Qu'il était mignon lorsqu'il essayait de briser cette petite vague d'innocence que mettait en avant le suédois. Bien sûr, c'était un échec cuisant puisque Wren ne se départait pas le moins du monde de son sourire narquois, en vue de son haussement d'épaules, il n'allait pas lui donner raison, plutôt mourir. "Ah non, vraiment, aucun souvenir, m'sieur." Jouer à l'ignare de service pour mettre les nerfs en pelote à son petit brun, il n'y avait certainement pas meilleure raison de vivre pour l'étudiant. Il fallait qu'il retrouve cette insouciance, surtout après tant d'années passées à vivre de drames et de regrets. Là, il en était hors de question: Wren choisissait la beauté de l'instant présent, sans se poser de milliards de questions, juste en toisant Gabriel avec son petit sourire amusé parce qu'il s'était promis, le suédois, de l'aider à tout apprendre de nouveau et il lui indiqua dans le baiser qu'il lui offrit peu après. Pas la peine de faire de longs discours sur la question, Wren était suffisamment dur au mal pour l'aider à revivre le plus pleinement possible, même si les conséquences risquaient d'être désastreuses pour le reste de l'univers à côté d'eux deux. Doherty n'avait pas l'air de s'en inquiéter à l'heure actuelle, pas quand il sentait Carnahan qui se déridait peu à peu après que l'orage fut passé. Celui-ci avait été initié par Lola mais Wren n'avait pas tellement aidé sur la question en insistant sur les points faibles de son partenaire de jeu mais en l'embrassant, il avait compris que Gabriel ne pourrait pas vraiment lui résister, même s'il était en colère contre lui à un moment ou un autre. Le nordique avait un certain nombre d'atouts aussi, c'était sûrement ce qui devait donner le change alors qu'il attrapait la face de son petit bouclé entre ses doigts pour l'embrasser avec autant de ferveur que lui, peut être parce qu'il l'avait senti frissonner quelques secondes auparavant et qu'il désirait lui prouver qu'il était en mesure de ressentir bien plus que ces quelques ondes dans son échine. "Moi, trop en profiter? C'est jamais arrivé... Si c'est qu'un début alors, je tâcherai de te la finir au plus vite pour voir à quelle sauce tu risques d'être mangé." Sûrement une excellente avec un suédois aussi attachant que diablotin dans l'âme. Ils n'avaient pas spécialement de temps à perdre, effectivement, puisque Lola devait attendre patiemment au fond de son divan vieux comme le monde alors qu'ils n'avaient que des boissons à aller chercher. Cela dit, Wren profita un maximum de leur échange langoureux du moment, ses doigts passant même sous la chemise de son aimé pour lui caresser sa peau si douce en le collant contre lui. Il était plus calme, Gabriel, plus apte à gérer les petites vannes de ses colocataires et c'était Wren qui en était heureux alors que le brun profitait d'une reprise de souffle pour mentionner les boissons. Doherty ne se détacha pas de lui pour autant en l'attrapant par la chemise jusqu'à l'entraîner dans la cuisine. Il embrassait sa peau en sortant des bières du frigo, refermant le tout d'un coup de pied sec, faisant mourir son souffle contre l'épiderme de son cou. "Elle doit se dire que t'es parti bouder dans ta chambre et que je suis tellement le coloc' idéal que j'essaie de te déloger de là pour remonter là haut. Plausible, ça, non?" Ou pas. Allez savoir mais Wren montrait les limites de sa volonté à ce moment là, en lâchant finalement Gabriel pour reprendre sa stature habituelle, les bières à la main pour monter quatre à quatre l'escalier de service et choir bien vite dans le fauteuil après avoir tendu sa boisson à Lola. Aucun commentaire, si?
Evidemment que son air désapprobateur amusait Wren. Bien sûr que ce dernier en rajoutait d’autant plus, qu’il cherchait à avoir le dernier mot en jouant au parfait idiot, son sourire railleur toujours bien vissé aux lèvres. C’était agaçant à souhait et Gabriel avait beau savoir parfaitement à quoi jouait le suédois, il se faisait quand même avoir, à dessein peut-être au fond, parce que c’était le jeu qui semblait s’être établie entre eux, n’est-ce-pas ? Une partie de leur dynamique, de ce qui les avait attiré l’un à l’autre, de ce qui les avait conduits là, à ce moment précis. Alors oui, le jeune artiste aurait sûrement pu lui renvoyer encore la balle ou lui adresser sa plus belle moue vexée face à son soi-disant manque de souvenirs quand aux instants qu’ils avaient partagé depuis la veille. Mais l’attention de Gaby était déjà appelée ailleurs, dans les mots pleins de justesse autant que dans le baiser du nordique qui s’en suivit, et puis dans ceux qu’il lui rendit une poignée de secondes après, déjà plus pressants, plus langoureux. Alors cette fois il laissait la victoire aux mains de son homme de bonne grâce, trop perdu ailleurs pour y songer outre mesure. Car perdu il l’était de toute manière tant le moindre regard, le moindre geste ou mot de l’historien semblait parvenir à impacter si vivement toute son existence. Il ne savait y être indifférent à son beau suédois. Et il le prouvait une fois de plus, tant les baisers que ce dernier égrenait sur sa peau lui arrachaient souffles chauds et frissons, alors que ses propres lèvres se perdaient tour à tour contre celles du grand brun, sur sa mâchoire ou dans son cou. Ses doigts, quant à eux, n’étaient pas en reste puisqu’ils glissaient doucement dans son dos pour mieux s’ancrer à la chute de ses reins. Et si son cœur battait si vite et si fort, ce n’était désormais plus sous le coup de sa précédente nervosité, mais bien à cause des mains et des lippes de son compagnon qui se baladaient si suavement sur lui, comme de la pression de son corps contre le sien lorsque Wren l’attira bien davantage à lui. C’était une bien étrange sensation qui agitait alors Gabriel, un mélange d’apaisement et d’affolement, qui n’avait plus rien de désagréable quand il était ainsi provoqué par les attentions sensuelles de son suédois. « C’est vrai, c’est pas ton genre d’en profiter. » Ces mots que le petit brun avait laissé filer alors que son souffle se faisait toujours plus court à mesure qu’il se perdait contre celui du géant nordique. « La preuve tiens… » Parce que cette histoire de liste n’était visiblement pas tombée dans l’oreille d’un sourd et Wren semblait déjà tout prêt à en dresser une longue comme le bras ce qui laissa un sourire malin se dessiner au coin des lèvres de Gaby. « Ne la finis pas trop vite quand même. » Ne la finis jamais aurait peut-être était plus proche des véritables espérances du jeune artiste, certainement parce qu’il souhaitait qu’autant que dure leur histoire cette liste là ne soit jamais totalement close. Mais ceci était une autre histoire et se projeter par trop dans le futur lui demeurait difficile et lui donnait toujours l’impression qu’il risquait de s’y brûler les doigts. Aussi préférait-il s’en abstenir autant que possible. D’autant plus