L’idée de trainer des pieds et de me muer en une adolescente insolente m’aurait traversé l’esprit si je n’étais pas survoltée à l’idée de mettre les pieds dehors après avoir eu l’impression d'étouffer dans mon propre appartement. Dans la voiture, j’ai fermé les yeux et profité des bruits environnant, comme pour en faire le plein avant de retrouver ceux qui rythment ma journée : la cafetière, la télévision parfois, le son de la douche et surtout, le silence.

Parce que si nous cohabitons, la communication est compliquée entre mon ancien amant et moi. Il m’évite tantôt comme la peste tantôt comme une tentation à laquelle il est impératif qu’il ne cède pas, et moi j’oscille entre les phases où mon esprit malade me l’impose comme l’ennemi, celui qui se tient entre ma dose de cocaïne et moi, et celles ou c’est mon coeur qui gagne la partie et qui souffre de l’avoir sous les yeux sans ne pouvoir me réfugier entre ses bras et déposer sur ses lèvres un baiser. Au petit matin ou en pleine nuit, lorsque mes démons viennent me tirer des bras de morphée, je n’ose mettre le pied au salon de peu de réveiller le brun qui sommeille sur mon divan. C’est douloureux que de le voir y avoir établi ses quartiers, après avoir partagé mes draps pendant des mois. Je me sens comme une étrangère, et parfois comme une prisonnière. C’est ce que je lui ai soufflé un jour, avec moins d’agressivité que de détresse, que j’avais le sentiment d’être sa prisonnière. Il m’a regardée gravement, et je n’ai su qu’il avait compris que ce matin, lorsqu’il m’a dit de m’habiller et que nous sortions.

Lorsqu’il se gare, je me hâte de sortir de la voiture, pas pour lui fausser compagnie et saisir l’opportunité de m’enfuir, il me jetterait sur son épaule comme si je le pesais pas plus d’une vingtaine de kilos, mais pour fermer les yeux et profiter de l’air sur mon visage, un autre air que celui dont je profite sur mon balcon, en haut de ma tour d’ivoire. J’ai humé les odeurs, celles facilement reconnaissable imputables à des stands de nourriture, et ce n’est qu’après m’être enivrée du bonheur d’être à l’air libre que j’ai rouvert les yeux et que je les ai posé sur les alentours, puis sur Amos. « On est où exactement ? Qu’est ce que c’est que ça ? » Je jette un coup d’oeil à l’immense boulevard, bloqué aujourd’hui aux voiture, sur lesquels sont apparus des échoppes dont je ne distingue pour l’instant pas le contenu. Curieuse, j’ai interrogé Amos du regard, réellement enjouée d’avoir mis le nez dehors : mon sourire est un peu plus grand et je reprends des couleurs.


@Amos Taylor

Si j’ai pensé au début pouvoir duper Amos et continuer à mener ma vie comme je l’entends en me contentant de me cacher de lui, j’ai vite déchanté. Le premier soir il m’a demandé de lui remettre ma drogue, et je me suis contentée d’ouvrir le premier tiroir de la console pour lui donner le gros de mon stock, et de serrer les dents en tentant de contenir ma colère et ma frustration tandis qu’il jetait le tout dans les toilettes. Abattu et éreinté il s’est endormi sur le canapé, et à peine a-t-il fermé les yeux que j’ai attrapé un pochon dans la poche de l’une de mes veste de soirée et étale un rail sur le marbre de ma salle de bain, dévastée par la fureur de mon amant.

Agitée et me sentant pousser des ailes j’ai commandé à manger avant d’entreprendre de fouiller l’appartement pour y trouver les clés, allant jusqu’à fouiller les poches du jean du brun, le réveillant et m’attirant sa colère lorsqu’il a compris que j’avais consommé à nouveau. Il a retourné l’appartement, décroché tous mes vêtements de leur cintre pour en fouiller les poches, et s’est époumoné à me demander de lui livrer toutes mes cachettes recelant le moindre gramme de ma précieuse poudre blanche.

