give me your love and physical affection, give me the worst of you to hold
Elwood semblait tenir à souligner sa présence constante auprès d'elle. Comme quoi elle pourrait toujours faire appel à lui dès qu'elle en aurait besoin. Certains diraient que c'était une bien maigre récompense comparé à ce qui l'attendait. Mais Constance voyait en lui un soutien dont elle aurait définitivement besoin pour le reste de sa vie. Difficile d'envisager quoi que ce soit alors que tout avait déjà été tracé pour elle. Comme ça sa soeur, elle allait devenir une fiancée, une épouse, une mère, allant de rôle en rôle, respectant à la lettre les règles imposées de toute part par la société et par une famille loin d'être saine et honnête. Qu'il confirme que ses mots étaient bien une promesse soulageait un peu Constance, elle se sentait un petit peu moins seule. Elle se rendait compte que les moments agréables qu'elle passait n'était qu'en sa compagnie, depuis qu'elle était arrivée ici. Pas même sa soeur ou son père n'étaient parvenus à la rassurer, à la faire relativiser. La petite blonde comptait sur la sincérité de son ami concernant celui qu'elle devait apparemment épouser. Elle ne voulait pas que l'on arrondisse les coins, que l'on présente un tableau largement faussé du personnage qu'il était. Déjà qu'elle n'avait plus aucune emprise sur sa propre vie, sur son existence, elle aurait aimé pouvoir anticiper un petit peu, en connaissant les traits de caractère principaux de son futur fiancé. Cole semblait presque être résigné à cette idée mais il le décrivait comme il pouvait le connaître. En somme, cela n'avait rien de réjouissant et Peter ne semblait pas mieux que les autres. "C'est une chose que je sais bien faire, de me taire." répondit-elle avec un très vague sourire, essayant de chercher les points positifs de son futur. Ca ne l'avait jamais vraiment gêné de garder pour elle ce qu'elle pouvait penser. Mais depuis qu'elle avait rencontré Cole, elle était un peu plus encline à se confier, mais uniquement à lui. Jusqu'ici, la jeune femme n'avait jamais été particulièrement loquace, elle trouvait bien plus de réconfort dans son propre silence plutôt qu'en extériorisant absolument tout. "Je suppose que cela fait partie du rôle de toute épouse." A vrai dire, Constance n'en avait aucune idée. Il y avait tout un monde, entre l'épouse qui se montrait en public et celle que l'on retrouvait dans une sphère plus intime. La jeune femme n'avait aucun souvenir de la manière dont était sa mère à domicile. Que quelques murmures, des images floues, rien de bien concret. Mais Cole soulignait le fait que c'était la première fois que Peter semblait véritablement s'intéresser à quelqu'un. C'était peut-être une bonne chose. Constance se cherchait déjà des consolations, des bons points sur lesquels s'accrocher. Durant le descriptif de Peter, elle fit quelques signes de tête, montrant ainsi qu'elle écoutait bien et qu'elle comprenait bien ce qu'il lui disait. Elle appréciait grandement son honnêteté, elle n'en attendait pas moins de lui. Contre toute attente, le médecin finit par la prendre délicatement dans ses bras, passant une main sur ses cheveux blonds. Ce contact fut on ne peut plus agréable pour elle, il lui procura même un très léger frisson. Mais ce n'était malheureusement pas suffisant pour lui faire oublier ses larmes. Il lui disait d'être courageuse, mais à ces mots, elle secoua négativement la tête. Non, elle ne l'était pas. "Pourquoi pas, oui." souffla-t-elle tout bas, d'un ton dépité, lorsqu'il suggéra qu'elle aille en parler à son père.
Cole bondit sur ses jambes lorsqu'une voix les interrompit, et s'approcha rapidement d'Augustine, craignant que quelque chose n'aille pas. Mais elle n'était que la messagère des hommes qui venaient à peine de revenir, le demandant certainement pour ses services. Peter fit son apparition, sans faire attention à sa grand-mère – en voilà, un autre mauvais point, que de se soucier si peu de ses aîné. L'air victorieux, il s'approcha de Constance avec un bouquet de fleurs. Elle les réceptionna délicatement, n'offrant qu'un discret sourire à son prétendant. "Merci beaucoup." Elle leva les yeux et regardait Cole et Augustine partir, la laissant seule avec Peter. "Les fleurs vous plaisent-elles ?" demanda-t-elle en s'installant sur le canapé, à une distance correcte de la jeune femme. "Oui, beaucoup." "Quelles sont vos fleurs préférées ?" demanda-t-il alors avec un intérêt. "J'aime beaucoup les gardénias." Peter acquiesça d'un signe de tête et s mémorisa bien ce premier élément pouvant être utile à plaire à la jeune femme. "Nous n'avions pas véritablement eu le temps de discuter jusqu'ici, et j'adorerai faire plus ample connaissance avec vous." finit-il par dire. Il semblait sincèrement intéressé, c'en était déroutant. "Mais vous m'aviez l'air offusquée, à mon arrivée, s'est-il passé quelque chose de problématique avec le Dr. Elwood ?" "Non, du tout. J'avais simplement peur que Lady Augustine ne tombe avec votre entrée fracassante." "Oh... Je dois avouer que je m'empressais de vous voir, je m'en excuse si cela a pu vous choquer." "C'est juste que... Lady Augustine est une personne fragile par son âge avancé, mais aussi fort respectable, je trouve." Constance haussa les épaules. Peter semblait comprendre d'où venait son erreur. "Veuillez m'en excuser, je tâcherai d'être plus attentif, désormais." Peter semblait presque nerveux, voire même maladroit. Il était facile de constater qu'il n'était pas habitué à ce genre de situations. Pour quelqu'un qui avait le discours facile, il semblait être véritablement désarmé devant cette paire d'yeux qu'il semblait sincèrement aimer. Il avait fini par proposer à Constance de faire quelques pas en dehors du manoir. Ce n'était qu'un petit tour et Peter semblait déjà bien plus bavar, glissant ça et là des compliments pour Constance. Il était nerveux par moment, cherchant un autre sujet de conversation pour faire passer le temps. La jeune femme, elle parlait beaucoup moins, mais elle l'écoutait avec une attention certaine. C'était aussi quelque chose qu'elle savait bien faire, d'écouter. Elle pensait beaucoup au médecin, et espérait de tout coeur, que, quoi qu'il advienne, elle pourrait toujours passer quelques moments avec lui, ne serait-ce que pour avoir l'espace d'un instant la conscience un peu plus tranquille. Ils restaient ensemble jusqu'à ce qu'il soit de temps pour dîner. Il s'était à nouveau installé à ses côtés, particulièrement attentionné. Peut-être qu'il était vraiment amoureux, au fond. L'on ne discutait que du mariage du lendemain. Peter était particulièrement enthousiaste de voir la tenue de Constance pour ce jour de festivités. Aussi conviviale pouvait-elle être, l'ambiance avait un certain fond d'étrangeté. Les quelques regards que Constance échangeait avec son père et sa soeur étaient assez froids, c'était une lueur à peine perceptible mais les deux la connaissaient suffisamment bien pour savoir l'importance de ses émotions à ce moment là. Elle leur en voulait à tous les deux. Le père Dashwood en eut presque le coeur brisé, et comptait bien discuter avec elle après le repas, si elle, elle le voulait bien. Parce que d'habitude, Constance se contentait d'ignorer lorsqu'elle était contrariée par quelqu'un. Une fois les verres de vin remplis, Christian leva le sien. "A l'union de nos deux familles." Il lança un regard fier envers Brentford et Eleanor. Cette dernière lui sourit largement. Il y avait eu beaucoup d'échanges de regard durant ce toast. Alicia se réjouissait du lendemain, mais aussi du supposé rapprochement entre Peter et Constance. Cette dernière ne comprenait pas pourquoi elle en était si ravie, elle ne devait pas en tirer grand chose, de ces mariages, si ce n'est l'enthousiasme de bien s'habiller et se coiffer pour ces événéments.
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Parmi les petites égratignures sans importance et les futurs hématomes ici et là que les hommes du domaine récolteront après avoir gambadé dans les bois, et pour lesquelles Elwood donna des instructions aux domestiques afin que cela soit soigné succinctement, il y avait le bras de Brentford qui souffrait plus sérieusement d'une plaie causée par une balle. Le plomb tiré par le fusil de son père avait fui tout près de sa peau et l’avait frôlé, le blessant au passage. Rien de sérieux. Juste assez néanmoins pour que le Lord fasse plus de jérémiades que nécessaire. “Je ne vous ai même pas touché !” s’exclama le médecin avec impatience tandis que le Keynes serrait les dents comme un soldat s'apprêtant à se faire amputer à même le champ de bataille alors qu'il n’était question que d'une compresse de désinfectant. “Quel enfant vous faites, Brentford.” Cette fois, il parvint enfin à placer la compresse puis à bander le bras du jeune homme bien boudeur. Cole adressa un regard à Charlotte qui assistait à la scène comme une future veuve. Seigneur, il n’y en avait pas un pour rattraper l'autre. Le docteur avait vu des pieds rongés par la nécrose virer au noir, des orteils tomber d'eux-mêmes, et ces deux petites natures faisaient tout un plat d'une égratignure. Son seuil de patience vis-à-vis des habitants du manoir commençait dangereusement à se faire de plus en plus bas. “Je sais bien que vous pensez que la chasse avant le mariage était une piètre idée.” lâcha Brentford en remettant ses habits sur son dos, non sans manquer une occasion de sur-grimacer. “Quelle perspicacité.” Cole rangea le matériel utilisé, confia tout ce qui était à jeter à Charlotte qui disposa immédiatement, puis il nettoya une énième fois ses mains. “Rassurez-vous, cela ne m'empêchera pas de faire mon devoir lors de ma nuit de noces.” pouffait le Lord, tandis que les yeux du brun faisaient trois fois le tour de leurs orbites.
“Dr Elwood ?” l'interpella Alicia a la sortie du salon. Elle était bien plus sobrement habillée que d'habitude, plus timide aussi, les mains jointes devant elle laissant deviner une pointe de nervosité. Son regard était un peu fuyant, de même que son sourire. Elle se comportait bien rarement ainsi. “Je me demandais, à propos de demain… Est-ce que vous accepteriez de m’accompagner lors de la cérémonie ?” Incrédule, Cole persistait à ne pas voir ce qui se trouvait justes sous ses yeux. C’est avec pragmatisme qu'il répondit ; “Je suis déjà le cavalier d'Augustine, d'une certaine manière.” Il allait où elle allait. Elle était à son bras par défaut. Elle prenait la place de n'importe quelle autre femme pouvant souhaiter s'en faire une dans celle du médecin. Alicia se sentit sotte de l'avoir à nouveau oublié. “Oh, c'est vrai… juste une danse alors ?” “D’accord.” “Promis ?” “Promis.” C’est avec un large sourire ravi que la jeune femme le quitta donc, trottant joyeusement dans le couloir. Lorsqu'elle fut assez loin, Augustine demanda à Cole qui était cette demoiselle qui venait de partir. Elle ne s'en souvenait plus.
Du dîner, il n’y avait rien de marquant à rapporter. Le médecin était passé maître dans l'art de se faire oublier. Il observait beaucoup. Il voyait que les clans se mêlaient peu. Que les anglais, américains et les français qui ne se voyaient pourtant pas plus d'une fois par an se parlaient à peine. Les familles restaient entre elles et profitaient d'un repas gracieux. Elizabeth était aussi effacée. Parfois, Mr Dashwood la tirait de son silence. Cole remarqua les échanges de regards froids entre celui-ci et Constance. Il était peiné qu'une famille si soudée se retrouve ébranlée de la sorte. De son côté, c'était souvent le frère de Christian qui lui adressait la parole. Il était féru de sciences et de médecine et appréciait particulièrement les récits peu ragoûtants en plein repas, les histoires de sang et de pus. Le pus choquant, le mieux était-ce. Et Cole, lui, avait un estomac à toute épreuve. Augustine lui adressait une tape sur le bras lorsqu'il entrait trop dans les détails à son goût, mais cela l’amusait. Il aimait la voir pleine d’énergie, et il espérait que cela dure. Il doutait qu'une rémission existe pour son cas, et il craignait toujours la chute, le jour où il promènera une coquille vide. Alors il profitait des instants où elle paraissait avoir encore toute sa tête, même si elle parlait de son époux au présent et envoyait régulièrement une domestique le chercher “avant le dessert car Monsieur est friand de crème brûlée”. On servit des éclairs.
