J'ai du mal. Bien plus de mal que ce que j'imaginais. Le problème, au final, quand j'y réfléchi, ne vient pas de ma volonté ou de mon mental, mais bel et bien de mon corps qui ne veut pas comme je voudrais. Ce corps j'ai du dompter à nouveau, me réhabituant à ses caprices et m'adaptant constamment à ses lubies. Comme la fois où il y a quelque semaine il a brusquement décidé que la vue n'était pas si important que ça pour un être humain et qu'il nous a presque coûter notre place dans la course. J'ai réussi à surmonter tout ça et je pensais l'avoir battu. Mais il me prouve, en ce moment là, qu'il n'en est rien et qu'au final les conséquences physiques de mon hospitalisation sont bien plus importantes que ce que j'imaginais.

Et pourtant je n'ai pas envie d'abandonner. L'envie de continuer et apporter la victoire à Loan et Kelly m'oblige à pousser mon corps dans ses retranchements et je me hisse de manière à atteindre le niveau de Loan. Une fois à sa hauteur, je m'immobilise à nouveau et me stabilise comme je peux avant de lever le regard vers le haut  «On y est presque » soufflais-je alors que je vois Kelly qui a déjà atteint le haut de la falaise  « reste près de moi s'il te plait» que je lui demande finalement, lui faisant ainsi comprendre que quelque chose ne va pas.

Et puis, tout s'enchaîne. Je me redresse, pousse sur mon pied droit en même temps que je lève la main gauche pour agrippé l'encoche suivante. Mais mes doigts se referment dans le vide. Je tente de me rattraper en panique avec ma main droit mais mes pieds dérapent et c'est la chute.

Fort heureusement, je peux compter autant sur Loan que sur l'homme qui me sécurise. Les doigts de mon meilleur ami se referment sur mon poignet et dans une secousse ma chute est stoppé. Malheureusement, je manque de reflex et dans un bruit sourd mon corps ainsi que ma tête heurtent la paroi dur de la falaise. Par miracle, mes pieds retrouvent des calent et je m'aggripe à une poignée avec ma main droite alors que mon bras gauche et toujours maintenu par Loan.  «CA VA LA HAUT ?! » qu'on hurle d'en bas. Je soupire doucement et m'aide de Loan pour me stabiliser à nouveau totalement puis baisse le regard et hoche la tête  « Oui, désolé, j'ai glissé» criais-je en retour avant de reporter mon attention sur mon meilleur ami  « Je sais pas ce qui se passe mais ça va pas...» soufflais-je à son attention de manière à ce que seul lui l'entende.

Prenez-moi pour un idiot, mais je le sens de suite, lorsque Martin ralentit, lorsque je le vois plus à mes côtés. Un truc ne tourne pas rond et ça me tracasse. Lorsque je baisse la tête, je le vois hésiter à chaque prise. Ce n’est pas normal, il n’est pas comme ça d’habitude. Il nous l’a prouvé tout au loin de l’aventure. Et soudainement, je commence à flipper. Et si son corps lui faisait encore un coup de traquenard ? Là au milieu de nulle part. Je le laisse remonter jusqu’à moi et fais encore un pas de côté pour venir me mettre auprès de lui. « Reste près de moi s'il te plait. » T’inquiète pas qu’il disait. Maintenant je m’inquiète et je ne suis plus le Loan qui prends tout à la légère et sourit d’un rien. Mes sourcils se froncent et déjà quatre scénarios différents me viennent en tête pour le faire monter là-haut, sans lui imposer d’effort supplémentaire.

