(Amelyn #28) ► Looking through

(#)Jeu 10 Sep 2020 - 11:20

Quand est-ce que chaque sujet de conversation est devenu sujet à ce que nous nous prenions la tête ? Quand sommes nous devenus incapable de communiquer et, surtout, de nous faire confiance et de croire en la sincérité de l’autre en regardant le fond de son oeil ? Est-ce lorsqu’il m’a avoué m’avoir menti depuis notre rencontre ? Lorsqu’il m’a trainée chez Lou ? Lorsqu’il m’a ramassée dans mon vomi et a appelé l’ambulance ou lorsque je lui ai menti pour mieux m’abandonner à mes travers ? Un mélange de tout ça certainement puisque, lorsque je lui confirme que je ne comptais pas le duper cette fois ci, il persiste et justifie sa conduite. « Je ne suis ni fou ni malade. Je te protège de la drogue. Je ne t’enferme pas. » « J’ai pas dit ça. » Je ne l’ai pas dit depuis qu’il m’a chargée sur l’épaule pour me ramener de force à l’appartement et m’y enfermer pour me protéger de moi même, je ne l’ai pas dit lorsqu’il m’a attrapé par les poignets pour me secouer comme un prunier. Pense-t-il que j’ai gravé mon opinion dans le marbre ? Me tient-dit encore rigueur de ces mots que j’ai prononcé sous le coup de la surprise, de la rage et de la frustration ? Je ne suis pas le genre de femme qui accepte que l’on lui dicte sa conduite sans réagir, il le sait pourtant et il devrait être rassuré que ma part combative soit encore là, quelque part. « Pourquoi je réagis comment ? » Comme si tu t’attendais à ce que je te trahisse dès que tu auras le dos tourné. La phrase ne passe pas la barrière de mes lèvres : je ne suis pas une hypocrite. C’est ce que j’ai fait, lui mentir et le duper dès qu’il a baissé sa garde, je l’ai fait dès le premier jour et je suis incapable de lui livrer le fond de ma pensée. De lui dire que ce n’est pas moi, et que plusieurs part de ma personnalité s’affrontent tous les jours, pourquoi ne les distingue-t-il pas ?

« Je ne vois pas de quoi tu parles. C’est pas grave de toute façon… Et tout ça me dit pas si tu as trouvé… » Alors je ne dit rien. Je le laisse changer le sujet et c’est rare, mais je fuis. Je fais preuve de lâcheté parce que la conversation est compliquée et que nous en avons eu assez de ce genre aujourd’hui. « Je... » Désorientée, je me secoue les puces avant de reprendre contact avec la réalité. Je jette un coup d’oeil autour de moi, et sur le même stand que celui où trônait le scaphandre, je pointe du doigt un vieux gouvernail ouvragé. Il est en parfait état et semble avoir appartenu à un navire pirate ou encore un bateau de la marine royale et avoir traversé les années. « Quelque chose de ce genre. » Je l’imagine parfaitement sur le catamaran en tout cas.

@Amos Taylor

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A une époque, devant un regard plus ou moins identique et, surtout, caractérisé par l’aplomb, j’aurais baissé les armes. Peut-être même que j’aurais affirmé d’un dodelinement de la tête, un peu honteux, pour finalement la prendre dans mes bras et lui souffler des excuses dénuées de mots, des excuses que j’aurais dissimulée derrière une marque de tendresse. Pas aujourd’hui ! Je la regarde : je ne réagis pas ou pas vraiment. J’opine à peine du chef parce que tous mes points de repère sont bousculés. Ma certitude d’hier qui supposait qu’elle avait toujours été honnête avec moi et qu’aucune circonstance particulière ne l’empêcherait de le rester ont volé en éclats. Dès lors, j’ignore à quel sein me vouer dès lors qu’elle infirme m’avoir réclamé son bien et qu’elle me prie, en regard et en propos, de ne pas le lui rendre. Pourquoi ? Parce qu’il lui fait peur à elle aussi ? Parce qu’elle a peur de me vexer et que je la lâche ? A-t-elle déjà conscience qu’en effet je ne suis pas son ennemi ? Incapable de statuer, je me défends de ma santé mentale. Je l’ai déjà fait : après que j’ai saccagé son dressing lorsque je l’ai astreinte à s’écrouer dans son donjon sous garde. J’ai déjà dit tout ça, mais en plus de m’avoir blessé, je crains de n’être jamais plus que ce tyran à ses yeux. Sauf qu’insister n’y changerait rien et ne nous avancera pas réellement. Alors, je noie le poisson. Je réactive ma mauvaise foi. Je feins que tout va bien, de n’être ni froissé ni déçu d’être manipulé. Je me dupe moi-même en me comportant comme si j’avais foi en elle. Je fais taire ma douleur à son profit - et un rien pour le mien - afin qu’elle se distraie, qu’elle profite de ces instants de liberté, qu’elle oublie qu’elle est mal accompagnée et je la désarçonne. Elle ouvre la bouche, elle ne dit rien et si je rêve de la brûler pour entendre le fond de sa pensée, je récuse le désir. Je n’ai pas envie qu’elle creuse, je m’abstiens, je tente uniquement un sourire peu convaincant. Il s’est à peine élargi alors qu’elle relève le défi des devinettes sans grande difficulté. Elle approcha rapidement la réalité. « Un truc du genre, oui. Bien joué. » Je cherche de l’enthousiasme en moi. Si mes pupilles brillent, elles sont déconnectée de mes traits. Je fais l’effort pourtant. Je ne veux pas lui gâcher cette journée. Ainsi, ai-je plaisanté en détaillant l’objet. « Peut-être que je suis un vieux loup de mer finalement. » Un qui réalise qu’il n’aura plus la force de négocier un prix pour cette merveille. « Et il est beau ! » Il y en avait d’autres pourtant, c’est celui là qu’elle a choisi. « Celui-là parce qu’il est austère, mais chaleureux ? » Je n’irai pas jusqu’à prétendre que l’évocation de nos souvenirs n’est pas sans risque parce qu’ils me sont douloureux. En revanche, je n’exclus pas leur mérite : ils brouillent facilement les pistes tracées par ma déduction quant à son compte d’amant et les images de son overdose.

