Tout est haut si haut et ses bras sont pas encore autant fatigués que son âge pourrait le laisser sous-entendre. Ils ont bien beau être un binôme de doyens, c’est pas dit qu’il se laissera abattre par quelques courbatures. Il est musicien le gars, mais surtout il a été roadie et homme à tout faire, et il en a levé des amplificateurs, il en a bougé des projecteurs.

Entièrement recouvert de boue, il ignore l’équipe qui leur hurle des indications dont – sans aucune surprise – il n’en a rien à chier. Lui, il est là pour grimper, et surtout pour s’assurer que Colleen se joigne à lui. Elle s’est pété la gueule à la fin du parcours et elle se relève sans l’aide de quiconque, et bien sûr qu’il est fier, bien sûr qu’il est lourd aussi à perdre un temps de malade à juste s’assurer qu’elle soit pas blessée.

Mais voilà qu’elle est devant et qu’elle grimpe la belle, elle donne tout ce qu’elle a, sa grandeur qui aide l'élan qu'elle prend d'un coup d'un seul. Se voulant galant il tente de tenir les câbles pour elle, il essaie de faire sa magie sans qu’elle ne s’en doute une seule seconde parce qu’il la sait capable de le faire, mais qu’il préfère et de loin s’occuper à être utile pour elle pendant que le reste du monde est occupé à l’encourager à tout lâcher pour lui-même monter. Mais bien vite il voit qu'elle n'a pas besoin de lui, et c'est tant mieux, c'est son tour de toute façon de s'attarder à son ascension.

Puis, elle tombe dans l’eau et lui il en est encore à s’emmêler dans ses putains de barreaux, le pied droit glissant dramatiquement à un extrême et le gauche vers l’autre. Il se fait Van Damme l’Epstein, à maîtriser le grand écart comme le loser qu’il est, l’échelle suspendue qui se veut en proie au vent et Colleen qui ne se laisse pas abattre.

« Tu fous quoi Epstein grimpe ! » ça, c’est leur caméraman qui les a suivi depuis le début de l’aventure.
« Tu penses que j’essaie de faire quoi mon esti ! » et ça, c’est Jack qui fidèle à lui-même, ressort son français dirons-nous coloré pour narguer les hostilités.

well hello there:

Derrière elle, Jack n’était toujours pas parvenu à se hisser sur l’échelle. Colleen se retourna pour le voir galérer et l’image qu’il lui offrit lui fit de la peine. « Allez viens Jack, on s’en fiche de la pénalité, on passe à l’obstacle suivant ». Elle attendit qu’il la rattrape puis, main dans la main, ils se dirigèrent vers le tunnel.

Ce n’était pas la première fois que Colleen espérait que la production avait une bonne assurance, mais vu les obstacles que les producteurs avaient imaginés pour ce parcours, elle se dit que la réponse était sans doute positive. Car après avoir rampé dans la boue et peiné pour rester bien accrochée à cette fichue échelle suspendue, ce tunnel s’annonçait comme l’obstacle le plus périlleux, les fils électriques menaçant de les électrocuter dès qu’ils les frôlaient d’un peu trop près. L’endroit était particulièrement étroit et, la respiration haletante et les bras tremblotants après avoir fourni autant d’efforts, l’Anglaise peinait à se faufiler de manière aussi rapide qu’adroite. D’autant plus que ses vêtements trempés la ralentissaient. Ce parcours du combattant portait bien son nom : elle avait l’air d’une vraie combattante, à avancer dans ce tunnel, le souffle court, trempée jusqu’aux os.

Dans un moment d’inattention, la brune frôla un fil électrique et la décharge qu’elle reçut aussitôt lui arracha une grimace et un cri de douleur. « Ils sont complètement dingues ! Des fils électriques ! Et on n’est qu’en demi-finale, imagine la finale… » S’agaça-t-elle à voix haute, le souffle court. « On va avoir droit à quoi ? L’ascension de l’Everest ? ». Elle serra les dents et redoubla d’efforts pour atteindre la sortie du tunnel sans toucher d’autres fils, non sans se masser la main qui avait reçu la fameuse décharge une minute plus tôt. Décidément, la production avait intérêt à avoir une bonne assurance !

« Allez viens Jack, on s’en fiche de la pénalité, on passe à l’obstacle suivant » la main de Colleen dans la sienne lui fait oublier le calvaire de l’échelle suspendue et des courbatures qu’il se claquera demain matin dans les aines. Il a pas le corps d’un gymnaste et là n’est qu’une confirmation de plus, quand il la suit vers ce qui s’avère être un tunnel où l’odeur de souffre et de cheveux brûlés augure rien de fucking bon.

