faire le récit de son retour à la réalité, au monde normal, en dehors de ces murs, à Canterbury, là où le monde semblait s'être arrêté le sang son absence. “C’était étrange au début. Tout ce temps libre dont je ne savais pas quoi faire. Cela m'a demandé quelques jours afin de détacher mon esprit du manoir.” Il avait le sentiment d'y avoir laissé une partie de lui, quelque chose qui l'empêchait de ne pas songer à ce lieu. Un bout de son esprit coincé là-bas, prisonnier. Il avait eu l'impression que même libre, il en était captif. Qu'il n’était pas vraiment rentré chez lui. Puis cette sensation s'était apaisée avec le temps. “Puis j'ai repris des activités au fur et à mesure. J’ai recommencé à m'occuper, à marcher, et enfin, à pratiquer. Mes anciens habitués ont été les premiers à répondre présent, c'était un soulagement.” C'était un début de patientèle, pas assez pour faire tourner un cabinet, mais une bonne base composée de personnes qui l'appréciaient enfin à sa juste valeur. Il se savait compétent auprès d'eux et il se surprit à n'avoir rien oublié. Et ils aimaient tous plonger la main dans le bol de petites papillotes au chocolat avant de partir. À croire qu'il avait un pacte avec le dentiste de l'autre côté de la place de la cathédrale. Tout ceci ne lui semblait pas d'un grand intérêt pour Constance. Comme toujours, il se trouvait bien ennuyeux. “J’étais invité chez une patiente ce soir, pour Noël. Elle me l’a proposé en pensant que je serai seul. C'était adorable.” Il aurait dû accepter, se disait Cole de plus en plus. Il aurait pu se tenir éloigné de cette famille, il aurait pu éviter que Noël soit une catastrophe. “Mais je voulais vous revoir.” Cela se résumait à ça. Cole s'était rapidement résigné à s'effacer et ne pas interférer entre Peter Keynes et ses plans de mariage. Cette décision remontait au jour où le jeune Lord était venu trouver Elwood afin de s'assurer qu'il n'était pas une menace. Alors il avait compris qu'il serait absolument inutile de tenter de s'opposer à ce destin d'une manière où d'une autre. Et la machine continuait d'avancer en écrasant tout sur son passage. “Pardonnez-moi…” murmura Cole, conscient d'avoir mentionné le sujet que Constance ne voulait plus entendre. Ce qu'il voulait qu'elle comprenne ainsi, c'était qu'elle était son unique motivation à revenir ici. Qu'il était là pour elle, comme promis.
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Constance se disait qu'elle aurait préféré ne jamais tomber amoureuse. Si c'était plus pour en pâtir que de pouvoir en profiter, cela ne valait pas la peine d'être vécu. Elle se serait alors contentée de lire ces belles histoires dans ses romans et de prétendre aimer son futur mari bien après leur premier baiser. Elle avait l'impression que tout ne faisait que s'envenimer. Qu'il ne semblait plus y avoir aucune issue désormais, plus aucun échappatoire, si ce n'est ce petite monde qui lui était propre. Désormais, tout ce qu'elle pouvait oser croire, c'était que Peter lui laisse cette partie d'elle-même. Lui imposer de faire autrement la dépersonnifierait totalement, et Constance ne serait plus jamais vraiment Constance. Le médecin semblait vouloir tout de même en parler, de cet incident. Il avait tant espéré que ce ne soit pas réciproque, auquel cas la situation aurait été bien plus facile qu'elle ne l'était désormais. La petite blonde avait bien remarqué que sa demande ne convenait pas totalement Cole. Lui avait bien plus conscience qu'elle qu'il n'était peut-être pas plus raisonnable d'ignorer ce qu'il se passait et de faire comme si de rien n'était. Les ravages risquaient d'être tout aussi importants que s'ils n'en discutaient tant qu'il en était encore temps. Il semblait vouloir dire quelque chose mais s'en gardait bien. Mais il ne montra pas plus de résistance et répondit à la question de la jeune femme, pour penser à autre chose. Quelque part, cela lui faisait du bien d'entendre quelqu'un qui était extérieur au domaine. Cela lui prouvait que le monde continuait de tourner. Il y avait des avantages et des inconvénients de vivre isolés de tous. Constance voyait les jours défiler et n'apprenait les nouvelles que par les journaux lorsqu'elle avait l'occasion d'en lire quelques articles. Mais depuis son arrivée ici, elle se sentait totalement détachée du rester du monde. Ce n'était peut-être pas si mal que ça, en soi, mais au sein d'une famille aussi malsaine que les Keynes, c'était tout autre chose. Alors même les banalités que lui racontait le médecin l'intéressaient. "Je suppose que ça n'a pas du être facile, après avoir passé autant de temps ici, et d'avoir donné autant de soi." Parce qu'il s'était attaché à Augustine et peut-être même au manoir, en soi, au fil des mois. C'était le reste de la famille qui le dérangeait. Il avait retrouvé sa patientèle, quelques habitués. Mais son retour allait se faire savoir, et Constance savait qu'il parviendrait à subvenir à ses besoins sans grand mal. Elle était heureuse pour lui, qu'il parvienne à se réadapter, à avoir véritablement retrouvé un chez-lui dans lequel il avait toutes les chances pour s'y épanouir. Elle découvrit que son ami avait été invité à deux endroits différents pour Noël, mais que c'était la jeune femme qui avait fait pencher la balance. Avant tout ceci, elle ne l'aurait peut-être pas pris de la même façon, mais cela ne fit que l'atteindre davantage. Se rendant compte de cette petite maladresse, Cole s'excusa tout bas. "Ce n'est pas grave." répondit-elle avec un sourire légèrement triste. "Ca... Ca me touche que vous ne m'ayez pas oublié. Je suppose que nous sommes rapidement devenus des fantômes pour vous, afin que vous puissiez continuer sur votre propre voie. Vous aviez besoin de laisser tout ça derrière vous." dit-elle en montrant d'un léger signe de tête le manoir ainsi que tous ceux qui y habitaient. Constance en faisait partie désormais. Elle ne lui en aurait jamais voulu, qu'il l'oublie."Je suppose que... qu'importe si ce qu'il s'est passé tout à l'heure, votre réveillon aurait été bien plus joyeux là-bas." supposa-t-elle avec un doux sourire. "Bien que l'on se donne beaucoup de mal pour décorer ou pour servir un majestueux repas, les pensées n'y sont pas. Tout n'est question que d'apparence, au diable l'esprit de famille. Comme si la messe n'était là que pour se donner bonne conscience. Beaucoup de cadeaux sont offerts, mais je doute qu'il y ait beaucoup d'attention derrière." Constance haussait vaguement les épaules. Ce n'était pas ainsi qu'elle percevait l'esprit de Noël, mais elle se disait qu'elle allait bien devoir s'y faire, parce qu'elle y aurait droit tous les ans. "Mis à part votre cadeau. Je sais que vous y avez beaucoup mis du vôtre." Dans un premier temps, la jeune femme souriait. Mais son rictus disparaissait alors qu'elle était en train de penser à un détail qui prenait alors tout son sens. S'en suivit un long moment silencieux où la petite blonde avait baissé la tête. Elle se rendait compte de sa propre maladresse. Tout allait être si maladroit. "Cela va-t-il toujours être ainsi... ? Que certaines phrases prennent un sens bien... différent que nous le voudrions ?" Cela venait d'arriver à Cole, mais aussi à elle. "Ce n'est pas quelque chose que l'on peut vraiment... mettre uniquement de côté et espérer que ça s'oublie tout seul afin que nous devenions ce que nous étions, n'est-ce pas ?" Pour Constance, c'était très difficile pour elle. Il y avait tant de choses à encaisser en très peu de temps, elle ne savait pas quoi en faire. Elle bégayait longuement et soupirait parfois, ne sachant pas vraiment quoi dire. "Comment... Comment sommes-nous supposer vivre avec ça ?" Elle se doutait que Cole n'avait certainement pas la réponse à toutes ces questions, mais elle éprouvait le besoin de le verbaliser. "Comment. suis-je supposer me marier en sachant tout cela ?" La situation semblait faire sensiblement paniquer la jeune Dashwood. "Je... Je n'ai pas envie de vous entendre dire qu'il vaudrait peut-être mieux que nous ne nous voyons plus, parce que... au-delà de tout ceci, vous restez mon seul ami ici." Ses yeux se bordèrent de larmes lorsqu'elle se plongeait dans son regard à lui. "Je n'ai pas envie de vous perdre, Cole." dit-elle, le ton suppliant.
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Évoquer sa vie hors du manoir paraissait à la fois futile, inintéressant et cruel aux yeux de Cole. Ses journées n'étaient pas exceptionnelles, tout était si ordinaire, mais surtout, il goûtait à une liberté dont Constance était privée, et il avait l'impression de la lui secouer sous le nez comme une clochette au tintement insupportable. Il se levait, il faisait sa vie, il tentait de recommencer où il s'était arrêté, il se couchait, et ainsi de suite. Le seul événement notable était cette patiente qui avait eu la délicatesse de penser à lui pour Noël et de lui proposer comme une famille de substitution pour une soirée aussi symbolique. Il pensait pas, jusqu'alors, qu'il existait véritablement des personnes avec un aussi bon coeur, capables d'accueillir une personne quasiment inconnue à leur table pour le réveillon, auprès de leurs proches, à leur table. Il savait que cette attention resterait quelque part dans sa mémoire pour bien longtemps. Un véritable acte de gentillesse comme il en existe rarement. Puis Elwood regretta bien vite d'avoir évoqué cette invitation. Qu'il le dise tout haut ou non, Constance aurait sûrement compris que c'était elle qui avait fait pencher la balance vers ce manoir qu'il abhorrait. Qu'il était là pour la voir elle. Après ce baiser manqué, cette révélation prenait bien plus de sens. Même pour lui. La jeune femme en fit également l'expérience. Les mots les plus innocents mettant en lumière leur affection l'un pour l'autre soulevait finalement, pour ne pas dire enfin, la véritable nature de celle-ci. Allaient-ils peser leurs mots ad vita eternam ? Allaient-ils être capables de se côtoyer malgré tout ? Et s'ils ne devaient plus jamais avoir autre chose dans le regard que de la mélancolie et de la tristesse ? Qu'adviendrait-il de leur complicité, tout ce qu'ils avaient avant ce soir ? Le fait était que rien n’avait changé, en réalité. Leur relation avait simplement adopté un nom. “Je ne sais pas…” répondit Cole à toutes ces questions pour lesquelles il n'avait aucune solution à apporter. Son unique certitude, comme pour Constance, était qu'il ne pourrait se résigner à perdre son amitié malgré tout ce qui cachait sous ce prétexte. Délicatement, il prit la jeune femme par les épaules. Il planta son regard dans le sien, à la fois doux et déterminé. “Vous ne me perdez pas, Constance. Jamais.” lui assura-t-il. Il ne partirait que si elle le lui demandait. Si elle ne souhaitait plus le voir, il appliquerait sa volonté malgré la peine que cela lui causerait. Après tout, s'il ne faisait pas partie de ce qui la rendait heureuse, alors mieux valait qu'il ne fasse pas partie de sa vie. Peut-être que son devoir serait de partir alors, mais il ne pouvait s'y résigner immédiatement. Ils devaient au moins essayer, n’est-ce pas ? “Vous devez faire ce que vous avez à faire, et moi aussi. Malheureusement… c’est aussi ça, grandir, être adulte ; c’est prendre ses responsabilités. Parfois les sentiments ne font pas partie du tableau. Parfois il faut faire des choix difficiles, il faut tirer un trait sur ce qui nous tient à coeur, et il faut encaisser les coups. On abandonne ce que l’on aurait jamais pensé abandonner, on prend un chemin plutôt qu'un autre. L’important, quoi qu'il advienne, est de rester intègre. Et à la fin, c'est de ne pas avoir de regrets. Vous devez pouvoir regarder en arrière et vous dire que vous avez fait ce que vous aviez à faire.” Bien sûr, les regrets sont une part imuable de l'existence. Qu'importe à quel point l’on s'applique à faire les bons choix, il apparaît toujours des tâches d'ombre. Cole n’estimait pas tout savoir, loin de là, mais il avait une certaine sagesse. Et il était persuadé que si Constance refusait de se marier à cause de lui, cela lui causerait un grand tort. “Votre famille compte sur vous. Et vous les aimez, n’est-ce pas ? Je suis certain que le meilleur moyen pour vous de ne pas alourdir vos épaules d'un regret, c'est de les rendre fiers.” Il y avait néanmoins une nuance à apporter dans les paroles de Cole. Lui voyait le monde à travers les yeux d'un homme qui ne s'attardait quasiment jamais sur ce qu'il voulait, sur ses besoins. Il n'était pas important. Il défendait des valeurs bien plus grandes que l'individualisme, à commencer par la famille. “Vous aurez d'autres moyens d'être heureuse ici. Vous aurez d'autres moyens de vous exprimer s'ils ne veulent pas vous écouter. Vous aurez des enfants que vous aimerez de toutes vos forces et qui seront votre source d'inspiration au quotidien. Tout n’est pas si sombre.” reprit-il avec conviction. “Plus tard, un jour, vous trouverez tout ce qu'il s’est passé ce soir bien futile.” Constance verrait l'erreur qu'elle aurait commise, de tout remettre en question pour un baiser qui n’avait pas eu lieu. Elle comprendrait que leur amitié était plus importante, plus précieuse. L’amour est un sentiment qui fâne, Laura le lui avait appris. Une amitié sincère, en revanche, peut résister au temps et à l'espace. “Quoi qu'il arrive, vous devez le croire, je serai là pour vous.”
