“C'est différent.” dis-je, pensif, le regard rivé sur le ciel qui s'assombrit. Il est passé par toutes les couleurs, et désormais il laisse la place aux étoiles. La mer est calme, son va-et-vient tranquille. J'ai retiré mes chaussures quand nous nous sommes assis, afin de pouvoir plonger mes pieds dans le sable. C'est une agréable caresse. C'est différent de Brisbane. La plage est quasiment vide, il n’y a pas de bâtiment qui se reflète sur l'eau, pas de lumières. Cela a aussi son charme. “Mais j'aime celui-ci aussi.” Il fait plus frais ici. Ce n'est pas dérangeant, à mes yeux il fait toujours bien trop chaud en Australie, même si l'on y habitue peu à peu. En tout cas, il y a sur cette grosse île des couchers de soleil qui n'existent nulle part ailleurs. Joanne me raconte qu'elle venait souvent ici et aurait aimé dormir à la belle étoile. Molly, comme Oliver, s'assurait néanmoins qu'elle dorme dans son lit. “C'est quelqu'un de bien.” En tout cas, le courant passe, nous avons de bonnes discussions, un fond de complicité qui n'est pas de refus. “Je suis content de l'avoir rencontré, et que tout aille bien.” dis-je de plus en plus bas. Et tout un tas de pensées moins joyeuses me traversent l'esprit, cherchent à m’assaillir et me faire douter de tout. “Je…” Je pense qu'elle a tort à mon sujet, qu'elle se fourvoie, qu'elle n'a pas tout compris et qu'elle a une fausse image. Je crois qu'elle ne réalise pas tout ce qu'il y a de mauvais dans ce que je lui ai dit, mais c'est normal, elle n'a pas connu mes parents, elle ne m'a pas connu à l'époque. Elle ne peut qu'imaginer, et la plupart des gens pensent que les récits sont exagérés, alors elle prend mes paroles à la légère, et elle se dit que ça ne pouvait pas être si grave. Mais ça m’arrange d’avoir son approbation. Ça m’arrange, mais c'est mal de fonctionner ainsi, de se satisfaire des erreurs des autres par intérêt. Voilà, je fonctionne comme un Keynes, j'avance selon ce qui sert mes intérêts. Ou est-ce que mon esprit me joue encore un tour ? Pourquoi est-ce qu'une partie de moi tient tant à prouver à Molly, à tout le monde, que je suis nocif ? Peut-être que c'est elle qui a raison, que je ne le suis pas. Je n'en sais rien. “Non, rien.” je murmure, essayant de balayer tout ceci. Je ne veux pas que ces pensées reviennent, la trêve aura été trop courte. Je passe une main sur ma nuque, et enfonce un peu plus mes pieds dans le sable. “Les vacances passent vite.” dis-je pour changer de sujet. Le temps file à toute allure de manière générale. Daniel a déjà quasiment sept mois. Et moi j'ai l'impression que c'était le mois dernier qu'il n'était pas beaucoup plus grand que mes mains. Je me tourne vers Joanne pour l'embrasser tendrement. En regardant vers l'avant, un tas d'autres aventures nous attendent dans le futur. “Trois mois.” je murmure avec un sourire. Ce n'est rien, seulement quelques semaines, et en un rien de temps nous serons mariés. Enfin. “Nous devrions peut-être tenter la carte de l’abstinence jusqu'au mariage pour être certains que notre essai sera concluant.” j'ajoute avec un rire. Joanne mise beaucoup sur cette nuit de noces. J'ai peur qu'elle soit déçue, si des mois sans protection n'ont abouti à rien. Elle croit en la magie d'un soir en particulier, mon éternelle romantique. Bien sûr, ne pas la toucher tout ce temps est impensable. Cela ne va pas accroître nos chances, ce n'est qu'une plaisanterie. Mais j'espère juste que tout se passera comme elle le souhaite.