Ses doigts se resserrent finement sur la chair de sa binôme, il porte même sa main à elle collante, boueuse, crasseuse et puante à ses lèvres à lui en signe d’encouragement comme un autre, avant de la laisser voler de ses propres ailes et de lui faire de même.

« Ils sont complètement dingues ! Des fils électriques ! Et on n’est qu’en demi-finale, imagine la finale… » le choc qu'elle se prend à la main le fait grogner, père poule qu'il est.
« Ça va t'es okay? »
« On va avoir droit à quoi ? L’ascension de l’Everest ? »
« Arrête dans la neige j'suis dans mon élément, j'te ferai un igloo de reine en vrai. Ça sera mieux que l'hôtel. »

Et finalement, ils gèrent les vieux. Ils gèrent les fils de merde qui sont traîtres à fond, ils gèrent la chorégraphie de se plier dans un sens comme dans l’autre, d’avoir dormi dans des tentes et dans des champs et dans des écoles et dans des arrières de pick up trucks et dans n’importe quelle position surtout, a probablement eu tôt fait de désarticuler leur colonne vertébrale et d’ainsi les rendre aussi flexibles que les foutus serpents venimeux qui doivent les attendre de l’autre côté.

Ah ouais, ce sont des serpents la prochaine épreuve, c’est sûr que c’est ça, c’est sûr que ce sont ces traîtres-là qui l’attendent et il rage Jack. Il les hait de toute son âme de canadien qui déteste rien d'habitude, mis à part des pancakes sans sirop d’érable et des horreurs de vipères et de cobras et de boas et il déteste rien de plus que ça sauf, sauf, sauf– de toucher à un câble électrifié, ça aussi il déteste.

D’y toucher avec ce qui, jadis, lui a servi à avoir non pas une, mais deux gamines.
Sa lignée s’arrêtera dans un cri guttural qui résonne dans tout le tunnel, lui qui perd toute dignité en même temps qu’il perd toutes sensations dans ses couilles.

Bien joué la production, on espère qu'au moins c'était filmé.

you've been thunderstruck:

Alors que Colleen s’agaçait des méthodes de la production, Jack parvint à la faire rire avec son histoire d’igloo. C’était tout Jack, ça : le Canadien parvenait à la faire rire même dans les pires moments. « Si on gagne cette fichue émission, j’exige un voyage au Canada ».

Quand elle parvint enfin à la sortie du tunnel, la sueur perlait à grosses gouttes sur les tempes de Colleen, se mêlant à l’eau et à la boue. Jack, à ses côtés, n’avait pas plus fière allure : une grimace étirant ses traits, il se massait les parties qu’un fil électrique avait eu le malheur d’effleurer. Colleen ne pouvait pas vraiment compatir à sa peine, mais elle lui tapota le dos malgré tout. « Allez, bientôt tout cela ne sera plus qu’un mauvais souvenir ». Ce parcours du combattant était sans l’ombre d’un doute l’épreuve la plus difficile et la plus épuisante qui lui ait été donné de faire dans Race of Australia. Elle nécessitait sa pleine concentration, sa volonté, son endurance et bien sûr une énergie qui, à ce stade de la compétition, était particulièrement difficile à réunir. Pourtant, elle ne renonça pas. Son regard brillait de détermination sur l’écran des caméras et elle se sentait animée d’une rage de vaincre. Et ce mur, ce mur immense qui lui faisait face et la dominait de ses deux mètres et demi de hauteur, elle était bien décidée à l’escalader coûte que coûte. Encore une fois, Colleen comptait sur sa taille pour lui venir en aide. Alors après avoir repris son souffle, elle se concentra donc sur son objectif et s’élança vers le mur. A la force de ses bras, elle parvint à grimper le long du mur mais arrivée à quelques centimètres du haut du mur, ses baskets trempées glissèrent sur la surface et elle se raccrocha avec tellement de force à la corde qu’elle lui brûla les deux pouces. « ALLEZ MA GRANDE, C’EST PAS LE MOMENT DE FAIBLIR ! ». Colleen n’était pas vulgaire. Colleen était courtoise, polie. Mais cela ne signifiait pas pour autant qu’en cet instant-là, Colleen, elle n'avait pas envie de lui enfoncer sa pomme dans la gorge, à ce fichu instructeur dont le ton paternaliste l’exaspérait. Son agacement eut néanmoins le mérite de lui donner des ailes et elle parvint enfin en haut du mur une seconde plus tard. « YEEEES ! » Fit-elle avant de retomber de l’autre côté du mur.

«  Si ce sont des serpents, j’te jure si ce sont des putains de serpents… » il fabule, et sa voix mue au pauvre gars qui essaie juste de s’assurer qu’il retrouve son équilibre, ses pas, qu’il arrive à marcher du moins, du mieux qu’il le pourra. C’est pas dit qu’il est en mesure de faire quoi que ce soit et c’est pas dit non plus qu’il est prêt à lâcher l’aventure – sauf peut-être si on lui fout des putains de serpents dans les pattes – mais il y pense une fraction de seconde.

