And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Les cloches sonnèrent cinq fois. Après un long moment de tendresse, l’heure était venue pour Constance de partir. Cole se montrait optimiste, il voulait croire qu'il parviendrait à revenir au manoir. Qu'ils se reverraient, et qu'il pourrait la prendre à nouveau dans ses bras. Il ne savait pas encore exactement comment, mais le médecin comptait récupérer ses lettres de noblesse afin de ne plus être condamné à demeurer aux portes du manoir. Il trouverait. Elwood était doté de force douce, de ténacité, d'endurance. Pour obtenir ce qu’il souhaitait, il saurait être patient et persévérant. Il accompagna Constance dans l’entrée, l’aida à mettre son manteau. Il n’avait jamais croisé d’ange, mais s’il devait en donner une description, telle qu’il l’imaginait, il donnerait la jeune femme en exemple. Et personne ne pourrait le contredire. Il l'étreint avant d'ouvrir la porte d'entrée ; la calèche attendait déjà devant la maison. Tandis que le cocher invitait la petite blonde à monter, le médecin s'éclipsa rapidement afin de trouver un flacon dans son cabinet. Lorsqu'il revint, il le tendit à l’autre soeur par la fenêtre. “Eleanor, pour vous et le bébé. Deux gouttes tous les soirs.” Elle le prit avec un remerciement discret. Cole adressa un dernier regard amoureux à Constance avant de s'arracher à la portière, laissant ainsi la voiture avancer et quitter le parvis.
Alicia s’invitait souvent chez le médecin, et jamais sa porte n’était fermée, comme il en avait la politique. Elle aussi était obstinée, malgré toutes les manières que trouvait Cole pour débouter ses avances. la patience de la jeune femme s’étiolait, et peu à peu, toute l’affection qu’elle avait pour lui se mutait en frustration et en colère. Le jour où elle vint le chercher, son visage était complètement fermé. “Peter est malade. Père souhaite que vous veniez à Chilham pour le diagnostiquer.” dit-elle froidement sur le seuil de la porte tandis qu’un homme bien plus modeste, le dos voûté, de frayait un passage jusqu’à l’intérieur où il était à son tour d’être reçu en consultation. Le médecin, plus courtois que l’aristocrate, s’était écarté et lui avait adressé un sourire en lui indiquant le cabinet. Alors seulement il accorda de l’attention à la cadette Keynes. “J’ai des patients à voir aujourd'hui, je viendrai quand j'en aurai terminé.” Sa moue d’Alicia se renfrogna un peu plus. Ses sourcils froncés se voulaient menaçants, mais elle n’avait l’air que d’un de ces petits chiens qui faisaient beaucoup de bruit pour rien. “Est-ce que j'ai l'air de vouloir patienter ?” “Est-ce que j'ai l'air de sauter dans le fiacre parce que vous croisez les bras comme une fillette en colère ?” Au contraire, il avait la main sur la poignée de la porte, et il ne comptait pas de priver du plaisir de se faire désirer. Il savait que son confrère n’irait pas jusqu’au manoir, et ceux d’Ashford étaient sûrement aussi occupés que lui. Même s’il en était peut-être un pour rappliquer immédiatement, rien n’assurait qu’il soit aussi compétent. Faire venir quelqu’un de Londres prendrait l’après-midi. Alors il ne leur restait qu’à attendre. “J’ai dit que je viendrais.” souligna Cole avant de fermer la porte, et il n’avait qu’une parole.
Heureusement, le printemps arrivait. La neige avait disparue, mais le froid demeurait encore. Néanmoins, il était devenu bien plus aisé et agréable de marcher à la lisière du bois. Cole aurait pu se rendre au manoir à pied. Pourtant, Alicia avait stationné devant sa maison toute la journée afin de s’assurer qu’à la fin de sa liste de patients du jour, le médecin grimpe promptement dans le fiacre et l’accompagne au domaine. C’était la fin de l’après-midi lorsqu’il se présenta avec son manteau et son chapeau sur la tête, prêt à partir. Le trajet fut d’un silence de mort. A peine arrivé, Thomas débarrassa Elwood de ses affaires et celui-ci ne tarda pas à monter dans les étages afin de rejoindre la chambre de Peter, où celui-ci se reposait. Du moins essayait-il, car le pauvre se tordait de douleur sous sa couverture, fiévreux et recroquevillé. Les soeurs Dashwood étaient près de lui ; Eleanor près de la porte, ne risquant pas la contamination en se trouvant trop près vu sa condition, et Constance au chevet de son époux. Cole les salua toutes deux. Leur présence n’étant pas une gène à ses yeux, Cole ausculta immédiatement le jeune homme malade. Il posa également quelques questions au domestique qui s’occupait de lui à propos de son alimentation et son hygiène. Peter se focalisait tant sur sa douleur qu’il ne se montrait d’aucune aide. Au bout de quelques minutes, Christian et Catherine apparurent. “D’après moi c’est l'estomac. Actuellement cela ressemble à une gastrite. Cela peut être tout à fait bénin et disparaître rapidement, mais j'aimerais garder un oeil sur lui pendant quelques jours. Je reviendrai demain.” Il confia quelques indications en attendant, une liste d’aliments interdits et d’autres à favoriser. Puis on ne le retint pas plus longtemps.
Elwood revint en effet le lendemain. Peter demeurait au fond de son lit, le visage crispé par la douleur. Le médecin l’observa à nouveau ; rien n’avait changé. “Son état ne s’améliore pas.” siffla Brentford entre ses dents, les bras croisés afin de contenir son impatience. “Je vois cela.” répondit calmement Cole en poursuivant l’examen sans se presser. Il fit avaler au jeune homme un mélange à base de camomille, de réglisse et de gingembre. “Vous devez faire quelque chose.” Cela était déjà le cas, mais bien sûr, Brentford ne pouvait le comprendre. Il ne voyait que son frère continuer de se tordre de douleur, et un médecin ne lui donnant rien pour le soulager. Si des mots comme morphine ou laudanum ne traversaient pas ses lèvres, alors il était forcément incompétent. “Demain.” “Non, immédiatement !” Le Keynes se dressa entre Cole et la sortie. Et dire qu’il y avait quelques semaines de cela, il usait de sa force pour le mettre à la porte. Las, le brun soupira. “Écoutez, qu'importe à quel point vous l'exigez, j’ai d'autres patients à voir, et je n’ai pas de solution miracle. Poursuivez le traitement, et je viendrai demain.” De toute manière, Brentford n’avait d’autre choix que de le laisser partir. La maladie ne disparaîtrait pas en un claquement de doigts. Alors Cole revint le lendemain, et le jour suivant.
“Il est incompétent.” lança Christian au déjeuner. La chaise de Peter était vide. Son état n’empirait pas, mais ne s’améliorait pas grandement non plus. Et le médecin paraissait bien trop passif à ce sujet aux yeux des hommes du manoir. Il avait déjà été question de faire appel à un autre professionnel afin d’obtenir un second avis, et peut-être d’autres solutions, ce à quoi Catherine s’opposait toujours. Et une fois encore, elle prit la défense de celui qui s’était dédié deux années entières au bien-être d’Augustine, se fiant au jugement de la Lady décédée qui avait tant d’estime pour lui. “Il est sage. D'autres médecins auraient testé des remèdes dangereux, faux et coûteux pour vous satisfaire. Le Dr Elwood est loyal à cette famille, il trouvera un remède.” La Lady en paraissait absolument certaine. S’il le fallait, elle serait confiante pour eux tous. Quoi qu’il en soit, elle avait un pressentiment, et elle comptait bien s’accrocher à la conviction qu’ils devaient faire preuve de patience et avoir foi. “L'état de Peter ne s’améliore pas malgré tout.” ronchonna Christian. “C’est un garçon solide. Il ira mieux.”
En effet, le jeune homme était moins agité le jour suivant. Il fut enfin capable de dormir et d’avoir ainsi le repos nécessaire à sa guérison. D’ailleurs, il ne faisait plus que dormir, gémissant parfois de douleur. Bien plus rarement qu’avant néanmoins. Les Keynes étaient ravis. Cole laissa une nouvelle décoction sur la table de chevet, et quitta la chambre du malade. Lors de chacune de ses visites, il ne s’était jamais montré proche de Constance. Il a saluait à son arrivée et à son départ mais ne lui adressait pas la parole en dehors. A peine un regard de temps en temps. Ainsi, nul ne pouvait être suspicieux. Catherine l’attendait à l’extérieur de la pièce, dans le couloir. Elle arborait ce sourire mielleux de la parfaite hôtesse. “Dr Elwood, accepteriez-vous de vous joindre à nous pour dîner ? Si vous n'êtes.pas attendu, bien entendu.” Il fit mine de réfléchir, puis il accepta l'invitation d'un signe de tête. Quand Catherine eut le dos tourné, il réprima un rictus satisfait, mutin. Il y était parvenu. De retour dans les bonnes grâces des Keynes. De retour auprès de Constance. Et seul maître des tourments de Peter qui, non, n’irait jamais mieux.
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"Alors, comment s'est passée cette journée ?" demanda Eleanor une fois que la voiture commençait à être tirée par les cheveux. "Merveilleuse." assura sa soeur d'une voix douce. L'aînée sourit, satisfaite de son idée. "Il me semble que tu as repris un peu plus de couleurs." Elle prit délicatement sa main afin d'attirer son attention, qu'elle la regarde. "Je ne prendrai bientôt plus le risque de faire d'aussi longues journées en dehors du manoir, mais je suis contente que nous ayons pu le faire aujourd'hui. Que tu aies pu le voir. Il a l'air... si amoureux de toi. J'ai vu la manière dont il t'a regardé, avant que nous partions." Le sourire de l'aînée était bienveillant. "Je suis aussi amoureuse de lui." répondit Constance. Eleanor replaça une de ses mèches de cheveux avec un doigté délicat. "Je le sais bien." Durant le reste du trajet, elles se racontaient chacune leur journée et convenaient ensemble de ce qu'il fallait raconter au reste de la famille. Les Keynes n'y virent que du feu, ils ne soupçonnaient absolument rien. Constance n'était pas vraiment pour les cachotteries, mais pour une fois, cela en valait véritablement la peine. Le soir-même, Peter la voulait dans le même lit qu'elle, au grand désarroi de la jeune femme. Difficile de se souvenir durant ces instants des baisers de Cole, et de ses caresses délicates. Quelques temps plus tard, Peter se réveillait un matin particulièrement souffrant. Le devoir de Constance était bien de rester auprès de lui, à son chevet. Il hurlait de douleurs et gesticulait sans cesse dans l'espoir de trouver une position antalgique, mais rien n'y faisait. Constance tentait de lui éponger le front avec une serviette humide, elle lui tenait la main. Mais elle était véritablement démunie face à cette situation. Peter gardait sa main dans la sienne, mais il souffrait tellement qu'il usait de toutes ses forces pour serrer celle de Constance, ce qui lui fit particulièrement mal. Alicia se chargea elle-même d'aller chercher le médecin le plus proche. Bien que la petite blonde n'ait aucune affection pour son époux, elle n'aimait pas le voir autant souffrir. Il ne cessait de crier, durant toute la journée. Cela mettait les nerfs de Constance à vif, cela l'épuisait tellement, elle n'en pouvait tellement plus de l'entendre agoniser de la sorte qu'elle commençait même à en pleurer. Elwood finit par apparaître en fin d'après-midi. Il adressa à peine un regard à Constance, juste pour la saluer, puis il se focalisa sur Peter. L'auscultation fut rapide, il ne s'attardait pas bien longtemps par ici. Constance écoutait avec attention les consignes qu'il lui laissait. Elle restait constamment au chevet de Peter, par conscience. Personne ne pouvait lui reprocher d'être une mauvaise épouse, son attitude était irréprochable. Mais malgré les indications de Cole, son mari n'allait pas mieux. Brentford était là, reprochant au médecin son inefficacité. Du moins, c'était ce qu'il laissait largement sous-entendre. Mais le médecin ne se laissait nullement perturber par les états d'âme de Brentford. Il venait le voir tous les jours. Catherine prenait sa défense, elle semblait être très attachée à Cole et admirait beaucoup son savoir et son savoir-être. A chaque repas, Constance quittait particulièrement tôt la table pour se rendre à nouveau au chevet de Peter. Elle ignorait s'il se rendait compte qu'elle était là. Au bout d'un moment, elle ne faisait qu'acte de présence. Son était semblait stagner, au fil des jours, quoi qu'il semblait bien moins douloureux qu'il ne le fut.
