Our lives are not our own. We are bound to others, past and present, and by each crime and every kindness, we birth our future.
Le Jamie qui ne voulait pas d’enfants est loin, très loin, je le concède d’un signe de tête. A vrai dire, je ne me reconnais plus en lui, en tout ce qu’il était avant. L’on croit que les changements ne s’opèrent que durant l’enfance, l’adolescence, les premiers pas dans la vie adulte, mais la vérité est que l’on ne cesse jamais de grandir, d’apprendre, de se métamorphoser. Au contact des autres, des personnes qui vont et viennent dans nos vies, et du monde en mouvement constant. Le Jamie qui ne voulait pas d’enfants était, en contrepartie, un concentré d’ambition dépendant des chiffres qui l’avaient accompagné toute sa vie. Tout cela paraît futile désormais. J’ai un seul et unique trésor, et mon fils dépasse toutes mes espérances, a calmé toutes mes craintes. Bien sûr, je regrette que nos rêves de grande famille soient tombés à l’eau. Ils auraient été, de toute manière, peut-être trop difficiles à réaliser. Je garde en tête la petite fille que j’aurais tant aimé avoir, et qui ne restera qu’une chimère. Je suis assez certain qu’un jour, dans quelques années, quand Daniel sera plus grand, j’aurai à nouveau envie de prendre un bébé dans mes bras. Mais s’il ne doit y avoir que Daniel, alors soit. Et s’il doit être le dernier lien entre Joanne et moi, il me faudra bien m’en contenter, un jour… Je me demande d’où vient l’espace d’harmonie qui s’est soudainement installée dans notre relation depuis que nous avons mis le pied en Italie. Pas de disputes, pas de conflits ni de malaises. Les regards sont francs, recèlent parfois de l’affection, les sourires sont sincères, tout comme les rires que nous partageons. C’est peut-être cet air de vacances, cette occasion un peu spéciale qui nous a poussés à tout laisser à Brisbane. Qui sait si cette atmosphère prospérera une fois que nous serons de retour en Australie, si nous aurons bâti ici les fondations de cette relation plus saine entre parents séparés, ou si nous aurons simplement vécu dans une bulle pendant une semaine. J’ai du mal à croire que nos moments de complicité, nos discussions sont totalement réelles. Je me demande quand est-ce que je me réveillerai, ou quel détail fera tout déraper. Pourtant, malgré les circonstances qui pourraient nous rendre amères, je fais absolument tout mon possible pour que chaque heure se déroule aussi paisiblement que la précédente, afin de prouver que nous pouvons changer et faire de ce séjour un merveilleux souvenir commun. Pendant que nous dégustons les desserts commandés avec gourmandise, nous revenons sur ce premier rendez-vous, la première fois que Joanne m’a dit qu’elle rêverait de venir à Florence. Tout semble à la hauteur de ses espérances, alors je souris, satisfait. Mon regard se baisse, un peu gêné, lorsque la jeune femme souligne qu’elle ne serait sûrement pas présente aujourd’hui si je n’avais pas insisté, et que même ma présence participe à son contentement. Je n’ose rien dire, mais mes lèvres esquissent un sourire reconnaissant pour ses aimables paroles. Je suis sûr qu’elle serait venue ici tôt ou tard, elle y tenait tellement. Mais cela aurait été avec quelqu’un d’autre, et j’aime autant qu’elle soit là avec moi. Même s’il se peut qu’elle revienne, un jour, c’est une petite fierté personnelle d’être celui qui l’a amenée ici, qui a réalisé son rêve pour la première fois, et qui a eu le privilège de faire ainsi briller son regard. Un rire nerveux, étouffé par ma gorge soudainement serrée par la gêne, m’échappe d’une drôle de manière –et plutôt ridicule, que je fais passer pour un bout de gâteau avalé de travers- quand Joanne souligne que nous aurions forcément profité de la terrasse d’une autre manière si nous étions mariés à cet instant. Quant à sa théorie selon laquelle le destin tenait absolument à nous réunir ici à cette exacte période, j’avoue de retrouver un peu penaud. “Hm, je ne sais pas… Je ne me suis pas posé la question. Je suis juste content d'être là, j'ai hâte d'être à demain et je suis heureux de le partager avec toi. Je ne me serais pas vu venir ici avec qui que ce soit d'autre, encore plus pour cette occasion.” Et notamment à ces dates qui, malgré elles, sont fortes d’une symbolique indéniable. Qu’est-ce que cela signifie si ce moment, qu’importe le scénario, qu’importent les circonstances, était écrit, devait absolument avoir lieu ? Est-ce que cela a été écrit pour nous, ou plutôt pour ceux dont nous dépoussiérons le passé ? Au final, cela me laisse perplexe. Mes joues s’empourprent un peu face aux énièmes remerciements de Joanne. “C’est normal.” je murmure. Pourquoi se priver de réaliser le rêve d’une personne qui vous est si chère si vous en avez le pouvoir ? C’était ce que je devais faire, à mes yeux. Et c’était ce que je voulais. Être ici avec elle. “Et puis maintenant que nous sommes là, je comprends pourquoi tu tenais tant à venir.” j’ajoute avec un sourire. Je laisse la jeune femme passer son pouce au coin de mes lèvres. Mon cœur sursaute au contact de sa main sur mon visage, mais je tente de ne pas laisser transparaître ma légère nervosité. En revanche, je remarque la petite touche d’affection de sa part dans cette manœuvre pourtant anodine. “...merci.” je souffle avant que chacun revienne à son dessert dans un climat plus calme et contemplatif. De temps en temps, un coup d’œil est jeté sur la vue, hypnotisante, à l’attraction irrésistible pour le regard. Mon assiette est vide, ma cuillère léchée jusqu’à la dernière trace de crème pâtissière. Je tripote, joue machinalement avec du bout des doigts, la tapote sur mon menton, et de fil en aiguille je me retrouve à essayer de la faire tenir en équilibre sur mon nez. De manière tacite, comme des enfants, un petit concours s’installe. A qui fera tenir la cuillère le plus longtemps. De quoi refaire naître quelques rires innocents. Mais il se fait tard, la nuit est complètement tombée sur Florence. Je quitte la suite, Joanne m’emboîte le pas jusqu’à l’entrée. Moi dans le couloir, elle dans la suite, séparés par le cadre de la porte, nous échangeons encore un rictus complice. “Bonne nuit. À demain. Essaye de dormir, il vaut mieux avoir les yeux en face des trous pour admirer des tableaux.” dis-je à voix basse, prêt à partir, prêt à rester. Je la laisse finalement avec un dernier sourire et rejoins ma chambre avec le cœur incroyablement léger.
when we'll discover the truth, we may discover each other all over again.
Pour Joanne, ce n’était pas un hasard, toutes ces coïncidences. Le mois de leur voyage, le fait qu’ils aient trouvé cette pièce secrète à ce moment précis, que l’auteur avait peint un portrait d’une femme qui ressemblait beaucoup à la petite blonde. Il y avait du romantisme, il y avait même de la poésie. Mais à ses yeux, il n’y avait aucune place au hasard. Au lieu de se poser tant de questions, Jamie se contentait de profiter de l’instant présent. Mais il ne trouvait pas non plus d’explications à toutes ces similitudes. Il jugeait de préciser qu’il ne se voyait pas faire ce voyage avec quelqu’un d’autre. Qu’il n’y avait qu’elle, finalement. Ses paroles interpellaient la jeune femme. Elle ne savait pas s’il voyait quelqu’un, s’il se contentait de quelques coups d’un soir, où il en était avec Emma. Mais le fait qu’il n’ait même pas songé à le proposer cette dernière laissait perplexe. Jamie devait encore tenir à Joanne, d’une manière ou d’une autre, pour qu’il ait envie de voyager avec la petite blonde. Celle-ci continuait de le remercier dès qu’elle le pouvait, faisant ainsi rougir les joues du bel homme. C’était assez perturbant d’un côté, qu’ils parviennent à nouveau à tenir une conversation sans tension, sans qu’il y ait de larmes ou sans avoir à se regarder en chien de faïence. Lui-même semblait tomber sous le charme de la ville. Elle sourit à sa remarque. “Je ne suis pas certaine qu’une semaine suffira à tout voir, on se sentira obligé de revenir à la fin de la semaine, j'en suis sûre.” dit-elle avec un léger sourire. “Ca doit être le genre de ville où on trouve toujours quelque chose à voir, à visiter.” Ses yeux bleus admiraient inlassablement le paysage, avide de voir les moindres coins de rue de Florence. “J’ai hâte.” Hâte du lendemain, de tout voir, tout visiter. Après quoi, Joanne avait retiré une miette du visage de Jamie. Son remerciement était timide, et chacun était bien content de terminer son dessert par la suite, pour ne pas paraître trop gênés par ce tout petit geste d’affection. Ils jouaient ensuite, en toute innocence, avec leur cuillère respective. Jusqu’à ce qu’il soit temps d’aller se coucher et de dormir, afin d’être prêt pour la journée qui les attendait. Joanne suivait le beau brun jusqu’à l’entrée de la suite. “Je vais essayer, oui.” lui assura-t-elle avec un rire nerveux. “Bonne nuit, à demain.” lui souffla-t-elle avec un sourire attendri avant qu’il ne s’éloigne de la suite pour rejoindre sa propre chambre. Joanne avait pris tout de même deux bonnes heures avant de s’endormir. Mais par chance, Daniel se fit moins matinal le lendemain, permettant à Joanne d’avoir tout de même suffisamment d’heures de sommeil pour ne pas se réveiller fatiguée. Le petit aussi, était de bien meilleur humeur que la veille. Le temps était tout aussi radieux, peut-être même qu’il faisait un peu plus chaud. Après un petit-déjeuner copieux, Joanne rejoignit Jamie, qui l’attendait dans le hall principal de l’hôtel. Rien que son pas hâtif montrait à quel point elle était surexcitée à l’idée de savoir ce qu’elle allait voir. “Figure-toi que j’ai réussi à dormir.” dit-elle en arquant un sourcil. “Et Monsieur aussi, est de très bonne humeur. C’est un véritable soleil depuis le réveil.” Elle laissait Jamie le prendre dans ses bras pour le saluer. Une voiture les attendait pour les emmener à la villa en question. “On y va ?” s’impatienta Joanne, le regard pétillant, engageant le pas jusqu’à la sortie de l’hôtel. Joanne avait des papillons dans le ventre, elle était intenable. L’équipe de chercheurs était déjà sur place. Un siège auto avait été installé dans la voiture. Joanne laissait Jamie aller devant. Elle, elle avait les yeux rivés sur l’extérieur, essayant de deviner dans quelle rue ils allaient tourner, où se trouvait la villa en question. Nerveuse et surexcitée, elle jouait avec ses doigts, mais restait étrangement silencieuse. Il y avait pourtant des dizaines de questions qui lui brûlaient les lèvres. Le trajet lui semblait incroyablement long. La voiture finit par se garer –enfin!– et le conducteur leur ouvrit la portière à chacun. “J’ai le coeur qui bat à tout allure.” dit la jeune femme en levant la tête sur la villa en question. Bien qu’elle avait du être rénovée à maintes reprises au fil des siècles, on devinait que cette demeure avait traversé bien des âges. Mais rien que de savoir que cette maison ait déjà été à cet endroit précis six siècles auparavant émerveillait la jeune femme. “J’ai hâte, mais je suis si nerveuse en même temps. J’ai envie de rire et de pleurer de joie à la fois alors que je n’ai rien encore rien vu.” Elle rit nerveusement. Jamie avait le petit dans les bras. Même s’il n’avait certainement pas le droit d’entrer dans la pièce secrète, rien ne l’empêchait de rester à proximité d’eux. “Je n’ai pas réussi à manger grand chose tout à l’heure. Tout ce que je voulais, c’était venir ici, et on y est.”
