Je levais timidement mes yeux vers lui, son regard me perturbait toujours autant car j'avais envie de bien plus mais je devais calmer mes ardeurs... Faible que je suis, je rebaissais de suite les yeux posant le téléphone sur la table, le numéro du médecin toujours affiché qui ne réclamait que d'être appelé. Je voulais surtout me calmer avant et d'arrêter de trembler de la sorte. Quand j’émettais l’idée d’appeler le gynéco tout de suite, je voyais bien la détresse dans le regard de mon ex. Rien de plus normal. Elle venait d’apprendre qu’elle était enceinte et j’avais l’impression de lui avoir encore plus brisé le cœur. Forcément qu’elle se sentait encore moins bien à l’idée d’aller si vite. Mais si on ne le faisait pas, on ne le ferait jamais. Je n’ai pas envie non plus qu’elle se sente encore plus mal. Dans tous les cas, fallait passer par la case du gynéco et je voulais être là pour ce rendez-vous. Quelle que soit sa décision finale. Je n’allais plus l’abandonner, je n’en aurais plus le besoin ni l’envie. Si je voulais assumer mes actes, il fallait qu’elle en fasse de même. Mais voilà que notre fille voulait l’accompagner aussi. Je souriais tendrement, doucement, connaissant d’avance la réponse de sa mère. Ce n’était pas possible. Alors elle se mit à bouder et à se réfugier dans sa chambre. J’ai bien cru que Maxyn allait faire la même chose, mais finalement elle revint quelques instants plus tard avec son téléphone. Je sentais bien qu’elle réunissait tout son courage pour appeler son médecin. Mais elle semblait bien trop apeurée à l’idée de prendre ce rendez-vous Tu ne me forces à rien Maxyn. Je veux vraiment t’aider, je ne veux plus te laisser tomber. Même si je ne comprends pas tes choix, je suis aussi fautif dans cette histoire, hors de question que je te laisse gérer tout ce stress toute seule. J’étais ferme, catégorique et sûr de moi. Elle pouvait m’en faire voir de toutes les couleurs, je tiendrais bon, je le sais. Et je me devais de l’aider au maximum. C’est pour cela que j’ai pris son téléphone des mains et vis déjà le profil du médecin en attente d’être appelé. Je n’hésitais pas et appuyais sur cette icone verte Bonjour, je souhaiterais prendre rendez-vous pour l’une de vos patientes. Maxyn Ledger … Elle est de nouveau enceinte et elle ne se sent pas bien. Vous auriez de la place rapidement s’il vous plait ? … L’attente fut particulièrement longue et je fixais bien malgré moi la blonde, vraiment inquiet par son état. La semaine prochaine … Je m’adressais alors à Maxyn Un jour en particulier ? Oui, ce n’était pas un problème pour moi, je pouvais prendre quelques heures lors de telles urgences.
J'avais envie de m'excuser encore et encore, je me sentais fautive alors que je savais que non... que je n'avais pas fait exprès, qu'on avait été deux cette nuit là à coucher ensemble... Mais c'était plus fort que moi. Comme s'il fallait que je me fasse toujours plus de mal.
Ce maudit téléphone entre mes doigts, impossible d'appuyer sur cette icone verte... Tellement impossible qu'Enzo le prit et fit le travail à ma place. A peine avait-il mon téléphone en main que mon regard avait bugué sur lui. Je repensais à ses mots "qu'il ne comprenait pas mes choix" "qu'il n'allait pas me donner son accord pour l'avortement" "qu'il voulait être là" "qu'il n'allait pas m'abandonner". Pourtant il m'avait dit un peu plus tôt de ne pas vouloir d'un autre enfant, alors l'idée de l'avortement semblait parfaite, pourquoi voulait-il le.. garder? En plus avec moi. Il ne m'avait pas dit "je t'aime", juste dit m'apprécier, que devais-je comprendre? Ses mots et ses actes étaient si différents que je me perdais totalement.