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Ce n'était pas qu'un chagrin d'amour. C'était son tout premier. Et cela était particulièrement éprouvant. Cole avait parlé d'une chute, il y en avait une. Sauf que celle-ci était interminable, dans l'obscurité la plus totale. L'ambiance y était oppressante, le fait qu'elle n'y voyait plus rien rendait le tout angoissant. Elle avait toutes ses questions qui défilaient dans sa tête, des dizaines qui l'empêchaient de penser à quoi que ce soit d'autre. C'était beaucoup trop pour elle, et Constance ressentait le besoin de le verbaliser, face à un Cole certainement tout aussi démuni qu'elle mais qui semblait bien mieux gérer ses sentiments, ses émotions, et la situation. Elle, elle ne l'acceptait absolument pas. Mais il ne savait pas. Il n'en savait pas plus qu'elle. Le médecin semblait si sûr lorsqu'il disait qu'il serait là quoi qu'il advienne. Mais Constance n'en était plus si certaine. Plus rien ne semblait particulièrement réjouissant désormais. Il n'y avait plus de bonnes nouvelles à annonces, plus de belles choses à laquelle se raccrocher. Elle le croyait mais elle se rendait à l'évidence que s'ils ne se voyaient que quelques fois par an, leur amitié ne tiendrait pas le bon bout. Et elle n'oserait jamais mettre par écrit tout ce qu'elle voudrait lui confier, elle aurait bien trop peur que quelqu'un de la famille ne les intercepte pour en lire le contenu. Elle parvint à lui sourire malgré tout lorsqu'il prononça ces quelques mots mais l'expression de son visage fut bien dépitée lorsqu'il avait repris la parole. "Comment voulez-vous que je reste intègre lorsque je serai liée à jamais à cette famille ?" demanda-t-elle alors, avec le ton très sensiblement sec, mais c'était totalement involontaire de sa part. Elle s'excusa tout de suite après. Mais Cole demandait un peu l'impossible. Si Constance n'allait pas devenir comme eux, elle allait nécessairement en souffrir, d'une manière ou d'une autre. Sa parole ne comptera pas dans cette famille. Son unique devoir sera d'enfanter et d'éduquer ses enfants, cela n'allait pas plus loin. Plus Cole avançait dans son discours, plus Constance sentait ce poids insupportable sur ses épaules. Le beau brun accordait énormément d'importance aux devoirs, aux responsabilités. Il n'avait que les mots là à la bouche. Bien sûr qu'elle comprenait ce qu'il cherchait à lui faire comprendre : il voulait simplement qu'elle se soumette à l'avenir qu'on lui avait déjà tout écrit. Jamais il ne mettait en avant leurs sentiments, jamais il n'en disait quelque chose de bien. Non, cela devait être à tout prix oublier, et rien d'autre. Ce n'était rien, pour lui. Toutes ses paroles étaient tout comme s'il l'assénait de coups, encore et encore, jusqu'à ce qu'elle soit achevée. "Pensez-vous vraiment que c'est par amour qu'ils m'ont fiancée à lui ? Tout un tas de promesses qui m'avaient été dictées des années durant. Et finalement, l'argent et les titres s'avèrent beaucoup plus intéressants lorsque le moment est venu. Peu importe si ma famille s'est rendue compte trop tard qu'elle était finalement piégée. Vous me le dites si bien depuis tout à l'heure, l'amour n'a sa place nulle part." dit-elle la voix tremblante. "Pas même au sein d'une famille." La déception était énorme. Constance blâmait son père, mais aussi beaucoup Eleanor. Ils ne faisaient que la caresser dans le sens du poil dans l'espoir qu'elle finisse par se plier à leur volonté, et rien de plus. "Et si c'est pour avoir des enfants qui ne seront que la descendance de la branche paternelle, je préférerais encore ne pas en avoir. Je ne pense pas que je serais une bonne mère." Et puis, Constance ne se voyait absolument pas être mère, elle ne se sentait pas prête. Cole lui avait certainement dit tout ceci par bienveillance, afin qu'elle se rende compte de la réalité. Mais pour cela, il lui demandait aussi de renoncer à ses rêves et ses escapades imaginaires. Elle devait renoncer à une partie d'elle-même et dans ce cas-là, elle ne serait plus intègre. "Je vous crois." lui souffla-t-elle tout bas alors que ses joues pâles s'inondaient de larmes depuis plusieurs minutes. Elle sanglotait dans un parfait silence – cela allait certainement lui être utile pour les mois et années à venir. "Ce que les auteurs racontent dans les livres... Ce ne sont que des mensonges, que... donner matière à espérer et rêver, encore et encoure, jusqu'au jour où...Tout s'effondre." Constance trouvait que c'était alors d'une cruauté inommable. Y penser l'écoeurait un peu de la lecture. Du moins, sur le moment, elle n'avait plus envie de lire un ouvrage qui s'approchait de près ou de loin de ce sentiment supposé être si merveilleux. Elle haussa les épaules. Alors que la petite blonde regardait ses doigts gantés, elle remarqua un petit flocon se déposer au creux de sa main. Une petite étoile de glace. Sa forme l'émerveillait et elle le regardait de près. Puis, elle levait les yeux au ciel pour constater qu'il s'était mis à neiger, en ce soir de Noël. Elle espérait alors qu'on ne lui retire pas ce genre de moments non plus. Pouvoir admirer quelques minutes la beauté de la nature. Les flocons s'épaississaient, il neigeait de plus en plus si bien que l'on peinait à voir à quelques mètres de soi. "Constance, Dr. Elwood ! Rentrez vite avant que vous n'attrapiez froid, il semblerait qu'une tempête de neige s'annonce. Venez donc vous réchauffer auprès du feu." dit le père Dashwood après avoir ouvert la porte donnant sur l'extérieur. La petite blonde esquissa un sourire triste à son ami – ou quoi qu'il était pour elle désormais – avant d'emboiter le pas et rejoindre son père. Ce dernier aida Constance à se débarrasser de ses vêtements chauds. Alicia était tout à fait ravie de revoir Cole à l'intérieur. "Vous devriez rester dormir ici, votre chambre a été préparée, j'ai demandé à ce que ce soit fait. Vous ne pouvez pas rentrer chez vous avec cette tempête." La cadette Keynes dissimulait à peine la satisfaction qu'elle en tirait. Constance aurait très pu être touchée, mais elle se sentait particulièrement lessivée après sa conversation avec le médecin. "Tu es bien pâle, Constance, tout va bien ?" demanda alors son père, inquiet. Elle simula un doux sourire. "Oui, je suis simplement épuisée par cette longue journée." souffla-t-elle tout bas. "Je ferais mieux d'aller me coucher." "Bien sûr." dit Peter Dashwood en acquiesçant d'un signe de tête. Il accompagna Constance jusqu'au pied de l'escalier avec une main posée sur son dos. "Tu es sûre que ça va, Constance ?" demanda-t-il dans un murmure. "Tout va merveilleusement bien, Père. Encore Joyeux Noël." répondit-elle sans le regarder et sans même changer d'expression au niveau de son visage. Elle lui lançait un bonne nuit avant de rejoindre toute seule sa chambre, comme un fantôme qui cherchait désespérément un havre de paix.
Eleanor avait longuement discuté avec son père. Elle faisait partie des personnes qui s'étaient couchés très tard. Il ne lui avait jamais fallu beaucoup d'heures de sommeil pour être forme, elle n'en était pas moins solaire au réveil. Alors qu'elle comptait se rendre dans sa chambre, elle croisa Cole dans les couloir. "Dr. Elwood !" l'interpella-t-elle avec un large sourire. "Je n'ai pas eu l'occasion de discuter avec vous ce soir, mais sachez que je suis ravie que vous passiez les fêtes de Noël avec nous." dit-elle avec sincérité. Elle parlait un petit peu plus bas. "Surtout pour Constance. Je sais qu'elle vous apprécie énormément. Je... J'ai deviné la véritable nature de ses sentiments pour vous." ajouta-t-elle, l'air soucieux. "Et vu l'humeur qu'elle avait en revenant de votre promenade, je... Je sais. Je connais ma soeur, et... bien qu'elle soit de moins en moins encline à me confier quoi que ce soit, je la connais, et je l'aime plus que tout bien qu'elle ait le sentiment que nous l'avons tous trahie." C'était certainement la première fois où Eleanor laissait transparaître un peu de tristesse dans son regard. "Nous espérions sincèrement tenir à cette promesse. Il fut un temps où nous nous n'avions qu'une parole et où nous faisions absolument tout pour s'y tenir, mais les circonstances sont bien différentes. Nous voulions qu'elle reste le plus longtemps dans son propre monde." L'échec était cuisant. Eleanor avait très rapidement adopté ce rôle de mère envers Constance. L'aînée était devenue la figure maternelle malgré tout. "J'ignore si un jour, elle comprendra tout ceci. Si elle nous le pardonnera. C'est pourquoi j'aimerais vous demander de veiller sur elle. Que même si elle vous rejette, si elle refuse catégoriquement de vous revoir, persévérez. Elle est déjà si malheureuse, Dr. Elwood. Ces dernières semaines, l'organisation du mariage, tout... tout la rend si malheureuse. Vous êtes le seul ami qu'elle ait ici, elle ne fait confiance à personne d'autre. Je pense qu'elle a peur que tout ce qu'elle puisse dire finisse par remonter à certaines oreilles et se dresser contre elle. Alicia essaie tellement, parfois, au point d'en être trop insistante. Elle aimerait tellement savoir ses secrets." Cela agaçait beaucoup Eleanor que la cadette Keynes se montre tellement invasive avec Constance. "Je vous en serai éternellement reconnaissante si vous acceptiez. Ou s'il y a quoi que ce soit que je puisse faire en retour, en gage de ma gratitude, faites-le moi savoir." dit-elle avec un sourire charmant. "Passez une bonne nuit. A demain." conclut-elle tout bas avant de tourner les talons pour rejoindre sa chambre.
