Our lives are not our own. We are bound to others, past and present, and by each crime and every kindness, we birth our future.
Muré dans le silence, je dévisage encore le portrait un long moment. Jusqu'à ce que Joanne, qui ne perd pas le nord, se rende compte que Matteo a trahi l'identité de son fameux donateur, et a dévoilé toute la manœuvre que je niais à la jeune femme depuis tout ce temps. Je fais quelques pas dans l'atelier, alors qu'elle relie tous les éléments. Je m'attends à des rires, des moqueries, un rejet, qu'elle me traite de fou pour avoir investi autant là-dedans juste pour ces beaux yeux, et qu'elle me souligne, encore une fois, qu'il est trop tard, et que tout ceci n'a servi à rien. Je ne réponds pas, je m'éloigne encore un peu, mais cela ne rend pas son regard moins brûlant dans mon dos. Je ne peux plus nier, mais est-ce que j'ai besoin de confesser ? J'ai fait le tour de la table au centre de la pièce, histoire d'être concrètement séparé de Joanne et du tableau le temps de reprendre mes esprits. J'aurais pu tout calculer, tout planifier, mais jamais je n'aurais pu prévoir ça. Faute de réponse de ma part sûrement, la jeune femme se penche à nouveau sur le portrait et ne manque pas de souligner la ressemblance entre lui et moi. Il a les cheveux longs, plus de barbe, peut-être un nez plus fin, quelques détails qui me font passer pour se simples associations génétiques menant jusqu'à moi. Le principal est là. Je peux me reconnaître en lui, et c'est le plus perturbant. Une coïncidence ? Aussi difficile à croire cela puisse être, cela est pourtant certainement le cas. Comme une histoire ayant attendu sa chute pendant cinq cent ans. “Oui, c'était pour toi.” je lâche finalement. Puisque la vérité semble éclater de toutes parts, autant qu'elle sorte également de ma bouche. Autant me défaire de ce secret là, et tout avouer. “J’ai tout de suite vu que ça te passionnait, alors en revenant de Londres, j'ai contacté l'équipe et j’ai commencé à investir dans cette histoire. Au départ, je voulais seulement garder un lien avec toi. Si j'étais le seul à avoir des informations à ce sujet et à pouvoir te les donner, alors il y aurait toujours autre chose en commun entre nous, en dehors de Daniel. Ça a même finit par réellement m'intéresser. Et après j'ai redécouvert ce que ça faisait de te faire sourire. Le regard que tu avais quand je t'en parlais. Tu pouvais être au bord des larmes, si j'évoquais Grace alors ton visage s'illuminait l'instant suivant.” Comme cela fut le cas dans ce café, à Brisbane, avant que je l'invite à se joindre à moi pour ce voyage -et c'est pour toutes ces raisons qu'il ne pouvait pas y avoir de voyage sans elle. Et ces moments étaient magiques. Ils valaient largement les sommes folles investies là-dedans. Mon regard se baisse, mes mais posées sur la table frémissent. Ma voix faiblit parfois, ma gorge se serre pour m'arrêter. Mon coeur est lourd, mort de peur, serré, recroquevillé. Mes dents se serrent, scellent mes lèvres lorsque les mots semblent trop difficiles à articuler. Alors je me fais violence pour continuer, quitte à ce que mes yeux rougissent et s'humidifient. “Je voulais faire quelque chose qui te rende heureuse, pour une fois. Après tout ce qu'il s'est passé, tout ce que j'ai fait, même après que nous nous soyons séparés… Je t'ai brisée, alors c'était la moindre des choses que je fasse tout mon possible pour que tu retrouves le sourire.” La seule part d'ombre qui demeure est la raison pour laquelle je lui ai menti à chaque fois qu'elle approchait de la vérité, pourquoi je n'ai jamais avoué que j'étais derrière tout ceci. Ce pourquoi j'explique ; “Et je ne voulais pas que tu penses que tu me dois quoi que ce soit, je ne voulais même pas que tu croies que ça importait pour moi aussi parce que… ce n’était que pour toi.” C'était un monde un peu magique et romantique construit uniquement pour elle, pour qu'elle y trouve refuge, pour qu'elle soit bercée dedans, qu'elle ait le droit de rêver autant qu'elle le veut. J'alimentais ce monde, je lui permettais de s'y réfugier. Loin de toutes mes erreurs, les blessures infligées, et ma toxicité. Je le nourrissais, mais je ne pouvais pas en faire partie. Je ne pouvais pas être le problème et la solution en même temps.“Enfin…” Bien sûr, je plaçais des espoirs dans la manœuvre, qui n'était pas entièrement désintéressée. J'avais autre chose que des sourires à gagner, du moins, je le voulais de tout coeur. “Je voulais que tu y croies, à… tout ça. Parce que si tu restais convaincue qu'il existe ce lien entre nous, dans le temps… Alors peut-être que tu reviendrais vers moi. » Ce que je n'avais pas prévu, c'était lui. C'était que tout soit aussi réel.
when we'll discover the truth, we may discover each other all over again.
Jamie ne cachait guère sa nervosité. Cette révélation, trahie par le questionnement de Matteo, le mettait vraisemblablement entièrement à nu. Il restait alors longuement silencieux alors qu'il écoutait Joanne lâcher toutes ses suppositions et ses propres questions concernant cette démarche minutieuse et particulièrement onéreuse. Elle changeait de bras Daniel. Le petit ne se faisait plus aussi léger qu'à ses premiers mois, bien qu'il restait une crevette. Elle observait silencieusement Jamie, qui faisait quelques pas dans la pièce dans le but de s'éloigner d'elle certainement. Jusqu'à ce qu'il lâche ces quelques mots d'une gorge que l'on pouvait sentir serrée. La jeune femme sentait son coeur frapper contre sa cage thoracique d'une puissance peu commune alors qu'elle l'écoutait parlé. Il avait absolument tout fait pour elle. L'investissement, le voyage. Et pourquoi ? Juste pour être celui qui la faisait rêver, encore et encore. Balayer tous les autres éventuels prétendants en montrant fièrement qu'il était certainement le seul à être capable de se donner autant rien que pour voir ses yeux pétiller une nouvelle fois. Joanne tombait des nus. Malgré la séparation, il voulait continuer de tout faire pour elle. Il voulait créer des liens en dehors de leur fils, même s'il devait le lui cacher. Lui, il savait qu'il y avait ça et que c'était un excellent moyen de passer plus de temps avec elle. S'étant pris à son propre jeu, il s'était fait prendre dans son propre jeu et s'était volontiers laissé engouffrer dans cette histoire plus que passionnante. Jamie avait mis en place d'énormes moyens juste pour ça. Pour la rendre heureuse. Lui qui avait toujours eu autant de mal à s'exprimer, voilà qu'il posait cartes sur table. Il se sentait aussi coupable, de tous ces derniers mois. Seulement il n'était pas la seule chose qui l'avait brisé, mais ça, il n'en avait aucune idée encore. Le pessimisme de Joanne intervint très rapidement dans son esprit, la forçant à se demander s'il n'avait pas fait tout ça presque par pitié ou culpabilité. Mais cette pensée s'effaça rapidement pendant qu'elle continuait de l'écouter. C'était désormais la gorge de Joanne qui se serrait lorsque le bel homme lui fit le plus grand des aveux. Certes, les mots corrects n'étaient pas là, mais les sentiments étaient là. Il était encore amoureux d'elle, et elle ne demandait qu'à l'être à nouveau. Matteo refit son apparition, tout pimpant. Joanne lui demanda s'il était possible de rester seuls avec Jamie un moment, et lui confia également Daniel pour qu'il soit gardé pour quelques minutes – pour soulager ses bras et aussi pour qu'elle puisse discuter plus tranquillement avec Jamie. Lui n'avait pas changé de place. Toujours bien appuyé sur la table, la tête bien basse. Une fois seuls, elle s'approcha silencieusement de lui. Son toucher était délicat lorsqu'elle posa sa main sur la sienne pour la prendre. Celle de Jamie était particulièrement moite, elle tremblait encore. Ainsi, elle pouvait se mettre en face de lui. Puis elle prit son visage entre ses mains. "Regarde-moi. Redresse-toi un peu." lui souffla-telle tout bas, d'une très grande douceur. Le pauvre avait les yeux bien rouges. "D'une chose, tu avais raison sur le fait que je me sente redevable maintenant que je sais tout ça." dit-elle avec un léger sourire amusé. Les yeux de Joanne brillaient également. Son coeur battait à toute allure et elle se demandait elle-même comment elle parvenait à rester aussi sereine. "Parfois, je ne comprends pas vraiment non plus ce qu'il peut se passer dans votre tête, Monsieur Keynes." Elle n'était pas la seule à être très compliquée dans l'histoire. "Tes pensées étaient si différentes de tes actes ces derniers temps. C'est depuis Nouvel An que tu investis là-dedans, que tu voulais faire ça pour moi. Et depuis, tu m'as quand même demandée d'avoir une relation uniquement sexuelle avec toi, il y a Emma, il y avait toutes ces disputes là, les regards de dégoût et d'aversion que tu me faisais." Et tout ceci l'avait énormément blessé et voilà qu'il étalait ses sentiments et ses intentions pour elle – sans même être sous les draps ou sous l'emprise de l'alcool. "Et pourtant, tu me dis là que tu ne veux pas que je ne sois que la mère de ton fils à tes yeux." résuma-t-elle. "C'est pour ça que tu m'as demandée si c'était trop tard pour moi, à mes yeux ? Pour savoir si c'était cause perdue ou non ?" La réponse était évidente. Mais il était important pour Joanne de tout mettre au clair, de tout mettre à plat. Joanne n'oubliait pas non plus qu'à l'époque, il avait fixé son choix sur Hannah. Beaucoup de controverse et d'ambivalence que même la petite blonde ne parvenait pas à totalement cerner. "Je sais ce que je t'ai répondu cette nuit, et je m'en tiens. Je continue de croire qu'il n'est jamais trop tard." lui affirma-t-elle, la voix tremblante. "Et là.. Tu me... Tu me révèles tout ça, tu dépenses des mille et des cents juste pour me rendre heureuse, pour continuer de me faire rêver – quoi que vu ta tête, je jugerai que tu commences à y croire aussi –." De toutes les manières qu'il avait déjà utilisé pour lui prouver son amour, celle-ci était clairement la plus folle qui soit, la plus gargantuesque aussi. Joanne en avait les larmes aux yeux. "Il y en a qui arrivent à déclarer leur flamme avec un bouquet et un poème, toi tu mets en place tout un projet de recherche et de rénovation pour quelque chose qui me passionne et... j'ai pas les mots." Elle rit nerveusement. "C'est ça, ta technique pour repartir à zéro ?" demanda-t-elle avec un sourire amusé. Puis Joanne l'observa longuement, des larmes d'émotion au bord de ses yeux. Elle caressait son visage comme la nuit précédente, avec une attention toute particulière. Puis elle déposa un baiser léger sur sa joue, et un autre juste au coin de ses lèvres. Joanne savait au fond d'elle qu'elle allait totalement retomber sous son charme, le processus avait déjà commencé d'ailleurs. Elle colla son front contre le sien, à l'observer quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, à se demander jusqu'où il serait capable d'aller pour elle. Elle n'allait pas le tester, elle se posait simplement la question, voyant déjà tout ce qu'il avait mis en oeuvre rien que pour alimenter cette chimère qu'elle adorait tant.
