And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Plus une personne vieillit, plus elle atteint un extrême. C'était un constat que Cole tirait des nombreux patients, hommes et femmes, qu'il avait accompagnés dans leurs âges avancés. Ils mettaient le doigt sur leur trait de caractère principal, et ils tendaient vers celui-ci jusqu'à ne faire qu'un. Augustine avait été un exemple de générosité et de volonté toute sa vie, et c'était dans cette direction qu'elle allait au fur et à mesure que les années dessinaient des rides sur son visage. Mais il en avait connu des acariâtres qui se transformaient en monstres pour leur entourage, des passifs qui attendaient d'être couvés comme s'ils étaient des nourrissons à nouveau. Il avait vu des colériques mourir d'ulcères, des mélancoliques se noyer dans la dépression, et ceux qui n’avaient jamais baissé les bras, ceux qui se nourissaient d'espoir, retrouver l’amour et l'épanouissement nécessaires à une belle fin de vie. Elwood comparaissait souvent les hommes et la nature, il voyait les humains comme des arbres. Qui ne s'était jamais approché d'un grand arbre centenaire sans ressentir qu'une force s'en dégageait ? Quelque chose inspirant le respect, quelque chose qui permettait de savoir que cet être, végétal, était vivant. Comme les Hommes et l'âme qu'ils renferment. Et comme les arbres, les hommes grandissent, vieillissent. Leur peau, comme les troncs, se couvrent de sillons formés par le temps. L’expérience a solidifié leur caractère et leurs opinions comme l'écorce protège le coeur de l'arbre. Ils ont besoin de leurs racines et se raccrochent à leur environnement, ils en dépendent, ils sont forgés par lui. Plus le temps passe, plus ils s'épanouissent, plus ils deviennent ce qu'ils doivent être, ce qu'ils étaient dès le départ ; leur nature profonde. Même la flore tombe malade. Les fleurs, les fruits ne naissent plus. Elle pâlit, se flétrit. Elle meurt. Est-ce qu'ils oublient ? Voilà une question à laquelle Cole ne pouvait répondre. Quelque chose de complètement propre à l'Homme. “Impossible à dire, répondit-il à Constance, une fois sorti de ses pensées. Peut-être qu’elle ne se souviendra plus de votre nom à son réveil, ou peut-être qu'elle oubliera votre conversation demain, ou dans deux jours. C'est encore aléatoire.” Mais le médecin savait pertinemment qu'un jour, plus rien ne sera capable de s'inscrire dans la mémoire d'Augustine, puis plus rien ne pourra la stimuler. Un jour, elle ne se souviendra même plus de lui. Lui ne pourrait pas se résoudre à l’oublier, ni même à remplacer dans sa mémoire la femme qu'il avait connu toute sa vie contre celle qu'il avait soigné ces dernières années. Ou alors, il n’en garderait que le courage et l'humour. Il souriait en songeant à toutes les fois où la Lady l'avait encouragé à faire des études. Jamais n’y aurait-il été destiné si ce n’était grâce à elle. Allez savoir ce qu'il aurait fait de ses dix doigts et de son cerveau s'il avait été forcé de tirer un trait sur cette vocation qui l'appelait. Sûrement aurait-il été bloqué dans ce manoir dans tous les cas. Quelque part, qu'importe l'itinéraire, tous les chemins de vie le menaient ici. Il ne pouvait pas échapper à ces murs, il ne pouvait pas s'arracher à cette famille. Malheureusement, c'était sa place, et il s'y résignait un peu plus chaque jour. Comme s'il avait déjà vécu toute une vie avant, avec Laura, et qu'une fois ce chapitre clos, il entamait une seconde existence auprès des Keynes. Toujours prisonnier des souvenirs de ce qui fut, et qu'il avait perdu. Quand avancerait-il, et vers où ? Il ne le savait pas. Il avait cessé de regarder l'horizon. Il ne voyait que ses pieds. Il sentait la corde autour de son cou comme une chèvre au fond du jardin. C'était avec la plus grande et profonde sincérité qu'il espérait que la future mariée, la soeur de Constance, saurait se faire sa place ici, sans se perdre. Survivre en se préservant. Le plus important étant d'être capable de faire bouger les choses tout en sachant rester à sa place. La jeune Dashwood semblait absolument certaine qu’Eleanor n’avait rien à craindre des Keynes. Peut-être même le contraire, à vrai dire, et cela dit légèrement sourire Cole. Il se dit que si les deux soeurs étaient un temps soit peu similaires sur quelques points, alors la future Lady serait une présence plus que bienvenue pour apporter un peu d'oxygène à l'air du manoir. La solaire. Quant à Constance, le médecin devinait qu'elle repartirait à Boston après le mariage. A moins qu'elle ne se trouve un promis entre temps. Après tout, l’on dit souvent que c'est aux mariages que les futurs couples se trouvent.
Plus sombre désormais, Elwood porta à la lumière un sujet aussi secret que délicat. Il était bien la seule et unique personne avec qui Constance pouvait en parler et tenter de se décharger un peu. Il savait d'avance quel traumatisme secouait son esprit jeune et délicat. Il savait que les images qu'elle avait vues étaient dures, et les émotions intenses, marquantes. Il savait aussi qu'elle devait en parler, ne pas garder ses impressions pour elle. Bien vite, des larmes embuèrent ses yeux bleus puis roulèrent sur ses joues. “Ce n’est rien. Tenez.” D'un geste aérien, le docteur sortit un mouchoir de sa veste et le tendit à la jeune femme après avoir frôlé sa joue afin d'y essuyer une petite perle de peine sur sa pommette. “Si jamais cela vous tracasse, sachez que ce n’est pas de votre faute. Ça n’est la faute de personne.” Pas même celle de Kathy, qui s'est laissée terrasser par sa douleur. Pas celle de Wendy, qui ne l’a pas entendu s'effondrer sur le sol de la chambre d'à côté. Cela faisait partie de ces événements sur lesquels personne n'aurait pu avoir la moindre emprise. Un moment écrit de cette manière et qui n'aurait pu être autrement. “Tout cela ne vous arrivera pas, assura-t-il à la jeune Dashwood. Parce que vous ne serez jamais seule, à la différence de Kathy. Vous aurez toujours droit aux meilleurs soins, au meilleur suivi, contrairement à elle que je ne pouvais voir qu'une fois par semaine, et ce uniquement parce que quelqu'un payait pour elle.” Sans le soin que prenait le Lord, père de son enfant, à l'entretenir afin qu'elle demeure hors de sa vie et ne soit jamais tentée de le faire chanter une fois le bébé né -une stratégie intelligente consistant à contrecarrer le chantage avant même qu'il ne soit envisagé- la jeune femme n'aurait jamais reçu le moindre soin, le moindre suivi. “Elle a eu de la chance que nous soyons là. Dieu seul sait ce qui aurait pu se passer si nous ne venions qu’aujourd'hui.” À vrai dire, ils le savaient aussi tous deux ; elle serait morte, là, dans la plus terrible des souffrances, dans les pires conditions, tuée par son propre enfant, son propre corps. Et c'étaient là des images bien pires à s'imaginer que celles dont Constance avait déjà été témoin. “Nous avons fait au mieux.” reprit Cole. “Et vous devez pas avoir peur pour l’avenir. C’est un privilège qu’ont les gens comme nous, et dont ces filles sont privées. Nous vivons dans la sécurité.” Délicatement, Elwood se pencha vers la jeune femme et prit l'une de ses mains dans les siennes après avoir déposé sa cigarette dans le cendrier. Il captura également son regard sans l’y forcer. Il lui adressait un imperceptible sourire, doux et rassurant. “Vous n’aurez plus peur le jour où vous trouverez la bonne personne. Quand vous saurez que c'est le bon moment, dans votre coeur, et que tout ira bien.” Il savait si bien à quel point un enfant était le plus grand bonheur qui soit. À quel point le sourire d'un bébé pouvait illuminer toute une pièce, une vie. Ce n’était pas le genre de bonheur dont Constance devait se priver à cause de ce qu'elle avait vu. Il était persuadé qu'elle ferait une bonne mère d'ailleurs. “Si vous vous mariez à un anglais, vous aussi, et que vous ne vous éloignez pas trop, peut-être que vous m’autoriserez le privilège de vous suivre.” ajouta-t-il avec un large sourire cette fois, une partie de lui espérant que la jeune femme ne repartirait pas pour Boston afin qu'il ne perde pas une amie -et l'autre partie lui souhaitant d'être heureuse loin d'ici.
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Dernière édition par Jamie Keynes le Lun 22 Mai - 22:52, édité 1 fois
give me your love and physical affection, give me the worst of you to hold
Ce n'était pas pour rien que l'on comparait Eleanor au soleil. Elle brillait de mille feux quoi qu'il arrive, ne craignant nullement les nuages qui pouvaient assombrir le ciel. Elle s'en moquait, et restait passive, se disant qu'un jour ou l'autre, ces cumulus s'évaporeront et elle pourrait alors rayonner à nouveau. Elle n'allait pas se laisser empoisonner par la familles Keynes et tous leurs méfaits, elle ne se laissera jamais abattre par leur mauvais caractère, par ce côté malsain qui semblait être génétique, d'une façon ou d'une autre. Constance l'admirait beaucoup, elle trouvait qu'elle était capable de tout, elle avait toujours tout dirigé d'une main de fer tout en étant particulièrement juste. Il était certainement qu'elle ferait une mère merveilleuse. Et qui sait, peut-être qu'elle parviendra à épurer un peu le sang de cette famille en mettant au monde des enfants bien éduqués. Tout le monde admirait sa beauté, tout le monde était surpris par la force de caractère qui se trouvait derrière ses grands yeux verts. Deux émeraudes. Elle allait se donner les moyens d'être heureuse et parviendra à ses fins sans soucis. Eleanor n'appréciait pas faire de l'ombre à sa soeur, elle avait parfaitement conscience que c'était le cas et s'efforçait pour la mettre plus en avant. Mais Constance ne voulait pas l'être, elle aimait être un peu en retrait et ne demandait pas grand chose. Cela ne voulait pas dire que la benjamine était tout le temps passive, mais sa meilleure attaque restait l'ignorance. Il était bien rare qu'elle montre à sa capacité à rétorquer ou à recadrer. Elle encaissait beaucoup, et il y avait toujours des moments où elle avait besoin d'évacuer, le plus souvent par des pleurs durant une longue conversation avec son père. Il s'était toujours montré très à l'écoute. Certes, son travail avait une place importante pour lui et il avait de nombreux impératifs, mais rien n'était plus important que ses deux filles, pour qui il ne souhaitait que le meilleur. Il savait parfaitement comment chacune d'entre elles fonctionnaient, malgré leur tempérament foncièrement différent. Eleanor aurait certainement su garder son sang-froid, si elle avait été à la place de sa soeur, la veille au matin. Le médecin, dans toute sa bienveillance, se montrait alors prêt à l'écouter, n'hésitant pas à remettre le sujet sur la table. Il avait bien conscience que c'était quelque chose qu'elle ne pouvait pas garder éternellement pour elle, et il savait qu'il était de facto la seule personne avec qui elle pouvait se permettre d'en parler. Cole sortit un tissu propre de sa poche et essuya une larme avec avant de donner le mouchoir à la petite blonde. "Je... Je sais bien que l'on n'y peut rien." dit-elle en hoquetant. "Je trouve que... C'est injuste. L'on se donne tant de mal pour concevoir, pour porter un enfant, pour donner naissance, et que... Finalement, il ne verra jamais la lumière du jour. Cette toute petit chose." Au teint bleu, à la peau si froide, le corps encore souillé de sang et de liquide amniotique. Des images marqués au fer rouge dans l'esprit de la jeune femme. "Aucun parent ne devrait voir l'un de ses enfants mourir." Constance n'osait pas se mettre à la place de la jeune femme. La simple idée lui était insupportable. Le médecin voulait la rassurer et était bien sûr de lui en disant que cela n'arrivera pas à la jeune femme; elle était dans un milieu aisé et il était certain qu'elle allait être accompagnée par les meilleurs professionnels pour s'assurer que tout se passe au mieux. C'était un miracle que Kathy soit encore en vie. Sans Cole et Constance, elle ne serait plus de ce monde. La voix du médecin était particulièrement rassurante, douce, apaisante. C'était surtout son timbre qui calmait les sanglots de la jeune Dashwood, qui hoquetait encore de temps en temps. Elle avait mis en boule au creux de sa main le mouchoir qu'on lui avait donné un peu plus tôt. "Pour être totalement honnête avec vous, je ne suis vraiment sereine quant à l'avenir." lui confia-t-elle tout bas. "Eleanor est bientôt mariée, et j'ai également l'âge pour que l'on me fiancie. Je sais que mon père se montre particulièrement exigent pour trouver un gendre, mais je suppose que l'image n'est pas tout à fait la même, entre le visage que l'on montre en public et celui que l'on voit en privé." Constance entendait des choses, de près ou de loin. L'idée même de se marier lui faisait peur. "Ce n'est pas vraiment moi qui choisis, que ce soit la bonne personne ou non." Un léger sourire triste étira les lèvres de la petite blonde. Mais Cole ne voulait pas se laisser abattre malgré tout. D'ailleurs, son rictus à lui s'élargit bien plus franchement. La jeune femme était particulièrement touchée par la moindre de ses paroles, de toute cette bienveillance dont il lui faisait preuve. "J'adorerais que vous me suiviez, oui, le jour où ça arrivera." dit-elle, émue. Elle regardait la main de Cole tenir délicatement la sienne. Des petits détails qui mettaient en avant toute son humanité, sa volonté à à montrer qu'il était là pour elle. Constance se demandait si c'était bien lui, le vrai Cole, et non celui avec qui elle avait fait le trajet pour Londres la veille. Un léger sentiment faisait alors doucement son apparition. Etrange, c'était le premier mot qu'elle accordait à cette sensation, que ce ne fut pas très désagréable. En d'autres termes, on pouvait dire que la jeune femme tombait peu à peu sous son charme, touchée par autant de bienveillance et de gentillesse envers elle – et ce n'était pas de l'hypocrisie. Elle savait repérer le vrai du faux, la sincérité des mensonges pour faire bonne figure. Cole n'avait rien à perdre, rien à gagner, si ce n'était une amie, une alliée. Il fallait reconnaître que son physique était également loin d'être déplaisant. Constance l'observait longuement, avec un léger sourire aux lèvres. Seulement, elle était incapable de définir par un mot cette sensation alors toute nouvelle pour elle, même si elle commençait peu à peu à être perceptible."Je suis heureuse que vous soyez là." lui confia-t-elle tout bas. "Si ce n'était pas le cas, je pense que je me serais contentée de passer mes journées à la bibliothèque pour lire. Jamais je n'aurai pensé me rapprocher de quelqu'un par ici." Constance n'avait pas compté de sympathiser avec qui que ce soit. Elle se serait présentée aux dîners et aux divers événements, et resterait effacée, comme elle l'avait toujours été. Cela se serait fait bien naturellement, étant donné que la simple présence d'Eleanor la faisait oublier de tous les autres. Ca ne l'avait jamais dérangé. "Vous êtes un homme bien, Dr. Elwood. J'ai bon espoir que vous soyez à nouveau heureux, un jour." Parce que Constance avait bien deviné qu'il ne l'était pas. Il vivait au dépend d'une famille malsaine au possible. Il était nourri, logé et blanchi, mais cela ne faisait pas tout. Il n'avait pas de vie affective ou personnelle, il avait perdu sa femme et son enfant. Il était évident qu'il ne s'accorde aucun temps pour lui, chaque seconde de sa vie étant consacrée à Augustine depuis quelques années, sûrement. Il vivait pour son métier, comme tous les médecins. Ou plutôt, il utilisait sa profession comme prétexte, certainement. "Notre amitié a même été baptisé en faisant un plongeon dans le lac, ce n'est pas rien." remarqua-t-elle quelques minutes plus tard, en pouffant de rire en se souvenant simplement de ce moment là.