La nuit avançait et rien n’y faisait, le sommeil ne gagnait pas Cole. Il demeurait à sa fenêtre, fumant cigarette sur cigarette. Finalement, il décida de saisir cette rare occasion de faire une promenade nocturne comme il les aimait tant. Il était encore habillé et n’eut besoin que de mettre son manteau sur ses épaules. Il descendit un étage, puis un autre. Et son regard tomba sur un rai de lumière sous une porte de ce palier qu'il s'apprêtait à quitter par l’escalier. La chambre de la cadette Dashwood. Son pied était quasiment sur la prochaine marche, suspendu dans le vide. Il se dit que cela devait être un oubli, et que Constance était endormie. Mais une ombre dansa furtivement sur le parquet, trahissant une présence humaine bien éveillée. Pouvait-il oser frapper à la porte d'une femme à cette heure-là ? Elle devait être en chemise de nuit de plus. Mieux vaudrait qu'il poursuive sa route. Pourtant sa main lâcha la rampe de l'escalier et ses pas l'approchèrent de la chambre. Après une longue hésitation, il toqua furtivement. La porte s'entrouvrit peu après, et Cole se sentit soudainement bien benêt devant la petite blonde. Cela lui prit quelques secondes avant de parvenir à articuler quoi que ce soit. “Je ne pouvais pas dormir, et j'ai vu la lumière de votre chambre allumée…” C'était la partie évidente de sa venue. L’autre consistait à expliquer la raison pour laquelle il s'était permis de la déranger à cette heure bien tardive, et cela lui sembla encore plus ridicule. “Est-ce qu'il vous plairait de vous promener dans le domaine de nuit, avec moi ?”
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Dernière édition par Jamie Keynes le Dim 28 Mai 2017 - 15:59, édité 1 fois
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Constance s'était excusée platement auprès de Peter après le dîner, désireuse d'aller s'isoler. Elle dit alors qu'elle voulait bien se reposer avant le grand jour et que tout le monde avait bien besoin d'une nuit de sommeil pour le grand jour. Une excuse qui semblait satisfaire au jeune homme et qui fit un sourire charmant à celle dont il était curieusement épris. Il se permit même de lui faire un baise-main en guise de bonne tout en ajoutant qu'il espérait qu'elle accepterait d'être sa cavalière pour quelques danses le lendemain. Heureusement qu'il ne demandait pas de l'accompagner pour toute la journée, cela aurait été presque interminable pour Constance. Sur ces douces attentions, elle quitta tout le monde et put enfin s'isoler dans sa chambre. Elle enlevait une par une les épingles qui tenaient ses cheveux en un élégant chignon puis peignait ses mèches pour en faire une natte. Elle avait le coeur serré, à l'idée d'avoir son destin entièrement scellé sans qu'elle n'ait pu avoir le mot sur quoi que ce soit. Elle ne voulait pas voir sa famille, elle voulait rester seule. Mais son père finit par toquer timidement à la porte, bien plus hésitant à l'idée de pouvoir entrer dans sa chambre que d'habitude. Il était silencieux et mesurait chacun de ses mouvements afin de ne pas faire trop de bruit, sachant très bien que sa plus jeune fille appréciait énormément le calme. Constance le regardait sans dire mot. "Je pense que nous devrions parler." dit-il tout bas. La jeune femme baissa les yeux, faisant mine de rester concentrée sur la tresse qu'elle terminait doucement de faire. "A quoi bon. Il me semble que tout est déjà décidé." souffla-t-elle, la gorge bien serrée à cette idée. Peter soupira. "Constance, je..." "Vous aviez promis, Eleanor et toi. Tu avais promis que tu demanderais notre avis avant d'envisager quoi que ce soit. Tu l'as fait pour Eleanor. Et voilà que soudainement, Peter a un vif intérêt pour moi et que personne ne le retienne. Au contraire, tout le monde semble être surexcité à l'idée qu'un second mariage s'annonce au plus tôt." Le père Dashwood soupira. "Alicia me voit déjà comme une belle-soeur, Peter a bien fait comprendre ses intentions au Dr. Elwood, et j'ai bien vu tous ces regards satisfaits à table, dès qu'il s'est installé à mes côtés." Il s'accroupit auprès d'elle et prit délicatement ses mains, cherchant son regard à nouveau bien humide. "Et ne penses-tu pas qu'un mariage te permettrait de te sentir mieux ?" "Pas comme ça." Il embrassait les mains de sa fille, comprenant très bien où elle voulait en venir. "Constance, le mariage de ta mère et moi... Ce genre de mariage d'amour, ce n'est plus vraiment possible, suite à l'ascension de notre famille. Pour le bien de tous, il faut se faire des alliés, lier notre famille à d'autres pour nous garantir un futur serein. Nous en avions déjà parler, de tout ceci." Son regard était désolé, il avait bien conscience qu'il brisait un rêver, et aussi tout l'univers de Constance. Celle-ci se mit à sangloter silencieusement. "Peter est déjà venu me parler, Christian m'a déjà glissé quelques messages subliminaux, mais rien n'a été signé. Je ne pensais pas être devancé ainsi par la famille Keynes mais je reste le frein principal de cette histoire, tu m'entends ? Rien n'est fait, Constance. Je dois reconnaître que je suis favorable à cette idée, mais je voulais tenir cette promesse, parce que je l'ai promis à votre mère. Je ne te laisserai pas aux mains de n'importe qui." lui certifia-t-il en prenant son visage entre ses mains, essuyant ses larmes avec ses pouces. "J'ai passé beaucoup de temps avec Brentford et je sais très bien qu'Eleanor saura très bien le dompter en temps et en heure, je dois me faire un avis sur Peter, maintenant. Mais laisse-le t'approcher, et forge aussi ton opinion le concernant. Mais je ne veux pas que tu te fermes totalement à lui, apprends à le connaître. Nous sommes d'accord ?" La jeune femme savait qu'elle ne pouvait pas vraiment demander plus, mais savoir que rien n'avait encore véritablement décidé était presque libérateur, même si son avenir semblait déjà être tout tracé.
Impossible de trouver le sommeil pour autant. Elle bouquinait dans sa chambre ou faisait quelques pas. Elle appréhendait bien plus le lendemain qu'elle ne pouvait être excitée à ce sujet. Constance était fatiguée, pourtant. Elle sursauta lorsqu'elle entendit du bruit et vit Cole apparaître dans sa chambre, encore bien vêtu. Ils se fixaient longuement, elle attendait la raison de sa venue et finit par le lui dire. "Je n'arrive pas à dormir non plus." reconnut-elle avec un vague sourire. Son regard changea du tout au tout, s'illumina, lorsqu'il lui proposa une promenade à l'extérieur au milieu de la nuit. "J'en serai ravie !" s'exclama-t-elle avec un brin d'enthousiasme. La nuit était particulièrement fraîche, même si c'était l'été, Constance récupéra un manteau à poser sur ses épaules et un foulard violet qu'elle mit autour de son cou. Il y avait une petite part d'excitation, que de traverser les couloirs sombres en se faisant le plus discret possible afin de ne réveiller personne. La jeune femme se tenait tout proche de Cole durant leur marche. Leur mission fut un succès : personne ne s'était réveillé à leur passage. Ils finissaient par se retrouver enfin à l'extérieur. Ils s'éloignaient alors le plus possible du manoir, sans parler trop fort pour n'alarmer personne. Les yeux de Constance étaient constamment levés vers le ciel. Celui-ci était on ne peut plus dégagé et il n'y avait absolument pas de pollution lumineuse. Elle pouvait ainsi admirer les étoiles et la lune en croissant sans s'en lasser. Il y avait bien plus d'étoiles qu'elle ne l'aurait jamais cru. "Nous ne pouvons pas toutes les voir, à Boston. Il y a toujours des lumières, les nuages de fumée à cause des usines." expliqua-t-elle tout bas. "Je suppose qu'ils ne doivent pas prendre le temps de les admirer, ici. Alors qu'ils ont beaucoup de chance, de vivre dans un tel cadre." Constance aimait Boston, elle y était très attachée. Mais en arrivant ici, elle reconnaissait adorer être ainsi au milieu de la nature. Tout était calme et paisible, à partir du moment où l'on restait loin des Keynes. "J'ai... J'ai discuté avec mon père, comme vous me l'aviez conseillé. Enfin, c'est plutôt lui qui est venu à moi, je suppose qu'il avait remarqué que je lui en voulais." commença-t-elle à dire. "Il m'a certifiée que rien n'a été décidé pour le moment, bien que lui serait tout de même favorable à ce mariage. Mais il ne compte rien précipiter et tient à se faire un avis sur Peter avant d'avancer quoi que ce soit. Il veut tout de même que... j'apprenne à le connaître, en quelque sorte." Elle se doutait bien que son prétendant allait avoir un comportement exemplaire jusqu'à ce qu'il obtienne l'objet de sa convoitise. C'était surtout l'après-mariage qui terrifiait Constance. "Je suppose que les dés sont tout de même jetés, dans le fond. A moins qu'il n'y ait un véritable coup de théâtre, ce dont je doute fort." Elle rit tristement, se disant qu'au final, cette conversation n'avait pas changé vraiment grand chose à son destin. Mais elle ignorait combien son père avait pris en considération sa tristesse. Il allait donc se montrer d'autant plus exigent vis-à-vis de son futur gendre.
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Constance n’hésita pas une seule seconde avant d'accepter la proposition du médecin, ce qui le laissa assez décontenancé, mais le ravit tout autant. À vrai dire il ne s'attendait pas à ce que la jeune femme veuille le suivre dans sa marche nocturne, mais plutôt à ce qu'elle estime que les festivités du lendemain nécessitaient qu'ils aillent tous les deux se coucher et forcer le sommeil. Il était rare que Cole soit victimes d'insomnies, ayant des journées chargées et fortes en émotions ; il retrouvait toujours son lit avec grande joie et s’endormait comme un loir en un instant. Il ne s'expliquait pas son incapacité à fermer l'oeil ce soir-là. Il ne demanda pas non plus à la jeune femme la raison pour laquelle elle ne dormait pas, celle-ci étant évidente. Ce n’était pas un sujet qu'il comptait aborder de son propre chef ; si Constance ressentait le besoin de se confier à nouveau, elle le pourrait librement, et sinon, ils marcheraient en silence jusqu'à ce qu'un autre thème de conversation leur traverse l’esprit. Ils n'avaient pas besoin de parler pour apprécier la présence l'un de l'autre. Ils quittèrent donc le manoir a pas feutrés et arrivèrent dans le jardin. Ils prirent naturellement le chemin qu'ils connaissaient bien vers le lac. Constance gardait le nez en l'air, admirant les étoiles. Cole, lui, observait la silhouette des arbres autour du domaine, leur immense ombre se détachant du ciel d’encre. La jeune femme fut la première à prendre la parole. Boston lui parut être une ville peu enthousiasmante et esthétique, et Cole s’estimait heureux d'avoir une vie dans le Kent, là où la fumée des grandes usines n’avaient pas encore leur place. Cela ne saurait tarder, néanmoins, la population était trop attachée à la verdure de cette région pour la céder à l'industrialisation. Il savait que la forêt autour d'eux perdurerait fort longtemps. “Ils sont conscients de la chance qu'ils ont. C’est ce qui les rend si féroces.” répondit-il tout bas. Les Keynes, les aristocrates, les bourgeois, toute personne ayant quelque chose de convoitable se transforme en lion dès que ce bien est menacé. Le jour où cette chose est prise pour acquise et que le privilège de la posséder est perdu de vue, alors il faut s'attendre à la chute. Les Keynes, eux, ne l'oubliaient jamais. “Mais il est vrai qu'ils s'attardent peu souvent sur le ciel…” Cole, lui, en connaissait de nombreuses cartes. Il pouvait citer des étoiles et leurs particularités, pour ce qu'il en était connu à leur époque. Il pouvait reconstituer des constellations en un clin d'oeil. Il croyait en la bonne étoile, celle au-dessus de votre tête le jour de votre naissance, et à l'astrologie qui savait si bien classer et cerner les Hommes à ses yeux. Ce dont il ne croyait pas, c'était au Ciel, dans le sens spirituel du terme. Le paradis, un autre monde où se rejoignent les esprits. Il ne croyait pas non plus au néant. Il ne savait pas, à vrai dire. Cela l’effrayait énormément. Prendre un parti, faire un choix, croire en quelque chose, c'était déterminer ce qu'il était advenu de l’âme de sa fille, et il ne parvenait pas à se résigner à opter pour une hypothèse. Tout ce qu'il savait, c'était qu'elle n’était plus là. Il écoutait le flux incessant de ses pensées d'une oreille, et de l'autre, les paroles de Constance qui lui narrait sa conversation avec son père ce soir-là. Rien n'était acté, mais ni elle ni lui ne semblait vraiment y croire. Il pensait que cela était plutôt une question de temps ; celui qui sera nécessaire à la jeune femme pour accepter son prétendant et l'idée du mariage, qu'elle s'y résigne. “Vous avez déjà plus de chance que votre soeur.” tint à souligner Elwood. “Elle n’a pas eu la chance d'avoir le temps de se faire un avis sur son prétendant avant que le mariage soit organisé. C’est une chose dont vous pouvez être reconnaissante.” Mais tout ce qu'il lui souhaitait, c'était qu'elle puisse sauter dans le prochain bateau pour Boston. Leurs pas les firent arriver près du lac. Là, au delà des roseaux et des nénuphars, on devinait des insectes à la surface de l'eau, des lucioles, des moustiques, des libellules. Les étoiles se reflétaient dans l'eau, donnant l'impression qu'un bout de ciel était tombé là, et avait formé une grande flaque. Désormais, tel Narcisse, la nuit et le jour se succédant étaient forcés de contempler leur reflet dans le lac. “Est-ce que vous avez déjà été amoureuse, Constance ?” demanda Elwood. Habituellement, il n’osait pas se montrer aussi indiscret, mais il était curieux néanmoins. Il se demandait si la jeune femme saurait reconnaître ce sentiment s'il se présentait à elle, s'il naissait au contact de Peter. Voire même, si elle se pensait capable de se ressentir un jour pour lui, et ainsi, de rendre moins pénible ce qui s'apparentait pour le moment à une longue peine de prison.