La violence de la scène encore en tête, je n’ai osé entamer les négociations que le surlendemain, lorsque l’envie s’est à nouveau faite impérieuse. J’ai usé de colère, tenté de faire appel à sa pitié, de négocier, je suis passée par toutes les phases, lunatique et insaisissable. Je nous use. Je nous use et je suis incapable de m’en empêcher, même lorsque je le réalise, contrainte de répondre à l’appel de mon obsession, des mes démons dès qu’ils m’appellent. Pourtant, je souffre de notre éloignement, je souffre de l’avoir sous les yeux et de ne pouvoir l’utiliser comme bouée à laquelle m’accrocher. La drogue lui donne le rôle de l’ennemi et mon coeur s’insurge. Alors aujourd’hui qu’il accède à la moins destructrice de mes requêtes, je tente d’oublier l’espace de quelques heures que les sirènes hurlent toujours et encore. « Des antiquaires, ils installent leur stand. » Je lève un sourcil, étonnée de son choix mais heureuse d’être à l’air libre je me contente de hausser les épaules. Je me fiche de l’activité qu’il a prévue, être sortie de l’appartement suffit à me redonner des couleurs le temps de quelques heures. « Le temps qu’on aille manger, on pourra s’y promener si ça te tente. » Je jette un coup d’œil vers les antiquaires qui installent déjà les stands et je songe que je suis prête à saisir toute opportunité de rallonger notre sortie. « Pourquoi pas. » Je me retourne vers lui, curieuse du programme pour tout de suite puisque l’accès aux stands semble encore fermé. « Je rêve de pancakes à la myrtille depuis des jours. D’un muffin et de trois œufs sur le plat. » Moi qui m’affame puisque je ne me nourris que de cocaïne depuis des semaines, moi qui ait perdu tout mon appétit l’idée m’attire pourtant et lorsqu’il ponctue sa phrase d’un clin d’œil mon coeur trébuche. « Je meurs de faim. » Je ne suis pas bien loquace, et pourtant il s’agit déjà là d’un progrès si l’on considère le peu de mots que nous nous sommes adressés ces derniers jours. Encouragé par ce qu’il semble détendu, je rajoute même. « Si tu penses à un endroit qui sert du bon café, je te suis sans hésiter. »


@Amos Taylor

« Ouais, je sais. Moi non plus. » Je tourne la tête vers mon amant et nos regards se croisent - presque complice - alors qu’il relève ma surprise. Au moins je constate que tout, nous nous connaissons et nous comprenons, lorsque le manque ne prend pas la rênes, lorsqu’il oublie sa colère et son amertume et met son énergie au profit de quelque chose de plus productif. Cette complicité j’en tremble, puisqu’elle me ramène vers tout ce que nous avons perdu de beau. Maintenant que le Club n’est plus rien à mes yeux, ce serait mentir que de prétendre que je ne m’interroge jamais sur ce que nous avons été, et surtout ce que nous pouvons encore être. Reste-t-il encore quelque chose à sauver ? Mon coeur s’emballe et lui répond lui dans l’immédiat. Il m’aime, ou en tout cas il m’aimait encore il y a moins d’un mois, et malgré ma colère et le sentiment d’être trahie je n’ai jamais cessé de partager avec lui et pour lui ce noble sentiment. Mais si la poudre blanche est mon démon la colère et la sienne, et je suis lucide sur ce qu’il voit lorsqu’il pose les yeux sur moi. Je le dégoute, et en posant les yeux sur mon appartement dévasté j’ai réalisé à quel point cela ne s’arrêtait pas uniquement à mon apparence physique et ma détresse émotionnelle. « C’était ça ou le thé dansant du troisième âge. » Il est timide mon sourire. Il a tout à envier aux éclats de rire que je laissais autrefois échapper en sa présence. Mais il est là, il est de retour après dix jours enfermés ensemble à nous faire plus de mal que de bien, et il a le mérite d’exister. « Au moins au thé dansant, on aurait pu danser. » Je me souviens de la première et unique fois où j’ai réussi à le traîner en boîte. Je me souviens de son corps contre le mien sur la piste de danse, je me souviens de notre ébat dans la voiture qui avait suivi et je frissonne, obligée de détourner le regard. Nous nous étions drogués aussi, et ça aussi je dois l’oublier puisque déjà le rappel des pilules rose sur ma langue me pousse à gratter machinalement mon avant bras. « C’est très bien. » Que je souffle, sincère mais épuisée.