(#)Ven 11 Sep 2020 - 11:23

Je n’ai pas le droit de l’être et je n’admettrai pas que je le suis : mais elle me vexe sa réaction, elle qui sous entend qu’il n’a plus la moindre confiance en moi et qu’il ne croit pas un mot de mes justifications. Elles sont vraies pourtant, je n’ai pas pensé à mal lorsque la phrase a passé la barrière des mes lèvres et, sur l’instant, je n’ai envisagé mon téléphone que pour lui dérober un cliché à mon tour. Bien sûr, j’ai trahi sa confiance et je le mérite. Je mérite qu’il doute, qu’il se pose toujours la question de l’identité de la femme qu’il a en face de lui puisqu’elle est changeante, tantôt l’addict tantôt la vraie, mais si je me tais, c’est aussi pour ravaler la frustration et la rancoeur que fait naitre sa réaction. Ne serais-je pas en droit moi aussi de ne plus être capable de croire un mot qui sort de sa bouche ? Après ce qu’il a fait, après qu’il m’ait avoué avoir menti depuis le début, n’aurais-je pas pu me cacher derrière ma fierté et refuser de le croire, lorsqu’il a avoué ne pas s’être changé en geôlier pour laver sa conscience ou encore lorsqu’il m’a soufflé être désolé après l'épisode du dressing ? Ne pourrais-je pas prétendre que tout est faux puisqu’il m’a menti ? Je m’y refuse, parce que je le vois dans ses yeux qu’il se blâme dès qu’il pose son regard sur mes fins poignets, je le vois dans ses yeux qu’il souffre de la situation. Que voit-il dans les miens, que je me fous de sa gueule sur toute la ligne ? Que je passe le meilleur moment de ma vie ? Que je ne lutte pas et ne suis que duperies ? Il a raison de changer de sujet puisque, blessée, je m'apprêtais à redevenir un animal sauvage et à me braquer.

« Un truc du genre, oui. Bien joué. » Il fait l’effort de sembler heureux, de sourire, de prétendre qu’il est content d’être là à mes côtés, mais j’ai du mal à le ressentir comme tout à l’heure, quelques minutes auparavant quand j’enfilais le casque sur ses épaules. Il fait l’effort mais je le connais assez pour savoir que ça sonne faux. J’entre dans son jeu cependant, parce que je n’ai pas la force de me disputer avec lui et parce que je préfère m’enfermer dans ma fierté que d’admettre que je suis touchée par sa réaction. « Peut-être que je suis un vieux loup de mer finalement. » « Peut-être. » Mon sourire se calque sur le sien : travaillé mais qui manque un peu de conviction. Il est loin de n’être que ça, pourtant. « Et il est beau ! Celui-là parce qu’il est austère, mais chaleureux ? » Je penche la tête sur le côté en observant l’ouvrage et je me rappelle. Je me rappelle qu’il m’a houspillée pour savoir ce qui avait motivé mon choix concernant le design de son bateau et les meubles de cuisine. Je me rappelle de ma réponse, comme je me rappelle de la majorité de nos instants intimistes, malgré mes vaines tentatives de tout oublier de ce dernier mois. Je laisse mes doigts courir sur le gouvernail en l’observant, avant de les retirer. « Je sais pas. » Je tranche et décide qu’ils sont douloureux ces souvenirs, s’il ne m’accorde plus le moindre crédit, la moindre volonté de m’en sortir. Pourtant, je relève la tête vers l’antiquaire, je lui souris et, consciente que je l’ai déjà dans la poche, je lui demande simplement « Combien pour celui là ? »

@Amos Taylor

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Je sais pertinemment qu’au plus tôt je viderai mon sac, au plus tôt nous pourrons retrouver une relation plus cordiale à défaut d’être amoureuse. Sauf que je ne me sens ni légitime par rapport à mes sentiments ni convaincu que le moment soit bien choisi. Est-il juste de lui reprocher de m’avoir si vite oublié ? De me l’avoir prouvé en m’appelant alors qu’un autre homme collait son torse dans son dos et lui suçotait le lobe de l’oreille pour la distraire ? La ramener à lui ? A leur but commun ? A priori, j’ai dû mal à définir ce que j’étais en droit d’attendre d’elle ou non. Et, à présent qu’elle m’a menti, je suis tout bonnement perdu. Alors, je m’arme de mauvaise foi. Je me cache derrière le déni. Je change simplement de sujets, pour revenir à celui plus léger de l’objet qui me ferait plaisir. Nul doute que je l’aurai frustrée, mais n’est-ce pas mieux que de me contenter d’un « tout va bien » qui serait suivi par un silence ? Un énonciateur de ce que je me suis tout simplement braquer ? Au mieux, j’aurais récolté une réaction similaire, un retour à la case départ et, fort de ma lassitude, écouter l’instant pour que chacun recouvre son rôle de captif et de ravisseur. Je n’ai pas envie d’en arriver là, si bien que je cumule les efforts pour sourire à nouveau – quoique la grimace soit factice – m’intéresser au gouvernail – c’est encore le plus évident : c’est la solution de la devinette – et maintenir le dialogue entre nous. Ce n’est pas brillant. Le thermomètre de notre enthousiasme à chuter de quelques degrés. Nous convergeons cependant vers un même objectif et nous essayons. Chacun sa méthode : elle se prête à jeu, j’invoque un souvenir. L’un dans l’autre, tout est douloureux. Tout a perdu en saveur depuis notre rupture et ces instants de doute qui réveillent nos problèmes de communication ne nous aident en rien. Je pose une question, elle répond à peine et Dieu que ça m’agace. Croit-elle que ce n’est naturel, pour moi, d’entretenir les braises de l’ambiance tantôt agréable quand une bourrasque l’a soufflée ? Naturel ! ça l’a été il n’y a pas si longtemps, mais je me l’interdis, au même titre que bien d’autres comportements. Soucieux de ne pas m’épuiser seul, je lui ai souri, mais je n’ai rien répliqué. Je suis resté sur l’hypothèse qu’en effet, je suis peut-être un loup de mer solitaire et surtout vieux… ou en tout cas bien moins jeune que ces nouveaux jouets. A nouveau, je me renfrogne. Je détaille en silence l’ouvrage et, si je lève la tête, c’est de l’entendre réclamer un prix au vendeur. « Tu as l’intention de marchander ? » ai-je lancé, non pas que j’ai écouté le prix lancé par le propriétaire, mais curieux de comprendre ce qui l’anime soudainement. « Tu as une idée de ce que ça coûte ? » Ou prévoit-elle qu’il ne soit nécessaire puisque son charme opérera ?