Cette fraction de seconde suivie par Colleen qui grimpe sur le mur comme l’amazone qu’elle est lui suffit à sprinter vers la corde à son tour, à tenter de la rendre fière. Elle s’encourage et elle se pousse à bout, lui il la regarde en reprenant son souffle, appuyé sur le mur, l’élancement au bas de sa ceinture qui se calme doucement suffit à ce que sa respiration retrouve un rythme normal, assez pour que ses paumes se tapent l’une sur l’autre, qu’il s’encourage lui-même en entamant un another one bites the dust qu’il siffle du bout de ses lèvres gercées.

Monter un mur c’est pas si pire, le monter avec un câble en plus c’est quasiment du luxe. Et le voilà qui tente et qui tergiverse, qui tire de ses bras et qui pousse de ses pieds. Il y met aplomb et fougue, il y met force et détermination, mais ce sont à peine cinq centimètres qu’il arrive à gober sur le parcours avant de lutter vers le bas.

C’est après un bon dix minutes à avoir fait la carpe contre le muret sans douter une seule fois qu’il y arrivera jamais que l’un des gars de l’équiipe technique vient lui faire une courte échelle qui n’en a que le nom, la p’tite poussée qu’il lui donne l’aidant à lâchement passer de l’autre côté. Il en est pas fier Jack, mais au moins il voit la silhouette de sa binôme s’élancer vers le prochain baie de boue, lui qui lui gueule au loin comme une confirmation de plus « C’est comme le spa encore Colleen ! »

Des serpents. La production ne leur réservait quand même pas des serpents pour la finale ? Colleen en venait presque à espérer être éliminée à la fin de cette semaine si tel était le cas. Elle ne fit pas de commentaire néanmoins, de peur d’inquiéter encore plus Jack.

Après ses prouesses spectaculaires sur le mur qu’elle était parvenue à franchir, elle attendit de longues minutes derrière celui-ci, espérant de toutes ses forces que Jack lui apparaîtrait rapidement. Mais ce ne fut pas le cas. Loin de s’agacer, l’Anglaise espéra que tout se passait bien de l’autre côté du mur et que son binôme ne s’était pas blessé avec cette fichue corde. Ce ne fut que lorsque son visage apparut finalement en haut du mur et qu’il l’encouragea, qu’elle prit son élan pour plonger dans la boue et se rapprocher de la corde tendue. Ses muscles protestaient, elle peina à retrouver son souffle au bout de quelques secondes de traversée seulement et pourtant, il lui fallait à présent réunir toute sa concentration et son adresse pour surmonter le cinquième obstacle : la corde tendue. Colleen n’avait jamais été douée pour les jeux d’équilibre. Quand elle était jeune, là où ses camarades excellaient toutes au cours de gym, la jeune Anglaise peinait à demeurer stade sur une poutre de dix centimètres de largeur et basculait généralement dans le vide à mi-parcours pour s’échouer lamentablement sur les tapis mous, sous le regard hilare de ses meilleures copines. C’était pourtant un exercice qu’elle avait répété chez elle avant le début de la course, elle avait tenté de maîtriser davantage son équilibre après avoir visionné une épreuve similaire à celle de ce parcours du combattant dans une émission étrangère, mais ses efforts avaient rarement été couronnés de succès. Voilà pourquoi elle appréhendait tant cet obstacle en particulier, bien plus que l’échelle suspendue ou même le tunnel qui l’avait électrocutée. Voilà pourquoi elle considérait ses chances de réussite comme étant particulièrement minces.

Repoussant une mèche de cheveux qui lui barrait le visage derrière son oreille, la jeune femme plissa les yeux, fit le vide dans sa tête, et tendit le pied pour le poser le plus délicatement possible sur la corde tendue. A côté du muret sur lequel elle s’était entraînée chez elle, la corde était bien moins stable et surtout beaucoup plus fine. Elle faillit tomber dès le deuxième pas qu’elle esquissa, mais parvint in-extremis à retrouver son équilibre, ses deux bras tendus oscillant de chaque côté de son corps pour lui permettre de ne pas vaciller. Et finalement, elle parvint à franchir cet obstacle sans tomber à une seule reprise. Dire qu’elle était fière était un euphémisme et, se retournant vers Jack, le cœur battant à tout rompre, elle posa ses mains de chaque côté de son visage et hurla ses encouragements. « VAS-Y JACK ! TU PEUX LE FAIRE ! JE CROIS EN TOI ! »

La corde, oh la corde.
Il y pose son pied, et il glisse le con, bien sûr qu’il glisse.