Probablement que je réfléchis une seconde de trop. Je n’ai pas le temps de voir ce qu’il fait que déjà Martin m’échappe et tombe dans le vide. Le réflexe premier et de plonger avec lui et lui tendre mon bras. Heureusement, il s’y agrippe au même moment que le gars en bas, assure la relève. Il tire un coup sec sur mon bras et je me mords la lèvre pour ne pas crier. C’est rien, juste la force de son poids. J’assure ma prise autour de son avant-bras et le tire comme je peux vers moi. « Je te tiens. » Je te le promets. Je te lâcherai jamais. Tout doucement, il se colle de nouveau à la paroi. Mon cœur bat si fort que je n’entends que cela qui résonne dans mes oreilles. J’ai cru que j’allais le voir tomber jusqu’en bas de la falaise. « Je sais pas ce qui se passe mais ça va pas... » Ca va pas. Je souffle un coup et ravale ma salive. « C’est rien. Je te laisse pas, on va monter ensemble. » Je l’aide à prendre bien appui sur pieds et ses mains. « Colle toi à la paroi. » Je tire un peu sur la corde pour que le mec qui m’assure en bas me donne un peu du lest et viens tout doucement, me coller au dos de Martin. Mes pieds touchent à peine la roche, je me tiens avec un bras. « Okay… » Je murmure doucement, il n’y a plus que nous deux désormais. « Tu te sens d’essayer ou je t’aide ? » Si je reste coller à lui comme ça, je pourrais le rattraper à la moindre glissade. Et surtout le guider dans ses prises.

Tous passèrent, jusqu'à ce qu'il ne reste que Loan et elle. Forcément, il était toujours à ses côtés, toujours là pour la rassurer, l'encourager. S'il y allait, elle y allait, c'était certain. Leur dynamique marchait de cette manière, et ils s'inspiraient l'un l'autre à repousser leurs limites. Cela avait toujours fonctionné jusqu'à présent. Oh, et puis, elle avait sauté à l'élastique, nom de Zeus. Ce n'était pas quelques pauvres mètres de glissade qui allaient lui faire peur, si ? Si. Elle ne bougeait toujours pas. Loan se lança dans le toboggan. C'était maintenant où jamais. Kelly mit son cerveau sur pause, ses bras croisés sur son cœur, et se laissa glisser dans un cri à son tour… pour mieux atterrir sur Loan. "Oh flûte, je suis tellement désolée." pouffait-elle, gênée,nerveuse, soulagée qu'ils soient en un morceau. Mais ils n'avaient pas fini.

Plus loin se dressait la parole à escalader. Équipés d'une corde, il ne leur restait plus qu'à escalader pour atteindre le repos bien mérité. Si Kelly ne regardait en bas, tout se passerait bien. Du moins, c'était ce qu'elle se répétait en entamant la montée. Dieu que ses bras de crevette étaient dénués de force. Chaque effort visant à tracter son corps plus haut lui arrachait une grimace. Martin, à son tour, palissait et ralentissait. "Courage, Martin. On y est presque. On arrivera tous ensemble." lui assura-t-elle en passant près de lui et Loan, chargé de calmer son meilleur ami. Lee, elle atteignait le sommet, finalement dans plus de mal, mais essoufflée comme jamais, fière d'elle même, d'eux tous. Petit à petit, tous se hissaient là. Comme le repos sentait bon d'avance pour leurs muscles usés, leur mental mis à rude épreuve.

On dit que quand on va mourir on voit sa vie défiler devant ses yeux. Eh bien c'était presque le cas là, aujourd'hui. Même si dans le fond je sais que je suis attaché et sécurisé et que je fais confiance au professionnalisme des hommes en bas, quelque part mon esprit irrationnel m'a déjà vu m'écraser au sol mort ou pire paralysé à vie. Fort heureusement je peux compter sur les reflex hors norme de mon meilleur ami qui me rattrape avant que le pire n'arrive.

Je met plusieurs instants à me stabiliser, j'entends Ivy qui me hurle de redescendre mais elle le sait que je n'en ferais rien. Toutefois, je me rend compte que je ne peux pas forcément continuer tout seul et, encore une fois, je peux compter sur l'ingéniosité de mon meilleur ami. Nous avons l'air de deux parfait idiot, mais sa technique a au moins le dont de me donner l'assurance nécessaire pour continuer.  «Oui » hochais-je la tête lorsque Loan me demande si je me sens de continuer. A ce même moment, Kelly nous dépasse et me surprend sincèrement en s'adressant directement à moi. Je crois que c'est la première fois depuis le début de l'aventure qu'elle s'adresse à moi (si on ignore la pique bien vu sur le snack bio). Je n'ai toutefois que la force de la gratifier d'un sourire pour le moment et me note dans un coin de ma tête de la remercier en bonne et due forme plus tard. Alors, voyant Kelly continuer son avancé, je recommence à me hisser. Lentement et avec beaucoup de concentration, faisant de nombreuse pauses. Je n'ai clairement plus le droit à l'erreur !