dans ces moments où seul le présent comptait réellement. Car c’était bien pour lui la plus belle manière de vivre, au jour le jour. Minute par minute. Alors Gaby se laissa porter par l’instant avec un réel bonheur, sa peau frémissant délicieusement sous les caresses du nordique. Il n’en fallait pas beaucoup plus pour qu’il s’abandonne à ces secondes, en savourant chacune aussi intensément qu’il le pouvait, laissant de coté pour un temps le monde, ses soucis et tout le reste, sans pour autant totalement perdre de vue ce qui les avait amené à quitter le toit. A savoir les boissons promises, que Lola attendait sûrement de pied ferme et dont le petit brun rappela l’existence entre deux baisers. Et ce fut sans un mot de plus que Wren l’entraîna jusqu’à la cuisine de leur appartement, avec une assurance qui ne parvenait pas à laisser l’artiste de marbre comme l’indiquait évidemment sa lèvre inférieure qu’il mettait au supplice presque inconsciemment et ses prunelles bleutées qui brillaient d’un bel éclat chaque fois qu’il leur était permis de croiser celles de l’enfant de Suède. Gabriel se laissa bercer par les baisers de son homme, inclinant doucement la tête de coté pour leur donner tout l’espace nécessaire afin qu’ils parsèment son cou de leur tendre empreinte. « Si tu étais vraiment le colocataire idéal tu ne serais pas là, crois-moi. C’est justement parce que tu ne l’es pas que Lola t’a choisi, toi plutôt qu’un autre. Elle a du nez pour repérer les troubles-faits. » Son ton était espiègle et pourtant il ne plaisantait qu’à moitié, sachant pertinemment que son amie était du genre à aimer les caractères bien trempés, quitte à ce que cela produise quelques étincelles avec le sien, qui ne l’était pas moins. Qui plus est Gaby la soupçonnait d’avoir arrêté son choix sur Wren pour cette raison, espérant qu’une attitude comme la sienne parviendrait à bousculer son cher artiste dans sa morosité. Elle avait tapé dans le mil, et sans doute bien au-delà encore de ses expectations premières. Mais voilà que le grand brun se détachait de lui, laissant dans son sillage comme un manque qui se profilait déjà à l’horizon. Gabriel ne le lâcha pas des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse totalement de son champ de vision, s’accordant encore quelques secondes, juste de quoi récupérer un rythme cardiaque et respiratoire un peu plus paisible, avant de lui emboîter le pas, non sans avoir attrapé au passage une bouteille de rhum, trois verres et de quoi grignoter. Lola remercia Wren d’un sourire pour la bière alors que Gaby se délestait de son chargement sur la table basse en bois brut vieilli par le grand air. « J’ai presque failli mourir de soif les gars. Qui pour finir ? » La demoiselle qui tendit ce qu’il restait du joint, tout au plus une ou deux lattes, guère davantage. Gaby attrapa alors le bâtonnet au passage, le vissant à ses lèvres, avant de tendre la main vers son beau suédois pour obtenir à son tour une bouteille de bière, autant commencer doucement. « Eh bin voilà, ça fait plaisir quand tu te dérides un peu mon cœur. » L’artiste lui adressa un sourire sincère, avant de retrouver sa place dans le canapé. « Wren tu peux t’en occuper s’il te plait ? », qu’il demanda en désignant les quelques bougies qui trainaient sur la petite table. « Au fait Wren, l’appart te plait alors ? Tu as trouvé tes marques ? » Lola qui reprenait la main sur la conversation, visiblement bien décidée à rattraper ce qu’elle avait raté de l’installation du géant nordique. Une coloc’ – presque – comme les autres en somme.
Il ne pouvait qu'en sourire contre sa peau parce que Gabriel n'avait pas honte de lui montrer sa faiblesse le concernant, de quoi quelque peu flatter l'ego de Doherty. Il était pantelant contre lui, Wren ignorant quelques secondes les boissons qui les attendaient sagement au fond du frigidaire parce que c'était un cadeau qu'on lui offrait, oui, de sentir son petit bouclé se rendre totalement disponible pour le moindre baiser, la moindre caresse dans l'attente de plus lorsqu'ils seraient de nouveau seuls. Le suédois adorait cela, jouer avec le feu, c'était bien connu et il en faisait profiter Carnahan avec son sourire parfaitement sensuel au moment de quitter ses bras après avoir hoché la tête à tous ses mots parce qu'il prendrait tout le temps du monde pour finaliser cette fameuse lettre, tout comme il appréciait être le trouble fait de la colocation. C'était un rôle qui lui seyait à merveille, taillé sur mesure pour sa grande stature, lui qui cassait les ambiances bien rodées avec ses plaisanteries ridicules et ses remarques cyniques au possible. En remontant à l'air libre, il était fin prêt à regarder Lola en face alors qu'il savait fort bien qu'il cachait le secret le plus croustillant de leur habitation en compagnie de Gabriel. Alors, il arborait encore et toujours ce petit sourire au moment où il constata que Gabriel les rejoignait. Il lui avait fallu une petite minute pour se remettre mine de rien, de quoi rendre fou Wren pour sûr, d'être passé à côté d'une occasion de profiter de tout ce qu'il avait à lui offrir. Là, il voulait sûrement faire en sorte que la patience les récompense et il le prouva en lui montrant un sourire des plus tendres au moment d'écouter Lola qui reprenait la parole, commentant forcément le temps d'attente pour obtenir sa dose d'alcool. "On voulait voir combien de temps tu tiendrai avant de craquer...C'est court, hein." Un clin balancé au hasard alors que l'artiste s'occupait de terminer le fagot sous les yeux ébahis de Doherty. Son petit bouclé était clairement plein de surprise mais aussi de ressources et c'était peut être ce qui le rendait aussi impatient de percer tous ses mystères. Wren en était si énamouré quand il le regardait éjecter un brin de fumée dans le vide, apparemment hyper concentré sur sa tâche. Le nordique, lui, tâchait de rester connecté avec la réalité en voyant que leur colocataire avait encore tout un tas de sujets de conversations dans sa besace, de quoi combler les silences paisibles sur ce toit de fortune. "Génial cet appart... Il est impeccable, pas une trace de saleté nulle part. J'ai constaté l'entretien phénoménal de la salle de bain et du salon, pfiou bien joué les gars!" Il le faisait clairement exprès de mentionner ces endroits en premier lieu, là où il avait quelque peu joué avec les nerfs du bouclé. Il en souriait cela dit en se cambrant pour allumer les bougies d'un geste vif avec son briquet. La lumière ne baissait plus dès l'instant où les petites flammes se réverbéraient dans le regard vert d'eau du suédois. "Du coup, t'en étais où dans tes anecdotes du p'tit Gabriel? Je crois que je pourrai pas aller me coucher avant mon histoire..." Il eut un rire cristallin, comme si c'était normal de vouloir autant entendre parler d'un seul homme, mais c'était le sien et ce simple fait le mettait dans un état ingérable.