(#)Ven 11 Sep 2020 - 23:13

Amos et moi, nous n’avons jamais été des as de la communication. Je n’ai aucun souci à l’idée de m’exprimer devant un auditoire mais parler de sentiments et tenter de mettre des mots, à l’oral, sur mes frustration et les choses qui me mettent en colère a toujours été compliqué. Pourtant, nous avions réussi à faire des efforts, nous avions réussi à nous parler, à désamorcer des situations compliquées, mais aujourd’hui, force est de constater que nous sommes revenus à la case départ.

Bien sûr, les sentiments eux sont encore là. C’est ce que rend, j’en suis persuadée, ce constat encore plus amer et difficile. Nous nous aimons encore comme des fous, ou en tout cas c’est mon cas, mais nos blessures s’enveniment et s’infectent à la moindre occasion puisque nous les taisons. Ce bref échange en est le meilleur exemple puisque si je me suis braquée face à sa réaction que je ne peux pourtant pas lui reprocher, je n’en pipe mot. Je tente de prétendre que tout va bien quand j’ai mal et pas uniquement à ma fierté.

Alors je me concentre sur ce qui n’a rien à voir. Il a validé le choix du gouvernail, il a avoué que l’objet ressemblait fort à ce qu’il imaginait comme capable de capter son attention alors je vais jusqu’au bout : je me penche vers l’antiquaire et je lui demande le prix qu’il en demande. « Tu as l’intention de marchander ? » Je lui adresse un sourire en coin. A qui pense-t-il qu’il parle ? Nul doute que si j’avais eu l’envie d’un job légal, j’aurais fait une redoutable commerciale.

« Pour qui tu me prends ? »
« Tu as une idée de ce que ça coûte ? » Amsuée, je me penche vers lui.
« Aucune. Et bien sûr que je vais négocier. »

Je me retourne vers l’antiquaire, qui attrape l'objet pour regarder l’étiquette et qui m’annonce un prix de deux cents dollars. Evidemment, galvanisée par le plaisir d’une joute verbale, j’entame de coriaces négociations et, à leur terme, je me tourne vers le brun. « Il te le laisse à cent vingts dollars. II est d’origine, apparement. » Dans un autre temps, je le lui aurait offert en cadeau. Sauf que je ne suis même pas maître de mes propres finances, tout juste le temps d’une après midi, et je doute que nous en soyons toujours là.

@Amos Taylor

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C’est une méprise de plus et je m’en désespère à travers un soupir évocateur. Dès lors qu’elle interroge l’antiquaire - ou brocanteur ? Je ne fais pas bien la différence - au sujet du gouvernail qui nous aura tous deux tapés dans l’oeil pour des raisons différentes, je ne remets pas en cause ses talents de négociatrice. Je l’ai vue à l’oeuvre, Raelyn. Je l’ai observée, dévisagée et aimé, fasciné et séduit, lorsqu’elle excellait là où je ne brille pas particulièrement. Croit-elle que je l’ai oublié ? Pense-t-elle que ma déception lui vaut tout mon mépris ? Que je ne suis désormais plus en mesure de reconnaître ses qualités ? Elle ferait erreur et, même si elle sourit, je me sens contraint de me corriger pour éviter les malentendus. « Je sais que tu sais le faire.» Et, qui plus est, ça l’amuse énormément. « Je te demandais si tu étais prête à le faire parce que moi, je n’en ai aucune envie.» Nulle chance pour qu’elle s’en étonne. Mes traits affichent le masque de la contrariété et mes sourires ne suffisent à le troquer pour un autre plus reluisant. Evidemment, ça viendra. Plus tard. Quand j’aurai achevé de me poser cette même question : ai-je raison d’envisager de ce qu’elle serait capable de me rouler dans la farine ou suis-je trop dur avec elle ? Peut-être qu’il serait bon que je rencontre Jack Epstein, qu’il m’explique les tenants et aboutissants des crises de manque des junkies. Sont-elles physiques ? Psychologiques ? Les deux ? Je nage dans l’incompréhension et, bien que j’attendrisse d’entendre Raelyn parler pour moi, quoique je craigne que ça ne nous soit plus autorisés que de parler pour l’autre, je la dévisage. Je la mange du regard. Je la dévore et, dans ma poitrine, mon coeur s’est accéléré au moment même où elle a conclu son marché et qu’elle s’est tournée vers moi pour me soumettre cette offre. Les tam tams de mon coeur résonnent à mes tempes. Sa voix m’arrive de loin. Je suis paralysé, je n’ose même bouger la tête de peur de conclure un marché qui me semblerait abusif. « Je ne sais pas.» C’est tout ce que j’ai réussi à formuler de concret et Dieu que je me sens grotesque. Mon orgueil me réprimande d’emblée. Je secoue la tête, je me reprends et je l’invite à répéter. « J’étais ailleurs.» Avec elle, plus que jamais, noyé dans ses yeux verts. 120 dollars. C’est honnête. « Tu as envie de te trimballer un gouvernail toute la journée ? Si je le prends, il faut faire un détour par la voiture. » Rien de dérangeant a priori. J’ai sorti l’argent de ma poche, le loup l’a empêché et moins de dix minutes plus tard, nous étions de retour à la case départ. C’est là que je range le téléphone de Raelyn : dans mon coffre vidé de ses valises. Je l’ai caché là parce que c’était plus sûr que dans son appartement. Sans réfléchir, je l’ai ramassé depui sa cachette - sous le tapis, près de la roue de secours - et je lui ai tendu : « Je ne le garderai que si tu l’as décidé. » Ni fou, ni malade et durant ma contemplation, je crois que c’est cette décision que j’ai prise : lui rendre la possibilité de faire un choix en priant pour qu’elle fasse le bon.