A force de patience et d'encouragement, ma main se pose enfin sur le haut de la falaise et je décuple une dernière fois mes forces pour me hisser sur le plateau. A quatre pattes je m'avance pour m'éloigner du bord avant de me laisser tomber au sol, me roulant sur le dos.  « Putain» soupirais-je en prenant de profondes inspirations  «J'ai bien cru que j'allais mourir » et je laisse échapper un petit rire nerveux pour faire descendre la pression et le stress.

Ivy hurle en contre bas. Je crois qu’elle c’est attacher à Martin même si elle ne veut pas se l’admettre. Elle a peur pour lui et je pourrais en sourire, si je n’étais pas moi-même si inquiet pour mon meilleur ami. Je me dis que c’est un coup de faiblesse, que c’est juste son corps qui lui demande une pause. J’ose espérer que ce n’est pas plus grave que cela. « Courage, Martin. On y est presque. On arrivera tous ensemble. » Les encouragements de Kelly résonnent contre la paroi et je lève la tête un instant pour lui sourire. Elle ne s’arrête pas dans son ascension et cela me rassure. Je peux me concentrer pleinement sur Martin, il n’y aura pas de problème. Ma tactique peut paraître quelque peu douteuse, mais je n’ai pas d’autre idée pour le moment que me coller à son dos comme pour le protéger tout en l’aidant à remonter. Pas la peine de commencer à lui demander de descendre, je le connais par cœur, il va me taper un scandale. Il veut monter et je l’aiderais pour ça. Alors on y va. Petit à petit, en douceur. Il prend son temps. On fait des pauses. Mon pied glisse parfois, mais j’arrive à me rattraper avec les mains. Et finalement, après ce qui m’a paru être les minutes les plus longues de ma vie, légèrement suspendu dans le vide, Martin se hisse en haut de la falaise. Je le rejoins dans la seconde alors qu’il est allongé par terre. « Putain. J'ai bien cru que j'allais mourir » L’idée me fait froid dans le dos, je ne suis pas très bien. « Personne va mourir. » que je dis peut être un peu trop sèchement alors que je viens me coller à lui juste un instant. Il est là, il respire, tout va bien. « Tu as mal quelque part ? »

On a pas vraiment le temps de profiter qu’il faut déjà enchaîner avec une nouvelle épreuve. Je souffle, je ne fais que râler sur le trajet mais personne ne m’engueule. Alors je continue mais je ne peux crier sur personne. C’est dommage parce que ça m’aurait défoulé. On arrive et je regarde la falaise devant nous. Sérieusement ? Je vais devoir monter ça ? Je vais tuer tous les caméramans qui sont déjà en train de rire après avoir vu ma tête et ma réaction. Je les hais. Je regarde mon poignet, mon pouce est moins bleu que quand on était sur le bateau mais c’est toujours douloureux. Je n’ai pas vraiment le choix de toute manière.

Martin, Loan et Kelly passent en premier. Je les regarde monter mais je ne me concentre pas trop. “Tu crois que monter à une main ça passe ?” Je suis sûre que non, et je me demande de nouveau qu’est ce que je vais bien pouvoir me briser en escaladant. “Si c’est pas fini après ça je jette tous les caméramans de la falaise.” Et elle a l’air haute cette falaise. J’allais continuer de discuter avec Jack, mais j’entends Martin et Loan parler sur cette falaise. Je lève les yeux et Martin n’a pas l’air d’aller bien. Je me souviens du moment où il a perdu la vue, est ce qu’il se passe encore quelque chose ? “MARTIN DESCEND DE LA.” Bien évidemment il ne va pas descendre de là et j’ai envie de tirer cette corde jusqu’au sol. “Faut qu’on y aille.” Je ne servirai peut-être à rien, mais au moins je pourrai voir s’il va bien.

Finalement je monte plutôt facilement. “Allez papy on va pas t’attendre jusqu’à demain.” Je ne sais pas où il en est, mais je n’ai pas pu retenir la petite pique amusante. Il va rire Jack, je le sais déjà. Mais je monte et j’arrive à la hauteur du premier trio. “Je vais te tuer toi tu le sais j’espère ?” Je me tourne vers Martin qui a l’air d’être à moitié mort. “T’es inconscient ou quoi ?” Je tourne aussi ma tête vers Loan, la question va pour les deux. “Faut appeler l’équipe médicale !” S’il dit non je risque de vraiment lui hurler dessus.