Comme tous les soirs ces derniers temps, Constance était la dernière à arriver à table pour dîner. Son coeur râtait un battement lorsqu'elle se rendit compte qu'un couvert fut rajouté, et que Cole avait retrouvé sa place d'antan. Catherine semblait particulièrement satisfait de l'avoir à nouveau à sa table. "Comment va Peter ?" demanda-t-elle à Constance. "Il se repose. Ces derniers jours ont du être particulièrement épuisant pour lui." répondit-elle en s'installant à table. Le dîner fut silencieux. Catherine recommandait vivement à Eleanor de ne plus accompagner sa soeur dans la chambre de Peter, afin d'être sûr que l'enfant qu'elle portait ne risque rien, bien qu'elle comprenait que l'aînée Dashwood voulait être un soutien pour sa soeur. "Et je pense que le Dr. Elwood sera du même avis que moi si je dis qu'il faut que vous vous reposiez également, Constance. Vous avez besoin de sommeil, vous êtes blanche comme un linge." "Mais il faut que quelqu'un puisse veiller sur Peter." commenta la première concernée."Un des domestiques veillera sur lui cette nuit, si cela peut vous rassurer." répondit Catherine avec un ton qui laissait comprendre qu'elle ne lui laissait pas le choix. Elle avait une sacrée force de persuasion et de volonté pour réussir à s'imposer ainsi. Constance avait du mal à comprendre ce que Cole avait en tête. Il avait pourtant dit qu'il ne voulait plus être à la botte des Keynes, et pourtant, voilà qu'il était à leur table, à dîner avec eux. Catherine l'invita même à rester pour la nuit, vu l'heure tardive. Constance osait à peine le regarder. Le lendemain, la jeune femme se réveilla de bonne heure pour retrouver Peter. C'était surtout devenu un automatisme. Elle était là uniquement parce que c'était son rôle. Comme le jour suivant, et le surlendemain. L'état de Peter se dégradait à nouveau. Il était couvert de sueurs, affreusement pâle et n'arrivait même plus à ouvrir. "Alicia lui a pourtant donné la décoction que vous aviez indiqué, exactement comme vous l'aviez conseillé." dit Constance en regardant le médecin qui venait constater l'état de Peter. Alicia avait tenu aussi à s'occuper de Peter. La petite blonde avait même cru deviner une affection entre frère et soeur, bien différente de ce qu'elle avait pu voir aujourd'hui. "Il n'a rien mangé ou bu hier. Il n'arrêtait pas de dormir, j'ai supposé qu'il avait toujours eu besoin de repos. Mais même depuis ce matin, il refuse d'avaler quoi que ce soit. Je sais qu'il m'entend, parce qu'il me répond parfois avec de légers signes de tête." expliqua-t-elle. Jamais Constance n'aurait imaginé que son amant puisse jouer de son pouvoir, de ses capacités en tant que médecin, pour décider de la survie ou non de Peter. Cela ne lui avait pas traversé l'esprit. Elle ne parvenait pas vraiment à réfléchir, tant elle était fatiguée. C'était surtout grâce à la confiance que tout ignorant de la médecine apportait à son médecin. Cole avait toutes ces connaissances, pas les Keynes, pas elle. Ils pourraient même recommander un poison en disant que c'était un remède, ils n'y verraient que du feu. Et jamais, ô grand jamais, Constance ne songea à cela. Quoi qu'il fasse, elle avait toujours eu confiance en Cole.
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En acceptant l’invitation à dîner, puis à passer la nuit au manoir, Cole n’avait pas songé un seul instant que Constance puisse être vissée au chevet de son mari, et ce malgré sa présence entre ces murs. Elle qui souhaitait le voir, passer du temps avec lui ; il était devant elle, mais la jeune femme préférait soutenir l’homme qui la rendait malheureuse. Elwood quitta Chilham déçu et amer le lendemain matin. Il revint tous les jours, et tout le jours, la petite blonde était auprès de Peter. Peu à peu, la comédie consistant à lui prêter peu d’attention perdit toute son illusion ; l’anglais se mit à réellement l’ignorer dans le but de ne pas se laisser distraire par la mine si inquiète de Constance. Peut-être tenait-elle à lui, au final. Peut-être qu’il prenait ces immenses risques pour rien. Qu’importe, le médecin trouvait refuge dans la satisfaction qu’il tirait de voir le Keynes cloué au lit. Ce jour-là, Peter s’était remis à gesticuler de douleur. Sans doute, s’il pouvait articuler quoi que ce soit, ce grand bébé réclamerait lui-même qu’on le pique comme un animal afin de mettre fin à sa souffrance. Pourtant, cela n’était encore rien en comparaison de ce qui pourrait l’attendre si Elwood décidait d’aller jusqu’au bout. L’ulcère, la mort à petit feu. N’était-ce pas ce que pareille famille méritait après tout ? Il n’y eut que Constance pour lui inspirer assez de compassion pour qu’il se décide à administrer de la morphine à Peter. Son corps se détendit quasiment instantanément. Cole trouva une nouvelle fiole dans sa mallette et la laissa près du malade. Un mélange de répits et de pitié afin de lui offrir une courte trêve. Puis il posa une main sur l’épaule de Constance. “Ne vous en faites pas.” A l’extérieur de la chambre, cette fois, Catherine était inquiète. Nul ne comprenait ce qu’il se passait, en dehors du médecin qui avait la main mise sur les journées de Peter. Et pour le moment, il était insoupçonnable. Les maladies étaient imprévisibles, après tout. “C’est sûrement plus grave que je ne le pensais, avoua-t-il avec la douceur qu’on lui connaissait. Parfois ces maladies sont passagères et parfois elles sont chroniques. Je ne peux pas le déterminer dans l’immédiat, mais je crains que ce soit le cas…” Les lèvres de Christian et Brentford brûlaient d’accusations envers Cole, qu’ils taisaient face à la mère de famille. Ils ne voudraient pas entendre que le médecin ne pouvait pas diagnostiquer cela plus tôt, ils traiteront d’incapable une fois qu’il sera parti. “Cela ne signifie pas qu’il souffrira de cette manière pour le reste de sa vie. Mais il devra suivre un traitement et bannir certaines habitudes.” Plus de café, plus de tabac, plus d’alcool, plus d’aliments acides. Des obligations difficiles à tenir pour un homme aussi fier que Peter, un homme qui ne pouvait admettre ses faiblesses. A ce moment-là, il était plus vulnérable que jamais. “Pour le moment, je vais partir du postulat qu’il s’agit simplement d’une rechute. Nous allons continuer le traitement normalement. S’il n’y a pas d’évolution majeure d’ici quelques jours, j’adapterai la médication. En attendant, la morphine l’aidera à tenir le coup. Il n’y a pas de quoi s’alarmer.” Catherine se laissait rassurer par la voix doucereuse de Cole et son éternel calme. Les hommes aussi se laissaient séduire par la sagesse et le savoir qui émanait de ses paroles. Il paraissait déterminé à trouver le moyen de remettre Peter sur pied, et bien que cela ne soit qu’une comédie, les Keynes en étaient convaincus. L’homme qui avait tant donné de sa personne pour Augustine ne pouvait décemment pas être celui qui négligerait Peter. On le remercia une nouvelle fois en l’invitant à rester pour dîner, et il accepta volontiers. Il fallait dire qu’il appréciait de voir les aristocrates aux petits soins pour lui, qu’ils fassent enfin preuve de considération, après des années de mépris, à ne le voir que comme un larbin supplémentaire. Maintenant ils ne juraient que par lui, ils avaient besoin de lui. Et ce sentiment de pouvoir, cette prise sur sa vie et la leur, était un juste retour des choses aux yeux de Cole. A la fin du repas, Elwood retrouva Constance. Il devina sa présence à la lumière se glissant sous la porte de sa chambre. Il frappa doucement, puis il entra discrètement. Il demeura néanmoins proche de la porte au cas où la jeune femme ne lui demande de faire demi-tour promptement. Il était dépité, attristé par toutes les fois où il avait deviné que les joues de la jeune femme étaient humides de larmes séchées pour son époux. Lui pensait qu’elle serait soulagée que celui-ci ne puisse plus tenir sur ses pieds, la forcer à partager son lit, tente activement de l’engrosser, et l’empêche de faire et de dire ce qui lui plaisait. Tant que Peter était malade, Constance était quasiment libre. “Vous avez l’air inquiète pour lui.” murmura Cole. Il n’avait jamais eu l’intention de le tuer, bien que la tentation soit grande. Il pouvait se contenter de faire durer les tourments du Keynes indéfiniment. Le divorce n’était pas une option pour Constance, et finir veuve ne lui promettrait pas une bonne position non plus. Alors il pouvait simplement alimenter cet entre-deux, jusqu’à ce qu’il trouve mieux. C’était ainsi qu’il veillait sur elle, se disait-il, et c’était ainsi qu’ils pouvaient se voir à nouveau. Néanmoins, cela n’avait pas de sens si la jeune femme avait développé de l’affection pour Peter entre temps.
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On ne pouvait pas vraiment qualifier tout ceci par de l'inquiétude. Constance avait tenté de raisonner en tant qu'épouse. Que ferait une femme mariée si son époux était souffrant ? Elle n'avait pas d'obligation, pas d'enfants à élever ou divertir. Les Keyns l'auraient bien regardé de travers si elle continuait à passer ses journées seules sans se soucier de quoi que ce soit. Il fallait faire bonne figure pour ne pas s'attirer leurs foudres. C'était purement stratégique, et tout le monde semblait y croire. Même Cole. Après tout, lui aussi gardait une certaine distance avec la petite blonde. Il lui parlait à peine, la regardait à peine. Jouer ce double-jeu était particulièrement déroutant et l'on n'arrivait plus à discerner le vrai du faux, pour elle comme pour lui. Il n'y avait aucun soupçon qui s'éveillait au sein de cette famille, ce qui était une bonne chose. Constance n'aurait en revanche jamais pensé que cela puisse être aussi délétère pour sa relation secrète avec le médecin. Elle suivait ses indications concernant Peter, lui continuait d'être invité à dîner puis à rester dormir au manoir, accueilli comme un roi, malgré la méfiance habituelle de Brentford et Christian. Avant le dîner, Catherine était venue auprès de Constance pour lui rappeler une nouvelle fois de prendre soin d'elle. Qu'elle n'avait pas à se sentir coupable de ne pas être constamment à son chevet. Tout le monde croyait bien qu'elle se faisait du soucis pour lui, désormais, on la suppliait de se reposer et de s'accorder du temps. Une manoeuvre plutôt réussie de la part de la jeune femme, qui espérait atteindre ce résultat là. Ainsi, on la laisserait encore plus tranquille et elle n'aurait plus tant le devoir de rester auprès de son prétendu mari. A la fin du dîner, Constance était rapidement montée dans sa chambre et s'était changée pour mettre sa chemise de nuit ainsi qu'une robe de chambre afin qu'elle n'attrape pas froid. Elle avait envie de voir Cole. Et cette simple pensée le fit amener dans sa chambre. Le beau brun avait discrètement toqué à sa porte avant de se permettre d'entrer. Toutefois, il maintenait une certaine distance avec elle. Cole semblait triste. La jeune femme se leva de son fauteuil pour s'approcher de lui. Une fois face à lui, elle tendit simplement le bras pour verouiller la porte par laquelle il venait d'entrer, afin d'être sûrs de ne pas être dérangés. "Je ne le suis pas." lui assura-t-elle tout bas. "Mais il n'y a qu'à une épouse trop dévouée que l'on suggérerait de se reposer et de prendre du temps pour soi." Elle esquissa un sourire légèrement malicieux. "Je ne m'inquiète que pour un seul homme. Je n'aime que vous, Cole." dit-elle au bord de ses lèvres. "Je préférais sacrifier ces quelques jours afin d'avoir plus de temps libre par la suite plutôt que l'on vienne me reprocher mes absences et m'obliger à rester auprès de lui." souffla-t-elle. "Si je pleurais, c'est parce que je n'en pouvais plus, de ses cris. Et que même maladie et à moitié conscient, il a trouvé le moyen de me faire mal. Il me serrait la main si fort... c'est encore très douloureux." Elle soupira, soulagée de pouvoir à nouveau être près de lui. La petite blonde collait son front contre le sien, caressait l'arête de nez avec le bout du sien. "La façon dont vous ignoriez le moindre de mes regards, que vous me parliez à peine... C'était tout aussi insupportable." Constance avait posé ses mains sur les épaules, puis les fit glisser le long de ses bras afin de prendre délicatement ses mains. Elle approcha doucement ses lèvres des siennes, avant de les embrasser avec tendresse. "Vous m'avez tellement manquée." murmura-t-elle entre deux baisers. "J'espère un peu plus chaque jour ce que vous m'aviez dit. Que nous seront tous les deux un jour. Juste tous les deux." Elle avait plongé son regard dans le sien. "Nous sommes tous les deux, là." Constance lui sourit, ses yeux pétillaient à nouveau. Elle tirait ensuite sur son bras, l'invitant ainsi de se rapprocher de son lit, ils s'installaient sur le bord, l'un à côté de l'autre. "Combien de temps Peter va-t-il être malade ?" demanda-t-elle. "Enfin... Je devrais formuler ma question autrement." dit-elle ensuite avec un rire nerveux. "Combien de temps pensez-vous pouvoir rester ici ?" Elle croisait ensuite ses doigts contre les siens. "Pendant combien de temps pouvons-nous profiter de l'un l'autre ?" Sa main libre caressait le dos de la sienne avec beaucoup de tendresse et d'affection. "S'il fait beau demain, nous pourrions nous promener dans le domaine. Les arbres sont en fleurs, je n'ai pu le voir que de l'intérieur jusqu'ici. J'adorerai admirer tout cela en votre compagnie. C'est quelque chose qui me manque beaucoup aussi, nos promenades." Et personne n'aimait savoir que Constance se promenait seule, alors on ne la laissait pas forcément. Eleanor n'était plus vraiment en condition pour de telles activités et les autres ne trouvaient pas d'intérêt à admirer les fleurs de la saison. Elle savait que Cole apprécierait. Maintenant qu'ils pouvaient être tous les deux et profiter l'un de l'autre. C'était ça, ce qu'elle voulait, être avec lui.