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Non, nul parent ne devrait survivre à son enfant. Aucun père, aucune mère, ni aucun aïeule ne devrait faire l'expérience de la perte d'un être tout jeune, avec tout l'avenir et son monde de possibilités devant soi. Qu'importe l'âge. Un jeune adulte que l'on envoie à la guerre ou à la mine et qui ne revient jamais, un enfant qui court après son ballon à travers la rue pleine de calèches, un tout petit qui tombe malade, un nourrisson qui n'ouvre jamais les yeux. La perte reste innommable, le vide, le gouffre, impossible à mesurer, et la peine, indescriptible. Tenir sa chair et son sang dans ses bras, sentir son corps mou devenir froid et rigide au fur et à mesure qu'une brise glaciale et mortelle s'empare de ses membres ; croiser son regard inanimé, sa bouche sans expression ; ne plus entendre sa voix, sa respiration, son coeur battre dans sa poitrine. Dire au revoir, adieu, et savoir qu'une fois le cercueil emporté sous la terre, une fois jeté dans le four du crématorium, jamais plus vous ne pourrez même poser les yeux sur sa figure, tenir sa main, passer vos doigts dans ses cheveux. C'était, aux yeux d'Elwood, l'épreuve la plus difficile qui puisse exister au monde. Un coup dont il semble impossible de se relever. Il n'était question que de se réadapter à cette vie. Amputé, non pas d'un membre, d'un bras, d'une jambe, mais d'une partie de son coeur, de son âme. Marcher, courir, voir, écouter, sentir, manger, penser ; plus rien ne peut être pareil après cela. Les couleurs ne sont plus les mêmes, les musiques, les desserts, les paysages. L'existence apparaît sous un jour nouveau ; fragile, triste, cruelle, et si éphémère. Et alors, le fardeau allant de paire avec le deuil, était cette envie constante de tomber à genoux et d'hurler à plein poumons toute la peine que vous ressentez à force de vous sentir écartelé durant chaque jour de votre vie, et le désespoir à l'idée que cette sensation ne vous quittera jamais. C'était tout ceci que le médecin concentrait dans les deux mots qu'il articula ; « Je sais... », soufflé du bout ds lèvres, le regard perdu vers le berceau vide dans ses souvenirs. Il se reprit, il le fallait bien. « Vous pouvez toujours choisir, répondit-il aux inquiétudes de Constance qui se voyait déjà être l'objet d'un mariage arrangé pour les affaires de son père, comme une marchandise que le troque pour la prospérité, car c'était malheureusement ainsi que le monde dans lequel il évoluaient était fait. Vous avez bien plus en votre pouvoir que vous ne le croyez. Mais pour cela, il faut vouloir le prendre. » Cela était certainement ce que Augustine aurait dit. Croire en soi, prendre sa vie en main, étaient deux mantras qu'elle poussait son entourage à suivre à la lettre. Elle avait souvent eu raison. Aujourd'hui, Cole était bien plus enclin à croire aux autres plutôt qu'en lui-même. Et il voulait être présent pour la jeune Dashwood, être son allier. Il avait décidé que les Keynes ne pourraient pas lui retirer cela, qu'ils n'en avaient pas le droit, eux qui avaient déjà tout de lui, et bientôt, tout d'elle. « Il faudrait pourtant que vous alliez vers eux. Que vous le vouliez ou non, ces gens vont faire partie de votre vie. Vous allez être de la même famille. Si vous souhaitez de la compagnie féminine, vous pouvez compter sur Alicia. Elle est un peu plus jeune que vous, mais elle a beaucoup d'esprit, et elle est toujours charmante. Janine est un peu lus froide et… réservée, disons. Elle a la langue bien pendue et fourchue, mais elle a des qualités. Elle a beaucoup d'humour par exemple, si l'on est sensible au cynisme. » Quant aux branches de la famille provenant de France et des Etats-Unis, Cole ne les connaissait pas et ne pouvait guère octroyer de conseils à leur sujet à Constance. Son principal conseil était de se tenir à distance des hommes Keynes. Il fut à la fois surpris et touché que la jeune femme se soucie de son bonheur. Habituellement, pareil commentaire aurait transformé de médecin en mur froid. Il n'aimait pas mentionner son état d'esprit, et il n'aimait pas être pris en pitié. Il faisait preuve d'une extrême pudeur lorsqu'il était question de ses émotions, de ses sentiments. Il ne les partageait pas, les montrait peu. « Je ne suis pas à plaindre. » dit-il simplement. Le docteur ne s'estimait tout simplement pas important. Il était un outil au service des autres. Cela rendait les journées moins pénibles et plus courtes. Cela lui donnait un but. « En effet, peut-être un bon présage. » répondit-il au sujet de leur chute dans l'eau la semaine précédente. Il eut un petit rire en revoyant la scène se dérouler sous ses yeux, et le froid de l'eau lui glacer les doigts de pieds. Il la renvoyait, trempée des pieds jusqu'à la tête, mais amusée par leur mésaventure. Cole, avec le recul, ne comprenait pas pourquoi Christian tenait tant à le maintenir éloigné de Constance. Certes, il n'avait pas été auprès d'Augustine durant un long moment et cela était impardonnable, mais à la réflexion, il lui semblait y avoir autre chose. Néanmoins, il était encore impossible de mettre le doigt dessus. Le brun prit une fine gorgée de whisky. Comme il l'avait déjà dit, il n'était pas un homme de conversation. Il avait eu de passions en dehors de son travail, il ne souhaitait pas mentionner sa vie privée, alors les sujets se faisaient bien rares pour alimenter une discussion. Puis il eut une idée, comme un test pour cette amitié. Un test afin de déterminer jusqu'à quel point Cole pourrait être lui-même en la présence de la petite blonde, et tout ce qu'elle pouvait entendre, comprendre, tolérer. Il voulait parler avec elle de choses dont il ne pouvait parler avec personne d'autre dans ce manoir depuis des années, mais pour cela, il devait savoir si la jeune femme lui rirait au nez. « Est-ce que vous êtes superstitieux, à Boston ? Est-ce que vous croyez à d'autres sciences ? Ou est-ce que vous êtes tous de grands pragmatiques ? » Les rues de Londres et de la campagne anglaise pullulaient de sociétés secrètes et de soit-disant magiciens. Un beau paradoxe pour une époque de progrès. Cole ne s'apparentait à aucun d'entre eux et n'avait pas la moindre prétention dans le domaine. Mais il avait lu des livres, beaucoup de livres, et s'était pris de passion pour certains sujets controversés, des sciences qui ne seront peut-être jamais reconnues, et des pratiques, des superstitions, tirées d'autres civilisations pour lesquelles il avait un grand respect ; les égyptiens qui furent les premiers à user de calculs savants, les chinois et leur médecine parallèle, les slaves et leurs légendes… « Augustine me demande parfois de lui tirer les cartes. Je crois que ça l'amuse. » reprit Elwood en tirant le tarot de la poche intérieure de son manteau, pendu non loin de lui. Il n'était pas voyant, et n'avait rien de ces vieilles femmes aux roulottes douteuses qui demandent de l'argent pour lire la bonne aventure. Cela l'amusait aussi, en réalité. « Ca ne prédit pas l'avenir, vous savez. Cela peut répondre à une question, n'importe laquelle, même très vaste. Et cela peut vous montrer un futur possible. Mais il existe de nombreux futurs. » Du bout des doigts, il battait les longues cartes superbement dessinées. Puis il les posa sur le guéridon entre lui et Constance. « Allez-y, coupez le paquet. »
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Au final, Cole restait un homme particulièrement mystérieux. Constance ne savait pas tant de choses sur lui à son sujet. Elle avait quelques éléments de son passé et de l'homme qu'il était, mais elle avait l'impression d'à peine le connaître. Après tout, ils ne se connaissaient que depuis très peu de temps. Mais elle avait remarqué que c'était intentionnel, qu'il n'en dise pas plus sur lui, sur sa vie. Peut-être par pudeur, ou peut-être pensait-il que cela n'avait aucune importance à ses yeux. Il pensait peut-être qu'il n'était pas digne d'intérêt. Les options étaient multiples et la jeune femme ne savait même pas laquelle était la bonne, elle n'en avait vraiment aucune idée. Il restait un énigme qui lui semblait impossible à résoudre, et cela avait un côté particulièrement frustrant, surtout s'il la considérait désormais comme une amie. Il tentait alors de lui apporter quelques conseils par rapport à son devenir, au mariage déjà quasiment tout tracé qui s'annonçait – il ne manquait plus que le prétendant. "Pour pouvoir avoir ce pouvoir, il faut une certaine force, Dr. Elwood." répondit-elle d'un ton particulièrement calme. "Et je ne dispose pas de cette force-là. Eleanor l'a, mon père aussi, et ma mère aussi, parce qu'elle avait pu se marier avec l'homme qu'elle aimait." Elle haussa les épaules. Constance était plutôt du genre à subir ce qu'on lui imposait de faire. La société avait toute une liste de règles à respecter, elle posait le cadre et les conditions, les droits et les devoirs. Eleanor se fichait bien de se donner bien plus de droits que d'autres femmes, mais c'était quelque chose de quasiment inconcevable pour sa jeune soeur. Cette dernière respectait les règles et n'en faisait pas outre mesure. Elle aurait pu grimacer lorsque Cole lui disait qu'il fallait qu'elle se rapproche des Keynes. Il espérait lui donner des pistes en mentionnant quelques noms, avec quelques traits de caractère, mais rien de tout ceci ne persuada Constance de faire un pas en avant vers cette famille. "Quel est l'intérêt de se rapprocher de personnes en qui on n'a absolument pas confiance ?" lui demanda-t-elle, afin qu'il comprenne l'appréhension pour approcher cette famille. "A quoi bon établir des relations qui ne seraient qu'au final des tissus de mensonge, juste pour faire bonne figure et faire comme si tout allait dans le meilleur des mondes ?" Constance n'accusait personne, elle ne pointait personne du doigt. Et elle se savait incapable de porter un quelconque masque. Elle voulait juste que Cole comprenne son cheminement. "Je ne pourrais pas passer toute ma vie à prétendre que je m'entends à merveille avec eux. Peut-être qu'un jour, ce sera le cas, mais je tiens à me fairre mon propre avis pour chacun d'entre eux. Là, tout semble aller, parce que le mariage approche à grand pas. J'attends de voir le comportement de chacun après la cérémonie." Constance était peu loquace, mais elle pensait énormément. Ses idées et ses pensées fusaient constamment dans son esprit, à chaque fois qu'elle écoutait une discussion ou apercevait des détails. Elle construisait ainsi peu à peu son avis et ses opinions. Peter voulait que ses filles soient douées de cette intelligence et de raisonnement logique, qu'elles ne se fient pas à la première impression. De plus, Constance ne savait pas encore si elle allait rester en Angleterre ou si elle retournerait à Boston. Dans ce dernier cas, elle voyait encore moins d'intérêt à se rapprocher de la famille Keynes. Cole posait ensuite une question pour le moins déroutante. "Je suppose que c'est propre à chacun." répondit-elle avec un vague haussement d'épaules. "Il y en a qui préfère croire que la science a réponse à toutes les questions posées, d'autres qui pensent que non. Mais je dirai que la majorité préfère se fier aux scientifiques. D'autres se passionnent des légendes des amérindiens, ce genre de choses." Elle sourit. "Je ne suis dans aucun des deux camps." affirma-t-elle. "Disons que... Je suis comme Saint-Thomas. Je ne crois que ce que je vois. Je pense que les scientifiques n'ont pas réponse à tout et que ce n'est pas plus mal que le monde garde une part de mystère... de magie même. Ca le rend tout aussi intéressant que lorsque les scientifiques font une découverte déterminante." Autant dire que Constance était particulièrement ouverte d'esprit, à condition qu'on lui avance des arguments. Néanmoins, l'inexplicable l'intriguait, la rendait particulièrement curieuse. Le bel homme récupéra alors de l'une des poches de sa veste un jeu de cartes de tarot. Elle trouvait cela surprenant, de la part d'un médecin, de disposer de ces cartes supposées être un peu divinatoires. Elle le regardait mélanger les cartes jusqu'à ce qu'il l'invite à couper le paquet. Un peu amusée, elle s'exécuta, bien curieuse de voir comment allait se dérouler cette séance improvisée. "Voyons si les cartes peuvent répondre à toutes mes interrogations, dans ce cas." dit-elle avec un sourire enthousiaste. La première carte tirée fut celle de la Lune. Une première surprise. Eleanor était toujours comparée au soleil, on jugeait Constance comme étant son opposé. Que cette carte soit la première à être sortie fut particulièrement déroutante pour la jeune femme. Avant même d'en avoir lu sa signification, elle lui correspondait déjà un petit peu. Apparemment, cette carte voulait dire que la réceptivité de Constance allait être décuplée, qu'il était possible qu'elle découvre des parties de sa personnalité qu'elle ne se connaissait pas encore. C'était aussi la carte du partage, intellectuel et affectif, qu'elle aurait un futur riche en rebondissements, et qu'il y allait avoir quelque chose d'inattendu dans son avenir amoureux. Il était aussi question de fécondité, et d'accouchement. S'en suivit la carte de la Tempérance, qui correspondait plutôt bien à la personnalité de la jeune femme : la tendance à contourner les obstacles, la douceur. Toujours un message d'un grand changement dans sa vie. "Avez-vous déjà tiré ces cartes pour vous ? Ont-elles déjà eu raison, ou ont-elles déjà répondu à vos questions ?" demanda-t-elle curieuse. "Les réponses restent tout de même très vastes, on dirait plus que ce sont des indices." Constance n'avait jusqu'alors jamais approché des jeux de cartes de ce type, c'était la première fois qu'elle avait eu droit à une séance de genre. "Ou bien peut-être qu'inconsciemment, une partie de nous fait tout son possible afin que ce que peuvent dire ces cartes deviennent réalité." Le sourire de Constance s'élargit, emballée par le fait que tout ceci nage dans un bain de mystère. "Je trouve ceci presque un petit peu excitant. On se demande si ce n'est que du hasard, ou si l'on cherche à s'identifier dans ces cartes, à voir ce qui peut nous correspondre. Ou... s'il y a effectivement cette petite part de magie que les scientifiques refusent d'en accepter l'existence." Constance regroupa les cartes et les mélangea à son tour. "Je dois avouer que cela me surprend de vous, que vous ayez ce jeu de cartes. On nous laisse croire que les médecins sont particulièrement cartésiens." Constance se mit à sourire avec une certaine tendresse. "J'ai toujours pensé que ce genre de détails prouvait que l'on était toujours capable de rêve. Comme mon père, il a toujours été très terre-à-terre, il s'est toujours raccroché à la réalité, surtout depuis le décès de ma mère, selon Eleanor. Mais il y a toujours une partie de lui qui accepte l'inconcevable, même s'il n'aime pas vraiment le montrer. On ne demande pas à un homme de son rang de rêver, après tout. Mais quand je l'emmenais dans mes propres fantaisies lorsque j'étais enfant, il s'y rendait bien volontiers, et je retrouvais cet éclat dans ses yeux, le genre de scintillement que l'on ne voit pas tous les jours. J'ai l'impression de retrouver un tout petit peu de cet éclat dans votre regard, lorsque vous m'expliquiez l'intérêt de ces cartes et ce qu'elles peuvent peut-être nous apporter." dit-elle avec un sourire."A moins que je ne me trompe totalement, et qu'en fait, ça ne vous fasse pas plus évader que ça." Constance avait toujours eu du mal à cerner les personnes, il ne serait pas surprenant qu'elle fasse à nouveau erreur.