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Malheureusement, Constance était résignée. Il était évident qu’il n’était rien que le médecin puisse dire ou faire pour la consoler et lui faire voir le monde d’une manière moins sombre. A vrai dire, plus il ouvrait la bouche avec l’intention de bien faire, de mettre en avant des niches dans lesquelles elle pourrait trouver du réconfort, la jeune femme parvenait à corrompre ses mots pour les plier à sa vision lugubre de son avenir. Alors, faisant plus de mal que de bien, Cole demeura bouche close. Il aurait aimé lui dire que ce n’était pas les Keynes qui la définirait, même si elle prenait leur nom. Qu’être intègre ne dépendait que d’elle, de sa capacité à s’adapter et à se préserver. Elle n’écouterait pas et trouverait le moyen de lui donner tort, Constance n’avait pas envie de voir les quelques lueurs qui pouvaient l’aider. Ses oeillères, opaques, masquaient tout ce qui était en dehors de son champ de vision pessimiste. Elle était en colère, déçue et se sentait trahie, Elwood le comprenait bien. Elle ne pesait pas ses mots et portait de lourds jugements sur sa propre famille, allant même jusqu’à remettre en doute l’amour de son père et de sa soeur pour elle. C’était exagéré, injuste aux yeux de Cole, mais il ne dit rien et laissait la jeune femme traverser le cycle de la peine à sa manière. Son intervention n’aurait eu aucun effet bénéfique. Il aurait voulu lui assurer que si elle avait des enfants, ils seraient autant d’elle que de son époux, et qu’elle seule avait les moyens de faire en sorte que cette descendance redore le blason de cette famille. Qu’en étant un bon guide, qu’en incorporant à leur éducation l’amour qui n’existait pas sous ce toit jusqu’à présent, elle pourrait former de bonnes personnes dont elle serait fière. Mais, cela le peinait de le comprendre, Constance n’avait aucune foi dans les paroles de Cole. Elle n’avait pas de considération, pas d’appréciation pour tous ses encouragements. Elle n’en voulait pas, alors il s’abstint, même s’il était peiné d’être le spectateur impuissant du monde obscur qu’elle bâtissait. Il se mit à neiger. L’anglais aimait tant la neige, paradoxalement elle lui réchauffait le coeur ; ce ne fut pas le cas ce soir-là. Il l’observa tomber avec une certaine mélancolie. Puis il retourna à l’intérieur en traînant des pieds, las. Evidemment, Alicia avait déjà pris toutes les dispositions nécessaires afin qu’il ne quitte pas le manoir en faisant préparer une chambre. “C’est très aimable.” dit-il machinalement. Dépité par le comportement de Constance, par la soirée de manière générale, il préféré s’installer dans un canapé et allumer une cigarette. Plus tard, les Keynes lancèrent des jeux, et même s’il ne souhaitait pas participer, il lui arrivait de sourire et de rire en les voyant faire. Il fut l’un des derniers à aller se coucher. Il profita du manoir sombrant de plus en plus dans le calme. Il avait repris du champagne et se sentait légèrement vaporeux. Quand Eleanor passa près de lui dans les couloirs, il lui parut être sur la route d’un courant d’air ; aussi il ne la remarqua pas immédiatement, absorbé par ses pensées, et attrapa son discours en cours de route. Il ne répondit pas dans un premier temps et continua son chemin, jusqu’à ce qu’il se retourne et l'interpelle. “Eleanor.” La jeune femme fit volte-face et lui sourit, mais lui n’était pas d’humeur à se montrer complaisant. A la réflexion, il était choqué, déçu par la manoeuvre de l’aînée Dashwood qui se reposait sur lui afin de se dédouaner de son devoir, de ses erreurs vis-à-vis de sa propre soeur. “Je ne serais pas le prétexte vous permettant d'avoir bonne conscience. Si je reste auprès de Constance quoi qu'il arrive, c'est uniquement parce que je lui en ai fait la promesse. À vous de trouver un moyen de réparer votre relation avec elle.” dit-il sèchement, le regard las. Oui, encore et toujours, il devait veiller sur les autres.“Bonne nuit.”
Si la nuit était supposée porter conseil, celle-ci fit particulièrement mal son travail. Pourtant Cole sombra comme une enclume. A son réveil, le domaine n’était qu’un grand nuage de coton. Il avait certainement neigé jusqu’au matin. Désormais, tout était calme. Les domestiques les plus coriaces s’étaient levés tôt afin de déblayer l’accès au manoir. D’après lui, avec un peu de chance, il pourrait repartir dans l’après-midi et dormir dans son propre lit ce soir. “Piégé à nouveau.” murmura-t-il alors que Charlotte lui tenait compagnie près de la fenêtre. “Seulement pour la journée, ne sois pas si dramatique.” Cole se demandait souvent comment sa belle-soeur faisait pour ne pas se sentir complètement prisonnière. Certes les domestiques n’étaient pas mal lotis à Chilham, mais être au service des Keynes n’était pas de tout repos. Il supposait qu’elle était aveuglée par son attirance pour Brentford, dont même le mariage ne pourrait la décourager. Peut-être que peu à peu, elle s’oubliait, et elle s’assimilait aux autres meubles. “T’as la mine d'un petit garçon qui vient de perdre son poisson rouge.” s’amusa-t-elle en voyant le médecin observer la neige avec un air morose. Il aurait aimé que son tracas aussi futile que cela. Il souria, vaguement, furtivement, puis haussa les épaules, dépité. “Je crois que je suis amoureux de Constance.” Il n’eut guère besoin de tourner la tête pour sentir la brûlure du regard assassin de Charlotte balafrer son visage. A ses yeux, peut-être que Cole était condamné à être malheureux pour toujours et ne vivre que pour le souvenir de son ex-femme, revivre jour après jour le moment où il a découvert la maison vide, et se laisser dévoré par la culpabilité vis-à-vis de la mort de leur fille. Elle ne condamnait à cet enfer-là en lui refusant répétitivement le droit d’aller de l’avant. C’était sa soeur, après tout. Pour elle, personne ne pourrait la remplacer. Voir Cole tenter de passer à autre chose, en revanche, lui était insupportable. Il ne pouvait pas la laisser vivre avec ce vide seule. Elle ne le pardonnerait pas. “En retournant à Canterbury, j’avais l'impression que quelque chose en moi était resté ici, plus vivant que des souvenirs, et qui me manquait énormément. Je n'arrivais pas à juste mettre cet endroit derrière moi et attendre d'oublier. Et je pense que cette chose, c'est Constance.” reprit le brun, assénant un coup fatal à la jeune femme. Elle quitta la fenêtre et s’éloigna, serrant les dents, les yeux rouges. Elle voulut dire quelque chose, mais elle contenait bien trop de rage pour articuler quoi que ce soit ; sa gorge se serrait à la moindre tentative. Elle se contenta de partir et elle contra la peine en se rendant utile en cuisine.
Faut de pouvoir aller à l’extérieur, le médecin trouva refuge dans la bibliothèque, à l’heure à laquelle, habituellement, il faisait la lecture à Augustine. Il trouvait qu’il restait un peu de l’esprit de la Lady entre ces rayons, et que dans cette pièce, l’air était plus respirable. Il s’était installé dans un fauteuil près de la cheminée et n’était accompagné que de sa lecture préférée. Il recommençait Frankenstein pour la centième fois. Il ne s’en lassait pas. Il aimait trouver de nouvelles significations à chaque lecture, de nouvelles allégories, des références, des mythes revisités, des détails dans les tournures de phrase qui étaient imperceptibles mais qui signifiaient tant, et ne jamais savoir s’il était plutôt du côté du monstre ou de celui du scientifique. Absorbé par sa lecture, il sursauta quand la porte s’ouvrit. Son regard tomba inéluctablement dans celui de la petite blonde. Sûrement cherchait-elle également un refuge ici. Il posa son livre sur ses genoux en l’observant un instant. Et au bout de longues secondes de silence, il lui tendit l’ouvrage avec un fin sourire. “C’est votre tour, je crois. Il n'y a pas d'histoire d'amour dans celui-là.”
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C'était avec un certain soulagement que la petite blonde atteignit sa chambre. Même si son coeur était particulièrement lourd de tristesse et de pessimisme, retrouver le calme et la sérénité de cette pièce lui permettait au moins de respirer un peu. Elle n'attendait pas bien longtemps avant de se changer et de se couvrir de ces grosses couvertures une fois qu'elle était dans son lit. Elle regardait l'extérieur. Il ne cessait de neiger, et voir tomber les flocons avait fini par la bercer. Constance ne se sentait pas bien mieux au réveil. Le ciel était tout aussi blanc que le sol recouvert de neige. Elle avait enfilé une robe de chambre pour admirer le paysage par la fenêtre pendant de longues minutes. "C'est magnifique, n'est-ce pas ?" souffla Eleanor après s'être permise de rentrer dans sa chambre. Constance lui adressa un bref regard et acquiesça d'un signe de tête avant de regarder à nouveau dehors. Constance n'était guère d'humeur à discuter de telles futilités, elle voulait qu'on la laisse seule. Eleanor l'observa longuement avant de soupirer avec une pointe de tristesse. "J'espère que tu me pardonneras un jour, Constance." souffla-t-elle alors tout bas. "J'aurais tellement voulu qu'il en soit autrement pour toi, c'est ce que j'ai toujours espéré pour toi parce que je savais que c'était ce qui te rendrait heureuse." "Je préférerais que nous ne parlions plus de cela." répondit la cadette, la gorge bien serrée. "Tout est fait, tout est décidé. Désormais, je n'ai plus qu'à... prendre mes responsabilités." Elle songeait à sa discussion avec Cole. Elle savait qu'elle n'avait pas été correcte avec lui. Le médecin n'avait tenté que de lui montrer que son devenir n'était pas si sombre que cela, tentant de mettre en avant certaines choses qui lui permettront de tenir, et de survivre. En revanche, elle ne voulait toujours pas entendre parler d'enfants. Elle s'en voulait que la soirée de Noël ait pu se finir sur une note si sombre avec lui alors qu'il était le seul ami qu'elle avait dans les environs. Eleanor n'insista pas davantage, après avoir constaté que ce n'était pas un bon jour pour discuter avec elle. La petite blonde enfila enfin sa tenue de la journée et n'acceptait que de sortir de sa chambre qu'en fin de matinée. Il n'y avait qu'un endroit où elle désirait véritablement se rendre et qui était rapidement devenu sa pièce de prédilection depuis son arrivée au manoir. Comme d'habitude, elle s'attendait à se retrouver seule là-bas. Il n'y avait jamais personne. C'était donc après un léger sursaut qu'elle constata qu'une âme s'y trouvait bien. Elle ne devrait pourtant pas être surprise d'y voir Cole, lui qui adorait venir ici également. Ils se regardaient longuement avant que le moindre mot ne soit prononcé. Le médecin finit par lui tendre le livre qu'il était en train de lire, certifiant qu'il n'y avait là aucune histoire d'amour. Voilà un détail qu'il semblait avoir bien retenu de la veille. Cela était suffisant pour faire sourire Constance, qui prit le livre entre ces mains. "A vrai dire, ce que je crains le plus, c'est d'envier les personnages de ces romans d'amour. Parce qu'ils ont quelque chose que je ne pourrai peut-être jamais avoir." souffla-t-elle tout bas, sans perdre le rictus qu'elle arborait. Bien que Peter ait certaines qualités, Constance se voyait très mal en tomber amoureuse. Il n'avait pas ce petit truc en plus dont Cole disposait. A vrai dire, bien que le physique du Keynes soit irréprochable, celui de médecin était bien plus à son goût. "J'ai vu que vous aviez déjà commencé ce livre, vous êtes sûr de vouloir m'entendre le lire depuis le début ?" lui demanda-t-elle, craignant que cela ne le dérange. Son simple sourire en disait long. Un sourire que Constance adorait. Elle s'installa alors sur le fauteuil qui se trouvait juste à côté de lui. "Pardonnez-moi, pour hier soir. Cela fait des mois que je désespère sans pouvoir en parler à qui que ce soit. Je suppose que cela avait besoin de... d'être évacué. Je suis désolée que cela soit tombé sur vous." dit-elle alors, le regard sincèrement désolé. "Je ne voulais pas vous offusquer, ni vous rendre triste." Constance n'en était pas moins malheureuse, mais Cole n'y pouvait absolument rien et elle avait l'impression de s'être quelque peu acharnée sur lui la veille au soir. Elle échangea un sourire sincère avant de commencer sa lecture en sa compagnie, une activité qui était très rapidement devenue sa favorite depuis qu'elle avait fait sa connaissance. Constance lisait inlassablement, chapitre après chapitre, découvrant l'histoire au fil des pages puisqu'elle n'avait jamais lu cet ouvrage. Ils restaient de longues heures ensemble ainsi. En sa présence, elle avait la sensation que le temps passait bien plus vite. "Que lisez-vous ?" dit Alicia en se permettant d'interrompre la lecture sans le moindre embarras. "Frankenstein. Le Dr. Elwood me l'a vivement recommandée et je ne l'ai encore jamais lu." répondit Constance, avec un léger sourire. Elle pouvait constater la jalousie d'Alice dans son regard. La proximité qu'elle avait avec le brun ne semblait pas lui convenir malgré le fait qu'elle soit fiancée à son frère. "Je devrais peut-être vous laisser." souffla la petite blonde tout bas, se sentant un petit peu de trop, sur le coup. Etre enfermés dans ce manoir à cause des intempéries n'avait pas que du bon. "Non, je vous en prie, terminez donc votre chapitre !" dit Alicia en s'installant à son tour, semblant prête à l'écouter. Constance était perplexe et méfiante, mais elle ne le laissait pas transparaître sur son visage. Elle échangea rapidement un regard avec le médecin avant de reprendre sa lecture et lire les deux pages du chapitre qu'il lui restait à lire.