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Dernière édition par Jamie Keynes le Dim 28 Mai 2017 - 15:57, édité 1 fois
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Tout était si paisible, si endormi. Elle avait l'impression d'être dans l'un de ces univers qu'elle se construisait, où il n'y avait pas d'oreille indiscrète ni de mélodrame environnant. Un instant de paix et de légèreté, tout ce qui pouvait lui manquer cruellement ces derniers temps. Elle avait la sensation d'être en dehors de tout et se disait qu'elle pouvait rester dans un tel endroit durant des heures, sans véritablement s'en lasser. La présence de Cole était encore plus bénéfique, plus agréable. Elle adorait être en sa compagnie. Du moins, lorsqu'il n'y avait que lui, où ils pouvaient partager ensemble leurs pensées, discuter de tout et de rien, ou lire un livre ensemble. Des moments pourtant communs qui avaient gagné une place très importante dans le coeur de la jeune Dashwood. C'était la première à rompre cette sérénité. Mais sa voix ne portait pas vraiment et elle semblait se mêler aux murmures du vent qui se faufilait à travers les feuilles des arbres. Un petit coin de paradis, se dit-elle. Cette ambiance la faisait rêver. Il y avait des libelules, des lucioles qui virevoltaient avec légèreté. C'était son monde à elle, et cela la faisait même sourire. "Je suppose qu'ils voient surtout sa valeur pécuniaire, en plus de l'héritage familial, non ?" Du moins, Constance n'avait pas l'impression qu'ils avaient énormément d'attaches vis-à-vis de la beauté des paysages. Ils devaient apprécier le côté paisible de l'endroit, à en faire envier plus d'un. Oui, les Keynes devaient certainement apprécier les regards envieux. Un domaine à couper le souffle, des épouses et des époux à la plastique parfaite, des oeuvres d'art à n'en plus compter... La liste était déjà bien longue. "Il y a ce magnifique bouquin d'astronomie dans la bibliothèque, que je me suis permise de feuilleter. Il y a les descriptifs des constellations, mon prochain objectif est de parvenir à les reconnaître dans le ciel." dit-elle avec un large sourire. "La couverture est magnifique, je ne sais pas si vous l'avez déjà vu. Bleue avec des gravures argentées." Constance n'avait pas encore terminé de le lire, mais elle y comptait bien. Elle se mit ensuite à parler de sa discussion avec son père, et de la chance qu'elle avait, en soi. "Parce qu'Eleanor l'a voulu ainsi." se permit-elle de rectifier. "Elle est très téméraire et ce n'est pas le caractère de l'un qui l'impressionnera, vous savez. Elle sait quel est son devoir et elle a toujours voulu rendre notre père fier, elle n'a pas hésité une seule seconde lorsqu'il avait commencé à lui en parler. Bien sûr, elle a fait ses propres recherches et a tenu à récolter un maximum d'informations le temps que le voyage ne s'organise, histoire de savoir un minimum à quoi s'attendre. Elle est bien plus courageuse et aventureuse que moi." Son sourire était sincère. Constance admirait la force dont disposait sa grande soeur. Une force solaire. "Mais oui, j'en suis reconnaissante. Cependant, je doute que cela ne vienne changer grand chose." dit-elle d'un ton résolu. Constance fut véritablement émerveillée à quel point le lac était un miroir reflétant dans le moindre détail le ciel étoilé. C'était à en couper le souffle, et la présence d'insectes lumineux ne rendaient que la scène encore plus magique, comme sorti tout droit de son imagination. Constance était étonnée de la question que son ami venait de lui poser. Il était rare, et elle l'avait bien remarqué même s'ils ne se connaissaient que depuis peu de temps, qu'il se montre aussi intime. "Je... Je ne sais pas." avoua-t-elle après un long moment de silence. Ses yeux étaient restés rivés sur le lac. "Je ne pense pas. Il y a beaucoup d'auteurs qui en parlent, et chacun le décrit à sa façon. Mais j'ai fini par me demander que ce doit être propre à chacun, que tout le monde doit le vivre différemment, en fin de compte. Et moi... Je ne sais pas vraiment." Ca la rendait étrangement nerveuse de discuter de ceci. "Eleanor m'a dit que souvent, on tombait amoureux de l'un l'autre après le mariage. Du moins, le couple apprenait à s'aimer. Je trouve ça assez triste, dans le fond. Même si c'est un phénomène qui n'est pas inné, j'ai l'impression que par ce mariage, on force les personnes à s'aimer. Ca n'a pas l'air de déranger Eleanor, mais je trouve que ce n'est pas juste." Elle haussa vaguement les épaules. Ses yeux se rivaient sur Cole. Il devait être amoureux de son ex-épouse, lui. Sinon, il n'en parlerait pas si peu. "Je ne sais pas vraiment ce que c'est. J'aimerais être capable de me connaître et de savoir quand ça a lieu, et ce qu'il se passe dans ces moments là. Ca ne me donne pas très envie, d'être forcée à aimer quelqu'un par obligation." Mais encore une fois, il semblerait qu'elle n'ait pas le choix. Elle commençait plus ou moins à se faire à l'idée, mais ça ne la rendait pas moins triste, ni moins malheureuse. "J'aurais adoré vivre une belle histoire, comme celle des amants du livre. Ils ont pris du temps à se connaître, et à admettre qu'ils étaient amoureux. Mais il en est ressorti la plus belle des complicités, ils en sont plus soudés que jamais. Ca fait rêver." Un sourire triste arbora ses lèvres naturellement roses. "Peter est plutôt un bel homme, je suppose. Il doit se comporter au mieux avec moi pour se faire bien voir, je suppose. Je suis peut-être naïve, mais je pense que son comportement changera du tout au tout si nous nous marions. Il n'aura plus à courtiser et à charmer qui que ce soit, je suppose que ce sera à ce moment là que les masques tomberont, et je n'ai pas envie de voir son vrai visage." Constance, pour une raison inconnue, avait surtout peur qu'il se montre violent envers elle. Elle ignorait pourquoi elle n'avait que cette idée en tête, mais c'était ce qui prédominait. Une partie d'elle espérait qu'elle ait tort, et que finalement, ses longues années de mariage se passent un peu mieux que ce qu'elle pouvait s'imaginer. "Et vous ? Vous deviez certainement beaucoup aimer votre femme... Pensez-vous que vous pourriez tomber amoureux, un jour ?" demanda-t-elle en retour. Puis, plus timidement, elle lui demanda. "Comment c'est ?... De tomber amoureux ?"
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Le manoir renfermait bien des siècles d'histoire. Sa valeur était bien plus que simplement pécuniaire. Cet endroit était le nid de la famille depuis toujours, leurs racines. Il devait y avoir là de nombreux fantômes, des cadavres dans tous les recoins du jardin, dans les murs. Il y avait des histoires dans les tableaux, dans les bosquets. Des secrets dans les tiroirs, dans les armoires. Tout le domaine était un mystère et probablement personne n’aura un jour le savoir complet à propos de tout ce qu'il renfermait. Cole pensait que les Keynes avaient conscience de cela. Ils savaient, bien entendu, que cet endroit, toutes leurs possessions, valaient une fortune. Que leur entreprise, leurs relations, leur influence était également d'une valeur inestimable dans un monde scindé en deux. Mais le manoir avait sa propre âme, il était un membre de la famille à part entière. “Je pense qu'ils trouvent l'endroit joli aussi.” dit le médecin en minimisant ironiquement. Constance lui parla d'un livre trouvé dans la bibliothèque, un livre qu'il reconnut lorsqu'elle lui en décrit la couverture. “Je connais ce livre. Je l'ai lu il y a longtemps…” Après tout, il arpentait les rayons de cette bibliothèque depuis aussi loin qu'il puisse s'en souvenir. À son tour, le médecin leva le nez. Son regard glissa sur le ciel afin de trouver un point précis, et lorsqu'il tomba dessus, il l’indiqua du doigt à la jeune femme. “Celle-ci est Vega. C'est la toute première étoile que les scientifiques sont parvenus à photographier, après le soleil. Si vous la connectez à ces étoiles, ici, et là, vous obtenez la constellation de la lyre. En remontant, vous passez par le coeur et la tête du dragon, et enfin vous atteignez la grande Ourse. Quand Vega sera cachée par les arbres à l'horizon, nous serons en automne.” Du moins, c'était ainsi que les Romains trouvaient leurs repères dans le temps. Leurs divagations les ramenèrent finalement à la discussion entre Constance et son père à propos de son futur sur le sol anglais. Avoir le choix, du moins, le temps, était un luxe que la jeune femme avait parce qu'elle le demandait, contrairement à sa soeur qui n’était guidée que par son dévouement pour sa famille et leur père. Cole était on ne peut mieux placé pour comprendre qu'il était incroyablement plus facile de s'oublier, de vivre au travers des autres et de ce qu'ils attendent de vous. Mettre de côté ses opinions, se dire que cela n’est pas important. Pas si important que ça, du moins. Qu'il existe un tableau plus grand que seulement vous, et que vous n’êtes qu'une petite pièce de ce gigantesque puzzle. L’accepter rend la réalité moins difficile. “Je pense que votre père vous adore et qu'il ne fera pas quelque chose susceptible de vous rendre profondément malheureuse.” se permit d’ajouter Cole. Bien qu'il connaissait peu Mr Dashwood, il avait une certaine confiance en son jugement. Il avait su élever ses filles avec des valeurs et en respectant leur nature profonde, et cela n’était pas donné à tous les parents. Souvent, ils cherchent à les modeler d'une manière qu'ils pensent être la meilleure pour eux, pour leur avenir, qu'importe ce qu'ils sont, ce qu'ils veulent. Le plus difficile désormais était le pas en arrière qui leur était exigé. Une gymnastique consistant à, désormais, s’adapter. Arrivés au lac, Cole se permit une question. Absolument rien n'obligeait Constance à lui répondre, même si cela ne lui aurait fait aucun mal. Elle fut tout de même fort nerveuse soudainement. Elle n’avait aucune définition de l'amour en dehors de ce qu'elle avait lu dans les livres. Elle n’avait jamais vécu ces palpitations, ces papillonnements, ces sourires idiots. Le médecin croyait que l’amour ne naissait pas des mariages arrangés, mais quelque chose d'aussi puissant en émergeait ; le respect. Une cohabitation pacifique et harmonieuse basée sur cette force qu'est un profond respect l'un pour l'autre et pour tout ce qui a été vécu à deux en tant que mari et femme, ou en tant que père et mère une fois que les enfants sont créés pour les lier à jamais. L'amour n’avait rien à voir avec ce contrat tacite qui se signait avec les années, lorsque chaque parti avait appris à connaître l'autre par coeur. Une fois les masques tombés, les secrets révélés. “Malheureusement, je ne le connais pas assez pour vous dire ce qu'il en est. Je ne l’ai jamais vu se comporter comme il le fait avec vous… peut-être y a-t-il d'autres visages, peut-être que vous pouvez le changer.” Cela n’était pas impossible, même pour un Keynes, n’est-ce pas ? À propos de Peter, Elwood ne savait plus quoi penser. La question posée par Constance en retour fut comme un coup de marteau sur le coin du crâne. “...je ne sais pas.” souffla-t-il. Être à nouveau amoureux un jour, cela était un incroyable défi à relever. Mais Cole n’était pas certain qu'il le pourrait un jour, même s'il le voulait. Il ne savait pas s'il en aurait le courage. Il soupira. Décrire l’amour, le moment précis où l'on tombe amoureux, n’était pas une chose aisé. Le regard de Cole se perdit sur la surface du lac et les lucioles dansantes. Il remontait jusqu'au jour où il avait ressenti ça pour la première fois. “C’est comme… quand vous pensez qu'il reste une marche à l'escalier mais que votre pied est dans le vide. C’est effrayant, au début. Votre coeur s'emballe, vous ne savez pas comment vous allez atterrir, ou si vous allez vous faire mal. Pendant un très court instant, vous pouvez même avoir l'impression de flotter. Vos sens se mettent complètement en alerte, vous êtes plus vivant que jamais. Puis vous attrapez la rampe, votre pied touche le sol, tout se remet en place, et il y a cette euphorie, cette adrénaline qui vous fait rire d'avoir eu peur.” Peut-être que cela ne donnait pas particulièrement envie, raconté de la sorte, mais Cole trouvait cela beau, cette sensation de chute. C'était pour cette raison que l'on disait “tomber” amoureux. Ses mains trouvèrent refuge dans les poches de son manteau. “J’ai aimé Laura plus que je ne pourrais le décrire. Ça n’a pas été assez. Mais cela fait bientôt trois ans qu'elle n’est plus là… Ce n’est plus tant l'amour qui me raccroche à elle. C’est… la culpabilité.” Elwood espérait de tout coeur qu'un jour il se pardonnerait. Qu'un jour, il serait au-dessus de tout ceci, il tournerait la page, et il ne se sentirait plus continuellement malade. Il rêvait d'aller de l'avant. En être capable était une autre paire de manches.