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
"Vous avez votre propre genre de force, c'est certain." répondit Elwood, intraitable à ce sujet. Parce qu'il avait longtemps douté de lui, pour ne pas dire quasiment toute sa vie. Il n’était personne et il n’était destiné à rien. Plus jeune, il n'était pas plus intelligent que qui que ce soit, pas plus malin, pas plus charismatique. Il avait toujours été fidèle à cette nature discrète. Cette pudeur ne datait pas d'hier, de même que cette fâcheuse tendance à empiler les secrets. Il internalisait énormément d'émotions, de pensées, dont certaines n'étaient jamais destinées à être connues de qui que ce soit. Il n’était pas bavard, ni particulièrement drôle. Il avait peu de passions, malgré une grande curiosité. Il avait tendance à penser que c'était justement le surplus d'intérêt pour tout qui, finalement, ne laissait aucun sujet sortir du lot et rendaient sa conversation ennuyeuse. Il aimait se rendre transparent et être le témoin du cycle de la vie des autres. Et parce qu'il était celui que l'on remarquait en dernier, celui dont on ne se souvenait pas du nom après quarante-huit heures, il pensait valoir moins que le reste de ces gens qui avaient cette aisance à être que lui n'avait pas. C’est à travers tout ce que le temps lui fit vivre qu'il refusera de croire plus longtemps qu'il était dénué de force pour faire face. Une forve différente de celle des autres, mais cela ne signifiait pas qu'elle n’existait pas ou qu'elle ne valait pas autant. Néanmoins, puisque les hommes et les femmes se révèlent souvent à eux-mêmes dans l'adversité, Cole n’en voulait pas à Constance de ne pas encore avoir conscience de la force qui lui était propre. Elle avait encore le temps pour cela, tant de moments à vivre, de personnes à rencontrer, d'erreurs à faire. Comme celle de croire qu'il lui serait possible de passer tout un mois au manoir en demeurant à l'écart de la famille hôte. Bien que ses arguments soient justes, c'étaient ceux d'une jeune femme n’ayant l'expérience ni de la malfaisance des Keynes, ni de l'aristocratie de manière générale, ni des bienfaits d'un peu d'hypocrisie bien utilisée. "Eh bien, c'est ainsi que ce monde là est fait, d'apparences. Vous ne pouvez pas vous y soustraire. Ils n'ont pas besoin de savoir que vous n'avez pas confiance en eux. Néanmoins, ce sont des personnes importantes pour vous maintenant, pour votre soeur et votre famille. Ils ont de l'influence, un excellent statut. Qui sait quand est-ce que cela pourrait être utile ? Pas seulement pour vous, mais pour Eleanor, pour votre père, pour ses affaires ou celles de votre futur époux. Croyez-moi, c'est important. Si vous refusez de faire partie du portrait de famille, ils sauront vous en exclure complètement. Voyez à quel point ils considèrent Elisabeth comme une paria. Vous ne voudriez pas être à sa place, n'est-ce pas ?" Quasiment personne ne lui parlait, ni ne lui adressait un regard. Elle avait été invitée par courtoisie, pour l'image parfaite qu'ils se devaient de donner. Mais elle était une intruse, et subtilement, tous s'attellaient à le lui rappeler. Finir dans le même cas signifierait que la jeune Dashwood ne pourrait plus voir sa soeur, et le docteur doutait qu'elle fut prête à atteindre cet extrême uniquement pour défendre orgueilleusement la conviction qu'elle valait mieux que de faux sourires. Mais dans le cas contraire, eh bien, la jeune femme donnerait raison au brun en démontrant d'or et déjà un certain type de force. Malgré tout, son discours n’avait pas d'importance, se disait-il, et n'aurait pas d’impact sur Constance. Elle ferait comme bon lui semblerait quoi qu'il dise. Il devrait pas parler de cette manière d'ailleurs, il se trouvait presque trop autoritaire et un peu prétentieux de se croire en position de conseiller qui que ce soit. Il survivait ici à sa manière, qui n'était peut-être pas la bonne, mais celle qui lui correspondait. Et qu'importe le bien fondé de ses mots vis-à-vis de Constance, qu'importe leur bienveillance, ce n’était pas à lui de déclarer savoir ce qui était le mieux pour elle dans un domaine où il n'en savait pas plus. En vaquant d'un sujet à l'autre, il en aborda un où, au contraire, il se sentait bien plus dans son élément, et pourtant, cela n'avait rien à voir avec la médecine telle que le grand public et les académiciens en avaient la définition. Cole fut agréablement surpris de constater que Constance ne se montrait pas totalement réfractaire à l'idée d’aborder des thèmes moins pragmatiques que ce que la société enseignait et, à l'inverse, qu'elle condamnait. Cela se comprenait ; nombreux étaient les fanatiques qui devenaient les victimes de leurs dérives et semaient des cadavres sur leur passage en tentant d'expérimenter des techniques obscures. Elwood n’allait pas jusqu'à baigner dans ladite magie et n'était pas du genre à graver des pentacles sur le front de ses patients. Mais il avait ce jeu de tarot sur lui, et bon nombre de connaissances sur ces sujets. De cela, il ne se vantait absolument pas. La jeune femme était une privilégiée. Nul ne mettait un pied dans cet univers que Cole nourrissait seul. Constance coupa le paquet sans préjugé. Puis l’anglais tira la première carte qu'il déposa face à elle. La lune. Son petit sourire ne cherchait même pas à dissimuler sa satisfaction ; c'était ainsi qu'il avait caractérisé la petite blonde dès le départ, lunaire. La tempérance lui correspondait également. "Quelle était la question ?" demanda Cole par curiosité, néanmoins absolument rien n’obligeait la jeune femme à lui dévoiler les réponses qu'elle cherchait. De même, il n’en dit pas beaucoup sur son propre usage des cartes. "Je les consulte parfois. Comme vous dites, les réponses sont vastes, et libres d'interprétation. Je les utilise surtout pour prendre des décisions importantes. Ça peut sembler bizarre de se fier à des cartes pour ce genre de choses, je sais." Il existait une part de la population fascinée par ces pratiques. D'autres préféraient les démonstrations plus spectaculaires. Et d'autres encore voyaient dans ceux-là une belle bande d'aliénés. C'était pour cette raison que Cole ne prenait jamais part au débat et gardait la bouche close à ce sujet ; il ne tenait pas à défendre son point de vue devant les mauvaises personnes et se tourner en ridicule, voire ternir sa réputation. Il était ravi de constater que Constance n’était pas de ceux-là et qu'il pouvait parler librement -quoi qu'il pensait tout de même chacun de ses mots. "À mes yeux, plus l'on est scientifique, plus l'on est curieux. On se doit de l'être, et ne jamais se reposer sur ce que l'on croit acquis. Il faut avoir l'esprit ouvert." Cela signifiait d'accepter cette part d’inexplicable. Qu'est-ce que l'âme ? Qu’est-ce que l’inspiration ? Qu'est-ce qui provoque les impressions de déjà vu ? Qu'est-ce qui vous permet de finir la phrase de l'autre ? Qu'est-ce qui vous donne le sentiment de connaître une personne depuis bien plus longtemps que cela n’est le cas ? Un livre d’anatomie ne vous l'apprendrai pas. Cole se voyait plus comme un penseur que comme un rêveur. Ses pieds étaient bien sur terre. Il n'était pas en quête d'une autre réalité ; il prenait celle-ci et la tordait dans tous les sens possibles afin d'en découvrir chaque facette cachée dans toute leur complexité. "Ce n'est pas une manière de m'évader. Plutôt... de me rassurer. Mais j'imagine que c'est un peu la même chose." Constance cherchait la sécurité dans ses rêveries, lui dans ces connaissances ; ils étaient tous deux à la recherche d'un moyen d'avoir le contrôle sur une partie de leur existence, un jardin secret. Elwood croisa un moment le regard de la jeune femme. Il appréciait y avoir ce pétillement, cet enthousiasme. Il se sentait alors un peu moins seul, un peu moins vide. Il posa alors à son tour une question aux cartes, dans sa tête, et n’en tira qu'une qu'il ne dévoila pas à Constance. Le résultat l’amusa. Puis il remit la carte dans le paquet et rangea celui-ci dans sa veste. "Alors, la prochaine fois nous pourrons invoquer l'esprit de votre mère !" dit-il en exagérant l’enthousiasme qu'il feignait, mais ayant l'air fort sérieux malgré tout, laissant ainsi la jeune Dashwood dans l’incertitude concernant ses réelles intentions. Même son regard était ambigu. "C'est une plaisanterie." lâcha-t-il finalement avec un petit rire.
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Dernière édition par Jamie Keynes le Mer 24 Mai - 13:27, édité 1 fois
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Elle ne comprenait pas où Cole pouvait trouver en elle cette soi-disante force. Elle n'y voyait rien, elle qui était toujours effacée, qui n'avait jamais imposé quoi que ce soit. Elle ne voyait pas en quoi ses traits de caractère lui permettrait de devenir aussi solide que sa grande soeur, ou son père. Constance était certes douée pour certaines choses, mais pour la plupart, elle ne voyait pas en quoi cela pourrait l'aider. Mais le médecin était si sûr de lui en prononçant ces quelques mots. Mais cette certitude n'était vraisemblablement pas suffisante pour convaincre Constance. Pour elle, elle subirait, rien de plus. Sa passivité avait pendant un moment exaspéré sa soeur, qui avait fini par comprendre que cela ne faisait que partie de son tempérament. Elle n'était aussi pas très avenante, et ne semblait pas vouloir se rapprocher de la famille Keynes. Leur dureté lui faisait peur, à vrai dire. Et Cole la confronta à une triste réalité à laquelle elle devra faire face. En d'autres termes, elle n'avait pas d'autres choix que de se rapprocher d'eux. Toute cette hypocrisie l'écoeurait au possible. Elle venait de le dire au médecin, elle ne pourrait pas survivre en portant continuellement un masque. Son discours était quasiment fataliste, et creusa en elle une profonde tristesse. Une multitude d'émotions négatives ternit alors son regard, y retirant tout éclat pendant de longues minutes. Voilà que Constance se sentait prisonnière et Cole semblait se plaire à lui faire comprendre que c'était bel et bien le cas. Il ne semblait pas y avoir d'échappatoire, il n'y en avait plus eu dès lors que les fiançailles furent annoncées. Et ce n'était même pas elle qui allait être marié. Sans qu'elle ne s'en rende compte, de nouvelles larmes étaient venues border ses yeux, terrorisée à l'idée de ce qui l'attendait plus tard, après avoir franchi cette porte. Constance ne voulait pas de tout cela. Se murant dans son silence, elle baissa simplement les yeux. Non, elle ne voyait pas où Cole pouvait voir en elle une quelconque force. Au lieu d'en dire plus, le bel homme préférait parler d'un sujet bien différent que tout ceux abordés jusqu'ici. Il avait donc sorti ce jeu de tarot, alors qu'il admettait apprécier lire ces cartes, ne serait-ce que pour l'aiguiller dans les décisions qu'il avait à prendre. Constance avait tiré quelques cartes, étrangement similaire à ses traits de caractère. Curieux, le médecin aurait bien voulu savoir la question que se posait la jeune femme au moment où les cartes furent tirées. "Une question qui n'a pas vraiment d'importance, à vrai dire." dit-elle avec un sourire triste. Elle l'avait bien compris après ce que Cole lui avait dit plutôt – on se moquait bien de ce qu'elle pouvait penser réellement, à partir du moment qu'elle fasse bonne figure. C'était tout bête. Elle se demandait si elle allait aimer l'homme qu'elle allait épouser. La réponse semblait être relativement positive, mais au fond, ce n'était que des cartes. Cole gardait une certaine ouverture d'esprit malgré son métier, c'était tout à son honneur et fort respectable. Bien que le regard de Constance pétillait à ce moment là, cet éclat finit par s'éteindre quelques temps après, n'arrivant décidément pas à digérer cette lourde réalité qu'il lui avait fait comprendre. C'était pire qu'une épreuve pour elle, et elle allait devoir le faire malgré elle à contre coeur. Elle fut d'autant plus déroutée lorsqu'il parlait de faire appel à l'esprit de sa mère. Elle ne savait pas quoi répondre, et lui finit par dire que ce n'était qu'une plaisanterie. Un vague sourire étira ses lèvres. C'était agréable, de le voir rire, lui qui souriait si peu. "J'aurais aimé parler avec elle. Elle aurait été de bons conseils." dit-elle plus tristement, un peu plus tard. "Père essaie de faire au mieux pour que l'on s'y prépare, à tout ce qui nous attend, mais c'est plus difficile pour lui de se mettre à notre place. Cela aurait plus facile s'il avait eu un fils." Des conseils d'homme à homme, dirait-on. Et à côté, les conseils d'une mère à ses filles, ce dont Constance n'avait jamais pu avoir. C'était peut-être pour ça, que tout lui faisait aussi peur. Ses iris bleus fixèrent alors la porte de la pièce. Elle n'avait pas envie de prétendre aimer cette belle-famille, mais Cole lui avait fait comprendre qu'elle n'avait pas vraiment le choix, pour le bien de tous. La gorge serrée, elle déglutit difficilement sa salive. Ses yeux étaient à nouveau bien humides. "Je devrais peut-être vous laisser, vous avez sûrement bien d'autres choses à faire." dit-elle, gardant autant de contenance que possible. C'était la seule excuse qu'elle avait trouvé, sur le coup."J'ai passé une agréable après-midi avec vous." Malgré sa voix tremblante, Constance était sincère. Elle s'inclina légèrement avant de quitter la pièce. A peine la porte fermée derrière elle, elle se mit à sangloter. Comptant bien rejoindre ses appartements, elle commençait à marcher dans le couloir, ne s'attendant certainement pas à croiser Eleanor. "Constance ! Je te cherchais, je me suis dit que tu serais réjouie si je te montrais ma robe de... Constance ? Tu vas bien ?" dit l'aînée en s'arrêtant dans sa marche, regardant sa soeur s'approcher d'elle en larmes. "Pas maintenant, Eleanor, je ne me sens pas très bien." dit-elle en passant à côté d'elle sans même la regarder. "Que se passe-t-il ?" demanda Eleanor, inquiète. Constance s'arrêta et retourna ses talons uniquement pour lui répondre un tissu de mensonge. "Rien, tout va bien, je t'assure. J'ai juste besoin d'être un peu seule." Et elle reprit sa marche, laissant là, Eleanor et sa mine fort soucieuse. Lorsque l'aînée Dashwood se retourna, elle vit le médecin. "Que s'est-il passé ?" lui demanda-t-elle. Eleanor ne l'accusait absolument pas, elle cherchait simplement à comprendre pourquoi sa jeune soeur semblait être si bouleversée.