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Suite au réveillon de Noël, Cole s'attendait à deux scénarios possibles ; voir Constance tourner les talons et quitter chaque pièce dans laquelle il se trouvait, ou s'efforcer à garder la face en agissant comme si de rien n'était. Bien sûr, et malheureusement, il n'existait pas d'hypothèse selon laquelle elle se jetait à nouveau à son cou pour l'embrasser, ni inversement. Pas pour deux roseaux dans leur jeune, se pliant face au vent plutôt que de se dresser contre lui. Ainsi, la jeune femme pouvait prendre le livre, prendre place et débuter la lecture à voix haute, réitérant un de ces moments qu'ils aimaient tant partager. Ou alors elle pouvait choisir de quitter la bibliothèque afin de partir en quête d'un autre refuge. Elwood ne lui en aurait voulu dans aucun cas. Il ne s'imposait pas, il n'irait pas à l'encontre de ses besoins, de ses choix. Rien ne pouvait briser la promesse qu'il avait faite. Pas même une Constance lui tournant le dos. Quoiqu'elle eût décidé comme stratégie, il demeurait. Là, pour elle. La jeune femme prit le livre, acceptant donc tacitement l'invitation. Aucune histoire d'amour ici, uniquement de la philosophie. Cela ferait sûrement un sacré changement pour la jeune Dashwood qui semblait tant aimer les romans à l'eau de rose. Aujourd'hui, elle ne voulait plus en entendre parler. “Vous l’avez déjà.” dit-il en gardant son fin sourire. L’amour ? Elle le vivait, et elle était aimée en retour. Tout ne se déroulait pas comme elle l'aurait rêvé, mais l’ingrédient secret était bien présent dans sa vie. C'était déjà bien plus que ce que d'autres âmes sur terre pouvaient espérer. Néanmoins, après leur conversation de la veille, Cole ne s'attendait pas à ce que son amie trouve du réconfort dans ces paroles. Peut-être que la lecture l'aiderait mieux qu'il ne savait le faire. “Je le connais déjà par coeur, ne vous en faites pas pour ça.” assura-t-il, ce livre étant son récit favori. Il lui faudra plutôt réprimer l'envie de lire plus rapidement qu'elle ou de remuer les lèvres en même temps que Constance, ce qui pourrait grandement l'agacer. Il fut absolument ravi de la voir s'asseoir non loin de lui, mais avant de débuter elle tint à présenter des excuses à propos de son comportement et ses réactions face aux vaines tentatives du médecin de l'aider. D'un côté, Cole était tant habitué au mépris des Keynes, leur ingratitude, et leur manière subtile de lui rappeler au jour le jour qu'il n’était qu'une pièce disposable sur leur grand échiquier qu'il avait cessé de se vexer avec le temps. Il était simplement las. Il aurait aimé que Constance ne soit pas de ceux face à qui il parlait dans le vide, et il aurait voulu qu'elle ait l'impression qu'elle pouvait se confier à lui, ce qui n’était pas le cas, à l'entendre s'expliquer. Mais il n’en voulait à personne d'autre qu'à lui-même ; si Constance s'était sentie seule, alors il n’avait pas rempli sa mission. “C’est oublié, n’en parlons plus.” souffla-t-il en serrant furtivement la main de la jeune femme dans la sienne. Puis elle débuta la lecture. Elwood n’avait que des éloges à faire à propos de ce livre qui ne ressemblait en rien à ce qui fut écrit avant lui. Il en aimait le côté factuel, même lors des passages les plus ennuyeux qui n’étaient jamais superflus, et tout ce qui était laissé au jugement du lecteur. La narration était d'une précision chirurgicale, elle ne laissait pas la moindre syllabe au hasard, et le brun jugeait que Constance y faisait bien honneur. Parfois il fermait les yeux afin d'écouter. Parfois il connaissait le passage si bien qu'il ne faisait plus attention aux mots, uniquement à la manière dont la petite blonde les prononçait, le son de sa voix, le mouvement de ses lèvres. C'était une sorte de transe, d'évasion. Et c'était parfait. Parfait, jusqu'à l'arrivée d'Alicia. La jeune Dashwood termina sa lecture, la fin du chapitre, pas plus. “Vous lisez si bien.” dit Alicia timidement. Elle se tortillait dans son fauteuil, comme si elle ne savait pas quoi faire avec ses dix doigts. Une nervosité étonnante. “Je me demandais, vu que vous êtes les seuls courageux que je connaisse dans cette maison, si vous acceptiez de m'accompagner pour une balade dehors ?” En la scrutant, Cole devinait une expression bizarre sur le visage de la jeune femme. Elle tenait à cette sortie. Elle tenait à ce il ne savait quoi d'amitié qu'elle tentait de créer tant bien que mal. C'était étrange. Presque anormal pour un membre de cette famille. “Vous ne craignez pas la neige ?” demanda Cole en attendant de déterminer plus précisément les intentions d'Alicia et décider s'il souhaitait la suivre ou non. Elle rit et balaya la question. “Nous sommes en Angleterre, pas en Arctique. De bonnes bottes et le tour est joué.” Au moins, la jeune femme était bien moins précieuse que le reste de sa fratrie. “Alors ?” Cole n’était toujours pas certain, mais il trancha pour ce qui lui semblait juste, à savoir, laisser le bénéfice du doute à la jeune femme. “Je vous suis.” dit-il en se levant de son fauteuil. Il se tourna vers Constance, lui sourit et lui prit la main. “Et Constance aussi.” il décréta. “Allons, vous pouvez entretenir votre teint laiteux dehors en hiver !” renchérit Alicia, ravie, pour ne pas dire aux anges. Ils prirent donc de bonnes chaussures et de grands manteaux, et s'enfoncèrent dans la neige. Alicia était une grande bavarde et n’avait pas besoin d'être relancée, si bien qu'elle monologuait pendant qu'ils marchaient. Cole adressa un regard complice à Constance, lui faisant comprendre qu'il n'écoutait pas vraiment, sûrement tout comme elle. Puis il lui indiqua son plan d'un signe de tête, lorsqu'il se pencha afin de réunir de la neige entre ses mains, former une boule, juste avant de la jeter sur Alicia. Et il ne tarda pas à en prendre une autre puis à l'envoyer sur Constance.
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La simple présence de Cole était douce, apaisante. La jeune femme avait l'impression de sentir qu'il était dans les parages, qu'il était un peu moins loin d'elle qu'à l'accoutumée. Elle ne s'attendait pas à le voir à la bibliothèque parce qu'elle n'avait plus l'habitude de l'y voir. Mais il était fort probable qu'elle s'y fasse à nouveau rapidement et que le jour où il serait parti. Et alors, le vide se ferait ressentir ensuite à nouveau, lorsqu'elle entrera à nouveau dans cette pièce. Constance ne voulait pas tout de suite à ce qu'il adviendrait le lendemain. Il était là, tout près d'elle, et c'était ce qu'elle désirait, plus que tout autre chose au monde. Cole avait sur ces lèvres un fin sourire qu'il ne semblait pas vouloir perdre. Il lui certifia qu'elle n'avait rien à envier aux romans qu'elle lisait, étant donné qu'elle était amoureuse, et que ce sentiment était partagé par l'être aimé. La jeune femme vint à se demander si cela resterait aussi platonique, ou si ça finirait par s'éteindre. "Vous avez raison." murmura-t-elle avec un vague sourire. Elle se dit qu'elle ne devrait pas autant se plaindre de sa condition. Il ne semblait absolument pas dérangé à ce que la petite blonde reprenne le livre du début. Constance supposa que cela faisait partie d'un de ses ouvrages préférés. Elle savait ce que c'est. Il y avait toujours cette petite pile de livres sur sa table de chevet. Et malgré tout le soin qu'elle apportait à chacun de ces ouvrages, Constance les avait tellement lu qu'ils commençaient à s'abîmer, surtout au niveau des coins. Le papier jaunissait quelque peu mais le tout apportait une odeur bien singulière du livre et qu'elle appréciait énormément. Mais avant de conter les premières lignes, des excuses évidentes s'imposèrent de la part de la jeune femme. Cole ne semblait pas lui en tenir rigueur. Pour lui, le tout était déjà même oublié. Il avait délicatement serré sa main pour l'en assure. Ce n'était qu'une minuscule poignée de secondes, un rien du tout. Mais Constance avait très rapidement compris que chaque contact physique avec lui était un moment privilégié, un instant si unique et si précieux. Elle souriait à ce contact, à la fois heureuse de voir qu'il ne lui reprochait rien de son comportement de la veille, mais aussi ravie que de sentir la chaleur de sa main l'espace de ce bref instant. Cela était amplement suffisant pour lui donner un entrain certain pour une partie de la journée. Ce moment de lecture aurait pu être parfait jusqu'à ce qu'ils décident ensemble qu'il était temps de s'arrêter, mais Alicia se chargea d'elle-même de briser l'activité en s'y incrustant sans demander leur avis. Alicia avait toujours un compliment à glisser à Constance. Sa beauté, ses cheveux, le choix de ses tenues, et maintenant, sa voix. Elle ignorait si elle devait le prendre sérieusement ou non, elle était perplexe. La petite blonde se contenta d'un bref un sourire avant de baisser à nouveau les yeux. Puis elle proposait une sortie. Elle haussa légèrement les sourcils, se demandant ce qu'elle cachait derrière. Egalement curieux, Cole tentait de connaître les véritables intentions de la Keynes et il finit par accepter. Constance le regardait se lever et il décida pour elle ensuite à sa place. Elle le dévisagea dans un premier temps même s'il lui faisait comprendre qu'elle n'avait pas vraiment le choix. L'enthousiasme d'Alicia était assez déroutant. Ils vêtirent tous trois bien chaudement avant de s'aventurer à l'extérieur. La Keynes faisait la conversation à elle-seule. Elle avait toujours énormément de choses à raconter. Le médecin regardait la petite blonde. Ils se comprenaient avec beaucoup d'aisance tous les deux. Mais elle ne s'attendait certainement pas à ce qu'il soit l'instigateur d'une bataille d'une boule de neige. Un peu de neige que Cole lui avait envoyé s'était glissé entre sa peau et ses vêtements, se fondant ainsi en quelques gouttes glaciales qui firent crier Constance. Alicia s'y donnait également à coeur joie. Celle qui envoyait le moins de neige était certainement Constance. Celle-ci était même tombée par terre, ayant glissé sur une petite plaque de glace dissimulée sous cet épais manteau blanc qui recouvrait tout le domaine. Plus de peur que de mal, mais elle avait fini totalement trempé, à force d'avoir plein de neige sur elle. Tout le monde l'était d'ailleurs, et Alicia en riait à coeur joie. C'était la première fois qu'elle lui semblait sincère à l'expression d'une de ces émotions. Les minutes de jeux défilaient à toute allure jusqu'à ce qu'ils commencent à faire voir malgré les courses et l'effort fourni pour créer cette multitude de boules de neige envoyée. Ils finirent par retourner à l'intérieur afin de se réchauffer. "Je ne me suis pas amusée depuis si longtemps !" s'exclama la jeune Keynes, bien essoufflée mais avec un large sourire dessiné sur ses lèvres. Ils avaient tous le nez bien rouge à cause du froid. Constance ne sentait même plus ses doigts. "Bon sang, Constance. Regarde-toi, tu es trempée." dit Peter Dashwood en se rapprochant de sa fille. "Je vais bien, Père. Nous nous sommes beaucoup amusés, dehors." lui assura-t-elle. "Cela ne t'empêche pas de grelotter." Mais il sourit malgré tout, l'air attendri par le sourire de sa fille – quelque chose qu'il n'y avait plus vu depuis quelques mois. "Tâche juste d'enfiler rapidement des habits secs et de te mettre près d'une cheminée ou d'un poêle. Je n'aimerais pas que tu tombes malade." dit-il d'un air un peu plus soucieux. Peter savait que la plus jeune de ses filles avait une santé relativement fragile. Il ne voudrait pas courir le moindre risque qu'elle tombe malade. "Allez, va." Constance acquiesça d'un signe de tête, toujours souriante, et fila à l'étage pour emballer des habits secs. Elle était effectivement frigorifiée. Elle avait aussi récupéré un châle pour se couvrir les épaules. Il avait recommencé à neiger, dehors. La petite blonde se joignit aux autres dans un des salons du manoir. Cole était prêt d'une fenêtre. "A croire que le temps tient à nous laisser tous cloîtrés ici." souffla-t-elle en regardant le paysage. "Les pauvres viennent à peine de finir de dégager un petit peu la cour. Et voilà qu'il neige à nouveau à gros flocons." Constance croisait les bras, ayant toujours un peu froid. "Rapprochez-vous donc du feu, Constance, je vous vois grelotter d'ici." dit Catherine, qui se trouvait également dans la pièce, jouant aux cartes avec Alicia. "Charlotte s'en est allée faire un peu de thé. Une boisson chaude vous réchauffera tous les trois." Constance se rapprocha du point de chaleur en tendant les mains. "Cole, voulez-vous vous joindre à nous ?" proposa alors Alicia, espérant pouvoir toujours passer un peu de temps avec lui.