Un coup je baissais les yeux, un coup je les relevais... Mais quand Enzo se mit à parler, mon ventre se noua encore plus. C'était réel, ce test, cet appel, Enzo en face de moi, mes nausées... Tout. Pourquoi espérais-je encore d'être dans un mauvais rêve? Je cachais mes mains sous la table tant je stressais et j'avais arrêté de dévisager Enzo du regard même si je sentais le sien sur moi. Que dire à la gynéco aussi? Qu'est-ce que j'allais faire? J'essayais de penser à ma respiration avant d'aller de faire une énième crise d'angoisse jusqu'à que la question d'Enzo m'interpelle. Je relevais doucement mes yeux, je ne savais même pas s'il y avait un "bon jour" pour ce genre de situation... Alors, autant minimiser les dégâts.
- Mercredi après-midi?
Disais-je doucement comme si j'avais peur que la gynéco entende ma voix. Si elle m'entendait elle devait me trouver ridicule d'être près du téléphone mais que quelqu'un d'autre appelle à ma place. Oui, mercredi après midi me semblait un bon timing: pas de cours. Déjà que ma présence était peu acceptée et aimée, que j'étais à peine en train de redémarrer là bas alors si j'étais de nouveau absente malgré mes efforts, non... Tous mes élèves m'anéantiraient à coup sûr. Surtout ceux de la fac qui se sentaient un peu trop pousser des ailes.
Je ne disais rien désormais, je regardais juste Enzo du coin de l'oeil en attendant qu'il finisse de parler au médecin au bout du fil. Il s'occupait de moi, oui, encore... Pourquoi lui et moi on se compliquait autant la vie au fond? Comme si on avait plus l'habitude de souffrir que d'être heureux ensemble ou même séparés. Je préférais jouer nerveusement avec mes doigts sous la table avant de reposer inconsciemment une de mes mains sur mon ventre.
Prendre les choses en main n’avait pas été vraiment mon genre quand notre couple battait encore de l’aile. Encore moins quand cela concernait Zoey. Je m’étais senti trahi et selon mon moi de l’époque, elle devait tout assumer par elle-même. Aujourd’hui, même si cela avait été volontaire de sa part, j’aurais réagi exactement de la même façon qu’en ce moment même. Et je me demande si je l’aimais vraiment à l’époque. Je me sentais bien plus comme prisonnier. J’étais bien sûr tombé amoureux d’elle, c’est indéniable, j’avais même été fou d’elle. Mais tout a fini par s’écrouler. Et j’avais eu cet infime espoir que tout redémarre depuis le début, à zéro, mais c’était peine perdue. D’abord à cause de la fameuse Billie, et ensuite parce que je me rends compte qu’il faut d’abord que Maxyn se sente mieux avant qu’on puisse envisager quelque chose. Et je sais que je lui fais du mal à ne rien lui dire. Mais j’aurais aussi pu lui faire du mal à la faire espérer. Surtout si je n’arrive pas à tenir ma promesse. Je ne veux pas brusquer les choses. On a besoin de temps, j’ai besoin de temps avec elle et c’est aussi pour ça que j’ai besoin d’être là avec elle, et la soutenir. Je pouvais aussi comprendre que c’était assez étrange comme réaction de ma part, mais je n’ai jamais été très logique. Ou alors, ce sont les femmes qui ne sont pas très logiques. Toujours est-il que j’avais décidé de prendre le téléphone de mon ex et d’appeler moi-même la gynéco. J’excusais en quelque sorte la blonde de ne pas passer cet appel elle-même pour cause de malaise. C’est clairement le cas, même si pour l’instant, ce n’est plus physique mais davantage psychologique. Je lui demandais alors quel jour lui arranger et le signifiais à la gynéco Mercredi prochain, à 15h. C’est noté. Merci et bon après-midi. Voilà le rendez-vous était pris et Maxyn n’avait plus d’échappatoire. En même temps, c’est ce qu’elle voulait non ? Je lui rendais alors son téléphone et venais m’asseoir à ses côtés. Je sentais bien qu’elle était stressée, ça se voyait, et même si j’avais terriblement envie de la toucher pour la rassurer, je m’abstenais. Y’a quelque chose d’autre que je peux faire pour toi ? T’es sûre que tu n’as pas faim ? Oui, j’insistais. Elle a besoin de forces, c’est indéniable, enceinte ou pas, elle devenait de plus en plus pâle.