"Constance, il est bientôt l'heure de dîner." dit Peter à travers la porte, en toquant sur le bois avant de se permettre d'ouvrir la porte. La jeune Dashwood était allongée sur le lit, éteinte. "Eleanor m'a dit que tu n'allais pas très bien." Il s'installa au bord du lit et invité Constance à faire de même. "J'ai bien conscience que tous ces... changements te perturbent, et que rien de tout ceci ne soit facile pour vous deux, mais c'est un mal pour un bien. Le comprends-tu, Constance ?" Celle-ci acquiesça vaguement d'un signe de tête. "Je ne veux pas te bousculer, et je sais que c'est beaucoup te demander. Mais même si j'apprécie ta passion pour la lecture, pour notre bien à tous, il faut que tu laisses un peu tes livres de côté et que tu fasses plus ample connaissance avec les Keynes. Peut-être que tu trouveras dans cette famille une personne que tu pourrais apprécier. Mais tu ne peux pas rester enfermée dans ton silence ou t'isoler à longueur de journée." Constance avait l'impression d'être sermonnée une deuxième fois, cela l'attristait davantage. "Je ne te demande pas d'oublier la personne que tu es, juste de t'ouvrir, faire en sorte que tu ne sois pas exclue. Nous en avions déjà parlé, t'en souviens-tu ?" Constance acquiesça d'un signe de tête, la gorge serrée, les larmes coulaient déjà le long de ses joues. Peter n'avait jamais aimé être la cause des pleurs de ses filles, cela lui brisait le coeur à chaque fois. Mais il fallait qu'il la rappelle à l'ordre. "Et je sais que tu en es capable, que tu as cette force en toi." Quelle force ? Constance secoua négativement la tête et sanglota dans le plus grand des silences. Il la prit alors dans ses bras et déposa un baiser sur sa chevelure blonde. "Sois-le, Constance. Il le faut. Fais le pour ta soeur et moi."
Le dîner s'était passé sans encombre, Constance s'était montrée un petit peu plus loquace que d'habitude. Mais elle ne tarda pas à aller se coucher, ne voulant pas s'attarder de trop non plus. Elle avait le coeur encore plus lourd que la veille et ne parvint qu'à dormir une poignée d'heure, ce qui était largement insuffisant pour elle. Le lendemain, réjouie qu'elle ait accepté de prendre le thé au soleil avec les autres dames présentes, Eleanor avait aidé sa soeur à choisir bijoux et accessoires pour cette nouvelle journée ensoleillée. "Tu verras, ce n'est pas si mal que ça, elles sont plus gentilles qu'il n'y paraît." dit l'aînée sans cacher son enthousiasme alors qu'elle se plaisait à réajuster la coiffure de Constance. En effet, Catherine fut particulièrement ravie de voir la plus jeune Dashwood être de la partie et elle l'accueillit chaleureusement. "Je dois avouer que j'aime énormément votre robe, elle vous va à ravir, Constance." lui avait-elle même dit, après s'être installée sur la chaise. Constance se trouvait à côté de sa soeur et d'Alicia, avec qui elle échangea un sourire discret. Contre toute attente, Augustine semblait vouloir également être de la partie, en compagnie de son médecin. L'on demanda alors de rapporter tout le nécessaire pour eux : chaisese, tasses et autre vaisselle. "Quel temps radieux !" s'exclama Augustine, apparemment ravie d'être avec cette belle compagnie pour l'heure du thé.
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Comme dit précédemment, Cole n’était pas particulièrement amusant. Il s’essayait rarement à l'être, faisant choux blanc la majeure partie du temps. Peut-être était-ce parce qu'il avait tendance à user d'un humour noir auquel peu de gens étaient sensibles. Du moins ne l'étaient-ils pas face à un médecin, et ne comprenaient-ils pas comment celui-ci pouvait l'être. Après tout, l'homme chargé de la santé de ses pairs pouvait-il ainsi en rire ? Pouvait-il utiliser la mort comme trait d'humour tandis qu'il avait lui-même perdu son enfant ? En acceptant pareil carcan, Elwood ne serait que plus lugubre qu'il ne l'était déjà. Car si la médecine et la science étaient des rares sujets de conversation, ils étaient également ses rares thèmes de plaisanterie, et sans cela, le pauvre homme n’avait décidément plus beaucoup d'occasions d’ouvrir la bouche. Constance parut insensible à ce trait d'humour qu'il savait être maladroit. Il est propre à chacun d'être prêt ou non à rire à la perte d'un proche, et si quiconque s'y risquait auprès de lui, l'accueil ne serait pas meilleur que celui de la jeune femme. Habitué à ce genre de résultat, il ne s'en formalisa pas et laissa la jeune Dashwood faire dévier le sujet. Même trop jeune pour avoir des souvenirs palpables de sa mère, elle pouvait en revanche en ressentir le manque. Un père, même en se donnant tout le mal du monde, ne pourrait jamais remplacer la présence féminine dont a besoin une petite fille. Il pouvait la considérer comme une princesse, il ne pourrait jamais la comprendre et répondre à ses questions aussi bien qu'une mère. Cela lui parut moins vrai lorsqu'une mère était le parent célibataire, et ce grâce à leur empathie naturelle, décuplée par le contact avec leur progéniture pendant les neuf mois de sa formation -ce lien symbiotique qui ne s'éteignait jamais vraiment. Ainsi Cole était convaincu que les mères étaient les clés de l'équilibre familial, tandis que les pères faisaient de leur mieux pour remplir leur rôle de protecteur. « Ca n’aurait pas été facile, dans aucun cas, je pense. » répondit-il, sans le moindre savoir empirique à ce propos, mais songeant qu'il n’était simple pour aucun parent de devoir faire des choix importants au nom de ses enfants concernant leur propre existence. C'était une immense responsabilité qui incombait les parents. La moindre erreur pouvait causer d'irréparables dégâts non seulement sur leur fils ou leur fille, mais sur tout le reste de la lignée. Cole ne put expliquer pourquoi le regard de Constance était si humide depuis de longues minutes. Il présumait qu'il s'agissait de l'évocation de sa mère qui rendait la jeune femme à fleur de peau et il espérait ne pas être à l'origine de ce chagrin. Son coeur de serra soudainement lorsque la jeune femme fit comprendre son souhait de le laisser seul. « Vous partez ? » Non, le médecin n’avait rien de mieux à faire. Sa mission était de veiller sur Augustine, et celle-ci n’aurait pas besoin de lui avant un moment, happée dans un profond sommeil. Et en attendant, Elwood ne pouvait qu'attendre, être constamment à disposition, au cas où. En veille. La petite blonde était néanmoins déterminée à écourter leur après-midi, malgré des paroles complaisantes dont il ne parvint pas à estimer la sincérité. Peut-être parce qu'elle dissimulait son visage, mais que sa voix tremblait. « Constance ? » Cole rattrapa le battant de la porte avant que celle-ci ne claque, mais il n’osa pas aller plus loin et empêcher la jeune femme de partir. À la voir réclamer un moment seule auprès de sa propre soeur, il comprit de toute tentative de la retenir ne ferait qu’empirer les choses. Eleanor fut aussi décontenancée que lui face au comportement de la plus jeune des Dashwood. Ce qu'il s'était passé, pourtant sous ses yeux, était un mystère. “Je n’en sais rien…” admit-il tout bas, désolé, sans savoir de quoi.
Cole demeura discret. Il reprit son travail auprès d'Augustine, ce qui s'apparentait le plus souvent à lui faire de la compagnie mais cela ne lui déplaisait pas vraiment dans la mesure où la vieille femme était le seul membre de la famille avec qui il prenait plaisir à passer du temps. Certes, il appréciait également Alicia, mais il estimait qu'ils étaient bien trop différents l'un de l'autre pour qu'ils puissent être proches un jour -ce qui faisait bien de la peine à la jeune femme sans que le médecin en ait la moindre idée. Elle faisait partie des solaires, et lui, des lunaires. Malgré cela, elle lui glissait un mot aimable dès qu'elle en avait l'occasion, lui souriait ou tentait de le faire parler, de lui, de tout ce qui pouvait l'intéresser, et elle se faisait attentive, sensible à ses paroles. Mais à chaque pas vers lui, Cole effectuait un pas en arrière. La cadette Keynes fut alors plus que ravie de voir le médecin se joindre au petit groupe pour prendre le thé, même s'il ne s'agissait pour lui que d'une extension de ses obligations ; il allait où Augustine allait. Néanmoins il ne se permit pas de s'installer autour de la table où des femmes uniquement s'étaient réunies et tira une chaise un peu plus loin. Il trouva un journal et cela suffit à le distraire le temps que ces dames fassent la discussion. Il fut étonné d'entendre la voix de Constance de temps à autres. Le mariage, qui devait avoir lieu dans deux jours, était bien évidemment au coeur de la conversation. La veille, les hommes partiront pour leur partie de chasse, et Cole était bien heureux d'en être dispensé. Ensuite, à ses yeux, le mariage ne serait qu'un long et pénible moment à passer durant lequel il lui faudra se montrer plus sociable que jamais, dans l'espoir de se lier à certains invités ; ainsi, après le décès d'Augustine, peut-être y aurait-il parmi eux sa porte de sortie, son moyen de s'échapper du manoir et des Keynes en allant s'occuper d'autres riches patients ailleurs. Un espoir qu'il ne nourrissait pas outre mesure. Les Keynes, la future Keynes et la petite Dashwood finirent par se séparer. Augustine avait été d'une impressionnante endurance, mais elle réclamait désormais un moment de calme. Cole l'invita à se rendre dans la bibliothèque, puis il la rejoindrait plus tard afin de lui faire la lecture. Avant cela, il attendit un long moment que la petite blonde soit libre afin qu'il soit opportun de lui parler. “Constance…” Malgré la discrétion de son murmure, soufflé avant qu'elle ne puisse quitter la pièce où il n’y avait désormais plus qu'eux deux, elle se tourna vers lui. Il croisa son regard bleu et baissa subitement le sien, nerveux. Il n’osa pas approcher, s'imposer. Si elle avait de la rancune vis-à-vis de lui pour une raison ou une autre, si elle souhaitait à nouveau le fuir, il ne voulait pas qu'elle le trouve trop insistant ou envahissant -ce qu'il n'était absolument pas de nature. “Je vous ai offensé d'une quelconque manière, je suis désolé.” dit-il lorsqu'il osa à nouveau lever les yeux vers elle. À ses yeux, cela était la seule explication de son comportement de la veille. Il n’avait pas besoin de comprendre comment ou pourquoi, cela n’avait pas d'importance, sauf si la jeune femme estimait le contraire. Ce qui importait, c'était qu'elle avait soudainement préféré quitter sa compagnie, ce qui signifiait qu'il avait fait ou dit quelque chose de mal, et qu'il devait faire amende honorable s'il ne voulait pas risquer de perdre une amie une nouvelle fois. “Je ne sais pas comment me faire pardonner.” souffla-t-il. Il laissait ainsi à Constance le choix de lui dire comment se rattraper, ou de ne pas le faire et partir. Il s'en voulait, depuis la veille, malgré l'habitude qu'il avait de susciter ce genre de réaction, tel un chat noir ou un miroir brisé. La fuite.