(#)Sam 12 Sep 2020 - 0:12

« Je sais que tu sais le faire. Je te demandais si tu étais prête à le faire parce que moi, je n’en ai aucune envie. » Bien sûr que j’ai envie de le faire : au contraire, dans la peau de la femme d’affaire, je me sens un peu plus moi même. Lorsque j’entame une négociation enflammée avec le pauvre antiquaire qui n’a pas demandé ça, je redeviens la femme du Club. Je redeviens dure en affaire, je retrouve mon répondant et ma détermination. Je suis moins la junkie sur le repentir qui tient à peine sur ses gambettes que la lionne, et dieu que je me sens bien. Je m’amuse certainement plus que le vieil homme, qui me cède autant pour mon joli minois que pour se débarrasser de moi, de nous, j’en suis persuadée. Le regard fier et conquérant que je lance à Amos tranche avec l’enjeu : je donne plus l’impression d’avoir eu le dessus sur un fournisseur concernant un contrat dont la valeur s’élève en milliers de dollars que d’avoir négocié quatre vingt dollars dans une brocante pour un vieux gouvernail. « Je ne sais pas. » Je fronce les sourcils : comment ça, il ne sait pas ? Le gouvernail a d’abord été l’objet de ma devinette, j’ai gagné, j’ai fait baisser son prix et maintenant il hésite ? Je peine à comprendre, avoir de croire percevoir la tristesse et la nostalgie dans son regard. « J’étais ailleurs. Tu as envie de te trimballer un gouvernail toute la journée ? Si je le prends, il faut faire un détour par la voiture. » Je jette un oeil à l’objet ouvragé, avant de tourner à nouveau la tête en direction du brun. « Je pense que c’est un bon prix, et tu le voulais en plus. On peut retourner à la voiture. » Mais du rest, cela reste son choix, son achat, son souvenir qu’il emportera avec lui dès qu’il aura quitté le loft, ou qu’il ne prendra peut-être même pas la peine de monter jusqu’à mon appartement.

Combien de temps sera-t-il encore à mes côté ? Il a dit jusqu’à ce que tu n’aies plus besoin de moi, mais sur quelle durée s’est-il réellement projeté ? Dois-je déjà me préparer à son départ où notre cohabitation se comptera-t-elle en mois ? Je ne suis pas certaine de pouvoir supporter d’être si proche de lui mais si loin aussi longtemps. Je le suis jusqu’à la voiture, jetant quelques regards sur les différents stands, toujours à la recherche de l’objet qui me permettra à moi de faire un choix, et je l’attends en retrait sur le trottoirs tandis qu’il charge le gouvernail dans la voiture. Qu’il me tende mon téléphone je ne m’y attends pas. Je crois que c’est pour ça que je referme mes doigts dessus, hébétée. « Je ne le garderai que si tu l’as décidé. » Je baisse mon regard sur le concentré de technologie, et j’ignore ce que je vois à l’écran. Les appels, les messages, bon nombre portent le nom d’Alec et je n’ai pas envie de les ouvrir, pas plus que les autres. Une fois la surprise passée, je lui tends l’appareil, prise d’un frisson : je ne me fais pas plus confiance que lui, finalement. « C’est tout à l’heure que je voulais prendre une photo. Je t’ai dit que j’en voulais pas, garde le. » Mon ton est neutre et, au fond, je m’interroge : était-ce un test ou une preuve de confiance qu’il n’est pas certain que je mérite ? J’espère l’avoir passé haut la main, même si c’est moins ça que l’angoisse qui m’a poussée à lui tendre l’objet comme s’il m’avait brûlé les doigts. « Et moi j’ai encore un bijou à acheter. Quelque chose qui ne semble pas dater de la colonisation de l’Australie. »