Le rendez-vous était pris, impossible de reculer. Enfin si, je pouvais rappeler par derrière et annuler mais Enzo n'aimerait pas trop ça. Ce que je pouvais comprendre. Je restais là à jouer avec mes doigts sous la table, nerveusement... Jusqu'à qu'il raccroche pour finir par me rejoindre. Je le regardais timidement, je me sentais bête mais bête... Je soufflais de désespoir, je ne savais plus quoi faire ou ne pas faire...
- L'odeur de la nourriture me donne envie de vomir...
Il était inquiet, ça me touchait. Comme il avait été inquiet avant qu'il sache que je sois enceinte, mais je ne pouvais m'empêcher de me poser mille et une questions dans ma tête, impossible.
- Ca ne va pas causer des problèmes pour ton travail la semaine prochaine? Je ne veux pas qu'on te tape sur les doigts car tu manques une après-midi ou même 2h.
Je me retournais un peu sur lui, me forçant d'arrêter ce petit jeu avec mes doigts, préférant serrer mon portable dans mes mains. Ca stoppait mes tremblements de la sorte. J'aurais certes bien pu lui dire de me prendre dans ses bras ou de m'embrasser mais là, en avait-il envie? Il l'aurait fait sinon? Comme dans la chambre, il aurait fait bien plus que de me soigner juste le dos... Non? Stop Max, stop...
- Mais un verre d'eau ne serait pas de refus, j'ai la bouche et gorge sèche... enfin je peux me lever, t'es pas mon esclave.... mais c'est gentil...
Il m'avait demandé si je voulais quelque chose mais lui dire "oui donne moi ça" me mettait mal à l'aise. Je n'aimais pas demander des choses aux gens, alors quand j'avais été aveugle, c'était ça qui me rendait le plus folle. Toujours demander de l'aide, toujours.
- Je vois désormais après tout...
J'haussais des épaules avant de me lever avant lui pour me servir mon verre d'eau, je m'appuyais contre le lavabo regardant l'eau bêtement couler dans le verre tandis que j'essayais de respirer normalement.
Pour son bien-être elle devrait manger. Vraiment. Et j’avais l’impression de me battre pour qu’elle mange ne serait-ce qu’une seule bouchée. Je ne comprenais pas comment elle arrivait à ne pas manger. Surtout en étant enceinte. Quelque part oui je me disais que si elle avortait vraiment, je n’aurais plus à me ronger les sangs pour que cet enfant aille bien. Même si en soit, je me les rongeais quand même pour elle. Il fallait que je me détente, que j’arrête de m’en faire autant. Je venais de la repousser en quelque sorte, de lui faire comprendre que je ne pouvais pas former de nouveau un couple avec elle, il fallait que j’agisse en conséquence. Mais je ne pouvais pas non plus la laisser dans cet état, d’où le fait que je lui avais demandé si elle avait besoin de quelque chose. Elle me demanda dans un premier temps si ça n’allait pas m’attirer des ennuis de m’absenter un après-midi Ne t’en fais pas, je peux m’arranger. Lui avais-je simplement répondu pour la rassurer. Parce qu’au final, je pouvais très bien me faire remplacer et rattraper mes heures plus tard. Dans le pire des cas, je ne serais pas payé et ça ce n’était pas un problème du tout. Finalement elle voulait bien un verre d’eau. J’allais me lever pour lui en apportait un, mais elle préférait se servir elle-même. J’étais déjà debout, et je ne savais pas quoi faire de plus. Je voyais bien qu’elle peinait à tenir debout et je ne savais plus comment agir avec elle. Et pourtant j’avais toujours envie de la toucher, d’être près d’elle. Mais il fallait que je sois fort, que je résiste un peu mieux. Je m’appuyais alors sur la table, à moitié assis, la regardant faire pour finalement lui demander Tu veux qu’on fasse comment pour demain ? Je te laisse Zoey ou je l’emmène avec moi ? Un détail oui, mais il fallait que je me ramène à la réalité, arrêtant de la vouloir. Je me disais justement qu’en fonction de sa réponse, je partirais avant la tombée de la nuit. C’était pour le mieux. Le même schéma allait recommencer, comme la nuit dernière, et je ne pouvais pas me le permettre, dans les deux cas.