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C’est une Joanne particulièrement pimpante qui apparaît dans le lobby avec Daniel. Elle me rejoint d’un pas à la fois pressé et joyeux, presque sautillant. Son regard bleu pétille depuis sa sortie de l’ascenseur jusqu’à son arrivée face à moi. Elle ne me paraît pas fatiguée, bien au contraire ; elle a l’énergie d’une fusée et les joues enflammées par la hâte et la passion. Elle a pris des forces, elle est fin prête à voir les œuvres promises. Notre fils, calqué sur l’humeur de sa mère, sourit car il y a visiblement matière à sourire pour tout le monde. Je le prends dans mes bras pour l’embrasser, et une fois à l’extérieur de l’hôtel, je m’occupe de le mettre dans le siège auto de la voiture qui nous attend. Sur la banquette arrière, tout le long du trajet, je devine Joanne qui s’impatiente, trépigne, s’agite dans un silence religieux. En l’observant de temps en temps à travers le rétroviseur, je souris. Elle est adorable, comme une enfant que l’on amène dans un parc d’attractions. L’excitation grandit au fur et à mesure que nous approchons. Pour ma part, je me sens calme, simplement curieux. Mes lèvres se pincent d’impatience, et pourtant j’appréhende, mais je ne saurais expliquer quoi. Nous atteignons la villa dans laquelle fourmille l’équipe de chercheurs et de restaurateurs. Je n’ai pas le temps de partager l’euphorie de Joanne que nous sommes repérés et accueillis avec enthousiasme. « Lord Keynes ! Bienvenu, je suis ravi de faire enfin votre connaissance. » Je sursaute, comme s’il me fallait toujours quelques secondes avant de réaliser que c’est à moi que l’on parle à chaque fois que ce titre est prononcé. Je serre fermement la main du chef d’équipe italien, avec qui je n’avais pu échanger que par mails, et par Skype à l’occasion, lorsque le décalage horaire nous permettait d’être disponibles au même moment –ce qui est rare. « Moi aussi, Matteo. Oh, et juste Jamie fera l’affaire. » Ce que je lui ai sûrement déjà dit. « Comme il vous plaira. » répondit-il en haussant les épaules avant de se tourner vers Joanne avec un large sourire. « Vous êtes Miss Prescott n’est-ce pas ? La ressemblance n’est pas trompeuse, c’est remarquable. Vous le verrez de vos propres yeux. » Petit teasing signifiant qu’il y a d’autres portraits à découvrir. « Est-ce que Yvan est ici ? » je demande, soucieux d’être poli en saluant le propriétaire des lieux. « Il l’est, mais il a préféré complètement investir l’étage afin de nous laisser occuper l’espace au rez-de-chaussée sans le déranger dans ses travaux. Il est très occupé semble-t-il, mais peut-être qu’il passera plus tard vous saluer, qui sait ? » Sur le moment, j’en doute, mais je ne me fais pas mauvaise langue et j’acquiesce d’un signe de tête. « Allons-y ? » Nous emboîtons le pas de Matteo à l’intérieur de la villa. L’entrée de la pièce en question est immédiatement repérable aux larges lattes en plastique souple qui servent de porte, ce qui pousse à se demander s’il est vraiment question de tableaux là-dedans, ou plutôt d’une mise en quarantaine. Un peu des deux au final. En bon passionné, et non sans pédagogie, alors que nous avançons et saluons d’un signe de tête tous ceux que nous croisons, l’italien reprend de son anglais chantant ; « Les œuvres ont longtemps été dans un environnement pauvre en oxygène et soumises à de grandes variations du niveau d’humidité. La peinture est écaillée, certaines comportent quelques traces de moisissure. Elles sont aussi couvertes d’une épaisse couche de poussière, si bien qu’elles vont vous apparaître beaucoup plus termes qu’elles ne le sont en réalité, vous pourriez même avoir du mal à deviner ce qu’elles représentent. Certaines sont plus attaquées que d’autres. Nous en avons trouvé une qui ne sera malheureusement pas récupérable, il s’agit d’un petit format représentant un paysage de Squillace de nuit. Il y a quelques rares peintures qui ont mieux survécu que les autres et sur lesquelles nous avons déjà commencé le travail de rénovation à l’atelier. Nous irons plus tard, si vous le voulez. » Je jette un coup d’œil du côté de Joanne ; quelque chose me dit qu’elle voudra en effet s’y rendre, et pas qu’un peu. Matteo nous tend deux masques en papier, ce qui n’est pas particulièrement glamour, mais nous avons à cœur de respecter les consignes ; « Pour entrer dans la pièce je vais vous demander d’enfiler ces masques, c’est autant pour votre santé que celle des œuvres ; nous essayons d’éviter tout choc environnemental en les soumettant subitement à trop d’oxygène ou de lumière. Nous y allons très progressivement, c’est pourquoi une bonne partie des tableaux n’ont pas encore été transférés. Mais je ne vous apprends rien, Miss Prescott, Jamie m’a dit que vous êtes conservatrice. » Le sourire qu’il lui adresse me laisse un peu amer, puis je me raisonne en me disant que n’importe quel sourire sur le visage d’un italien prend des connotations séductrices, c’est un cliché, mais qui n’est pas basé sur du vent. « Le petit ne pourra pas entrer bien entendu, nous allons le garder de ce côté-ci. Ne vous en faites pas, il ne risque absolument rien. » Joanne et moi échangeons un regard compréhensible de nous seuls, celui des parents à qui demander de faire confiance à des inconnus pour garder leur enfant est beaucoup leur demander vu le traumatisme des expériences passées, pourtant je confie Daniel à une jeune femme dans le salon. Avant de le quitter, je lui murmure quelques paroles rassurantes et lui confie son doudou. Il n’a pas l’air à son aise, semble tenté de piquer une petite crise de larmes pour le faire comprendre pendant que je m’éloigne, et se laisse finalement consoler par Paula –malgré le trait inquiet de ses sourcils. Je souffle avant de rejoindre Joanne ; il n’y a pas de raison qu’il arrive quoi que ce soit, il ne faut pas laisser ceci nous gâcher le moment. Nous enfilons donc les masques qui nous couvrent la bouche et le nez. Matteo précise que, si les jolis et délicats yeux bleus de Miss Prescott en ont besoin, ils ont aussi un masque pour les yeux. Puis nous restons devant le rideau plastifié, attendant le feu vert. « Vous pouvez y aller. » Je soulève légèrement l’une des lattes transparentes, comme pour tenir une porte à Joanne, et l’invite à pénétrer la première dans cette pièce, faire partie de cette histoire qui la passionne tant. « A toi l’honneur. »
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L’émotion était palpable. Mais avant que Jamie ne puisse partager quoi que ce soit avec la jeune femme, un Italien fit son apparition afin de les accueillir. L’un des chercheurs, supposa Joanne. Peut-être était-ce idiot, mais elle était surprise que les deux hommes se connaissaient, que Jamie appelle son interlocuteur par son prénom. Joanne ne le salua que par un bref signe de tête et un sourire amical. Et il semblait qu’ils se connaissaient déjà depuis quelques temps pour que le dénommé Matteo soit si enthousiaste de faire enfin la connaissance du beau Lord. Il devina sans mal l’identité de Joanne et nota lui-même la ressemblance avec les portraits qui se trouvaient à l’étage et elle. Rien que d’avoir un indice sur la présence de certaines peintures exaltait Joanne, elle ne demandait qu’à en voir plus, qu’à pénétrer dans cette pièce. Après quelques échanges, Matteo invita Joanne et Jamie à le suivre, pour entrer dans la maison. L’on devinait aisément dans quelle pièce se trouvait les oeuvres récemment trouvées. Joanne était stupéfaite de la rapidité de prise en charge de la rénovation des peintures. Certaines d’entre elles étaient déjà en train d’être rénovées dans leurs ateliers. Elle ne cachait pas sa surprise, marqué par un haussement de sourcil. “J’adorerai voir l’avancée de vos travaux, oui.” affirma Joanne avec un sourire ravi. Malgré l’excitation, la jeune femme restait globalement très silencieuse. Elle récupéra le masque qu’on lui tendit et écouta les consignes de l’Italien. Oui, Joanne était conservatrice mais elle n’avait jamais été sur le terrain, dans un lieu où l’on avait découvert des oeuvres d’art d’une valeur inestimable. L’intonation de sa voix se faisait quelque peu dragueur par moment, mais Joanne n’y fit pas attention. Tout ce qu’elle voulait, c’était rentrer dan cette pièce. Daniel n’était pas tout à fait serein à l’idée d’être confié à une inconnu, et ses parents non plus d’ailleurs. Il y avait même quelques larmes. Juste devant le rideau plastifié, Joanne sentait son coeur palpiter de plus belle. Jamie avait fini par la rejoindre après avoir confié leur enfant à un inconnu. Elle enfila son masque et attendait qu’on leur laisse champ libre. Jamie, galant au possible, laissait la chance à la jeune femme d’entrer la première. Elle ne se fit pas prier. Une fois les rideaux à nouveau lâchés derrière eux, elle avait l’impression d’être en dehors du temps. Il y avait une odeur de moisissure qui était largement prédominante, combiné à