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Dernière édition par Jamie Keynes le Dim 28 Mai - 16:10, édité 1 fois
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Parmi les femmes présentes, et hormis sa soeur, Constance ne savait pas à qui se fier. Elle n'allait certainement pas s'ouvrir et parler d'elle aisément, d'autant plus que personne ici ne lui inspirait véritablement confiance. Le fait que l'on se concentre avant tout sur Eleanor l'arrangeait bien et elle faisait de son mieux pour ne pas être totalement muette durant ces longues conversations concernant cette union. Il y avait une certaine excitation durant la discussion, c'était un événement heureux après tout. Constance savait qu'elle devait bien s'en réjouir d'une manière ou d'une autre, mais les échanges avec Cole et son père ne lui avaient fait que comprendre qu'il s'agissait avant-tout d'un emprisonnement. Elle se demandait alors bien ce qu'elle allait devenir une fois la cérémonie passée. Eleanor allait bien être occupée à être une épouse Keynes, puis une femme enceinte et enfin une mère. Constance s'était déjà faite à l'idée qu'elle n'aurait plus vraiment le temps d'être une soeur, en quelque sorte, même si ce n'était pas vrai. Même si elle appréciait d'habitude ce moment, l'heure du thé lui semblait interminable. Ou sinon, ses yeux se rivaient sur Augustine, qui était on ne peut plus radieuse et ravie de faire partie de la bande et de s'y sentir inclus, bien que cela semblait l'épuiser au fil du temps. Il n'y eut qu'un bref moment où son regard bleu se posait sur Elwood, bien occupé à faire autre chose, mais toujours prêt à répondre aux besoins et aux demandes de sa patiente. Au bout d'un moment, les Keynes finirent par quitter la pièce, décrétant la fin de ce moment supposé être agréable. Constance se leva également mais préférait attendre que tout le monde soit sorti afin de ne pas être mêlé à la masse d'une quelconque manière. Eleanor s'approcha d'elle et lui prit délicatement les mains. "Nous devrions passer un moment toutes les deux, et rien que toutes les deux, demain. Même si l'on me pressera pour les derniers préparatifs du mariage, je n'en ai cure, j'ai envie d'être avec toi." lui souffla-t-elle tout bas, avec un sourire conciliant. "Parce que ce sera le dernier ?" Du moins, pour elle, cela sonnait tout comme, et cela ne faisait que l'attrister davantage. "Bien sûr que non. Ce n'est certainement pas un mariage qui va m'empêcher de passer du temps avec toi, voyons. Ni même un bébé, dont tu seras une tante merveilleuse, à n'en pas douter." Elle rit doucement en replaçant une mèche de cheveux de sa soeur derrière son oreille. "Nous en avions déjà parlé, je t'avais promis que je ne te lâcherai pas Constance. C'était une promesse que je t'ai faite, tu te souviens ?" lui souffla-t-elle tout bas avec un regard tendre. "Et je compte bien m'y tenir. Il me tarde d'être demain. S'il fait toujours aussi beau, nous pourrons nous isoler dans un coin du domaine, avec un pique-nique. Peut-être que tu me diras ce qui ne va pas, et ce qui va aussi, par la même occasion. Je n'aime pas te voir si malheureuse." Eleanor en avait vaguement parler avec leur père, qui lui avait expliqué la discussion qu'il avait eu avec la plus jeune des Dashwood la veille. Il avait supposé qu'elle avait aussi un peu le mal du pays, en plus de tout le reste, ce qui pouvait être un peu vrai aussi. Eleanor s'était toujours sentie responsable pour Constance, même si elles avaient peu de différence d'âge. Les Dashwood était une famille particulièrement soudée, Constance espérait que ce soit toujours le cas malgré le mariage. Elle appréciait le fait que sa soeur veuille passer un moment avec elle, et approuva l'idée avec un joli sourire. Cela illumina le visage de l'aînée, qui l'embrassa sur la joue avant de sortir de la pièce. Constance s'apprêtait à faire la même chose lorsqu'elle entendit une voix familière l'interpeller tout bas. Elle n'avait pas remarqué que Cole était toujours là. Elle se tourna vers lui, il baissa immédiatement. "Vous ne m'avez pas offensée." lui assura-t-elle de sa voix douce. Mais le médecin tenait tout de même à se faire pardonner d'une quelconque manière. "De ce fait, il n'y a donc rien à pardonner." Elle sourit vaguement. Elle pensait ses mots, même si sa mine un peu triste laissait penser le contraire. "Vous m'avez simplement rappelée quel était mon devoir ici et que je ne devais pas faire ce que bon me semble. C'était une nécessité, je suppose." Constance marqua une courte pause en haussant les épaules. "Si bien que mon père a jugé bon de me le rappeler également, je suppose que la situation devenait bien trop délétère par ma faute." Mais comme elle vivait ses journées, ce n'était pas mauvais pour elle. Ainsi donc, il fallait qu'elle s'oublie totalement pour le bien de tous. En voilà, un beau sacrifice. Constance avait joint devant elle, quelque peu nerveuse. "C'est moi qui me suis mal comportée. Avec vous, avec tout le monde. J'en suis désolée." rectifia-t-elle. "Je ne sais pas si cela fait de moi une personne capricieuse." Du fait de ne pas vouloir faire comme on le lui demande. Mais elle était bien élevée, et Constance obéissait aux demandes de son père. Mais ce n'était pas suffisant pour elle pour penser qu'elle était une bonne personne. "Sommes-nous toujours amis, Dr. Elwood ?" demanda-t-elle alors un peu paniquée à l'idée d'avoir tout ruiné la veille. C'était certainement le seul allié en dehors de sa famille qu'elle pouvait avoir dans cette maison. Il aurait été bien dommage qu'une si belle amitié soit ruinée à cause d'une incompréhension. "Je... J'ai entendu que vous aviez dit à Augustine de se rendre à la bibliothèque et que vous l'y rejoindrez. Seriez-vous d'accord que je vous y accompagne ?" demanda-t-elle alors timidement, bien plus encline à passer du temps avec l'aînée de la famille Keynes et son médecin plus que n'importe qui d'autre. La bibliothèque était certainement la pièce qu'elle préférait, là où elle se sentait le mieux. C'était calme, il y avait de quoi lire, de quoi l'occuper pendant de nombreuses heures.
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Il trouvait que la présence de la petite blonde s'imposait dans une pièce bien malgré elle. Peut-être grâce à ses iris bleus, brillants, captivants ; grâce à la lucidité, la bienveillance, qui s'y trouvaient. Peut-être sa bouche rose qui esquissait constamment un petit sourire de Mona Lisa dans lequel personne ne pouvait lire. Quoi qu'il en soit, la discrète Constance ne l'était pas tant que cela aux yeux d’Elwood. Tandis que les autres étaient telles des clarinettes et des trompettes, faisant trop de bruit pour bien peu d'effet sur les pores de la peau, et que les hommes étaient les pianos et les tambours, aux fondations du rythme et de la mélodie, la jeune femme était le violoncelle suffisant à lui-même et dont chaque note allait chercher son pareil en émotion droit dans l'âme de celui qui écoutait. C'était ainsi que Cole se sentait en sa présence, désarmé et quasiment mis à nu par la moindre étincelle dans ses prunelles, le moindre rictus au coin de ses lèvres et qu'il ne pouvait déchiffrer, mais qui paraissaient ouvrir bien des portes vers des possibilités qui lui semblaient désormais interdites, tel que le droit d'être lui-même et apprécié pour cela. C'était pourquoi il tenait à la jeune Dashwood bien plus qu'il ne pourrait l'avouer à haute voix, et qu'il ne supportait pas l'idée de lui avoir causé du tort, qu'importe la manière. Ses sourcils se froncèrent lorsque Constance lui assura le contraire, alors il ne comprenait plus ce qui avait bien pu se passer. « Je pensais... » Sa voix se tut pour laisser place aux explications de la jeune femme. L’appel des obligations avait causé sa si grande peine, et Cole pouvait bien comprendre qu'il n’était pas aisé de tuer soi-même puis faire le deuil d'un certain nombre de convictions qui la pousseraient à agir d'une certaine manière tandis que les besoins de sa famille exigeaient d'autres comportements de sa part. Une nécessité, peut-être, Cole ne se permettait pas d'en juger. Il avait donné son point de vue, mais aussi fait part de son expérience acquise grâce à bon nombre d'années passées au contact des Keynes. Si l’avis du père Dashwood rejoignait ses constats, alors peut-être n'était-il pas si loin de la réalité, même si celle-ci heurtait Constance. « Cela fait de vous quelqu'un avec des valeurs, lui assura-t-il, ne pouvant la laisser se déprécier pour de mauvaises raisons ; ce n'était pas elle qui faisait les choses mal, c'était le monde qui était mal fait. Mais faire ce qui est le mieux pour vos proches avant de songer à ce qui est le mieux pour vous est également une belle valeur, une preuve de sagesse et d’un sens des responsabilités. » La jeune femme s'en sentirait fière et valorisée plus tard, sûrement dans quelques années, lorsque l'expérience lui fera prendre conscience que si elle avait agi autrement, alors les choses ne se seraient peut-être pas aussi bien passé pour elle et sa famille. Elle saura qu'elle avait fait les bons choix et se félicitera d'en avoir eu le courage. Peut-être aura-t-elle alors une pensée pour lui et leur conversation de la veille, les paroles d'un vieil ami. Cole était soulagé qu'elle n'ait aucun grief contre lui, et qu'elle s'inquiétait également que rien ne fut brisé à cause d'une simple méprise. Qu'ils soient toujours amis. « Bien sûr ! » Alors seulement il osa faire quelques pas vers elle. Il lui tint le battant de la porte, qu'importe où elle souhaitait se rendre. Il s'avérait que la jeune femme souhaitait l'accompagner à la bibliothèque, demeurer en sa compagnie, celle d'Augustine et des livres jusqu'au dîner. Les jeunes femmes avaient souvent bien mieux à faire que de passer du temps avec une vieille femme et son médecin, écouter des poèmes ou des récits dont elles ne comprenaient pas vraiment la portée. Mais Constance n'était pas juste comme les autres jeunes femmes. « Avec plaisir. » souffla-t-il avec un sourire, puis il l'invita à prendre les devants tant qu'il tenait la porte avant de lui emboîter le pas dans le couloir. Quand ses pas le firent revenir aux côtés de Constance, il lui proposa même son bras. « Cette fois vous pourrez écouter sans avoir à vous cacher. » dit-il avec un petit sourire mutin, taquin. À vrai dire il ne s’était absolument pas attendu à ce qu'elle prête attention à sa lecture pour la Lady et s’en trouva assez flatté, mais un détail avait trahi la demoiselle sans qu'elle ne s'en rende compte ; « Quand nous sommes partis, vous teniez votre livre à l'envers. » Elwood n’avait rien d'un grand détective mais il en avait déduit qu'elle avait tenté de faire mine de lire afin de ne pas être surprise à faire autre chose. Il l’avait trouvé adorable sur le moment.
Ils arrivaient non loin de la bibliothèque lorsque la voix d’Alicia résonna dans le couloir et que ses petits pieds chaussés se mirent à claquer à vive allure jusqu'à eux. Ses mains tenaient sa robe rouge, assortie à ses pommettes teintées par une contrariété qu'elle dissimulait avec brio derrière un large sourire. « Constance ! Où allez-vous comme ça ? Je pensais que vous veniez avec nous dans ma chambre afin de discuter de ce que nous porterons pour le mariage ! Pour ma part, je suis toujours incapable de choisir, il y a cette robe noire que je trouve superbe mais aussi la verte qui va avec mes yeux et la rose mais je crois qu'elle me donne l'air trop ingénue. Je serais tellement ravie d'avoir votre avis, d'autant plus que vous me paraissez avoir d'excellents goûts. Quant à Janine, elle hésite en matière de bijoux, elle a toujours tendance à en faire beaucoup trop, votre… sobriété lui sera particulièrement utile si vous voulez mon avis. Et puis, avez-vous déterminé quelle coiffure vous porterez ? Je rêve de brosser ces magnifiques cheveux blonds et je possède des épingles qui vous iraient à merveille, vous serez adorable. » Ses doigts glissèrent agilement le long d'une des boucles de Constance, le regard envieux. Alicia avait une chevelure en soie qui lui demandait bien de la patience à coiffer chaque matin tant les épingles glissaient dessus, elle était d'une superbe brillance naturelle, sa légère ondulation formant de beaux reflets selon la luminosité du jour ; mais elle était brune, et elle avait toujours rêvé d'avoir de belles boucles blondes. « Vous devriez y aller. » suggéra Cole à la jeune Dashwood avec un fin sourire encourageant. Il supposait que le programme proposé par Alicia était enthousiasmant, pour une femme en tout cas, et il ne voulait pas qu'elle se sente obligée vis-à-vis de lui d'une quelconque manière. Il fit un pas pour reprendre son chemin, partant du principe que la jeune femme accepterait l'invitation de sa future belle-soeur. « A plus tard Alicia. » salua-t-il poliment. « A plus tard. Oh, Cole, vous devriez absolument faire quelque chose pour arranger cette tignasse sur votre tête. C’est un mariage, seigneur, rendez-vous présentable. » Bien sûr, la demoiselle n'avait aucune intention de lui être désagréable et cela se voyait dans son sourire mutin et son regard complice avec le médecin. Elle aimait le conseiller, pour le peu qu'elle le pouvait, et l’encourager. Elle espérait tant qu'il aille mieux, qu'elle le fasse rire un jour, et elle crut presque à une victoire lorsqu'elle le vit sourire à ses remarques, amusé, tandis qu'elle lui volait la petite blonde pour laquelle il avait bien trop d'intérêt à son goût. « J'y songerais. » Puis il les quitta avec un dernier signe de tête et disparut derrière la porte de la bibliothèque, où Augustine attendait.