@Amos Taylor

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Je ne me montre pas hésitant parce que je doute de ses talents de commerciale ou de mon plaisir quant à cette acquisition. Je suis comme subjugué parce que l’espace d’un instant, c’est Raelyn que j’ai eu sous les yeux. Pas celle qui se débat dans le marasme de la drogue, pas celle qui ment et qui leurre pour tomber le nez dans la neige, pas celle qui ne sait plus où se situer par rapport à moi, à nous, à cette cohabitation. Je suis également touché par la délicatesse de son initiative. Certes, il y a dans son geste une joie égoïste de se retrouver. Je n’oserais prétendre, de peur d’être déçu, que j’ai été le seul à motiver ses qualités. Ceci étant, elle a bataillé ferme pour faire chuter le prix du gouvernail. Elle a défendu sa position bec et ongles, non pas pour s’offrir une babiole qui lui sera inutile, mais pour un objet précieux qui ne plaira qu’à moi, un qui me sera uniquement destiné finalement. Quel profit en tirera-t-elle ? J’ai cessé de compter sur la possibilité qu’elle s’égare sur le pont ou dans la cabine du catamaran. Elle n’aura pas le loisir de s’enorgueillir à chaque fois que ses yeux tomberont sur ce gouvernail. Dès lors, assommé, réellement, je bredouille, je dis n’importe quoi, j’invoque des aleas qui n’en sont pas vraiment avant de recouvrer mes esprits. J’ai formulé un « C’est un bon prix.» plus ferme, un sourire qui sonne moins faux et j’ai réglé la note sans autre mot pour le vendeur qu’un merci. Elle aussi, j’ai à lui allouer de la gratitude, mais comment m’y prendre quand, d’antan, en pareilles circonstances, je l’aurais simplement flattée d’un baiser gourmand ou velours en fonction de l’étendue de ma reconnaissance ? N’est-ce pas trop maigre que de me contenter d’un “merci” ? Ne serait-ce pas insultant d’ajouter un “tu n’étais pas obligée.” ? J’ai mis à profit les quelques mètres qui nous séparait de la voiture pour y réfléchir. Je me suis plongé dans un bain de silence et, à terme, tandis que je charge je le coffre de mon véhicule et que je me rappelle, que je me souviens que l’objet réclamé plus tôt - ou non, je ne sais jamais quelle part d’elle s’adresse à moi - je songe que c’est dommage de laisser un gadget nous pourrir la journée. Elle avait trop bien commencé pour qu’une broutille nous empêche de nous détendre et, par conséquent, d’apaiser les tensions. Alors, je l’ai récupéré, je le lui ai tendu, la peur au ventre à l’idée d’être déçu. Que va-t-elle faire ? S’en saisir avec une joie à peine dissimulée ? Me sauter au cou pour louanger ma clémence ? En sommes-nous là ? Elle, qui doit demander l’autorisation et moi qui me transfigure en pervers autoritaire et injuste ? Ses doigts se sont refermés sur son bien et j’ai évité son regard de crainte qu’elle n’y déchiffre peine et désillusion. Pour m’y aider, quoique je sois chagriné par le message que déclame son geste, j’ai deserré la main, tout prêt à abandonner son cellulaire dans la sienne. Sauf qu’elle n’en veut pas. Elle me le confie de bonne grâce, mes lèvres s’étirent dans un sourire et je me dis que tout n’est pas perdu pour elle. Elle revient, lentement, mais sûrement. Elle pense à nouveau à elle, à ce qui est bon pour elle. « Très bien ! » ai-je commenté, non mécontent d’avoir au moins servi sa rédemption. Elle n’est pas gagnée, mais nous nous en approchons et je me sens mieux ou presque. Plus tôt elle surviendra, plus vite de plierai bagages et si mon coeur sera lourd de la quitter, il s’allègera de la certitude qu’il ne lui arrivera plus rien. « Si tu es sûre de toi. » Il a retrouvé sa place. Plus tard, j’en changerai. Sur l’heure, je referme le coffre, me tourne vers elle et j’affirme que notre tour n’est pas terminé. « Ce n’est pas exclus que tu trouves. Il me semble avoir lu qu’il y avait des artisans en plus des antiquaires. On ne sait jamais. » D’un signe de la tête, je l’ai invitée à m’emboîter le pas et, une fois la moitié du chemin parcouru, je lui ai soufflé : « Merci pour le gouvernail. » C’est timide, presque discret, mais particulièrement sincère. « Tu t’es amusée au moins ? » A mettre un homme à terre en usant de ta verve et de ton minois enjôleur. « Parce qu’on peut passer la matinée à ça, si tu veux. Tu peux négocier sans acheter tout ce que tu veux finalement.» Le problème étant réglé, je peux recharger mon compteur de mots et pressé la manivelle.

(#)Sam 12 Sep 2020 - 13:40

Le téléphone je l’observe une seconde et, s’il me vient à l’esprit que c’est peut-être un test que me fait passer mon amant, ce n’est pas ce qui me motive quand je le lui tends, quelques secondes après qu’il me l’ai rendu et comme s’il m’avait brûlé les doigts. C’est de ne pas savoir si je serai capable de le lui rendre après qui me motive, et j’ai conscience qu’il s’agit d’un objet dangereux entre mes doigts. Combien me doivent un service et seraient prêts à venir me ravir à ma tour d’ivoire si je le leur demandais ? Je n’en ai pas envie, pas maintenant, mais quand le manque se manifestera à nouveau, sourd à tout le reste, qu’est ce qu’il en sera ? J’abandonne mon indépendance au profit de l’espoir d’aller mieux, sur l’heure j’ai encore la lucidité nécessaire pour prendre cette décision. « Très bien ! » Il esquisse un sourire le brun, un qui m’apprend au moins que, si c’était un test, je l’ai peut-être réussi celui ci.

Je ne rajoute rien : je veux mettre derrière moi cet épisode déplaisant qui m’a donné l’impression qu’il n’a plus la moindre confiance en moi, à raison. Je veux renouer avec la légèreté du début de matiné et surtout, je veux oublier la brûlure de l’appareil entre mes doigts. « Ce n’est pas exclus que tu trouves. Il me semble avoir lu qu’il y avait des artisans en plus des antiquaires. On ne sait jamais. » Je me fiche d’un nouveau bijou au fond : j’aspire surtout autant à faire un choix moi même qu’à occuper mon esprit d’autre chose que mon obsession pour mon poison. Alors je fourre mes mains dans les poches de ma veste en cuir et je hoche la tête, lui emboitant le pas. « Merci pour le gouvernail. » « C’est rien. » Mon sourire est timide mais il a le mérite d’être présent. « Tu t’es amusée au moins ? Parce qu’on peut passer la matinée à ça, si tu veux. Tu peux négocier sans acheter tout ce que tu veux finalement. » Il s’agrandit un peu en l’entendant. « C’était… Oui, c’était amusant. » C’était plus que ça. Je ne peux nier que me sentir dans mes propres chaussures m’a fait du bien et m’a agitée à la fois. N’avait-il pas raison Amos ? Lorsqu’il me dit que je n’ai pas besoin des Strange et que ma réussite n’a jamais dépendu d’eux ? Que je ne dois rien à leur pitié ? « T’es sûr ? Parce que je suis certaine que le scaphandre est toujours là bas. » Mes lèvres se plissent en un sourire amusé : bien sûr que personne ne l’aura acquis : l’objet est bien trop imposant, trop encombrant pour le chineur lambda. « Il nous reste combien de temps avant ta réservation pour ce midi ? »