une odeur de renfermé et de quelques fumées de poussière. Avant d’avoir été une pièce où stocker secrètement les oeuvres, Joanne devina que c’était certainement une chambre. Il y avoir une vieille armoir largement rongée par les mites dans un coin de la pièce et ce qui semblait être le cadre d’un lit de l’autre côté. Au début, elle n’osait pas avancer d’un pas. Le premier fut lent, feutré, très silencieux. Joanne observait les moindres détails de la pièce. Certains tableaux étaient encore recouverts d’un vieux drap qui fut jadis blanc, très certainement. Il y avait des tableaux par dizaines, de tailles différentes. Sans même s’approcher des tableaux, Joanne fut prise d’une vive émotion. Si bien que ses yeux se bordaient de larmes. Sous son masque, bien sûr qu’elle souriait, bien sûr qu’elle était bouche bée. Elle n’osait pas parler, le silence qui régnait dans cette pièce était singulier. Même l’air était lourd d’histoire, et d’émotions. Une boîte de gants traînait dans un côté de la pièce, certainement pour éviter de toucher des substances pouvant être délétères pour l’organisme – notamment certains champignons. Joanne en prit une paire et les enfila pour se décider à s’approcher d’une oeuvre et la découvrir, après ces longues minutes de contemplation. Elle fut attirée hasardeusement par un des tableaux recouverts d’un drap qu’elle dégagea alors en toute délicatesse. Des bâches en plastique avaient été disposés par terre, afin de limiter tout contact avec l’humidité et d’éventuels autres champignons. Le choix de Joanne fut judicieux car elle était tombée sur un autre portrait de Grace. Une autre pose, une autre robe, une autre coiffure. L’oeuvre était bien dégradée avec le temps, mais récupérable. Même si les couleurs devaient être chatoyantes, elles semblaient plus ternes. Joanne la fixa longuement, elle avait l’impression que c’était elle. “La ressemblance est frappante, n’est-ce pas ?” Matteo s’était permis de les rejoindre, pour peut-être commenter ou répondre à certaines questions. “C’est assez troublant, je dois dire. Il y a de très nombreux portraits de cette femme.” “Grace, elle s’appelait Grace.” répondit tout bas Joanne, les yeux rivés sur la peinture. L’Italien sourit, attendri pour ce petit bout de femme qui avait déjà du bien faire des recherches sur son sosie. “Il y a aussi quelques paysages, notamment un qui montre le château de Tricarico, celui-ci est en cours de rénovation.” expliqua-t-il, parlant tout aussi bas que la jeune femme. “Mais malgré la dégradation de certaines oeuvres, il n’est pas difficile de deviner qu’il faisait bien plus attention aux détails sur les portraits qu’il faisait.” Le téléphone de Matteo vibra dans sa poche. Il s’excusa et sortit de la pièce pour décrocher. A travers son masque, Joanne sourit à Jamie. On devinait des sillons de larmes le long de ses joues roses. “C’est… C’est à couper le souffle, il n’y a pas de mots.” dit-elle, la voix tremblante. Elle se redressa pour se rapprocher d’un autre tableau. “Tricarico, Squillace… Des endroits où il a pu peindre. Peut-être qu’il a été ailleurs aussi.” Joanne recueillait chaque indice, chaque donnée qu’on lui offrait ou qu’elle remarquait. “C’est…” Joanne souffla, elle ne trouvait pas les mots. Elle avait envie de voir chacun de ces tableaux, de les voir être rénové jour après jour, déceler d’autres secrets. Elle se demandait si, parmi tout ceci, il y avait un autoportrait quelque part, que l’on puisse enfin mettre un visage à Celso. Une véritable caverne d’Ali Baba, et Joanne pourrait y rester des heures durant, à regarder de près chacun des tableaux.[/color]
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Sans hésiter, Joanne disparaît derrière le rideau en plastique et s'enfonce dans cette salle qui a traversé le temps dans l’ignorance générale. Comme une capsule temporelle que les enfants enterrent dans le jardin avec leurs dessins pour les récupérer dix ans plus tard. Sauf que ces dessins là ont une valeur inestimable, et une portée historique inimaginable. Je suis la petite blonde qui a disparu dans la capsule, suivi par Matteo. Nous enfilons tous une paire de gants pendant que nos yeux s'attardent sur le moindre détail de la pièce. La fenêtre fut également murée, les seules sources de lumière sont les néons à la lueur dorée tamisée placés aux quatre coins de la pièce. Ils font briller la poussière dans l'air, et luire les cadres en bois des tableaux. Difficile de savoir où donner de la tête. Certains sont accrochés aux murs, d'autres alignés les uns à la suite des autres, faute de place. Il y a une pile de carnets, sûrement couverts de croquis, que personne n’a osé toucher de peur que les pages ne soient en réalité plus que des fibres granuleuses qui seront détruites au moindre mouvement, au moindre souffle. Joanne a immédiatement trouvé le chemin vers l'un des nombreux portraits de Grace, à croire que Celso ne pouvait pas se lasser des traits de son visage -ce que personne ne peut lui reprocher. “C'est troublant…” dis-je tout bas en constatant que la ressemblance entre les deux femmes ne s'arrête pas qu'au hasard de la composition d'un portrait. C'est un véritable miroir. Je laisse Joanne explorer de son côté tandis que je pars du mien. “Est-ce qu'il est possible de prendre des photos ?” je demande à Matteo. “C'est vous le patron. Par contre je doute que ça donne quoi que ce soit.” Entre les particules dans l'air, l’obscurité et l'état de la peinture sur les toiles, difficile de discerner les peintures en photo aussi bien qu'en vrai. Alors je ne capture que ceux en assez bon état. Accroupi face à l'une des oeuvres, ma main gantée frôle le front et le nez d'un portrait pas comme les autres. “Ne touchez pas, s'il vous plaît. Tout est terriblement fragile.” Mon index se rétracte immédiatement avec un sursaut, néanmoins mon regard reste envouté par le tableau. “C’est son enfant.” je souffle tout bas. Matteo s'approche et se poste derrière moi, bras croisés. “C’est ce que nous pensons aussi. Comment vous l’avez déduit ?” Le ton est rieur, un brin moqueur ; comme si le petit aristocrate pourrait avoir la moindre réflexion cohérente et artistique menant à cette conclusion qui n'est sûrement qu'une fantaisie, une histoire qu'il aimerait croire parce qu'elle sonne bien. Sans faire attention au sous-entendu, j'explique ; “Je… La composition surtout. C’est tendre, informel, ça ne ressemble pas à une commande. Il n’y a pas de distance, prise par rapport au modèle, au contraire, c'est intime. Les couvertures ont l'air plus moelleuses que chères, la protection du bébé prévaut sur l’exposition de la richesse des parents. Il n’y a pas de symbolique dans le décor, l’intention est plus photographique : c’est un souvenir qu'on veut garder d'un moment tel qu'il est. Il en émane beaucoup d’affection. Et puis, je doute que l'on se soit donné autant de mal pour garder le portrait d'un bébé autre que le sien.” Je me relève et me dresse de ma demi-tête supplémentaire face à Matteo, exigeant du regard de ne plus me faire tester aussi vulgairement. Puis je passe au tableau suivant. Encore Grace. “Non, tout ici a une importance à ses yeux.” je reprends, puis corrige ; “Avait.” Car je suis sûrement le seul ici à sentir ici le poids de l'histoire révélée dans chaque coup de pinceau, et un regard invisible posé avec insistance sur nous tous qui ne provienne pas d'un portrait.“C’est Rome. Et là Florence.” je murmure ensuite en continuant de parcourir la chambre. “Nous avons aussi Milan, ici.” fait remarquer le chercheur en indiquant une toile. “Quoi d'autre ?” Il lâche un rire. “Ah, maintenant je vois pourquoi vous teniez tant à faire le voyage depuis l'Australie. Ça vous passionne aussi, hein ?” Le masque et l'obscurité ne sont pas de trop pour dissimuler ma gêne à l'heure où Joanne ne peut plus croire que je suis parfaitement indifférent à tout ceci comme j'ai voulu le faire croire avec stoïcisme. “Eh bien, nous avons remarqué quelque chose de particulier. Il n’y a pas la moindre représentation chrétienne. Aucune scène biblique, aucune Marie, aucun Jésus, quasiment aucune croix. Nous devons encore nettoyer les paysages pour savoir s'ils ont la moindre portée onirique, mais honnêtement, j'en doute. Il n’y a pas de trace religieuse dans toute sa production, et ça… je pense bien que c'est du jamais vu.” C'est étrange. Mon coeur de serre, à nouveau oppressé. Pas une trace, vraiment ? Pour ce siècle là, cela paraît impossible, et pourtant. Je me dis que c'est sûrement la raison, ou une partie, de l’anonymat de l'artiste. Soit il n'avait pas eu de succès car la mode était à la peinture religieuse, soit il ne voulait pas exposer son art païen. “Est-ce qu'il y a un autoportrait dans le lot ?” Matteo arque un sourcil et demeure grave, silencieux un instant. J'en déduis que non avec déception. Puis un rictus amusé trahit la mauvaise plaisanterie. “C’est une des premières toiles que nous avons rapportées à l'atelier.”