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Jamie semblait apprécier Molly, et c'était tout aussi réciproque. Joanne était si heureuse de les voir discuter de tout et de rien ensemble, ils avaient chacun beaucoup de choses à raconter. Elle était ravie de l'entendre dire aussi de sa bouche, bien que son visage changeait du tout au tout. Il commençait une phrase sans jamais la terminer, bien que Joanne avait longuement attendu avant qu'il ne la continue. Elle avait plié ses genoux contre elle, et les maintenant grâce à ses bras qui étaient autour. Mais Jamie rebuta, et elle ne saura jamais ce qu'il avait en tête bien qu'elle en ait une petite idée. Elle le connaissait après tout, elle savait qu'il avait une très petite estime de lui et qu'il ne pensait pas mériter tout ce dont il disposait désormais. Mais il le prenait avec plaisir. L'amour de Joanne, l'affection de leur enfant, la bonne ambiance de la maison. Peut-être qu'il se sentait en faute, de tout prendre alors qu'il ne pensait pas y avoir droit, comme un criminel. Il fuyait le sujet pour en aborder un autre. "Oui..." soupira-t-elle. Ils étaient désormais bien plus proches de la fin des vacances qu'au début. "Le retour à la réalité va être difficile pour tout le monde je pense."Même pour Daniel. Les plus heureux dans l'histoire seront certainement les chiens, qui découvriront leurs nouveaux compagnons et qui se réjouiront à nouveau d'une maison pleine de vie. "Trois mois." répéta-t-ellea vec un sourire amoureux. "J'ai tellement hâte de voir nos alliances, te voir me la mettre au doigt." dit-elle, rêveuse. Elle rit en entendant la suggestion de son fiancé. "Tu penses sérieusement que nous tiendrions autant de temps ?" demanda-t-elle en continuant de rire. "Entre l'habitude que tu as de te coller torse-nu contre moi la nuit et moi les bouffées de chaleur qui me prennent de court, ça va être compliqué." s'exclama-t-elle. Joanne y croyait dur comme fer, que leur nuit de noces allait tout changer, que ça allait fonctionner une nouvelle fois. Ca ne pouvait pas en être autrement, elle en était persuadée. "Nos prochaines vacances, ce sera notre voyage de noces." pensa-t-elle à haute voix. "Je doute que tu parviennes à avoir une petite semaine d'ici là..." Il y allait avoir la rentrée, la reprise des activités. Un planning à nouveau bien chargé. "Sinon, nous nous rattraperons en buvant du champagne dans le jacuzzi de l'hôtel à Florence." C'était un bon compromis, l'attente en valait le coup. "Et nous n'aurons pas à nous soucier du lit qui tape contre le mur." ajouta-t-elle en riant nerveusement. Joanne se tourna un petit peu pour le regarder. "Je t'aime, Jamie. Je t'aime tellement." lui dit-elle en le contemplant amoureusement. "Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que tu sois heureux, que tu aies tout ce dont tu as besoin." Du bout de ses doigts, elle lui caressait la joue. "Et tu me rends heureuse, tu m'as donnée bien plus que je ne l'aurai pu espérer. J'ai tant hâte de devenir ta femme." Joanne avait besoin de se sentir liée à quelqu'un, les valeurs du mariage avaient une importance primordiale pour elle, quelque chose que l'on ne pouvait pas ébranler, bien qu'Hassan avait réussi à prouver le contraire. Elle se pencha sur lui pour l'embrasser longuement. Dur de détacher ses lèvres des siennes alors qu'ils étaient seuls au monde sur cette plage, la nuit tombée. C'était particulièrement romantique. "Nous devrions peut-être rentrer." lui dit-elle tout bas. "Profiter de ces vacances comme il se doit, avant de reprendre un tout autre rythme la semaine prochaine." Elle rit doucement. "Tu peux pas savoir à quel point c'est agréable de n'avoir Jamie Keynes que pour soit, sans personne d'autre pour nous interrompre. Enfin si, il y a Daniel, mais c'est l'exception." Pas pris par le travail, une quelconque soirée de gala, ou quoi que ce soit d'autre pour le monopoliser. Joanne finit par se lever et enlever un peu le sable de sa tenue. Une fois debout, ils prirent tout de même encore le temps de se promener un peu, à profiter des étoiles avant de songer à rentrer.