« Moi aussi. C’est une bonne chose. Il y a un truc, pas loin. » Que j’ai faim d’autre chose que de cocaïne ou que nos estomac soient synchronisé ? Pour la seconde option c’est peu surprenant puisque nous n’avons pas avalé grand chose hier soir et que nous nous sommes levé tôt ce matin. Dit-il qu’il est heureux, de me découvrir de l’appétit pour des choses qui ne s'abîment pas ? « On peut marcher, on a tout notre temps. » Je masque mon amertume et, étrangement, celle ci ne lui est pas destiné. Je maudis Mitchell, je maudis Alec et je maudis leur perfidie de m’avoir privé de ma raison d’avancer un pas devant l’autre. « Pour une fois que tu es prête à me suivre sans hésiter. » Je tourne la tête vers lui, toujours un léger sourire flottant au coin des lèvres. « … Et ça fait longtemps que tu m’avais pas emmenée manger dehors. » Dis comme ça, on a presque l’air d’un couple normal, et ce constat me plante un couteau dans le coeur.

« Tu as envie ? Peut-être pas comme d’habitude évidemment. Parce que ça pourrait s’envisager si tu n’es pas trop difficile.» C’est étrange après nous être déchirés des jours durant, après avoir cru voir du dégoût et du mépris dans ses yeux de croire y déceler à présent la volonté de me faire plaisir et de me proposer des activités qui arriveront à occuper mon esprit. Le fait-il pour mon bien-être ou pour maximiser les chances de me tenir éloignée de mes démons ? Les deux ne convergent-ils pas finalement et est-ce important ? Ai-je le droit d’espérer qu’au delà de la mission d’ange gardien dont il s’est lui même investi, il tient plus sincèrement à me faire plaisir et sourire, comme avant ? Certainement pas, pas après nos dispute, pas après les mots horribles que la drogue et surtout son manque ont placé dans ma bouche, mais je ne peux empêcher mon esprit de s’égarer dans ces dangereuses directions. « On verra. Pour l’instant c’est bien. » J’hésite à partager le fond de ma pensée, je me demande si nous en sommes là. Finalement, je décide de laisser parler ma spontanéité. « Je suis juste contente d’être dehors. » Je ravale un ”avec toi” qui, pourtant, aurait été sincère. Il n’a pas lieu d’être si bien que je le chasse en me concentrant sur les entourages. « Difficile hein ? » Un sourire léger étire mes lèvres mais, réalisant que difficile je le suis certainement plus à vivre qu’il ne veut l’exprimer et qu’il en souffre, je l’efface et rajoute. « T’as pas besoin de répondre à ça. » En tout cas, je me contenterais d’un silence qui me confirmerait ce que je sais déjà : il préfèrerait être ailleurs. Qui rêve d’occuper son temps à s’occuper d’une junkie tantôt colérique, souvent pathétique et régulièrement capricieuse ?

« Quoi ? » L’a-t-il capté, mon amertume à l’idée d’avoir tout perdue, de ne rien avoir à faire de mes journée ni personne qui m’attend ? Quelle version ont donné les Strange de mon absence ? Ont-ils dit que j’étais exceptionnellement loin de la ville sans donner plus de détail ? Probablement, au Club on ne s’embarasse pas de ce genre de détails et vérités. Cette version sera donnée jusqu’à ce que, au bout du compte, plus personne ne se pose de questions à mon sujet. « Rien. Ça me fait bizarre, c’est tout. » Je n’ai jamais été de celles qui prennent tout leur temps et flânent dans les rue. « Pas si longtemps. Si ? C’était quand la dernière fois ? » Mes yeux croisent les siens et je me demande à quoi il joue. L’ignore-t-il réellement ? Cherche-t-il à me replonger dans mes souvenirs dans un but cruel, pour me faire du mal et me mettre face à ce que j’ai perdu ? Aspire-t-il à réveiller mes sentiment pour ranimer quelque chose ? Il n’en a pas besoin, il ne se sont pas éteint et, au contraire, j’ai mal de repenser à cette journée. J’ai mal puisque, si je fermais les yeux, je serais capable de décrire les effet du vent sur mon visage quand je m’accrochais à lui derrière la moto, de décrire le sourire sur mon visage, de décrire le goût de ses lèvres contre les miennes. Mon regard se teint de tristesse, et je tente de la chasser de toutes mes forces, avant de souffler dans un murmure. « C’est à Rainbow beach » Croit-il que moi je l’ignore ?