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Même Jamie ne semblait pas se remettre de la ressemblance plus qu’évidente entre Joanne et Grace. Chaque portrait qu’ils découvraient le prouvait un peu plus. La finesse des traits ne permettait pas de se tromper ou de mettre un doute, ni même la poussière et la peinture écaillée. Joanne avait hâte de voir chacun de ces tableaux rénovés, pour en admirer chaque détail, chaque coup de pinceau. Rien n’était laissé au hasard à cette époque, Joanne le savait bien. Le bel homme explorait de son côté les oeuvres, désireux de prendre des clichés bien que la luminosité restait à désirer, si l’on voulait des photos où l’on pouvait voir les tableaux. Joanne, elle, photographiait des images dans sa mémoire. Des photos qu’elle n’était pas prête d’oublier, loin de là. Elle faisait comme un plongeon dans le temps, se laissant totalement aller dans cette histoire cachée de tous. Entrer dans l’intimité d’un homme et d’une femme qu’il semblait aimer par-dessus tout. Jamie était tombé sur le portrait d’un bébé, qu’il suspectait être son enfant. Interpellée, la petite blonde s’approcha du tableau en question et fut amusée de la manière dont Matteo testait le Lord. Coiffé au poteau, le chercheur dut admettre que son investisseur était bien loin d’être un sombre idiot qui ne voulait que la gloire d’avoir mis de l’argent dans ses découvertes. Non, tout était bien plus personnel. “Dans la biographie de Grace, on ne dit qu’elle n’a eu qu’un enfant, de son premier mariage. Il n’est mentionné nulle part qu’elle en ait eu un autre.” ajouta tout bas Joanne, avec un sourire, ravie d’avoir levé le mystère sur un autre point – bien que les questions continuaient de s’accumuler dans sa petite tête. Elle admirait pendant un temps le portrait de l’enfant. Jamie ne cachait plus vraiment l’intérêt qu’il avait pour toutes ces révélations. C’était même devenu une passion. Joanne en était surprise, lui qui ne croyait pas en cette mascarade à Nouvel An, voilà qu’il montrait qu’il avait également fait des recherches de son côté. Joanne était surprise d’apprendre et de constater qu’il n’y avait pas la moindre note religieuse, sur aucun de ses tableaux. C’était plus qu’étonnant pour un peintre de cette époque, mais il devait avoir ses raisons et Joanne mourrait d’envie de les connaître. Elle continuait de passer devant certains tableaux, de noter des détails qui étaient à noter. Jamie se demandait s’il y avait un autoportrait de Celso, et il s’avérait qu’il y en avait un en cours de restauration. Joanne écarquilla les yeux. “Vous avez vu son visage ?” demanda-t-elle. Matteo acquiesça d’un signe de tête avec un large sourire. “Et je pense que vous ne serez pas déçu. C’est tout aussi… troublant.” dit-il en reprenant le terme utilisé par Jamie plus tôt. “Je vous laisserai voir par vous-même.” Bien qu’on ne peut plus curieuse, Joanne tenait de voir un maximum d’oeuvres avant d’aller à l’atelier et enfin donner un visage à cet artiste. “Il y a beaucoup d’oeuvres où Grace semble porter des vêtements et des bijoux très riches… pour le rang d’une noble, bien qu’elle était une Comtesse. Il me tarde de voir les détails après restauration, mais en regardant de près certaines pièces de joailleries, on peut supposer qu’elle avait un rang bien plus haut que cela. Et je n’ai trouvé aucune trace d’où elle avait pu être enterrée, aussi.” Joanne redevint silencieuse pendant de longues minutes, regardant les tableaux superposés. Il y en avait tellement. “Il n’était peut-être pas croyant mais… Je pense qu’il n’avait foi qu’en une seule personne, et c’était elle. Elle est omniprésente, dans ses oeuvres.” Pour la peindre autant de fois, Celso devait la vénérer plus que tout autre chose. Certes, des peintres avaient des muses, des sources d’inspiration, mais bien peu ne se contentait que d’un seul et même modèle. Joanne nota aussi la présence d’un large coffre, au milieu de toutes ces oeuvres. “La serrure est bien rouillée, Miss Prescott. Nous comptions l’emmener dans nos ateliers pour l’ouvrir et ne pas l’endommager. Nous sommes curieux de voir ce qu’il peut contenir.” “Et moi donc. Ca me semble être un de ces fameux coffre… Le nom m’échappe.” dit-elle tout bas, le ton bien rêveur, laissant bien comprendre qu’elle n’écouterait pas si on lui parlait à ce moment là. Une fois que Joanne s’était redressée, Matteo leur expliqua. “Nous attendions votre visite avant de transporter un maximum de tableaux dans nos ateliers, afin de les conserver au mieux jusqu’à ce qu’ils soient tous restaurés.” Joanne avait hâte de la moindre avancée de toutes ces recherches. “Que diriez-vous d’aller visiter notre atelier, désormais ? Je suppose que vous adoreriez mettre un visage sur Celso. Il serait temps de refaire vivre un homme qui fut volontairement rayé de l’Histoire, ne pensez-vous pas ?”
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Le tableau du bébé, emmitouflé dans ses couvertures, les yeux clos et les poings serrés, enveloppé par un sommeil profond et caressé par le regard tendre du peintre, nous réunis tous un instant. Joanne, avant de venir à Florence, a préalablement pris le temps de s’informer sur la Lady et tout ce qui est connu à propos de sa vie, même si les lignes tracées sont floues après son départ d’Angleterre. Un seul fils connu, pas d’autre enfant. De quoi remettre en question la théorie selon laquelle celui-ci est le leur –ce que je n’achète pas- ou de soulever de nouvelles questions. “Il est peut-être décédé ? Qui sait, le bébé était peut-être malade au moment où il a été peint et c'est pour cette raison qu'il a voulu se faire un souvenir.” Une hypothèse pessimiste, mais à voir le taux de mortalité infantile de la Renaissance, elle n’est pas improbable. Le couple a visiblement beaucoup voyagé, si l’on part du principe que les villes que l’on reconnaît sur les toiles sont des destinations par lesquelles ils sont passés. Sûrement l’analyse de la peinture permettra-t-elle de donner une datation précise permettant de reconstituer le parcours de manière chronologique, et ainsi de redessiner leur avancée. Nous avons aussi à cœur de mettre un visage sur le nom du peintre, ce qui nous sera possible lorsque nous irons visiter l’atelier. Les regards continuent d’analyser les œuvres, d’en tirer autant d’indices que possible. Une élévation sociale, une passion inquantifiable. Un coffre attire l’attention de Joanne, trop rouillé pour être ouvert. « Nous le passerons aux rayons X avant, pour savoir ce qu’il contient sans l’abîmer plus encore. » précise Matteo, l’idée étant d’inspecter le contenu comme le bagage dans un aéroport et de se risquer à l’ouvrir uniquement si les affaires à l’intérieur, s’il en est, en valent la peine. Lorsque nous avons terminé de faire le tour de la pièce, l’homme suggère que nous nous rendions à l’atelier afin de découvrir les œuvres en cours de restauration. Nous le suivons, de retour dans le présent, éblouis par la lumière du soleil. Après avoir retiré le masque en papier, je gonfle mes poumons d’air. L’odeur de moisissure persiste dans mes narines. Rapidement, nous allons récupérer Daniel auprès de la jeune femme de tout à l’heure. Celui-ci l’oublie instantanément dès qu’il peut se blottir contre sa mère. Je remercie l’équipe d’une manière générale avant de quitter la villa. L’atelier se trouve plus à l’ouest de la ville. Matteo prend sa voiture et part devant, nous le suivons depuis la nôtre. Le trajet n’est pas bien long. C’est une fois au pied du bâtiment que le coordinateur qui nous escorte dans le hall entreprend de nouvelles explications, le temps d’atteindre l’ascenseur, puis l’étage ; “En l'état actuel des recherches, nous savons que Celso et Grace ont tous les deux eu une ascension sociale fulgurante qui les a menés droit sur le trône de Naples. Nous avons mis le doigt sur une incohérence ; en bref, il y a un homme que nous pensions être vice-roi de Naples à des dates où il est supposé être décédé à Milan, et un autre connu pour être duc de Milan sur les dates du règne du précédent, ce qui laisse un trou à Naples, et nous pensons que c'est là que le Borgia devrait se trouver. Mais les indices manquent sur les raisons et les étapes de cette prise de pouvoir.” Les portes de la machine s’ouvre et nous le suivons encore jusqu’à une porte qu’il ouvre à l’aide d’un badge. Toutes les précautions sont prises pour protéger les trésors qui se trouvent à l’intérieur. Il reprend ; “J'ai un ami à Rome qui épluche les archives du Vatican pour trouver une trace, et ce n’est pas très concluant pour le moment. Surtout parce que les dates auxquelles Grace et Celso ont vécu en Italie sont au cœur d'une période mouvementée, et qu'au milieu de tout ça, nous ne savons pas vraiment ce que nous cherchons. Sûrement un homme dans l'entourage de l'Empereur de l'époque, il faut bien ça pour être nommé vice-roi, mais c'est une définition bien vaste. J'espère que vous n'êtes pas déçus du peu d'informations que nous avons pu glaner, mais c'est un travail de longue haleine vous savez.” “Rien ne presse.” je réponds avec un fin sourire. Joanne et moi savons parfaitement que la reconstitution de ces deux vies nécessitera des mois, des années. Qu’il y a des questions qui resteront peut-être sans réponse pour toujours. Le badge donne accès à l’atelier dédié aux œuvres de la villa. Une petite brune penchée sur une toile paraît complètement dans son élément. “Nous y voilà. Cosima est notre experte en restauration, elle s'occupe personnellement du portrait de Celso et de la supervision du reste.” Cosima ne parle pas anglais, c’est donc dans un italien indéchiffrable qu’elle discute avec Matteo de notre visite, dont elle ne paraît pas au courant. Il se pince les lèvres, affiche une moue désolée, et se tourne vers nous afin d’effectuer la traduction ; “Et elle vient de me dire que vous ne pourrez pas voir le portrait aujourd'hui. Il est en séchage du produit de restauration de la couche picturale et ne doit surtout pas bouger pendant vingt-quatre heures. Vous pourrez le voir demain.” J’adresse un regard à Joanne, j’imagine que le même petit pincement de déception serre nos cœurs, mais je rétorque avec un sourire ; “Nous reviendrons demain alors.” Je suis certain que la jeune femme ne sera pas contre, bien au contraire. Le rendez-vous est donc pris. “Vous pouvez voir le reste en attendant.” nous assure Matteo dans l’espoir que cela nous console. J’acquiesce d’un signe de tête, et nous passons dans une autre salle où les œuvres sont en attente d’être rénovées. Il faudra au moins trois semaines par tableau pour en récupérer le contenu et leur rendre une deuxième jeunesse. “Comme selon les instructions, nous ne communiquons rien qui ne soit pas indispensable à l'avancée des recherches. Mais nous sommes beaucoup en contact avec des musées à travers l'Italie pour situer un paysage ou une scène. Celle-ci serait visiblement issue du Palazzo d’Accursio, à Bologne. Nous allons continuer de creuser de ce côté-là.”