Je respire profondément et essaie de me calmer. En même temps je passe en revu les différentes partie de mon corps. Ma tête et mes côtes me font un peu mal mais rien de bien grave. Je parviens a bouger mes bras et mes jambes ainsi que mes pieds, mes mains et mes doigts individuellement des deux côtés. La sensibilité est pareille de chaque côté. Et la coordination ? Je ne saurais pas le dire s'il y a quoique ce soit à signaler de ce côté là tant que je suis allongé. Alors rouvrant les yeux je prends une profonde inspiration et pose mon regard sur Loan qui me demande si j'ai mal quelque part  « A la tête un peu, mais c'est rien» assurais-je avant de me redresser en grimacer.

A ce moment là je vois Ivy qui débarque et j'arque un sourcil, surpris par la vitesse à laquelle elle a escaladé le mur. J'allais la félicité pour cet acte de bravour lorsqu'elle se dirige vers moi et qu'elle commence à me gueuler dessus. Je l'observe et cligne des yeux avant que je ne les écarquille lorsqu'ell hurle qu'il faille appeler l'équipe médicale  «NON ! » m'exclamais-je en me levant d'un bond.

Ce n'était pas l'idée du siècle ça. Prit d'un brusque vertige, je sens la nausée monter et secoue la tête  «nop... » dis-je doucement pliant les genoux pour m'installer à nouveau au sol avant que mes jambes ne se dérobent sous mon poids. Fixant un point devant moi et gardant les yeux ouvert, j'inspire et j'expire lentement le temps que le vertige ne disparaisse à nouveau  « ça va aller, vraiment» assurais-je en posant mon regard sur Ivy  «J'ai juste glissé, c'est tout... » et mon regard s'intensifie sur la jeune femme, la suppliant silencieusement de ne rien dire d'autre, n'ayant absolument aucune envie que les autres apprennent ce que je lui ai annoncé il y a quelques semaines de ça  «J'ai juste besoin d'un verre de vin, d'un feu de camps et un peu de repos après cette journée, rien de plus » expliquais-je en haussant les épaules, souriant. Et je n'ai surtout pas besoin de l'équipe médicale.

Je suis montée bien plus vite que je pensais en être capable. J’ai oublié la douleur de mon pouce, et pourtant il est redevenu bleu. Mais l’état de Martin m’inquiète un peu plus. Je ne comprends pas pourquoi il prend tout ça à la légère. Il a déjà perdu la vue une fois il veut que quelque chose de plus grave lui arrive ? Et il ne m’a pas écouté quand je lui ai dit de descendre, ça aussi ça m’énerve. Qu’il n’écoute jamais. Je lève les yeux au ciel et je commence à lui crier dessus mais je suis presque sûre qu’il ne veut pas que je parle de sa maladie. Il ne veut pas d’équipe médicale et je grogne. J’aurais réagi de la même manière, mais je le trouve insupportable. Il se relève trop vite et il est sur le point de retomber. Je me suis posée à côté de lui, toujours aussi enragée.

“T’as pas juste glissé.” Je le sais, parce que j’ai déjà vu une de ses crises et que ça n’a rien de rassurant. “J’ai vraiment envie de te mettre une vraie baffe là, tu m’énerves.” Parce que personne ne va ramener d’équipe médicale et qu’il ne va pas en parler. Ca m’énerve. “Je boirai le vin à ta place.” Mon sourire est faux et énervé au possible. J’ai mal au pouce et ça me fait grimacer une seconde. Je reste pas loin de lui pour voir s’il est vraiment dans un mauvais état. “Arrête de sourire et de me mentir j’ai encore plus envie de te frapper.” Je ne décolère pas mais je ne parle pas fort, qu’il soit le seul à m’entendre. Il n’aurait pas dû me parler de sa maladie s’il ne voulait pas que je m’inquiète. Il a l’air d’y voir et c’est déjà un bon point, mais qu’est ce qu’il aurait pu perdre d’autre ?