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L'apparition de Matteo me fait sursauter une nouvelle fois. Comme un cheveu sur la soupe, il impose une parenthèse au coeur d'un moment particulièrement critique, néanmoins il me permet de souffler et tenter de retrouver contenance. Joanne lui confie Daniel, et cela ne semble plaire ni au petit, ni à la babysitter improvisée -mais qui n'a pas son mot à dire. Mais il est nécessaire que la jeune femme et moi soyons un peu seuls. Bien des révélations ont été faites en peu de temps, depuis hier. Et celle-ci est sûrement la plus importante de toutes. Après des mois passés à garder le monopole de la vérité à propos de ces recherches, voilà que je joue cartes sur table, que je dévoile absolument tout. Quitte à donner un bon aperçu des sentiments que j'ai gardés pour elle, et que, eux aussi, je lui ai caché derrière un masque repoussant. Elle est loin désormais, la volonté que j'avais de me faire détester. Aujourd'hui j'emploie non seulement toute mon énergie, mais aussi ma fortune, dans cette grande machination que Joanne est la seule à pouvoir comprendre. Elle approche, saisit à nouveau mon visage ; je ne tente pas de me dégager, mais je rechigne à lui adresser un regard. Ce n'est qu'après le léger trait d'humour, s'il en est un, de la petite blonde que mes yeux croisent furtivement les siens avec un petit sourire. Difficile pour elle de comprendre tout c qu'il s'est passé ces derniers mois, car même les aveux que je lui ai faits ne dévoilent que la partie visible de l'iceberg. Le reste, lui, reste dissimulé, et inexplicable pour elle. Un petit manège n'ayant finalement mené nulle part, si ce n'est à me prouver un peu plus à quel point j'ai besoin d'elle à chaque fois qu'elle s'éloignait « C'est… compliqué. » je murmure, ne comptant pas me lancer dans ces explications-là pour le moment. Le plus important, c'est cet instant. C'est oui, de lui avoir avoué, entre les lignes, à travers toute cette manœuvre, à quel point je l'aime encore. Et qu'elle le comprenne. Je demeure incapable de parler plus, je ne réponds que par des signes de tête aux interrogations de Joanne. Oui, j'avais besoin de savoir s'il était trop tard aux yeux de Joanne, car peut-être que tout ceci était entièrement vain au final. Je devais savoir si, à l'instant où je lui exposerai toutes mes motivations, il y aurait une petite chance que cela la touche. Si je crois autant qu'elle à ces histoires, je n'en sais rien. C'est la donnée en trop à digérer. Et cela n'a jamais vraiment importé que j'y croie ou non. Elle, elle y croit. Nourrir ce rêve était ma manière de prendre soin d'elle. De la faire tomber amoureuse à nouveau, peut-être. De m'offrir une autre chance de faire les choses bien. « Est-ce que ça fonctionne ? » je demande en rendant son sourire à Joanne. Son regard est au moins aussi humide que le mien. Mes joues s'enflamment au contact de ses lèvres. Ma respiration s'oublie lorsqu'elle dépose un baiser aérien juste au bord de ma bouche, mon coeur explose. Son front contre le mien, le silence prend place. Et maintenant qu'elle sait tout, quelle sera la suite des événements ? A quoi va ressembler la fin de ce séjour ? Il n'y a pas de marche à suivre, pas de plan, rien de prévu. Maintenant que Joanne sait de quoi mon coeur est fait, gonflé d'amour pour elle, elle peut le prendre ou le refuser. Je ne veux qu'elle, mais elle, veut-elle de moi ? « Tu me manques. » dis-je tout bas, le visage glissant lentement le long du sien. Mes lèvres n'ont pas le temps de frôler les siennes que la porte de l'atelier s'ouvre à nouveau. Aux pleurs de Daniel, nul besoin de se demander ce qui a poussé Matteo à revenir, mais il bégaye quand même, démuni ; « Vraiment désolé de faire interruption, mais... » Je m'éclaircis la gorge. D'un regard, Joanne et moi nous accordons à reprendre ce sujet plus tard, quand une occasion plus appropriée se présentera. « Ce n'est rien. » dis-je ensuite en prenant le petit dans mes bras. « Viens là bonhomme. Tout va bien. » Je le berce en faisant quelques pas et dépose régulièrement un baiser sur son crâne.
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Compliqué. C'était l'explication que Jamie lui donnait pour le moment concernant le comportement qu'il avait adopté ces derniers temps. Parler de tout ceci dans l'atelier n'était certainement pas ce qu'il y avait de plus approprié pour discuter d'un sujet aussi sensible et aussi important. Mais le sujet allait très certainement revenir plus tard, en temps et en heure. Ils n'allaient certainement pas attendre trop longtemps avant de réaborder le sujet, ce n'était pas le genre de chose que l'on pouvait laisser en suspens sur une durée indéterminée. Joanne attendait des explications de sa part pour toute cette mascarade, sur le comportement qu'il a pu adopter bon nombre de fois depuis leur rupture. Elle venait de lui partager une partie de ses interrogations, mais il y en avait d'autres qui la travaillaient. Il ne répondait pour le moment que par des hochements de tête, ci et là, et demeurait longuement silencieux. Il y avait tellement de choses à dire et pourtant, il n'y avait aucune conversation. Que cela concerne les sentiments et les actions de Jamie ou le portrait de Celso, il y avait tant à débattre, mais l'on n'entendait rien dans la pièce. Elle le sentait fragile, supposant qu'il ne se remettait pas des révélations qu'il venait de partager. Ce n'était peut-être pas ainsi qu'il l'avait prévu – avait-il vraiment planifié un temps et un moment pour cela ? Il voulait repartir de zéro avec elle. Retrouver une toile entièrement blanche, faire tout bien, depuis le début. Ils avaient déjà tenté cette technique une fois, cela avait sauvé les meubles pendant un certain temps, mais le résultat ne fut pas plus concluant. Mais là, il s'agissait peut-être d'un véritablement commencement et non d'un renouveau. Il fallait faire autrement, il fallait surtout faire mieux s'il voulait espérer reconstruire cet idylle avec elle. Du côté de Joanne, il lui fallait certainement du temps pour tout comprendre dans un premier temps, surtout qu'elle devait également contrôler ses propres démons. Une tâche loin d'être accomplie pour le moment. "A ton avis ?" lui répondit-elle tout bas. Elle collait son front au sien. Lui caressait doucement son visage avec le sien, verbalisant combien il lui avait manqué. Difficile pour Joanne de répondre pareil – parce que ses sentiments, eux, repartaient véritablement de zéro. Elle le laissait faire, et elle n'aurait pas non plus refusé qu'il aurait déposé sur ses lèvres s'ils ne furent pas interrompus par un Matteo désespéré. Sans attendre, le beau brun prit son fils dans les bras pour le consoler. Joanne s'approcha d'eux et caressa le dos de Daniel, puis déposa un baiser sur ses joues humides de larmes. Puis elle s'approcha à nouveau de l'autoportrait pour le regarder à nouveau. "Troublant, n'est-ce pas ?" dit Matteo en s'approchant d'elle. La petite blonde lui sourit. "Et que Grace vous ressemble tant ! Cela reste incroyable !" s'émerveilla-t-il. "J'espère vraiment que vous parviendrez à en savoir plus sur eux, leur histoire de bout en bout." dit Joanne, d'un ton impatient et enthousiaste. "Mais ça ne s'est pas bien fini pour eux, pour qu'on les fasse ainsi oublier. Jusqu'à enfermer entre quatre murs des oeuvres de peur qu'elles ne soient détruites. Je me demande qui a bien pu faire ça, aussi." "Plus nous en découvrons, plus il y a de questions. Mais j'avoue que ça rajoute une part d'excitation dans le projet. Si nous avons plus de questions, c'est qu'il y a tout de même un signe de progression. Le plus dur sera de trouver des documents, mais nous parviendrons bien à mettre la main dessus. Nous sommes en relation avec l'ensemble des musées d'Italie. S'ils détiennent une pièce ou quelque chose qui puissent correspondre, ils nous en tiendront informés de suite." Joanne sourit, et acquiesça d'un signe de tête. "J'ai hâte." dit Joanne tout bas, plus déterminée que jamais d'en savoir plus sur ce couple de la Renaissance. "Nous devrions vous laisser tranquille, vous avez certainement beaucoup à faire." dit Joanne en regardant Jamie pour voir s'il approuvait. La petite famille quittait donc l'atelier et profitait ensemble de la journée qu'il restait pour se promener dans Florence. Ils déambulaient dans les rues de manière aléatoire, avait mangé dans un petit restaurant typique de la raéion, isolé dans une ruelle. Ils ne s'étaient pas éternisés plus que d'habitude, et rejoignirent l'hôtel en fin d'après-midi. Joanne avait suggéré à Jamie de rester ensemble dans la suite, pour que tout le monde profite de l'un l'autre dans un cadre de rêve. Elle l'avait même incité en ville à s'acheter un maillot de bain pour qu'il puisse enfin profiter du jacuzzi. Daniel était en forme, il avait dormi une parti de l'après-midi dans la poussette durant la promenade. Il était donc bien motivé à s'occuper dans son coin, chapeau sur la tête et à l'ombre d'un parasol sur la terrasse. Il se racontait ses petites histoires avec ses peluches et ses divers jouets. Joanne avait commandé quelques rafraîchissements à boire en terrasse. Il faisait quand même un peu plus chaud que la veille. "Tu as fait tout ça juste pour moi.." Joanne peinait à réaliser encore. "Et je pense que tu es tombé dans ton propre jeu lorsque tu as vu le portrait de Celso. C'est troublant." dit-elle avec un sourire assez satisfait. Jamie avait sa main posée sur la table. Joanne avait sa tête appuyé contre la paume de sa main, coude sur la table. L'autre dessinait de toutes petites arabesques sur le dos de la main de Jamie. "Ca fait beaucoup en une journée, pas vrai ?" Mais au moins, ils savaient. "J'ai été surprise que tu puisses... que tu aies réussi à t'exprimer avec des mots, ça m'a touchée, vraiment. J'ai bien vu que ça t'as demandé beaucoup d'efforts, mais le résultat est là, pas vrai ?" Elle était toujours là, elle ne l'avait pas fui, elle acceptait un contact physique avec lui – Jamie était très bien placé pour savoir ce que ces minuscules détails pouvaient signifier.