Revenir à la réalité après la douceur des caresses et la fougue des baisers volés entre le toit et la cuisine. Se redonner une certaine contenance en faisant taire les frissons qui glissaient encore sur la peau, en faisant redescendre le rouge monté aux joues et aux lèvres. Reprendre son souffle, après cette petite éternité dérobée au temps, seulement l’espace d’une poignée de minutes tout au plus. Gabriel s’était accordé quelques instants pour ce faire, ni trop ni trop peu, ne pas rester aimanté à Wren mais lui emboîter le pas sans tarder plus que de raison. Fragile équilibre à trouver au milieu, le temps d’apprivoiser les règles de cette étrange partie de cache-cache. Et à ce jeu-là le jeune artiste n’était probablement pas parmi les meilleurs, si il avait appris à faire taire certaines parts de lui, dissimuler ce qu’il pouvait éprouver lui était en revanche bien plus difficile. Lui qui était si sensible, que l’émoi gagnait si vite. Il en avait fait la remarquable démonstration pas plus tard que la veille, à l’arrivée de son nouveau colocataire, bien incapable de demeurer impassible et posé face à son regard perçant et sa malice. Ce qui n’avait d’ailleurs pas le moins du monde échappé à l’attention du principal intéressé. C’était présentement d’autant plus complexe que face à lui se trouvait Lola, celle qui le connaissait par cœur et les yeux fermés. Mais si Wren avait évoqué l’idée de dissimuler leur relation c’était certainement qu’il avait ses raisons, et si Gaby l’avait accepté aussi aisément c’était qu’il avait les siennes, alors pour le moment il était prêt à en accepter les conditions, et advienne que pourra. Aussi lorsque le petit brun reparut sur le toit, à la suite de son beau nordique, semblait-il bien plus calme qu’en le quittant. A vrai dire c’était réellement le cas, car, bien qu’il demeurait un grand bazar dans son être, le tête-à-tête qu’il venait de partager avec son homme avait assurément eu pour effet de l’apaiser et lui redonner assez de constance pour affronter le monde, ou tout au moins le duo infernal de ses colocataires. Le nordique, lui, reprenait possession des lieux avec ce même mélange d’assurance et de nonchalance que lorsqu’il avait posé les pieds dans l’appartement. Cette attitude précise qui avait tant bousculé Gabriel alors, quand lui était tout à fait à l’opposé, cherchant habituellement la discrétion jusqu’à se faire littéralement oublier. Et c’était pourtant bien cela, entre autres choses, qui avait dans un premier temps attiré son attention chez l’historien. A croire que leurs différences les attiraient irrémédiablement l’un vers l’autre, là où leurs points communs, sûrement moins évidents mais pourtant bien présents, finissaient de les lier plus étroitement. En résultait chez Gaby un sentiment d’évidence, et de justesse, que chaque instant passé ensemble n’avait, pour l’heure, fait que confirmer. Ce simple fait lui arracha un véritable sourire, tout entier destiné au grand suédois, et qu’il tenta de camoufler un tant soit peu en se concentrant sur ce qu’il faisait avant de coincer entre ses lèvres le bâtonnet roulé qu’il venait de subtiliser à Lola. Cette dernière qui rebondissait avec aisance sur les taquineries du nordique, comme s’ils se connaissaient depuis toujours. « Court ?! Ca m’a plutôt paru interminable ! » A ces mots l’artiste retint un rire soufflé, le temps avait dû paraître aussi long à son amie qu’il avait paru court aux deux tourtereaux, guère pressés de devoir quitter l’étreinte l’un de l’autre. « Que veux-tu, c’est l’alcoolisme ça, un vrai fléau. » Et comme pour prouver son manque elle fit glisser sans plus attendre une rasade de bière au fond de son gosier. « Puis si je n’ai pas ma dose je pourrais devenir agressive, mieux vaut se méfier. » Le jeu d’actrice de Lola amusait clairement Gabriel. Ce dernier qui laissait ses prunelles bleues se perdre par intermittence sur la silhouette de son compagnon, jamais trop longtemps, de peur sans doute de se trahir. Mais il sentait aussi le regard de Wren glissait sur lui, ce qui n’était pas pour le laisser indifférent à dire vrai. Il était alors heureux que Lola fut la plupart du temps absorbée dans la contemplation du paysage nocturne alentour, de cette ville scintillant de mille feux dans la nuit encore naissante et de leur toit éclairé des premiers rayons lunaires et des lueurs vacillantes de quelques bougies. Dans le cas contraire la demoiselle aurait certainement fini par capter quelques-uns des regards échangés par ses deux camarades, dont l’éclat ne laissait guère de doutes quant à la nature de ce qui les liait l’un à l’autre. Mais l’obscurité était une précieuse alliée, la nuit toujours favorable à abriter les amours secrètes. « Ah oui ? Je pensais pas que tu étais aussi à cheval sur la propreté tiens. » Lola leva un sourcil quelque peu circonspect pendant que Gabriel, lui, tentait de conserver son naturel en sirotant un peu de sa bière, chassant les souvenirs que Wren évoquait entre les lignes, ceux-là même qui étaient en mesure de lui faire monter le rouge aux joues et lui arracher une foule de frissons rien qu’à leur évocation. Ce fut donc à dessein que le jeune artiste entreprit d’éviter le regard de son suédois, d’autant plus quand le scintillement des flammes des bougies ne faisait qu’accentuer l’éclat de ses prunelles vert d’eau. « Ca tombe bien, on partage les tâches ménagères ici, tu vas pouvoir t’éclater Mr Propre. » Elle jouait sur ce même ton malin, ravie de trouver en Wren un interlocuteur à sa hauteur en matière de répondant, ignorant seulement tout ce que chacun des propos du grand brun contenait de sous-entendus à destination de l’artiste qui s’était enfoncé un peu plus dans le fond du canapé, comme pour se faire un peu oublier. Peine perdu quand le nordique revenait à la charge. « C’est que le sujet a l’air de t’intéresser dis moi. » La demoiselle accrocha son regard à l’historien, mi-interrogative, mi-amusée. « Je crois que j’en étais à ses talents manuels. Mais bon j’ai l’impression que le sujet est sensible. » Gabriel leva les yeux au ciel, priant pour que Lola n’étale pas toute son intimité, alors qu’il sentait l’effet des dernières effluves du joint se répandre lentement dans son être. « Il joue du piano, mais tu le sais déjà. » Sujet vaguement évoqué entre deux portes, la veille. « En effet. » Gaby se raccrochait à cette conversation, visiblement moins partie pour dériver cette fois. Ou pas. « Qu’est-ce que tu voudrais entendre comme histoire ? » L’artiste laissa filer un soupir. Une question offerte sur un plateau d’argent à Wren, quelle idée Lola...