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“Ou peut-être qu’il devait être oublié, lui aussi. Si l’on a effacé le nom du père, je suppose qu’il fallait également rayer l’existence d’une descendance, surtout d’un bébé portant éventuellement le nom de Borgia.” proposa Joanne, ayant bien trop mal au coeur en se disant qu’ils avaient peut-être perdu l’enfant. Bien que c’était une triste réalité de l’époque, les avancée médicales étaient maigres et l’on ne pouvait pas beaucoup sauver de monde. Elle voulait croire que de belles choses étaient arrivées dans ce couple, malgré une fin qui semblait être tragique. “Et c’est peut-être pour ça qu’il n’a jamais été mentionné que Grace ait pu avoir d’autres enfants, c’est une théorie comme une autre.” L’éventail des possibilités était bien large. Joanne haussa les épaules avant de se plonger dans une autre toile. Et il y avait ce large coffre pour lequel elle avait eu un intérêt tout particulier. Elle adorerait voir ce qu’il y avait à l’intérieur. “Peut-être des écrits, des souvenirs. Ce n’est pas pour rien, si on l’a également dissimuler avec les autres tableaux.” dit alors Joanne en continuant d’admirer le mobilier. C’était évident pour elle, l’on ne mettait pas une meuble de si belle facture aux oubliettes. Il devait y avoir quelque chose à l’intérieur, c’était certain. Puis il était temps de se rendre à l’atelier, et d’attribuer enfin un visage à Celso. La jeune femme fut facilement éblouie par la luminosité du reste de la maison. Dès qu’elle était dans son champ de vision, Daniel réclamait sa mère en tendant les bras vers elle et en gémissant un peu. Il soupira d’aise une fois qu’il était dans ses bras, tout blotti contre elle. Joanne l’embrassa et le câlina tout en suivant Jamie de près. Elle installa le petit dans la voiture et elle ensuite également. Il ne fallut que quelques minutes pour atteindre l’endroit en question. Matteo expliqua déjà l’avancée de leurs recherches. Joanne se disait que ce n’était pas dans les papiers officiels qu’ils allaient trouver beaucoup d’informations. Mais trouver des écrits plus personnels, des lettres, des journaux, étaient bien plus compliqué. Elle se garda ce commentaire pour elle et continuait d’écouter le chercheur avec attention. La restauratrice était bien concentrée sur son oeuvre, lorsqu’ils approchèrent. Il fallait dire que Joanne faisait de son mieux pour ne pas laisser transparaître la pointe de déception à l’idée de savoir qu’elle ne pouvait pas voir l’autoportrait. Jamie répondait à sa place qu’ils reviendraient volontiers le lendemain pour voir cet autoportrait, enfin. Matteo, après avoir donné encore quelques informations, s’éclipsa un instant. Joanne était bien perplexe d’entendre ce qu’il venait de dire. “Il vient de dire qu’ils ne communiquaient rien, à moins que ce ne soit pas bénéfique à leurs avancées. Alors… Pourquoi est-ce que je le sais ? Pourquoi est-ce que tu le sais toi ?” lui demanda-t-elle. Il lui fallut encore de très longues secondes pour en venir à une conclusion à laquelle elle n’avait jamais songé. “A moins que…” Ses yeux s’arrondirent alors. “Tu es au courant d’absolument tout depuis le début. Je veux dire, c’est toi qui est venu avec des clichés du portrait de Grace, tu savais toujours quelque chose sur les recherches, alors qu’on ne voulait rien me dire. Et il y a des choses pour lesquelles même un titre ne suffit pas pour qu’on divulgue.” Cette éventualité lui semblait tellement impossible. Pourquoi diable Jamie aurait-il voulu investir dans toute cette histoire qu’il ne l’intéressait que très peu lorsqu’il avait entendu parlé ? Certes, la découverte était intéressante. Plongée dans sa réflexion, Matteo refit son apparition pour leur faire visiter le reste de l’atelier, échanger quelques mots avant de revenir sur la sortie. Une fois laisser seuls, Joanne regarda Jamie. “C’est… c’est toi ? L’investisseur qui refusait de décliner son identité ?” demanda-t-elle timidement, toujours avec le petit dans les bras. “Je veux dire, pour que tu saches tout ça… Je ne doute pas que tu aies d’excellents contacts, mais il faut être sacrément rôdé pour avoir de tels privilèges dans un projet comme celui-ci, alors que Matteo vient clairement de dire qu’ils ne divulguaient pas d’informations à n’importe qui.” Joanne marqua une longue pause. “A moins que je n’envoie des plans sur la comète, ce ne serait pas vraiment nouveau.” dit-elle avec un rire plus que nerveux. Joanne et son imagination débordante, ses moments de quasi paranoïa durant leur vie de couple. Elle ne serait pas surprise de s’être totalement plantée, encore une fois.
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Les explications de Matteo sont suivies avec attention. Néanmoins, il n’hésite pas à nous laisser seuls avec les oeuvres. Nous avons déjà prouvé tout le respect que nous avons pour ces tableaux, mais aussi nos connaissances à ce sujet afin qu’il soit assuré que rien ne peut arriver de grave par notre faute. Alors que je me penche sur cette fameuse représentation du palais de Bologne, nouvelle piste pouvant mener à plus d’informations sur Celso, Joanne, elle, tente d’assembler les pièces d’un puzzle bien plus contemporain, à savoir l’identité du donateur qui investit dans toutes ces recherches. Et ses soupçons, je le sens, se portent de plus en plus sur moi. Je fais mine d’être bien trop distrait pour l’écouter et ponctue ses phrases de “hmh” ni-positifs ni-négatifs, voire de haussements d’épaules qui ne répondent pas à ses paroles. Nous continuons la visite en compagnie de Matteo, jusqu’à avoir vu tout ce qu’il y avait à voir. La pièce maîtresse de notre curiosité n’étant pas visible aujourd’hui, nous reviendrons demain pour enfin découvrir le visage de l’artiste qui a légué ces toiles. Enfin, nous sommes raccompagnés à la sortie, puis saluons et remercions l’italien. Je congédie la voiture et la chauffeur qui nous attendaient, finalement pour rien ; le temps est radieux, autant marcher un peu et prendre le soleil après cette matinée passée enfermés. Nous récupérons la poussette dans le coffre, apportée au cas où -et elle, en revanche, s’avérera utile. Cette fois, Joanne me pointe du doigt, elle est certaine que je suis l’investisseur. Même si son raisonnement se tient, il est facilement démontable, néanmoins je me contente de lui sourire et de lui rappeler d’une voix douce; « Je t’ai déjà dit comment j’ai eu chaque information que je t’ai donné. » Et toutes ces justifications sont plausibles et cohérentes, elle n’a aucune raison de les remettre en question. « Du reste… Nous avons fait un long voyage depuis Brisbane pour voir tout ceci. » J’imagine que cela mérite bien que les chercheurs nous lâchent quelques informations. Avant que Joanne n’insiste, je balaye le sujet subtilement en reprenant la parole ; « Je suis assez frustré de ne pas avoir vu l’autoportrait. J’espère que nous aurons bel et bien le droit de le découvrir demain. » S’ils l’ont dit, il n’y a pas de raison que cela ne soit pas le cas, mais sait-on jamais, un imprévu peut toujours tomber. En attendant, ma nervosité et mon appréhension gonflent dans mon estomac. Je ne sais pas à quoi m’attendre, et surtout, je ne sais pas ce que j’aimerais voir. Mon reflet, ou un homme tout autre. Est-ce que cela a vraiment de l’importance, la moindre signification ? J’avoue que je ne sais plus quoi croire moi-même. Je soupire et dépose mes lunettes de soleil sur mon nez avant de soulager Joanne du poids de Daniel qu’elle tient depuis un moment en le mettant dans la poussette. Puis nous reprenons notre route. Je garde un petit sourire aux lèvres en songeant à tout ce que nous avons vu, l'avancée des recherches, toutes ces pistes et ces nouvelles questions. Je pense à la peinture du bébé, à celles que j'ai moi-même faites de Daniel. « C’était… assez incroyable, cette pièce. Tout était comme bloqué dans une autre époque. Le temps est passé mais c’était comme si quelque chose avait persisté, quelque chose provenant directement de cette époque. » dis-je, rêveur. « J’avais presque l’impression que quelqu’un était là, une présence. C’est ridicule, n’est-ce pas ? » j'ajoute avec un petit rire nerveux. Encore des histoires de fantômes. Au bout de quelques pas, je devine des petits coups de pieds dans la poussette pour attirer l'attention, et la complainte d'un Daniel qui a faim. D'un coup d'oeil à ma montre, je remarque qu'il a d'ailleurs fait preuve de patience avant de réclamer un déjeuner car il est treize heures passé. « Tu as raison mon bonhomme, c’est l’heure de manger. » Je m'arrête le temps de lui donner sa tétine, ce qui ne risque pas de le caler mais au moins de l'occuper en attendant de la vraie nourriture à mâchouiller. « Et si nous allions tous les deux trouver les meilleures lasagnes de Florence, hm ? Ensuite nous irons nous balader. » Joanne pourra profiter d'un après-midi seule pour déambuler comme il lui plaira, découvrir Florence à son rythme et selon ses envies. Le petit acquiesce, mais je pense qu'il aurait accepté n'importe quoi s'il y avait de la nourriture à la clé. Je me redresse et m'adresse cette fois à sa mère ; « Et nous pourrions nous retrouver dans le lobby de l’hôtel vers dix-neuf heures trente pour aller au restaurant ce soir comme prévu. D’accord ? »
☙ LOONYWALTZ
Dernière édition par Jamie Keynes le Jeu 30 Mar 2017 - 14:38, édité 1 fois