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Réfugiés à l'ombre, sur la terrasse, nous laissons le temps traîner pendant que nos esprits encore secoués retrouvent un semblant de calme. Ce n’est pas vraiment la balade dans Florence de cet après-midi qui m’aura permis de digérer tout ce qui a eu lieu dans l'atelier. Dans une coquille avec mes pensées et un tourbillon d'émotions grisâtres mais agitées, le silence fut mon maître mot. Il était étrange à mes yeux d'être simplement côte à côte durant des heures, marcher au même rythme, ensemble, sans trop savoir s'il fallait agir comme si de rien n'était ou si quelque chose avait changé. Je me le demande encore. Notre conversation inachevée a laissé de nombreuses questions en suspend, mais il n’y avait pas de bon moment pour parler. Et puis, il était nécessaire de laisser les révélations reposer dans nos têtes, s'y faire une place et être éclaircies par le soleil d'une belle journée. Ainsi, une fois que le sujet ressurgira de lui-même, le calme aura permis de prendre du recul. Dans le lot, une seule question me brûle véritablement les lèvres. Large, peut-être trop, mais inévitable. Ainsi, la journée fut étrange, un brin irréelle. Il n’y a que le lourd toucher du soleil sur mon visage qui me paraisse vrai -bien assez pour que mes lunettes de soleil ne quittent pas mon nez. À travers les verres sombres, j’observe Daniel. Entouré de jouets, imaginant des histoires dont il est le seul à comprendre le scénario, dans un langage indéchiffrable. Je m’assure que l'ombre ne bouge pas et le couvre toujours, que son chapeau est toujours sur sa tête, qu'il ne se blesse pas dans un geste où sa propre force pourrait le surprendre. C’est toujours au moment où l'on croit que rien ne peut arriver qu'un accident survient, profitant que notre garde soit baissée, ça je ne le sais que trop bien. Un verre de limonade fraîche suinte sur la table. À côté, les doigts de Joanne frôlent ma main. La subtile caresse, ininterrompue, est particulièrement agréable. Avec la chaleur, dans le confort du fauteuil, elle me berce et me rend un peu somnolent. C’est à ce moment que la jeune femme revient sur mes aveux de ce matin. Comme si elle devait encore l’assimiler, le réaliser. Oui, c'est tout un grand projet pour dire ce que d'autres écriraient sur la carte accompagnant trente-deux roses. Et malgré tout ça, même s'il n’y a plus rien à cacher, mes sentiments exposés, étalés sous ses yeux, il est encore difficile d’articuler les mots magiques qui résument la raison de tout ceci. Comme s'ils seraient en trop, personne ne serait prêt à les entendre. Ils sont l'évidence, mais leur temps n’est pas venu d'embrasser la réalité. “Je ne m’attendais pas à ça, je réponds au sujet du portrait de Celso que nous avons enfin pu découvrir, notre ressemblance qui nous laisse tous pantois. Je ne sais pas à quoi je m'attendais en fait, mais… je ne sais pas, c'était tellement bizarre.” Certes, c’est un autre homme, et il est difficile d’avoir une idée de son caractère à partir d’un simple tableau, ou même du reste de sa production –d’autres auront mieux extrapoler que moi basé sur si peu. Et pourtant, il y avait cette impression d’observer mon reflet. Plus que ça, il y avait une connexion. Un instant, une seconde, le temps s’est tordu afin que nous partagions un battement de cœur. Je crois que ce voyage instantané m’a étourdi et a encouragé la vérité à sortir de ma bouche le moment suivant. Un voile s’est levé. Désormais, il faut composer avec tout ce qui est sorti de l’ombre. Plus de secrets, de masques. Je soupire, acquiesce d’un signe de tête ; oui, c’est beaucoup en une journée, je me sens encore abasourdi. Les aveux étaient loin d’être aisés à articuler, j’avais si peur que rien de tout ceci n’ait la moindre signification pour Joanne. Qu’elle y soit parfaitement indifférente. Je renonçais au confort du secret et de l’anonymat. Je m’exposais, à cœur ouvert. “Ne t’attends pas à ce que je réitère l’exploit de sitôt.” dis-je avec un petit rire nerveux. Le résultat, je ne sais pas vraiment ce qu’il est. Joanne a maintenant conscience de mes sentiments pour elle, et je peux tenir sa main dans la mienne, croiser nos doigts, caresser tendrement sa peau. Ce que cela signifie, en revanche, demeure un mystère. Mon regard se pose sur nos mains. “Et maintenant ? Maintenant que tu sais tout ça… Qu'est-ce qu'il se passe ?” Qu’est-ce que nous sommes l’un pour l’autre ? S’il existe seulement un mot dans le dictionnaire pour cela. Je n’arrive pas à deviner ce que la jeune femme pense, ce qu’elle veut. Quant à moi, tout ce que je souhaite, c’est retrouver ma famille. Elle, Daniel, et moi. Je ferais tout pour ça. Il suffit de me dire quoi.