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Elle n'avait aucune idée de quand datait le manoir, mais il était facile de deviner qu chaque élément regorgeait d'histoires, de secrets, de drames. Elle espérait qu'il y avait eu tout de même de belles histoires entre ces murs, ou qu'il y en aura, un jour ou l'autre. Elle se demandait également si toute la branche Keynes avait toujours été ainsi : manipulateur, arrogant, empoisonnant, presque mauvais. Elle avait bon espoir que tout le monde n'était pas ainsi et qu'il y avait ces quelques éléments qui faisaient exception à la règle. Que les nouveaux venus parviendraient à les rediriger dans un chemin plus juste et plus beau et qu'ils parviennent à inculquer à leur descendance des valeurs pour le moment inexistantes dans cette famille. Constance se demandait s'il y avait des meurtres, si des fantômes hantaient ces murs dans l'espoir de mettre en avant une vérité cachée depuis bien trop longtemps. Mais d'un autre côté, elle préférait ne pas savoir. Peut-être que c'était de là que venait cette ambiance lourde dans le manoir, qu'il y avait bien trop de tristes histoires qui flottaient dans l'air. Un sourire étira les lèvres de Constance lorsque le médecin savait de quel livre elle faisait allusion, avouant même qu'il l'avait déjà lu. On ne pouvait pas passer à côté d'un tel ouvrage tellement il était beau, d'un point de vue esthétique. Le contenu était aussi bien intéressant mais elle attendait de le terminer avant de se faire un véritable avis. Le Dr. Elwood voulait alors montrer quelques étoiles et constellations à la jeune femme, les décrivant afin qu'elle s'y retrouve. Le bel homme ne manquait pas de connaissance et semblait prendre plaisir à les partager avec Constance, qui l'écoutait avec une grande attention.[:color] "Ils ne manquaient pas d'imagination, à l'époque." souffla-t-elle. "Déjà pour trouver des noms d'étoiles, mais aussi de penser à les associer par des lignes imaginaires pour en faire des formes qui leur rappelaient quelque chose." Il y avait tout à imaginer, à cette époque là. Mais une fois que cela avait été décidé, cela restreignait un petit peu plus le monde à chaque fois. L'homme était curieux et marquait au fer rouge chaque chose conquise. Constance était ravie d'avoir repéré la Grande Ourse. S'en suivait la conversation concernant le futur de la jeune femme. Cole semblait avoir énormément de respect pour son père, il ne lui avait jamais rien reproché jusqu'ici. "Nous verrons bien de ce qu'il dira et décidera." Constance était incapable de prédire ses intentions. Il allait devoir trancher entre l'amour qu'il portait à sa fille et l'assurance d'un futur prestigieux. Peut-être qu'il comptait également se donner du temps pour lui, peut-être ne parvenait-il tout simplement pas à se faire à l'idée de se séparer de ses deux filles et de les confier à un autre homme en un si court laps de temps. Peut-être qu'il voulait encore garder Constance un peu pour lui, et cela tombait plutôt bien dans la mesure où elle était la plus fragile et la plus jeune de la famille. Cole pénétrait dans une sphère bien plus intime de la jeune femme en lui demandait si elle n'était jamais tombée amoureuse, ce à quoi elle répondait négativement. Elle doutait de pouvoir changer qui que ce soit, encore moins un Keynes. Elle trouvait que Cole surestimait largement ses capacités tant il semblait croire en elle et en cette prétendue force qu'elle possédait. Il ne se sentait pas véritablement capable de tomber amoureux, il ne parvenait pas à répondre clairement à cette question. Il s'essayait ensuite à décrire toutes ces sensations, qui, à première vue, n'avait rien de rassurant. "Ca doit être d'abord bien étrange, de ressentir tout cela." dit-elle avec un fin sourire, curieuse de voir ce que ça faisait. Mais elle voulait que ce soit sincère, pas que cela ne vienne qu'après un mariage. Il fallait que ce soit avant. "Je suppose que beaucoup de personnes vous ont déjà dit de ne pas vous sentir coupable... Mais ça reste malgré tout plus fort que vous, n'est-ce pas ?" demanda-t-elle tout bas après un long moment de silence. Constance s'approcha de lui et posa une main délicate sur son épaule. "J'espère que vous parviendrez à vous pardonner de tout ce qui vous tourmente, Cole." dit-elle avec un regard sincère. "Et que vous soyez heureux à nouveau. J'adorerai vous voir sourire plus régulièrement." Elle souriait à son tour, passant furtivement ses doigts sur la joue du médecin. "Peut-être que tomberez à nouveau amoureux, un jour. Je l'espère pour vous. C'est tout ce que je vous souhaite." Constance adorerait le voir sourire et rire plus souvent, voir son regard pétillé. Elle se mit alors à souhaiter qu'elle puisse faire quelque chose pour lui. Non, elle avait envie de le faire sourire. "Si je peux faire quoi que ce soit qui puisse vous aider, faites-le moi savoir. Je veux être là pour vous." Elle glisse sa main sous bras. Puis elle extirpa délicatement sa main pour la lui prendre. "Venez, poursuivons notre promenade, cela vous changera les idées." Constance était bien plus soucieuse du bien des autres que du sien. Du moins, elle faisait attention aux personnes auxquelles elle tenait. Il longèrent dans un premier temps le lac, avant de s'y éloigner. "Je crois que je préfère le domaine de nuit." finit-elle par dire avec un léger. "Nous ne sommes interrompus par personne, pas de discussion inutiles, pas de prétendants ou de familles entières à avoir bonne allure pour se faire bien avoir. Tout ce calme... fait du bien." C'était comme une grande bouffée d'oxygène. "Notre nuit de sommeil sera courte, mais cela m'importe peu. Je trouve cet instant tout aussi reposant." dit-elle avec un sourire. Il y avait quelques moments de silence qui régnaient, mais cela n'avait rien de dérangeant. "Ce sera malgré tout un beau mariage, demain. Les Keynes ne semblent pas aimer ne faire les choses qu'à moitié. Eleanor a tenu à garder sa robe secrète, même pour moi. Cela me rend d'autant plus curieuse." Sa grande soeur s'habillait toujours avec énormément d'élégance et de classe. Nulle doute que la robe choisie allait être tout aussi somptueuse. Constance se raccrochait uniquement aux détails qui pouvaient l'enthousiasmer, même les plus minimes. La symbolique de l'événement ne la réjouissait guère, alors elle se contentait de se focaliser sur ce qui pouvait lui plaire.
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Comme chaque auteur avait sa propre manière d’écrire et de décrire l'amour, chaque individu avait sa façon de tomber amoureux et d'aimer. Cole n’estimait pas que sa perception des choses était la vérité vraie, il avait d'ailleurs conscience que son point de vue pouvait paraître effrayant et peu enthousiasmant. Néanmoins c'était ainsi qu'il avait vécu la toute première apparition de ce sentiment. Lorsque l’on tombe amoureux, la grande question est de savoir de quelle manière se terminera la chute, et il n'y avait aucun indice à ce sujet, aucune possibilité de rationaliser la chose, de se raccrocher à quoi que ce soit de connu, de prouvé. L’on pouvait lire à ce sujet des dizaines et des dizaines de livres, pas un ne vous apprendra à être amoureux. Cela était, finalement, la plus grande inconnue de toutes les équations composant l'existence, et la réponse de l'anglais n'en était qu'une parmi des milliers d'autres. Il n'y avait pas de bonne réponse, ni de mauvaise. Il n’y avait pas qu'une manière de tomber amoureux et d'aimer. Constance, si elle en avait la chance, découvrirait ses propres vérités à ce sujet le jour où elle en ferait l'expérience. Une seule chose était certaine ; lorsque ce sentiment se fait sa place en vous, il n’y a rien de plus étrange. “Ça l’est.” murmura le médecin avec un rictus nostalgique. Mais ce n’est pas étrange comme lorsque l’on se sent barbouillé par un repas à la fraîcheur dépassée, ni lorsque le soleil frappe trop fort sur le sommet de votre crâne. C’est bien autre chose. C’est une ivresse des plus agréables. Du moins, quand le sentiment est partagé. Cole avait mis longtemps avant d’accepter le fait que sa propre femme ne l’aimait plus assez pour vivre le deuil à deux. Laura avait eu besoin d'un coupable pour le décès de sa petite fille, et plutôt que de trouver refuge et soutien auprès de son époux, c'était lui qu’elle avait désigné comme fautif. Elle lui avait tourné le dos. Elle avait cessé de l'aimer. Lui ne s’était concédé le droit de laisser ces sentiments mourir qu'il y a peu de temps. Il n’en souffrait pas moins. L'on pourrait croire qu'Elwood avait simplement faites siennes les accusations de son épouse et qu'elle l’avait persuadé que le décès de leur enfant était de sa faute, mais cela n'était pas le cas. À vrai dire, les choses seraient plus simples si cette idée avait été implantée par Laura dans son esprit ; il est plus facile de se défaire de la pensée toxique des autres plutôt que d'une conviction née de vous même. Et le médecin était convaincu, dès le moment où il avait pris le bébé sans vie dans ses bras, qu'il était l’unique fautif. Il ne pouvait même pas blâmer Laura de l'avoir quitté pour cela. “Parce que je le suis, Constance.” dit-il, ce qui répondait à sa question ; non, il ne pouvait pas s'en empêcher, qu'importe ce qu'on pouvait lui dire. Il était coupable, et son seul espoir d'aller mieux était de parvenir à se pardonner un jour, d'accepter sa faute, ses erreurs, et enfin se dire que cela ne devait pas l'empêcher de vivre ni d'avoir à nouveau droit au bonheur. Dieu seul savait combien de temps il pourrait se condamner avant d’en arriver là. Encore des mois, des années ? C’était un chemin de croix que personne ne pouvait effectuer à sa place. Il n’était jamais ingrat vis-à-vis de ceux qui souhaitaient qu'il cesse de se flageller et qu'il aille de l'avant. Il ne pouvait pas leur en vouloir de ne pas comprendre à quel point le poids de la mort de sa propre fille écrasait sa conscience, et qu'il demeurait une possibilité qu'il ne s'en relève jamais. Comme les soldats à qui l’on ampute un bras ou une jambe, il demeurera toujours une douleur fantôme. Cole posa une main sur celle de la petite blonde, amicalement déposée sur son épaule afin de lui témoigner du soutien. “C’est aimable à vous, merci.” articula-t-il avec un faible sourire. Il accepta bien volontiers de reprendre la marche. Ils se laissèrent chacun dans leurs pensées le temps de faire le tour du lac, ils ne ressentaient pas le besoin de forcer la conversation alors que les créatures de la nuit parlaient déjà entre eux, allant chacun de sa propre mélodie. Elwood avait toujours trouvé le domaine bien plus intéressant à parcourir la nuit. L’endroit était digne d'être le théâtre de plus glauques des histoires de fantômes, ou des plus doux rêves, selon le regard que l'on portait dessus. Parfois, il était inquiétant, et d'autres il était quasiment enchanteur. “Si vous restez, vous pourrez voir tout ceci l'hiver. Il y a de la neige à perte de vue, tout le terrain devient un grand lit de coton. Le lac gèle, parfois assez pour patiner dessus. Et la nuit, la neige scintille, le manoir a l'air couvert de cristal.” Le seul défaut de l'hiver à Chilham était qu'il devenait bien plus compliqué de s'y promener. La neige avalant les jambes parfois jusqu'aux genoux nécessitait de hautes bottes afin d'être praticable. Les femmes ne s'y risquaient pas, et les hommes préféraient le confort d'un fauteuil près d'un feu de cheminée. Les Keynes aimaient en effet faire les choses en grand, et les fêtes de fin d'année étaient toujours merveilleuses. Cole n’avait néanmoins jamais assisté à un mariage au sein de la famille, il n’était pas moins persuadé que la cérémonie serait grandiose. “Je suis certain que vous serez toute aussi belle.” dit-il à Constance qui ne trouvait d'intérêt dans cet événement que les jolis détails, la forme, et non le fond. “J'appréhende un peu. Alicia a insisté pour que je danse avec elle, et je n’ai pas dansé depuis des années.” Il n’en avait pas l'occasion. Le docteur avait assisté à toutes les soirées, les galas, les cocktails organisés au manoir, mais jamais il ne mettait un pied sur la piste, rarement se laissait-il mêlé aux convives. Il se rendait transparent. Et dès que Augustine montrait un signe de fatigue, il l’envoyait au lit, et il s'éclipsait également pour le reste de la nuit. Cole avait beau être un homme sociable, lorsque son coeur n'était pas à la fête, il était vain d'essayer d'en tirer quoi que ce soit. Il voulait faire un effort pour cette fois. En tout cas, il s'en sentait capable. Quelque part, c’était la présence de Constance qui lui inspirait cela ; si elle demeurait près de lui, alors ils seraient deux à se donner du courage pour affronter cette journée, et cela paraissait bien moins insurmontable.