Alicia prit le relais au bras de Constance et l'entraîna avec elle dans le sens opposé, vers le hall et le grand escalier menant dans les étages. Elle gloussait, ravie d'on ne savait quoi, et peut-être même sans raison -mais à vrai dire, il y en avait un tas. « Je n'étais pas supposée vous le dire, mais je crois que vous avez tapé dans l'oeil de mon frère Peter. Je l'ai entendu faire une loooongue éloge de votre beauté à mon père hier, où il comparait vos yeux à « deux océans d'étoiles ». » Peter n’était pas la moitié d'un poète, mais il était un jeune homme passionné, bourré de conversation et doté d'un excellent sens de la formulation -si bien que lui-même semblait très épris par le son de sa propre voix. « Vous savez, je comprends votre intérêt pour le Dr. Elwood, vraiment, mais croyez-moi, depuis que sa femme l'a quitté, il est absolument impossible d'attirer son attention, même pour un jolis minois comme le vôtre. » reprit-elle avec une moue plus sérieuse, et même presque désolée d'être obligée de briser les espoirs de Constance. Puis elle retrouva immédiatement un large sourire plein d'entrain ; « Peter, lui, est un garçon charmant. Vous seriez si bien assortis. Et puis, si vous l'épousez, nous serons doublement belles-sœurs ! »
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Dernière édition par Jamie Keynes le Dim 28 Mai - 16:08, édité 1 fois
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Il y avait au fond une certaine lassitude dans le regard de Constance, que l'on pouvait trouver déjà bien précoce malgré son jeune âge. Mais c'était ces murs, cette ambiance constante et peu rassurante qui l'incitaient à se refermer comme une huître. Malgré sa large bibliothèque, elle n'y trouvait pas son compte, dans ce domaine. Elle avait la sensation d'être déjà engluée. L'on pouvait dire que la plus jeune des Dashwood était malheureuse. Elle avait trouvé comme ami ce médecin qui changeait du tout au tout du jour au lendemain. Pendant plusieurs jours, il avait préféré l'ignorer sans de véritables explications. Mais voilà qu'il se montrait beaucoup plus jovial depuis quelques temps, et se montrait même particulièrement soucieux de la jeune femme. Il avait certainement du noter qu'elle ne se plaisait pas, ici. Il n'y avait qu'avec lui et/ou Augustine qu'elle passait du bon temps. Cole fut particulièrement dérouté lorsque la petite blonde lui certifia qu'il ne l'avait pas offensé de quelconque manière. Tout prenait sens une fois qu'elle avait donné ses explications. Le médecin tentait tant bien que mal de tirer les bons côtés de ce sacrifice – parce que l'on pouvait l'énoncer comme tel. Mais rien en fut particulièrement convaincant aux yeux de la plus jeune des Dashwood. Elle comprenait bien qu'il essayait de la mettre en avant, de faire en sorte qu'elle y voit des bons côtés, à tout ceci. Constance se demandait s'il fallait en conclure que tenter de se protéger un peu était désormais une preuve d'égoïsme. "A quoi bon nous apprendre à être intègre et à quoi bon avoir une personnalité, dans ce cas ?" demanda-t-elle, particulièrement résignée, le regard bien bas. Le ton de sa phrase laissait deviner qu'elle ne voulait pas forcément entendre de réponse. C'était une simple constatation de sa part. Le médecin assura avec un certain enthousiasme qu'ils étaient encore bien évidemment des amis et cette exclamation fit enfin esquisser un sourire sincère sur le visage pâle de Constance. Elle aussi, était bien soulagée que tout ceci n'avait en aucun cas heurté leur amitié. Aussi fut-il tout aussi ravi d'apprendre qu'elle comptait également se rendre à la bibliothèque, afin d'avoir un moment tranquille après toutes ces discussions avec les dames de la famille Keynes. En toute galanterie, Cole lui tint la porte afin qu'elle puisse quitter la pièce et il la rejoignit aussitôt pour lui proposer son bras. Touchée par cette délicate attention, elle lui fit un doux sourire avant de poser mêmes ses deux mains sur son bras. Elle rougit un peu et rit nerveusement lorsqu'il se rappelait de la fois où elle avait tenté de l'écouter discrètement pendant qu'il lisait un livre à Augustine. "Quelle étourdie j'ai été." dit-elle avec un petit rire en relevant les yeux vers lui. "J'aimais beaucoup ce que vous lisiez." admit-elle avec un rictus se voulant cette fois-ci bien plus timide. Constance se réjouissait tellement de se rendre à la bibliothèque, vraiment. Elle sursauta presque lorsqu'Alicia l'interpella alors qu'elle s'approchait d'elle. Très bavarde, elle se lançait dans une longue tirade , expliquant qu'elle espérait avoir quelques conseils de la jeune Dahswood concernant les tenues à porter pour le mariage. Constance était surprise qu'Alicia veuille tant passer du temps avec elle, et encore plus lorsqu'elle se permit de toucher non sans délicatesse et envieusement l'une de ses boucles blondes. "Je..." Elle ne savait pas quoi dire. Elle ne voyait pas d'où venait ce vif intérêt de vouloir passer du temps avec elle, ni l'envie d'entendre quelques uns de ses conseils en matière de coiffure et d'habillage. Constance regardait le médecin, qui allait une nouvelle fois dans le sens inverse de ses envies. Elle désirait être un peu au calme, pas de prolonger cette séance de piaillement et de bavardages. Il retira son bras des mains de la jeune femme en supposant qu'elle rejoindrait la Keynes. Constance s'y résigna à contre-coeur. Elle le regardait s'éloigner avec un brin de déception, le voyant partir avec un moment qu'elle aurait bien plus apprécié que ce que lui imposait Alicia. Celle-ci avait prit le bras de Constance afin de l'emmener avec elle dans les étages pour se rendre dans ses appartements. La petite blonde se laissait emporter sans trop de résistance. Une fois seules, la Keynes reprit la parole en avouant que l'un de ses frères avait un intérêt certain pour elle. Constance la regarda avec des yeux ronds, prise d'un certain malaise. "Je ne lui ai jamais parlé, pourtant." Alicia ne fit pas de commentaire, mais elle gardait son sourire un petit moment avant d'être à nouveau bien sérieuse. Elle lui faisait bien comprendre qu'il était inutile de se rapprocher de Cole, qu'il n'avait plus vraiment d'intérêt envers aucune femme. "Oh... " Constance pensait jusqu'ici qu'elle était décédée. Elle avait mal interprété ses propos. Alicia semblait déjà vouloir la marier à Peter, comme s'il ne manquait plus que la bague pour tout officialiser. "Ne serait-ce pas merveilleux ?" s'enthousiasma-t-elle. "Ma soeur n'est pas même encore mariée que vous songez déjà à mes propres fiançailles ?" demanda-t-elle alors. "Ce serait un merveilleux temps de festivités, ne pensez-vous pas ? Je suis certaine que vous vous entendriez à merveille avec lui, vous devriez passer un peu de temps, pour discuter. Qu'en dites-vous ?" On n'attendait même pas la réponse de Constance.
Le moment passé à discuter des tenues à mettre le surlendemain n'était pas désagréable, mais Constance aurait préféré être ailleurs. C'était étrange pour elle qu'elles prennent tout autant en considération les moindre conseils de la jeune Américaine. Cette fameuse sobriété semblait particulièrement plaire et Alicia s'enthousiasmait déjà à l'idée de coiffer sa chevelure blonde. L'heure du dîner s'annonçait et l'on plaça Peter, celui qui était tombé sous son charme, à côté de Constance. Elle n'aimait pas tout ce qui ceci présageait et sa tristesse l'avait rendu assez silencieuse durant le dîner. Peter ne semblait pas être méchant il ne prenait pas mal les réponses relativement courtes de Constance. Elle se demandait s'il cachait qui il était vraiment, comme les autres. Il s'était montré particulièrement galant avec elle, et d'une douceur qui semblait être sincère. La jeune femme n'en savait trop rien. Dès qu'elle en avait eu l'occasion, elle se rendit dans sa chambre pour s'y isoler pour le reste de la soirée, profondément touchée par les mots d'Alicia, plus qu'elle ne l'aurait pensé.
Le lendemain, le pique-nique avec sa soeur eut effectivement lieu. Elles s'étaient installées bien loin du manoir, au bord du domaine sous un grand chêne qui les protégeait du soleil. "J'ai su que tu t'étais rapprochée d'Alicia et de Janine et que vous vous étiez décidées ensemble de ce que vous allez porter demain, je suis ravie que tu aies pu te rapprocher d'elle." s'enthousiasme Eleanor, beaucoup trop tôt. "Oui." répondit Constance sans en dire davantage. Le regard vert d'Eleanor se crispa à nouveau d'inquiétude, soucieuse du fait que sa soeur se montre aussi peu loquace, même avec elle. Mais elle ne voulait pas se laisser abattre. "Et Peter me semble être charmant aussi, j'ai vu que vous aviez un petit peu discuté pendant le dîner." "Il l'est, oui." La benjamine mangeait quelques fruits. Ses yeux étaient bas ou regardaient ailleurs. "J'ai hâte de voir ta robe, demain." finit-elle par dire, histoire de parler d'autres choses. "Et moi, la tienne !" s'enthousiasma Eleanor. "Le mariage sera somptueux, à n'en pas douter." Constance cueillit une fleur qui se trouvait juste à côté d'elle. "Nous nous étions dits que nous parlerons de tout..." Eleanora glissa une mèche de cheveux derrière l'oreille de sa soeur. "Qui me dit que tu n'en parleras pas à notre père ?" "Il y a bon nombre de secrets que je ne lui ai jamais dit, je t'assure. Nous nous faisons seulement beaucoup de soucis pour toi, ces derniers jours." L'aînée était véritablement inquiète. "Tu devrais surtout te concentrer sur ton mariage, tu dois avoir encore beaucoup de choses à penser." "Pas le temps de ce pique-nique." rétorqua-t-elle joyeusement. "Est-ce que père compte donner ma main à un autre membre de cette famille ?" finit-elle par demander. Constance haussa vaguement les épaules. "Alicia m'a dit hier que je plais apparemment à Peter et elle se voit comme étant déja une "double belle-soeur.". Comme si tout était déjà tracé." Constance leva ses yeux vers sa soeur, en quête de réponse. "Est-ce le cas ?" Eleanor la regarda d'un air désolé. "Nous en avions vaguement parlé, mais il ne m'a pas parlé de quoi que ce soit de concret. Il est normal qu'il y pense." "Bien sûr." répondit Constance avec sa voix douce, compréhensive, mais pas moins triste. Pour le bien de sa famille, c'était ce que tout le monde lui disait.
Constance nourrissait un certain espoir à retrouver Cole et Augustine à la bibliothèque plus tard mais il n'en était rien. Ils devaient être occupés à faire quelque chose d'autre, ailleurs. Peut-être qu'il était alors dans la salle de billard. Non plus. Elle se mettait alors à déambuler dans les couloirs un moment avant de se rendre dans la pièce qu'elle préférait de tout le manoir. Cole finit par apparaître une heure plus tard, sans Augustine, ce qui était assez surprenant. La petite blonde fermait son livre et se leva, arborant un sourire soulagé et ravi, à l'idée de le voir. "Je ne savais pas où vous trouver, je me suis dit que vous finiriez bien par réapparaître quelque part." dit-elle. "C'est le grand jour, demain. Je suppose qu'Augustine voudra mettre sa plus belle robe." Malgré son âge, il était facile de deviner qu'elle prenait soin d'elle et qu'elle était coquette. Constance aurait adoré faire sa connaissance avant qu'elle ne tombe malade, elle n'arrêtait pas de se le dire. "J'aurais préféré que nous passions un moment ensemble, hier. Non pas qu'Alicia soit désagréable ou que je ne me soucie pas de ce que je mettrai demain mais... Je la soupçonne être quelque peu entremetteuse..." Son sourire devint particulièrement triste.
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Augustine ne se souvenait pas qu'ils avaient déjà passé en revue tous les poèmes des Fleurs du Mal la semaine précédente, ce fut donc tout naturellement la lecture qu'elle demanda au médecin. Cela ne le gênait guère, il affectionnait particulièrement ce recueil et pouvait bien le lui lire toutes les semaines si tel était son souhait. De temps en temps, sa concentration fuyait et il songeait à Constance. Il l'imaginait en compagnie des deux soeurs Keynes, feignant plus d'intérêt qu'elle n’en avait pour les robes, les parures, le maquillage. Elle n’avait pas besoin de tous ces artifices, elle, tandis que Janine et Alicia avaient bien des parcelles pourries de leur fort intérieur à masquer sous de beaux bijoux. Il trouvait les scènes qu'il s'imaginait amusantes. En revenant à lui, il remarqua qu'Augustine était aussi ailleurs que lui. Éteinte. Il glissa une main dans la sienne, souriant tristement. Puis, il reprit comme si de rien n'était. Au dîner, il reprit sa place habituelle, mais trouva la jeune Dashwood plus loin de lui qu'à l'accoutumée. Placée à côté de l'un des frères Keynes, celui-ci s’évertuait à lui faire la conversation, ce qui portait des fruits à minima. Cole pouvait lire sur le visage de Peter un réel intérêt pour Constance, lui qui, habituellement, ne s'intéressait qu'à celles et ceux qui pouvaient le mettre en valeur. Il se surprit à les observer de temps en temps durant le repas, intrigué. Puis ses yeux se posèrent sur Christian, qui les observait aussi. Il comprit le tableau en apercevant le rictus satisfait au coin de sa bouche. Et son coeur se serra si fort tout à coup qu'il en fut pris d'un léger vertige.
Il quittait la chambre d'Augustine, où il l’avait confiée à une domestique afin d'être mise au lit, lorsque Peter apparut au coin du couloir, où il l'attendait depuis un petit moment. “Dr Elwood !” Celui-ci ne comptait pas cesser sa marche pour discuter, le Keynes dit alors prendre le train en marche et emboîter le pas du médecin qui, puisqu'il avait terminé son devoir pour la journée, comptait bien rejoigne sa chambre afin de se reposer, que cela plaise au jeune Lord ou non. “On m’a dit que vous étiez devenu proche avec Constance.” lanca-t-il avec un sourire se voulant amical, lui qui n’avait jamais eu le moindre intérêt pour Elwood en deux ans -il le laissait donc parfaitement incrédule. “Proche ?” “Oui, vous avez l'air de passer du temps ensemble et de très bien vous entendre.” Cole ne fit pas de commentaires, jugeant que sa relation avec la jeune Dashwood ne regardait personne et qu'il s'agissait bien là de l'unique chose personnelle qu'il avait entre ces murs. “Est-ce que vous avez de l'intérêt pour elle ?” Le brun arqua un sourcil. Un coup d'oeil à Peter lui fit comprendre de quel genre d'intérêt il souhaitait parler. Et il se posa la question afin d'en faire le tour avec pragmatisme. Il appréciait la compagnie de la jeune femme. Elle avait gagné de la valeur à ses yeux. Elle était agréable. Elle était belle. Mais ils étaient amis. Et la question du jeune homme étant bien entendu biaisée par l'attente d'une réponse précise, Cole réalisa que peu importait réellement ce qu'il pensait ou ressentait à propos de Constance, il n’était tout bonnement pas question qu'il marche sur les plates bandes de Peter. “Non.” lui offrit-il alors sur un plateau sans se soucier de sa sincérité sur le moment, car cela n’était pas important. “Bien, je n’aimerais pas qu'il y ait de la compétition entre nous.” “C'est aimable de vous en soucier.” Et cela confirmait ses suspicions. “Dans ce cas, vous pourriez m'aider ! Dites-moi comment elle est, ce qu'elle aime, comment je peux lui plaire ?” Cole cessa de marcher. Ils étaient arrivés devant sa porte. Il réfléchissait néanmoins. Avait-il envie d'aider le jeune Lord en quoi que ce soit ? Absolument pas. Mais il craignait autant d'être le complice de la prise en otage de Constance dans ce manoir que de subir les répercussions d'un manque de coopération. “Elle… elle aime les livres... Elle aime se promener, et observer le ciel la nuit. Elle aime être écoutée, même quand il n’y a rien à dire. Et elle aime sa liberté de penser.” Cela lui semblait véridique, et important à savoir avant de l'approcher. “Elle peut bien penser autant qu'elle veut, elle est belle la bouche close.” Le coeur de Cole se serra à nouveau douloureusement tandis qu'il ne put s'empêcher de toiser Peter avec un certain mépris. Il l’abandonna sans cérémonie sur le palier de la porte.