Avec un Doherty aussi pointilleux de connaître tous les détails concernant son petit bouclé, il était vraisemblable que le jeu dure toute la nuit. Oh, bien sûr, Lola allait s'endormir à un moment donné, c'était inévitable mais pas eux deux car ils avaient fini une petite sieste au cours de l'après-midi, après leur heure de ménage intensive et Wren était loin d'être usé malgré la nuit qui venait de tomber face à eux. Son énergie reposait sur cette adrénaline persistante de savoir que leur colocataire n'avait aucune idée de la teneur de leur relation et tout cela ajoutait une bonne dose de piquant dans l'existence du grand suédois. Il n'avait aucune idée de ce à quoi Gabriel pensait à l'heure actuelle, peut être ressassait-il les quelques minutes qu'il venait de passer au sein de l'appartement, à s'émouvoir de nouveau avant de revenir sur la terre ferme malgré le peu d'envie de part et d'autre. Effectivement, la réalité était violente et très froide, Wren ne le savait que trop bien puisqu'il était assis sur ce divan à faire semblant de siroter sa bière alors que dès qu'il en touchait le goulot, son regard se perdait sur les traits de Carnahan avec ce désir coincé au fond des prunelles. Il n'aurait pas su mentir, le nordique, de la même manière qu'il captait parfois le regard de l'artiste posé sur lui, jamais en même temps trop longtemps sinon le risque serait trop grand. Non, à l'heure actuelle, ils devaient jouer le jeu à merveille, divertir Lola du mieux qu'ils le pouvaient, se servant plus ou moins du lien que leur créait Gabriel le plus naturellement du monde. Forcément, Wren ne pouvait que rire face à ses remarques, sans forcément surenchérir, là, il n'y en avait pas réellement le besoin parce que l'alcool l'aiderait assurément à se coucher plus tôt, ce qui serait une aubaine pour eux. La question du ménage était encore plus cynique et c'était le genre de traits de caractère qui plaisaient énormément au géant suédois, elle jouait dans la même cour que lui, un plaisir. "Figure toi que si, j'adore quand les lieux sont utilisés comme ils le doivent et bien nettoyés ensuite, c'est la base, ma chère." Ne pas laisser la moindre trace de leurs ébats, parsemer seulement quelques indices dans la conversation en posant un regard appuyé sur le petit bouclé. Les souvenirs étaient là, fortement présents et Wren sentait qu'il avait frissonné à côté de lui, Gabriel, très plaisant. "Parfait, m'dame. On a le droit de demander un coup de main pour les grandes surfaces ou pas?" Bon sang, il regardait tellement Gabriel à ce moment là qu'il lui risquait peut être une syncope tellement ses yeux étaient suggestifs. Personne ne pouvait couper Wren au milieu de son délire et il réussit à se calmer avec un peu de bière, une vue du décor alentour et cette histoire de piano qu'il connaissait déjà. "Un truc gênant sur Gabriel. Genre, est-ce tu l'as déjà cockblock? Là, ce serait drôle, non?" Doherty, freine toi deux secondes. Ne t'autorise pas cela, à poser ta main sur la cuisse de Carnahan dès que Lola avait le dos tourné car c'était le début de la fin. La fin de ces fameuses limites et de cette fichue discussion.
Gabriel avait beau s’être relativement détendu il demeurait discret, laissant le soin à Lola et Wren de mener l’essentiel de la conversation, tandis qu’il faisait mine de s’intéresser au paysage. En réalité il était surtout occupé à centrer toute son attention sur le fait de garder autant que possible une certaine contenance, se concentrant sur sa propre respiration pour ne pas perdre pied à chaque fois qu’il sentait le regard du nordique glisser sur lui ou que ses prunelles bleutées accrochaient les siennes. Celles-là même qui brillaient d’une intensité qui ne trompait pas et qui suffisait à rendre le petit brun fébrile. Alors oui, il lui fallait bien toute sa volonté pour faire bonne figure face à ses deux colocataires, tout au moins face à son amie quand Wren jouait sur le même tableau que lui et prenait visiblement un malin plaisir à s’en amuser en coups d’œil appuyés et sous-entendus à destination de Gaby tout en discutant le plus naturellement du monde, ou presque, avec Lola. Cette dernière trop heureuse de trouver chez lui un adversaire à sa taille en matière de piques et remarques moqueuses. Ce qui semblait tout à fait réciproque. « Oh vraiment ? Aurions-nous une nouvelle fée du logis à la coloc ? Je dois dire que ça me va. » Sans être foncièrement maniaque la demoiselle aimait tout de même que son lieu de vie soit bien tenu, autant sur le plan du ménage que du rangement. Quelques règles de vie pour une bonne cohabitation, c’était sa base à elle. « Tout l’aide que tu voudras ! Tu n’auras qu’à demander à Gaby tiens, ça lui fera du bien de sortir de son antre pour participer à la vie de la colocation un peu. » Voilà qui était fait. L’artiste en prenait pour son grade de toutes parts et il dut se mordre la joue pour ne pas souffler tout son désespoir d’être ainsi pris entre deux feux avec d’un coté un Wren terriblement allusif et de l’autre une Lola piquante à souhait. Il aurait véritablement voulu pouvoir disparaître au fond de ce canapé alors que son amie venait, sans le savoir, de le livrer sur un plateau au grand suédois et il sentait encore le regard de ce dernier sur lui. Ce regard qu’il avait croisé un instant et qui l’obligea à bouger un peu sur le divan pour ne pas trop y songer. Il ne s’arrêterait donc jamais n’est-ce-pas ? Apparemment non. Ce fut néanmoins ce que la suite des propos du nordique laissa penser à Gabriel. A son grand dam. Oh Wren… Pourquoi jouer à ça, quand seulement quelques minutes avant il avait pu voir à quel point être ainsi exposé pouvait si profondément ébranler, fragiliser, le jeune artiste. Alors pourquoi lui imposait ça ? A cet instant précis le petit brun lui en voulait sûrement un peu, pourtant il ne bougea pas, n’ayant que le temps d’ouvrir la bouche pour protester sans qu’aucun son ne parvienne cependant à sortir, comme s’il était devenu instantanément muet. Et pour cause, la main du grand suédois venait de glisser sur sa jambe, l’air de rien, le faisant vivement tressaillir et manquer de s’étouffer avec sa bière. Il aurait certainement dû s’y attendre pourtant, à ce que son compagnon joue une fois de plus avec le feu, qu’il passe les bornes. Et évidemment il obtiendrait les réactions qu’il souhaitait, parce que cette fois-ci Gaby restait vissé au divan, tentant de prendre sur lui pour contenir son émoi, pour faire face et ne pas fuir comme un imbécile. Tant bien que mal. Bien trop déstabilisé pour répondre le premier, il savait qu’il laissait tout le loisir à Lola de trouver dans sa mémoire la plus croustillante