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Jamie était loin d'être serein. Son silence en disait long, elle le connaissait suffisamment pour cela. Même une fois qu'ils étaient arrivés sur la terrasse, il se contentait de surveiller Daniel et de profiter du soleil en se désaltérant avec une boisson fraîche. La jeune femme décida alors de reprendre la parole et de remettre en avant les sujets de conversation qui avaient prématurément arrêtés. Rien de tout ceci ne devait être facile pour lui, mais pour elle aussi. Joanne ne savait que penser de son comportement de ces derniers mois, alors qu'il y avait toujours ce profond dévouement pour elle. C'était à s'en tirer les cheveux, et elle ne savait pas sur quel pied danser. Le beau brun préférait commencer par parler du portrait. "C'est troublant, d'avoir l'impression de se regarder dans un miroir, hein ?" dit-elle avec un sourire amusé. Elle était bien placée pour le savoir, c'était ce qui lui était arrivé quelques mois plus tôt. Et tous ces portraits de Grace qui avaient été protégés. "Et vous avez déjà quelques points communs, dont l'art. C'est tellement curieux." Tellement évident que même la jeune femme peinait à le croire, dans toutes ses fantaisies. Ce n'était que bien plus tard qu'il voulait bien aborder le sujets de ses aveux. Elle se demandait s'il avait prévu les choses différemment, s'il voulait faire un spectacle jusqu'au bout, trouver un moyen pour s'assurer qu'elle ne lui dira pas non. Jamie se réfugiait bien derrière ses lunettes de soleil, alors qu'il posait ses questions, qui avaient toute leur importance à ce moment. Joanne ne savait pas quoi répondre, sur le moment. Elle restait silencieuse, jusqu'à ce qu'elle se décide de retirer ses lunettes de soleil pour pouvoir voir ses iris verts. "Eh bien... Je suppose que nous devons tout recommencer à zéro, faire table rase. Réapprendre à se connaître et à se comprendre, même nous avons déjà une petite longueur d'avance par rapport à ça et que c'est quelque chose que l'on ne peut pas vraiment oublier." dit-elle avec un sourire. "Même si tes sentiments pour moi sont déjà bien présents, il faut tout de même se charmer l'un l'autre, se séduire, je pense." Elle rit nerveusement. Difficilement de faire totale abstraction de leurs nuits passées ensemble et de la passion qui les liait à l'époque. "Que ce soit avec des mots ou autre chose. J'ai bien vu que tu ne manquais pas d'originalité pour te faire comprendre, et ça devait être insupportable pour toi de garder tout ça si longtemps. Je pense que l'ampleur du projet dans lequel tu as investi n'est qu'une pâle représentation, en terme de taille, de tout ce que tu gardes pour toi." Il devait se décharger d'une manière ou d'une autre. Joanne pouvait retomber totalement amoureuse de lui, être attirée par lui. Elle l'avait toujours un peu été quelque part, blessée à chaque fois qu'elle le voyait partir avec une autre femme. "Ne me fuis plus." lui conseilla-t-elle, avec une voix douce. "Même s'il y a des choses, des pensées qui te dépassent et que tu e peux pas contenir. Dis-le-moi, avec des mots, avec tes mots à toi. J'ai toujours été là pour t'écouter, non ?" Peut-être qu'il allait avoir des envies peu catholiques, parce que c'était ainsi qu'il s'exprimait le mieux. S'il percevait Joanne toujours de la même façon, il aura forcément envie de l'adorer et de le vénérer à sa propre manière. "Et toi, comment tu vois les choses ?" lui demanda-t-elle en retour. "Qu'est-ce que tu penses, ou aimerais qu'il se passe ce soir, demain, dans les mois à venir ?" Elle voulait le faire réfléchir un peu, savoir ce que lui avait en tête. La jeune femme porta sa main jusqu'à son visage qu'elle caressait avec tendresse, après s'être un peu plus rapprochée de lui. De l'affection, elle en avait toujours eu pour lui, elle avait toujours été très tactile. "On ne peut pas dire que tout ça soit du hasard, ce magnétisme. Il y a eu des vies avant qui prouvaient le contraire. Moi je pense que notre histoire ne peut pas se terminer avec un lot de coeurs brisés, une famille détruite, avec une cinglée dans le lot. Notre histoire n'a pas été facile du tout, mais je pense qu'il y a toujours moyen d'en écrire une plus belle, en évitant les erreurs passées." C'était un peu dans cette optique qu'elle s'était rapprochée d'Hassan, mais jusqu'ici, le résultat fut très loin d'être convaincant. Au contraire, tout semblait se compliquer à chaque fois qu'ils se revoyaient. "Ce sera certainement le retour à Brisbane le plus difficile. Mais nous pourrions tout de même profiter des quelques jours qui nous restent pour bien repartir." Joanne allait avoir besoin de temps pour retomber pleinement amoureuse, son subconscient l'empêchait de tomber trop rapidement dans le panneau, par crainte de devoir soigner au mieux un coeur une nouvelle fois brisée. Ca devenait presque de la survie. Jamie devait certainement se douter que cela allait être un travail de longue haleine. "Il y en a un qui va être ravi de nous voir passer un peu plus de temps ensemble..." dit-elle tout bas avec un sourire, son regard se posant sur un Daniel bien occupé.
Our lives are not our own. We are bound to others, past and present, and by each crime and every kindness, we birth our future.
Question difficile, mais inévitable, l'éternel “et maintenant ?” qui prend le pouls de la situation et envisage l'avenir avec pragmatisme. Il n’est plus question d'aller trop vite, encore moins de reprendre où nous nous étions arrêtés ; cette période là est définitivement révolue, enterrée et reléguée au statut de simple souvenir. Il y aura, à n'en pas douter, non pas un avant et un après, mais un nouveau départ qui ne pourra se comparer aux précédents, à toutes ces tentatives ratées. Pourquoi celle-ci serait différente des autres et se solderait pas par un énième échec ? Parce que, même s'il n’y a que quelques mois qui nous séparent du moment de notre chute, nous ne sommes déjà plus les mêmes Jamie et Joanne que ceux qui se déchiraient en attendant leur fin inévitable. Je peux le sentir que le renouveau n’est pas qu'une question de regard sur l'autre, mais aussi sur soi-même. C'est une conviction qui se devine dès la teneur de l'air qui nous entoure. Si cette fois sera la bonne, personne ne peut le prévenir. Il ne dépend que de nous de ne pas ruiner cette nouvelle chance. Encore une fois. Alors il est nécessaire d’avancer étape par étape, pas à pas. Réapprendre à se parler et se comprendre, se voir et s'apprécier, se charmer et s'aimer. S'il est évident que Joanne n’aura aucune difficulté à passer cette étape, dans mon cas, en revanche, il est question de partir de loin. Et ça, je le devine lorsque la jeune femme ne met l'accent sur sur mes sentiments qui, oui, sont bien réels. À vrai dire, je lui suis tout acquis. Mais elle, que ressent-elle, que pense-t-elle ? Elle n’y répond qu'à moitié, elle esquisse une dure réalité qui me noue l'estomac. “Je n’ai pas de plan.” dis-je à mon tour. Je n’ai jamais rien prévu d'autre que de nager dans le sens du courant en croisant les doigts pour que mes manoeuvres pour faire revenir mon ex-fiancée fonctionnent. Tout ce que je sais, c'est le but à atteindre. “J’aimerais qu'on se reconstruise, ensemble. Que nous devenions enfin le meilleur de nous-mêmes, et de ce que nous pouvons donner à l'autre. Et qu'à terme, on redevienne une famille.” Je chéris toujours les rêves que nous partagions, la tribu que nous voulions avoir, et ce monde à deux. Si d'autres y sont parvenus avant nous, alors pourquoi pas ? “J’espère que nous y arriverons.” j'acquiesce avec la conviction, même timide, que nous sommes capables d'écrire une nouvelle histoire, plus belle, de tisser un lien plus fort, d'être enfin tout ce que nous devons être pour que le monde trouve son sens. Ce voyage est le nôtre, non seulement à la découverte du passé, mais aussi à la nôtre. Grace et Celso nous ont donné un aperçu de ce que notre relation pourrait être, et c'est un idéal que nous devons poursuivre à l'aide de l’inspiration qu'ils nous confèrent. C’est pour raison que nous sommes au bon endroit au bon moment. Nous devions le voir de nos propres yeux. Ils devaient nous offrir ce nouveau souffle. Comme Joanne, mon regard se pose sur notre fils. Ils ne remarque pas que nous le scrutons, absorbé par ses jeux, son petit théâtre d’animaux en peluche. Son imagination est déjà au moins aussi fertile que celle de sa mère. Un petit rêveur qui a déjà son propre univers. “Tes sentiments ont disparu.” dis-je au bout d'un moment, le coeur un peu plus lourd. “Tu éludes ce point-là, mais je l’ai bien compris. Ce que je ressens est très clair, mais toi, tu ne le dis pas. Tu peux le dire, je peux encaisser. J’ai tout fait pour qu'il en soit ainsi après tout.” C’était le plan initial, et il a fonctionné. Trop bien même. Il est tellement plus facile de se faire détester que de se faire aimer que la tâche paraît colossale. L'étincelle est là néanmoins, il ne reste qu'à alimenter le feu. “On repart littéralement de zéro.” Ma main serre celle de Joanne, puis la porte à mes lèvres. Un baiser se pose délicatement sur ses doigts toujours un peu froids. Puis je lui adresse un sourire. “On fera les choses bien, cette fois.” je lui assure, assez certain de ce que j'avance, ou en tout cas, avec la détermination qu'elle me connaît pour tout tenter dans ce but. Depuis son coin d'ombre, Daniel se met à appeler. Il répète les “papa” et “mama” jusqu'à ce que nous tournions la tête vers lui -ce qui lui fait afficher un petit un air vainqueur. Difficile de comprendre ce qu'il demande, au début, et puis je crois saisir l’exigence du garçon. Alors, prenant Joanne par la main, je l'attire vers lui avec moi, et nous nous installons par terre à côté du bonhomme dont le sourire s’est élargi. J'hérite du lapin en peluche, et sa mère, une autre qui doit être un poussin. Nous faisons partie de l'histoire qu'il s'invente, quoiqu'elle soit, et nous nous prenons rapidement au jeu des bruits d’animaux et des aventures rocambolesques et incompréhensibles jusqu'à l'heure du dîner.
when we'll discover the truth, we may discover each other all over again.