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Joanne se sentait bien alors bien bête. Bien sûr que Jamie avait déjà donné les explications concernant le fait qu’il ait accès à autant d’informations. Elle se disait alors qu’elle s’était imaginée encore bien trop de choses et ne savait plus vraiment où se mettre. “Je pensais que même faire un aussi grand voyage ne serait pas une bonne excuse pour nous donner l’accès à cette pièce.” dit-elle afin de partager sa pensée, d’un air purement innocence. “Je me suis faite encore des idées, c’est ridicule.” Elle rit nerveusement et se gratta la tête en baissant le regard. Il fallait noter le pouvoir de persuasion que Jamie avait encore. A quel point il parvenait, avec une certaine aisance, à lui faire croire ce qu’il voulait. Joanne était loin d’être toute blanche, et peut-être moins naïve qu’auparavant, mais ceux qui la connaissaient bien savaient comment s’y faire pour la manipuler en quelque sorte, et lui faire croire ce qu’on voulait. Avant que la petite blonde ne cherche à relancer ce sujet par ses autres interrogations, Jamie la recentra sur un sujet sur lequel il savait qu’elle allait tomber en plein dedans. Forcément, ça aussi, ça marchait. “Moi aussi.” reconnut-elle, la tête un peu baisse. “Un peu déçue, même. J’avais tellement hâte de voir enfin son visage.” Elle sourit malgré tout, la tête déjà pleine de beaux nouveaux souvenirs. “J’espère aussi que nous le pourrons. Déjà qu’attendre demain me semble déjà bien long.” Elle faisait preuve d’une certaine impatience, ce qui lui arrivait rarement. C’était plus Jamie qui avait tendance à être le plus pressé. Une fois que Daniel était installé dans la poussette, ils commençaient à marcher tous ensemble, histoire de profiter du beau temps. “J’ai ressenti la même chose.” confessa-t-elle, surprise qu’elle n’était pas la seule à avoir ressentie cette présence. “Je ne trouve pas ça ridicule, non.” Jamie devrait bien le savoir, que Joanne était le genre de personne à facilement croire en ces choses. Du moins, elle ne croyait que ce qu’elle voyait. Et ne pas être seule à avoir eu ces sensations était une preuve. “Tu imagines, tous ces souvenirs laissés là. Celso a du laisser une partie de son âme dans chacun de ces tableaux. Qui sait s’il avait voulu que ce soit un jour découvert. Il y a tellement d’histoires de fantômes qui existent, je pense qu’il y en a une dans cette pièce. Je trouve l’air à la fois lourd, très triste, mais aussi gorgé d’amour. Chargé d’histoire. Ca prend aux tripes, je trouve. J’avais cette impression qu’on me poussait à continuer de chercher, à continuer de trouver d’autres indices pour écrire leur histoire. Celle de Grace et Celso.” Il y avait cette excitation qui faisait palpiter son coeur, qui la faisait sourire, qui la rendait à fleur de peau. Joanne avait tellement hâte d’en savoir plus. “J’espère qu’on trouvera des écrits plus personnels. Peut-être des lettres, un autre journal. Je ne pense pas que l’on trouvera quoi que ce soit dans des papiers officiels. S’ils ont voulu qu’il soit oublié, ils auraient bien fait les choses. Ils n’aimaient pas négliger ce genre de détails.” dit-elle enfin à haute voix. “Peut-être qu’il y a quelque chose dans le coffre, qui pourrait nous aider.” Daniel commençait à se manifester, car il avait faim. C’était tout à son honneur vu l’heure qu’il était. Il était temps qu’ils passent une après-midi entre père et fils, se donnant rendez-vous pour le soir-même. Joanne avait presque oublié ce rendez-vous, et appréciait qu’il l’ait bien retenu. Elle embrassa rapidement son fils avant de les laisser seul. Alors elle avait profité de cet après-midi pour déambuler dans les petites rues de Florence. En fait, elle se perdait volontairement. C’est là qu’elle voyait des détails qu’elle n’aurait peut-être pas vu autrement. Elle y passait des heures entières, elle avait mangé une glace, n’ayant pas de franc appétit pour le déjeuner. Elle avait traversé aussi le Pont Vecchio, passé devant le Palais de la Seigneurie et avait tenu à voir la basilique San Lorenzo pour la très grande richesse qu’elle abritait. Joanne s’était promenée jusqu’à dix-sept heures environ. Elle profitait de ces deux heures pour se relaxer dans le jacuzzi et prendre le temps de se préparer pour le restaurant. Une tenue correcte était de rigueur tout de même. Joanne avait mis une robe fourreau de couleur bleu ciel. Elle avait même mis un peu de maquillage, et arrangé joliment ses boucles blondes. Elle avait juste envie de se faire belle. Pourquoi, elle ne savait pas vraiment la réponse. Peut-être voudrait-elle se rendre désirable à nouveau. Elle était pile poil à l’heure, Jamie et Daniel l’attendaient déjà au lieu de rendez-vous convenu plus tôt dans la journée. Elle sourit nerveusement. “Tu as vu, je suis presque ponctuelle ce soir, et pourtant, j’ai pris mon temps.” dit-elle avec rire nerveux. Elle qui semblait toujours pressée à se préparer, prenant bien trop son temps pour hésiter et se demander si elle était vraiment bien dans cette robe, si ce n’était pas trop. Une remise en question sur son physique qui lui prenait énormément de temps et qui finissait par la pousser à se hâter pour être à l’heure. “Vous êtes beaux, tous les deux.” dit-elle avec un fin sourire. Forcément, Daniel était on ne peut plus souriant de voir à nouveau sa mère, usant de son sourire charmeur sur un coeur déjà conquis. Mais ça faisait fondre Joanne à chaque fois.
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Tous deux frustrés, tous deux impatients, nous partageons notre hâte de découvrir le visage de l'homme, l'artiste, le monarque oublié, mais aussi d'en savoir plus, toujours plus sur lui et sa Lady, leur parcours et leur flamme. L'enfant était-il le leur ? A-t-il vécu ? A-t-il laissé, lui aussi, un héritage à retrouver ? Et qu'est-ce que les peintures veulent nous dire d'autre ? Elles sont toutes chargées d’histoire, et recèlent toutes un peu de l'âme de leur créateur. Tout ce temps entre quatre murs, elles ont eu le temps de macérer dans les émotions et les souvenirs quelles véhiculent, d'en imprégner les murs et l'air de leur tombeau. Est-ce leur mémoire commune que vous avons ressenti dans cette pièce, ou les bribes des fantômes de Celso et de Grace reconstitués à partir de ces bouts d'eux enfermés pour toujours dans les cadres des toiles ? Cette présence qui demande une justice, une reconnaissance. « Patience, Miss Jones. » dis-je à Joanne avec un petit sourire. Nous en saurons plus demain. En attendant, nous nous séparons pour le reste de la journée. Le rendez-vous est donné pour ce soir. Daniel et moi partons de notre côté explorer ce qui n’a pas encore été vu de Florence. Il m’accompagne à mon tour à la Santa Maria del Fiore, qu'il semble reconnaître car, à peine à l'intérieur, il s'amuse avec l'écho de sa voix. La balade dure jusqu'à ce que je me rende compte, un peu tard, qu'entre le temps nécessaire pour retourner à l'hôtel et celui de se préparer un peu pour le dîner, il y a des risques que nous ne soyons pas à l'heure. Pourtant, par on ne sait quel miracle, nous sommes prêts dans le lobby à peine quelques minutes avant Joanne. Juste assez pour faire croire que nous avons failli attendre. « Toutes mes félicitations, nous allons pouvoir être à l’heure pour dîner alors. » On devine que Daniel a été habillé par son père grâce au petit polo bleu ciel à manches courtes qu'il porte, typiquement Jamie je le concède. En tout cas, cela met ses yeux en valeur, et l’accorde avec sa mère. Pour ma part, une fine veste sable sur un t-shirt blanc et un pantalon brun fait l'affaire. Je n’ose pas retourner le compliment de Joanne, mais mon sourire et mon regard en disent long. J’aimerais pouvoir déposer un baiser sur ces lèvres roses, mais c'est sans ce rituel que nous quittons l'hôtel. Nous longeons l’Arno, profitant d’un soleil qui amorce tout juste sa descente vers l’horizon. La blancheur des bâtiments le long du fleuve a quelque chose d’éblouissant, les uns plus riches ou plus anciens sont apposés à leurs opposés, formant une berge particulièrement hétéroclite –mais les rues de ce genre, où se rejoignent toutes les époques, les architectures, semble être le propre de cette ville qui fait fit de la cohérence au profit d’un décor qui ne laisse aucun répit au regard. Nous empruntons le premier pont qui se présente pour mettre, pour la première fois, le pied sur l’autre rive de la ville. Nous prenons le temps de flâner au-dessus du fleuve, d’admirer la vue qui s’offre à nous, avant de nous enfoncer dans un Florence plus populaire sur une centaine de mètres. Le quartier ne paie pas de mine, la façade du restaurant non plus, et l’esprit huppé que dégage sa porte d’entrée ferait presque tâche dans le décor. Il est particulièrement saisissant de constater la manière dont l’esprit de la salle du Il Santo Bevitore, toute en rusticité et en tradition, fait oublier le reste de son environnement. Des tables en bois sombre, aux étagères débordantes de bouteilles de vin sur les murs en pierre, en passant par le bar dont les vitrines donnent un aperçu des morceaux de charcuterie fine et des fromages servis, tout sonne et sent la Toscane en se tenant loin du cliché. Les bougies disposées ici et là, et l’éclairage tamisé du plafond voûté, laissent deviner qu’une fois qu’il fera sombre, l’endroit aura d’autant plus de charme. Nous sommes conduits jusqu’à notre table, dans l’une des alcôves à l’écart de la salle principale, ces places particulièrement prisées non seulement pour le calme et le confort qu’elles offrent, mais aussi pour l’atmosphère romantique qu’elles ajoutent à un dîner. Néanmoins, l’idée en réservant cette table était bien plus de ne pas importuner qui que ce soit avec Daniel que de donner à ce repas des allures de rendez-vous galant. En passant à côté des clients, l’on remarque les assiettes généreuses et présentées avec soin de toutes les spécialités locales. Il n’est pas question de simples pâtes et pizzas, mais de belles pièces de viande en sauce et de légumes aux couleurs chatoyantes mis en valeur avec juste ce qu’il faut de modernité. Quelque part, je me suis dit que pour son anniversaire, Joanne aimerait quelque chose de typique, pas de haute cuisine, pas de cadre contemporain et de clientèle ultra guindée. Juste un beau restaurant traditionnel, une cuisine de qualité, un lieu où se sentir à l’aise et rester dépaysé. Il s’agit tout de même de l’un des meilleurs restaurants de Florence, même s’il n’a rien à voir avec les autres établissements du classement. Sans que nous ayons à demander quoi que ce soit, la serveuse qui vient de nous quitter à notre table réapparaît avec une chaise haute pour Daniel. Il s’y installe, mais son regard est distrait par le cadre. Il observe, partout, curieux. Il adorera certainement picorer dans nos assiettes, et goûter de tout. Dans mon cas, le choix est bien moins restreint ici qu’ailleurs ; impossible d’échapper à la pièce de viande ou de poisson dans cette ville, mais ici, je trouve mon compte. De toute manière, c’est bien plus le goût de la petite blonde qui compte ce soir, et je croise les doigts pour que l’établissement soit à la hauteur de sa réputation. « Ca n’est pas le standing habituel, mais un tout petit n’a pas vraiment sa place dans un restaurant gastronomique, alors j’ai fait au mieux pour l’occasion. J’espère que ça convient. »