des anecdotes le concernant et il s’en sentait déjà mal au fond alors qu’il accordait un regard noir au suédois, conscient de ne probablement pas lui paraître bien impressionnant. « C’est arrivé oui. » Et voilà. « Lola… » Son ton c’était fait presque implorant mais son amie lui adressa un sourire tendre, à sa grande surprise. « Mais si Gaby, rappelle-toi, ton anniversaire surprise. » Un poids sembla soudain disparaître de la poitrine de l’artiste. Il se souvenait parfaitement de cet épisode, qui restait un sujet de plaisanterie dans leur petite bande d’amis. Rien de secret, rien de douloureux, rien de foncièrement gênant. Lola donnait du grain à moudre au suédois sans pour autant choisir de donner davantage de malaise à Gabriel. Elle ne se doutait en revanche pas que sa profonde fébrilité n’était pas uniquement due à la gêne occasionnée par leur conversation mais bien à l’attitude audacieuse de son beau nordique. « C’était le premier anniversaire de Gaby depuis qu’on était dans cet appart-là, je lui avait fait croire que je devais absolument rentrer chez mes parents pour garder les petits pour la soirée. On avait prévu de fêter ça le lendemain soir du coup. La vérité c’est que j’avais organisé une fête surprise. On devait tous se retrouver en bas de l’immeuble et monter à l’appart pour débarquer en mode surpriiise, enfin tu vois le genre. Evidemment je rentre la première, en éclaireuse, pendant que les autres attendent mon signal sur le palier. » Lola jouait d’effets de voix et de larges gestes tout en contant cette histoire ridicule. « Et là ! Je tombe bien sur mon petit Gaby, pas de soucis, sauf que le chenapan n’était pas tout seul, non monsieur ! Il y avait un beau brun tatoué avec lui, en train de l’embrasser dans MON canapé. » Ton faussement choqué, de circonstance. « Notre canapé. » Gaby semblait avoir repris quelques couleurs, ou bien était-ce le feu brûlant ses joues depuis que Wren s’amusait de lui, qui lui donnait presque meilleure mine ? « Comment il s’appelait déjà ? » Lola arborait un air concentré, fouillant dans sa mémoire pour retrouver le nom du tatoué, ses souvenirs allaient selon ses priorités après tout. « Simon. » Lueur de révélation dans ses yeux. « Ah oui ! Simon ! Donc ils étaient là, enlacés dans notre canapé. J’ai bien cru qu’ils allaient en tomber d’ailleurs en me voyant. » Petit miracle Gabriel laissa échapper un rire soufflé. « On s’attendait pas vraiment à te voir débouler. » « Certes. Et moi avec mes invités derrière la porte, qui attendaient toujours. Il a fallu que je ressorte leur dire de patienter à cause d’un petit contretemps. Heureusement qu’on est pas arrivé plus tard. Quelle histoire je te jure. Cela dit je te comprends mon cœur, il était carrément sexy ce contretemps. » L’artiste se mordit la lèvre, jonglant entre le fait de se recomposer un minimum et celui de garder un pied dans la conversation, comme si de rien n’était. Même si les choses se compliquaient d’autant plus lorsque Lola évoquait une ancienne relation alors même que le contact de la main de Wren le brûlait toujours. « Vous êtes toujours amis non ? C’est bien lui qui a un salon de tattoo ? » Le petit brun opina légèrement, évitant à dessein de croiser les belles prunelles vertes de son homme. « Tu devrais l’inviter plus souvent. » Elle statuait. « Lola… » Il désespérait qu’elle parle tant.
Il ne se connaissait aucune véritable limite, le suédois, et c'était ce qui le rendait si dangereux, surtout pour les personnes aussi spontanées et réservées comme Gabriel. Le petit brun ne pouvait que rester muet face à ses deux colocataires qui se renvoyaient la balle constamment, lui jouant le rôle du misérable dommage collatéral au beau milieu de leur dose d'amusement respective. Doherty n'était pas gêné outre mesure de laisser planer le doute sur tout ce qu'il avait pu faire depuis la veille en compagnie de Carnahan: le jeu en valait la chandelle car l'artiste était parfaitement tendu sur le divan à ses côtés, dans l'incapacité de trouver une parade idéale à ce désastre annoncé pour lui. De son côté, le nordique l'observait en coin, toujours avec cette idée en tête de le perturber un peu plus, peut être qu'il souhaitait que Gabriel fuit à nouveau pour aller l'enfermer dans une pièce et profiter de sa présence sans que Lola ne se trouve si proche. Avec Wren, il était toujours difficile de connaître ses intentions, il était impossible à lire, toujours dans une sorte de jeu que lui seul semblait maîtriser. Il paraissait incroyablement serein à l'heure actuelle, laissant un sourire mutin glisser sur son visage angélique parce que Lola n'avait aucune idée de ce qu'elle proposait en laissant entrevoir une heure de ménage entre ses deux autres colocataires. Certes, les lieux communs seraient parfaitement nettoyés mais ils seraient très certainement d'abord dans un état catastrophique parce que le suédois en profiterait, c'était un fait avéré. "Mais oui, faisons ça! Gab' et moi avec un balai dans les mains, ça peut qu'être efficacement agréable." Il osait faire un clin d'oeil avant qu'un léger rire ne s'échappe de ses cordes vocales: la scène était très facile à imaginer pour le grand Doherty vu ce qui avait pu se passer en vingt quatre heures. C'était Lola qui ne savait rien, Lola qui suivait le jeu sans se poser la moindre question parce qu'ils buvaient tous, qu'un joint avait été sorti et que ses deux camarades n'avaient pas pu autant s'amuser en une seule journée? Non, elle ne se rendait pas compte de tout cela, de la main de Wren qui se posa, conquérante sur la cuisse du petit brun, prête à remonter au moindre signal d'alerte pour le décontenancer encore plus. Pour qu'il craque. Effectivement, le discours de Lola tournait vers un sujet très chaotique pour lui: ses petites histoires et le fait d'être pris la main dans le sac et Wren capta son air déconfit au moment où son amie se lança dans le récit. Gabriel était très tendu à ses côtés et son pouce caressa mine de rien sa jambe, il fallait qu'il se calme un minimum pour tenir jusqu'au point final de ce dialogue. Pourtant, c'était peut être Doherty qui se tendait un peu en imaginant la scène: un tatoué, vraiment? Comme quoi son artiste était plein de surprises et qui sait ce qu'il allait lui montrer à partir de maintenant. Est-ce qu'il allait le choper en train d'embrasser un tatoué lui aussi? C'était une chose à laquelle il n'avait pas pensé de son côté mais son voile ne resta pas longtemps sur son regard vert d'eau car il avait posé la question, à lui d'en assumer toutes les conséquences. "Gabriel Carnahan aime les tatoués et s'adonne à des vices sur le canapé? Je suis très surpris!" Pas pour la