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Le père de Constance avait toujours cet éclat particulier dans les yeux, lorsqu'il évoquait sa femme. Il avait ce rictus au coin des lèvres et il y avait même le son de sa voix qui changeait un peu. La jeune femme voyait qu'il aimait toujours éperdument sa défunte épouse et qu'il ne semblait pas vouloir en aimer une autre. Il ne cessait de dire à Constance combien elle pouvait lui ressembler, elle avait les mêmes yeux qu'elle. Elle aurait adoré tomber amoureuse, et aimer cet être cher devenu si cher jusqu'à la fin de ses jours, comme son père. En le regardant, elle trouvait cela vraiment très beau et elle se disait qu'elle espérait qu'un autre homme la regarde aussi de cette façon. Avec cet éclat si différent des autres. Seulement, elle ne l'avait pas ressenti pour le moment, ou si c'était le cas, elle fut incapable de le déterminer et de le définir comme tel. C'était quelque chose qu'elle devait apprendre toute seule, personne ne pouvait l'y initier étant donné que tout le monde le vivait différemment. C'était une expérience à vivre seule. La manière dont Cole le décrivait rendait le sentiment étrange et il le confirmait avec un petit sourire. Il ne voulait pas en dire en plus, estimant peut-être que le reste, c'était uniquement à elle de le découvrir. Ou peut-être que cela lui rappelait des souvenirs qui avaient fini par lui être douloureux. Il perdait toute lueur dans ses yeux lorsqu'il pensait à son ex-femme ou à sa petite fille qui n'était plus de ce monde. Constance avait l'impression qu'il devenait un pantin articulé, et que c'était à quelqu'un d'autre de tirer sur les ficelles afin qu'il reprenne vie, d'une certaine manière. Pour le coup, il n'y avait qu'elle. Elle tentait désespérément de trouver des mots qui pourraient le réconforter, mais cela ne remporta pas un franc succès. Il ne parvenait pas à se défaire de ce sentiment de culpabilité malgré les années, et rien ne semblait pouvoir l'effacer. La petite blonde voulait prouver sa présence auprès de lui, et les mots de Cole semblaient être utilisés par simple courtoisie. En somme, elle comprenait qu'elle ne pouvait rien faire pour lui et c'était quelque chose qui la désolait profondément. La meilleure chose à faire était donc de reprendre la marche et d'admirer les paysages. Le médecin mentionnait l'hiver, le domaine et son tapis de neige. "Ca doit être magnifique." commenta-t-elle avec un vague sourire. Elle ignorait où elle allait être au prochain hiver, mais il y avait de fortes chances qu'elle soit mariée depuis quelques mois d'ici là. Ils sautaient d'un sujet de conversation à l'autre et ils finissaient par revenir sur le mariage. "Je ne serai pas celle qu'il faudra regarder." répondit-elle avec un sourire quelque peu amusé. "Je ne me fais pas de soucis pour vous. Les pas de danse sont bien difficiles à oublier. Peut-être que l'on peut être quelque peu rouillé au début, mais tout reviendra naturellement." Constance ne le disait pas souvent, mais elle aimait bien danser. On la voyait pourtant bien peu sur les pistes de danse, elle ne voulait pas trop se montrer. Son meilleur cavalier jusqu'ici restait son père. "J'ai une idée." dit-elle soudainement. Elle se mit face à lui et déposa sa main sur son épaule. "Je peux vous rappeler les pas dès maintenant. Comme ça, vous ferez vos quelques maladresses avec moi et tout se passera merveilleusement bien avec Alicia." Constance serait ravie de l'aider sur ce point. "Elle a l'air de beaucoup vous apprécier." C'était une constatation. Une jeune femme n'invitait pas n'importe quel homme à être son cavalier, Constance venait à se demander si la jeune Keynes n'avait pas d'intérêt pour le médecin. Elle guida sa main pour la mettre sur sa taille et tint ensuite la sienne afin d'avoir la position initiale de la danse. Elle se mit alors à compter le tempo à trois temps avant de l'inviter à suivre ses pas. Cole était bien incertain durant de longues minutes et regardait souvent ses pieds. Il avait marché quelques fois sur ceux de Constance, mais cela la faisait plus sourire qu'autre chose. "Regardez-moi. Oubliez vos pieds un petit peu et concentrez-vous uniquement sur le tempo. Ou sinon, demain, focalisez-vous sur la musique, et ça ira tout seul." lui assura-t-elle avec un doux sourire. Ils continuaient à faire quelque pas et le bel homme commençait peu à prendre de l'assurance, au point même de faire tournoyer la jeune femme sur elle-même avant de la reprendre dans ses bras. Constance en fut particulièrement ravie. Elle rit doucement et se laissait ensuite volontiers guider par son cavalier. "Vous voyez ? C'est comme si vous ne vous étiez jamais arrêté de danser." Secrètement, la jeune femme espérait qu'il lui accorde une danse le lendemain, ne serait-ce qu'une. Alicia pourra le monopoliser comme bon lui semble le reste du temps, elle ne demandait que ça. Il y avait eu quelques minutes de flottement, où ils continuaient sans raison apparente, jusqu'à ce qu'une certaine fatigue commence à se faire ressentir et qu'il soit temps d'aller se coucher.
Dès qu'ils passaient l'entrée, ils tombèrent nez-à-nez avec le père Dashwood, vêtu d'une robe de chambre en soie. Une surprise assez générale. "Constance! Je me faisais un sang d'encre !" souffla-t-il tout bas afin de ne réveiller personne. "Je n'arrivais pas à dormir, le Dr. Elwood m'a proposée de se promener un petit peu pour prendre l'air." expliqua-t-elle d'un air désolé. "Je ne voulais pas vous inquiéter." Peter soupira de soulagement. "Ne me faites plus de frayeurs pareilles, imaginez combien j'ai paniqué en voyant vos appartements vides." "Je suis désolée." dit-elle d'un air navré. Peter s'approcha de sa fille pour l'embrasser sur le frond et la prendre dans ses bras. "Il est tout de même temps de se reposer un petit peu, une longue journée nous attend tous, demain. Et je doute fort qu'Eleanor veuille voir sa soeur épuisée durant la cérémonie, vous la connaissez." Constance acquiesça d'un signe de tête. "Bonne nuit, Dr. Elwood." dit-elle au médecin avec un sourire sincère. Peter tint à accompagner sa fille jusqu'à sa chambre. Alors qu'elle montait les escaliers, il se retourna et fit un signe de tête à Cole, avec un sourire on ne peut plus amical et respectueux, son regard laissant comprendre toute le respect et la reconnaissance qu'il avait envers lui, que de prendre un peu de son temps pour veiller sur sa fille.
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Un jour, Cole fut de ceux qui clamaient haut et fort qu'il ne se marierait jamais. Il respectait ce sacrement et tous les engagements qui liaient deux êtres mariés, mais il pensait que cela n'était pas fait pour lui ; il était jeune, il n'avait jamais eu d'exemple de couple sur lequel baser son avis sur l'amour, élevé uniquement par sa mère, et il s'estimait déjà bien assez engagé auprès de son travail, marié à son serment d’Hippocrate. Et puis il rencontra Laura, et son opinion fut bousculée, changée du tout au tout. Il n'y a que les idiots qui ne changent pas d'avis après tout. Alors il disait qu'il ne divorcerait jamais, que ce lien était pour la vie et que rien au monde ne pourrait le briser. Les événements lui prouvèrent une nouvelle fois à quel point il avait tort. Désormais, Elwood pensait qu'il valait mieux qu'il demeure seul, et il ne croyait pas que la vie lui donnerait tort une troisième fois. Malgré son histoire, il aimait les mariages. L'esprit, la cérémonie, les festivités. Sa maison à Canterbury était juste au pied de la cathédrale -pour cela il s'estimait très chanceux car l'endroit était particulièrement prisé. Il pouvait littéralement vivre au son de ses cloches, et il n'avait besoin que d'ouvrir la fenêtre du cabinet pour lancer une poignée de riz sur les mariés si l'envie le prenait. Il aimait l'amour, énormément. Il aimait la manière dont ce sentiment rendait les gens beaux. Cela faisait bien longtemps que le médecin n'avait pas assisté à ce genre de célébration. Plus longtemps que la dernière fois où il avait eu le coeur à danser. Peut-être que les pas étaient toujours dans un coin de son crâne et remonteraient à la surface avec un peu de pratique, mais Cole était trop peu assuré pour s'y essayer. Constance lui proposa pourtant de s'exercer -elle ne lui laissait pour ainsi dire aucun choix, armée de son sourire et d'un regard pétillant. « Là ? Ici ? » Au moins il n'y aurait que deux témoins des maladresses du brun ; la jeune femme, et la Lune. « Elle… Elle se montre d'un grand soutien. » répondit-il à propos d'Alicia. Mais il était incapable de voir la cadette Keynes d'une autre manière. Docilement, Cole laissa Constance mener dans un premier temps. Il était nerveux comme tout à la simple idée de tenir la jeune femme par la hanche. Il lui semblait soudainement que ses pieds étaient palmés tant il se sentait gauche. Tous les deux pas étaient ponctués d'un « pardon » ou d'un « excusez-moi » tandis que ses joues rosissaient. Tant bien que mal, il suivit les conseils de la petite blonde. Il finit par lever les yeux, non sans mal, raide comme un piquet. Mais il souriait. Il riait parfois en se surprenant à progresser bien vite. A la fin, il parvenait même à faire tournoyer Constance sans perdre le tempo. « Vous êtes une professeure tout à fait bluffante. » lui dit-il avant de déposer un léger baiser sur sa main une fois la danse terminée. Ils prirent ensuite le chemin du retour et arrivèrent au manoir, désormais prêts à s'accorder quelques heures de sommeil. Ils tombèrent sur le père de la jeune femme, paniqué, n'ayant pas trouvé sa fille dans sa chambre. Elwood s'attendit à un nouveau sermon, mais il n'en fut rien. « Je vous présente toutes mes excuses, Mr Dashwood. » murmura-t-il le regard bien bas. Père et fille empruntèrent l'escalier pour retourner dans leurs chambres. Cole osa à peine répondre au signe de tête de Peter, surpris par la reconnaissance qu'il y devinait et qu'il ne comprenait pas. « Bonne nuit. »
Le soleil de cette dernière journée d'août était spectaculaire. De quoi ravir absolument tout le monde. Le manoir s'était levé tôt, la liste des préparatifs étaient interminable, et les domestiques devaient absolument tout préparer pour le retour de la famille et des invités après la cérémonie à la cathédrale de Canterbury. Énormément de monde était attendu, uniquement des aristocrates et des grands noms des hautes sphères de Londres. A huit heures, tout le monde avait déjà déjeuné, exceptionnellement, et déjà de grands bouquets de fleurs ornaient l'escalier principal et le hall d'entrée. Elwood, n'ayant pas faim, vola simplement une pomme dans l'un des bols remplis de fruits de la salle à manger où les Keynes terminaient leur thé. « Qu'est-ce qui vous fait autant sourire ? » demanda Brentford, visiblement nerveux, agacé par un rien, et ayant bien besoin de cracher son venin sur quelqu'un -sur lui. Et il était vrai que la seconde chose remarquable ce matin, en dehors du temps radieux, était le large sourire qu'arborait Cole. « Rien. C'est… une belle journée pour un mariage. » A vrai dire, il songeait à la veille, au moment passé avec Constance, à leur danse là, dans le jardin, sous les étoiles, et c'était à ce jour le meilleur souvenir, pour ne pas dire le meilleur moment qu'il eut passé au domaine depuis qu'il s'y était installé. C'était assez pour nourrir son coeur de joie au moins une journée. « Vous faites peur, Elwood, je crois que je vous préfère quand vous ne souriez pas. » Il haussa les épaules. Qu'importe. Le regard du médecin glissa furtivement sur la Une des journaux. Tous titraient sur un drame ayant eu lieu la veille ; pendant que la jeune Dashwood et lui riaient au clair de lune, une femme se faisait tuer à Whitechapel de la plus sauvage des manières. Ce n'était pas la première fois, mais cela ne faisait que commencer.