Je voulais stopper de penser alors j'inspirais calmement et longuement laissant mon verre d'eau se remplir. Voilà ma vie de famille idéale, oui la voilà. A croire que j'étais dédiée à ne jamais connaître cela. Déjà avec mon père petite puis désormais avec... Enzo. Je ne remettais pas la faute sur les épaules d'Enzo, c'était un tout mais peut-être que je n'étais juste pas faite pour cela et que je devais arrêter de rêver à une vie dite "idéale".
Récupérant mon verre d'eau, je me rasseyais en face d'Enzo buvant quelques gorgées, restant pensive face à sa question.
- C'est dimanche demain, tu peux la prendre chez toi... Je peux rester ici seule, ça ne me dérange pas. Elle a besoin de changer d'air. Tu peux la garder plus longtemps si tu veux. Je me sens pas... bien pour lui courir après ou lui faire à manger.
J'haussais les épaules, après tout Enzo voulait rester ici ce soir, mais rien ne l'empêchait de partir avec Zoey maintenant, même "s'il voulait être là" comme il m'avait dit. Qui j'étais pour le forcer à ressentir des choses qu'il ne ressentait pas? Personne. Son ex en fait, mais ce n'était pas un statut assez fort pour oser espérer quoique ce soit.
- Je vais prévenir le lycée que je ne vais pas bien, encore... Tu sais il y a des années je ne me voyais que dans le théâtre, prof ou actrice, mais plus je prends de l'âge et plus je me dis que je n'ai pas la carrure pour. Clément, un de mes élèves m'a humilié à la fac me forçant presque à donner ma démission, au lycée mes élèves me demandent de l'herbe ou une fellation, je n'ai plus aucun cours particuliers, le peu de castings que je fais ne mènent à rien quant à Saul... Que dire de Saul? Il est devenu un inconnu. Quand je vais à la compagnie je me sens mal, je ne me sens utile à rien même à l'administration. J'ai abandonné mes élèves, tout le monde car j'allais mal mais je n'arrive pas à remonter la pente. Si demain Saul venait à me demander de partir, je ne serais même pas étonnée. Je ne sais même pas quoi de ma vie Enzo... Et je ne me vois pas mère au foyer pour autant... Seule avec Zoey ou cette chose en moi.
Oui j'avais osé dire "cette chose" en moi comme si inconsciemment je refusais d'humaniser "cette petite larve."
- Toi t'as ta carrière au moins... T'as quelque chose qui te fait vibrer... Je ne veux pas finir seule avec deux enfants... Oubliant mes rêves et espoirs. Je galère avec Zoey, Enzo... Si tu savais à quel point. Le soir elle vient parfois dormir avec moi pour me caresser les cheveux. C'est pas normal, ça devrait être le contraire. Je dors déjà très mal alors avoir un nouveau né... C'est pas possible Enzo, c'est pas possible...
Oui j'avais besoin d'extérioriser tout cela. Je voulais qu'il comprenne même s'il... Ne semblait pas vouloir comprendre. Je pouvais pas subir neuf mois de grossesse pour être de plus en plus mal, déprimée... Je ne saurais pas éduquer un second enfant dans ces conditions, non... Pour me calmer, je finissais d'un trait mon verre d'eau, repliant mes genoux sur la chaise, entourant mes jambes de mes bras, mon regard rivé sur les yeux d'Enzo guettant toute réaction...