☙ LOONYWALTZ
Dernière édition par Jamie Keynes le Jeu 30 Mar 2017 - 14:37, édité 1 fois
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Jamie et Daniel étaient tous les deux élégamment habillés. Difficile de ne pas constater que c'était bien le père qui avait habillé le fils. Mais le beau brun avait toujours eu d'excellent goûts vestimentaires, c'était un trait que Joanne avait toujours aimé. Elle adorait voir la manière dont il était vêtu, la classe qu'il dégageait. Elle se surprenait à l'admirer à ce moment là, avec un bref sourire, après les avoir complimenté tous les deux. Sans trop attendre, ils quittèrent l'hôtel pour se rendre au restaurant en question. C'était surtout Joanne qui suivait Jamie, lui semblait savoir exactement où aller. Longer le fleuve était particulièrement agréable, l'eau dégageait une légère fraîcheur assez agréable. Il y avait encore beaucoup de vie, à cette heure là, dans les rues de la ville italienne. La promenade fut assez silencieuse, chacun désirait certainement admirer de son propre point de vue l'architecture de la ville, les petits détails qui étaient si significatifs. Ils finirent par arriver dans un quartier qui était un peu moins florissant de ce que Joanne avait pu voir au courant de sa journée. Mais Jamie semblait sûr du chemin qu'il empruntait, alors elle le suivit avec une confiance que l'on pourrait qualifier d'aveugle. Ils arrivèrent enfin devant une porte. Ils entrèrent dans le restaurant, et Joanne regardait la décoration, ayant gardé à la fois un esprit rustique, avec une touche de modernité. La décoration était relativement sobre et cela convenait parfaitement à la jeune femme, qui n'aimait pas lorsqu'il y avait bien trop de décorations. Les bouteilles de vin alignées les unes à côté des autres apportaient un certain esthétisme à la pièce qu'elle appréciait beaucoup. Une serveuse les accueillit et les installa dans un endroit plus isolé de la pièce principale. On devinait qu'il y avait une certaine qualité dans les plats, une certain rigueur, mais que ce n'était pas non plus l'un de ses restaurants huppés et pompeux dans lequel elle aurait pu se sentir mal à l'aise – mais pour ceux-là, on partait vraiment au cas par cas. Jamie avait toujours eu l'oeil pour repérer les endroits qui pouvaient plaire à la petite blonde. Une fois qu'ils étaient installés, l'employée du restaurant ne tarda pas à réapparaître avec une chaise adaptée pour Daniel. Silencieux, il observait ce nouvel univers autour de lui. Forcément, Joanne adorait les bougies qu'il y avait sur la table, créant une ambiance qu'elle appréciait tout particulièrement. C'était presque étrange, d'être dans un restaurant, en face de Jamie, bien qu'il y avait un petit être aussi à côté d'eux. Mais Joanne avait alors senti son coeur s'emballer un peu, reprenant un rythme normal une fois qu'il reprit la parole. "L'occasion ?" s'interrogea-t-elle. Oui, parce que Joanne était du genre à passer bien à côté de ses pompes en oubliant son propre anniversaire. Entre ces aventures, le décalage horaire et le fait qu'elle ne tienne plus vraiment à le fêter depuis quelques années lui faisait complètement oublier ce jour qui semblait n'être qu'un détail - quoi qu'elle appréciait toujours lorsque que quelqu'un y pensait. "Ce restaurant est très bien, je t'assure. J'aime beaucoup l'ambiance, la décoration est vraiment chouette." lui assura-t-elle ensuite avec un sourire sincère et sa voix douce. "A voir ce qu'ils nous proposent comme plat parce que je ne suis pas certaine de pouvoir manger quelque chose composé de tentacules. Mais j'en ai vu d'autres qui me donnaient bien l'eau à la bouche." ajouta-t-elle en riant. Parce qu'elle avait vu quelques unes de ces assiettes en passant et ce n'était pas vraiment le genre de choses qu'elle appréciait manger. "Attends, on est quel jour ?" Joanne s'interrogeait soudainement, ayant cogité depuis que Jamie avait parlé d'une occasion particulière. Elle aurait pu miser sur le fait d'avoir visité la villa le jour-même, mais cette journée aurait été bien assez parfaite sans restaurant le soir. La petite blonde sortit de son sac à main son téléphone portable et il lui suffit de regarder la date pour réaliser. C'était avec stupéfaction qu'elle regarder la date qui s'affichait sur son téléphone. A croire que le décalage horaire l'avait bien déboussolé en matière de date, elle pensait que ça n'allait être que le lendemain, ou peut-être le surlendemain. "Attends... Tu as réservé ce restaurant pour mon anniversaire ?" lui demanda-t-elle timidement, profondément touchée par cette douce attention. Il n'avait aucune véritable raison de vouloir célébrer ça avec elle. Bien qu'ils s'entendaient bien depuis le début de ce voyage, il ne devait pas se sentir obligé de marquer le coup en l'invitant au restaurant. Le fait qu'il ait préféré prévoir le restaurant le soir là plutôt que la veille prenait alors tout son sens également. Elle sourit timidement, baissait les yeux. "C'est vraiment gentil." Ca ne lui plaisait pas nécessairement de prendre une année de plus – cela la faisait un peu trop penser et la forcer à faire un bilan de sa vie, difficile pour elle d'en retirer le positif. "Je ne sais pas vraiment quoi dire, mise à part te remercier pour le reste de la journée." dit-elle avec un rire nerveux.
Our lives are not our own. We are bound to others, past and present, and by each crime and every kindness, we birth our future.
Joanne elle-même ne semble pas savoir de quelle occasion il est question ce jour, et s’il pourrait être question de simplement fêter la découverte des tableaux que nous avons vu aujourd’hui et le privilège que nous avons eu de poser les yeux dessus, je suis néanmoins surpris qu’il ne lui vienne pas à l’esprit que la table a été réservée pour son propre anniversaire. Je ne dis rien, je n’en ai pas le temps ; la jeune femme tient d’abord à m’assurer que le choix du restaurant lui plaît, ce qui est un soulagement et une petite victoire vu les difficultés éprouvées pour choisir un endroit qui puisse convenir avec tous les nouveaux critères qui s’imposent ; un endroit qui puisse nous convenir à nous deux, mais surtout à elle ; où le cadre n’est ni trop, ni trop peu ; où la nourriture, de qualité, nous permette à chacun de déguster ce qui nous plaît ; où Daniel ait sa place et ne soit pas regardé de travers pendant toute la soirée. Si certains plats aperçus sur les tables en passant n’ont pas particulièrement parlé à la petite blonde, il y aura forcément de quoi faire son bonheur sur le reste de la carte. « Deviendriez-vous difficile Miss Prescott ? » je demande pour plaisanter en arquant un sourcil. Il ne serait pas étonnant que la qualité des lieux où nous allions ensemble lui ait donné un aperçu de ce qui existe au-delà de la normalité, tout ce qui relève de l’excellence, et que cela fut à son goût. L’on prend bien plus rapidement l’habitude du luxe que de la médiocrité, et quitter un monde pour l’autre est un bouleversement ; néanmoins, Joanne n’a pas eu le temps de s’habituer au mien pour que cela lui manque particulièrement. De toute manière, je doute qu’elle soit un jour particulièrement exigeante à propos de quoi que ce soit. Elle revient sur la date du jour et sort son téléphone pour vérifier cela de ses propres yeux. « Onze avril je crois bien. Tu me mets un doute. » dis-je en observant l’écran de mon mobile à mon tour. Il ne serait pas étonnant que le changement d’hémisphère et de fuseau horaire m’ait déboussolé, même si je suis certain de m’être déjà assuré à plusieurs reprises qu’il s’agit de la bonne date. Onze avril, en effet. Mon cœur reprend un rythme normal –aussi normal qu’il peut l’être en compagnie de Joanne. Elle déduit elle-même que cette soirée est donc son cadeau d’anniversaire –en plus de tout le reste. Sur le moment, je crains qu’elle trouve cela inapproprié, mais ce sont des remerciements qui traversent ses lèvres. Je lui souris, un peu nerveux, constamment angoissé à l’idée d’en faire trop et qu’à ses yeux mes bonnes intentions se transforment en pathétiques tentatives désespérées d’attirer son attention. J’essaye surtout de créer de l’harmonie. « Tu es incroyable, sûrement la seule personne au monde qui soit capable d’oublier son propre anniversaire. » dis-je avec un petit rire, un peu taquin. Le mystère de la date étant levé –au moins ça- nous pouvons nous pencher sur les menus. « Bon, voyons ce qu’ils proposent qui n’inclut pas de tentacules. » Optant pour une fois pour une entrée, ça sera des légumes de saison pour débuter, puis un risotto au gorgonzola –le céleri caramélisé m’intrigue-, et enfin un macaron à la noix de coco et mousse de pistache. Je laisse la serveuse décider des vins qui iront au mieux avec chaque étape du repas. Au cours de celui-ci, l’ambiance est à la camaraderie, légère et dans le même esprit que ce qui a été jusqu’à présent. Daniel goûte de tout avec une curiosité enthousiaste, et semble apprécier d’être le petit goûteur attitré de la table. L’attraction principale, ce sont ses mimiques à chaque fois qu’il découvre un aliment, une sauce, un légume. « Je peux ? Tu as le droit de m’en piquer en échange. » je marchande avec Joanne pour picorer juste une fourchette de son plat. Daniel, lui, a droit à un petit bout de fromage bleu venant avec mon risotto. « Qu’est-ce que tu en dis ? Tu aimes ? » D’abord intrigué, sourcils froncés, il finit par faire la grimace ; c’est un non catégorique. Au dessert, je fais demander deux coupes de champagne. Joanne et moi trinquons, puis Daniel aussi. « Joyeux anniversaire. » je souffle avec un sourire. Pas de couac, pas de faux pas, tout semble parfait.