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Tous finirent avec de la neige jusqu'au fond des bottes, trempés, le nez et les pommettes rougies par le froid, mais surtout, le sourire aux lèvres, et c'était une chose qui manquait cruellement sur le visage des habitants du manoir. Dans tout ce luxe et cette opulence, peut-être manque-t-il tout simplement les petits plaisirs de la vie, ces moments de lâcher prise. Peut-être que cela les rendrait tous plus heureux. Cole fut ravi de voir Constance s'amuser, bien qu'elle ait naturellement tendance à se mettre en retrait du jeu. Il bataillait bien plus avec Alicia, qui lui répondait volontiers avec de grosses boules de neige. Ils ne s'enfoncèrent pas beaucoup dans le domaine enseveli. Chacun eut les fesses dans la neige à un moment donné, et ainsi aucune partie de leur corps ne fut épargnée par le froid. Ils ne rentrèrent pas tard au manoir, et malgré tout, placés en rang d'oignons dans le hall, ils se firent gronder comme des enfants. Mais des enfants ravis, à en juger par le rictus amusé qui ne se détachait pas de leur visage et qui devait bien agacer tous ces autres Keynes qui s'en privaient. Tous prirent la direction des étages, ponctuant leur montée des marches de regards complices. Ils se séparèrent au fur et à mesure dans les étages. Cole s'accordait un bain rapide afin de se réchauffer, et faute d'autres habits à se mettre sur le dos, Gabriel les fit sécher près d'une cheminée. L’anglais patienta dans sa chambre, emmitouflé dans une couverture, accompagné d'un livre, nu. Les demoiselles avaient retrouvé une allure décente bien avant lui et avaient rejoint le reste des Keynes dans le salon. Le regard de Cole tomba avec stupéfaction sur la neige qui tombait à nouveau. Non, non… Lui ne prenait pas la nouvelle autant à la légère que Constance. Il était hors de question qu'il demeure au manoir plus longtemps. “Malheureusement, non, Alicia.” répondit-il. Il n’en était pas désolé, il n'avait aucune envie de s'éterniser. Leur bataille de boules de neige, un moment agréable, n'effacait pas deux ans passés entre ces murs, traité comme pas grand chose, et cette sensation d'emprisonnement dès que la porte de la bâtisse était close. “Je dois rouvrir le cabinet demain, des patients comptent sur moi dès la première heure. Je dois rentrer chez moi.” Personne n’oserait mettre en doute son sens du devoir, et affronter la neige était le cadet des soucis du médecin afin de répondre présent pour ses patients. Il fit signe à Gabriel de lui apporter son manteau et ses gants, et il les mit sans attendre, bien décidé à partir. “J’aimerais emprunter votre cocher, avec votre permission, tant que le chemin est encore praticable.” demanda-t-il à Christian et Catherine. Et s'ils refusaient, il irait à pied. Mais ils acceptèrent, et Cole s'engagea à offrir un toit au cocher chez lui s'il n'était pas en mesure d'effectuer le chemin du retour. Quant aux chevaux… qu'importe, s'ils partaient immédiatement la question ne se poserait pas. Ils se hâtèrent donc, néanmoins Cole eut la délicatesse de dire au revoir à ses hôtes et de les remercier de l'avoir invité pour Noël. Arrivé à Constance, qu'il devinait déçue par son départ si soudain, il fut plus nerveux. Il déposa un baiser sur sa main. “Prenez soin de vous. Nous nous reverrons au plus tard en février.” Il n'offrait pas au mot “mariage” le luxe d'être articulé, d'exister. De plus, la jeune femme savait déjà parfaitement à quelle occasion ils seraient à nouveau réunis. Cela était d'or et déjà bien trop réel. “Et terminez Frankenstein pour moi, ainsi vous me donnerez votre avis lorsque nous nous reverrons.” ajouta-t-il avec un sourire. Il ne prit pas le risque de se montrer plus familier, plus proche de la cadette Dashwood, pas sous les yeux de son fiancé. Et puis, il n’avait pas une minute à perdre. Alors il se contenta d'un signe de tête pour Eleanor et Brentford avant de sauter dans la calèche, direction Canterbury.
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"Qu'est-ce que c'est ?" demanda Eleanor en saisissant un livre et un petit journal. Sa soeur se rapprocha d'elle et les lui prit des mains avant qu'elle ne soit tentée d'ouvrir l'un d'eux. "C'est privé." répondit-elle tout bas en les serrant contre elle. La domestique s'approcha alors de Constance afin de finir de lacer son corset et le serrer le plus possible. C'était le grand jour, le jour du mariage. La future épouse n'avait pas fermé l'oeil de la nuit, espérant que la veille se prolonge afin que le lendemain n'arrive jamais et que le lever du jour ne soit finalement qu'un mauvais rêve. Mais tout ceci était bel et bien réel, surtout lorsque la domestique était venue la réveiller délicatement afin qu'elle prenne rapidement son petit-déjeuner avant de se vêtir de sa robe blanche. Eleanor n'insista pas, bien qu'elle était curieuse de savoir ce dont il s'agissait. "Tu veux que je te range tout ça quelque part ?" suggéra-t-elle alors aimablement. "Pose-les sur le lit, s'il te plaît. Je m'en occuperai une fois que je serai habillée." Cole lui manquait énormément. Elle avait bien eu du mal à cacher sa déception lorsqu'il avait précipité son départ, bien qu'elle pouvait comprendre sa hâte à l'idée de retourner dans sa propre maison. Et bien malheureusement, elle n'avait eu aucune occasion d'aller le voir depuis. Il y avait toujours quelque chose à faire ou le temps n'était pas clément. Il était vrai qu'il neigeait fréquemment, rendant les routes quasiment impratiquables. Peter voulait également passer de plus en plus de temps avec elle, décuplant les délicates attentions et les compliments dans le seul but de charmer véritablement Constance. Il parvenait tout de même à la faire sourire de temps en temps, et cela semblait être à chaque fois la plus belle des victoires. Il devenait impatient à l'idée de voir sa fiancée dans sa tenue de mariée. Elle en était bien moins réjouie. Durant sa préparation, elle se laissait faire comme une marionnette, comme si elle se préparait pour son trépas. Une fois passée la porte de sa chambre, elle allait devoir feindre un bonheur qui n'existait pas. Constance n'avait jamais été bonne actrice mais elle allait devoir faire de son mieux pour le grand jour. Eleanor avait bien vu qu'elle faisait de son mieux pour retenir ses larmes alors qu'elle se regardait être coiffée, dans le reflet du miroir. L'aînée tenait de lui dire quelques compliments, de lui donner quelques conseils concernant la journée et surtout, le soir-même. Sa bienveillance touchait Constance mais ses mots ne la rassuraient pas et ne la rendaient pas plus confiantes. Elle n'en était pas moins une magnifique mariée. Sa robe ressemblait beaucoup à ce qu'elle aimait bien. Pas de froufrous ou de noeuds à compter par dizaine. Tout était dans les détails, dans les broderies, les perles, la dentelle et le choix du tissu. Une fois prête, Eleanor congédia la domestique afin de se retrouver seule avec sa soeur. "Constance, par rapport à ce soir..." "Non, n'en parle pas, s'il te plaît." souffla-t-elle la voix particulièrement. "Je n'ai pas envie de savoir." "C'est ce que tu me dis à chaque fois que je voudrais t'en parler, tu ne voudrais pas que je te donne quelques conseils pour que ça se passe... relativement bien ?" Constance était tellement terrifiée qu'elle ne voulait même pas évoquer le sujet. Elle secouait négativement la tête, ses yeux bordés de larmes la suppliant de ne pas insister. Sans en dire davantage, l'aînée prit sa soeur dans ses bras pendant un long moment. "Je sais que tu te sens seule, Constance. J'espère que tu me crois lorsque je te dis que ce n'est pas le cas. Que même si Père et moi t'avons déçu, nous serons éternellement là pour toi. Il y a le Dr. Elwood, aussi. Fais-nous confiance à tous les trois. Je reste ta soeur avant tout et je t'aimerai toujours." Elle caressait doucement sa joue humide de larmes. "Puis-je au moins t'annoncer une bonne nouvelle ?" demanda-t-elle au bout de quelques minutes. Perplexe, Constance se redressa et sécha ses larmes avant d'acquiescer d'un signe de tête. "J'attends un enfant." dit-elle avec un sourire ravi. "Tu es la toute première à le savoir. Ni Père, ni même Brentford ne le savent, mais je voulais attendre que le mariage soit passé pour leur en parler." Eleanor avait parfaitement conscience qu'elle pourrait faire énormément d'ombre à Constance le jour même de son mariage en apprenant cette heureuse nouvelle. "Je vais être tante..." dit la cadette avec un faible sourire. Eleanor sourit également et prit la main de sa soeur. "Oui, la plus belle qui soit, qui plus est."