deuxième partie de la narration cela dit. Lola continuait sans vergogne, ne désirant pas relâcher ce pauvre Gabriel, d'ores et déjà à l'agonie au milieu de ce trio infernal. L'information était capitale: il était encore ami avec l'homme en question et il n'avait, a priori, rien à voir avec quelqu'un comme Doherty. Les yeux du suédois se dirigèrent donc naturellement vers le bouclé pour trouver des réponses dans ses prunelles bleutées, certainement une utopie à l'heure actuelle. "T'as compris, Gaby? Lola a très envie de voir ton ami, on dirait, j'espère qu'il est bi aussi... A moins que t'aies encore envie de t'amuser avec lui, bien sûr, mais là on rentre dans un sacré conflit d'intérêt, les cocos." Le nordique termina sa bière d'un traite, sa main remontant jusqu'en haut de la cuisse du brun pile au moment où Lola détourna de nouveau le regard vers l'horizon, une joie pour Doherty. "Qui a envie d'aller se pieuter?" Il avait forcément envie de savoir car lorsque ce moment arriverait, il était probable qu'il rejoigne Gabriel sur la pointe des pieds, en quête de quelques précieuses réponses.
Gabriel ne savait véritablement pas comment réagir face au duo de ses colocataires. S’empêcher de fuir, d’accord, mais à quoi bon quand il était apparemment incapable de se défendre, ou bien trop lâche pour dire quoi que ce soit. Il aurait voulu protester, s’agacer, avoir lui aussi du répondant. Mais ça n’était pas dans ses cordes quand il était si déboussolé. A moins bien sûr d’appuyer là où ça faisait mal, de le pousser vraiment à bout. Ce n’était visiblement pas encore le cas finalement, s’il restait si muet, si tétanisait, coincé entre les audaces de Wren et les anecdotes de Lola. Il s’insupportait d’être ainsi, aussi vite perdu, si paralysé au point de demeurer effacé et quasiment muet. Alors bien sûr que ses deux camarades en profitaient, pourquoi s’en priver ? La manière dont le suédois rétablissait un contact physique, avec une assurance insolente, tuait son rythme cardiaque. Les mots de Lola achevaient son calme. Il était fébrile le petit brun, les joues brûlantes, le cœur affolé, contenant tant bien que mal une respiration qui commençait elle aussi à lui faire sérieusement défaut. Plus la conversation avançait, plus il se décomposait. Et si dans un premier temps il avait songé que l’anecdote choisie par Lola n’était finalement par si terrible que cela, qu’il y avait même sûrement de quoi en rire, il ne le pensait à présent plus tellement. Les raisons en étaient simples, d’une part la suite des propos de Lola au sujet de Simon, d’autre part la réaction de Wren. C’était d’ailleurs surtout cette dernière qui le décomposa bien davantage, parce qu’il l’avait senti se crisper à coté de lui et que quelque chose dans le ton de son nordique avait légèrement mais viscéralement changé, se faisant plus piquant, perdant un peu de sa désinvolture au passage. Lola ne semblait pas l’avoir remarqué, Gabriel si et cela l’atteignit probablement plus qu’il n’aurait su le dire, sa mâchoire se contractant légèrement. « On en était pas encore au stade du vice non plus. » Mais le mal était fait, l’artiste avait bien senti le regard du suédois se posait une fois de plus sur lui, mais il était à peu près certain que quelque chose y avait changé dans son éclat. « C’est bon, n’en rajoute pas. » Voilà qu’il répondait enfin, le ton bas et pourtant teinté d’une vague fermeté. A qui s’adressaient ces mots ? Lui-même n’aurait su le dire, peut-être autant à l’un qu’à l’autre. Mais la vérité était qu’il les avait prononcés juste à la suite des propos de son compagnon. Et pour cause, ceux-ci l’avaient blessé plus qu’ils ne l’auraient dû. Le coup de trop pour ce soir. Gabriel passa une main sur son visage, soudain un peu las, avant de reprendre un peu de constance. « Désolé il n’est pas bi non. Et je ne m’amuse avec personne. » Le moi qu’il avait retenu, seulement pour éviter de trop l’appuyer en tournant les yeux vers Wren. Son ton était étonnement neutre, en apparence seulement, car sous la surface conserver ce pseudo calme lui demandait un effort considérable, et il prenait sur lui comme jamais pour ne pas craquer et continuer à faire un minimum bonne figure. D’autant plus quand la main du grand brun traçait avec assurance son chemin le long de sa jambe, lui arrachant un frémissement qui ébranla cette fausse impassibilité dans laquelle il tentait de se draper. Il maudissait sa si grande sensibilité, autant physique qu’émotionnelle, qui finissait toujours par le trahir. Mais cette fois il ne laissa pas à Wren une autre occasion de pousser le vice encore un peu plus loin alors qu’il saisissait sa main pour l’éloigner de sa jambe d’un geste vif. La conversation et la soirée venaient de tourner court alors que Lola s’étirait tel un grand chat avant de répondre à la question du beau suédois. « Oh bonne idée, je crois qu’on a trop fait la fête avec Ellie hier soir, je suis épuisée. Dire qu’il faut se lever demain matin… » Elle lâcha un long soupir à cette idée. « Les weekends sont décidément beaucoup trop courts. » Gaby vit là une occasion pour lui aussi de mettre les voiles sans trop tarder. « Je vais y aller aussi, j’ai besoin de dormir. » Son ton aurait aisément pu se faire plus sec s’il n’y avait pas pris garde. Nul doute qu’il n’y avait là ni invitation déguisé, ni sous-entendu. Il avait été piqué au vif et il lui fallait le temps de digérer cette soirée infernale qui n’avait guère tenu ses primes promesses de quiétude. Tant pis pour les lumières de la ville, tant pis pour la nuit à la belle étoile. Il avait besoin de retrouver la sécurité de son univers à lui. Un « Bonne nuit », lancé doucement alors qu’il débarrassait ce qu’il avait ramené un peu plus tôt, déposant le tout dans la cuisine avant de filer se réfugier dans sa chambre. Dos au panneau de bois de la porte, il se laissa glisser jusqu’au pied de celle-ci en soupirant, laissant une main remonter jusqu’à la petite clé qu’il tourna dans la serrure. Du calme. Enfin. Tout au moins pour l’instant, inconscient qu’il était de croire que les choses en resteraient là. Il n’apprendrait donc jamais ? Sur le toit ne restaient désormais plus que Lola et Wren. « Ne t’en fais pas, ça lui passera. » Elle avait raison, ça lui passerait, parce qu’il pardonnait aisément à son amie comme elle le faisait pour lui. Et qu’il le ferait assurément pour son homme. « Et bonne nuit alors ! » La demoiselle gagna à son tour sa chambre dans les minutes qui suivirent, s’assoupissant bien vite, quand à l’autre bout de l’appartement Gabriel demeurait assis contre la porte, yeux clos, cherchant à mettre un peu d’ordre dans l’ingérable bordel qui l’habitait.