On frappa plus tard. Le médecin fumait à la fenêtre de sa chambre, défait de sa veste et la chemise entrouverte afin de sentir un peu de vent nocturne sur sa peau. Son front était posé sur le battant vitré, et il ne daigna pas bouger pour ouvrir à son visiteur dont il avait déjà une bonne idée de l'identité. Charlotte entra donc timidement. “Cole ?” Elle le connaissait bien. Par coeur même. Mieux que sa soeur, allait-elle à penser. Elle savait lorsque quelque-chose absorbait entièrement son esprit complexe, lorsqu'il débordait de pensées qui pouvaient le rendre plus ivre que du bon whisky. Aussi lancinant, près du bord de la fenêtre. “Qu'est-ce qu'il se passe ?” “Rien, simple fatigue.” Il ne voulait pas en parler, soit. Elwood était capable de se montrer têtu comme une mule et le risque à courir en insistant était de le braquer de plus en plus. Charlotte le prit donc au mot et se mit à récupérer ses affaires sales. “Tu as entendu la rumeur ? Il se pourrait bien qu'on marie les deux Dashwood dans le mois.” L’anglais serra les dents. C’était imperceptible, sauf pour elle. Et être en compagnie d'une personne autant capable de lire en vous était, à cet instant, une véritable malédiction. “C'est ça qui te préoccupe.” conclut-elle d'elle-même. Elle se sentit se refermer comme une huître alors qu'il tirait sur sa cigarette. “Cole ? Répond-moi.” Non, il se contenta de passer une main impatiente à travers ses cheveux. Il ne voulait pas cela pour Constance. Il ne voulait pas qu'elle finisse, elle aussi, absorbée par cette famille, par ce manoir. L'idée même qu'elle soit contrainte d'épouser le Keynes lui donnait la nausée. “Seigneur Cole ne me dis pas que…” Charlotte en tirait ses conclusions. Les mêmes que n'importe qui tirerait -à part lui. Son regard fut bien moins bienveillant soudainement. Il se remplit de colère. “Alors ça y est, à la première demoiselle qui veut de ta compagnie tu oublies tout le reste ? Tu penses un peu à Laura ?!” Alors qu'elle fulminait, Charlotte avait lâché le linge et lui frappait le bras. Surpris par cet élan de violence de la part de sa belle-sœur, par des accusations injustifiées et injustes, il ne réagit pas dans un premier temps, et saisit la première occasion de lui attraper un bras afin de la maîtriser, elle et sa soudaine furie. Son regard était également devenu dur, froid, et sans pitié. “Je ne fais que ça, Charlotte ! Je ne fais que ça et c'est une torture ! Elle est la seule pensée dans ma tête, de jour comme de nuit, elle est partout ! Mais elle est parti. C’est elle qui est partie.” D'un geste sec, il poussa la domestique vers la porte. Qu'ils étaient tristes à voir, tous deux les yeux bordés de larmes, tous deux fulminant, tous deux en peine pour les mêmes raisons mais incapables de se comprendre sur le moment. “Laisse-moi.” Le visage fermé, Charlotte trouva la poignée dans son dos et la tourna. Elle n’eut besoin que d'un entrebâillement pour se glisser hors de la chambre.
Il entra dans la bibliothèque avec l'espoir d'obtenir un moment de paix. Tous les préparatifs pour le mariage rendaient le manoir trop effervescent à son goût. Les hommes étaient partis chasser dans la forêt voisine. Il aura sûrement du travail à leur retour, les blessures à désinfecter, quelques pansements à faire, rien de grave espérait-il. Il ne pouvait s'empêcher de trouver cela idiot de risquer un accident de chasse la veille d'un mariage, mais son avis sur la question n'importait pas. Il n’était pas convié et cela lui convenait parfaitement. Augustine se reposait. Elle allait avoir besoin de toutes ses forces le lendemain. Et lui aussi. Le médecin avait alors besoin de ses meilleurs alliés ; le calme et le silence. La bibliothèque. Mais il y trouva Constance, et fut incapable de feindre un sourire convaincant sur le moment. “Vous savez où me trouver.” dit-il en déposant le livre qu'il avait apporté sur un guéridon, celui qu'elle lui avait offert, résigné à manquer une nouvelle occasion d'en lire les premières lignes. Son sourire fut plus crédible au sujet d'Augustine. “Oui, elle est encore très coquette comme femme.” Les domestiques qui allaient être en charge de sa préparation pour le mariage allaient sûrement devoir faire preuve de patience. La Lady était perfectionniste. On le fera sûrement intervenir à un moment, il le savait d'avance. Une fois encore, les événements lui avaient rappelé qu'elle était l’unique raison de sa présence ici. Mais il ne savait plus quoi ressentir à ce sujet. Constance avait bien remarqué, elle aussi, que quelque chose se tramait. “Avec Peter, n'est-ce pas ?” demanda-t-il en connaissant d'or et déjà la réponse. “Je l’ai vu essayer d’attirer votre attention pendant le dîner. Il est venu me quémander des conseils également. Enfin, plutôt des informations à votre sujet.” Tout en glissant, subtilement, une forme d'avertissement. C'était sûrement pour cette même raison que Christian avait sommé le médecin de se tenir à l'écart. À vrai dire, Cole et Constance étaient sûrement les derniers au courant des plans des Keynes. “Vous songez à prendre en considération ses avances ? Cela serait un excellent moyen de ne pas être séparée de votre soeur…” Mais bien évidemment, ce n’était pas ce qu'il lui souhaitait.
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Dernière édition par Jamie Keynes le Dim 28 Mai - 16:04, édité 1 fois
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Constance était heureuse de croiser enfin le médecin. Celui-ci n'esquissa pas même un sourire en la voyant. Elle ne savait pas qu'elle ne devait pas le prendre personnellement, mais sur le coup, elle se demandait ce qu'elle avait pu faire de mal à son tour. Elle nota qu'il avait en main le livre qu'elle lui avait acheté et offert. Constance était touchée que cela lui plaise autant et qu'il tienne déjà (et enfin) à s'y plonger après tout ce temps d'attente avant de l'acquérir. Le mariage était à la bouche de tous les résidents du domaine, difficile de ne pas passer à côté. Il voulait certainement aussi s'isoler un peu, être au calme avant le grand jour. Elle sourit légèrement lorsqu'il constata qu'elle avait su où le trouver. Mais son regard résigné ne montrait aucun enthousiasme à l'idée de la voir. Après avoir succinctement parlé d'Augustine, la petite Dashwood aborda le sujet qui la contrariait le plus. Le médecin fut apparemment aussi informé parce qu'il connaissait déjà le nom de son prétendant. Constance acquiesça d'un signe de tête mais elle ne parvenait pas à dissimuler son manque d'enthousiasme. Elle fut en revanche surprise que Peter ait approché Elwood pour avoir plus d'informations au sujet de son amie. Comme si tout était déjà tracé depuis longtemps. "Oh." lança-t-elle tout bas en baissant les yeux. Elle commençait à faire quelques pas dans la bibliothèque. Cole posait alors la question qui fâchait et qu'elle redoutait par dessus-tout. Elle leva ses yeux brillants vers lui. "Ai-je vraiment le choix ?" lui demanda-t-elle, la voix tremblante. Elle haussa les épaules. Si elle disait non à quoi que ce soit, on lui reprocherait de ne pas suffisamment se sacrifier pour sa famille, pour le bien de tous. Cela ruinerait l'union qui s'était construite entre les deux familles, cela gâcherait absolument tout. Constance ne parvenait pas à retenir ses larmes. "C'est le sens des responsabilités, je suppose. N'est-ce pas ?" Ces valeurs, ces décisions pour lesquelles elle devrait se sentir fière des années plus tard. "Je pense qu'elle m'oubliera vite." Difficile pour la jeune femme d'entrevoir un futur lumineux et joyeux, compte tenu de tout ce qui se tramait dernièrement. "Je suppose que tout a été décidé il y a longtemps." soupira-t-elle. Elle ne comprenait pas pourquoi sa soeur se réjouissait de se marier, et elle semblait aussi particulièrement enthousiaste à l'idée qu'un autre Keynes soit attiré de près ou de loin à sa soeur. "C'est comme si l'on me mariait aussi demain." Peut-être que d'ici là, il y aura déjà des rumeurs de fiançailles. Peut-être qu'il y aura aussi déjà une bague. Les idées de la jeune femme allaient bon train et cela ne l'enthousiasmait guère. Au contraire, cela ne faisait qu'accentuer sa tristesse. Elle essuya rapidement ses joues légèrement humidifiées par des larmes. "Bref. Ne parlons pas davantage d'un sujet qui a du être longuement discuté avant même que je ne puisse même y songer." dit-elle avec un sourire triste. Son destin était apparemment tout tracé. "Peut-être pouvons-nous..." Constance regardait autour d'elle pour trouver une idée d'activité, de quelque chose à faire pour ne plus avoir à discuter de tout ceci. Son regard bleu se figea sur le livre qu'elle lui avait offert. "Peut-être pourrions-nous lire ensemble le livre que vous convoitiez tant." Elle s'approcha du guéridon où il avait posé l'ouvrage et le prit avec toute délicatesse. Son sourire se fit plus sincère. "Je peux le conter, si vous voulez. Je vous ai déjà entendu lire un livre, mais vous, vous ne m'avez jamais entendu." Pour un juste retour des choses. Cette idée pourrait lui plaire. "A moins que vous ne préféreriez garder ce livre uniquement pour vous." dit-elle en lui tendant l'ouvrage. "Je peux lire autre chose, sinon. Nous avons l'embarras du choix." Constance s'efforçait de sourire, d'oublier un peu tous ses tourments. Qu'importe son choix, la jeune femme prit délicatement la main du médecin afin de le guider jusqu'à un des canapés présents dans la pièces, où ils s'installèrent l'un à côté de l'autre, avec le livre du choix de Cole. L'ouvrage importait peu à la petite blonde, à partir du moment qu'ils passaient un moment ensemble. Elle espérait que quoi qu'il advienne, Constance puisse encore passer des instants privilégiés avec le médecin. Elle avait l'impression d'être sur la même longueur d'ondes que lui, du moins, ils s'entendaient bien, même s'ils n'arrivaient pas toujours à se cerner ou à deviner ce qu'il pouvait bien se passer.
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Piégé de toutes parts, c'était ainsi que se sentait Elwood. Et maintenant que le mal était fait, il ne savait plus quoi dire, il n’osait plus ouvrir la bouche. Ses paroles, ses conseils se retournaient finalement contre la jeune femme. Néanmoins, il ne pouvait plus retirer ses mots, il était trop tard pour cela ; le père de Constance était allé dans son sens, il avait lui aussi rappelé à l'ordre la jeune femme. Qui était-il pour faire marche arrière, tout retirer et désormais demander à la Dashwood d'aller à l'encontre du souhait de son père ? Il connaissait peu Mr Dashwood, mais ils s’estimairent mutuellement. Ils s’étaient montrés plusieurs fois sur la même longueur d'onde, et c'était bien pour cette raison qu'ils s'étaient sentis obligés d'expliquer la même chose à Constance le même jour. La faire revenir à la raison, à son devoir, ses responsabilités. Quelque chose d’aussi important à leur époque que le sens du devoir ne pouvait être balayé pour des raisons individualistes. Cela était vrai depuis le plus bas de l'échelle sociale jusqu'au plus haut. C’était pour son bien qu'il le lui avait rappelé, afin qu'elle ait conscience de la manière dont les choses fonctionnaient dans le manoir. Pour les personnes comme elle de manière générale. S'il avait su… Il aurait dû le savoir. Il était aussi coupable que tout le reste des habitants de ce fichu domaine et il ne savait pas s'il était possible de faire quoi que ce soit pour que Constance ne termine pas victime de paroles qu'il aurait mieux fait de faire. Les lèvres restèrent scellées. Le sens des responsabilités lui semblait être une piètre justification désormais. Dans le fond, est-ce que Cole aurait pu agir autrement ? Aurait-il pu éviter quoi que ce soit ? Il en doutait. Comme Constance le disait, tout semblait avoir été orchestré depuis bien plus longtemps qu'ils n’auraient pu le penser. Était-ce avant ou après que la jeune femme mette un pied sur le sol anglais ? Impossible d'en être certain. Le médecin était néanmoins persuadé que Peter avait trouvé la Dashwood à son goût et en avait fait un de ses énièmes caprices d'enfant, tirant sur la manche de son père jusqu'à ce que celui-ci consente à lui céder. À partir de là, eh bien… oui, il en était comme si Constance était déjà mariée. Cole garda le silence lorsqu'elle proposa de changer de sujet, et esquissa un sourire tandis qu'elle proposait de faire la lecture. Ils pourraient ainsi partager ensemble le livre qu'elle lui avait offert et auquel il tenait tant. Il y consentit d'un signe de tête, le coeur à peine plus léger, mais il trouva une once de réconfort à l'idée de passer un moment avec elle. Ils s'installèrent tous deux sur un canapé de la bibliothèque. Cole demeura absolument pendu aux lèvres de la jeune femme pendant aussi longtemps qu'elle accepta de lire -et qu'importe s'il s'agissait d'heures entières, cela ne lui aurait jamais paru assez long. Il aimait la voix de la petite blonde, son timbre doux, délicat, son élocution raffinée et élégante. Elle était juste assez mélodieuse pour offrir un agréable tempo à la lecture. Il fut également captivé par l'histoire, il avait sourit et presque ri par moments. Le livre était épais, ils n’avaient pas atteint la moitié, et cette partie était encore pleine d'optimisme. Les danses, les jeux, les joutes entre les deux futurs amants laissaient espérer qu'il existait de belles histoires d'amour. Cole croyait en l’amour bien sûr, il y croyait toujours, même persuadé que son tour était passé. Il aimait les poèmes et les récits autour de ce merveilleux sentiment. Malgré le mal que celui-ci était capable d'infliger, il demeurait sans pareil pour élever l'esprit et nourrir les coeurs. Peut-être cette histoire était le type de remède dont ils avaient tous deux besoin. Du moins, une consolation. Quand Constance referma le livre sur ses genoux, et qu'un silence s'installa, ils échangèrent un regard empli de complicité. La Lady venait de rejoindre son bien aimé en Italie, ils vivraient un mariage heureux, il y avait tant d'espoir pour eux, et cela était une merveilleuse note sur laquelle conclure cette première lecture. Délicatement, Elwood glissa sa main autour de celle de la jeune femme. “Vous savez que je serai toujours présent pour vous. Quoi qu'il arrive. Vous aurez toujours un allié.” lui dit-il avec sincérité, et un fin sourire. Il pensait alors que le moment était opportun pour lui dire cela, tenter de la rassurer un temps soit peu. Que, suite à ce moment, elle entendrait et accepterait plus volontiers ces paroles bienveillantes.