Et c’est là où il fait juste éclater de rire Jack. Il est foutu, il est le gros nul le plus foutu de l’histoire de l’humanité et il va les faire perdre c’est assuré. Et elle est belle au loin elle, à faire presque des arabesques sur son câble tant elle gère.

Lui, il pue la terre et son corps n’est qu’ecchymoses, mais il rigole encore il sait faire que ça. Il s’excusera pendant des heures à Colleen ce soir dans leur lit qu'ils partagent platoniquement depuis des jours maintenant. Il fera que ça à la seconde où son corps poisseux de terre mouillée se postera devant le sien à elle, propre et victorieux, quand elle sera vissée sur la ligne d’arrivée avec son sourire de conquérante. Faire du stop et faire de la survie dans le bush, il était dans son habitat naturel. Ramper et grimper et montrer le moindre symbole de cardio ou de force lui semblent être que des mirages. Lui, il se jure qu’il lâchera les frites et la bière au retour à Brisbane, qu’il ira sûrement même dans un gym au moins pour voir ça ressemble à quoi ce genre d'endroit qui est synonyme de légende urbaine à ses yeux.

« VAS-Y JACK ! TU PEUX LE FAIRE ! JE CROIS EN TOI ! »
« J’aurais peut-être dû m’entraîner avant hen ? » qu’il pouffe de ridicule de plus belle, se reprenant par plusieurs fois sur son câble qu’il maudit bien plus que Dick, bien plus que les caméramans, bien plus que les serpents – et vous savez aussi bien que moi que les serpents c’est pas son trip.

Mais y’a de la détermination dans son regard, au crotté boueux, quand il se reprend une ultime fois, qu’il y met tout son nerf et qu’il y donne tout ce qu’il peut. Et la corde, oh la corde. Il la traverse, la foutue corde, et qu’il le fait dans le plus grand calme – entre un grognements et quarante-cinq autres.

Le pauvre Jack n’en menait pas large sur le parcours, Colleen éprouvait beaucoup de peine pour lui qui se donnait pourtant à fond. Elle savait déjà ce que la voix off mettrait en avant lors du montage de l’émission : le doyen ne pouvait pas rivaliser avec les plus jeunes, le doyen n’avait plus les conditions physiques optimales pour ce genre de parcours. Des balivernes. Jack n’avait rien à envier aux petits jeunes athlétiques adeptes de la gonflette. Jack, il était son héros, celui qui avait rendu cette demi-finale possible pour leur binôme, et Colleen lui en serait éternellement reconnaissante. « Allez viens, c’est pas grave, il nous reste le tir à l’arc » Le consola-t-elle en lui tapotant l’épaule.

Le tir à l’arc. L’ultime épreuve. Une épreuve qui n’était sans doute pas aussi physique que les précédentes mais qui sollicitait toute sa concentration, or Colleen était si épuisée après les cinq obstacles qu’elle venait de franchir que ses muscles protestaient et faisaient trembloter tous ses membres. Pour se motiver, elle songea au réconfort qui viendrait récompenser tous les efforts qu’elle avait fournis. Le confort de sa chambre d’hôtel. Le dîner qu’on leur servirait. La grasse matinée qu’elle avait bien l’intention de faire. Et puis elle fit de nouveau le vide dans sa tête et se concentra sur la cible au loin. Dans son carquois, il y avait quatre flèches. Cet obstacle était sa dernière chance de se démarquer dans cette demi-finale et de prouver qu’elle n’était pas là par hasard, qu’elle méritait tout autant que les autres sa place dans la compétition. Quatre flèches, quatre lancés, quatre nouvelles occasions pour elle de rendre sa fille fière d’elle lorsque l’émission serait diffusée.

Elle plaça la première flèche sur l’arc dont elle tendit la corde. Les yeux plissés, elle se concentra sur le rond jaune au centre de la cible et quand elle se sentit prête, elle lâcha la corde. Raté. La flèche survola la cible. Colleen tenta de ne pas se laisser abattre et redoubla d’efforts lors de son deuxième lancé, qui fut un succès : la flèche fusa vers la cible et vint se planter en son cœur. Victoire ! Un sourire ravi étirant ses lèvres, elle lança la troisième flèche qui fit un parcours similaire à la deuxième. Malheureusement, galvanisée par ses deux succès, elle se déconcentra et sa dernière flèche retomba mollement dans l’herbe. Deux victoires pour deux échecs… Pour une débutante, Colleen ne se trouvait pas si mauvaise que ça. Elle était même plutôt fière de sa performance, pour une fois. Alors, dans un élan d'inspiration, elle pivota vers la caméra et en mode Katniss Everdeen - sa fille en était fan - elle embrassa trois doigts qu'elle tendit en direction des caméramans.