Le trajet en calèche fut particulièrement silencieux. Son père était avec elle et semblait respecter le fait que la mariée ne veuille échanger aucun mot. Un mariage enneigé, cela devait être beau, aux yeux des autres, se disait-elle lorsqu'ils traversaient la forêt. Elle appréhendait le moment où elle croiserait le regard de Cole. A vrai dire, elle espérait que cela n'arrive pas, auquel cas elle perdrait certainement ses moyens. Le trajet jusqu'à la cathédrale de Canterbury. lui semblait alors bien trop court. L'envie de prendre les jambes a son cou était permanente. "Nous sommes arrivés." souffla son père quelques secondes avant que la calèche ne s'arrête. "Tu es magnifique, Constance." ajouta-t-il en l'admirant quelques secondes. Le sourire naturelle de la plus jeune de ses filles lui manquait énormément. Il ne l'avait pas vu depuis des mois et savait que cela n'allait pas être non plus le cas ce jour-ci. Il lui prêta sa main afin de la faire descendre puis la prit à son bras. On entendait déjà l'orgue jouer à l'intérieur. Dehors, il faisait encore très froid, tout ce qu'il y a de plus normal pour un mois de février. Constance était dans un tel désespoir qu'elle avait l'impression que sa dernière avait sonné. Elle n'avait aucune envie d'être lié à cet homme, ou davantage à cette famille pourrie jusqu'à la moelle. "Tu es bien plus courageuse que tu ne puisses le penser." dit Peter Dashwood, avant qu'ils ne se mettent à marcher. "Je sais que ce n'est pas le mariage dont tu rêvais, et que je n'ai pas répondu aux promesses que je t'ai faite. Mais je suis fier de toi, Constance. Il y avait un long moment où je craignais véritablement que tu ne fuis cet endroit. Je ne sais pas si tu as conscience de tous les enjeux, mais tu as du tout de même en tenir compte. Et pour cela, je suis extrêmement fier. Ce mariage ne veut pas dire que je te laisserai totalement aux mains de Peter. J'ai très longuement discuté avec Christian et Catherine, et il me semble que cette dernière n'a qu'une parole. Je ne te laisserai pas tomber, ni toi, ni ta soeur. Tu m'entends ? Vous êtes toutes les deux ce que j'ai de plus précieux dans ma vie et je refuse de vous laisser croire que je ne continuerai pas à me battre pour vous. Tu me connais, après tout, non ?" Il lui fit un clin d'oeil, avec un sourire malicieux, comme s'il avait plein d'idées en tête. Il embrassa doucement Constance sur son front. Peut-être qu'elle ne lui avait pas totalement pardonné, mais elle était surprise qu'il l'ait d'ailleurs deviné. Elle savait qu'il était persévérant et qu'il était avant tout un homme d'honneur. Il se rattraperait, tôt ou tard, elle avait fini par le comprendre. Il lui fit alors un signe de la tête pour l'inviter à marcher lentement jusqu'à l'autel. La cérémonie fut solennelle. Parfaite, sans la moindre fausse note. Peter était impeccablement habillé, ne perdant pas une seule fois ce sourire ravi de ses lèvres. On y devinait de la fierté, de la satisfaction, peut-être même un peu d'amour mais Constance n'en était pas véritablement sûr – peut-être n'était-ce qu'un stratagème pour faire croire qu'il serait l'époux parfait. Bien que terriblement nerveuse, avec la gorge constamment serrée et de très fréquents haut-le-coeurs, Constance cita ses phrases sans encombre. Elle avait repéré depuis longtemps les alliances et craignait le moment où elle allait devoir mettre celle de son futur époux au doigt de Peter, puis inversement. D'ailleurs, les voeux venaient tout juste d'être échangés et il était temps que cet autre moment symbolique se fasse.
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Le jour venu, aucune force ne le poussa hors du lit. Le poids de sa couverture semblait garder Cole prisonnier et lui faire entamer une hibernation, son oreiller, duveteux, était particulièrement séduisant. Il était fatigué, traînait des valises sous ses petits yeux verts, les pattes d’oie aux coins lui donnant cinq à dix ans de plus. Le teint grisâtre, véritablement lugubre désormais, les joues froides comme la neige au dehors, il n'était pas malade, pas au sens médical du terme. Ses lèvres violettes étaient sèches, sa bouche pleine d'une sorte de pâte qui lui collait à la langue et au palais. Il était courbaturé jusqu'au bout des orteils, désorienté, migraineux, nauséeux. Cole avait surtout trop bu la veille, invité par un ami à partager de grands verres de courage liquide au pub qui se trouvait ironiquement dans la rue perpendiculaire à la cathédrale. Lorsqu'il commença à sentir son corps bouger, ses pensées se dépoussiérer, la première chose qu'il se demanda fut comment il était parvenu à rentrer chez lui. Mais le pub n’était pas bien loin et peut-être connaissait-il toujours le chemin par coeur. Comme lorsque Laura était partie, il cherchait souvent à oublier et perdre sa propre conscience dans des pintes de bière et des boissons plus fortes. Il rampait ensuite jusqu'à son lit et sombrait dans l’obscurité, jouissant du doux son du néant lorsque son esprit cessait enfin de penser. Cole pensait toujours bien trop. C'étaient autant de voix différentes dans son crâne que de sujets sur lesquels elles débattaient. Il y avait la raison, la science, la philosophie, l'émotion, l’amour et l'instinct, dans cet ordre d'importance. Du moins était-ce l'ordre qu'il avait décrété il y avait quelques années. La veille au soir donc, il se souvint du mariage de Constance. Il croisa la carton d'invitation posé sur une commode du salon. Il revit ces lettres dorées si parfaitement calligraphiées. Il réalisa alors. Quelque chose de terrible, d'insoutenable s'imposa à lui. D'abord, qu'il était bel et bien amoureux de Constance Dashwood. Deuxièmement, que cette femme qu'il aimait aller se marier sous ses yeux. Il réalisa qu'il était impuissant. Il sentit son coeur s’alourdir, et la fatalité s'asseoir sur ses épaules. La seule personne qui était parvenue à le faire sentir heureux depuis qu'il avait perdu sa fille allait épouser un homme qu'elle n’aimait pas et vivre une vie dont elle ne voulait pas. Elle lui avait rendu le sourire, et lui était à peine à parvenu à essuyer les larmes sur ses joues. Il était complice lui aussi, n’est-ce pas ? Complice de cette mascarade dont la petite blonde était victime. Il ne prenait jamais son parti, ni aucun parti. Il la résignait, il la persuadait qu'il y avait rien d'autre à faire. Mais il y avait quelque chose à faire, une chose simple. Dire non. Malheureusement c'était un mot qui n’était qu'une légende pour eux. Alors oui, quand un ami frappa à sa porte pour le traîner dehors, Cole ne sut toujours pas dire non. Il fonça, renoua avec ce vieux démon, et noya toute cette réalité dans autant d’alcool et de brouillard qu'il en fut capable. Il prolongea la nuit jusqu'à n'en plus pouvoir afin de regarder le lendemain. Et il se réveilla, et la face du monde n'avait pas changé.
La cérémonie fut superbe. Parfaite en tout point. Jusqu'à cette fausse note. Jusqu'à ce moment où tous se retournèrent, et tous froncèrent des sourcils, la bouche pincée afin de contenir une vive envie de sang entre leurs dents. Dans l’antre de l'amour, on sentit un vent froid d'une haine qui aurait suffi à elle seule à placarder une personne au mur ou l'enfoncer dans le sol. Est-ce qu'un inventé avait une objection à l'encontre de ce mariage ? Cole oui. Il s'était levé, il n’avait pas demandé la parole, et il ne l'a prit pas non plus. À vrai dire, tandis que des centaines de paires d'yeux l'assassinaient sur place, lui scrutait le couple devant l’autel, les fleurs le long de l’allée. Même le prêtre s'impatientait. Il était opposé bien sûr. Mr Dashwood, Eleanor, eux aussi devraient l'être. Mais tout ce qui fut perceptible était le battement d'ailes d'une mouche. Le médecin finit par quitter la cathédrale. Il longea la nef et partit par la grande porte. Dehors, il peina à contrôler ses mains tremblantes de colère et de frustration à son propre encontre et tenta de s'allumer une cigarette. À l'intérieur, la cérémonie reprit son cours.
On retourna au manoir. La grande salle de réception était bien assez grande pour accueillir toute cette tripotée d'aristocrates. L’on avait disposé de très longues tables de banquet en un carré ouvert à la manière des coutumes moyenâgeuses, et Cole s'empêcha de rire jaune. Oui, tout ceci était digne d'une régression de plusieurs siècles en arrière, l'ère où l'on mariait des filles avec des hommes ayant l'âge d'être leur grand-père, quand tout était question de territoires, d'alliances, de guerre, de richesses et que l'on méprisait l'amour. L'amour sur laquelle l'église était fondée et qu'elle bafouait elle-même en créant de la peur autour de ce sentiment, placé entre le péché et le devoir civil. Ils étaient de retour à cette époque, celle de la tapisserie dans le grand salon de deux chevaliers se disputant une demoiselle. On cherchait la mariée, mais elle n’était nulle part. Montée dans sa chambre, l'informa Eleanor, afin de se remettre de ses émotions avant de reste des festivités. En voyant son nom sur un carton à l'opposé de la place de Constance, le médecin comprit qu'il n'aurait peut-être pas d'autre possibilité de lui parler ce jour. Alors il s’aventura dans les étages, trouva la chambre de la toute nouvelle Lady, et s'invita en frappant à peine à la porte. “Constance… On m’a dit que vous étiez ici.” Il devina son sursaut. Cole n'avait rien à faire dans ce lieu, ce moment si privé sans y être invité. Mais est-ce que cela avait la moindre importance à cet instant ? “Vous êtes magnifique.” murmura-t-il du bout des lèvres. Déjà dans la cathédrale, l’anglais avait été soufflé par la beauté de l’ex-Dashwood, arrivée dans la nef comme l'apparition d'un ange. Et comme à cet instant, son coeur battait si fort que cela en était assourdissant. Encore une fois, il la fixa silencieusement. Nerveux, encore franchement vaporeux, et l’estomac aussi retourné par les événements que s'il l'était par l'alcool, il était paralysé par toutes ces sensations, ces émotions. Il était agité, tremblant encore de frustration. Et s'il venait de laisser la seule femme capable de le faire aimer à nouveau épouser un autre ? Et s'il venait lui aussi de se condamner à n'être jamais heureux ? “Je suis désolé de ne pas avoir pu rester jusqu'à la fin, j’ai eu une urgence et… Non, c'est un mensonge. Je n’arrivais pas à rester. Je suis désolé. J’aurais dû dire quelque chose, faire quelque chose, et je n’ai pas pu. Tout ce que j'ai fait c'est… partir.” Ainsi il avait rompu sa promesse, celle d'être toujours présent pour elle. Il aurait dû vivre tout ceci avec elle. Il aurait dû être là. Mais il lui avait été impossible de supporter l'idée qu'il serait forcé de la voir embrasser quelqu'un d'autre, après que cette bague ait glissé le long de son doigt. Il n’y parvenait pas. Et il se sentait faible, idiot, déloyal, égoïste. Car s'il aurait été obligé de voir tout cela, Constance, elle, fut obligée de le vivre au premier plan.