Jamie n'avait absoluement rien prévu, de tout ce qu'il venait de se passer, et de ce qui arrivera dans les temps à venir. Ses sentiments semblaient l'avoir largement rattrapés dans toutes les démarches qu'il avait mises en place pour qu'elle s'éloigne de lui pour de bon. Le voyant plus qu'amoureux, la jeune femme n'osait pas dire ce qu'elle ressentait elle. Tout était si complexe, si indécis. Mais elle ne pouvait clairement pas dire qu'elle n'était pas amoureuse de lui. Il fallait que le processus se relance, que la magie se réitère afin qu'il puisse vivre à nouveau leur idylle. Joanne s'en sentait presque coupable que ce ne soit pas réciproque pour le moment, malgré tout ce qu'il avait déjà fait pour elle. C'est pour ça qu'elle voulait quand même qu'il y ait un peu de charme, un nouveau jeu de séduction qui s'instaure entre eux. Qu'ils cherchent à nouveau à se connaître, à s'apprendre, qu'ils se plaisent à nouveau. Jamie voulait qu'ils se reconstruisent, qu'ils façonnent jour après jour cette vie dont ils rêvaient. Etre à nouveau une famille, pourquoi pas espérer de la voir s'agrandir jour à après jour. Jamie voyait déjà très loin dans sa vision idéale de la vie qu'il convoitait tant. "Je pense que nous en sommes capable." lui souffla-t-elle. "Nous avons surtout besoin de temps, de ne pas tout précipiter uniquement parce que nous avons hâte... Savoir savourer l'instant présent, nous faire attendre pour accroître l'excitation de ce qui nous attendra, de toutes les étapes que nous passerons." Le voyage prenait alors tout son sens. Il était véritable tournant, en ce lieu où ils auraient du fêter leur mariage, rêver durant leur voyage de noces et espérer avoir un nouvel enfant, notamment. Et c'était à cet instant précis qu'ils se retrouvaient un peu. Elle sentit son coeur se serrer lorsqu'il avait constaté par lui-même qu'elle n'avait plus de sentiments pour lui. "Tu l'as voulu ?" lui demanda-t-elle, bien surprise. Joanne haussa timidement les épaules. "C'est plutôt réussi." Mais elle voyait bien que le bel homme était loin d'être fier de cet exploit là. "Je ne demande que ça, d'être à nouveau amoureuse." lui dit-elle avec sincérité. "De l'affection, j'en ai toujours pour toi. Mais j'adorerais avoir à nouveau des papillons dans le ventre, sentir mon coeur s'accélérer dès que l'être aimé est dans mon champ de vision, apprécier sa chaleur, l'aimer de tout mon coeur. Ce sont des choses qui me manquent énormément." Et Joanne ne voulait pas le donner à n'importe qui. Depuis qu'elle connaissait Hassan, c'était un sentiment dont elle ne voulait plus se passer, d'être amoureuse. Seule, elle n'était rien. Du moins, c'était ainsi qu'elle se voyait depuis quelques années. Mais ceci ne semblait pas gêner Jamie, qui embrassa délicatement sa main. Le genre de petites attentions qui la faisaient frémir. "C'est peut-être mieux que ce soit comme ça. Que ce soit de l'amour, mais un amour neuf, quelque chose de nouveau et de différent de la dernière fois." pensa-t-elle tout haut. Ainsi, la toile était véritablement blanche, il n'y avait rien du tout cette fois-ci, tout était à repeindre dans son intégralité. Elle lui sourit et acquiesça d'un signe de tête. Jamie semblait déterminé à tout bien faire, que tout soit parfait. Il le voulait plus que tout, faire en sorte qu'elle ne lui file plus jamais entre les doigts. Daniel voulait alors l'attention de ses parents. Ceux-ci n'avaient pas à s'en plaindre, la majorité du temps, il avait appris à jouer seul. Alors Jamie et Joanne s'installaient à ses côtés et s'engouffraient dans son monde de bébé. Il adorait voir alors certaines de ses peluches s'animer d'un coup. Il applaudissait même par moment tant ça l'amusait et ça l'émerveillait. Joanne s'était prise au jeu, si bien qu'elle ne vit pas le temps passer. Jusqu'à ce qu'il soit temps de commander à dîner. Il était quasiment évident pour la jeune femme que Jamie reste dîner avec elle, alors elle commandait un repas pour deux et demi. Joanne avait uniquement précisé qu'un des plats était végétarien, mais cela ne semblait pas décourager les cuisiniers de l'hôtel qui avaient mis les bouchées doubles pour ce repas. Bien sûr, il fallait un peu de temps pour la préparation, mais ils avaient tout prévu, de l'apéritif jusqu'au dessert. Les chandelles avaient même été apportées et joliment disposées sur la table à l'extérieur. La jeune femme était un peu embarrassée par de telles attentions et elle sentit ses joues rosir à cette idée. Un sacré alignement des planètes que voilà. Le room service les laissa seuls. "Les choses bien, tu disais ?" dit-elle avec un rire nerveux alors qu'elle prenait Daniel dans ses bras. Pour l'apéritif, il y avait quelques biscuits à grignoter, puis des légumes frais à croquer. Joanne donna un morceau de concombre à son petit pour qu'il puisse le mastiquer comme bon lui semble. Elle laissait Jamie servir le champagne dans les flûtes. Pour se libérer les bras, elle installa Daniel dans le canapé extérieur. Puis elle leva le verre une fois qu'elle s'approchait du beau brun. "A ce nouveau départ." lui dit-elle tout doucement, avec un doux sourire.
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« Je te l'ai dit, c'est compliqué. » Il n’est pas encore temps d'expliquer à Joanne l'histoire dans son intégralité. Je crains qu'elle ne comprenne pas, ou qu'elle m'en veuille sur bien des points, et à vrai dire ce n’est pas le genre de conversation que je souhaite avoir avec elle à cet instant. Nous nous encourageons plutôt pour la suite, faisant preuve d’optimisme. Il est plus facile d'y croire lorsque l'on est convaincu que le destin y est pour quelque chose. Une force plus grande et plus puissante que nous. Oui, je veux croire que cette fois sera différente. Parce que désormais, nous avons appris de nos erreurs, nos savons quels sont les démons à dompter, et nous savons qu’en nous sommeillent des destins inachevés. Laissant le passé au passé, et l'avenir à l'avenir pour un instant, la jeune femme et moi répondons présents pour notre fils. Les petites scènes des aventures animales de l’ourson, du lapin, du panda et de l'oiseau nous occupent jusqu'au dîner. Daniel ne semble pas s'en lasser en tout cas, et paraît presque étonné qu'il soit déjà l'heure de manger lorsque sa mère lui donne un morceau de légume à grignoter pendant que nous partageons un peu de champagne. Le room service, dans son souci d'en faire trop, a disposé sur la table la parfaite panoplie de la soirée romantique spaghettis-boulettes. De quoi nous faire bien rire. Néanmoins, ce n’est pas une atmosphère déplaisante. Les coupes teintes, nous trinquons à cette relation qui renaît du néant. Il y a tout à faire, tout à bâtir. Et nous pourrons tout construire ensemble. Inventer l'harmonie qui nous a toujours manqué. Après un apéritif, nous entamons les plats. Daniel tente de se débrouiller avec ses pâtes et ne s'en sort pas trop mal, quoique la chaise haute ne serait pas du même avis. Songeant encore une fois au portrait découvert aujourd'hui, je partage mes pensés avec une Joanne qui, je le sais, sera aussi intéressée par ces hypothèses et ces synthèses que moi. « Alors, qu'est-ce que nous savons jusqu'à présent ? Les lettres de Grace indiquent qu'elle a rencontré Celso en Angleterre, à la Cour. Elle en parle à son frère comme s'il voyait forcément de qui elle parle, alors les deux hommes se sont forcément vus. L'une des lettres informe de Comte que Grace ne compte pas retourner à Londres et qu'elle s'installe à Squillace avec Celso. Là-bas, on a trouvé le tableau officiel de leur mariage. Et qui dit tableau officiel dit qu'ils avaient tous deux déjà atteint un certain statut social. » Je me devine un brin jaloux de ce couple dont l'amour était si évident que, eux, ont pu passer le cap du mariage. Rien de arrangé, de forcé, contrairement aux moeurs de ce temps. Grace laissait deviner qu'elle épouserait celui qu'elle aimait qu'importe l’avis de son frère, et là encore, cela avait de quoi faire scandale à la Cour. « La lettre suivante parle de Tricarico. Grace avait visiblement adoré cette ville. Mais elle rapporte qu'à peine arrivés, Celso est tombé gravement malade. On en sait pas plus, et quoi qu'il en soit, il a guéri. » J’entends déjà Joanne souligner que nous partageons notre santé de fer. « C'est pas loin de cette région qu'on a retrouvé la pièce avec le portrait de Celso dessus. D'après Matteo, la couronne sur sa tête a le motif de celles des rois, alors que sur le tableau du mariage, le motif était celui des princes. Et ce n'est pas un hasard, personne ne se serait permis de commettre une erreur sur un détail aussi important, alors il y a eu un gain de galon. » Cela signifie qu'il avait des liens étroits avec le pouvoir en place, voire même une amitié entre l’empereur et le roi. Impossible de situer le tableau du bébé dans tout ceci. Peut-être n’était-ce pas le sien au final. « Mateo a aussi une estimation des dates de leur règne, mais c'est purement hypothétique, il n'y a pas encore de preuves. Ce qui est certain, c'est que la pièce est vraie, et que ce titre serait cohérent par rapport aux parures de Grace sur les portraits. » Celles que Joanne avait remarquées dans la pièce cachée de la villa. D'ailleurs, la raison de leur captivité est un autre mystère à résoudre. Mais pas la plus importante, même s'il se peut que les deux soient étroitement liés. « La question est donc : comment, et surtout pourquoi, quelqu'un effacerait un roi de l'Histoire ? Cela devait forcément être grave. Il n'y a vraiment aucune trace, rien qui soit facile à trouver de nos jours en tout cas, et on ne se donne pas autant de mal s'il y a pas une histoire sordide derrière tout ça... Et il n'y avait que deux personnes avec le pouvoir de faire appliquer une chose pareille en ce temps-là : l'Empereur, et le Pape. Autant dire qu'il s'est attiré les foudres des mauvaises personnes… » Les exactes mêmes personnes qui ont pu me mettre sur le trône, ceux qui font et défont les hommes de ce temps, les juges, partis et bourreaux. Absorbé par cette histoire, je ne remarque plus les moments où je porte ma fourchette à ma bouche, ni même la vitesse à laquelle mon assiette se vide. Jusqu'à ce que mon couvert touche le fond de l'assiette, et que le tintement me fasse légèrement sursauter. Alors mon regard croise celui de Joanne et je devine qu'elle aimerait que je lui dise pour quelle raison je me montre soudainement distrait. « Et s'il était une espèce de monstre, tu imagines ? Et s'il était méprisable, ou fou furieux ? Je veux dire, peut-être qu'il y a une excellente raison pour laquelle personne n'a entendu parler de lui. »