« Tu ne réponds pas à la question, surtout. » Je lève un sourcil, plus amusée que réellement agacée qu’il me remette à ma place avec une touche de fermeté : je ne suis pas celle qui décidera si oui ou non nous sortons. Je n’ai qu’à me contenter d’émettre un souhaite qu’il choisira de valider ou d’invalider, je suis totalement soumise à son bon vouloir. « Tu as envie ou non ? » Je n’en sais rien. Ou plutôt si je sais. « Pas pour l’instant. Pas comme ça. » Parce que j’ai encore en tête le son de nos rires alors que nos corps s'entrechoquaient à l’intérieur de cette boite de nuit. Parce que je sais qu’aujourd’hui rien ne serait comme avait. ”Pas alors que tout est différent”, c’est ce qu’il faut comprendre de ma réponse trop laconique.

« Exigeante, si tu préfères. Exigeante par rapport à l’ambiance, l’endroit, tout ça… » Il semble lui tenir à coeur de préciser qu’il ne critiquait pas ma conduite, mes sautes d’humeur et mon excessivité de ces derniers jours, pas plus qu’il ne me reprochait mes mots qui parfois dépassent ma pensée, la mienne, pas celle de l’addiction et je m’interroge : que cherche-t-il à faire ou à prouver ? Que nous pouvons cohabiter correctement en temps que connaissances ou en temps qu’ami durant toute la durée de mon sevrage forcé ? Je n’en ai pas envie, j’ai mal d’être dans la même pièce que lui sans pouvoir le toucher. « Rien de plus. Je pouvais donc répondre. » « C’est pas l’ambiance le problème. » Enfin si. « Pas le thème de la soirée plutôt. » C’est l’ambiance entre nous qui me pousse à ne pas avoir envie de ce genre de sortie pour l’instant. C’est l’état de notre relation, le fait d’être si bas après avoir été si hauts. « Et moi, aussi. » Je hoche la tête doucement, sans trop savoir ce qui lui fait bizarre à lui. Est-ce de marcher à mes côtés dans la rue sans pouvoir m’enlacer ? Je ne me fais pas d’illusion et dans ma tête j’ai déjà tranché : il ne le souhaite plus. « Au moins, c’était sympa. On ne s’est pas disputé cette fois-là. » Sympa. La faiblesse du mot me noue la gorge et, par crainte de m’effondrer ou de sentir mon coeur tomber en morceau à mes pieds, je me tais quelques seconde et je ne m’attarde que sur la fin de sa phrase lorsque j’y réponds. « C’est vrai, on s’était pas disputés. » On se disputait souvent, pour des choses avec ou sans importance, mais toujours avec passion. Sauf que cela n’a rien à voir avec aujourd’hui puisqu’à l’époque notre complicité écrasait tout dans la pièce. Aujourd’hui, alors que nous marchons côte à côte, le malaise entre nous est palpable et me fait mal au coeur, puisque si j’ai été incapable de lui pardonner sa traîtrise, notre perte je ne l’ai jamais voulue.

« Pas comment ? » Il insiste, il veut connaître le fin mot d’une histoire qu’il connaît déjà par coeur j’en suis sûre et que je préfère taire pour ne pas me pousser à me remémorer des souvenirs qui me briseraient le coeur. Mais c’est trop tard, la scène est trop nette pour que je réussisse à la sortir de ma tête, je le revois me tirer par la main jusqu’au parking, je le revois relever ma jupe en cuir pour nous unir, je suis même capable de me souvenir de sensations, des sentiments, de ce tu es à moi Rae qu’il a soufflé contre mon oreille et auquel j’ai répondu sans rougir. Sauf qu’il n’est plus à moi aujourd’hui, et que moi, je ne suis plus à personne, je ne m’appartiens même plus tout à fait. « Si c’est ce à quoi je pense. Tu sais chez les petites vieilles, les risques sont limités… même si ce n’est pas là que je t’emmènerais. » Je ferme les yeux un instant et je secoue la tête, chamboulée par ces souvenirs qui m’assaillent, et ma réponse est peut être plus sèche que je ne l’aurais voulu. « Non, pas comme ça c’est tout. » Malgré tout la douleur reste palpable et je rajoute. « On est déjà allé danser. » Je marque une pause, j’expire l’air de mes poumons pour me concentrer. « Et c’est ce souvenir là que j’ai envie de garder. » Même s’il me fait mal.