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“Disons que j’ai eu un compagnon qui adorait m’emmener dans des restaurants de qualité, je dois reconnaître que j’y ai pris un peu goût.” dit-elle avec un petit rire. “Mais même le restaurant le plus luxueux ne parviendrait pas à me faire manger des tentacules.” Elle bougeait ses doigts pour tenter d’imiter les membres des pieuvres, avec un air de dégoût. Non, ce n’était pas quelque chose qu’on parviendrait à lui faire manger. Joanne n’était pas une femme difficile, mais il y avait quelques rares que l’on ne parviendrait pas à lui faire avaler. Jamie avait toujours aimé l’emmener dans de beaux endroits, en prenant en compte de nombreux critères. Notamment le fait que lui ne mange pas de viande, que l’endroit puisse leur convenir à tous les deux en terme d’ambiance et de décoration, que chacun s’y sente à l’aise. Autant dire que ce n’était pas une quête facile de trouver un restaurant. Jamie vérifiait également la date du jour sur son téléphone portable. La petite blonde riait une nouvelle fois et se grattait nerveusement la tête. “Avoue que le décalage horaire peut sacrément déboussoler.” s’exclama-t-elle en riant, afin d’argumenter la raison de son oubli. Il fut temps de regarder ce que le restaurant proposait. Joanne avait pu voir de loin des assiettes élégamment présentés, et les odeurs lui avaient véritablement ouvert l’appétit. En entrée, elle prit un velouté crème de cèpes, avec une fine tranche de poitrine de porc et quelques gnocchis. Et comme toute bonne mangeuse de viandes, elle optait pour un faux-filet de boeuf – bien que le carpaccio lui faisait largement envie aussi – avec une sauce aux girolles, des pommes de terre, et un produit typiquement régional, des crêpes à la farine de châtaignes. L’ambiance était légère. Daniel faisait son fin gourmet, sachant exactement ce qu’il faisait goûter ou non. “Tu devrais goûter le velouté, c’est délicieux.” lui indiqua-t-elle en indiquant sa première assiette, elle le laissait goûter volontiers ce qui lui semblait être appétissant dans le plat principal. Le petit ne semblait pas apprécier le fromage, et Joanne riait bien en voyant sa grimace, plus qu’adorable “Tu aimeras d’autres fromages, va. Avec un peu de vin, ce sera parfait. Mais quand tu seras un peu plus grand, ça, par contre.” dit-elle en lui caressant sa joue avec le dos de sa main. Daniel la regardait toujours avec émerveillement, quoi qu’elle dise. Pour le dessert, la petite blonde fut particulièrement tentée par la crème brûlée des suggestions. Jamie avait également commandé deux bouteilles de champagne. Avec tout le vin consommé durant le repas, autant dire que l’ambiance était plus légère qu’elle ne l’était déjà. Ils firent tinter les verres et burent une fine gorgée. “Merci beaucoup.” lui répondit-elle tout aussi bas, avec un regard pétillant. “C’est tellement gentil d’y avoir pensé, malgré tout.” avoua-t-elle timidement. “Ca me touche, vraiment.” Elle sourit et baissa un peu les yeux. Joanne fit goûter la crème brûlée, et dès qu’il avait compris qu’il aimait bien et que sa mère en avait encore plein dans son petit plat, il tendit les bras vers elle. “L’appel du ventre prime sur les câlins de maman, pas vrai ?” plaisanta-t-elle en cédant et en le mettant sur ses genoux pour lui donner encore quelques cuillerées. Et une fois le dessert fini, elle l’avait réinstallé sur sa chaise haute. Jamie et Joanne sirotaient ensuite leur champagne, terminait la bouteille de vin qui traînait sur la table. Il y avait de moins en moins de personnes dans le restaurant, plus tout un brouhaha en fond, juste quelques bruits de vaisselle. L’ambiance était assez tamisée. Il y avait des moments où il n’y avait pas grand chose à dire. Et contrairement aux fois où Jamie rendait visite à leur fils, ça ne gênait pas. Ce n’était pas lourd ou malsain. Il y avait quelques regards, quelques sourires, beaucoup de timidité de la part de la jeune femme. C’était une belle soirée, tout en simplicité. Il était temps de rentré lorsque Daniel montrait des signes de fatigue. Il était déjà tard pour lui après tout. Il se frottait adorablement les yeux, devenait très câlin dès lors que Joanne le prit dans ses bras. Elle avait sorti sa tétine et lui caressait doucement les cheveux. L’addition réglée, ils quittèrent le restaurant le ventre bien rempli. A peine quelques mètres parcourus dans les rues que le petit s’était déjà endormi paisiblement. Malgré l’air un peu frais, ils pouvaient profiter de Florence de nuit, en reprenant le chemin inverse. Joanne appréciait particulièrement l’éclairage le long de l’Arno, les reflets de chaque source lumineuse sur la surface de l’eau. Elle s’était même arrêtée un long moment pour photographier dans sa mémoire cette scène qu’elle trouvait magique. “C’est magnifique.”souffla-t-elle tout bas, surtout pour elle-même. Elle restait longuement silencieuse. De nuit, le charme opérait différemment. Elle tournait sa tête en direction de Jamie et lui fit un sourire particulièrement charmant. “Il n’est pas si tard que ça. Ca te dit d’aller coucher Daniel et de boire un verre sur la terrasse. C’est tellement beau que je préférerai presque autant admirer la vue que dormir.” lui proposa-t-elle, n’ayant pas vraiment envie que cette soirée ne se termine.
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Une coupe de champagne, un sourire, et Joanne qui ne peut s’empêcher de reraconter sa visite de la Santa Maria del Fiore en ayant toute mon attention -et mon regard attendri. Elle qui voulait tant visiter ce monument, qui était pour elle l’étape la plus incontournable d’un voyage à Florence, ressasse ce rêve accompli, sûrement sans même se rendre compte qu’elle le mentionne à la moindre occasion. Parfois, un silence s’installe. Peu à peu, les coupes se vident, de même que les desserts dont il ne reste que des miettes. A force de parler, d’amuser Daniel, de prendre notre temps, nous quittons le restaurant bien plus tard que d’autres clients arrivés après nous. C’est lorsque le petit montre des signes de fatigue que nous nous décidons à partir. Daniel s’est montré sage pendant tout le repas. Les hommes se tiennent par le ventre, il l’a encore prouvé ; grignoter ici et là l’a assez occupé pour qu’il reste aussi discret que possible, n’imposant aux autres clients que ses quelques exclamations d’enthousiasme lorsqu’un produit lui a plu. Mais un bébé content, des éclats de voix ravis, est-ce vraiment une telle gêne ? De toute manière, à notre table, le reste de la salle importait peu. Ce n’est d’ailleurs qu’en partant que nous remarquons que le restaurant s’est vidé. De retour sur le pont, la ville s'offre sous un autre angle. Nous observons pour la première fois les lumières sur l’Arno et les bâtiments depuis le sol, habituellement perchés sur le balcon de nos chambres. Une immersion qui ne laisse pas Joanne indifférente, et qui me fait encore sourire de satisfaction quand je décèle ce pétillement dans ses yeux. L’invitation à boire un verre fait sursauter mon coeur. « C’est ta soirée, c’est toi qui décides. » dis-je avec un sourire. Je serais idiot de refuser. Alors, une fois que nous avons rejoint l'hôtel, appelé l'ascenseur, c'est à l'étage de Joanne que nous descendons tous les deux. Je prends Daniel dans mes bras et le porte jusqu'à sa chambre. Il grogne un peu tandis que je le change pour la nuit, m’amusant un peu de la manière dont ses membres se laissent complètement manipuler, moi comme des spaghettis. Il ne se réveille pas pour autant, faisant ainsi honneur à ses gènes paternels, et il poursuit son sommeil sans interruption au fond de son lit. « Bonne nuit trésor. » je murmure en déposant un baiser sur son front. Joanne, discrète comme un courant d'air, vient faire de même. Puis je ferme délicatement la porte derrière nous. La jeune femme se rend sur la terrasse. Pour ma part, puisque le champagne est à mes yeux la seule boisson adéquate pour l'occasion, j’en fais parvenir une nouvelle bouteille dans la chambre. Encore une fois, le room service ne se fait pas prier. Le chariot est amené sur la terrasse où Joanne admire la vue. Pour ma part, c'est plutôt sa silhouette se détachant du magnifique paysage qui capte mon regard. Profit qu'elle me donne le dos, j’observe ses mèches blondes dans le petit vent du soir, la courbe de son dos menant jusqu'à ses reins dessinés par la robe qu'elle porte, puis ses jambes sublimées par ses escarpins. Je la devine songeuse, rêveuse devant cette image de Florence la nuit, comme je le suis face à la sienne où la ville n’est qu'un vague arrière plan. Je soupire, nous sert enfin deux coupes et m'approche d'elle. « Superbe… La vue. » je souffle en lui tendant son verre. Je ne sais pas combien de fois nous avons trinqué ce soir, mais cela paraît toujours de circonstances, notamment parce qu'à chaque fois, fidèle à la tradition, son regard se plante dans le mien, et elle m'adresse le plus magnifique des sourires. Je prends une gorgée, puis reporte mon attention sur la ville. « Tu sais, j’ai repensé à ce que tu disais. Comme quoi, tout semble toujours tout faire pour que nous soyons ici. Je crois qu’il y a du vrai. J’ai vraiment l’impression d’être exactement où je dois être à ce moment précis. » Comme un contentement, un confort qui enveloppe ma poitrine et me fait sentir plus léger. Je ne sais pas pourquoi, ni comment, je ne suis pas certain de vouloir le savoir ; ce sentiment me suffit. Il diffère de la monotonie que je ressens habituellement, imposée par le traitement que je suis, et que seule la présence de Joanne met à l'épreuve. « Tu… Tu avais raison, je suis... » Sur le moment, j'ai envie de lui dire, d'avouer ; si elle est là, si elle a pu vivre cette journée, c'est parce que je l'ai décidé, je l'ai voulu, parce que je permets, en partie, que ces recherches sur Grace et Celso se fassent, et que cela est motivé plus par sa passion que par la mienne -ou alors, ma passion pour elle. Au dernier moment, ma gorge se ferme. Je lâche un rire nerveux. Ça serait pathétique de le lui révéler. « Je suis conquis par la ville. C’est vraiment beau. » je reprends après une gorgée de champagne et un sourire pas particulièrement convaincant. « Et tu es belle ce soir. Désolé de ne pas l’avoir dit tout à l’heure. » j'ajoute, bien plus sincère, et un peu plus rouge aussi.