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Encore une fois, Jamie limitait tout de même ses aveux auprès de la jeune femme, résumant le tout en disant que c'était compliqué. Il devait encore lui cacher bien des choses et il était certain que ce n'était pas les choses les plus faciles à dire ou à entendre pour elle comme pour lui. Elle se demandait alors quand serait le bon moment pour cela, ce qu'il attendait pour enfin s'expliquer et tout lui raconter. Il préférait plutôt se concentrer sur Daniel, jouer avec lui, passer du temps avec lui par ce temps radieux. Il se laissait distraire par les petites peluches de Daniel et les rires de ce dernier. Joanne n'insistait pas, mais elle n'oubliait pas qu'il y avait un certain nombre d'informations qui lui manquait et qui permettrait d'expliquer le comportement qu'il avait eu ces derniers mois envers elle malgré ses sentiments pour elle. Le room service n'avait pas lésiné sur les moyens pour ce dîner, ce qui rendaient Joanne et Jamie bien nerveux tous les deux. Mais cela n'était pas désagréable non plus. Il était toujours appréciable de partager un dîner minutieusement bien préparé. Daniel semblait bien apprécié son régime principalement composé de pâtes pour cette semaine italienne, et s'en mettait tellement partout qu'il finissait toujours par prendre un bon bain. Il avait un appétit certain et était d'une humeur joviale. Jamie, quant à lui, se décidait à révéler absolument toutes les informations dont il disposait à Joanne, maintenant qu'il n'avait plus rien à lui cacher à ce sujet. Il y avait déjà une partie du voyage effectué par les deux amants. Des preuves avaient été laissées ici et là, permettant de témoigner de leur ascension. Certaines dates étaient encore floues, surtout celle qui concernait la date de l'enfant. Ils avaient réussi à réunir de nombreuses informations jusqu'ici, mais les principales manquaient. D'autres questions s'ajoutaient en parallèle, des détails que Joanne voulait savoir à tout prix. Tellement absorbé dans son récit, Jamie ne remarquait même pas que son assiette était vide. La petite blonde avait mangé bien plus lentement, surtout absorbée par tout ce qu'il était en train de lui conter. "Je ne pense pas qu'il était un monstre." lui assura-t-elle. "Grace a le profil d'une épouse quasi parfaite, le fait qu'elle ait tenu tête à son frère quant à son mariage montrait une certaine force de caractère et une grande intelligence. Et tout ça pour quoi ? Pour pouvoir se marier par amour. Elle n'aurait pas épousé un monstre. Et quand bien même, dans ses oeuvres, même si on est loin d'avoir tout vu, je ne trouve pas qu'il y ait un signe d'une quelconque bestialité, ou d'une quelconque violence. Le choix des couleurs me semblent judicieux, les traits sont fins, nets, et précis. Et pour le peu que Grace puisse en dire dans ses lettres, je doute qu'il ait été une mauvaise personne. Ca ne collerait pas." Ce n'était que l'opinion qu'elle avait pu construire jusque là. Cela pouvait encore changer au fil des dernières découvertes. "Si on l'a fait oublier, il a du faire quelque chose de très grave. Pas un meurtre... Quelque chose de pire. Quelque chose dont ne penserait pas. A moins que ce ne soit purement politique. S'il était effectivement un Borgia, peut-être qu'il dérangeait. Peut-être qu'il dérangeait au point d'effacer son nom partout afin de ne rien compromettre. Ils n'avaient véritablement pas les mêmes façons de penser que nous à l'époque, qui sait ce qu'ils avaient su se mettre en tête." Joanne but une gorgée de son verre de vin et s'éclaircit la gorge. "Il était surtout... très amoureux, je pense. Tu as vu le nombre de portraits qui a été trouvé d'elle dans la chambre ? Il l'adorait plus que tout. C'est si rare de voir autant de portraits d'une même personne, par le même artiste, pour cette époque." Elle soupira. "Je doute vraiment que Matteo trouve quoi que ce soit dans les papiers officiels. Je veux dire... Je ne sais pas si de tels documents soient encore existants, mais j'ai envie de croire qu'il y a des papiers plus officieux et plus personnels. Il y a une personne qui n'a pas voulu qu'ils soient oubliés en dissimulant ces tableaux, j'ai envie de croire que cette même personne, ou même quelqu'un d'autre, ait pu avoir la même idée." Au fond, Joanne trouvait que c'était injuste, qu'ils aient été oublié. Mais c'était à côté une véritable aubaine de les avoir retrouvé. "Mais Grace n'a pas été totalement oublié. C'est son lien avec Celso qui a effacé une partie de sa vie. Il n'y a pas de trace de la date de sa mort, si c'est avant ou après lui. On ne sait même pas où elle a été enterrée. Si elle était restée en Italie ou si elle était rentrée en Angleterre. "J'espère qu'ils trouveront toutes ces informations. Je me dis que ce serait on ne peut plus frustrant que tout s'arrête là, qu'ils ne trouvent rien de plus à ce sujet. J'ai tellement envie de retracer leur histoire de A à Z, de tout comprendre, de tout savoir sur eux. Mais je reste convaincue que c'était des belles personnes et que c'est peut-être le reste du monde qui a été cruel et monstrueux avec eux. Ca ne serait pas surprenant." Le plat principal étantt terminé, ils passaient au dessert. Cette conversation était tout de même bien longue, le soleil se rapprochait de plus en plus de la ligne d'horizon et Joanne adorait voir les couleurs du ciel changer peu à peu.
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Chacun y va de son hypothèse. Il y a tant à imaginer à partir des éléments déjà connus, à croiser avec nos connaissances de l'époque, et avec, disons le, nos convictions propres ou même nos intuitions. Face à ces doubles, impossible de s'empêcher de se projeter, de se comparer, au delà des caractéristiques physiques. Les regards, les traits du visage, des mains, les postures peuvent être autant d’indices pour deviner leurs caractères, ceux qu'ils étaient vraiment. Bien sûr, tout ceci restera du domaine de la spéculation, faute de pouvoir rencontrer les principaux intéressés, et c'est en cela que les écrits peuvent être particulièrement importants. Eux seuls constituent des preuves, des témoignages concrets des évènements du passé. Cela nous manque cruellement. Joanne me semble idéaliser Grace et Celso, en réponse à mes craintes qu'ils ne soient pas aussi beaux à l'intérieur que ce que les portraits laissent entendre. “Je ne vois pas de preuve d'intelligence dans sa manière de se rebeller. Même des personnes stupides font ce genre de chose par amour, dis-je d'une manière peut-être un peu trop abrupte dans la mesure où la jeune femme est susceptible de s'identifier à ce clone. Je ne dis pas que Grace a l'air stupide, mais c'est certain qu'elle ne manquait pas de détermination, et ces décisions lui ont plutôt réussi. Elle devait également avoir énormément de courage.” Il était nécessaire d'en avoir pour aller contre le dessein de l'homme de la famille et s'enfuir. Prendre sa propre vie en main à l'heure où les femmes étaient ce que les hommes faisaient d'elles. “De même, je ne me baserai pas sur la finesse des tableaux pour prouver que Celso était irréprochable. Tu m'aurais rencontré pour la première fois au musée, je jurerais que tu ne te serais pas doutée de ce que le smoking pouvait cacher. Les gens ont bien des visages.” Ou peut-être ais-je envie de ne pas être le seul dérangé de ces histoires qui s'entremêlent. “Ce qui est certain, c'est qu'il était passionné.” je conclus après avoir pris une gorgée de vin. Le champagne, logé dans la glace du seau, plus loin, attend tranquillement de pouvoir à nouveau pétiller dans nos coupes à la fin du repas. En réalité, il y a des chances que nous ne sachions jamais ce qu'il s'est passé. “J’ai encore bon espoir que des archives nous tombent entre les mains. Quelque chose qui aurait été oublié, ou un espace noirci quelque part sous lequel se cache son nom. Ils n’ont pas pu penser à tout.” la culture était encore très orale, mais la royauté fonctionnait sur papier. Il doit y avoir une forme de procès verbal quelque part. Une décision de Celso signée, une lettre de l'empereur, quelque chose, n'importe quoi. Une trace. Distrait, je ne peux pas m'empêcher de chercher toutes les explications possibles à cette disparition. Un homme qui s'évanouit dans la nature, disparaît des chemins sinueux de l'histoire. Personne ne s'évapore comme ça, sans raison. En servant machinalement les desserts -même Daniel y a droit- je manque de renverser mon vin d'un coup de coude maladroit ; c'est la détonation nécessaire pour me faire revenir sur terre. Je ris nerveusement. “Ça m'obnubile décidément plus que ce que je pensais.” Puis entame ce même dessert que la veille que j'avais beaucoup apprécié -notamment parce que je ne résiste pas à une bonne crème pâtissière. Je reprends ; “Je n'arrête pas de penser au fait qu'il n’y avait aucune trace évidente de christianisme dans les tableaux. Il sublimait celle qu'il aimait, le bébé, mais le reste est particulièrement pragmatique. Imagine… qu'il ne croyait pas en Dieu. Imagine l’effort pour mentir à ce sujet tous les jours, tout le temps. Je ne sais pas s'il y avait pire crime à l'époque que de ne pas croire.” D'autant plus pour un monarque, cela serait puni de la manière la plus sévère qui soit. Non, il devait prier comme tout le monde, avec la même ferveur apparente que tout le monde. Il ne pouvait pas faillir, à aucun moment. Je soupire. Quelle torture de ne pas savoir, de demeurer dans l'incertitude. “S’il n’y a plus rien à trouver, nous pourrons toujours l’inventer pour nous. Tu crois que Celso aimait les lasagnes ?” je demande avec un petit rire.