Le retour à la réalité risque d'être trop brutal, après ces deux semaines loin de tout. Des retours aux sources, des souvenirs remontant à la surface, des lieux magiques. Il nous reste quelques jours, mais nous savons déjà que plus le décrochage est grand, plus il est difficile de retourner à la vie de tous les jours. Nous recommencerons à nous voir majoritairement le week-end, plus brièvement le soir, parfois le matin lorsque Joanne se lève avec moi. Mon fils me manquera beaucoup, je me demande si je lui manquerai aussi. Le temps poursuivra sa course folle jusqu'au mariage, et il reste encore tant à préparer. Les alliances seront échangées bien plus vite qu'on ne peut l'imaginer. Peut-être que ce soir là, il y aura un autre petit miracle. « Je peux mettre une combi de plongée pour dormir si ça peut aider. » dis-je avec un rire, afin que nous ne soyons pas tentés de coucher ensemble d'ici là. C'est la première fois que Joanne évoque l'idée que si la nuit de noces ne fonctionne pas, les soirées de notre lun de miel feront un bon lot de consolation. Cela me rassure un peu. Mais cela ne sera pas avant avril prochain. Elle est persuadée que nous n'aurons pas de vacances entre temps. « Bien sûr que si, j'aurai sûrement quelques jours pour les fêtes de fin d'année. » Et cette fois, nous pourrons vraiment les passer en famille, dans un climat chaleureux et aimant. Plus de scénario étrange, plus de situation invraisemblable. Nous ne devrions pas nous aimer au point de nous déchirer à ce point. Joanne, sûrement inspirée par le romantisme du moment, se laisse aller à quelques déclarations pleines de tendresse, quelques caresses sur mon visage, puis un long baiser amoureux. « Vous me mettez une sacré pression, Miss Prescott. » dis-je avec un sourire. « J'espère rester à la hauteur de vos attentes. » Et quoi qu'il en soit, je ferai toujours de mon mieux pour qu'elle ait tout ce qu'elle mérite, tout ce qu'elle souhaite. L'heure de rentrer approche, la nuit est bien tombée. Nous rebroussons chemin d'un pas lent, comme si cela pouvait ralentir le temps. Quand nous entrons, la maison est plongée dans le silence et l'obscurité. Avant de dormir, Joanne s'occupe de nourir les chiots. Nous prenons le panier avec nous à l'étage, puis nous ne tardons pas à rejoindre les autres habitants de ce toit au pays des rêves.
Les jours suivants se calquent à peu près sur le même modèle. Nous passons une journée à Perth en famille, mais le plus clair du temps, nous sommes avec Molly et nous profitons des bienfaits de ne rien faire et ne se soucier de rien. La vieille femme et moi n'arrivons à nous tutoyer que la veille de notre départ. Je crois que cela s'était instauré comme une forme de respect plutôt que de distance au fil des jours, et puis, la familiarité s'est installée. Avec le temps, les chiots ont un pu repris du poil de la bête. Ils n'osent toujours pas sortir du panier, mais plutôt que d'être blottis l'un contre l'autre à longueur de journée, ils jouent ensemble et se chamaillent un peu. Il est toujours impossible de les séparer sans provoquer un drame, et Daniel continue de très mal vivre le partage de sa maman lorsqu'il faut leur donner le biberon. Il a commencé à s'attacher à Molly. Peut-être qu'il comprend que ce n'est pas n'importe quelle étrangère. Il est enthousiaste à chaque fois qu'elle lui lit un de ses livres, et il lui tend le suivant en babillant comme pour lui expliquer de quoi il s'agit -alors qu'elle les a déjà lus la veille. Joanne et moi avons pris soin de ne plus faire grincer la tête de lit.
Nous rentrons à Brisbane avec les parents de Joanne. Cinq heures d'avion, c'est déjà long pour un bébé, mais à ce qu'ils ont dit, le voyage aller c'était plutôt bien passé. Pour ma part, je ne suis pas très serein à l'idée de passer tout ce temps enfermé dans une carlingue avec eux, sans possibilité de m'échapper. Mais nous n'y sommes pas encore. Après avoir déposé toutes les valises dans le coffre, nous restons un moment devant la maison de Molly pour les au revoir. La vieille dame semble émue de voir tout ce beau monde s'en aller. Cela va lui faire bizarre d'être à nouveau seule chez elle, et cela me fait un peu de peine. J'aimerais presque qu'elle vienne avec nous. Nous nous étreignons quelques longues secondes. « Merci beaucoup pour cette semaine, Molly, c'était un vrai plaisir. » dis-je tout bas, près de son oreille. « Ca l'était pour moi aussi. » Elle me tapote le dos, et je me redresse. « Je suis heureuse d'avoir fait ta connaissance. » On devine dans son ton qu'elle parle de vraiment me connaître, de tout savoir de moi, contrairement à tous les autres membres de la famille. « N'écoutes pas tous ceux qui pensent te connaître ou jugent par ton passé. Il n'est pas tout rose, mais il ne fait pas de toi quelqu'un de mauvais. Tu dois avoir confiance en toi. Joanne ne t'as pas choisi sans raison. Vous ne vous êtes pas trouvés sans raison. Et vous êtes heureux ensemble, n'est-ce pas ? Et vous m'avez donné le plus beau des arrière-petits-fils. » Peut-être le seul qu'elle aura, ou le seul qu'elle rencontrera de son vivant, personne ne sait de quoi l'avenir est fait. « Nous nous reverrons à votre mariage. » conclut-elle avec un sourire affectueux.