@Amos Taylor

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Certes, nous avons tous les deux opérés – ensemble finalement – à balayer notre anicroche précédente. Mais, ses conséquences sont toujours là, latentes, à espérer pouvoir se manifester dès qu’elle nous trouvera une faille. Et Dieu que nous en avons. Ce matin, nous sommes parvenus à discuter sans heurt, à jouer comme jadis, à nous moquer gentiment de l’un et de l’autre sans nous vexer, sans que ça ne tourne au règlement de compte. Nous nous sommes souris avec authenticité également. Toutefois, bien qu’elle ait décidé sciemment de me rendre son téléphone, nos grimaces sont moins saillantes. Elles ne mangent plus la moitié de nos visages. Elles sont timides, mais je ne désespère pas que nous retrouverons des couleurs. Mes remerciements sont par ailleurs une amorce acceptable. C’est la transition parfaite pour appuyer mes propos précédents : elle existe seul, Raelyn. Elle n’a pas besoin d’une brochette de frères, lâches et menteurs, pour s’élever là où elle le désirera. Et, c’est bien tout le problème. Elle oscille entre celui de répondre présent à l’appel de la coke et celui de s’ancrer à ce qu’elle est réellement. Dès lors, même si je n’ai pas envisagé cette journée comme une thérapie, je surfe sur la vague. Je lui propose de s’amuser sans moi finalement. Je l’invite à négocier, discuter, bluffer son intérêt pour un objet qui ne la tente pas vraiment. Je n’ai pas besoin de partager avec elle ce retour à la normale. Amoureux, je me contenterai de l’observer et m’accorderai le droit d’être fasciner par son aisance et sa détermination. Je ne manque pas de la seconde. Je suis dénué de la première. A sa place, le vendeur aurait refusé mon prix que j’aurais laissé tomber. Je n’argumente que lorsque c’est nécessaire et c’est elle qui l’est pour moi. C’est pour elle que je démultiplie les efforts pour approcher son éloquence. « Si ça a duré deux minutes, c’est deux minutes pendant lesquelles je t’ai reconnue. » Et dans tous les sens du terme, celui de la reconnaissance et celui assimilable à une résurrection. « Et…» C’était aussi agréable qu’un peu d’arnica sur un hématome ? Ça m’a fait du bien ? Ça m’a rassuré sur la suite ? Laquelle ? La question demeure la même et, si je pressens que tôt ou tard, je retarde. Si nos envies ne convergent pas vers un même objectif – ses contours sont encore des pointillés d’ailleurs – elle m’assommerait et je me noierais dans mes bouteilles. « Et…. Oui, le scaphandre doit être encore là.» ai-je menti sur la teneur réelle de ce qui m’est collé au palais. « Mais il est pas adapté. Et ça me plait moins qu’un gouvernail.…» L’un personnalise, l’autre décore : mon choix est vite faite. « Sauf si tu voulais négocier le prix d’une photo quand j’ai le casque sur la tête. Quel est ton prix ? On a encore le temps pour cette transaction et pour une autre, pour toi. .» Comme son bijou, par exemple.

(#)Sam 12 Sep 2020 - 14:35

« Si ça a duré deux minutes, c’est deux minutes pendant lesquelles je t’ai reconnue. Et... » Sa réponse me coupe la respiration et je l’observe, interdite. Au delà de l’émotion qu’il transpire, je suis frappée par la confession qu’il me fait : il ne me reconnais pas ou plus en temps normal et face à ce constat, comment m’étonner du fait qu’il ne ressente plus pour moi ce qu’il ressentait avant que nous tombions en morceau ? Est-ce que je voudrais, qu’il nourrisse toujours les même sentiments à mon égard ? Ai-je toujours le droit de le vouloir quand la blessure infligée par sa trahison n’est pas encore tout à fait cicatrisée et que j’ai tenté de me le sortir de la peau par tous les moyens le mois dernier ? Je ne sais que répondre à ces questions et cela me conforte dans l’idée que je n’ai rien à exiger ou à attendre de lui nous concernant.

Sa phrase reste en suspens et, au terme d’une hésitation de quelques secondes, il embraye sur un autre sujet, un moins risqué, plus anodin. « Et…. Oui, le scaphandre doit être encore là. Mais il est pas adapté. Et ça me plait moins qu’un gouvernail... » J’esquisse un sourire avant de jeter un regard en arrière, évaluant la distance qui nous sépare de la voiture. « On aurait du mal à le transporter jusqu’à la voiture en plus celui là. Et je suis pas certaine de pas faire des cauchemars si je me lève en pleine nuit et que je le trouve au milieu du salon. » J’en oublie presque que notre arrangement est temporaire, qu’il quittera le loft quand j’irai mieux avec toute ses affaires et qu’il retournera à sa vie. Si j’ignore comment répondre à mes précédentes questions, je sais ce que je ressens à l’idée qu’il se retire : cela me déplait et j’ai déjà le vertige, alors qu’il n’est même pas encore parti. « Sauf si tu voulais négocier le prix d’une photo quand j’ai le casque sur la tête. Quel est ton prix ? On a encore le temps pour cette transaction et pour une autre, pour toi. » « Négocier avec qui ? Toi ou l’antiquaire ? Le pauvre homme va finir par en avoir marre de nous. » Je lui retourne un sourire amusé alors que nous arrivons à nouveau au niveau des stands. « Et ? » Il n’a pas fini sa phrase tout à l’heure. Il m’a reconnue, et ? Que s’apprêtait-il à dire et qu’il a préféré taire ?