« Cole, nous en avons déjà parlé. » siffla Alicia avec impatience, ne se laissant pas amadouer par le regard de chien battu du docteur qui ne faisait pas plus de fier d'un toutou couard que l'on traîne chez le vétérinaire. « … vraiment ? » Elle soupira, posa ses affaires sur le lit de la chambre de l'anglais, et tira la chaise qui se trouvait sous la fenêtre jusqu'au centre de la pièce. « Allez, ne faites pas l'enfant, asseyez vous. » Résigné, Cole s'installa. Il retira sa veste et ne garda que sa chemise. Alicia déposa une serviette autour de son cou. « Tout ira bien, détendez donc ces épaules, là ! » dit-elle en appuyant dessus avec ses petites mains déterminées. Il leva les yeux au ciel et fit exprès de faire tomber ses épaules avec exagération. La jeune femme prit les ciseaux, commença à faire le tour de son crâne, à repérer tout le travail qui l'attendait, les sourcils froncés, le nez plissé, particulièrement concentrée et inspirée. « Vous êtes sûre de ce que vous faites ? » se risqua-t-il à demander tout de même, peu rassuré à l'idée d'abandonner sa crinière brune. Désabusée, Alicia se posta devant lui avec un regard dur. Il crut bien qu'elle comptait lui planter les ciseaux dans la gorge afin qu'il se taise enfin. « Cole, je coupe les cheveux de mes frères depuis des années, même Père m'a laissé rafraîchir sa coupe ce matin, alors oui, je sais ce que je fais. Maintenant tenez vous tranquille. » Une fois préparé par les soins de la cadette de la fratrie Keynes, le médecin retrouva sa patiente dans sa chambre. Les domestiques avaient terminé de la parer, en théorie. En tout cas, c'est une Augustine coquettement habillée qu'il trouva dans ses appartements, quoi qu'elle lui semblait désorientée. Elle sursauta une fois qu'elle eut fait volte face pour tomber sur Elwood. « Grand Dieu, Cole, j'ai bien failli ne pas vous reconnaître à votre tour ! » s'exclama-t-elle la main sur son coeur, toisant l'homme de haut en bas, puis riant un coup pour se remettre de ses émotions. Il n'y avait bien qu'elle pour tourner en dérision sa propre condition. « Alicia a inisté. » « Elle a bien fait. Vous êtes très distingué ainsi. » Il se pinça nerveusement les lèvres, fuit furtivement son regard, puis la remercia d'un signe de tête poli. « Merci, vous êtes ravissante aussi. » « A vrai dire, j'hésitais encore entre cette robe et celle-ci... » Sauf qu'il était l'heure de partir, les calèches filaient une à une vers la cathédrale, et si la Lady continuait d'être indécise ils finiraient par être les derniers partis. « Augustine, vous êtes parfaite. Allons rejoindre les autres. » dit-il en la prenant par les épaules avec un sourire rassurant. Il s'assura qu'elle avait son sac et son ombrelle, puis ils descendirent dans l'entrée où Christian se faisait de plus en plus impatient. « Mère, vos coquetteries vont nous mettre en retard. »
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C'était le grand jour. Le réveil de Constance fut particulièrement matinal et elle apprit plus tard que sa soeur s'était levée encore plus tôt afin d'être prête à temps. Il fallait travailler le moindre détail de la tenue de la mariée, il fallait être parfaite. Tout autant que la soeur de celle-ci. Malgré la nuit écourtée, elle était plus en forme qu'elle ne l'aurait pu l'imaginer. C'était une belle nuit, se dit-elle. Évasive, rêveuse, légère. Cela lui avait fait un bien fou. Elle prit un rapide petit-déjeuner, n'ayant pas un franc appétit et sachant pertinemment qu'il y aurait un festin qui allait s'allonger sur toute la journée. La jeune femme avait pris du temps pour faire sa toilette. Les domestiques qui l'assistaient l'avaient aidé à bien mettre son corset, les dessous de sa robe. Elle avait choisi une robe en soie d'un bleu somptueux. Les manches étaient courtes et les épaules légèrement dégagées, de longs gants recouvraient ses bras. Constance n'aimait pas vraiment les tenues surchargées en rubans ou froufrous bien que ce fut la mode de l'époque. L'on pouvait dire qu'il n'y avait que le minimum syndical sur sa robe, mais elle s'était montrée bien plus exigeante pour les détails. Par exemple, tout le long du bord du col de sa robe, il y avait de fins motifs torsadés ponctués de toutes petites fleurs avec des perles aux reflets argentés. Ce détail là longeait également sa taille et se répétait discrètement sur le pan de sa robe. On lui avait confectionné un manteau assorti le temps de la cérémonie à la cathédrale. Alicia arrivait alors en trombe dans la chambre. "Constance, vous m'avez attendue pour la coiffure !" s'exclama-t-elle, fort enthousiaste. A vrai dire, elle n'avait pas encore eu l'occasion de s'en occuper mais elle se souvenait combien la jeune Keynes tenait à la coiffer. "Votre robe est magnifique." dit-elle un peu plus bas, l'air un peu envieux. "Vous êtes bien plus ravissante que moi." répondit Constance avec un sourire sincère, ce qui ravit la brune. Alicia avait longuement coiffé les cheveux de la jeune Dashwood et les dressa en un chignon à l'image de celle-ci. Elle y avait incorporé les épingles dont elle avait parlé quelques jours plus tôt. Elles discutaient de tout et de rien. Constance fut satisfaite du résultat et observa sa coiffure longuement avant de dire. "Vous avez un véritable talent pour cela." Alicia rougit, flattée du compliment. "Je vous laisse finir de vous préparer, nous nous retrouvons dans peu de temps, après tout." Alicia prit les mains de la petite blonde. "Je suis si heureuse de savoir que nous allons bientôt être de la même famille." Les yeux de la Keynes pétillaient d'enthousiasme à cette idée. "Moi de même." répondit Constance tout bas avec un sourire. Ce n'était qu'un mensonge, mais elle se disait que peut-être elle finirait par s'y plaire, avec le temps. Une fois qu'Alicia avait quitté la chambre, c'était le père de Constance qui fit son apparition, avec un petit coffret en main. Il s'approchait d'elle avec un sourire attendri et l'embrassa sur le front. "Tu es magnifique." lui souffla-t-elle. "Et ta soeur... n'en parlons même pas. Epoustouflante." Il riait doucement. Peter avait toujours aimé voir ses filles dans leurs plus belles robes, alors l'émotion était encore plus vive le jour d'un mariage. "J'ai un cadeau pour toi." "Ce n'est pas à moi qu'il faut en offrir aujourd'hui." "Ai-je tout de même le droit d'offrir des présents à mes filles sans raison apparente ?" rétorqua-t-il avec un rire amusé. Peter aimait les gâter, sans pour autant en faire trop. "Et puis, je me doutais bien que tu ne voudrais pas porter de bijoux, alors... " Il ouvrit le coffret en question pour montrer un collier de diamnts aux motifs complexes. "Papa, je..." "Certes, ce n'est pas ce qu'il y a de plus usuel, mais je me suis dit qu'il pourrait te plaire et te correspondre. Discret, mais complexe. Je voulais... quelque chose d'inédit, autant pour toi que pour ta soeur." Qu'il avait généreusement gâté, bien évidemment, et ce n'était pas fini. Il prit délicatement le collier afin de le mettre autour du coup dénudé de Constance, qui se regardait par la même occasion dans le miroir. "Là, voilà. Ni plus, ni moins, qu'en penses-tu ?" dit-il en posant ses mains sur ses épaules. Constance l'enlaça. "Merci infiniment." souffla-t-elle tout bas, émue d'avoir un si beau cadeau. Elle le serrait encore quelques temps contre elle jusqu'à ce qu'il soit temps de se rendre à la cathédrale, et que Peter accompagne sa fille aînée à l'autel.
Constance ne trouvait pas de mots pour décrire sa soeur. Elle qui était déjà très solaire, rapidement remarquée par sa simple présence, la voilà plus magnifique que jamais, dans sa robe blanche. Elle était rayonnante, tout le monde avait les yeux rivés sur elle. La cadette se disait qu'elle était une véritable princesse, et que la cérémonie, ainsi que le lieu choisi, était à la hauteur de la beauté d'Eleanor. La messe fut solennelle, sans la moinrde fausse note. Les Keynes avaient du tenir à ce que toit soit absolument parfait, et ça l'était. La jeune Dashwood se trouvait aux côtés de son père. Elle n'avait pas encore eu l'occasion de voir Cole, ni même Augustine, ils n'étaient pas sur le même banc qu'elle. Celui d'à côté, supposa-t-elle. Mais tout le monde attendait la fin de la cérémonie pour enfin démarrer les véritables festivités – peut-être que Brentford attendait surtout la nuit tombée et de retrouver son épouse dans l'intimité. Les cloches de la cathédrale sonnèrent de plus belle dès que la cérémonie prenait fin et tout le monde venait applaudir les jeunes mariés dès qu'ils furent à l'extérieur de ce magnifique monument religieux. Comme à son habitude, la petite Dashwood restait un peu en retrait, avec son père. Elle applaudissait, comme les autres, s'enthousiasmait, comme les autres. Il était ensuite temps de retourner au domaine. Là, Eleanor s'absenta pour réajuster sa tenue, notamment pour enlever le voile. Constance se réfugia également quelques secondes dans sa chambre afin qu'on lui retire son manteau afin de mettre enfin à découvert sa tenue pour le reste de la journée. Elle se permit de faire irruption dans la chambre d'Eleanor pour être la première à l'enlacer et à la féliciter. Eleanor semblait assez pressée, les domestiques faisaient de leur mieux pour s'occuper au plus vite des derniers réajustements. "Descends vite dans la grande salle, je ne vais pas tarder à arriver." lui dit Eleanor avec un large sourire. Constance rejoignit alors tous les convives qui attendaient patiemment à ce que les héros de la journée se présentent à eux. Son père l'attendait et lui fit signe dès qu'il l'aperçut. Elle le rejoignit et échangea quelques mots avec lui. Et enfin, pour la première fois de la journée, elle vit Cole. Elégamment habillé, les cheveux impeccablement. La jeune femme en perdait les mots et l'observa longuement. Elle avait cru sentir son coeur manquer un battement. "Cela change bien de ses vêtements habituels, n'est-ce pas ?" lui souffla son père avec un regard attendri en direction de Constance, ayant bien compris ce que sa fille regardait. Elle acquiesça d'un léger signe de tête. Constance se demandait s'il l'avait remarqué, s'il l'avait déjà vu. Elle se surprenait à l'espérer, d'ailleurs.
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
Augustine usa d'un peu d'aide du médecin pour monter dans la calèche tandis que Christian ne savait que s'impatienter un peu plus. Il n’y avait qu'eux trois dans l'habitacle ; eux, et un lourd silence. Pourtant, rien qui puisse complètement ôter le sourire des lèvres de Cole, tandis qu'il observait le paysage. Ils sortaient de la forêt et arrivèrent à Canterbury en peu de temps. Ils furent secoués par les pavés le long de la rue principale, puis ils furent déposés aux portes du cloître. De là, la vieille Lady s'agrippa au bras du docteur afin de ne pas trébucher avant d'atteindre les grandes portes de la cathédrale. Ils passèrent devant sa maison. Elle lui parut un peu moins blanche qu'avant. Il n’y avait plus de fleurs près de l'entrée. Les rideaux étaient tirés depuis des années. Il eut un petit soupir nostalgique avant de pénétrer dans le bâtiment.