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Cole s'était subitement levé, sous le regard stupéfait de la jeune mariée. Les autres regards, aux, étaient bien plus haineux. Personne n'avait le droit de faire le moindre premier pas pour une cérémonie de cet ampleur, même si c'était le médecin de la famille. Il n'avait pas l'air d'être dans son état normal. Du moins, c'était ce que Constance supposait, en voyant les traits de son visage tirés par la fatigue. Elle ne pouvait pas deviner qu'il avait consommé trop d'alcool la veille au soir. Le moment de silence fut court, mais semblait particulièrement long. On s'attendait à ce qu'il dise quelque chose, à ce qu'il se rassoit. Mais rien de tout ceci, il préférait quitter la cathédrale sous le regard interdit de tous. La déception de Constance était énorme. C'était son ami, il semblait être un homme de parole, mais voilà qu'il venait tout juste de rompre sa promesse principale. Une valse de pensées secouait la jeune femme, qui échangeait un bref regard avec sa soeur, qui tentant de lui sourire d'encouragement. Pour qu'elle continue, qu'elle tienne le coup. Là, à ce moment précis, Constance s'était sentie bien plus seule qu'elle ne l'avait jamais été. "Ignorez-le, Constance. Il n'en vaut pas la peine." souffla Peter tout bas, avec un rictus bienveillant. Le prêtre avait repris alors la parole afin que tout se temrine avec perfection. L'échange des alliances, le premier baiser. Une sensation étrange que d'effleurer les lèvres d'un homme que l'on n'aimait pas. Constance n'avait rien ressenti. Toute la cérémonie la mettait mal à l'aise. Elle n'avait jamais aimé être le centre de l'attention, et la simple idée de l'être pour la journée entière lui donnait le vertige. Les applaudissements et les cris l'impressionnaient et l'effrayaient, si bien qu'elle resserrait ses doigt sur le bras de son nouvel époux. Constance Keynes, quel drôle de nom. Elle se réjouissait de pouvoir entrer dans la calèche, bien que ce soit en compagnie de Peter, qui ne semblait pas vouloir lâcher la main de sa femme. En revanche, il ne semblait pas être dérangé par son silence. On voulut bien lui accorder un bref moment de pause avant de reprendre les festivités de plus belle. On lui avait enlevé le voile, réajusté un peu sa coiffure avant de la laisser seule un moment, à sa demande. Elle ne s'attendait certainement pas à ce que l'on ose venir interrompre ce moment de solitude, si bien qu'elle sursautait lorsqu'elle avait senti que quelqu'un était entrée. Assise sur son fauteuil, elle dévisageait Cole, surprise qu'il se soit présenté au manoir alors qu'il s'était échappé durant la cérémonie. Planté là, devant elle, il lui glissa tout bas un compliment. Constance baissa la tête, les yeux rivés sur son alliance. "Merci." souffla-t-elle. "Cela ne reste qu'une robe blanche. Je ne préfère pas penser à sa symbolique. Il y a malheureusement tout ce qui m'entoure qui me rappelle ce qu'elle signifie." Après un long moment de silence, le médecin reprit la parole, essayant de mentir à Constance en réalisant trop tard qu'il n'y parviendrait pas. Il ne pouvait pas. D'un sens, elle pouvait le comprendre. "Ce n'est pas grave." Sa présence n'aurait certainement rien changé à la fin de la cérémonie. La seule chose qui différait, c'était le fait qu'il avait brisé une promesse qu'il semblait si déterminé à respecter. "Désormais, il n'y a véritablement plus rien qui vous retienne ici." Le sourire de Constance était là bien plus franc et sincère. Il n'avait plus aucune obligation, il ne devait plus rien à qui que ce soit. "Vous ne... Vous ne devriez pas vous sentir obligé de rester pour le dîner, vous savez. Je ne vous en voudrais pas. Cela ne sera pas vraiment mieux que la cérémonie. Ce sera même pire, bien pire." dit-elle en regardant dans le vague. "A vrai dire, le simple fait de songer à devoir sourire pour les heures à venir m'épuise déjà." Elle rit nerveusement, et finit par se relever pour se rapprocher de son ami. "Ne... Ne vous sentez pas obligé de rester, Cole. C'est... douloureux et particulièrement difficile pour nous deux. Je serai soulagée de savoir que l'un de nous peut être épargné par toute cette mascarade." Elle ne voulait pas qu'il en souffre autant qu'elle, il ne méritait pas vivre un telle douleur après tout ce qui lui était arrivé. "Ne soyez pas désolé, Cole. Je ne vous en veux pas." lui assura-t-elle plus tard, même si elle se doutait qu'il devait culpabiliser malgré ses paroles. Constance prit délicatement la main du médecin, qu'elle porta à sa bouche pour l'embrasser, puis elle y colla sa joue l'espace de quelques instants. "J'ai quelque chose pour vous." se rappela-t-elle soudainement. Elle récupéra les deux livres qu'elle avait méticuleusement dissimulé le matin même une fois qu'elle était seule dans la chambre. L'un d'eux était le livre que Cole lui avait confié."Je ne l'ai pas continué. J'avais l'espoir que nous ayons à nouveau un moment ensemble pour le terminer. Et je n'ai pas pu le faire seule. Je me disais que si je le terminais, c'était comme si je mettais également fin à ce moment là, lorsque j'avais commencé la lecture de ce livre. C'est comme si... ça ne se terminait jamais." Une version très métaphorique de leur relation mais depuis Noël, c'était la seule chose sur laquelle elle avait su se raccrocher. "Et l'autre c'est... Un journal. Je l'avais ramené de Boston, je pensais d'abord en faire un carnet de voyage pour y raconter ce que je découvrirai, mais j'en ai fait autre chose." Une fois qu'il avait le journal en main, Cole pouvait constater de lui-même que toutes les pages étaient bien remplies de l'écriture de la jeune femme. "J'ai commencé à l'écrire une fois que vous étiez partis du manoir. Au début, je comptais vous envoyer quotidiennement des lettres, mais j'avais peur qu'on ne les lise avant qu'elles ne soient postées. Alors j'ai écrit là-dedans, tous les jours." A chaque nouveau jour, c'était comme si elle adressait une nouvelle lettre à Cole. "Je n'ai certainement pas la plume de Mary Shelley. Et je suppose que ces lignes ne vous remonteront guère le moral de part leur mélancolie, mais... C'est à vous. Cela m'aidait un petit peu, d'écrire, de vous écrire." Elle parlait beaucoup de ses journées, de ses pensées bien malheureuses, mais aussi parfois de l'impatience à l'idée de revoir Cole. Constance aurait adoré s'éterniser ici, en présence de l'homme qu'elle aimait. "Je devrais y aller, je suis certainement attendue, en bas." dit-elle alors à contre-coeur.
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Et si Elwood dormait encore ? Après tout, cette journée ressemblait à une illusion, un mirage. Il voyait les hommes et les femmes graviter comme des fantômes, leurs visages flous et leurs voix lointaines ; il se sentait si souvent hors de son corps, observant les événements d'un point de vue bien plus lointain, et parfois, il n’était pas certain d'être réel lui-même. Même Constance paraissait bien trop belle pour ne pas être la vision cruelle d'un rêve. Quelques douleurs ici et là, sa tête lourde, sa gorge sèche, et les coups au coeur assénés par chaque mot du prêtre le mettaient sur la voie d'une réalité qu'il ne voulait pas admettre. Pourtant il le devait. C’était fait. Il y avait la robe, le voile posé sur le côté, la bague. Étrangement il eut le réflexe d'observer les pierres. Diamants, bien sûr. Quelle hypocrisie. On ne lui avait pas laissé le bracelet que Cole lui avait offert à Noël, il aurait bien trop juré avec la robe. Et lui, il était parti. Il avait laissé la jeune femme sans soutien, sans protection, sans le véritable amour que quelqu'un éprouvait pour elle dans cette grande cathédrale et dont elle aurait eu tant besoin pour faire face à cette journée. Il était parti, comme Laura était partie, et il n’était que plus coupable. Il ne se pardonnait pas. “Ne dites pas ça, cela ne change rien du tout.” dit-il, demanda-t-il plutôt, le regard suppliant Constance de ne pas le répudier pour avoir brisé sa promesse. Il pouvait recommencer, il s’y tiendrait. Il pouvait réparer ses erreurs, à commencer par assister au dîner et au reste des festivités. Il la ferait danser plus tard se dit-il. Il la ferait danser comme elle le lui avait réappris et ils oublieraient où ils étaient pour un instant. “Non, je ne peux pas partir encore une fois.” murmura-t-il, la gorge serrée. Mais est-ce qu'elle voulait qu'il s'en aille ? Est-ce qu'elle préférait qu'il ne soit plus dans son champ de vision pour le reste de la journée ? Ce n’était à plus rien comprendre. Elwood voulait partir, il avait quitté la cérémonie, désormais il voulait rester, et Constance souhaitait qu'il parte. C'est dire à quel point ils étaient perdus, en détresse. Et juste sous leurs pieds, les invités attendaient. En bas, la comédie se poursuivait, une mascarade, comme une bien mauvaise farce. Ils ne pouvaient pas bouder ici comme des enfants, refuser de quitter la chambre et se construire un fort en couvertures où ils seraient en sécurité ; ce temps-là était si lointain. Ils n’avaient pas de moyen de s’échapper. La jeune femme lui tendit ce qui lui servit d’échappatoire depuis qu’il avait quitté le manoir. Le livre qu’ils avaient entamé tous les deux, mais surtout, son journal intime. Cole pensait qu’il n’oserait ô grand jamais pénétrer dans la tête de Constance de cette manière, même si elle l’y invitait. C’était son monde, ses sentiments, ses pensées, un jardin secret sur lequel il n’avait aucun droit, qu’on les lui donne ou non. Il était touché, il ne savait pas quoi en dire. Son esprit à lui était paralysé. Le flot habituel de pensées, gelé. Il n’avait que de la reconnaissance dans le regard, et tant d’amour, et tant de peine. Pourquoi pareil sentiment, si doux pour d’autres, ne devait être qu’une source de torture au sein de son existence ? Il accepta le cadeau d’un signe de tête, il tenta un vague sourire, peu convaincant. car il ne cessait de se dire qu’à partir de ce jour, tout ce qu’ils pouvaient ressentir devait être mis au placard, et peut-être qu’il ne leur serait plus permis d’être amis. Les invités continuaient d’arriver et d’emplir le manoir de bavardages et de fumée de cigarette. Les premiers s’installaient à table. Il ne manquait plus que la mariée. La mariée… Elle songeait à les rejoindre, Cole en avait un haut le coeur, tandis qu’il faisait un pas vers elle afin de lui barrer le chemin sans être complètement certain de ce qu’il comptait faire. Finalement, ses mains saisirent le visage de Constance, et il colla un long baiser sur ses lèvres roses. Aussi douces qu’il les avait imaginées. Il ne voulait pas la laisser partir. Il était beaucoup trop tard pour cela… Si seulement il l’avait réalisé plus tôt, si seulement il avait eu plus de courage. Si seulement… Le baiser, un peu brusque, se fit de plus en plus tendre et amoureux. Lorsque l’un songeait à s’extirper, l’autre renchérissait. Et ce moment aurait pu durer pour toujours. Si la porte ne s’était pas ouverte. Eleanor les trouva là, elle vit leurs visages se frôler, leurs lèvres se caresser. Cole ne réagit pas, il n’en avait que faire à vrai dire, l’univers ne pouvait pas l’atteindre plus que cela n’était déjà le cas. La jeune femme ne pourrait pas l’arracher de là, il était un roc face à elle. Alors il prit le temps, quelques secondes, de poser son front contre celui de Constance, de se pincer les lèvres sur lesquelles le goût des siennes demeurait, et de demander pardon dans un murmure étouffé. Alors seulement il quitta la chambre, sans adresser un regard à Eleanor.