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Bien sûr que Joanne s'identifiait à Grace. Depuis qu'elle avait connaissance de son existence et que tout le monde lui disait à quel point la ressemblance était frappante, elle ne faisait des recherches que sur elle. Il y avait alors cet attachement qui s'était instauré, un lien qui s'était créé entre elles et que Joanne ne voulait certainement pas se défaire. Elle était persuadée de ce qu'elle avançait et le fait que Jamie n'en soit pas aussi certain qu'elle était à deux doigts de la contrarier, surtout lorsqu'il disait ne pas voir de preuve d'intelligence dans ses lettres et dans sa façon d'être. Il était un peu trop brut sur le coup et la jeune femme baisser les yeux vers son verre de vin. Peut-être était-elle effectivement trop protectrice, qu'elle l'idéalisait au possible. "Mais les nobles de l'époque, surtout du rang de Grace et sa famille, avaient une éducation particulièrement rigoureuse. Certes différente entre les hommes et les femmes, mais une éducation tout de même." Les phrases de Grace étaient merveilleusement bien formulées, elle était particulièrement soigneuse dans sa manière d'écrire. "Il y avait une trace où l'on disait que son premier mari lui offirait régulièrement des livres, pour étoffer sa collection." Elle haussa les épaules. Il se peut que Jamie avait un avis totalement différent concernant la noble anglaise, ils tomberaient ainsi sur un premier désaccord. "Je ne dis pas qu'il est irréprochable, j'ai dit que je ne pense pas qu'il puisse être violent, ou fou furieux comme tu as dit." le corrigea-t-elle. "Et entre l'apparence que l'on veut donner et les chefs d'oeuvre que l'on est capable de créer de la pointe d'un pinceau, je pense qu'il y a une grande marge. Je doute qu'il ait voulu porter un quelconque masque en peignant tout comme toi tu utilises l'art pour exprimer des choses que tu n'arrives pas à dire. Celso a déjà deux visage, celui du roi, et celui de l'artiste. Cela ne devait pas faire bon ménage à l'époque, je doute que beaucoup savaient qu'il peignait." Nouveau haussement d'épaules. Ce n'était encore une fois que des suppositions et Joanne avait partagé le fait qu'elle serait assez frustrée qu'ils ne sachent jamais le détails et le fin mot de cette histoire. Jamie se voulait plus optimiste en espérant qu'ils trouvent une trace dans des papiers plus officiels tandis que Joanne était persuadée qu'ils trouveraient bien plus d'informations dans ses documents plus personnels, mais encore fallait-il les trouver. Il admettait également que ces découvertes le prenaient bien plus aux tripes qu'il ne l'aurait jamais imaginé, ce qui fit sourire Joanne – peut-être parviendrait-il à la comprendre sur ce point là, au moins d'en avoir une pâle image. "C'est... possible. Mais si c'était le cas, il devait merveilleusement bien le cacher, sinon il n'aurait jamais été prince, ni quoi que ce soit d'autre d'ailleurs. Il devait avoir de sacrées motivations pour devoir ainsi mentir quotidiennement devant son peuple. Après... ils l'auraient puni comme un hérétique, ils les brûlaient à l'époque. Pourtant, on n'a jamais effacé le nom de tous ce qu'ils qualifiaient d'hérétiques. Alors... Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qui pouvait être pire que ça durant cette période." Le mystère restait entier pour le moment. Jamie suggéra qu'ils finissent par inventer les parties manquantes si les recherches n'aboutissaient à rien. Joanne, la tête appuyée contre la paume de sa main, fit un sourire amusé. "Je n'en sais rien." dit-elle avec un petit rire. "Mais je sais qu'il l'aimait elle, et qu'il aimait cet enfant." Ce n'était pas un roi sans coeur, du moins. Il devait bien sûr se soucier de sa descendance, mais il adorait ce bébé. Il y avait tant d'amour dans cet peinture. Joanne recommençait à faire des arabesques aléatoires sur le dos de la main du beau brun. Même du bout des doigts, sa peau était bien plus chaude, comme toujours. Une chaleur réconfortante. Ayant déjà beaucoup mangé tout le reste du dîner, elle n'avait pas de réel appétit pour le dessert et n'en mangea que la moitié. Ils finissaient tranquillement leur vin, sans forcément beaucoup parler. C'était agréable. Jusqu'à ce que Daniel ne se manifeste pour aller au lit. "Tu veux aller le coucher ?" lui proposa-t-elle avec un sourire bienveillant. Malgré la garde, il n'avait tout de même pas beaucoup de moments pour avoir ce petit moment privilégié avec lui. "Promis, je ne bougerai pas d'ici." lui assura-t-elle en riant. Elle le regardait prendre Daniel dans ses bras et s'éloigner pour aller dans la suite. Des images de la parfaite famille que Jamie rêvait d'avoir. Il venait de le dire, qu'il voulait atteindre cet objectif là. Joanne était restée assise, elle n'avait pas bougé. Elle rêvassait en prenant de temps à autre quelques bouchées de ce qui lui restait de dessert. Lorsqu'il refit son apparition, elle dit. "On devrait trouver un restaurant, un endroit... peut-être même ici, dans l'hôtel, où on pourrait manger des lasagnes. Un endroit où ils en font des végétariennes et des carnivores, pour que ça convienne à tout le monde. Je me suis dit que ça pourrait être sympa, et... ça fait longtemps que je n'en ai plus mangé." Joanne n'en cuisinait plus vraiment. C'était un plat à partage à plusieurs et elle ne voulait pas manger la même chose des jours durant. "Si ça te dit, hein." conclut-elle timidement.
Our lives are not our own. We are bound to others, past and present, and by each crime and every kindness, we birth our future.
C'est le propre des hypothèses ; il n'y en a jamais une seule. Et la différence de points de vue, d'opinion, est ce qu'il y a de plus enrichissant ; écouter l'avis de l'un, de l'autre, et nourrir le sien ou se rallier à une nouvelle idée. C'est ainsi que nous spéculons sur la vie de Grace et Celso, chacun avec notre manière propre d'imaginer leurs caractères, leurs buts et leurs aspirations. J'arque un sourcil ; Joanne ne semble pas particulièrement encline à me laisser remettre en question la moindre caractéristique qu'elle attribue à son double, quitte à complètement l'idéaliser et s'agripper à sa vision de la jeune femme. Education et intelligence ne vont pas de paire ; nombreux sont ceux qui possèdent bien du savoir mais n'ont pas la manière de l'appliquer, et à l'inverse, il y a autant de gens peu instruits mais débrouillards qui se mènent au succès. Il a le savoir, et il y a l'étincelle qui rend une personne remarquable, ce que j'appelle l'intelligence. Certes, une noble telle que Grace aurait été éduquée. Une éducation consistant à obéir à son père, son époux, à l’Église, et savoir tenir un minimum de conversation, oui. L'on ne cherchait pas à rendre les femmes particulièrement futées, juste assez cultivées pour briller lorsque cela était nécessaire. Mais j'imagine que la notion d'intelligence diffère entre la perception de Joanne et la mienne, et surtout, que cette remise en question de la part l'atteint dans un sens, alors je garde cette réflexion pour moi, demeurant visiblement le seul à pouvoir faire preuve d'esprit critique malgré mon affection pour cette parcelle d'histoire que nous déterrons. Je tente de creuser, trouver la cause de la chute du roi et sa disparition, et je songe à ces tableaux qui laissent penser que la religion était entièrement en dehors de la vie de l'artiste ; quand d'autres en ce temps représentaient la Vierge des dizaines de fois, lui ne peignait que l'amour de sa vie, sa muse. Et l'on sait qu'il n'était pas bon d'avoir des passions mortelles en ces temps pour l’Église prévalait sur tout. L'hypothèse ne paraît pas convaincre Joanne, alors cette intuition, cette certitude qui naît, demeure la mienne uniquement. Un trait d'humour nous ramène à des sujets moins sérieux et potentiellement houleux. Daniel réclame son lit, et je m'occupe de le porter jusqu'à sa chambre, somnolant et les membres mous. Il réclame quand même une chanson, sa petite main agrippée mon T-shirt tant qu'il n'en aura pas entendu au moins une. Je lui dépoussière un peu de Fiztgerald, fredonnant Summertime avec un petit sourire lorsque vient le vers particulièrement adapté « your daddy's rich and your mama's god looking ». Il s'endort tout étalé sur son drap, comme une petite étoile de mer potelée. Sans un bruit, je quitte la chambre et retourne sur la terrasse, Joanne n'a en effet pas bougé. Une fois assis face à elle, la jeune femme propose une nouvelle sortie au restaurant dans le temps qu'il nous reste à Florence. Il se peut bien, désormais, que nous ne passions plus le séjour chacun de notre côté, à nous partager Daniel, et j'avoue que je n'en suis pas mécontent. « Est-ce que c'est une invitation à dîner, Miss Prescott ? » je demande, sourcil arqué, alors que je porte la dernière gorgée de mon verre de vin à mes lèvres. Nous allons pouvoir retourner au champagne -et je tente de ne pas m'imaginer le regard désapprobateur de mon médecin à ce sujet. « Bien sûr que ça me plairait. » je reprends en nous servant deux coupes. Honnêtement, comment résister à l'envie de profiter d'un cadre pareil avec une coupe à la main ? Il suffit d'une vue et de bulles pour vivre une fête en comité réduit. « Et si nous allions nous baigner, maintenant que je n'ai plus de bonne raison pour refuser ? » Autant le proposer avec bonne foi plutôt que d'attendre que Joanne ne formule la suggestion. Et j'imagine que l'invitation de la veille tient toujours, d'autant plus qu'elle a insisté pour me faire acheter un maillot cet après-midi, alors je ne suis pas vraiment aussi intrusif que j'en ai l'air. Dans la suite, je mets la main sur mon sachet dans lequel se trouve mon achat et emprunte la salle de bain le temps de me changer -ainsi qu'un peignoir afin de ne pas prendre froid à cause de la légère brise nocturne qui se lève peu à peu. A mon retour, la jeune femme n'est nulle part, si ce n'est dans sa chambre où elle se change également. Mon index frappe sur la porte close. « Est-ce que tu as besoin d'aide avec ta robe encore ? »
when we'll discover the truth, we may discover each other all over again.