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Pas une minute, pas une seconde, Cole n’avait douté de la sincérité de l'inquiétude qu'elle affichait pour Peter. À vrai dire, elle l’avait persuadé de se montrer moins cruel qu'il ne l’aurait été s'il n’avait pas cru que la jeune femme se voyait déjà veuve, et plus malheureuse par la perte de son époux que par son caractère de son vivant. Alors, lorsque Constance lui assura qu'il n’en était rien, il ne put y croire dans un premier temps. Le masque avait été si parfait que cela en était effrayant. Ce ne fut qu'en écoutant les explications, les motivations de la petite blonde, qu'il comprit tous les rôles qui s'étaient joués ces derniers jours. Lui, indifférent et professionnel, elle souffrant autant que son époux. Qu'ils aient été aussi parallèles sans se concerter, dans une telle cohésion, et quelque part aussi calculateurs l'un que l'autre, plaisait énormément à Elwood. Alors il lui semblait un peu plus encore que Constance était une femme pour lui. Il était charmé par cette conivence, cette symbiose naturelle. “Vous avons tous les deux parfaitement joué la comédie alors.” dit-il avec un fin sourire. Une main posée sur le visage de la jeune femme, il frôlait sa joue porcelaine du bout du pouce, le regard plongé dans le sien, et envouté par ces lèvres qui se frôlaient délicatement. “Vous m’avez manqué aussi.” souffla-t-il avant de prolonger le baiser de plus belle, le coeur se gonflant d'une envie inavouable de pouvoir serrer son petit corps tout contre lui sans entraves. Cela n’était pas la première fois qu'il nourrissait de telles pensées vis-à-vis de Constance, mais il les réprimait à chaque fois chastement. Il ne pouvait se l'avouer jusqu'à présent. Mais s'il pouvait empoisonner un homme pour celle qu'il aimait, alors Cole pouvait bien accepter enfin d’avoir envie d'elle. Malgré cela, bien entendu, le médecin contenait ses ardeurs. Il n’était pas question de se mettre dans une position aussi délicate… n'est-ce pas ? Alors il s'assit sur le bord du lit en chassant ses arrières pensées. Son coeur manqua un battement lorsqu'il crut que Constance avait deviné que Peter était malade par sa faute, car lui seul pouvait décider combien de temps le Keynes serait souffrant. Quoi que le traitement qui lui était infligé lui laisserait sûrement des séquelles à vie quoi qu'il advienne. “Je ne sais pas…” répondit le médecin. À vrai dire, cela dépendait de lui, mais aussi d'elle. Le voulait-elle mort ? À quel point voulait-elle être libre ? “Je dois continuer de prendre soin de mes patients à Canterbury, alors je ne peux rester que lorsque j’y suis invité. Mais je serai là autant qu’on me le permettra.” Désormais, cela lui paraissait presque ironique de se soucier du sort de ses patients alors qu'il se montrait tout à fait capable de mépriser une vie humaine. Cela faisait-il de lui un monstre ? Une partie du médecin pleurait du deuil de tous les serments qu'il avait brisés en quelques jours, l’autre ne songeait qu'à la satisfaction qu'il tirait à jouer au dieu et créer sa propre justice. Et ce nectar là avait un goût qui masquait fort aisément l'amertume de la culpabilité et l'acidité de la trahison. “Peut-être après ma visite à Peter.” répondit Cole, distrait, à la proposition de la petite blonde d'aller se balader le lendemain. Bien sûr qu'il lui plairait de l'accompagner, néanmoins son esprit était bien ailleurs. Il tentait de départager la partie de lui coupable pour tout ce qu'il avait déjà fait de celle qui réclamait qu'il termine le travail en ôtant la vie de Peter. Il ne pouvait pas le décider tout seul. Tout ceci n’était pas lui, et Cole lui-même s’avouait ne pas se reconnaître dans toute cette manigance. Néanmoins, l'émergence d'une puissante et envoûtante forme de plaisir qu'il tirait en tourmentant le Keynes le perturbait au plus haut point. Peut-être que cela était aussi lui. Peut-être qu'il avait déverrouillé une porte. Quoi qu'il en était, cela avait en effet débridé la passion de l’anglais pour Constance, et il reprit ses lèvres pour un long et langoureux baiser. Il s'interrompit soudainement, les joues rosies. “Constance, je… Si je faisais quelque chose de mal, de terrible, mais si je le faisais uniquement vous… Est-ce que vous m’aimeriez toujours ?” Malheureusement pour lui, Cole n'était pas un homme capable de porter un tel fardeau seul. Le secret était trop grand, trop lourd. Et il eut bon espoir que si la jeune femme avait joué la comédie aussi bien que lui, s'ils avaient ce lien, cette connexion au point de passer ces accords tacites pour le bien de leur relation, alors elle pourrait comprendre. Son regard était bien bas, apeuré par le jugement de celle qu'il aimait, celle pour qui il s'était lancé dans cette entreprise sans retour en arrière possible. Si elle ne voulait plus de lui, peut-être aurait-il au moins son pardon pour s'être laissé séduire par un plan aussi fou.
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Le sourire qu'esquissait Cole lui faisait plaisir. Désormais, il comprenait toute cette mascarade et il n'avait plus à se soucier de quoi que ce soit. Chacun jouait le rôle qui leur était attribué au point même de douter de l'un l'autre l'espace d'un instant. Ils avait chacun tissé un tissu de mensonge de son côté, et leur plan réunit concordait parfaitement. Personne ne les soupçonnait, personne ne les mettait en cause. "Jamais je n'aurai pensé être aussi bonne actrice." chuchota-t-elle avec un sourire nerveux. Que si on le lui demandait, elle n'y parviendrait certainement. Quoi que son tempérament naturel empêchait beaucoup de personnes de savoir ce qu'elle avait derrière la tête, habituée à se murer dans son silence et à rester cachée derrière des livres. Ils s'embrassaient alors, tous les deux incapables de ne pas céder à la tentation à la seule vision de leur bouche. La serrant contre elle, Cole prolongeait le baiser autant que possible. Bien qu'elle y songeait de temps en temps, il était difficile pour elle d'imaginer des ébats plus charnels avec le médecin. Tout simplement parce qu'elle n'avait eu que de très mauvaises expériences avec Peter, chaque fois étant plus douloureuse que la suivante. Son corps était tellement crispé à chaque fois, elle n'y trouvait aucun plaisir alors que son époux jouissait à chaque fois. Parfois, il avait serré si fort sa chair que son corps se parsemait de quelques hématomes. De qu'un disparaissait, il marquait sa peau ailleurs. Et tout ceci était loin d'être agréable. Etant donné qu'elle n'avait eu aucune autre expérience, il lui était impossible d'imaginer que cela puisse être particulièrement agréable. Elle se sentait déjà particulièrement privilégiée de pouvoir être ainsi aimée, et de se permettre d'embrasser aussi amoureusement son âme soeur. Ils s'installèrent tous les deux au bord du lit. Constance espérait pouvoir passer un peu de temps avec lui. Bien sûr, Elwood avait des impératifs et des obligations à Canterbury. Il ne pouvait décemment pas s'éterniser à Chilham. Le sourire de Constance s'élargit lorsqu'il répondit à sa proposition, même si ce n'était qu'un peut-être. Il semblait un petit peu ailleurs, particulièrement pensif. Quelque chose le travaillait, le tracassait, Constance le devina aisément. Elle n'osait pas vraiment le questionner et n'en eu pas véritablement le temps parce que Cole se jeta sur ses lèvres pour l'embrasser d'une manière qu'il n'avait jamais utilisé jusqu'ici. Un baiser plus que langoureux, plus que passionné avec lequel Constance se laissait aisément envoûter. C'était quelque chose d'inédit, et elle se trouvait particulièrement maladroite. Il stoppa soudainement le baiser, et ne parvenait plus à le regarder. Bien qu'elle n'avait jamais été très douée pour lire entre les lignes, Constance comprit immédiatement ce à quoi il faisait allusion. Ce fut à ce moment là qu'elle réalisait qu'il avait les pleins pouvoirs sur la vie de Peter. Les gens ne mentaient pas alors, en disant que les capacités d'un médecin étaient proches de celles d'un Dieu. La petite blonde resta longuement silencieuse. Puis, à l'aide de l'une de ses mains, elle redressa son visage pour qu'il la regarde. "Je vous aimerai toujours, Cole." lui assura-t-elle en plantant son regard dans le sien. Il y avait peut-être une justice, quelque part. Les Keynes montraient qu'ils savaient mépriser leurs proches, il suffisait de voir la manière dont ils traitaient Augustine. Ils étaient détestables, égoïstes, ne pensaient qu'à leur descendance et à leur titre prestigieux. Leur remettre les pieds sur terre ne leur ferait pas de mal, bien que ce soit la façon la plus horrible qu'ils soient. Ils comprendraient que personne n'est immortel, personne n'est à l'abri, même celui qui semblait se porter le mieux et prendre toutes les précautions nécessaires pour rester éloigné de la maladie. "Mais avant de songer à moi, à ce dont vous semblez si prêt à faire, avez-vous pensé à vous ? Qu'en sera-t-il de votre conscience ? Parviendrez-vous à dormir ensuite, à vous faire à l'idée ?" lui demanda-t-elle alors, s'inquiétant pour lui. "Je ne veux pas que ma liberté se paie au prix de votre âme, Cole. Je ne me le pardonnerai jamais."Et elle aurait aussi cela sur la conscience. "J'ai peur pour vous, de ce que cela pourrait vous coûter par la suite." Bien sûr, Constance songeait à ce qu'il adviendrait d'elle si le mal est effectivement fait. Elle se demandait alors si elle pourrait épouser Cole, parce qu'elle n'envisageait pas sa vie sans lui. "Sachez que, dans tous les cas, je serai toujours là pour vous. Je vous aime et vous aimerai jusqu'à mon dernier souffle, et même au delà." Après tout, il y avait bien des romans qui racontaient tout ce qu'un homme était prêt à faire pour celle qu'elle aimait. Certains venaient décrocher la lune, d'autres leur offraient le monde entier, une couronne et du pouvoir, et certains étaient prêts à tuer. C'était un sentiment sans limite, qui dépassait de loin des émotions telles que la haine, et Cole venait tout juste de le lui prouver.