À ce stade, il n’était plus possible de même estimer le nombre de fleurs qui ornaient l'édifice du sol au plafond. Les bancs étaient déjà noirs de monde. Un léger nuage de fumée flottait dans l'air, les cigarettes faisant patienter les invités avant le début de la cérémonie. Cole aida Augustine à se frayer un chemin entre les bancs jusqu'à leurs places, vers les premiers rangs. Tous se décalent poliment afin de laisser la doyenne Keynes passer, laissant bien constater qu'il n’y avait que les Keynes eux-mêmes pour la négliger. Ils trouvèrent l'espace pour s'installer à côté de Janine et Alicia. Peter se trouvait aux côtés de Brentford devant l’autel. Cole chercha Constance du regard, mais il ne parvint pas à la trouver avant que la cadette absorbe son attention. “Alors ?” Il fronça les sourcils. Peut-être attendait elle son avis sur la décoration de la cathédrale, sur sa robe, sa coiffure, sa parure, il n’en avait pas la moindre idée. “Qu'est-ce que ça fait de sentir le vent sur votre nuque ?” demanda-t-elle en passant ses doigts sur les pointes nouvellement coupées du brun, fière du résultat. Au moins n'avait-il plus l'allure d'un chat de gouttière, avec ses longues mèches qui ne savaient pas elles-mêmes si elles devaient boucler ou non. Il s’y était habitué, à cette masse sur son crâne, il n'avait pas eu les cheveux aussi court depuis des siècles, mais il devait admettre que son reflet lui plaisait ainsi. Avec un rictus, il haussa les épaules, donnant satisfaction à demi-mot à la jeune femme. Il ne lui en fallait pas plus. “Ah, je le savais !” Sur le banc d'en face, Catherine se retourna avec un regard froid. “Alicia, silence.” L’orgue enveloppa l'atmosphère, et la mariée fit son entrée devant une assemblée débordante d’admiration. Le regard de Brentford n’avait jamais autant brillé pour autre chose que son propre reflet. Cole eut le coeur serré en les écoutant prononcer leurs vœux. Il faisait au mieux pour ne pas laisser les souvenirs prendre le pas sur l'instant présent, pour que son imagination ne place pas Laura à la place de la jeune Dashwood, pour ne pas entendre le son de sa voix lorsqu'elle dit “oui”. Il se leva comme les autres pour applaudir, puis il suivit le mouvement, prenant toujours qu’Augustine ne soit pas bousculée, pour quitter la cathédrale.
Sur le parvis, ils demeurèrent à l'écart de l’agitation fourmillante autour des mariés, mais ils n’en étaient pas moins enthousiastes. “Eleanor est magnifique…” soupira Alicia qui revenait à la charge. La cadette Keynes croyait dur comme fer à ce constat ; à leur époque, la majorité des futurs couples à marier se formaient durant les mariages. C’était sa chance, elle en était absolument convaincue. “Mais je serai plus belle quand je me marierai. J'ai déjà dessiné des robes et je sais qu'elles seront parfaites, et…” Le problème de la jeune femme était qu’elle parlait bien trop au goût du médecin ; il savait qu’au bout de quelques mots l’intérêt des paroles s’évaporait et il ne parvenait plus à écouter ce flot ininterrompu de paroles qui sortait de la bouche de la demoiselle. Elle nota assez vite qu’il était bien plus intéressé par l’effervescence qui envahissait la place que par ses futurs plans de mariage. “Cole ?” Les mariés s’étaient engouffrés dans leur calèche pour prendre le chemin du retour vers le manoir où les réelles festivités commenceraient ; le médecin vit là l’occasion parfaite de s’esquiver de la compagnie un brin oppressante d’Alicia. “Excusez-moi, je dois rentrer avec Augustine. À tout de suite.” lui glissa-t-il poliment avant d’attirer la Lady vers la prochaine voiture se mettant en route. Ils y furent seul, pour leur plus grand plaisir.
Ce serait sûrement leurs seules minutes de tranquillité jusqu’au soir et le moment où ils retrouveront leur lit. Pas que Cole ait déjà hâte que la fête se termine, au contraire, cela le changeait agréablement d’être entouré de joie, même feinte, et il y avait assez de monde pour qu’il puisse éviter les Keynes tout l’après-midi, ce qui était également un soulagement. La vie à Chilham était solitaire pour lui qui voyait les mêmes visages méprisants jour après jour. Il espérait pouvoir converser avec les invités, et après cette journée, il aura déversé assez de paroles pour en être contenté jusqu’à l’année prochaine. Ce n’était pas tant l’idée d’user de sa salive qui l’enchantait, mais surtout de changer d’air, entendre d’autres voix, tenter d’apprendre de nouveaux noms. Et surtout, peut-être, trouver sa future porte de sortie. Le champagne aussi, et la musique. Muré dans un éternel stoïcisme, personne ne pouvait vraiment se douter que Cole était capable d’avoir le coeur à la fête. Au fond, qui le connaissait vraiment dans ce manoir ?
La cour du domaine avait été préparée durant leur absence. Les domestiques n’avaient pas cessé d’arranger et de ré-arranger les détails jusqu’à la dernière seconde, puis ils avaient sauté dans leurs beaux habits avant de se présenter sur le pied de guerre, prêts à répondre aux moindres attentes. les calèches se suivaient et crachaient les invités devant l’entrée du manoir. Les amuse-bouche étaient déjà pris d’assaut en attendant que la mariée ne réapparaisse pour accueillir une centaine de félicitations. Comme toujours, Cole ne s’imposait pas. Il attendrait son tour, quitte à être le dernier. Rien ne pressait, après tout, ils allaient désormais vivre sous le même toit et se côtoyer tous les jours. Il espérait apprendre à connaître cette Dashwood-là aussi, si cela lui était permis. Le médecin avait rapidement attrapé une coupe de champagne, son auto-prescription pour calmer son anxiété naturelle face à autant de monde. Il se sentirait plus à l’aise face à un amphithéâtre bondé de confrères à parler varices et pustules plutôt qu’au milieu d’aristocrates. Il trouva enfin Constance du regard. Il ne su comment la qualifier, mais ses yeux parlaient pour lui. Leurs yeux se manquèrent de peu. “Êtes-vous vraiment obligé d'être constamment au bras d'Augustine ?” demanda Alicia, apparue comme par magie, et ne se souciant même plus d’être entendue par la Lady qu’elle croyait complètement sénile. Il adressa un regard à Augustine -cela faisait longtemps qu’ils n’avaient pas besoin de plus pour se comprendre, et cette fois, ils partageaient leur désoeuvrement face à ce manque de considération comme inscrit dans le patrimoine génétique des Keynes par on ne sait quel moyen. Ils échangèrent un rictus également, alors qu’il donnait la main de la vieille femme à la cadette ; “Absolument pas, vous avez raison ; vous pouvez l’être, pour changer.” Et il la laissa sur le carreau, avec l’accord d’un rictus bienveillant d’Augustine.
Il ne fut pas aussi aisé qu’il le pensait de se frayer un chemin jusqu’à Constance, mais il y parvint tant bien que mal et arriva près d’elle sans écraser de pieds ni renverser sa coupe de champagne -ce qui était un défi réussi. Il se permit de frôler son épaule avec sa main afin d’attirer son attention discrètement, mais il la retira bien vite. “Vous pensez peut-être que vous n'êtes pas celle à regarder, mais vous n'aidez vraiment pas les regards à se détourner.” glissa-t-il à son oreille, hors de portée de celles de son père. Puis il se redressa, tout sourire. “Vous êtes superbe.” Alors seulement, Peter remarqua sa présence et le salua. Ils trinquaient machinalement. “Mr Dashwood. Toutes mes félicitations, vous devez être ravi pour Eleanor.” La soeur de Constance était le centre de toutes les attentions, un peu plus loin. Il fallait attendre qu’elle termine de faire le tour des invités au bras de son époux pour espérer l’atteindre. Plus tard, ils inaugureront la piste en dansant ensemble pour la première fois. Il n’y avait peut-être pas d’amour entre eux, mais on ne pouvait nier qu’ils étaient assortis. Difficile de déceler la subtilité du bonheur qu’ils affichaient, s’il était sincère, ou s’il était pour plaire à tous qui attendaient d’eux qu’ils le soient. Quoi qu’il en soit, pour les deux familles, l’affaire était rondement menée. Le regard de Cole croisa celui de l’autre frère Keynes, et il comprit immédiatement qu’il était vivement invité à céder la place au prétendant de Constance, ce qu’il exécuta sans se faire prier. Il n’avait aucun intention de marcher sur les plates bandes de qui que ce soit, et sûrement pas sur celles d’un jeune aristocrate capricieux. “J’ai un long tour de poignées de main à faire et de coupes à faire trinquer, mais j'espère que nous pourrons nous retrouver plus tard pour mettre à profit vos leçons de danse.” dit-il avant de s’éclipser, disparaissant aussi vite qu’il était apparu. “À plus tard.” En partant, son épaule frôla celle de Peter qui s’avançait vers la jeune femme. Ils s’ignorèrent, et pourtant, une tension furtive fut palpable dans l’air.
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Cole était on ne peut plus élégant. Cette nouvelle coupe de cheveux lui allait à ravir et ce costume avait tout pour le mettre en valeur. Elle avait l'impression de le découvrir sous un nouveau jour, même si ce n'était peut-être pas l'accoutrement qu'il préférait porter. Un sourire léger se fit deviner sur les lèvres de Constance lorsqu'elle l'aperçut, et son père l'avait bien remarqué, n'hésitant pas à glisser un commentaire concernant l'homme pour qui il avait beaucoup de respect. Un des domestiques s'approcha alors d'eux afin de leur fournir une coupe de champagne avec laquelle père et fille trinquèrent ensemble. Certains aristocrates s'approchaient d'eux, mais c'était surtout Peter qui tenait la conversation. Ses filles furent complimentées à maintes reprises, autant la mariée que celle qui devait encore l'être. Il riait en admettant qu'il avait toujours du faire attention à ce qu'il n'y ait pas n'importe qui qui jette son filet sur l'une d'entre elles. Un petit peu le désavantage, supposait-on, que d'avoir deux filles plus belle l'une que l'autre. Constance se contentait de sourire, voire même de rire. Elle parlait lorsqu'on lui adressait directement la parole, mais en dehors de cela, Constance restait elle-même. Elle était surprise qu'une légère main se pose sur son épaule pour attirer son attention, mais ensuite ravie de voir de qui il s'agissait. Flattée et devenant bien timide, elle baissa les yeux et sentit ses joues rosir à son compliment. "Je vous assure que ce n'est pas volontaire de ma part." bégaya-t-elle en riant un peu, pensant que sa simplicité la rendrait inaperçue. La jeune femme lui sourit avec sincérité. Elle avait l'impression de ne pas l'avoir vu depuis une éternité, alors que ce n'était que la nuit précédent ce jour de fêtes. "Merci." souffla-t-elle tout bas. "Votre costume vous va à merveille, ainsi que cette nouvelle coupe de cheveux. Augustine a bien de la chance de vous avoir comme cavalier, et Alicia, comme partenaire de danse." Elle rit doucement, ses yeux pétillaient. Peter Dashwood se retourna et se permit de trinquer avec le médecin. "Je le suis." assura-t-il avec un franc sourire. Ils parlaient ensuite de tout et de rien, de quelques mondanités qui n'avaient pas vraiment d'importance mais Peter aimait bien discuter avec Cole. Il n'en avait pas eu véritablement l'occasion depuis qu'il avait mis le pied en Angleterre et espérait pouvoir se rattraper. Mais le médecin fut rapidement rappelé à l'ordre par le Keynes qui convoitait Constance. Cole s'excusa alors auprès d'elle sans attendre, glissant tout de même furtivement une invitation pour une danse à Constance, qu'elle accepta avec un large sourire comblé. "Vous semblez être proches." souffla tout bas son père en regardant Elwood s'éloigner. "Nous sommes devenus de bons amis, oui." Il sourit tendrement, ravi qu'elle ait pu sympathiser avec quelqu'un, et se doutant alors que sa fille pouvait peut-être ressentir autre chose que de l'amitié pour Cole, même si cela était minime. C'était sans surprise que Peter Keynes s'approcha de Constance. Là, le père Dashwood avait l'impression d'être dans une cour de nobles, comme à l'époque, et que l'on s'approchait de sa fille comme prétendant, l'un après l'autre. "Existe-t-il un seul mot pour décrire la beauté de vos filles, Mr. Dashwood ?" dit-il alors en se permettant de déposer un baiser délicat sur la main gantée de Constance. "Vous êtes splendide." souffla-t-il plus bas avec un sourire charmeur. "Accepteriez-vous de danser avec moi ?" Constance sourit. "Ce serait avec plaisir." "Si vous me le permettez, je désirerai être son cavalier pour la première danse." se permit de dire le père Dashwood, faisant alors là bien comprendre au Keynes qui rien n'était joué d'avance. Celui-ci s'inclina poliment. "Bien sûr." Un large sourire satisfait étirait les lèvres du jeune Peter, ravi de pouvoir faire quelques pas en avant dans sa conquête de Constance. Les jeunes mariés arrivaient enfin à eux, s'en suivit une longue série de mains serrés et de baisers. Eleanor prit alors la main de sa soeur pour s'éloigner un peu de tous ces hommes et pour pouvoir échanger quelques mots avec elle avant d'être à nouveau prise d'assaut.
"Ca va ?" demana Constance, tout de même soucieuse et inquiète. "Bien sûr que ça va. Pourquoi ça n'irait pas?" répondit-elle avec un sourire confiant, gardant les mains de sa cadette dans les siennes. "Je ne sais pas... Tout ça. Ca doit être impressionnant, même si tu as l'habitude d'attirer l'attention. Et même... pour ce qu'il va se passer après, et pour les jours qui suivront." "Je ne veux pas que tu te fasses de soucis pour moi, d'accord ? Je vais très bien, et tu sais déjà ce que je t'ai déjà confié, par rapport à tout ça. Penses-tu vraiment que je vais oublier qui je suis sous prétexte que je change de nom de famille ?" Constance n'avait véritablement pas à se faire de soucis pour ça. Eleanor avait un caractère suffisamment fort pour ne pas se laisser faire, et Brentford ne lui faisait pas peur. "Je ne veux pas que tu t'inquiètes pour moi. A la place, je voudrais que tu profites de cette soirée, pour moi. D'accord ? J'ai envie de te voir sourire et danser à nouveau. Tu me le promets ?" demanda Eleanor. "Je te le promets."