Joanne avait déjà certainement beaucoup d'attache affective pour la noble anglaise qu'il lui était difficile d'entendre que l'on pourrait trouver des défauts. Elle l'idéalisait au possible, comme elle avait pu idéaliser son frère et sa soeur pendant un temps. Aussi, les récentes découvertes l'avaient bouleversée, elle avait été spectatrices de révélations incroyables, en entrant dans cette pièce qui fut pendant longtemps sans porte. Elle sera certainement plus encline à entendre la version de Jamie plus tard, à tête plus reposée et moins pleine. Parce qu'au fond, elle savait très bien que ses théories étaient tout autant intéressantes et acceptables. C'est pourquoi il demeurait bien silencieux, craignant certainement pas vexer un tant soit peu la jeune femme. Elle avait bien entendu ses propres réflexions, mais il y avait certains points où ils désapprouvaient. "C'est pour ça que nous devons trouver tout ce qu'il s'est passé, pour que nous soyons d'accord et fixés." dit-elle avec un rire léger. L'ambiance n'en fut pas plus alourdie pour autant. Les sujets de conversation allaient et venaient jusqu'à ce que Daniel ne commence à réclamer son lit. La petite blonde proposait à Jamie d'aller le coucher, ce qu'il accepta sans se faire prier. Dès qu'il avait quitté la terrasse avec le petit, Joanne se plongeait dans ses songes, le regard se perdant à l'horizon rougeoyant. Le bel homme réapparut quelques minutes plus tard et s'installa en face d'elle. Elle écarquilla les yeux lorsque Jamie interpréta ses paroles. Au fond, il avait loin d'avoir tort. Il était pourtant très rare que Joanne invite quelqu'un à un rencard – il fallait reconnaître que c'en était un–. Elle était bien trop timide pour ça et il fallait reconnaître qu'elle était un peu trop ancrée dans l'idée que ça devrait être l'homme qui devrait faire ça en premier lieu. Ce à quoi les féministes crieraient à nouveau au scandale. Mais peut-être qu'il était temps qu'elle prenne les devants pour certains points. Elle avait envie d'essayer, du moins, de voir si ça pouvait véritablement marcher entre eux sur du long terme, du très long terme. Confuse par cette question, elle bégaya longuement, jusqu'à ce que Jamie accepta volontiers cette invitation assez subtile. Elle sourit d'un air à la fois nerveux et timide, assez satisfaite qu'il ait dit oui. Elle le regardait remplir leur coupe de champagne. Joanne fut d'autant plus surprise qu'il revienne sur la proposition de la veille, qu'il avait refusé sous prétexte qu'il n'avait pas emmené son maillot de bain. Maintenant il en avait un, mais peut-être qu'il n'en aurait tout de même pas eu envie. Mais il y avait eu beaucoup de changements depuis la veille et ses motivations devaient avoir bien changé. Elle acquiesça d'un timide signe de tête, ravie intérieurement qu'il n'ait pas oublié. Il était alors temps de se changer. Joanne était retournée dans sa chambre et elle prit un certain temps avant de considérer à chercher son maillot de bain. Avant ça, elle jouait nerveusement avec ses doigts. Elle sursauta lorsque Jamie toqua à la porte. Qu'il lui pose cette question la rendait particulièrement nerveuse. Alors, d'un geste précipité, elle tentait de faire descendre la fermeture éclaire de sa robe, mais elle n'y arrivait pas, forcément. Joanne soupira, se disant qu'elle aurait pu lui dire non, qu'elle s'en sortait. Difficile d'oublier à quel Jamie avait toujours adoré ça, de la deshabiller, de défaire avec lenteur sa robe. C'était alors bien gênée qu'elle entrouvrit la porte. "Je crois que oui." dit-elle avec un rire nerveux, avant de le laisser entrer. Joanne avait regagné toute sa pudeur par rappport à Jamie à partir du moment où il avait tout fait pour qu'elle n'ait plus de sentiments pour lui. Elle se mit dos à lui afin qu'il puisse faire glisser la fermeture éclaire de sa robe. Repartir intégralement à zéro était particulièrement difficile, parce qu'il y avait encore des souvenirs. Des souvenirs de ces moments d'amour là. L'instant ne durait que quelques secondes, mais fut particulièrement silencieux. Joanne sentait son coeur tambouriner dans sa poitrine, sans trop savoir pourquoi. Elle avait même retenu sa respiration pendant un bref moment. "Merci." souffla-t-elle tout bas une fois qu'il avait fini. Elle se retourna face à lui, ses bras posées contre son torse de crainte que le tissu de sa robe ne tombe devant. Il y avait eu ce long échange de regard. Peut-être se souvenaient-ils tous les deux. Puis Jamie quitta la pièce afin qu'il puisse finir de se changer et c'était avec un gilet sur le dos qu'elle le rejoignit sur la terrasse. Ils rapprochèrent l'une des tables près du jacuzzi afin de pouvoir avoir la bouteille de champagne et les coupes à proximité et qu'ils puissent profiter pleinement de l'instant sans avoir à faire d'innombrables aller-retours. "Après toi." lui dit-elle avec un sourire, indiquant des yeux le bain en question.
Our lives are not our own. We are bound to others, past and present, and by each crime and every kindness, we birth our future.
Pas de bruit que je puisse discerner à travers a porte ; l'espace d'une seconde, j'en viens à penser que Joanne n'est pas dans la chambre non plus et que je m'adresse à une pièce vide. L'oreille quasiment collée à la paroi du battant, je sursaute légèrement lorsque la jeune femme donne un signe de vie et ouvre finalement, réclamant bel et bien de l'aide pour se défaire de sa robe. Dans d'autres circonstances, cela m'aurait sûrement rendu moins nerveux. Pourtant, en entant dans la pièce, puis en me saisissant de l'embout de la fermeture éclair de son vêtement, je sens un peu de rouge me monter aux joues. Je dévoile peu à peu les omoplates de la petite blonde, son dos, l'agrafe de son sous-vêtement, ses reins, et tout ceci me procure une telle impression de déjà vu que je doute du moment dans lequel je me trouve. Si je suis bel et bien ici, ou dans l'un de ces souvenirs où, lorsque Joanne se retournera, elle m'offrira un baiser des plus passionnés et me serrera dans ses bras tandis que sa robe tombe à ses pieds. Alors je pourrai glisser mes mains sur son dos, palper sa peau si douce, entremêler mes doigts à ses cheveux, et l'attirer jusqu'au lit pour échanger un autre genre de mots d'amour. Non, je sais qu'il n'en est rien. Je sais que pour qu'une telle vision se réalise, il me faudra le mériter, et ce travail là sera de longue haleine. Je calme les battements de mon coeur avec une longue et profonde inspiration. Un rictus devant ressembler à un sourire, un « pas de quoi » anime furtivement le coin de mes lèvres pincées. La question n'est pas tant de savoir si Joanne se souvient, elle aussi, mais plutôt si ces souvenirs lui font quelque chose, inspirent chez elle autant de nostalgie et de tendresse que cela est le cas pour moi. Malgré tout ce que nous nous sommes dit, j'en doute. De toute manière, il n'est pas bon de regarder vers le passé lorsque l'on veut aller de l'avant et créer quelque chose de nouveau. Toutes nos tentatives précédentes, nos gâchis, sont une base qui a pris l'eau et qui, effritée, ne peut plus espérer soutenir la moindre construction. Les réminiscences s'effacent dans l'air. Je laisse Joanne se changer et file sur la terrasse siroter mon champagne en l'attendant. Cela a, en effet, un petit côté mégalo. La jeune femme réapparaît en maillot de bain, à peine couverte contre le vent. Aucune importance, nous serons bien assez tôt dans l'eau chaude. Pendant que la petite blonde s'occupe du jacuzzi, je ramène le champagne et nos coupes sur une table près de nous. Et puisque j'y suis invité, je me glisse dans l'eau le premier. Une fois bien installé, Joanne auprès de moi, les bras posés le long du rebord de la cuve et les muscles détendus par les bulles, je lâche un soupir d'aise. Je n'ai plus qu'à laisser mon regard se délecter de la vue. « Tu avais raison. C'est quelque chose. » je murmure avec un sourire. C'est de toute beauté. L'heure étant à la détente, nous ne parlons pas beaucoup. A vrai dire, les conversations sont avant tout à base de regards et de sourires échangés, complices, ravis. Lorsque Joanne me paraît complètement absorbée par ses pensées, je l'éclabousse avec un peu d'eau sur le visage afin de la faire revenir sur terre, qu'elle ne soit pas plus avec Celso et Grace qu'avec moi à cet instant -ou juste pour l'embêter. Et, me prenant au jeu, je l'éclabousse une seconde fois, plus franchement. De fil en aiguille, une courte bataille s'impose pendant laquelle la jeune femme finit par prendre le dessus sur moi. Les coupes de champagne s'en sortent indemnes par on ne sait quel miracle. Pour vaincre la petite blonde, ou au moins la maîtriser, je la prends dans mes bras, dos contre moi, de manière à entraver chacune de ses tentatives de bouger. Son visage tout près du mien, j'entends ses rires tinter à mon oreille devenir des souffles amusés puis disparaître. Il n'y a plus que sa peau contre la mienne. Mes entraves qui deviennent une étreinte. Mes doigts qui frôlent son épaule, remontent sur son cou, dans une fine caresse. Je dépose un baiser sur sa joue et, petit à petit, relâche Joanne.