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Comment pourrait-on aimer un homme abusant de la confiance inspirée par son métier pour s'approcher d'un homme sur sa route et le faire agoniser ? Pour Cole, il n’y avait pas de réponse positive possible à cette question. Cet homme était un être abominable, ni plus ni moins, qu'importe ses motivations. Un traître, un monstre, bien pire que les Keynes. Alors pourquoi ne se sentait-il pas ainsi ? Pourquoi ses épaules et son coeur n'étaient pas lourds au point de l'enfoncer dans le sol, pourquoi ne doutait-il pas de ses actions ? Il ne pouvait s’expliquer cette sensation. Le seul nuage pouvant obscurcir tout le tableau était le rejet de Constance face à la vérité, et c'était un scénario auquel il tentait de se préparer en attendant que les mots traversent ses lèvres. Elle le dénoncerait sûrement, et s’il n’était pas tué dans un accident fort bien préparé par cette famille, alors il paierait son crime face à la justice, et il ne s'en plaindrait pas un instant car les deux options seraient méritées. Il n’avait peur d'aucune des finalités possibles qui se dessinaient. Seulement d'avoir perdu l'affection de Constance en étant aveuglé par son désir de vengeance pour eux deux. Cole fut fort réticent à l'idée de relever la tête et affronter le regard de la jeune femme. C’était étrange, il n’y trouvait ni déception, ni mépris, ni colère, ni rejet. À vrai dire, rien n’avait changé. Si ce n’était que désormais, Constance savait. Elle savait jusqu'où il irait pour elle. Sa conscience s'en portait étrangement bien. S'il avait le soutien de celle qu'il aimait, pourquoi devrait-il s'en préoccuper ? Elle l’aimait malgré tout. Elle était sûrement aussi folle que lui. C’était l’effet qu'avaient les Keynes sur leur entourage ; ils révélaient le pire de chaque Homme. “Jusqu’à présent je dors toutes les nuits. C’en est même effrayant. Je ne me sens pas particulièrement coupable, même si j'ai conscience que ce sont des actes affreux. C’est à peine si je vois un humain malade dans ce lit. Ce n’est pas comme mes autres patients. Je ne pourrais jamais tirer la moindre satisfaction à leur faire du mal. Mais Peter… Je n’avais de remords que lorsque je pensais que je vous blessait aussi. Du reste, je ne sais pas ce qu'il m’arrive quand je suis face à lui, mais j’adore avoir ce pouvoir sur lui, pouvoir le sauver dans un bon jour ou lui donner l'impression de mourir si j'en ai envie. C’est cruel, mais lorsque je lui fais boire quelque chose dont je connais exactement les effets, je n’y pense pas. Je n’ai que le sentiment de faire ce qui doit être fait pour vous, pour nous.” Constance savait que le brun accordait de l'importance au devoir. D'une certaine manière, tout ceci était le sien. N'avait-il pas promis de veiller sur elle après tout ? Et il ne voyait pas d'autre manière de faire afin que la jeune femme soit hors de portée de son époux. Elle portait son nom, mais il ne pouvait plus l’obliger à quoi que ce soit. Il n'était plus le bourreau de qui que ce soit. Il n'était qu'un animal blessé. “Je songe à ce que cela peut nous coûter si je ne fais rien.” ajouta Cole en songeant à la situation. Il pensait avoir agi en suivant un plan, néanmoins, une fois face au faits, les lignes tracées se perdaient en un indescriptible gribouillis. “Enfin, je n’ai pas l'intention de le tuer…” croyait-il depuis le départ. Alors quoi, allait-il le garder indéfiniment entre la vie et la mort jusqu'à ce qu'il se lasse ou que Peter lâche prise ? C'était une situation qui ne pouvait pas durer beaucoup plus longtemps. Soit Cole laissait le Keynes guérir et vivre avec les séquelles pour le reste de ses jours, soit il poursuivait son entreprise jusqu'à ce que Peter lâche son dernier soupir faisant de Constance une veuve. “À vrai dire, je ne sais pas. Le devrais-je ?” Le médecin avait besoin de la guidance de la première concernée et de celle qui, autant que lui, devrait vivre avec la vérité sur la conscience. Celle dont la vie serait directement impactée par une décision ou une autre. Celle qui allait devoir être capable de continuer de l'aimer qu'importe ce qui devait se passer. Constance avait plus de droits sur la vie de Peter que lui. Cole proposait, et elle disposait. Il pouvait tuer, il n’avait aucun doute à ce sujet. Il aurait moins de peine que pour casser le cou d'un faisan. Il pouvait laisser vivre également. Il accepterait toute décision de la jeune femme. Elle pouvait choisir le point final de cette histoire, elle qui n’avait plus la moindre emprise sur sa vie depuis des mois ; cette fois, elle pouvait donner le cap.
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Il y avait des moments où l'éthique et la justice ne s'accordaient pas. Un ensemble de fausses notes qui rendaient le tout peu crédible comme l'un comme pour l'autre. Les Keynes méritaient-il une quelconque justice, alors qu'ils avaient tout simplement inventé la leur, au détriment des autres ? Se souciaient-il véritablement de l'éthique ? Ils ne connaissaient ni l'empathie, ni la bienveillance et leur définition de la dignité était particulièrement biaisée. Aux yeux de Constance, Cole avait bien plus de dignité que toutes les personnes présentes dans ce domaine réunies. Seulement, elle s'inquiétait pour sa conscience, s'il commettait un acte qu'il était impossible d'inverser. Il était prêt à le faire par amour, pour sauver Constance, mais elle ne voulait pas que ce soit au prix de la vie de l'homme qu'elle aimait. Celui-ci assura qu'il arrivait à dormir, depuis qu'il avait pris en charge Peter. Cela l'effrayait, même. Il partageait alors une partie bien sombre de sa personnalité. Elle supposait que tout le monde devait en avoir une, bien qu'elle devait se décliner en de multiples façons. La seule chose qui guidait ses actions était sa dévotion pour la petite blonde. "Serait-ce donc moi qui vous ai fait découvrir cette partie de vous, que vous ne pensiez jamais avoir ?" lui demanda-t-elle. La jeune femme caressait délicatement sa joue. Le moindre de ses gestes était d'une très grande tendresse. "Vous ne faites que tenir la promesse que vous m'aviez faite." souffla-t-elle en plongeant son regard dans le sien. C'était devenu pour lui, le seul moyen de s'y tenir et de la sauver, afin qu'elle ne souffre plus de l'indélicatesse et parfois même de la violence de son mari. Cole semblait perdu. Il ne savait pas quoi faire du pouvoir qu'il avait entre ses mains, bien que le posséder lui procurait des sensations particulièrement plaisantes. C'est pourquoi il préférait se tourner vers Constance, lui donnant alors l'occasion de décider si son époux méritait de vivre ou de mourir. Un choix particulièrement lourd. Peter restait un homme, un homme à qui on pouvait retirer la vie à tout moment. La jeune femme restait longuement silencieuse. Elle n'avait pas perdu son humanité, elle ne trouvait juste aucune raison qui puisse lui faire ressentir une quelconque affection pour son mari. Dans leur vie intime, il ne faisait rien qui puisse se faire mieux voir, loin de là. A son tour, elle baissa les yeux. Elle ne savait que faire. "Pourquoi tout ceci doit-il être si compliqué ?" soupira-t-elle, en regardant ses doigts. "Pourquoi est-il si difficile d'être heureux ?" La loi était faite ainsi, le simple fait d'être une femme annulait tout ce qu'elle pouvait dire. Sans mari, elle n'était personne. Après un long moment de silence, elle reprit la parole. "Nous devrions nous laisser le temps, ne pas prendre de décision si hâtivement." dit-elle en prenant sa main. "Faites votre métier. Ni plus, ni moins. Vous aviez laissé comprendre qu'il aura des séquelles, même s'il respectera toutes vos consignes concernant son hygiène de vie. Et vous aviez bien dit que tels épisodes peuvent se réitérer. J'ose espérer que tous ces désagréments calmera ses... ardeurs, disons." Elle ne savait pas trop quels termes employer. "Je suis certaine qu'ils vous supplieront de passer régulièrement pour s'assurer que tout aille bien, nous pourrons nous voir à ce moment là." Constance colla son front au sien. "Je peux attendre encore un peu." souffla-t-elle avant de l'embrasser langoureusement.
Constance s'en donnait, du temps. Pendant des jours, elle s'accordait toujours un long moment pour y penser. La question que lui avait posé Cole trottait constamment dans sa tête. Elle, elle ignorait si elle pouvait vivre avec un mort sur la conscience, bien que ce soit le seul moyen pour elle d'être avec celui qu'elle aimait. Mais d'un autre côté, elle ne se voyait pas vivre ainsi jusqu'à la fin de ses jours. Le médecin semblait être sûr de lui en disant qu'ils allaient finir par se réunir, elle, elle l'était un peu moins. Elle le pouvait, et la décision lui appartenait désormais. Cole comptait sur elle pour l'aiguiller dans ses choix, pour décider de leur avenir commun. L'ampleur des responsabilités était immense pour elle. Catherine invitait régulièrement le médecin à dîner, et à rester pour la nuit. Elle ne cachait pas le fait qu'elle se sentait particulièrement rassurée qu'un docteur soit dans les murs. Il fallait admettre que Constance était heureuse de voir que la maîtresse de maison tienne autant à ce qu'Elwood reste pour la nuit. C'était une occasion de plus d'avoir un moment privilégié avec lui. Comme la fois précédente, elle attendait que la nuit tombe et que toute la maisonnée soit endormie. Ils n'avaient pas pu se voir depuis la fois où Cole lui avait posé cette question. La question. Elle ouvrit la porte dès qu'il se trouvait derrière. Elle savait qu'il était là. Ils commençaient à avoir l'habitude de se montrer particulièrement discrets. Elle le laissait entrer et verrouilla la porte derrière lui. Constance se blottit immédiatement dans ses bras et l'embrassait longuement. "J'ai l'impression que le temps s'éternise entre les fois où nous pouvons nous voir." souffla-t-elle au bord de ses lèvres. Ce n'était pas beaucoup de fois. "Je dois avouer que j'y prends rapidement goût." Elle esquissa un fin sourire. "De vos baisers, je veux dire. Votre affection, votre amour." Constance se blottissait contre lui, caressait son dos du bout des doigt. Elle avait conscience que tout ceci était considéré comme de l'adultère. Elle ne voyait pas cela comme tel. Et puis, ils n'avaient pas encore poussé le vice jusqu'au bout. "Ces derniers temps, je... j'essaie de m'imaginer ce que notre vie serait, si nous étions mariés." dit-elle tout bas, comme s'il s'agissait d'un secret. "Et plus j'y pense, plus je réalise que... C'est devenu mon voeu le plus cher. Mon rêve." Constance posait son front contre le sien, et se mordit la lèvre inférieure. La petite blonde soupira. "Mais je pense à ce que cela implique, à ce que vous m'aviez dit. Et cela soulève tellement... tellement de questions." C'en était parfois à s'en tirer les cheveux, tant Constance ne savait pas dans quelle direction regarder. "Comme... Est-ce que notre amour vaut la vie d'un homme, en dépit de tous ses vices et ses défauts ? Ou... Je me demande si moi, j'arriverai à dormir si... Si cela arrive." Elle baissait les yeux. "Et je n'arrive pas à trouver de réponses." Constance avait l'impression qu'elle n'arrivait pas à avancer. "Cela ne nous avance à rien, n'est-ce pas ?" Constance sourit tristement. "Pourtant... J'aimerais tellement vivre ma vie avec vous. Mais... Je ne sais pas, je... Je ne sais pas." Ne sachant que dire davantage, elle se blottit davantage contre lui et nicha son visage dans son cou.