On est arrivé en haut de cette putain de falaise et j’ai légèrement envie de hurler sur la production. Dans le fond, ils ne sont responsables de rien, mais j’en ai marre de jouer notre vie. Ça suffit pour aujourd’hui. Je me précipite vers Martin qui reprends son souffle et semble faire une inspection de son corps. Il dit avoir mal à la tête, mais c’est pas ce qui me panique le plus. Sans même réfléchir, je viens pincer la peau de ses deux bras et lui arrache un cri. « Okay ça c’est bon. » Et je viens faire de même sur ces deux jambes. Un cri encore. « Nickel. » Je lui souris une nouvelle fois et viens embrasser sa joue. « Tu fonctionne encore. » Et je me relève pour aller m’assurer que Kelly va bien également. Elle semble assez forme, elle au moins.

Puis voilà qu’Ivy et Jack termine leur ascension. Elle vient hurler sur Martin la blonde. Comme j’ai rarement vu quelqu’un le faire, a part moi. Elle ose, elle n’a peur de rien. Je crois qu’elle me plaît la petite. Faudrait la garder dans le coin, elle a de bonnes idées. Et voilà qu’il parle de prendre un verre, l’autre abrutit. « PAS D’ALCOOL BORDEL ! » Et Kelly qui me jette un regard noir parce que je viens encore d’user d’un langage de charretier. « Pardon, pardon. »

Je soupire et finis par me tourner pour voir ce qui nous attends à la suite. Rien. Juste une plaine et surtout ce qui semble à un début de campement pour nous. « On l’a fait ! » J’en reviens pas. Je ne sais pas si c’est la fatigue ou autre, mais je suis tant soulagé. « ON A REUSSI LES GARS ! »

Loan joue au médecin avec moi et en temps normal ça m'aurait fait marrer. Mais voilà. Il y a Ivy qui débarque et qui commence à me gueuler dessus. J'ai vraiment l'impression qu'elle va révéler au grand jour le pourquoi du comment je suis dans cet état. C'est donc une supplique silencieuse que je lance à Ivy, espérant sincèrement qu'elle décolérera et qu'elle ne révèle pas ma maladie devant tout le monde. Mais c'est mal connaître Ivy. Je tente bien de lui faire comprendre en silence de se taire, mais elle n'y fait rien et je fini par baisser le regard alors qu'elle me renvois à le figure que non, je n'ai pas 'juste glissé' et qu'elle a envie de me frapper  « Ben fait le» grognais-je en relevant le regard vers elle. J'ignore sa pique sur le fait qu'elle boirait le vin elle-même, j'ignore Loan qui se met à hurler à tout le monde que j'ai pas le droit à l'alcool et sert les dents lorsque ma coéquipière me dit d'arrêter de mentir.

 « Mentir ...» soufflais-je, secouant la tête en me relevant plus doucement cette fois-ci. Une fois debout je m'avance vers Ivy  « Parce que tu crois que ça me fait plaisir peut-être ? » demandais-je, la voix tremblante de rage  «Je te ment pas à toi, tu sais parfaitement  à quoi c'est du tout ça. » et je me rend compte que j'ai parlé un peu plus fort que ce que j'aurais imaginé et que les regards des autres sont braqué sur moi. Prenant une profonde inspiration, je me pince l'arrête du nez et souffle doucement  « j'ai juste pas envie d'être défini par ce...cette foutue... » maladie? Je pourrais rester vague en vrai, rien ne m'oblige à parler de ma vie, non ?  « sclérose en plaques» que je fini par ajouter. Pinçant les lèvres, me mordant l'intérieur de la joue, je détourne le regard vers la vallée et déglutis, me passant une main sur le visage.

Ce doit être la fatigue ainsi que le stress qui retombe qui me sentir aussi émotif tout à coup. J'ai envie de hurler sur Ivy, sur Loan, contre le monde et sur moi-même, mais décide finalement de me détourner et de m'éloigner du groupe pour essayer de me calmer un peu plus loin.

“Allez papy on va pas t’attendre jusqu’à demain.” et il rit, il pouffe encore Jack, il sert à rien et il s'en complaît pour une fois. Il est bien trop occupé à apprécier le paysage pour faire autre chose de toute façon, lui qui laisse les parois rocheuses guider avec aplom son parcours. La brise lui caresse les joues et il prend le temps qu'il faut pour son ascension. Ce n'est pas sa guerre, ce n'est même plus la compétition tant il oublie tout le temps de retrouver la nature comme elle lui plaît, comme il l'aime.