Quitter les lieux sans se retourner, voilà ce que son petit brun avait fait, le rejetant abruptement au passage, de quoi passer l'idée à Wren de jouer au coq encore un peu. Il avait pris un risque et il avait clairement perdu en la matière puisqu'il avait senti la rage de Gabriel se répercuter dans la moindre de ses artères. En conséquence, pour la première fois de son existence, il en avait mal au coeur et il ne savait pas comment gérer cela, il n'avait jamais su en réalité. Wren n'avait pas réellement d'expérience dans le domaine amoureux: il n'était apte qu'à gérer les affaires sexuelles, celles qui n'atteignaient pas les âmes d'autrui et qui ne faisaient prendre aucun risque aux principaux intéressés. Tomber amoureux? Plutôt crever dans son vocabulaire: il n'avait jamais pu le faire, se lassant passé le premier quart d'heure parce qu'il avait apparemment besoin qu'on l'envoi bouler ou qu'on le défie pour se sentir parfaitement à son aise dans une relation. De ce fait, personne n'avait tenu un quart d'heure ledit challenge, il était trop compliqué, trop capricieux, trop joueur pour qu'on ait envie de tenir le cap avec quelqu'un comme lui. Doherty s'y était fait cela dit car il avait conscience que son mode de vie était des plus déplaisants pour les gens autour de lui. Incapable de s'engager, encore moins de se projeter, il était simplement une bombe à retardement, une dynamite toujours prêt à exploser. Il en avait montré la preuve ce soir là, volant trop proche du soleil alors que Gabriel virait sa main de sa jambe, son existence de la sienne par dessus le marché. Du moins, c'était l'idée qui s'en dégageait puisqu'il était parti avec un bonne nuit des plus secs, laissant Wren perdu et sans boussole. Il fut suivi bien vite de Lola et Wren dût trouver la force au fond de ses muscles pour se relever de là, cinq minutes après tous les autres, se dirigeant vers sa chambre sans réfléchir. Finalement, il fit un volte face de dernière minute en entendant d'ores et déjà les ronflements d'une Lola qui avait dû faire une nuit blanche la veille pour faire la fête. Il s'arrêta devant la porte du petit brun et toqua délicatement, au cas où il dormait. Il était hors de question de le déranger plus qu'il ne l'avait fait. Néanmoins, il entendit du bruit derrière la porte et le suédois comprit qu'il était sûrement en proie à ses doutes de l'autre côté du matériau et c'était de sa faute. "Gabriel... Sois pas en colère, s'il te plaît. C'était un jeu... Un stupide jeu, je le conçois mais je sais pas vraiment comment me comporter quand c'est comme ça... Quand c'est sérieux." Idiot notoire qui ne savait rien faire de ses dix doigts à part tuer le coeur des autres, son front se collant à la porte alors qu'il sentait la culpabilité lui courber les épaules de plus en plus fortement. Il sentait l'effroi au fond de son âme et Doherty ne savait pas comment le porter, encore moins comment le vivre. Sans Gabriel à ses côtés, il n'était vraiment pas certain de pouvoir le faire, ni le comprendre.
A présent qu’il était là, assis par terre, la tête bouffée par un capharnaüm sans nom, le corps fébrile, Gabriel se rendait compte à quel point il pouvait être fragile, vulnérable. Il en avait pris pour son grade tout au long de la soirée certes, mais ce furent les dernières remarques de Wren qui le touchèrent bien davantage, l’atteignirent plus profondément. Ca faisait mal, ça n’avait pourtant sûrement pas lieu de le faire, mais ça lui faisait mal à lui. C’était d’ailleurs probablement bien plus cela, que de la réelle colère qu’il éprouvait et qui l’avait poussé à mettre les voiles si vite et sans cérémonie. Ca n’avait pas dû défriser Lola qui le connaissait par cœur et l’avait vu dans de bien plus mauvais jours. Mais qu’en était-il du nordique ? Lui qu’il avait planté là-haut, en le repoussant qui plus est. Qu’est-ce qui ne tournait pas rond chez le jeune artiste ? Du moins était-ce l’une des questions qu’il se posait à cet instant, convaincu qu’il déconnait quelque part. Il en était là de ses pensées quand des bruits de pas finirent par lui faire rouvrir les yeux. Ils s’étaient arrêtés exactement devant sa porte. Et avant même qu’un quelconque son ne se fasse entendre, il savait déjà qui était derrière tout ça. Evidemment. Il n’avait pas besoin de le voir pour deviner que là, séparé de lui par quelques centimètres de bois, se trouvait celui dont il était tombé amoureux. Gaby ne fit pas un geste, peut-être que Wren finirait par aller se coucher, qu’après une bonne nuit de sommeil il aurait les idées plus claires pour lui faire face. Le craquement du bois sous son poids le trahit néanmoins, le fourbe. Et ce fut bien la voix de son homme qui se fit alors entendre. L’artiste ne put contenir un soupir à son discours, parce qu’il lui fendait le cœur et c’était le plus dur à encaisser en fin de compte. Gabriel enfouit alors sa tête entre ses mains, ses dernières finissant par se perdre parmi ses boucles brunes. Il ne bougeait pas. Il avait encore besoin d’assimiler chacun des mots de Wren, leur déchirante sincérité qui lui ruinait l’âme parce qu’il se sentait stupide de lui avoir fait du mal en retour de ce qui l’avait atteint, lui, dans ses propos. Ah ils étaient tous deux dans un bel état à présent, et personne n’y avait rien gagné d’autre que des bleus au cœur. Tout ça pour quoi ? Des histoires bêtes à pleurer. Seulement voilà, elles avaient réveillé toute la vulnérabilité du petit brun, et c’était à présent celle de son bel amour qui s’exprimait à présent à travers le panneau de bois. Les secondes coulaient une à une, se transformant en minutes et l’artiste n’avait toujours pas esquissé un