Une fois de nouveau installée à table, elle me disait en quelque sorte qu’elle préférait que je récupère Zoey. Vu son état actuel je ne pouvais que comprendre. Je sentais qu’elle la repoussait, qu’elle voulait arrêter d’être une mère si souffrante, qu’elle préférait être en forme pour sa fille, pour bien s’occuper d’elle. Mais ça continuait de me faire de la peine. J’aurais voulu continuer d’être ce type égoïste qui avait abandonné sa famille. Les rôles s’inversaient bien trop et ça me mettait mal à l’aise. J’étais revenu m’installer en face d’elle pour continuer cette conversation dont elle semblait vraiment avoir besoin. Elle m’expliquait alors ses horribles aventures au lycée et mon expression froide et impassible du boulot ne marchait pas, pas avec elle, et je paraissais vraiment outré par ces pauvres de riches. Bon ok, je fais des généralités, mais c’est souvent le cas dans des enfants sont aussi méchants sans aucune raison. Sauf que je finissais par être déçu. Déçu par Saul. Pourquoi rejetait-il autant son amie ? Maxyn m’avait déjà dit la dernière fois que ça n’allait pas bien entre eux mais j’étais persuadé que ça allait s’arranger. Sauf que c’était loin d’être le cas. Comment pouvait-elle aller mieux avec toutes ces merdes qui lui arrivent ? Elle eut même des paroles dures envers ce nouvel enfant qu’on avait procréé mais à ce stade, il n’est pas encore formé, donc je ne relève pas, préférant la laisser continuer dans sa lignée. Elle n’arrêtait pas de me faire mal au cœur, et à présent c’était à cause de ses rêves qui partaient de plus en plus en fumée. Je me sentais tellement mal pour elle que je ne savais même pas quoi lui conseiller. Oui, j’avais trouvé ma voix pour ma part, mais ce n’était qu’un boulot, pas une passion, je pense que ça n’a rien à voir avec ce qu’elle ressent. Si je devais en finir malgré moi avec ce boulot, je pourrais très bien rebondir sur autre chose. Elle m’expliquait de nouveau pourquoi elle ne pouvait pas avoir ce deuxième enfant Je comprends Maxyn, je te comprends très bien. C’est juste que … que ça me fait mal au cœur rien que de songer à tuer une vie. Aussi petite et infime soit-elle. Mais comme je te l’ai dit, je ne t’en empêcherais pas. Je préfère t’aider à vivre ça plutôt que de t’en vouloir. Je ne savais pas si j’avais bien réussi à m’exprimer, mais au moins c’était déjà plus détaillé et explicite que tout à l’heure. Mais il fallait bien que je rebondisse sur cette histoire de carrière Tu devrais peut-être changer de métier, arrêter le lycée, faire des cours pour les adultes, je ne sais pas, mais essaye de changer d’air. Faire de grands breaks ne t’aidera pas plus si ça ne va vraiment pas au boulot. Ce n’était pas non plus le conseil du siècle mais se rendre malade pour le boulot, non, c’est clairement pas à faire. Et quelque part je suis sûr que son état actuel dépend très bien de ça aussi. Il fallait qu’elle fasse vraiment quelque chose pour arranger tout ça.
Enzo essayait de me comprendre, il disait d'ailleurs me comprendre. Le pensait-il vraiment ou disait-il cela pour me rassurer? Je l'écoutais, je ne pouvais faire que cela de toute façon, je ne pouvais plus fuir, Enzo était au courant, je ne pouvais pas juste avorter sans lui dire et faire comme si de rien était.
- Enzo cette chose ne pense pas, n'a même pas encore de coeur, de poumons... Pas aussitôt... Pas de sexe, pas de sentiments... Rien... Comment tu veux dire cela à Zoey? Tu vas lui dire quoi à notre fille ? Qu'elle va avoir un petit frère mais que toi et moi on est toujours pas ensemble ? C'est déjà assez compliqué pour elle d'avoir des parents séparés alors si en plus... on lui offrait un petit frère ou une petite soeur, dans notre situation, quelle sera sa vision de l'amour ou de la famille?
Je baissais les yeux, je tenais à peine sur place tant je semblais peinée, énervée, dérangée, perdue juste... J'étais complètement perdue.