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Ce serait une erreur stratégique de désamorcer une bombe et de couper par la suite le mauvais fil à cause d’une indélicatesse. Peut-être n’a-t-elle pas envie d’entendre de quel manière je décrirais celle qui me fait face au quotidien. Sans doute l’ai-je déjà fait, une fois, et qu’en plus d’être douloureux pour elle, je m’en suis assez mordu les doigts. En outre, je n’ai pas envie de vider mon sac ici, au milieu d’un parking, alors que nous parcourons les derniers mètres jusqu’à la foire. Je suis heureux de mon investissement, content qu’elle y ait participé et c’est à quoi je m’accroche pour me taire et emprunter un chemin différent. Dès à présent, je veillerai à ce que nous conversions qu’autour de peccadilles que je teinterai de couleurs aussi agréables que l’humour, le défi, la taquinerie ou la compétition. Je me le promets au moins pour quelques heures et à la condition qu’elle ne me guide pas sur ce terrain et, par chance, la mayonnaise prend, les oeufs montent en neige, c’est une franche réussite. Elle est brillante, voire un peu trop, mais je ne réalise pas ce que dissimule ses mots. S’ils sont spontanés, je les accueille comme s’il était normal que je décore son salon d’un scaphandrier. « Je crois qu’à moi aussi, il arriverait à me faire peur.» ai-je ricané, glissant mes mains dans la poche de mon jeans maintenant que nous nous rapprochons dangereusement de la foule. Les portes de la foire sont là, sous mes yeux, je respire un grand coup et je rebondis sur son trait d’esprit. « Avec moi ! Je suis le seul adversaire à ta hauteur. Les antiquaires te lasseraient.» Il y a du vrai dans cette affirmation. Je ne suis jamais autant éloquent que lorsqu’il s’agit de gagner face à cette femme. D’antan, les enjeux étaient grisants, d’un intérêt sexuel sans précédent, d’un attrait émotionnelle tantôt effrayant tantôt le contraire. Néanmoins, je constate avec plaisir que celui d’aujourd’hui, il compte à mes yeux. Il est sans doute plus important que tout le reste : plus elle jouera, mieux elle trompera la junkie en elle qui, divertie, permettra à sa véritable personnalité de creuser un tunnel jusqu’à la surface. « Tu ne l’as voulais pas ta photo ? Allez, je t’écoute. » Je la gratifie d’un clin d’oeil et, si je lui ai souri, la grimace s’est évaporée. « C’est toi qui dois proposé un truc, pas l’inverse.» Autrement dit, je ne ressens pas le besoin d’achever cette phrase. « Qu’est-ce que tu veux que je te dise, Rae ? » Que c’est comme ça que je te préfère ? Que ce moment a fait explosé toutes mes certitudes nous concernant ? Que je ne suis plus certain qu’un renouveau soit impossible et que ça me tétanise tant je crains de me tromper ?

(#)Sam 12 Sep 2020 - 20:18

« Je crois qu’à moi aussi, il arriverait à me faire peur. » C’est léger comme discussions, autant que celles que nous avions lorsque nous nous houspillions sur les immenses toiles du catamaran au coucher du soleil après nous être vautré dans la luxure, lorsque nous nous chamaillions pour des bêtises et lors de tous ces moments particuliers, comme suspendus hors du temps. Ce n’est pas routinier : ça l’a été mais ça ne l’est plus puisque depuis mon overdose et plus globalement depuis notre rupture, nous nous hurlons dessus ou ne discutons simplement pas. Autrefois rompus dans l’art du badinage amoureux, notre relation est à mon image : l’ombre d’elle même. « Avec moi ! Je suis le seul adversaire à ta hauteur. Les antiquaires te lasseraient. » « A ma hauteur ? » Il allume la flamme du défi dans mes yeux et je tente de me rappeler quelle est la dernière fois que nous nous sommes lancés dans ce genre de marchandage. Sauf que je dois me rendre à l’évidence : ce n’est pas une bonne idée, la récompense à l’issue de ce genre de parenthèse était souvent charnelle, ou en tout cas bourrée d’émotions et je ne suis pas certaine d’être prête à affronter mes souvenirs.

« Tu ne la voulais pas ta photo ? Allez, je t’écoute. C’est toi qui dois proposer un truc, pas l’inverse. » Il ne réponds pas à ma questions de la même façon qu’il s’est arrêté et, pourtant, je brûle de savoir comment était censée terminer cette phrase. Voulait-elle dire quelque chose pour nous ? « Qu’est-ce que tu veux que je te dise, Rae ? » C’en est une bonne de question que celle ci, puisque je ne sais ni ce que je veux ni ce que je suis en droit de rêver. Mon regard se fiche dans le sien, j’en oublie le reste du monde comme s’il n’existait plus, je formule tout un tas de réponse mais aucune de me semble adéquate. Alors je finis par secouer la tête. « Rien. » Je ne suis pas le genre de femme à reculer devant un défi, même s’il fait peur, sa réponse me tétanise, mais je suis échaudée d’être tombée de trop haut suite à ses révélations. Je ne sais pas ce que je veux entendre, mais je sais ce que je ne veux pas entendre, la douloureuse vérité que je préfère nier s’il a choisi d’en faire la sienne. Un stand de vieux bijoux chargés de détails m’offre la parfaite porte de sortie. « Tiens, regarde. » Je n’ai jamais eu besoin de son aval pour un quelconque achat vestimentaire ou d’accessoire : je l’inclus pour que lui aussi puisse se détourner de ce sujet que nous avons mis de côté pour l’instant. « Je vais réfléchir à la contrepartie pour ma photo. En attendant, je vais prendre un de ceux là. » Je lui montre du doigt les bijoux les plus fin en bout de table.