Papy prend son temps, papy admire. Papy s'émerveille des rochers qu'il analyse, comme tant de joyaux de la nature. Il a pas besoin de grand chose pour être heureux le gars, et le voilà qui sourit béat comme si la vie lui avait fait un cadeau, celui de pouvoir être en nature autant qu'il faut. Il laisse son regard dériver par-delà l'escalade, il laisse ses prunelles d'océan découvrir chaque parcelle que la clairière lui offre, il pense à tous ces moments où, enfermé dans son studio d'enregistrement, il avait espéré se retrouver à l'air frais, reconnecter avec les éléments quels qu'ils soient.

Y'a une chenille, dans un point de vue que lui seul peut observer. Elle est là et elle fait sa vie, vit selon ses règles. Elle a ses couleurs toutes sorties, elle est belle à sa façon. Il est lent et il se fait lourd Jack, quand il est con au point de se demander quel sera son parcours, s'il sera assez chanceux pour la voir se transformer en papillon. Ce sont les détails qui le motivent, ce sont les détails qui rendent la vie plus belle, plus fragile. Il réalise qu'il ne s'arrête plus pour les remarquer depuis bien (trop) longtemps.

Il a l’air énervé, très bien, on est deux alors. Il ne me fait pas peur avec son regard noir, et le fait qu’il soit au bord du malaise ne m’empêche pas de lui hurler dessus. Il est habitué, et je ne changerai pas juste parce qu’il a décidé qu’il voulait faire n’importe quoi. Je lâche pas ses yeux, moi aussi mon regard est noir et on peut jouer à ça longtemps. Il me demande presque de le faire, et je hausse un sourcil. Il doit sûrement croire que ça va me faire taire, au contraire. “Maintenant que tu demandes j’ai bien moins envie de le faire.” Je grogne toujours quand je lui parle. Pourquoi il ne veut même pas essayer de se lever pour aller voir le médecin. Il se relève et rapproche son visage de moi, c’est rassurant ça déjà. S’il s’énerve c’est qu’il doit être un peu moins fatigué.

Ca va être de ma faute maintenant s’il ment. Je ne vois pas pourquoi il cache ça, il a l’air presque honteux. Alors qu’il n’y est pour rien dans cette histoire, il ne contrôle pas son corps. “Je sais.” Il ne m’a pas menti mais toute cette situation continue de me mettre hors de moi. Si j’avais été dans cet état il aurait tout fait pour que fasse venir un médecin. Il a parlé fort et tout le monde l’a entendu. Ce n’est pas de ma faute, et j’espère pour lui qu’il ne dira pas le contraire. Moi j’avais baissé le ton quand lui a commencé à le hausser. Et il se lève pour partir. Sérieusement ? Il est épuisant, pire qu’un enfant. “Où tu vas là ?” Je le suis, bien évidemment. Il ne s’en sortira pas comme ça. Il a l’air d’avoir bien plus d’énergie. “Si ça avait été moi t’aurais gueulé aussi.” Je soupire, et je continue de traîner derrière lui. “Perds pas de temps à me dire de partir tu connais déjà la réponse.” Je croise les bras sur ma poitrine en attendant qu’il s’arrête.

Ci-bas, l'eau résonne et l'eau crépite. Il tend l'oreille, écoute les flots, est bien loin de craindre quoi que ce soit malgré les marées qui l'ont terrifié aux côtés d'Ivy il y a à peine une heure de ça. Elle semble bien aller d'ailleurs la blonde, elle qui a du nerf et elle qui a du chien, elle qui monte au rythme qui lui est propre tout en haut d'une falaise qu'il admire au fur et à mesure où lui-même la grimpe. Les efforts sont facilement justifiables quand chaque geste qu'il effectue lui donne l'impression de conquérir le monde ou d'au moins s'en donner la peine.

De sa chenille son regard vrille vers un papillon, maintenant. Il éclate de rire, la coïncidence qui ne s'invente pas, alors qu'il suit les battements d'ailes et les couleurs par dizaine, quand la brise australienne guide l'insecte de parts et d'autres d'un angle qui lui permet de profiter de l'horizon comme il le faut. En bas, l'eau s'agite et elle reprend son rôle, celui de servir de trame sonore à une nature qu'il apprécie en silence. Au-dessus de lui il entend les conversations colorées, enflammées d'Ivy et de Martin qui semblent avoir bien trop de choses à se dire. Lui, il se complaît dans son silence. Lui, il rêve éveillé.