- Des cours à des adultes... Non... J'essaie déjà à la compagnie ou à la fac, ils sont majeurs et vaccinés. Je voulais aider les plus jeunes à trouver leur voie et les aider à percer ou à persévérer dans leurs rêves. Me sentir importante dans leur vie, leur amener une certaine forme de savoir et un art plus qu'exquis et enivrant. Au lieu de cela... J'ai tout fait foirer, en leur montrant quelqu'un de mal passionné par un art... bien. Je suis prof de théâtre, j'ai un Master en ça... Je ne peux pas faire autre chose que ça... Toute ma vie professionnelle a été basée dessus. Je ne peux pas devenir boulangère comme ça en claquant des doigts. Je n'ai aucune expérience... ailleurs. Et pourtant je ne suis pas heureuse à la compagnie, au lycée et à la fac. La compagnie était une partie de ma vie... Aveugle j'adorais y aller, écouter les élèves, m'imaginer la scène qu'il jouait. J'y passais des heures voir des nuits. Tu le sais... Tu détestais cela. Tu m'en voulais tant j'étais plus avec Saul et la compagnie sans doute... Là... Je ne sais plus. Et en plus si je reste enceinte, si je garde cet enfant... Je ne pourrais plus passer d'audition car on embauche pas une femme obèse de 9 mois, mon corps ne ressemblera à rien, je serais toujours aussi malade, j'aurais des difficultés à marcher, à respirer. Déjà que je ne croule pas sous les auditions, là, ça sera encore pire. Alors je serais sans emplois, chez moi, seule, avec Zoey. Ou juste seule tout court car Zoey sera chez toi vu que je serais trop fatiguée pour m'occuper d'elle.
J'arrêtais de parler avec mes monologues qui n'en finissaient jamais. Enzo devait en avoir marre que je parle autant. Je cachais mon visage de mes mains, posant mes coudes sur la table. Je sentais encore les larmes me montaient mais je me retenais.
- Peut-être que toi et moi on a eu l'habitude de ne pas avoir de famille... normale et que pour nous c'est normal de vivre ainsi mais... Je me suis toujours promise de ne jamais faire subir ça à mes enfants et malgré moi, toi comme moi, on le fait subir à Zoey. Même si ce n'est pas aussi grave... Elle n'est ni en orphelinat et son père ne la viole pas.
J'avais dit cela sèchement avant de me remettre à pleurer. Je ne parlais jamais de mon père et... de ce qu'il m'avait fait subir. Enzo le savait oui, mais je n'abordais pas ce sujet tous les quatre matins comme si je parlais de la pluie et du beau temps.
- Si tu savais à quel point ça me fait mal de lui dire que son papa l'aime, que tu m'aimes quand même mais pas comme le papa de cet autre enfant aime cette autre maman. Qu'on est normaux nous aussi... Je ne peux pas lui parler de la société d'aujourd'hui, des parents séparés, de l'amour, de j'en sais rien.. Elle n'a que trois ans je veux pas lui gâcher son enfance en la rendant adulte bien trop tôt. C'est elle qui me caresse les cheveux Enzo... Elle qui me dit "ça va aller maman". Enzo... C'est pas normal et je m'en veux. Je veux juste qu'elle ait une enfance normale... Pas qu'elle ait à prendre soin de moi.
Encore de longues paroles où je ne laissais même pas Enzo s'exprimer tant j'enchaînais sans savoir où m'arrêter... comment m'arrêter surtout tant dans ma tête tout explosait.