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“Non, c'est eux.” C’était les Keynes qui corrompaient tous et toutes sur leur passage. C'était eux qui nourrissaient le pire en chacun. Et c'était eux qui poussaient Cole dans ses retranchements, à penser, dire, faire des choses auxquelles il n’aurait jamais songé auparavant. Empoisoner, torturer, tuer quelqu'un ? Lui qui avait tant de respect pour la vie, lui qui donnait de la valeur à la moindre plante. Néanmoins, il était trop aisé d’entièrement rejeter la faute sur la famille d'aristocrates. Tout cette démarche était l'initiative du médecin et de lui seul. Parmi toutes les solutions possibles, il ne fut capable de voir et d'appliquer que celle-ci. Ce n'était pas à cause d'eux qu'il avait plaisir à faire souffrir un homme. Même les Keynes ne tuaient pas. Alors valait-il toujours mieux qu'eux, ou était-il devenu pire ? Voilà que tout s'était embrouillé. Quelle différence entre ce qu'il voulait et ce dont il était capable ? Il rêvait parfois qu'il piétinait les tombes de cette famille toute entière, et il réalisait seulement que cela signifiait qu'il se voyait abréger leurs vies à tous, lavé de son crime par la pluie battante. Néanmoins, le choix ne lui appartenait pas entièrement. Constance trouva plus sage d'attendre, de ne pas choisir. Elle lui demandait de laisser son mari guérir, et simplement croiser les doigts. Alors elle se contenterait de voir le médecin lors de ses visites. Rien de plus. C’était une option que Cole désapprouvait, mais qu'il respectait, même amer. Il acquiesça, et par la suite, il n’alterna plus les poisons et les remèdes.
Bien entendu, Peter finit par être a nouveau sur pieds. Les visites de Cole au domaine s’espacèrent. À nouveau, Constance jouait trop bien l'épouse attentive à ses yeux, et même lorsqu'il ne souhaitait que se persuader qu'il s'agissait de comédie, l'anglais peinait à s'en convaincre. À vrai dire, il ne savait plus sur quel pied danser. Fidèle à sa parole, il acceptait les invitations à dîner et à passer la nuit au manoir. Et ce soir-là, il se rendit à nouveau dans la chambre de Constance en toute discrétion. Accueilli par un long baiser, son coeur s'allégea. Il serra tendrement la jeune femme dans ses bras et se laissa convaincre par l'amour dans son regard. Mais il lui suffit d'un mot pour lui donner le vertige, un mot pour tout remettre en question. La petite blonde les voyait déjà mariés, et lui n’avait tout bonnement jamais songé à la suite, à leur vie à deux -à vrai dire cela lui semblait de plus en plus improbable qu'ils puissent avoir un avenir, avec Peter vivant, qu'il ne s’était pas penché sur toutes ces hypothèses. Bien sûr qu'il le souhaitait, plus rien pour se mettre entre eux… mais le mariage ? À partir de ce mot, le reste des paroles de Constance n’avait plus la moindre importance. Il fut encore plus perdu qu'il ne l’avait été jusqu'à présent. Il ne tenait plus la jeune femme dans ses bras. Il était complètement absent. Il se revoyait rentrer chez lui un soir et trouver la maison vide. L'armoire, les placards, toutes les affaires de Laura envolées. Même les photos. Le moindre souvenir, la moindre trace. Il ne restait plus rien, au point qu'il aurait pu douter que son épouse eut existé un jour. Et il sentait son coeur exploser en morceaux à nouveau, toutes les plaies se rouvrir instantanément. Pris de panique, Cole recula. Il avait un soudain besoin d'espace, d'air. La gorge sèche, il lui fallut un moment interminable pour retrouver l'usage de la parole. “Pardonnez-moi, je… il n’a jamais été question de mariage jusqu'à présent.” Et il souhaitait tuer un homme dans quel but alors ? Évidemment, il était amoureux. Cole n’avait simplement jamais été plus loin que ce constat. Avoir une vie à deux… ce n’était qu'une suite logique. Se marier… “Je ne sais pas… je ne crois pas pouvoir me marier à nouveau. L-la première fois à été un désastre et…” Constance ne l’avait jamais interrogé à ce sujet, sûrement par pudeur. Elle ne savait pas. Elle ne pouvait pas comprendre. Elle ne pouvait pas même se mettre à sa place, elle qui croyait que le plus grand malheur méritant de se laisser mourir était d'être mariée à un homme qu'elle n'aimait pas. Elle n’avait rien vécu, elle n’avait jamais été aussi profondément blessée. Elle croyait encore au chausson de verre. Lui connaissait la sensation de marcher sur du verre, il connaissait le couteau et l'écume. “...vous n’avez juste pas idée…” murmura-t-il, la gorge serrée, de lourds souvenirs douloureux au bord des yeux. Tout cela n'était qu'une grande folie. Il n’était pas prêt, mais il aurait tué quelqu'un pour ce sentiment, pour elle, pour… il ne savait plus. “Je ne peux pas. Je suis désolé.” Cole continua de reculer jusqu'à la porte. Il trouva la poignée dans son dos et prit la fuite tel un courant d'air.
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Constance ne comprenait pas. Le médecin ne l'enlaçait plus, il commençait même à reculer de quelques pas, comme si elle le dégoûtait, d'une certaine façon. Elle ne voyait pas ce qu'elle aurait pu dire de mal, et elle s'en voulait énormément si elle s'était montrée trop maladroite ou trop avenante. L'espace d'un moment, il semblait ailleurs, partout sauf avec elle. Jusqu'à ce qu'il dise qu'il n'était jamais question de mariage. Elle avait l'impression qu'on venait de lui donner un gros coup de massue sur sa tête, et un coup de poing au niveau de son sternum. Elle se demandait pourquoi était-il prêt à faire d'elle d'une veuve s'il n'y avait pas de suite à leur amour. C'était une finalité, une suite logique. A moins qu'il espérait avoir une relation hors mariage avec elle ? Constance ne comprenait pas quelle suite il avait envisagé s'il avait mis fin aux jours de Peter. Mais il lui dit bien clairement que le mariage de ne faisait pas partie de ces options. Il n'y croyait plus. La petite blonde se trouvait alors bien stupide d'y avoir tant cru. Lui non plus, n'avait pas idée de la manière dont il l'avait blessé. Il lui aurait enfoncé un poignard droit dans son coeur, la douleur aurait été moins importante qu'elle ne l'était actuellement. Enonçant de très vagues excuses, il préférait prendre la fuite et laisser la jeune femme toute seule avec son coeur totalement brisé. Prise d'un vertige, Constance s'installa au bord de son lit. Encore bien trop hébétée, il lui fallut de très longues minutes pour exprimer son chagrin. Elle n'en avait pas dormi de la nuit.
Ce banc au milieu du jardin était devenu un lieu de prédilection pour les deux soeurs. Durant les journées ensoleillées, ils y passaient le plus clair de leur temps ensemble. Bien évidemment, Eleanor avait remarqué le changement d'humeur de sa petite soeur. Cela faisait des jours qu'elle ne disait plus rien. Elle voyait bien qu'elle retenait ses larmes, qu'elle déglutissait difficilement dans l'espoir d'avaler son chagrin. C'était inhabituel que la cadette Dashwood ne parvienne pas à maîtriser ses émotions et c'était à partir de ce moment là que sa soeur comprit que c'était loin d'être anodin, et que cela avait forcément un rapport avec le médecin. Constance ne voulait rien dire et elle le respectait, elle ne comptait pas la forcer à quoi que ce soit. Tout ce qu'Eleanor pouvait faire était être là, faire acte de présence et ne surtout pas la laisser toute seule, ou lui faire croire que c'était le cas. Il y avait même une après-midi où la plus petite fondait en larmes à ce même endroit. Eleanor l'avait prise dans ses bras et la consolait comme elle le pouvait, ce qui était bien difficile parce qu'elle ne savait pas ce qu'il s'était passé exactement. Elle n'avait jamais vu Constance être aussi malheureuse. Ce n'était absolument pas comparable à la période avant son mariage.
Le lendemain, Constance préférait s'isoler dans sa chambre. Elle ne faisait rien, elle regardait simplement dans le vide. Elle n'avait même plus le coeur à lire, le moindre mot étant susceptible de lui faire penser à Cole. On toqua discrètement à la porte, et son mari apparut. "Constance ? Puis-je vous parler ?" Elle acquiesça d'un signe de tête, s'attendant à des réprimandes à cause de son comportement de ces derniers jours. Parlant de comportement, celui de son époux avait sensiblement changé depuis qu'il s'était remis de sa maladie. Comme cette fois-ci, où il semblait particulièrement nerveux. Il s'installa sur le fauteuil qui se trouvait en face de celui où Constance était assise. Il réfléchit longuement avant de prononcer quoi que ce soit. Lui qui était un si beau parleur d'habitude semblait peiner à trouver matière à discourir. "Mère m'a dit que vous n'aviez pas quitté mon chevet, lorsque j'étais au plus mal. Je dois avouer que je n'en ai aucun souvenir. Elle m'a dit que vous y étiez resté jour et nuit, jusqu'à ce qu'elle vous ordonne de prendre soin de vous, en vous reposant." Il marqua une longue pause. Constance ne voyait pas où il voulait en venir. "Pour être tout à fait honnête, je ne m'attendais pas à autant d'attention et de tendresse de votre part. Tout simplement parce que... Je ne l'ai peut-être pas été suffisamment envers vous depuis notre mariage. J'ai tant à faire, et je dois avouer que je ne pensais qu'à ma volonté d'avoir un enfant. Et durant ma convalescence, j'ai pris conscience que je ne m'y prenais pas de la meilleure façon, avec vous." Constance était surprise qu'il mette l'espace d'un instant sa fierté de côté. "Je tâcherai d'être un meilleur époux, Constance. J'espère que vous saurez pardonner mes erreurs et ma maladresse." La jeune femme ne savait que dire. Elle ignorait même s'il était sérieux ou non, si elle pouvait croire en sa parole. Elle ne savait plus rien. Il se leva et s'approcha de la jeune femme pour caressa délicatement sa joue, bien qu'il y ait une certaine timidité, comme s'il n'osait pas se dévoiler – une tendresse qu'elle ne lui connaissait pas jusqu'ici. "J'aimerais tant vous voir sourire, à nouveau." souffla-t-il. Il l'observa quelques secondes puis quitta la chambre.
Alicia voulait une fête d'anniversaire particulièrement prestigieuse. Des musiciens, un délicieux dîner, un bal. Têtue comme une mule et déterminée comme jamais, elle en avait parlé pendant des semaines à ses parents jusqu'à ce que Christian finisse par céder. La petite Keynes savait parfaitement comment manipuler ses parents. Elle avait choisi la liste des invités, précisé ce qu'elle voulait comme repas, et tenait à porter la plus belle robe qui soit de la soirée, tout en gardant une certaine sobriété. A croire qu'elle voulait trouvait un juste milieu entre Constance et Eleanor. Elle s'était installée avec elles une après-midi. La seule présence que la cadette Dashwood acceptait était celle de sa soeur, et elle comptait partir mais Eleanor l'en empêcha, se disant que se montrer un peu plus sociale ne lui ferait pas de mal. Alicia ne parlait plus que de la soirée qui s'annonçait. "Le Dr. Elwood sera également présent, cela fait tellement longtemps qu'il n'est plus venu au manoir. Je m'en réjouis d'avance." s'enthousiasma Alicia. Le coeur de Constance s'arrêtait de battre pendant quelques secondes. Le simple fait de prononcer son nom mettait en miettes son coeur déjà bien brisé. Elle avait l'impression qu'elle saignait continuellement et qu'il n'existait aucun pansement suffisamment solide pour faire taire l'hémorragie. L'homme qu'elle aimait était aussi l'homme qu'elle ne comprenait plus. Elle avait tellement peur de le voir, de le voir fuir d'elle à nouveau comme il l'avait fait. Comme si elle était la peste incarnée, un fléau, un objet de dégoût qui le répugnait au possible. Alicia finit par partir. C'était seulement après que Constance se mit à pleurer. Eleanor s'y attendait. Elle la prit dans ses bras. "Tu ne seras pas toute seule, ma chère soeur. Je serai toujours avec toi." lui murmura-t-elle en embrassant ensuite sa tempe.