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Constance avait toujours adoré les histoires. Chaque couverture renfermait tout un univers. L'écrivain donnait des détails, même les plus pointus. Il décrivait les visages, les paysages, les caractères de ses personnages. Et l'on pouvait être aussi minutieux sur chaque élément, chaque esprit imaginerait une personne différente. On la voyait différente, se rattachant à des images déjà vues. On reconstruisait tout un puzzle, et peu à peu, ce monde prenait forme. Le décor était installé, les personnages aussi, il suffisait de les faire articuler et d'imaginer chaque expression de leur visage. Au fil de sa lecture, Constance se construisait elle-même sa vision de l'Italie de la Renaissance. Elle imaginait Grace particulièrement belle, une beauté rare, autant à l'intérieur qu'à l'extérieur, pour qu'il y ait autant de prétendants qui se bousculaient dès que son premier mari fut décédé. Et son amant aussi, elle l'imaginait particulièrement élégant, un beau sourire qui savait charmer ces dames. C'était une belle histoire d'amour, se dit-elle durant sa lecture. Celle qu'on voudrait vivre, un idylle peu permis dans la société actuelle. Ce n'était même pas secondaire. L'on apprenait à aimer au fil des années, voilà tout. Constance aurait adoré tombé amoureuse, et surtout, s'en rendre compte. Elle voulait voir ce que c'était, ce que l'on pouvait ressentir à ce moment là. Elle était désireuse de savoir si tout ce qui était décrit dans les nombreux bouquins qu'elle avait lu était vrai. L'espace de quelques heures, lire ce roman lui permettait de s'échapper, bien loin d'ici. Elle avait l'impression de se trouver également en Italie. Dans un coin de la cour, elle observait le couple danser et s'aimer comme jamais. C'était une belle image, c'était si beau à voir. Un échappatoire qui lui faisait le plus grand bien et qui lui permettait d'oublier ses tourments durant ce court instant. Du moins, même si cela durait des heures, c'était bien trop court pour elle. Constance refermait le livre avec la délicatesse qui lui était propre. Ses doigts caressaient délicatement la couverture alors qu'un long silence s'imposa. Le retour à la réalité se faisait attendre, c'était particulièrement dur, pour eux deux, semblerait-il. Le médecin entoura la main de la jeune femme de la sienne. Ses doigts étaient fermes, sa main, plus chaude que celle de Constance. Un contact agréable, plein d'humanité et de tendresse. Certains diraient que c'est normal, que c'est le toucher d'un médecin, mais pour la petite blonde, c'était bien plus que cela. Ses yeux bordés de larmes se relevèrent en sa direction après qu'il eut pris la parole. On pouvait deviner sur les lèvres de Constance qu'elle lui disait merci mais sa gorge fut tellement serrée qu'aucun son ne sortit de sa bouche. "C'est une promesse ?" parvint-elle à souffler tout bas. La petite blonde attachait une valeur exacerbée aux promesses. Elle y tenait, et sa famille le savait. Son père le savait, ayant un jour promis à ses filles qu'il se concerterait toujours avec elles pour le choix de leur époux. Ce fut le cas pour Eleanor, mais pas pour Constance, certainement par omission. De ce fait, la benjamine se sentait presque trahie. Elle aurait adoré qu'Elwood puisse lui promettre ceci, qu'il sera toujours là, dans le coin. Qu'elle puisse toujours passer du temps avec lui alors qu'elle était déjà condamnée à vivre dans cette prison dorée. Constance serrait un peu plus la main de Cole alors qu'un sillon de larmes se formait le long de ses joues pâles. "J'ai si peur." lui confia-t-elle. "Je suis même terrorisée, à vrai dire." Elle hoquetait par moment, mais parvenait tout de même à ne pas éclater totalement en sanglot, gardant un certain contrôle de soi. "Je ne sais pas ce que je dois faire, ni comment je suis supposée me comporter. Qui je dois être en somme. Parce que tout ceci, ce... ce n'est pas moi." Cole devait suffisamment la connaître désormais pour le savoir. "Vous... Vous le connaissez un petit peu, Peter, non ?" lui demanda-t-elle. "Comment est-il ? Je veux dire, comment est-il vraiment ?" Quelque part, Constance voulait savoir à quoi s'attendre, mais elle supposait bien que le comportement d'un homme devait être bien différent dans l'intimité d'un couple qu'en public. Pour on ne sait quelle raison, Constance avait peur qu'il ne s'en prenne à elle de toutes les façons possibles. Elle ne savait véritablement pas à quoi s'attendre. Constance portait la main de Cole à sa bouche pour y déposer un baiser. "Merci d'être là." lui dit-elle, le regard plein de reconnaissance. "Même si ces murs ne vous plaisent pas, que... que vous avez bien des raisons d'être las. Je ne remercierai jamais assez Dieu du fait que vous soyez là, tout simplement. Tout ceci aurait été d'un enfer insupportable, sinon." Elle embrassa une nouvelle fois sa main avant de la redéposer sur ses genoux pour la garder précieusement entre les siennes. "Je ne sais pas si je peux vous être d'une grande aide un jour, mais j'espère que vous savez que vous pourrez toujours compter sur moi également. Je serai toujours présente." lui assura-t-elle par un sourire sincère au milieu de ses larmes.
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Des larmes remontèrent bien vite au bord des yeux de Constance. Elle avait l'air si malheureuse que le coeur du médecin en était brisé. Il n’était bon qu'à soigner les blessures du corps, lui. Mais l’esprit et l’âme, leurs mécanismes, leur complexité, étaient bien mystérieux à ses yeux. Il ne parvenait pas à guérir lui-même, toutes ses propres plaies poursuivaient leur nécrose année après année, alors comment pouvait-il aider qui que ce soit ? Il avait son propre deuil à effectuer. Chacun avait le sien. Chacun devait sacrifier une partie de soi, de sa vie, de ses envies, pour d'autres desseins. Cela était moins injuste qu'il n’y paraissait, dans la mesure où cette règle s'imposait à tous de la même manière. Chacun porte sa croix. Parmi un éventail de possibilités sont Cole aurait osé très peu d'options, le docteur opta pour le soutien inconditionnel, l'usage de son dévouement tel qu'il avait toujours su l'offrir. Et cela n'était ni une obligation, ni un devoir à ses yeux. Il le voulait. Il voulait être présent pour la jeune Dashwood, l'épauler, être l'allié dont elle avait besoin. Qu'elle puisse compter sur lui en toute situation, et qu'elle sache qu'à n'importe qu'elle heure du jour ou de la nuit, elle aurait quelqu'un sur qui compter pour écouter et garder ses secrets. C'était, à vrai dire, ce qu'il avait de mieux à offrir. “Oui, c'est une promesse.” répondit-il. Tout comme la petite blonde, l’anglais n’avait qu'une parole. Il ne promettait pas sans peser et penser chacun de ses mots. C'était un pacte, immuable désormais. Il accueillait sa première confiance avec la même bienveillance qu'à chaque fois ; il voyait bien qu'elle était terrorisée, et peut-être n'était-ce pas tant par cette famille et cet endroit qu'elle ne connaissait pas qu'à cause de la perspective de n’avoir aucun contrôle, aucune emprise sur ce qu'allait devenir son existence depuis qu'elle avait mis le pied en Angleterre. Comme si plus rien ne lui appartenait. Elle grandissait à nouveau, elle découvrait de nouveaux aspects de ce monde dont il ne reste plus rien de ce dont elle rêvait étant enfant. Toutes les histoires dont elle se berçait et qui la protégeaient ne l’ont pas préparée à affronter certaines réalités. Désormais, ce train lancé à toute vitesse la percutait de plein fouet, et elle ne savait pas où il allait la mener, sur quel quai inconnu elle allait être crachée pour tenter de réunir les morceaux et reprendre son chemin. Comme à chaque étape, la vie semble aller trop vite et le destin nous dépasse. Lorsque l’on découvre quels sentiers étaient déjà tracés à l'avance, il est trop tard. Et cela était effrayant, oui. Cole n’avait à sa disposition aucun moyen d'être rassurant ; il était aussi perdu que n'importe qui. Après tout, le monde est rempli de personnes qui s'efforcent de faire croire, et de croire elles-mêmes, qu'elles savent ce qu'elles font. Elwood hésita à dire la vérité au sujet de Peter à la jeune femme. Son lien avec les Keynes l’obligeait à en dépeindre un portrait complaisant tandis que son amitié avec Constance le poussait à lui dresser un avertissement au sujet d'un homme qu'il n'estimait guère. “Peter est…” Il soupira. Rien de ce qu'il pourrait dire n’allait arranger les choses, il se dit alors que l'honnêteté était la meilleure solution pour le bien de la jeune femme. “Il est capricieux, comme un enfant. Il s'écoute parler, il aime étaler son savoir à qui le veut ou ne le veut pas, il sait bien trop qu'il est intelligent, vif d'esprit, et non sans charme -je suppose. Il est maladivement arrogant. Et il n’en fait qu'à sa tête, il est borné, il…” La liste serait encore longue, mais Cole n'oubliait pas que les murs avaient des oreilles. Il se remémora sa conversation avec le Keynes, la veille, et baissa les yeux, pris de culpabilité, mais aussi d'amertume envers ce garçon qui ne pouvait décemment pas songer au bonheur de qui que ce soit en dehors de lui-même. “Il m’a dit, quasiment mot pour mot, que vous serez libre de penser tout ce que vous voudrez tant que vous gardez la bouche close.” Quelque part, Cole savait que c'était une stratégie que Constance saurait parfaitement adopter, mais quelle vie serait-ce là pour elle ? La même que bien d'autres femmes, de si nombreuses femmes, mais un gâchis monumental pour une demoiselle comme elle, pensait-il. “Il a ses bons côtés, j'imagine. Je pense que quelqu'un comme vous sera la mieux placée pour les trouver. Et il a l'air… vraiment épris, d'une certaine manière. Je n’en ai jamais été proche, mais il ne s'était jamais ainsi comporté par le passé pour courtiser une femme.” Et il était pourtant le plus dandy de tous, cela aussi, la petite blonde devait le savoir. Il n’avait pas dépeint un prince charmant, Cole le savait. Il n’avait été d'aucun réconfort, mais il espérait que Constance comprenne qu'il s'était montré honnête par loyauté pour elle. Il aurait pu se taire. Il aurait pu minimiser. Il aurait même pu mentir. Mais il avait désormais un devoir vis-à-vis d'elle, et ce devoir impliquait la vérité. Elwood sentit son coeur sursauter à chaque fois que la jeune femme déposait un baiser sur sa main. Il ne baignait pas dans les contacts physiques depuis deux ans, au contraire ; il réalisa que son corps ressentait le poids de la solitude à ce contact. Que ce genre d'attention, de douceur, de tendresse lui manquait cruellement. Ce fut étrange pour lui, mais il osa prendre Constance, en larmes, dans ses bras. Il osa l'inviter à se blottir là, et il passa une main sur ses cheveux. “Soyez courageuse.” murmura-t-il. Lui, il n’était pas important. Il appréciait néanmoins qu'elle veuille être là pour lui en retour. Il avait surtout conscience qu'il pourrait être l'homme le.plus entouré au monde, rien ne pourrait l'arracher à son sentiment de solitude et de vide. “Peut-être devriez vous parler à votre père afin d'avoir le coeur net sur ce qui se trame. Peut-être qu'il y a toujours un moyen de faire changer les choses. Il vous adore, vous êtes un véritable trésor pour lui. Il accordera de l'importance à vos paroles, à ce que vous ressentez. Cela vaut le coup d'essayer.” À ce stade, absolument tout était bon à essayer. “Dr Elwood ?” Vif, le visage du médecin se tourna vers l'origine de cette voix qu'il reconnaissait immédiatement, lui insufflant un moment de panique qui le fit pâlir -pour rien, comprendra-t-il plus tard. Il sauta sur ses jambes, abandonnant malheureusement Constance sur le canapé, et s'approcha de la Lady rapidement. “Augustine ! Quelque chose ne va pas ?” Rien n'allait dans ce fichu manoir, semblait-elle dire en balayant les inquiétudes du médecin d'un signe de la main. “Absolument pas, je me porte très bien, merci. Les garçons sont rentrés et vous demandent.” Il fut agréablement surpris que ce soit la vieille Lady qui vienne le chercher, elle semblait en forme malgré tout l'appui qu'elle prenait sur sa canne. Peter prouva une nouvelle fois qu'il n’avait cure de qui que ce soit en bousculant son aînée dans l'entrée de la bibliothèque afin de marcher d'un pas fier et déterminé vers Constance, un large sourire aux lèvres. “Des fleurs pour vous, Miss Dashwood.” Le jeune homme lui tendit un bouquet composé de fleurs des bosquets du jardin, un arrangement sommaire et maladroit mais harmonieux. Contrairement à l'entrée du garçon dans la salle, l'attention, elle, était délicate. Elwood observa la scène de loin. Peut-être que Peter était véritablement épris, finalement… Il adressa un signe de tête poli à Constance puis suivit Augustine jusqu'au salon.
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Dernière édition par Jamie Keynes le Dim 28 Mai - 16:01, édité 1 fois