Comment pouvait-elle avoir un si grand débit de parole face à mes phrases toutes simples. Encore aujourd’hui je me le demande. Mais elle a toujours été la plus grande causeuse parmi nous. C’était assez facile aussi. Je soupçonnais que ça avait un rapport avec son métier. Elle me parlait dans un premier temps de notre fille. C’est vrai qu’avec cet enfant, elle n’aurait encore moins de stabilité dans sa famille. Même pas nés que ses parents ne sont pas censés être ensemble. Elle était déjà bien trop éveillée pour éviter les questions douteuses. Je comprenais le choix de mon ex, peut-être que je m’y ferais avec le temps, mais pour l’instant, ça me faisait toujours aussi mal d’y penser. Mais je n’avais rien de plus à dire, après tout, c’est elle qui subit les grossesses, pas moi. Ses problèmes s’étaient enchaînés dans son travail et forcément j’avais essayé de lui proposer des alternatives. Je voyais bien que ça la perturbait. Mais je voyais surtout qu’elle n’arriverait pas à s’en sortir avec ce genre de paroles. Ca semblait être un cercle vicieux. Je continuais alors de la laisser parler, comme à mon habitude, et elle savait qu’elle avait la voie libre pour continuer. Même si au fond, j’allais être encore plus perdu avec toutes ces paroles. Elle parla de nos exemples. Pas du tout les bons, et pourtant nous aussi on faisait les mêmes choix. Voilà pourquoi à la base je ne voulais pas de Zoey, la peur de refaire les mêmes erreurs, de ne pas pouvoir être présent pour mon enfant, et c’est exactement ce que j’ai fait. Quel être stupide j’ai été. Ne pas assumer ainsi son rôle alors que l’enfant était déjà né c’était du grand n’importe quoi. Et au fond, oui, j’en voulais à Maxyn de vouloir mettre un terme à cette grossesse sans prendre en compte mes désirs, alors qu’à l’époque, elle ne m’a pas laissé le choix non plus. Mais encore une fois, c’était elle qui portait l’enfant. Je ne me sentais pas dans mon droit de la forcer à quoi que ce soit. Je ne voulais pas qu’elle souffre davantage. J’ai toujours voulu la rendre heureuse sans y arriver. Une frustration qui me suivra toute ma vie. Ses dernières paroles me firent alors répondre du tac au tac Alors fais quelque chose Maxyn ! Réveille toi, agis au lieu de parler, fais en sorte que les bonnes choses t’arrivent, prend ta vie en main comme tu aimerais qu’elle aille. Personne ne va le faire à ta place, encore moins Zoey. Montre lui que c’est toi sa mère, pas l’inverse. Oui, j’étais dur et cash, mais il fallait qu’elle se booste, elle commençait à bien trop se plaindre. Après tout, tu as réussi à arrêter la drogue non ? Alors pourquoi ne pas continuer dans la même lignée pour toutes les autres choses qui te rendent mal ?
J'avais dû l'énerver et je ne pouvais que comprendre. A peine mon long monologue finit que je vis le visage d'Enzo changer du tout au tout. Il semblait agacé et désespéré de ma façon d'agir ou de penser et quand il ouvrit sa bouche, mes doutes se confirmèrent.
Buguée, voilà ce que j'étais. Je le regardais tandis qu'il me répondait sèchement et j'en avais perdu toute capacité intellectuelle ou physique. Je ne m'étais pas attendue à une réaction ainsi mais je savais qu'il avait raison. Que je me plaignais mais au fond, qu'est ce que je faisais pour changer les choses ? Pas grand chose, pas assez.
- Enzo...
J'allais dire des choses qui allaient l'énerver encore plus mais pour lui, arrêter la drogue, le sexe, l'alcool était si facile.
- Je suis en manque Enzo... Manque de tout... Sexe, drogue, alcool... Je suis tellement en manque qu'il y a des matins où je me réveille en sueurs, tremblante.... Tu peux pas dire ça... comme si j'étais guérit alors que je ne le suis pas.
Il allait partir, je le sentais. Je me mordais ma lèvre inférieure, stoppant de le regarder d'un coup, je préférais regarder mes doigts entrelacés sous la table qui jouaient entre eux à cause du stress.