Pourquoi cette sortie à l’air libre se transforme-t-elle en voyage sur Memory Lane ? C’est douloureux, ils sont douloureux ces souvenirs de notre relation, de notre passion et de notre complicité. « On va essayer de ne pas le faire ce matin. Ce serait dommage.  On ne s’est pas disputé sur Fraser Island non plus. » « Oui, ce serait dommage. » De  toute façon ici, je ne peux mettre la main sur aucun pochon de drogue. Ma dépendance ronge son os, elle accepte de ne pas combattre une cause perdue. Quand à Fraser Island, nous nous sommes disputés sur le catamaran, mais l’île a signé nos retrouvailles et je suis certaine de ne plus être capable d’y remettre les pieds tant je devine que j’y serais assaillie par les souvenirs. « Tu as dit que tu étais contente d’être là, mais tu ne souris plus. » Je tourne la tête vers lui, surprise qu’il le dise à haute voix, surprise qu’il l’ait remarqué, surprise qu’il s’en préoccupe, tout simplement. « Si je pouvais, je te laisserais tranquille, tu sais. » Je n’étais pas préparée à cette affirmation et je crois qu’elle me renverse. Parce que je crois comprendre qu’il déteste la situation et qu’il se sent contraint de rester, pas culpabilité ou par devoir, mais pas au nom de plus nobles sentiments. Elle me renverse parce que ma première pensée - puisque ma part gouvernée par la drogue est muette - c’est que je n’ai aucune envie qu’il sorte de ma vie. J’ai tenté de l’oublier, on connait tous les deux le résultat. « C’est pas pour ça que je souris pas. » Que dire ? Que j’ai perdu tout ce qui me motivait autrefois ? Tout ce à quoi je tenais, lui compris ? Ce serait participer à sa culpabilité et ni mon coeur ni mes obsessions ne souhaitent y participer. Qu’il me manque ? N’est-ce pas déjà limpide ? « Je vois pas bien de quoi ma vie pourrait être faite demain, c’est tout. » Je peux conserver un rythme de vie confortable un moment avant de vraiment manquer, mais à quoi bon ? « C’est pour ça que j’ai abandonné. » Face aux sirènes de la drogue, cela va sans dire.



@Amos Taylor

Son hésitation me surprend, et elle me montre au moins que je me suis aventurée dans une direction qu’il ne s’attendait pas à me voir prendre. Il ne trouve pas les mots et je m’interroge : est-ce à cause de l’émotion ou, au contraire, de la gêne de celui qui a tourné la page et ne sait que dire face à celui qui lutte encore pour le faire ? Se retrouve-t-il penaud parce qu’il ne sait quoi répondre, tant il a tiré un trait sur tout ces souvenirs ? J’aimerais prétendre que c’est mon cas, j’ai tenté de m’en convaincre mais comment y parvenir alors que je suis enfermée toute la journée avec lui et que je sens son parfum dans chaque recoin de mon appartement ? Qu’il dort toutes les nuits dans la pièce voisine sans qu’il me soit autorisé de le rejoindre ? Il hésite et je détourne les yeux, je fuis son regard parce que j’ai honte de m’être livrée à ce point, parce que je ne veux pas prendre le risque d’accrocher mes pupilles au sienne et d’y voir de la pitié. De tout ce qu’il pourrait ressentir à mon égard, celle ci fait la course en tête avec l’indifférence dans ce qui me blesserait le plus. « Rien de ce qu’on fera maintenant… N’effacera ces souvenirs-là. Ils sont… incomparables. » Je hoche la tête doucement, en relevant un peu le menton pour me convaincre que je me donne une contenance. Je ne tourne la tête vers lui qu’au terme d’un silence que j’ignore comment meubler.