« T'es belle même après une après-midi entière à faire tous les efforts du monde pour en arriver là. » qu'il statut, catégorique, sa voix aussi douce que ses mots sont sans équivoque. Quand il se poste devant Kelly et que du bout de l'index il tapote le casque qu'elle a toujours en place, elle qui est arrivée bonne première tout en haut de la parois rocheuse qui les a tous accueillis. Là, au-delà de l'épaule de la brune, il décèle leur pseudo campement pour la nuit.

« PAS D’ALCOOL BORDEL ! » Oh que oui, Kelly le fusillait du regard. La vulgarité ne passait sous aucun prétexte à ses yeux -malgré son écart pendant le rafting qui n'était, disons, que l'exception qui confirmait la règle. « Pardon, pardon. » se repentissait immédiatement Loan, et sous les yeux sérieux de la brune, un rictus amusé réprimait difficilement son envie d'éclater de rire. Jamais n'aurait-elle pensé avoir cette petite influence sur son binôme, et elle trouvait cela adorable de sa part qu'il prenne en compte ses exigences grammaticales. Décidément, il était vraiment la meilleure personne sur laquelle elle aurait pu tomber.

Au sommet, Martin semblait au bord du gouffre -métaphoriquement parlant. Souffle court, pâle, il était évident que quelque chose clochait, quelque chose qu'il ne voulait pas que la production sache. Lorsqu'il mentionna la sclérose en plaques, Kelly se pinça les lèvres. Elle avait connu quelqu'un dans sa communauté des Témoins qui en souffrait. Parfois, les décisions du seigneur semblaient particulièrement cruelles et injustes

Le temps de se remettre de ses émotions, Kelly restait allongée là un petit instant. Tous paraissaient plus occupés à discuter qu'à avancer et elle, elle avait accumulé les efforts depuis le matin. « T'es belle même après une après-midi entière à faire tous les efforts du monde pour en arriver là. » lui glissait Jack. Et, éreintée, à bout de nerfs, après avoir eu le vertige et perdu ses bras sur ce mur, Kelly se mit à rire. Un rire incontrôlable à lui froisser les côtes. Un rire qui résonnait dans toute la falaise. Un rire qui la fit pleurer tour à la fois. Sa tête se tourna vers Jack, l'idiot, l'imbécile heureux. "Merci." Elle en avait bien besoin, de décompresser. Et le camp qui les attendait, plus loin, c'était justement l'endroit rêvé pour reprendre des forces.

Si je me détourne du groupe ce n'est pas pour fuir mes coéquipiers ou parce que j'ai honte, c'est simplement pour réussir à me calmer et ne pas dire des chose que je risquerais de regretter plus tard. En partant et en m'éloignant de Loan, Kelly, Jack et Ivy, je m'attendais bien à ce que quelqu'un me suive. Je vois mal Kelly entrain de me rattraper et Jack n'est pas encore monter. Je pensais donc sincèrement que je devrais tenter de me débarrasser de Loan mais Ivy semble être plus rapide et c'est bel et bien elle qui réagit en première. Me demandant, sur un ton des plus énervé, où je compte aller, je l'entends qui me suit de ses petits pas rapides, sa voix aiguë et détestable continuant de retentir derrière moi, me disant que si j'avais été à sa place j'aurais sans doute aussi gueuler (Ivy l'égocentrique qui remet toujours tout à elle-même, le retour) et que je ne doive pas perdre de temps pour lui dire de dégager.

Je roule des yeux, m'immobilise finalement et me retourne vers Ivy  « J'avais besoin que tu ferme ta gueule Ivy. Juste cette fois, j'avais besoin que tu joues la comédie pour moi et que tu me crois» je soupire et me pince l'arrête du nez  «Pourquoi, Ivy ? Pourquoi t'es là ? Pourquoi tu m'as suivi ? Je ...» je déglutis et souffle en portant mon regard vers le groupe qui est toujours sur place  « j'avais pas envie de leur annoncer ça. Surtout pas comme ça» je secoue la tête et déglutis en me mordillant légèrement la lèvre inférieure, me rendant compte qu'en vrai je crains bien plus le regard des gens que ce que j'imaginais.