- J'ai arrêté du jour au lendemain car je voulais te faire plaisir. Je sais pas comment argumenter ça tant je vois déjà tes mots arrivés... Je sais que j'aurais dû faire ça pour moi, pas pour toi, mais peut-être que j'ai besoin d'une motivation pour arriver à quelque chose et que juste pour moi ça suffit pas sauf que là... j'ai plus rien. Je peux pas démissionner du lycée comme ça, j'ai besoin d'argent, je suis pas millionnaire et je refuse que quelqu'un m'entretienne... Je peux pas passer cent mille auditions alors que j'ai des cours à assurer sous peine de me faire licencier. J'ai essayé de revenir en cours, tête haute, avec plus d'autorité, j'ai parlé à des collègues dont Arthur et Camille pour qu'ils m'aident, ils l'ont fait, ils ont remis à leur place certains élèves mais j'y arrive pas, je me sens toujours aussi....
Je me stoppais, il allait dire que je me plaignais sans agir.
- T'es ni dans ma tête et ni dans ma vie, tu ne peux pas comprendre.
Ca avait été dit sèchement et mes mots avaient peut-être été un peu trop forts. Il était dans ma vie mais je m'étais sentie si braquée par tout ce qu'il m'avait dit aujourd'hui que c'était parti comme ça, sans que je réfléchisse avant d'ouvrir ma bouche. Alors, je mis mes mains dans mes cheveux, je tirais légèrement dessus comme en signe d'exaspération envers moi-même.
- Oublie tout ce que je viens de dire... Oublie Enzo... Je vais m'arranger toute seule... Pour mon travail, pour... cette chose. Je n'ai jamais eu besoin de personne, je ne vais pas commencer maintenant.
J'aurais pu me lever, quitter la pièce, ou encore pleurer mais là je me fatiguais car j'étais submergée par mille et une pensées et je ne savais plus comment penser, parler ou bien agir.
Il fallait vraiment qu'elle se motive. Le simple fait de se rendre compte que rien ne va ne suffisait pas. Il fallait prendre le taureau par les cornes et trouver la meilleure solution, sinon à quoi bon se plaindre. Non c'était pas la Maxyn que j'aimais, celle qui se laissait abattre, celle qui ne voulait plus se battre. Elle me décevait encore. Et je crois bien que cette journée n'était finalement pas celle qu'on aurait du avoir. Cette idée que j'avais eu était stupide. Qu'est-ce que j'avais cru … Je me sentais stupide d'avoir eu des espoirs que Maxyn irait mieux par ma simple présence. N'importe quoi, ça ne suffisait pas. Je la laissais s'exprimer mais dans tout ce qu'elle me disait ne lui donnait aucune raison valable pour continuer de faire ce qui la rend malheureuse. Bien sûr que l'argent est important, mais si c'est pour se sentir mal dans un boulot, à quoi bon. Surtout qu'elle ne semblait pas vraiment toute seule. Elle pouvait s'en sortir. Mais était-ce vraiment ce qu'elle voulait ? J'en doutais. On avait deux visions des choses bien trop différentes en ce moment, et pourtant mes sentiments qui s'étaient développés étaient toujours présents. C'est certainement pour cela que je l'ai extrêmement mal pris quand elle finissait par dire qu'elle n'avait besoin de personne. Je me levais donc et lui répondais tout aussi sec que ses paroles Dans ce cas, je ne vois pas l'intérêt de rester plus longtemps. Si elle n'était pas intéressée par mes conseils, par mon aide, pourquoi est-ce que je m'emmerdais à rester ? Oui j'étais énervé et je préférais partir avant qu'une nouvelle dispute éclate. De toute façon, je n'avais rien à dire sur sa façon de vivre, tant qu'elle continue de nourrir et d'éduquer notre fille, cela ne me regardait pas. Mais elle me faisait de plus en plus peur. Était-elle vraiment capable de continuer à éduquer notre fille avec une pareille façon de penser ? J'en doute fortement. J'étais arrivé jusqu'à la chambre de ma fille et lui disais Zoey, on s'en va. Maman préfère rester seule. L'en informais-je avant de commencer à faire son petit sac, prendre ses poneys préférés pour finalement prendre la porte. Non, ça ne me plaisait pas de partir ainsi, mais elle ne me laissait plus le choix. J'en avais trop fait aujourd'hui et j'étais épuisé.