« Tout ce qu’elle était avant, mais avec des nouveaux défis. » Parce qu’il pense qu’une fois qu’il aura tout réduit en centre il restera quelque chose à sauver ? En ai-je envie, de sauver quoi que ce soit ? Je serai une traître aux yeux de tous, il se ficheront bien de savoir que je n’ai rien à voir avec la destruction du Club puisqu’il m’assimileront à son chef d’orchestre. « Tu n’as besoin de personne. Tu n’as jamais eu besoin de personne… Pourquoi tu as oublié ? » Je déglutis, garde ma tête devant moi, avant de la tourner dans sa direction en tentant de ne pas me laisser gagner par l’émotion. « Parce que c’était du vent. » Parce que je ne saurais jamais si Mitchell m’estime ou s’il m’a prise en pitié. Parce que je ne me détacherai jamais de l’idée d’avoir été leur oeuvre de charité, le façon de redorer leur piteux karma. « Et je suis pas Aberline. Je me ridiculiserai pas pour prouver que je peux faire mieux qu’eux avec une organisation qui vivote et qui vend de la came coupée. » Plutôt crever que suivre ses traces. J’ai jamais voulu de la place de Mitchell, de toute façon. « Mais ça n’a pas d’importance. » La serveuse arrive pour prendre notre commande si bien que ce genre de sujet de conversation est proscrit. Je ranime mon sourire pour passer commande, et je tente de le garder accroché à mes lèvres alors qu’elle s’éloigne. « J’ai juste envie de profiter de cette journée. C’est une journée on est d'accord ou bien j’ai un couvre feu à midi ? » J’esquisse un sourire un peu plus franc, cette fois ci.

 

@Amos Taylor

« J’avais donc raison depuis le départ. » Je fronce les sourcils, tentant de comprendre de quoi il parle. J’ai répondu à ses questions, il m’a parlé du Club, m’a demandé pourquoi je ne recommençais pas tout à zéro et à présent mes réponses sont censées lui confirmer une quelconque théorie fumeuse ? J’ai la sensation d’avoir été piégée et ça me déplait, mais au delà de ça j’ai le sentiment d’avoir échoué face à un test dont j’ignorais la tenue. « Ça en avait pour moi et… » Je reste interdite, la bouche légèrement entrouverte et je m’apprête à répondre. Je l’aurais fait si la serveuse ne s’était pas approchée de notre table au moment le plus mal choisi pour prendre notre commande. Le trouble de mon amant, ancien amant, je le perçois et je ne sais comment l’interpréter. Il ne sait que commande et, même moi, mon assurance pourtant infaillible se fissure. Je me contente d’une assiette de pancakes à la confiture de fruit rouge, un café et un jus de fruit sans prendre le temps d’analyser la carte tant je suis troublée, et je ne suis obsédée que par une chose : de quoi parle-t-il ? Qu’est ce qui avait de l’importance pour lui ? Notre relation ? Pense-t-il que c’est à propos de nous que j’ai fait ce commentaire.  

« Et tu as certainement raison. » La serveuse disparaît et, avant que je n’ai pu faire le tour de mes questions et retrouver ma contenance, il embraye et je reste spectatrice alors qu’il se perd dans le méandre de toutes ces choses dont il tente de se convaincre. « Midi, soir, nuit…. Ça n’a pas d’importance. » « J’ai envie d’en profiter. » Je me tais, je l’observe en me demandant comment il convient de réagir. Le rassurer ? Sauf que je ne suis pas sûre d’avoir bien interprété, et j’ai peur des conséquences d’un faux espoir sur mon coeur : je le dégoute, je ne dois pas l’oublier. « De quoi tu parles ? » Mes doigts s’enroulent autour de mon verre vide, et je plante mon regard dans le sien. « Je parlais pas de... » Je pousse un soupir. « Je parlais du Club. Parce que je pensais que toi aussi. » Que lui aussi parlait de ça. « Me fais pas dire ce que j’ai pas dit. » Déjà je sens gronder ma frustration, celle engendrée par mon sentiment d’injustice : il ne peut m’accuser d’être la menteuse, celle qui a joué et prétendu. « Bien sur que ça en avait. » Et ça en a, voilà ce que beugle mon coeur, mais je me drape dans ma fierté par peur d’être repoussée.



@Amos Taylor