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Depuis qu'elle avait su reconnaître les sentiments qu'elle avait pour Cole, la jeune femme avait toujours espéré secrètement qu'elle puisse se marier à lui. Que cette robe blanche ait été enfilée pour que son regard amoureux se pose sur elle dès qu'elle apparaissait au loin dans la cathédrale et qu'ils se disent tous les deux qu'enfin, ils seraient liés jusqu'à la fin des temps. Au lieu de cela, le bel homme n'avait pas pu rester plus longtemps à l'intérieur du lieu de culte, la vision de la voir en épouser un autre étant devenu particulièrement insupportable. Ils en souffraient tous les deux, et malgré leur amour partagé, leur relaiton en pâtissait énormément. Cole ne voulait pas que cela s'arrête ainsi. Il lui demandait pardon, il voulait avoir une nouvelle chance pour prouver qu'il était bel et bien capable de tenir sa parole. Il voulait être là pour elle, d'autant que cela lui était permis. Elle esquissa un léger sourire. Discret, mais qui laissait largement deviné qu'elle était d'accord avec lui. Que cette promesse tenait toujours. Et bien qu'elle lui ait vivement suggéré de partir parce que la suite des événements n'étaient pas vraiment plus réjouissants. Mais, encore une fois, le médecin semblait vouloir se tenir à ce qu'il lui avait juré, et préférait rester. Constance ne comptait pas l'obliger à faire quoi que ce soit. Après quoi, elle récupéré le livre et le journal intime afin de les donner au brun. Lui ne dit aucun mot. Il fixait longuement le journal, bien perplexe. Il acquiesça juste d'un signe de tête en guise de remerciements. Constance ne parvint pas à le sonder, à savoir ce qu'il pouvait en penser. Elle n'avait pas plus de temps que ça pour la questionner lorsqu'elle réalisa qu'il était temps de rejoindre les autres convives, qui devaient bien se demander où l'heureuse élue devait bien se trouver. Elle suggérait à Cole d'en faire de même. Décidée, même si c'était à contre-coeur, la petite blonde avançait d'un pas mais il se mit juste en face d'elle afin de l'empêcher d'avancer davantage. Elle le regarda alors d'un air interrogatif. Avant même qu'elle ne puisse lui demander ce qui n'allait pas, le médecin prit délicatement le visage de Constance afin de l'embrasser. D'abord surprise, elle sentit ensuite son coeur exploser lorsqu'elle réalisait ce qui était en train de se passer. Elle embrassait l'homme qu'elle aimait. Constance se trouvait particulièrement maladroite. La seule fois qu'elle avait embrassé un homme était quelques heures plus tôt, à l'église. Mais celui-ci n'avait rien de semblable. Elle se laissait tout simplement guider par ses sentiments. Son rythme cardiaque était totalement décadent, elle sentait que ses lèvres en demandaient toujours plus, de cette tendresse et de cet amour inconditionnel. Elle avait fini par déposer ses mains au niveau de son cou, comme si elle craignait qu'il ne s'échappe. Dès qu'il semblait vouloir s'éloigner d'elle, elle se rapprochait de lui avec l'idée de ne jamais arrêter cet instant. Ils furent pris en flagrant délit par Eleanor, mais Cole n'en avait que faire. Le baiser s'était peut-être arrêté, mais il restait collé à elle. Son front posé contre le sien, il la regardait avec amour. Constance, elle, avait les pupilles sensiblement dilatées. L'éclat de ses yeux, eux, reflettait ce bref instant de bonheur et d'exaltation qu'elle venait de vivre. Avant qu'il ne s'éclipse sans dire un seul mot, il lui demandait pardon. Mais pardon pour quoi ? Eleanor ferma la porte derrière elle. "Constance, je t'ai dit que c'était bien trop dangereux." dit-elle avec un air inquiet. "C'est arrivé tout seul. Je comptais vous rejoindre, il m'a barrée la route et... et nous nous sommes embrassés." répondit Constance. Les faits étaient là. Les soeurs se regardaient longuement. "Tu es véritablement amoureuse de lui, n'est-ce pas ?" Elle n'acquiesça que d'un seul signe de tête. "Tu ne dois le dire à personne, Eleanor." supplia ensuite la cadette. Eleanor la prit dans ses bras. "Je comptais le garder pour moi, ne t'en fais pas. Tu sais, notre père ne sait toujours pas qui a cassé le vase dont nous avions horreur toutes les deux, tu t'en souviens ?" Elle lui lançait un regard à la fois complice et malicieux. Là, Constance avait l'impression d'avoir alors retrouvé sa soeur. "Il ne faut pas... Que ça devienne une habitude. Imagine que l'on vous surprend." "Il n'y a que toi qui se permet d'entrer dans ma chambre sans toquer et sans y être invitée." objecta Constance. "Quand bien même. Peut-être qu'un jour, Peter se le permettra également. Tu ne dois pas courir ce risque. Ni pour toi, ni pour le Dr. Elwood." Le visage devint alors bien plus triste. "Je suis heureuse pour toi que tu aies pu tomber amoureuse d'un homme, comme tu en rêvais. Cela ne te permet tout de même de t'accorder ce genre de libertés. Tu es une épouse, désormais. Tu as des devoirs, et tu ne peux pas risquer ton rang, pas même pour lui." "Es-tu en train de me dire que je ne devrais plus le revoir ?" "Je trouve que vous formeriez un couple merveilleux. Mais tu ne feras que souffrir davantage si vous vous voyez tous les jours. Lui ne pourra pas avancer, toi non plus. Il faut que cela vous passe." Voilà qu'Eleanor faisait pleurer sa soeur. "Je n'ai pas envie que ça nous passe." "Ne sois capricieuse, Constance. Si tu l'aimais vraiment, tu le laisserais partir." "Capricieuse ? Me suis-je une seule fois opposée à ce mariage ? Non, je n'ai rien dit, je l'ai subi. Cole m'a promis qu'il sera toujours là pour moi, il m'a même dit qu'il m'aiderait à mettre mon enfant au monde si j'en porte un jour. Il s'est montré bien plus digne de confiance et bien plus compréhensif que tu ne l'as été depuis que nous sommes ici. Toi, tu te montres gentille au début, pour mieux me donner des leçons ensuite. Je l'aime, Eleanor. Je l'aime plus que tout. Ne peux-tu pas être tout simple heureuse pour moi, ne serait-ce que pour quelques secondes ?" Constance était révoltée par ce soudain retournement de veste. Eleanor bégaya longuement avant de pouvoir dire quoi que ce soit. "Je ne veux que te protéger, je... Je ne veux pas que tu souffres, Constance." "Si tu ne le voulais vraiment pas, tu ne me demanderais pas de l'oublier." souffla la mariée en essuyant ses joues humides. Un long moment de silence s'imposa. "Alors... Alors ne l'oublie pas." dit Eleanor après une minute de réflexion. L'aînée réalisait qu'elle préférait aller contre certains principes plutôt que de s'éloigner davantage de a petite soeur. C'était un secret bien lourd à porter, mais elle savait parfaitement dissimuler ce genre de choses, sa force de caractère l'y aidant beaucoup. "Je t'ai déjà donné ma parole, je ne le dirai à personne. Mais... comme je te le dis depuis que je le sais. Fais attention à toi."
La mariée fut accueillie sous les applaudissement de tous les convives. Elle n'en connaissait pas la grande majorité et faisait de son mieux pour leur sourire. Elle avait à la fois hâte et pas hâte que les festivités ne se terminent, parce qu'elle savait ce qui l'attendait derrière. Rien que d'y penser, elle en avait la boule au ventre. Heureusement, Cole était toujours bel et bien, et elle lui souriait avec bien plus de sincérité qu'avec ses autres convives. Peter et Constance allaient saluer ensuite chacun des invités, un par un. C'était presque un moment de libération lorsqu'ils pouvaient enfin s'asseoir pour commencer le festin qui avait été préparé. Peter n'arrêtait pas de lui dire qu'il lui avait acheté une multitude de cadeaux de mariage. Aussi, il l'embrassait assez régulièrement. Un baiser volé, ou un sur la main. "Vous êtes splendide, il me tarde d'être plus tard, dans notre intimité." lui disait-il aussi tout bas. Constance se contentait de sourire, mais Peter avait bien du constater son malaise, pour qu'il vienne rajouter. "Vous n'avez rien à craindre." Y penser la terrifiait. Elle était bien ravie que l'on venait servir les premières assiettes afin que Peter ait plutôt la bouche pleine de nourriture que de mots. Et, après le plat principal, il était temps pour le couple d'ouvrir le bal, sous les regards admiratifs de (presque) tous.
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Entre l'euphorie et la culpabilité, Cole n’avait pas l'ombre d'une idée de ce qu'il ressentait une fois qu'il sortit de la chambre et laissa son sort entre les mains d’Eleanor. Car l'aînée Dashwood pouvait décider de garder le secret, ou de tout dévoiler. Sur le moment, Elwood s'était bien fichu des conséquences de son arrivée intempestive dans la pièce. Après coup, le discours interne était bien différent. Et si Peter était entré dans frapper ? Lui ou un autre Keynes. Alicia par exemple. Ou son père, Mr Dashwood. À vrai dire, Constance et lui avaient été particulièrement chanceux que ce soit elle et personne d'autre qui fit intrusion. Il n’avait pas l'habitude de se montrer aussi impulsif. Cole écoutait bien souvent sa raison avant son coeur, il n'agissait pas sans réfléchir et sans avoir songé à tous les aspects d'une situation. Néanmoins, il savait exactement pourquoi il avait agi de cette manière, pourquoi il avait embrassé Constance. Parce qu'il l'aimait. Parce qu'il devait le lui dire avant que l'opportunité lui soit retirée à jamais. Elle devait savoir. Elle devait connaître les sensations d'un baiser amoureux. Elle le devait avant d'affronter le reste de la journée, et la nuit aussi. La nuit. Cole s'arrêta subitement dans l'escalier. Il eut à nouveau ce vertige, cette nausée. Rapidement, il retrouva contenance et il échafauda un plan. Ce mariage ne sera pas parfait. En salle, Cole trouva Charlotte. Elle s'occupait de la table principale avec Gabriel, toujours fou d'amour pour elle tandis qu'elle peinait à retenir son nom. Le médecin serait assis à l'opposé de la salle, à l'autre bout, et la manoeuvre était évidente. Charlotte devait donc l'aider à agir. “J'ai un service à te demander. J'aimerais que tu gardes son verre bien plein.” dit-il tout bas en indiquant Peter d'un discret signe de tête. Le jeune homme avait la fâcheuse habitude de finir tout verre plein, sans s'interroger sur sa capacité à ingérer plus d'alcool ou non. S'il était servi, il buvait, et il buvait jusqu'à ne plus marcher droit, jusqu'à être incapable d'exercer son devoir conjugal. La domestique le comprit sans mal. “Qu'est-ce que tu essaies de faire ? Tu vas uniquement lui gagner un sursis.” C'était une manoeuvre ridicule à ses yeux, une perte de temps. Pourtant, Cole en était persuadé, Constance avait besoin de ce sursis. “Et si tu étais à sa place, après avoir été mariée contre ta volonté, est-ce que tu ne serais pas reconnaissante d'avoir une trêve dans toutes ces émotions avant de devoir passer à l'acte ?” dit-il à la recherche du bon sens de sa belle-sœur. “J’aimerais plutôt en finir et effectuer cette corvée vite. Arracher le pansement.” C'était un point de vue défendable malheureusement, et peut-être que le médecin faisait à nouveau du mal avec l'intention de faire le bien, mais il n’en aura le coeur net que plus tard. “Fais-le, s’il te plaît.” Charlotte céda avec un signe de tête et un soupir.
Pendant tout le repas, Peter ne manqua pas de vin, de champagne, ou de tout ce qu'il pouvait désirer. Cole s'efforçait de converser auprès du cercle auquel on l'avait assigné. Des amis d'Augustine pour la grande majorité, et il comprit que les Keynes avaient planifié là de tourner le couteau dans la plaie. Il ne se laissa pas atteindre, et il trouva régulièrement du courage dans les regards et les sourires échangés avec Constance. Qu'importe à quel point cela était risqué, il était heureux que ce baiser ait eu lieu. Ce souvenir rendit la première danse des époux plus supportable. Il savait que Constance l'aimait en retour, et ce fut ce qu'il se répétait tout au long de la soirée. Ce fut assez tard qu'il se risqua à prendre la main de la jeune femme afin d'avoir la joie d'être son cavalier à son tour. Ils filèrent immédiatement au firmament, au son de la musique, tournoyant sur la piste avec la grâce et la synchronisation de deux âmes sœurs. “J’espère que vous ne m'en voulez pas. Je sais que je n'aurais pas dû, encore moins aujourd'hui, mais je…” Son regard glissa furtivement tout autour d'eux à la recherche d'oreilles baladeuses, mais à cette heure, chacun était trop fatigué pour s'occuper d'autres choses que de ses propres oignons. “J’ai pensé que nous n'aurions peut-être pas d'autre occasion.” expliqua-t-il sans pouvoir précisément dire la raison de ce pressentiment, ce maintenant ou jamais qui s'était imposé à lui alors qu'elle suggéra de retourner à ce fichu mariage. Il prit cette chance, et il ne regrettait pas. Tout ce qu'il déplorait, c'étaient les circonstances de ce baiser. “Je m’assure que vous n’ayez pas plus de désagréments à subir aujourd'hui.” reprit-il en indiquant Charlotte d'un signe de tête, et prouvant ainsi qu'il comptait bien tenir sa promesse cette fois. Qu'importe les moyens.