La soirée était effectivement à la hauteur des caprices d'Alicia. Tout le monde était élégamment habillé. Peter était venu voir son épouse peu de temps avant que la soirée ne commence, hâtif de voir la tenue qu'elle avait choisi, mais aussi pour lui offrir un discret bracelet serti de diamants. Alicia était ravie de cette soirée d'anniversaire. Elle ne se lassait pas de danser, d'enchaîner les pas et les morceaux. Les autres invités regardaient ces couples tournoyer au rythme d'une valse. Constance et Peter faisaient partie de ceux qui regarder, ainsi qu'Eleanor et Brentford. "Vous allez bien, ma chère ?" demanda Peter à son épouse. "Oui oui, je... Je suis simplement prise de quelques vertiges." souffla-t-elle avec un faible sourire. "Ca va passer." Elle l'espérait du moins. Mais la jeune femme ne se sentait plus bien dès qu'elle avait revu Cole. Elle préférait ne pas croiser son regard, ne pas avoir à le saluer. Tout ceci serait bien trop difficile pour elle. Il finit par être le cavalier d'Alicia pour quelques danses. Peter invita son épouse un peu plus tard, le temps que son malaise ne soit passé. Elle accepta volontier, se disant que faire une activité qu'elle aimait bien lui changerait certainement les idées. Mais le fait de tournoyer ne fit qu'empirer ses vertiges. Constance commençait à voir trouble, elle n'entendait plus rien. Elle s'évanouit sur la piste de danse, Peter parvenant à la rattraper de justesse dans sa chute. Par chance, ils se trouvaient sur le côté et non loin de la sortie. Il prit juste le temps de voir si elle respirait avant de la porter et de l'évacuer de la pièce le plus discrètement possible. Eleanor et son père ne tardèrent pas à les rejoindre. "Elle respire, mais elle ne revient pas à elle." dit Peter Keynes. "Elle est brûlante de fièvre." constata-t-il lorsqu'il passait sa main sur le front. "Je vais aller chercher le Dr. Elwood." dit le père Dashwood. Eleanor se disait que ce n'était peut-être pas une brillante idée que de faire appel à lui, mais ils n'avaient certainement pas le choix. "Il faut ouvrir un petit peu son corsage, elle respirera plus facilement." dit l'aînée en s'approchant de Constance pour s'exécuter. "Elle était prise de vertiges depuis le début de soirée, jamais je n'aurais du l'inviter à danser. J'aurais du me douter qu'elle était mal en point." "Vous devez désormais suffisamment la connaître pour savoir qu'elle minimise lorsqu'elle ne va pas bien. Vous n'avez rien à vous reprocher, Peter, personne n'aurait pu deviner qu'elle finirait par perdre connaissance." expliqua Eleanor en terminant de desserrer le corsage de sa petite soeur.
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“Cole, n’y allez pas !” Alicia, avec une force insoupçonnée, prit le bras du médecin puis s’imposa face à lui, déterminée à lui barrer le chemin. Elle n’avait ni pudeur, ni honte d’agir ainsi, de l’empêcher d’atteindre une personne qui avait visiblement besoin de lui. Tout simplement parce qu’elle n’y croyait pas, elle n’achetait pas, et cela se voyait dans son regard ; elle était convaincue que cela n’était qu’une supercherie, et elle était en colère, assez pour faire une scène devant tous ses invités. Cole tenta de passer outre, mais elle l’empêcha d’avancer avec la même véhémence. “Vous ne voyez pas qu'elle cherche uniquement à attirer votre attention ? Elle ne supporte pas de ne pas être le centre du monde. Et elle cherche à ruiner mon anniversaire !” L’homme soupira. Il n’avait aucune patience pour ce genre de caprices à cet instant. Que cette petite égoïste accuse une autre de son défaut ne l’étonnait pas, mais il n’achetait pas plus sa version des événements qu’elle ne donnait de crédit à ce qui se déroulait sous son nez. Ce fut donc parfaitement incrédule que Cole la força à s’ôter de son chemin et qu’il rejoignit le reste du groupe attroupé dans le salon. Ils avaient allongé la jeune femme dans un canapé. Celle-ci n’était toujours pas revenue à elle. D’un geste, le médecin réclamait que tous s’écartent. Il s’installa près d’elle et prit immédiatement mon pouls à son poignet. Une tension basse, mais qui ne l’alarma pas. “Constance, est-ce que vous m'entendez ?” demanda-t-il tout en posant une main sur son front afin de jauger sa température. Elle avait en effet de la fièvre. Encore une fois, Elwood demeurait calme. Il termina en lui ouvrant les yeux afin d’observer sa réaction à la lumière. Il ne constatait rien d’anormal. “Rien d’inquiétant à première vue.” dit-il alors qu’il serait plus juste d’affirmer que rien actuellement ne lui permettait d’effectuer un diagnostic. La fièvre pouvait bien tomber rapidement et sa tension reprendre un rythme plus soutenu d’ici quelques minutes. “Je vais la monter dans sa chambre.” Peter s’approcha afin d’offrir son aide, que Cole refusa fermement. Délicatement, il prit Constance dans ses bras et la porta dans les escaliers. On lui ouvrit la porte de la chambre, puis on lui ouvrit le grand lit. L’on osait rien dire lorsque le médecin se permit de la dévêtir jusqu’à ce qu’il ne reste que les dessous. Puis il la couvrit avec le drap. Il ne restait plus que lui et Peter dans la chambre. Celui-ci resta présent quelques heures avant qu’Elwood ne lui suggère d’aller dormir. La fête était terminée depuis longtemps. Constance paraissait simplement endormie. Ils avaient changé le gant mouillé sur son front régulièrement, mais il n’était pas plus qu’ils puissent faire. A part attendre. Peter avait encore un rythme de vie strict à suivre, néanmoins le stress pourrait être un facteur de crise. Lui aussi devait être reposé. Il lui conseilla également une infusion avant de se coucher, ce qui fut appliqué à la lettre. Cole demeura alors seul avec Constance. Il veillait, même somnolent. Il avait glissé une main dans la sienne, et il vérifiait son état de temps en temps, jusqu’à ce qu’elle se réveille. “Tout va bien.” lui assura-t-il tout bas. “Vous avez simplement perdu connaissance. Sûrement votre corsage était-il trop serré. Vous avez de la fièvre, mais nous essayons de la faire retomber.” Son ton était neutre, sa voix aussi douce que d’habitude, comme s’il s’agissait d’une patiente comme une autre. Leur dernière conversation, l’absence de nouvelles durant bien longtemps, avait fait comprendre à Cole que cela était l’unique statut de la jeune femme. Elle n’avait que faire de lui, en réalité. De ce qu’il avait vécu, de ses blessures, de ce qu’il voulait. Lui avait-elle seulement posé la moindre question ? S’y était-elle intéressée ? Non, elle avait déjà tracé son plan sans le consulter. Il n’était sûrement qu’un outil d’ailleurs. Lorsqu'il avait pris peur, elle n’avait rien fait. Il ne lui manquait sûrement pas. Elle ne le connaissait pas, comme n’importe qui d’autre sous ce toit. Alors c’était peut-être sous ce toit qu’elle avait sa place. “Votre époux était très inquiet. Je vais lui dire que vous êtes réveillée.” reprit-il en se levant de sa chaise au chevet de Constance. Il quitta la chambre et se rendit dans celle de Peter. Celui-ci dormait, mais Cole préférait qu'il soit bougon à cause du réveil plutôt que de se faire réprimander le lendemain pour n’avoir rien dit immédiatement. Il le réveilla doucement, et il ne suffit que de quelques mots pour que le Keynes saute de son lit pour rejoindre la jeune femme. Quant au médecin, il demeurait à sa place, à l'écart.
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Constance peinait à revenir à elle. Elle n'arrivait pas à distinguer qui était à ses côtés, qui tentait de lui parler ou non. Le médecin était rapidement intervenu, prenant dans un premier la pulsation cardiaque au niveau du poignet de la jeune femme tout en évaluant son état de conscience. Elle était incapable de répondre quoi que ce soit pour le moment, chaque parole prononcée était pour elle comme un écho lointain. Elle avait le tournis, encore d'affreux vertiges même en restant allongée. Des sensations bien désagréables. Cole décidé de la transporter de lui-même dans sa chambre. On pouvait manipuler la petite blonde comme si elle était un pantin. Il la déposa sur son lit que d'autres avaient pris le soin d'ouvrir et il n'éprouva aucune difficultés à dévêtir Constance jusqu'à ce qu'il ne lui reste que ses dessous. Elle sentait le gant froid posé sur son front, que l'on rafraichissait régulièrement. Bien qu'elle avait chaud, sentir le linge particulièrement froid à chaque fois sur son front était désagréable pour elle. Elle en frissonnait même, par moment. Le médecin avait glissé sa main dans la sienne. Immédiatement, Constance devinait que c'était lui, et sa présence l'apaisait au possible. Cela ne fut néanmoins pas suffisant au moment de son réveil, où elle ouvrit les yeux avec un certain sursaut, angoissée de ne pas savoir où elle se trouvait. Cole la rassurait immédiatement, lui assurant que tout allait bien. Il lui expliqua dans les grandes lignes ce qu'il s'était passé. Constance n'avait pas souvenir d'avoir plus serré son corset que d'habitude, elle doutait que son malaise vienne de là. En revanche, la fièvre restait inexplicable pour le moment. Bien qu'épuisée, Constance serrait la main de Cole dans la sienne. Le ton que le médecin employait était inhabituel. Il imposait une certaine distance entre eux. Comme si elle n'était que sa patiente, et lui, le docteur. Cela voulait en dire long pour la jeune femme. La manière dont il s'était éloigné d'elle, certainement avait-il eu peur d'elle et de ses idylles, la façon dont il se comportait désormais. Les larmes bordaient immédiatement ses yeux lorsqu'elle vint à cette discussion et Constance nourrissait l'espoir de profiter d'être peu seuls pour discuter de tout ceci, bien que le moment ne soit pas propice pour de tels sujets de conversations. "Non, non, non..." lui supplia-t-elle lorsqu'il se levait, bien décidé à aller chercher son époux pour le prévenir de son réveil. "Cole..." souffla-t-elle avant qu'il ne franchisse la porte, impassible. Il réapparut quelques minutes plus tard en présence de Peter, qui se précipita sur elle. "Vous m'avez fait une telle frayeur." dit-elle en embrassant à de multiples reprises sa main. Constance ne ressentait toujours rien. Elle regardait dans le vide. "Mais vous avez encore un peu de fièvre." dit-il en posant sa main sur sa joue. "Ca va passer." "Vous m'aviez dit la même chose lorsque vous aviez des vertiges plus tôt dans la soirée, voyez le résultat." rétorqua-t-il sèchement, certainement à fleur de peau à cause de la fatigue. "J'ai besoin de repos." "Vous avez raison." conclut-il en se relevant, l'embrassant sur le front en passant. "Je voudrais juste poser quelques questions assez... personnelles au Dr. Elwood, avant de me rendormir. Peut-on rester seuls un petit moment ?" lui demanda-t-elle. "Vous devez aussi vous reposer, pour votre propre santé." Peter acquiesça à tout ceci d'un signe de tête, avant de souhaiter bonne nuit à tout le monde et de fermer la porte derrière lui. Elle écoutait les pas de Peter devenir de plus en plus lointain puis tendit le bras en direction du médecin. "Approchez-vous..."lui suggéra-t-elle avec sa voix naturellement doucement. "J'espère que vous me pardonnerez un jour, Cole." La fatigue accentuait considérablement les émotions de Constance, ses yeux se bordèrent donc rapidement de larmes. "Je m'en veux terriblement de... D'avoir été si maladroite." La bouche de Constance était particulièrement sèche, sa voix tremblait aussi. "Mes... Mes rêveries n'ont pas que du bon. Elles sont plutôt même sources de discorde, et jamais je n'ai voulu vous blesser, ou... que sais-je." Elle sourit tristement et soutenir le regard de Cole devenait une épreuve particulièrement difficile. "Vous avez raison, je... Je n'ai pas idée. Je ne sais rien." Constance avait sa propre idée du mariage, elle en rêvait beaucoup. Il était vrai qu'elle s'imaginait être l'épouse de Cole devait être particulièrement plaisant. "Après ce que j'ai dit, après la manière dont vous êtes partis, dont vous aviez... préféré vous éloigner de moi, je... Je ne savais pas si je pouvais revenir vers vous. J'ignorais si... Je vous révulsais, par rapport à ce que j'ai dit." Cole restait toujours très évasif à ce sujet. Il n'aimait pas parler de son mariage, de son ex-femme, de l'enfant qu'il avait perdu. Constance se disait qu'il lui en parlerait dès qu'il se sentirait prêt. "Je ne suis désolée, Cole. J'ai été si sotte." Elle continuait de le regarder, de se rendant même pas compte que ses larmes avaient commencé à couler le long de ses joues depuis quelques minutes déjà. "Sachez juste que... Je vous aime. Et je vous aimerai toujours. J'ai juste peur... de vous faire du mal, à nouveau." Constance se disait qu'elle devait arrêter, toutes ces rêveries. Elles ne lui servaient à rien. "Je n'ai jamais osé vous demander ce qui a bien pu se passer avec votre ex-femme parce que, pour le peu de fois où vous l'aviez mentionnée, vous étiez si triste, comme si la plaie se réouvrait et saignait de plus belle. Je ne voulais pas vous faire de mal en vous rappelant des souvenirs qui vous blessent à ce point." Et ce n'était pas dans le tempérament de la jeune femme de forcer la main afin d'obtenir des informations. "Vous me manquez, Cole. Vous me manquez terriblement." Malgré la fièvre, malgré l'épuisement, elle voulait rester éveillée pour pouvoir discuter avec lui. "Je veux être là pour vous. Me rattraper. Dites-moi ce que je peux faire pour vous."