Brentford s'approcha alors de son épouse afin de prendre délicatement sa main. Il était temps d'ouvrir le bal. Un orchestre avait été engagé et commençait alors par jouer une oeuvre de Strauss, le Beau Danube Bleu. Le nouveau couple entamait alors une valse viennoise. Chacun de leur mouvement, de leur pas, était impeccable. Le rythme s'accélérait peu à peu, et d'autres membres de la famille Keynes allaient bientôt se permettre d'entrer sur la piste. C'était assez protocolaire. Les convives attendaient que les membres de cette même famille aient commencé pour se permettre également de danser. Avant toute chose, il fallait admirer le couple danser et les applaudir discrètement. Le père Dashwood se rapprocha rapidement de sa fille cadette, et avec elle, ils furent parmi les premiers à rejoindre Eleanor et Brentford. Constance adorait danser la valse, elle avait toujours l'impression de se sentir pousser des ailes. C'était une activité pour laquelle elle avait toujours eu des facilités. Son professeur n'avait jamais eu à corriger beaucoup de lacunes durant ses nombreux cours. Aussi, se disait-elle, son père était un excellent cavalier. Il était toujours souriant lorsqu'il dansait. Certainement parce que depuis qu'ils étaient là, c'était l'une des rares fois où Constance semblait être véritablement heureuse et souriait en toute sincérité durant ces premières minutes de danse de la journée.
And my highs when you're gone Give me a golden guarded soul But when I'm crazy and I'm lost You calm me down.
“Puis-je ?” La soirée était désormais bien entamée. Cole avait vaqué de son côté quelques heures, allant d'invité en invité en se faisant présenter non sans éloges par Augustine, Christian ou Catherine qui, même s'ils n'étaient pas forcément les premiers admirateurs du médecin, n’iraient jamais déclarer qu'ils hébergement le meilleur de tous au manoir. Une obsession des apparences qui jouait en sa faveur, pour une fois, et il s'en délectait sans honte. Là, quelque part, il y avait sa future clientèle, celui ou celle qui lui permettrait de laisser les Keynes loin derrière lui et de n’en faire qu'un mauvais souvenir. Et les discussions qu'il engageait avec certains étaient particulièrement encourageantes pour l'avenir. Lorsque ses hôtes finirent par comprendre sa manoeuvre, trop tard, ils pretexterent des obligations auprès de certains invités afin de laisser Elwood seul. Cela importait peu, ils avaient déjà rempli leur rôle, le mot se réprendrait par bouche à oreille. Seule Augustine demeura auprès de lui, bien obligée, et ils discuterent longuement. Cole n’avait pas encore participé à aucune danse, et la Lady préférait s'asseoir un moment. Elle n’avait pas forcé Cole à rester là chaperonner et lui promis de ne pas faire de bêtises s'il allait s'amuser. Gravitant autour de la piste et des danseurs, il observait avec un petit sourire et apercevait, de temps en temps, Constance former un duo avec son père, puis avec Peter. Il attendit, longtemps, avant d'oser s'approcher à la fin d'un morceau pour demander une danse à la jeune femme -ou plutôt, l'autorisation à son cavalier de le lui emprunter. Il accepta bon gré mal gré et quitta la piste pour rejoindre Brentford, lui-même abandonné par son épouse actuellement au bras de Mr Dashwood.
Délicatement, Cole prit la main de la jeune femme dans la sienne. Sa peau était plus tiède que la sienne, plus douce aussi, et plus pâle. Ses doigts paraissaient si petits et fins en comparaison de ceux du médecin. Si délicats, dans chaque geste. Elle posa l'autre sur son épaule, et lui sur son dos. Il ne se sentit pas nerveux jusqu'au moment venu de prendre la musique en marche. C’est un peu maladroitement qu'il donnait l'impulsion qui les fit rentrer dans le rang des autres duos de danseurs -mais dans le tempo malgré tout. La crainte de rater ces premiers pas passée, ses épaules furent moins crispées. Puis ils étaient lancés, et tout le reste se fit le plus naturellement du monde. Il ne regarda pas ses pieds une seule fois. À vrai dire, il lui fit tout bonnement impossible de s'arracher au regard de Constance. Ils se souriaient de temps en temps. À ce moment-là, tout était si simple. Comme s'il n’avait jamais cessé de danser. Comme s'ils avaient toujours dansé ensemble. Le temps passait sans eux. D'un compositeur à l'autre, d'un morceau à l'autre, mais sans que cette bulle n'éclate. Deux, trois, quatre danses. Le nombre n’avait plus du tout d'importance. Du moins, pas pour lui, pas pour eux. Il fallut les essouffler pour qu'ils cessent un instant. Riant, sans raison apparente, Cole remarquait qu'il ne s'était pas senti aussi léger depuis bien longtemps. Il en était profondément reconnaissant à Constance.
Alicia s'approcha, pour réclamer la danse qu'il lui avait promis pensait le médecin. Mais son visage était fermé et ses yeux débordants d'un mélange de peine et de contrariété dont il ne comprenait pas l'origine. “Vous avez de l’intérêt pour elle, c’est ça ?” demanda-t-elle sèchement en indiquant Constance d'un signe de tête. Elwood fronça les sourcils, plus préoccupé par l'expression sur le visage de la jeune femme que par cette espèce d'accusation. “Ne faites pas l’innocent. On ne vous a pas vu sourire autant depuis des années mais cela ne semble plus être un souci avec elle.” “Ne soyez pas ridicule. C’est une amie, Alicia, tout comme vous. Je vous apprécie également.” La raison pour laquelle la cadette Keynes parut soudainement choquée, voir répugnée par ces mots, échappa complètement au brun. “Vous m’appréciez ?” Elle le toisa d'une telle manière qu'il crut avoir formulé il ne savait quelle insulte à son égard. Il lui semblait être plus spectateur impuissant qu'acteur actif de la scène incompréhensible qui se déroulait sous ses yeux. Il ne voyait pas ce qui pouvait mettre la jeune femme dans pareil état sans que quoi que ce soit ne l’ait laissé présager. “Vous ne saisissez vraiment pas, n’est-ce pas ?” “Qu’est-ce que je ne saisis pas ?” Excédée, la jeune femme tourna les talons et partit se réfugier à l'intérieur, suivie par sa soeur qui avait assisté au tableau de loin, lançant elle aussi un regard mauvais à Cole de loin. Il se tourna vers Constance, déboussolé. Elle était une femme, peut-être comprendrait-elle, elle. Et Peter, par dessus son épaule, rappliquait déjà pour récupérer la petite blonde à son bras.
give me your love and physical affection, give me the worst of you to hold
Le temps passait à folle allure, lorsqu'elle dansait. Elle ne savait pas si c'était une impression commune, mais ça l'était bien pour elle. Constance était dotée d'une certaine endurance. A force de danses et de promenades, il fallait véritablement maltraiter ses pieds pour qu'elle commence à avoir mal, même avec ses talons. Elle se laissait guider par son père, puis par Peter, qui tenait véritablement à être son cavalier pour plus d'une chanson. Il avait une apparence tout à fait charmante et prouvait qu'il était capable d'être un véritable gentleman. Mais elle ne savait pas s'il était ainsi à longueur de temps et c'était ce qui la mettait sur ses gardes. Qu'adviendrait-il de ce jeune homme élégant une fois qu'il aurait obtenu l'objet de sa convoitise ? Il était tout de même un excellent cavalier et savait guider sa partenaire avec brio, ce que Constance appréciait. Bien que Peter semblait être assez imbu de sa personne, il semblait attacher énormément d'importance à Constance dans le moindre de ses mouvements. Sa main posée sur sa taille était délicate, celle qui tenait ses doigts n'étaient pas trop fermes. Elle passait un agréable moment avec lui. La jeune femme fut surprise de voir Cole arriver et venir exprimer sa volonté de danser un peu avec son amie. Peter ne put qu'accepter, il devait certainement savoir que Constance n'apprécierait guère qu'on lui refuse certaines choses. Il s'y plia sans protester et légua sa main au médecin. Elle était on ne peut plus ravie de le voir là, dans ses bras. Constance sentit sous ses doigts posées sur son épaule qu'il était quelque peu crispé, quelque peu nerveux. Mais ses muscles se détendirent au bout de quelques pas, se laissant totalement porter par le rythme de la valse. Toutes ces danses qui se suivaient furent un moment particulièrement plaisant. Ils ne s'arrêtaient que lorsque leur corps n'en pouvait plus. Elle n'avait jamais vu Cole autant rire et sourire jusque là. Son visage rayonnait, avec ce rictus qui ne semblait pas vouloir se défaire de ses lèvres et de ses yeux pétillants. Lui qui avait toujours l'air triste et si las, le voilà transformé, pour le plus grand plaisir de Constance, qui avait l'impression de le découvrir sous un nouveau jour. C'était vraiment un bel homme, se dit-elle. Du moins, il dégageait un charme tout à fait singulier et différente des autres, en plus de cette aura rassurante. La jeune Keynes finit par s'approcher, presque en furie. Constance l'observa, ne comprenant pas ce à quoi elle faisait allusion. Elle était surprise qu'Alicia vienne à demander s'il avait de l'intérêt pour elle, ce qui arrondirent ses yeux bleus de stupéfaction. A la fin de cette conversation particulièrement houleuse, Cole se tourna vers la petite blonde en quête de réponse. "Je... Je pense qu'elle a un certain intérêt pour vous." lui souffla-t-elle tout bas, avec un sourire triste. Constance se rappelait de sa conversation avec Alicia, et cela prenait soudainement tout son sens. "J'aurais du peut-être le deviner lorsqu'elle m'avait parlé pour la première fois de Peter. Elle m'a fait comprendre que... vous n'étiez pas intéressé par ce genre de choses, que ça n'était pas le cas depuis quelques années déjà. Elle m'a parlée ensuite de Peter." Comme si Alicia voulait l'éloigner de Cole. Le prétendant de Constance s'approcha d'elle afin de la récupérer. "Un instant, Peter, s'il vous plaît. Je n'en ai plus pour longtemps." lui dit-elle avec un sourire sincère. Peter le lui rendit et s'éloigna pour attendre patiemment sa dulcinée. Puis elle se tourna vers Cole. "Vous devriez discuter avec Alicia. Pour mettre tout ça au clair." lui conseilla-t-elle. Elle prit délicatement la main entre les deux siennes et lui lançait un sourire encourageant. Elle déposa un baiser furtif sur ses mains, ayant bien fait attention que personne ne la regardait. "Peter m'attend." finit-elle par dire d'un air résolu. "J'espère que nous toruverons encore des moments à passer ensemble, aujourd'hui. J'ai adoré danser avec vous, vous êtes un cavalier merveilleux." Constance lui fit un large sourire puis un léger signe de tête avant de s'éloigner de lui pour rejoindre Peter, chez qui le visage s'illumina dès qu'il la vit s'approcher d'elle. Il trouvait toujours un compliment à lui faire, et faisait largement le paon dès lors qu'elle était à son bras. Il devait pourtant savoir qui rien n'a été convenu pour le moment. "Votre père m'a dit qu'il désirait à s'entretenir avec moi, à l'occasion." Il voulait bien évidemment se faire un avis sur le jeune Keynes avant d'amorcer quoi que ce soit. "Je suppose qu'il veut faire plus ample connaissance avec vous." "Nous avions déjà un petit moment durant la chasse, hier." Peter ne semblait pas non plus parfaitement serein à l'idée d'être seul à seul avec le père Dashwood, se doutant bien de l'enjeu qu'il y avait derrière. Plus loin, Constance voyait Cole et Alicia discuter ensemble. Il n'y avait plus grand chose à dire, certainement, mais la petite blonde supposait que c'était tout de même important d'échanger par rapport à tout ce qu'il s'était passé. Elle, se mit à discuter longuement avec le Keynes, qui était bien plus cultivé qu'il ne le laissait croire. Constance se surprit à avoir une conversation intéressante avec lui. Il était curieux et semblait en vouloir savoir plus sur Constance. Le temps défilait, jusqu'à ce qu'il soit temps de passer à table. Sans grande surprise, elle se retrouvait à côté de son père et à côté de Peter. Les Keynes avaient absolument tout calculé apparemment pour qu'un second mariage ne se fasse. Impossible à deviner pour elle si la conversation entre Alicia et Cole s'était passée, elle ne parvenait pas à décrypter l'expression de leur visage. Enfin, Christan se leva, afin de faire un long discours suivi d'un toast.