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Sa moue mi-figue mi-raisin, celle qui suggère que je l’ai piquée dans son orgueil et qui tout à la fois présume qu’elle est faussement choquée par mon audace, elle me plaît. Je m’en mords la lèvre inférieure pour contenir le sourire de satisfaction qui les habillerait volontiers. Je ne joue pas simplement avec Raelyn pour le plaisir – quoique j’en puise - , je l’asticote sur ce qu’elle est réellement : compétitrice, fière et dotée d’une assurance que son amour-propre rend insupportable d’insolence. Je manœuvre pour enflammer son regard de son éclat. Elle m’a prouvé plus tôt, sans le vouloir, que les braises de sa personnalité n’aspiraient qu’à flamber à nouveau. Alors, je m’y emploie au détriment de mes propres émotions. « Evidemment. Je gagne souvent. Tu ne peux que l’admettre. » C’est douloureux de réactiver nos réflexes, d’enclencher tous ces mécanismes qui la classe à part de toute autre à mes yeux. C’est pénible, mais c’est un mal pour un bien, pas moi, mais pour elle et n’est-elle pas mon combat du moment ? J’ai mis ma vengeance entre parenthèses pour prendre soin d’elle et, si je préfère mourir que de le lui avouer. Il est hors de question qu’elle s’imagine que je l’ai prise en pitié ou qu’elle pressente ô combien j’en suis toujours aussi dingue qu’hier. Je ne suis pas certain que ça l’aiderait d’en nourrir la certitude : elle pourrait tour à tour me chasser ou se convaincre que je suis motivé par de mauvaises intentions. Or, elles sont nobles dans le fond et, ce jour, la forme suit. Tout du moins le devrait-elle… pourquoi est-ce qu’il nous semble impossible de ne pas figer le temps ? Pourquoi sont-ils toujours là, les souvenirs ? Est-ce par la faute de ces derniers que l’amour ne s’achève que rarement sur de l’amitié ? Je n’en voudrais pas. Me demanderait-on d’opérer un choix que je n’hésiterais pas : je la veux avec moi, tout à moi, sauf que j’ignore si j’en suis encore capable et si elle le partagerait, ce souhait. Alors, j’élude sa question. Je ne me calque pas sur le comportement des idiots. A l’arrêt, ses yeux plantés dans les miens, elle cherche, elle fouille, elle sonde et je me demande ce que mes pupilles lui révèlent en informations capitales. « Parce qu’il n’y a plus rien à dire ? » l’ai-je questionnée, frustré que ce moment suspendu n’aboutisse sur rien justement… je crois que j’aurais espéré, juste un instant, croire en la réciprocité de nos désirs, même s’ils sont voués à rester de l’ordre du fantasme de nous être trop blessé. J’ai espéré, vraiment, jusqu’à ce qu’elle brise cette bulle prompte à la sincérité, celle qui nous a isolé du reste du monde. « Réfléchis vite. L’heure tourne.» ai-je lancé d’une voix morne en accrochant du regard un bijou ouvragé du plus bel effet. Sobre et à la fois coloré, il lui ressemble bien alors j’opine du chef. « Bon choix. Mais lui, il n’est pas négociable.» Un prix est affiché, mais n’est pas né celui qui arrêtera Raelyn Blackwell si on lui a vendu, au préalable, le droit de discuter. Tout discuter.

(#)Sam 12 Sep 2020 - 22:18

Nos jeux, nous les ranimons avec une facilité qui me déconcerte presque tant ils prennent des allures d’évidence. Sont-ils ancrés dans nos chairs ? Nous avons passé sept mois ensemble, c’est énorme pour moi mais ça ne l’est pas pour lui, et ça ne l’est pas à l’échelle d’une vie. Alors qu’en penser ? Que nous nous complétons si bien que les automatismes prennent le dessus à la moindre occasion ? Est-ce sain ? Je n’ose pas rêver à des retrouvailles pour deux raisons : j’ai peur de rêver éveillée d’une part, et j’ai peur de ce que cela veut dire sur moi, que d’être prête à pardonner si vite et si fort. Ne me suis-je pas toujours protégée pour m’éviter de souffrir ? N’ai-je pas assez pardonné ? Mon coeur dit non, il le dit si fort que j’en ai le tournis, il le dit si fort que je ne peux l’ignorer. « Évidemment. Je gagne souvent. Tu ne peux que l’admettre. » Amusée je lève un sourcils en l’observant. « Tu perds souvent également. » Lorsqu’il était question de mesure et de tempérance, nous étions tous les deux grands perdants face à notre attraction.

Je ne sais pourquoi je reviens sur son hésitation, sur sa phrase laissée en suspens. Il n’y a rien de bon à en tirer, si ce n’est que des déceptions si la réponse me déplait, et un pincement au coeur si elle est impossible, l’hypothèse qu’il s’apprêtait à formuler. « Parce qu’il n’y a plus rien à dire ? » Et bien, n’est pas à lui de trancher à ce sujet ? C’est lui qui n’a pas terminé sa phrase. « C’est à toi de me le dire non ? » Ce n’est pas moi qui nous ait laissé en suspens. Du reste, je respecte sa volonté de ne pas vouloir épiloguer, il a changé de sujet à deux reprises, qui suis-je pour continuer à le houspiller.

« Réfléchis vite. L’heure tourne. » « Je vais trouver, t’en fais pas. » Je jette un coup d’oeil au stand de l’antiquaire qui vend le scaphandre et autres objets marins, pour m’assurer qu’il n’est pas en train de remballer pour une obscure raison. Il est là, il alpague toujours les passants et je me reconcentre sur les bijoux qui, à défaut d’être mon style habituel, ne me donnent pas envie de vomir. « Bon choix. Mais lui, il n’est pas négociable. » Un sourire en coin étire mes lèvres. « Ca aussi c’est un défi ? » Je me tourne face à lui, bras sur mon bassin. « Et pourquoi on essaierait pas tous les deux ? Pour voir qui obtient le meilleur prix ? »

@Amos Taylor

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