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Être dans la même pièce que Constance était insupportable. Il pouvait s'efforcer de se répéter qu'elle n'était qu'une patiente comme une autre, il demeurait une petite voix pour le rendre anxieux. Encore une fois il ne savait pas de quel mal souffrait une personne à laquelle il tenait. Une simple fièvre ? Cole avait appris à prétendre savoir ce qu'il faisait en face des malades et de leur entourage, qu'il devinait les maladies en un clin d'oeil, mais bien souvent, il était tout autant dans le flou qu'eux. Sauf que l'on attendait d'un médecin des solutions, pas plus de questions. Constance avait simplement perdu connaissance. Ce qui pouvait en être la cause, Elwood ne pouvait le deviner. Quant à la fièvre, il ne pouvait qu'espérer qu'elle baisse rapidement. Du reste, il n’était pas plus qu'il puisse faire ce soir-là hormis aller chercher Peter au réveil de son épouse. Et Cole souffrait de le voir se jeter de la sorte sur elle, s'écraser sur son chevet avec toute l'inquiétude dont il avait été victime pour elle. Car cela le rendait plus difficile à détester. Il demeura impassible, en apparence, face à cette scène, et feinta un léger sourire lorsque le Keynes quitta la chambre pour retourner se coucher, rassuré et l'esprit plus tranquille. Le médecin en aurait volontiers fait de même. Il n’avait aucune envie d'écouter ce que Constance pourrait avoir à lui dire pour tenter de se justifier ou se rattraper vis-à-vis de lui -car il avait conscience qu'elle n'était pas le problème dans ce qu'il s'était passé la dernière fois qu'ils s'étaient vus, contrairement à lui. Il ne voulait pas entendre d'excuses alors qu'il était fautif. Pourtant il approcha, comme la jeune femme le lui demandait, et il retrouva sa place auprès d'elle, lui cédant sa main. Silencieux, il écoutait, mais son regard s'était détourné afin de ne pas apercevoir les larmes qui roulaient sur les joues de Constance, et qui n’étaient que son oeuvre. Il avait fini par serrer sa main néanmoins. Il acceptait les excuses, les regrets, les mots d'amour, mais il était incapable d'y répondre à cet instant. Car tout lui rappelait Laura, la manière dont il l'avait perdue, et que sa gorge s'était serrée jusqu'à l'empêcher de respirer. Son regard rougi trouva celui de Constance et lui adressa un fin sourire triste. Malheureusement elle ne pouvait pas refermer les blessures à elle seule, elle ne pouvait pas faire tourner cette page, elle ne pouvait pas lui faire oublier… Il n’y avait que Cole pour se sauver lui-même. “Allez mieux.” murmura-t-il de sa voix étouffée. Ses doigts glissèrent de l'étreinte de ceux de la jeune femme. Il déposa un baiser sur son front chaud. Puis il laissa sa patiente a son tour. La chambre adjacente lui avait été aménagée afin qu'il ne s'éloigne pas trop. Et depuis l'autre côté du mur, Cole devinait la présence de la jeune femme.
Une nouvelle semaine s'écoula avant que Cole ne soit rappelé au manoir afin de s'assurer que Constance allait bien, ainsi que pour livrer les médicaments que Peter prenait régulièrement afin d’éloigner les crises. Celui-ci se sentait en bonne forme. Elwood ne pouvait s'empêcher de se dire que si les choses poursuivaient ainsi, bientôt la petite blonde porterait un petit Keynes. Il serait temps, alors cela ne saurait tarder. Peut-être était-ce déjà le cas. Et alors il serait forcé de tenir parole, de suivre cette grossesse, celle de l'enfant d'un autre. Quelqu'un comme Peter aurait alors droit à cette famille que Elwood avait perdue. Cela était sûrement égoïste, mais cela lui paraissait injuste. Néanmoins, le bonheur frappait souvent à la porte des autres, et lui observait cette herbe si verte par dessus la clôture. Arrivé dans la chambre de Constance, il n'effectua pas Immédiatement l'auscultation. Il ouvrit la fenêtre, se disant que tout le manoir manquait d'air, d'air pur. Puis il tira une cigarette de son étui et l'alluma au bord de ses lèvres. Ainsi passèrent quelques minutes de silence pendant lesquelles son regard n'était rivé que sur la lisière de la forêt, en bordure du domaine. Cet horizon lui inspirait un peu de courage pour la suite, et il sourit même en apercevant un nuage d'oiseaux s'envoler depuis les hauteurs branchages, tous en même temps, tous dans la même direction. Vers la moitié de la cigarette, il soupira, et enfin on entendit sa voix redonner tout bas. “Après la mort d’Annie, Laura et moi avons eu une période particulièrement… noire, et difficile. Nous aurions dû être présents l'un pour l'autre, être soudés, mais le parfait contraire a eu lieu. Nous nous sommes éloignés, de plus en plus. Nous ne nous parlions plus, nous ne nous regardions plus, nous sommes devenus des étrangers l'un pour l'autre.” L’on pourrait croire qu'ils avaient glissé sur cette pente avec le temps et à cause de la peine, mais il s'agissait du contraire ; ils avaient tout, puis ils n'avaient plus rien, et tout s'était brisé comme un vase tombant d'une table. Il n’y avait eu aucune transition, aucun entre-deux. “Laura a commencé à avoir une liaison, elle ne s'en cachait pas vraiment, et je n'étais pas contre. Je n’étais pas disponible pour elle, je n'avais pas envie de l'être, et elle avait besoin de quelqu'un.” C'était une chose que peu de personnes comprenait, se laisser humilier de la sorte. Mais l'ego de Cole n'était jamais entré en compte. Il avait pensé aux besoins de sa femme, et aux siens ; il voulait qu'on lui fiche la paix, qu'on le laisse se noyer, et elle voulait un partenaire pour se relever, toute la tendresse qu'il n'était plus capable d'offrir. Il ne voulait pas qu'elle souffre plus encore en étant privée de cela, en la condamnant à être aussi mal que lui par principe. Néanmoins, il était devenu évident que cette liaison avait finalement été un facteur supplémentaire de cette chute sans fin. “Pour ma part, j’ai passé des nuits entières au pub à laisser ma peine me tirer vers le fond et je suis rentré à la maison dans un piteux état tellement de fois. Plus que je ne m'en souvienne…” reprit-il en tapotant le bout de la cigarette, lâchant un peu de cendres à travers la fenêtre, le regard ne quittant pas le haut des sapins. Il n’était pas fier. De tous ces soirs où il avait perdu son chemin, où il avait fait le tour de la ville avant de retrouver sa maison, de ses vêtements imbibés, de son visage creusé par l’excès et l’épuisement ; de toutes ces nuits où il s’était fait honte, il ne trouvait pas même une bonne morale à en tirer. Il se pinça les lèvres. La déchéance n’était même pas la partie la plus douloureuse de ce récit. “Un soir, nous avons eu une dispute, plus grande que jamais, mais je ne sais plus pourquoi, j'étais encore alcoolisé. Peut-être parce que nous avions besoin de nous battre, nous étions à bout. Alors nous nous sommes battus.” L’un contre l’autre, plutôt que l’un avec l’autre, ils avaient concentré toute leur énergie dans cette guerre à chercher qui était le pire monstre des deux ; la réponse se dévoila d’elle-même lorsque la tête de Laura heurta le cadre d’une porte et qu’elle tomba, quasiment inconsciente. Là était la véritable honte. “Le lendemain, je suis revenu d'une consultation en ville, et la maison était vide. Complètement vide. Plus de Laura. Elle avait pris toutes ses affaires, les photos, toute trace de son existence entre ces murs. Comme si elle n’avait jamais habité là. Elle n’a pas laissé de mot, pas d'indice sur l'endroit où elle était. Son amant n’en sait pas plus. Et Charlotte, sa soeur, non plus.” Cole haussa les épaules, résigné, dépité et las. Il était l’homme que l’on avait laissé derrière. Quitté par son épouse, trop souvent accoudé au comptoir, titubant, continuant de glisser. Même si les années passées au manoir n’avaient pas été le splus brillantes de sa vie, Elwood avait conscience que sans l’opportunité que les Keynes lui avait offerte, il ne se serait peut-être pas sorti seul de la spirale dans laquelle il s’était jeté. Le domaine était en retrait des villes. Il n’avait plus le temps de penser à lui, d’écouter la peine. Il était devenu le personnage triste et lugubre qu’ils connaissaient. Au moins, il ne se consumait plus. Néanmoins, les plaies étaient encore là, béantes, et la honte, toujours aussi brûlante qu’un fer appliqué sur sa peau. “Elle est juste partie.” murmura-t-il, la gorge obstruée par l’émotion qu’elle contenait. Il ne parvint pas à prendre une dernière bouffée de tabac, alors il écrasa la cigarette sur le bord de la fenêtre et la jeta par dessus le balconnet. “Je n’ai pas été un bon mari.” conclut-il. Les circonstances n’excusaient rien, bien au contraire ; elles étaient parvenues à exacerber, à mettre en lumière des parties, des facettes de lui insoupçonnées. Il s’était révélé dans toute sa noirceur, et pour cela il avait mérité de tout perdre. Il lui était difficile de concevoir désormais qu’il était possible d’aller de l’avant. “Je ne m'attendais pas à aimer à nouveau un jour, je pensais que ma chance était passée. Je suis parti, la dernière fois, parce que… j'ai pris peur.” Car c’était ainsi qu’il agissait dès qu’il prenait peur ; Cole trouvait une issue, un moyen de fuir. Un comportement lâche pour un homme qui ne s’était jamais défini courageux. Il se dissimulait derrière tout ce qu’il trouvait, derrière le travail, les grands manteaux noirs, les longs silences. Cette distance entre lui et le reste du monde, il l’avait bâtie de ses propres mains. Mais il y avait une brèche, désormais, un brèche du nom de Constance.
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La petite blonde était incapable de décrypter le long silence du médecin. Elle qui s'en voulait tant, elle ne se sentait pas plus sereine en étant ainsi incapable d'interpréter ces regards fuyants, de son visage quasi inexpressif. Constance désespérait au fil des minutes, craignant que ce ne soit la fin de leur relation, de leur amitié et peut-être même de leur amour. Elle était un peu plus rassurée lorsqu'il accepta enfin de s'approcha d'elle et s'asseoir au bord du lit, prenant la main dans la sienne. Il ne se mit qu'à la serrer quelques minutes plus tard, au fur et à mesure du discours de la jeune femme. Celle-ci voulait tellement faire quelque chose pour lui, se sentant particulièrement fautive de cet éloignement. Mais la seule chose qu'Elwood demandait était qu'elle aille mieux, qu'elle guérisse au plus vite. Pour Constance, ce n'était pas une mince affaire. Elle tombait malade au moins une fois par an, le plus souvent en hiver. Une grippe, une grosse fièvre, des vertiges, c'était souvent les mêmes symptômes et ça la laissait clouer au lit pendant au moins une bonne semaine. Constance se maudissait d'avoir une si piètre santé, capable d'attraper un rhume au moindre coup de froid. Elle aurait aimé être plus comme Eleanor, qui avait toujours bonne mine et bonne santé. Solaire. Après l'avoir embrassé tendrement sur le front, Cole s'en alla sans dire davantage. Constance pouvait sentir qu'il était juste à côté et même si son esprit était brouillé et engourdi par la maladie, elle se disait qu'elle aurait adoré pouvoir l'embrasser et s'assoupir en restant contre lui. Mais ce n'était qu'un rêve. La semaine qui suivait était particulièrement mitigée. Il y avait des jours où elle allait mieux, d'autres où elle avait une nouvelle poussée de fièvre et quelques vertiges qui l'empêchaient de se promener à l'extérieur comme elle le voulait. Elle passait alors le plus clair de son temps dans ses appartements, à lire ou à somnoler, avec des visites régulières de son père et de son mari. Ce dernier semblait véritablement inquiet et malgré toute l'attention dont il faisait subitement preuve, Constance ne ressentait pas d'amour pour lui. Elle appréciait et était touchée par ce changement radical de comportement, mais cela n'effaçait en aucun cas la brutalité dont il avait fait prévu durant leurs premiers mois d'ébats. Cole venait la voir quelques jours plus tard pour l'ausculter. La jeune femme lui adressa un sourire, ravie de le voir – et se rendait compte qu'une semaine sans le voir était incroyablement long. Il ne dit pas un mot et se permit d'ouvrir la fenêtre pour aérer la pièce et fumer une cigarette par la même occasion. Constance s'était habillée et s'était assise au bord du lit. Elle le regardait, attendant qu'il dise quoi que ce soit. Il parlait alors de sa relation après son ex-femme après que leur fille soit partie dans un monde meilleur. Une relation désastreuse qui empirait de jour en jour. Un mélange de colère et de lassitude, l'adultère et l'éthylisme pour combler un vide qui ne cessait de s'accroître de jour en jour jusqu'à ce que tout dégénère. Constance découvrit par la même occasion que Charlotte était en fait la belle-soeur de Cole. La jeune femme se leva et s'approcha silencieusement de lui. Elle était encore un petit peu pâle, mais ça n'avait rien à voir avec la semaine passée. Elle glissa délicatement sa main dans celle de Cole et croisa ses doigts avec les siens. Elle l'attira un peu vers elle afin qu'ils s'éloignent de la fenêtre. La jeune femme était proche de lui et elle prit délicatement son visage entre ses mains pour pouvoir capter son regard. "Je vous comprends..." souffla-t-elle tout bas. "Et vous n'avez pas à justifier votre départ de la dernière fois, je suis tout aussi fautive." Dès qu'il voulait faire fuir son regard, la petite blonde trouvait le moyen de le capter à nouveau. Elle ne craignait absolument pas cette facette que Cole venait de lui dévoiler, bien plus sombre et sinistre que tout le reste. "Je n'aurai pas du autant m'avancer, sinon vous n'auriez pas eu si peur... Vous avez eu peur de moi, finalement. De moi, et de mes idées utopistes que j'aurais mieux fait de garder pour moi, comme un secret inavoué." La petite blonde caressait tendrement sa joue, ou ses cheveux. Elle savait qu'ils n'allaient pas être dérangés parce que personne n'osait perturbé une consultation avec un médecin et que Peter était parti ce jour là en ville avec les autres hommes de la famille pour des affaires. "Vous avez traversé tellement d'épreuves, Cole. Plus que beaucoup d'hommes en ce monde. Et pourtant, vous êtes toujours debout. Vous ne voyez peut-être que le pire de vous-même, que ce qu'il y a de plus négatif et vous pensez que c'est ce qui vous définit. Lorsque je vous regarde, moi... je vois l'homme dont je suis tombée amoureuse, ce médecin qui ne pense qu'à son prochain mais jamais à son propre bonheur, celui qui semble porter toute la misère du monde sur ses épaules, quelqu'un qui s'accroche à des promesses et qui tient à ses propres valeurs, ses propres principes. Et malgré toutes ces épreuves, Cole, vous êtes encore capable d'aimer, bien que cela nous ait tous les deux bien pris de court." Constance lui souriait, elle parlait tout bas comme si elle cherchait à soulager un peu ses maux. "J'ai bien conscience qu'il n'y a rien que je puisse faire pour panser ces plaies là, mais... sachez que je vous aime, que je n'aime que vous. Qu'importe ce qu'il se passera." dit-elle avec certitude et détermination. Il était fort probable qu'elle tombe un jour enceinte –elle espérait que cela tombe le plus tard possible parce que son avis sur la question n'avait toujours pas changé depuis qu'elle en avait discuté avec Cole. "Je veux être là pour vous, quoi que vous puissiez attendre de moi." souffla-t-elle au bord de ses lèvres. "N'ayez pas peur de ce qu'il nous arrive. Je crains déjà bien d'autres choses, et je n'ai pas envie d'avoir peur de ce que nous ressentez pour l'un l'autre, malgré les limites." Elle déposa un doux baiser sur ses lèvres. "Vous m'avez manquée." lui souffla-t-elle avant de reculer de quelques pas en entendant des bruits de pas dans le couloir, craignant que l'on finisse par ouvrir la porte pour une quelconque raison. Ils ne devaient surtout pas être pris sur le fait. "Vous devriez peut-être m'ausculter, Dr. Elwood. C'est la raison principale de votre venue, n'est-ce pas ?" dit-elle un peu plus fort, le regard amusé et le ton taquin.
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C'était un poids en moins sur les épaules du médecin. Des révélations, un récit qu'il n'avait jamais complètement narré à haute voix. Il laissait faire les on-dit, et cela ne le touchait pas -il n'avait pas besoin, jusqu'à présent, que qui que ce soit d'autre que lui sache la vérité, tout ce qu'il s'était passé suite à la mort de sa fille, tout ce qu'il avait gardé pour lui, secret inavouable, honteux, sombre. Il préférait de loin être perçu comme l'homme trop mystérieux, trop obscur, trop triste que l'on pensait qu'il était, plutôt que comme l'ivrogne exécrable et violent qu'il fut durant une courte période de sa vie. Il avait mérité d'être laissé sur le bas côté de la route, et Laura avait également mérité de reprendre sa vie en main, d'avancer, sans lui si tel était son choix. Malgré la blessure infligée, la peine, Cole ne parvenait pas à lui en vouloir. Il était attaché à une pensée qui régissait sa vie et sa perception des autres ; chacun faisait ce qu'il avait à faire. Et c'était ce que sa femme avait fait. Elwood n'avait pas de colère, pas de rancoeur. Uniquement de la tristesse. Et cette fidélité qu'il ne s'expliquait pas vis-à-vis de tous ces fantômes qui le retenaient dans le passé. Pour avancer, le temps viendrait. Peut-être était-il venu en même temps que l'arrivée des Dashwood en Angleterre. Le processus était long, perturbant, déstabilisant, effrayant pour tous. Ils n'auraient pas pu tomber sur pire timing, pire lieu, pire entourage. Toutes les conditions n'étaient réunies que pour un désastre, et sûrement pas une belle fin heureuse. Peter était toujours là. Cette bague au doit de Constance était là. Et les fantômes rôdaient. Comment pouvaient-ils accepter de se laisser aller à éprouver de tels sentiments alors ? Avaient-ils seulement le choix ? Pourraient-ils s'en empêcher s'ils le voulaient de tout coeur ? Le voudraient-ils un jour ? Cole commençait à croire que tout ceci n'était plus entre leurs mains. Qu'il y avait quelque chose de plus grand qu'eux pour régir tout ceci, et que si cela le voulait bien, alors les astres s'aligneraient favorablement. Ils étaient entre les mains du destin, et lui seul pouvait lier et délier les vies qui se croisent, s'entremêlent, se trouvent, se perdent. Le destin qui les avait déposés dans cette chambre, chacun avec leur passé, leur caractère, leurs défauts, leurs faiblesses, et chacun avec leur coeur entre les mains, offert à l'autre sans rien demander en retour. L'amour de Constance le dépassait, tout comme ce qu'il ressentait pour elle. Malgré son naturel craintif, Cole se sentait prêt à bien des folies pour demeurer auprès d'elle, de celle qui l'avait rendu vivant à nouveau. Prêt à n'importe quoi pour ces courts moments à deux, discrets, cachés. Ces baisers volés, ces mains qui se frôlent, ces regards complices, ces sourires malicieux. Dans l'ombre, dans les coins, ils avaient leur monde juste sous le nez des autres. Là où ils pourraient être découverts à tout instant, et arrachés l'un à l'autre. C'est pourquoi Cole répondit avec un simple sourire, mettant toute leur querelle derrière eux, lorsque Constance assura à quiconque passant dans le couloir que tout était normal. Il s'approcha d'un pas, puis prit délicatement son visage entre ses mains afin de l'embrasser tendrement. « Eh bien, en tout cas, ces lèvres m'ont l'air en pleine santé. » chuchota-t-il malicieusement, le regard pétillant à nouveau. Il rit légèrement. Le danger avait quelque chose de palpitant, néanmoins il était préférable de ne pas se faire prendre. « Trêve de plaisanteries, je devrais vraiment m'assurer que tout va bien. » reprit-il avec un peu plus de sérieux. Il invita la jeune femme à s'asseoir sur le bord du lit pendant qu'il sortait le matériel de sa mallette ; de quoi l'ausculter avec la précision permise par l'époque. L'examen fut de courte durée, la fièvre de la jeune femme avait baissé et aucun autre symptôme ne semblait s'être déclaré. A ses yeux, la maladie était passée. « Vous allez bien mieux, d'après moi. » conclut-il en rangeant ses affaires, lui-même rassuré par ce constat. Néanmoins, il craignait par dessus tout que ce vertige et cette fièvre soit le fruit d'un début de grossesse, un brin difficile, et frustrée autant par le corset de Constance que le stress de vivre au manoir. Il n'osait pas le mentionner, mais cette possibilité le hantait. « Peter m'a l'air assagi depuis quelques temps... » Cole reprit sa place à côté de Constance et prit l'une de ses mains. « Je suis heureux qu'il vous traite mieux. » La situation n'était pas idéale, mais elle s'améliorait pour elle, et cela était une petite victoire. Dieu seul savait si les changements qui avaient opérés sur son mari seraient durables. Cole ne pouvait que l'espérer. Il ne songeait plus à lui donner la mort lui-même, ayant bien compris que la jeune femme ne pourrait pas aussi vivre avec ce poids sur la conscience. Voyant le Keynes si attentionné envers la petite blonde, Elwood ne le pouvait plus non plus. Cette option n'était plus, à son plus grand désarroi. Il était tellement plus simple de mépriser Peter. « C'est au moins ça de gagné... » souffla-t-il avec un optimisme moins convaincu qu'il ne l'aurait voulu, et ressemblant finalement à une résignation à contrecœur. Cole soupira, et serra un peu plus la main de Constance. Il l'embrassa une nouvelle fois, profitant de l'instant autant que possible. Ses doigts se glissèrent à travers ses mèches blondes afin de poursuivre le baiser aussi longtemps que possible. Il était toujours de plus en plus difficile de se séparer, de se dire au revoir, jusqu'à une prochaine fois incertaine. Alors il goûtait ses lèvres, frôlait sa peau, partageait son souffle. Il s'imprégnait d'elle tout entier et chérissait les souvenirs où Constance n'était qu'à lui. « Je vous aime. » déposa-t-il dans un soupir au bord de la bouche rose de la jeune femme, envoûté et refusant de se résigner à partir encore une fois.