geste, jusqu’à ce qu’un mouvement feutré derrière la porte ne l’affole. Wren était-il en train de quitter les lieux ? Allait-il vraiment le laisser faire ? Il ne savait en réalité rien de ce qui se passait à l’extérieur de la pièce, mais d’y penser suffit à le faire se redresser vivement, comme sous le coup d’une décharge électrique. D’un bond il fut donc sur pieds, tournant la clé dans le sens inverse et déverrouillant ainsi l’ouverture avant de l’entrebâiller. « Wren… » Et il ne savait véritablement pas quoi ajouter, car celui qui se tenait devant lui à présent n’avait plus rien du jeune homme fringant et nonchalant qui jouait les insolents en société. Non, il avait un peu perdu de sa superbe, une fêlure qui se révélait quelque part et de le voir ainsi troubla bien plus Gaby qu’il ne s’y attendait. Alors ce fut un simple « Viens » qui accompagna sa main se refermant sur le poignet de l’historien pour l’attirer doucement à l’intérieur avant de verrouiller derrière lui. L’endroit était plongé dans une semi-pénombre, perturbée des seules lueurs lunaires ou urbaines qui parvenaient à se frayer un chemin à travers les rideaux légers. Une ambiance paisible, immobile, loin des feux de la fin du jour qui avaient éclairé leurs premiers échanges dans cette pièce. Les esquisses d’un phénix, de premiers baisers, leur première étreinte aussi. Et de s’y retrouver avait une saveur particulière, à n’en pas douter. De nouveau adossé à la porte, de toute sa hauteur cette fois, l’artiste contemplait la haute silhouette qui se découpait face à lui, silencieux l’espace d’un instant. « Je ne suis pas en colère. » Il ne l’était plus vraiment. « Enfin, je crois que je l’étais un peu si. » A vrai dire il avait bien du mal à faire le tri dans tout ce qu’il éprouvait. « C’est juste que je… Je savais pas comment réagir. » Il était honnête, il voulait l’être d’autant plus avec Wren, lui exposer ses doutes, ses peurs, parce qu’elles faisaient parties de lui. Toutes ces insécurités qu’il avait, il ne voulait pas les cacher, parce qu’il voulait simplement être lui et que pour une fois on le lui autorisait pleinement. Il avait le droit d’être lui-même, de le réapprendre, avec son beau suédois. Leurs incertitudes se répercutaient les unes sur les autres. La vérité était qu’ils étaient aussi perdus l’un que l’autre. « J’ai senti, tu sais, que tu te crispais à cause de cette histoire avec Simon. J’ai pas compris pourquoi et… » Tout s’embrouillait dans sa tête, se mélangeait, et il craignait de s’emmêler les pinceaux. « Je suis désolé Wren, vraiment. » D’avoir réagi comme ça, parce qu’il n’y avait rien de grave, n’est ce pas ? Gabriel se décolla soudain de la porte, tuant les quelques pas qui les séparaient. Il n’y tenait plus, il avait besoin de le sentir proche, et ce fut contre son torse qu’il vint s’échouer, refermant ses bras autour de son buste, emplissant ses poumons de son parfum, dissimulant ses yeux un peu trop humides contre le t-shirt du grand brun. Touché qu’il était, au plus profond de son être, alors que les tous derniers mots de Wren tournaient encore dans son cerveau. C’était sérieux, ça l’était pour lui aussi.
Il se sentait mal, pour la première fois de sa vie, c'était ancré dans ses veines, le moindre de ses muscles et Wren prenait conscience qu'il pouvait vaciller à tout instant. Il se retenait néanmoins, contre le bois dur de la porte, ses doigts s'y crispant alors qu'il avait le poids du monde sur ses épaules parce qu'il avait commis le pire ce soir: il avait blessé le petit bouclé. Doherty ne savait plus tellement faire la différence entre le jeu et la réalité, se voulant toujours plus arrogant que la minute précédente, une carapace comme une autre pour un homme qui avait tant traversé pour en arriver jusque là. Néanmoins, là, ses défenses craquelaient, révélant certainement qu'il n'était qu'un gamin qui n'avait pas appris à grandir correctement. Il aurait aimé être comme les autres, avoir une famille normale et un parcours de vie banal mais le suédois n'avait rien eu de tout cela. Il avait dû se développer dans le chaos, se chargeant de tenir à flot les quelques Doherty qui voulaient bien prendre encore place au fond du radeau. Celui-ci ne connaissait pas l'équilibre, il n'y avait que les vagues qui le faisaient tanguer plus que de coutume, les douleurs des uns qui créaient celles des autres et des regrets à la pelle. Wren se rappelait surtout les coups, ceux de son père bien sûr, de cette marque de tisonnier qui entaillait encore sa joue après tant d'années et les jets de vaisselle de sa mère pour le faire sortir de là... Il l'avait fait, il avait fui parce qu'il n'était bon qu'à cela en réalité, fuir les gens qu'il aimait, les abandonner sur le bord de la route pour ne penser qu'à son petit confort personnel, qu'à ses distractions sans saveur qui ne lui apportaient rien d'autre qu'une satisfaction aussi bien immédiate qu'éphémère. Il en était là, le grand nordique, à faire le point sur les choix hasardeux de sa piètre vie, se rendant compte qu'il piétinait tout ce qu'il frôlait, âme en peine qui ne savait pas se comporter dans un monde civilisé. Ce soir, c'était son artiste qui avait été sa proie et il se cachait derrière cette porte qui laissait entendre le moindre bruit. Alors, Gabriel devait savoir qu'il s'était voûté, que ses jambes allaient finir par ne plus remplir leur rôle de le garder debout, si tant était que la porte ne s'était pas ouverte à ce moment là. Que la main de Gabriel ne l'ait pas entraîné à l'intérieur et que le silence s'éternisa à partir de là. Le regard de Wren n'arrivait à se poser nulle part, sûrement parce qu'il avait honte de s'être tant exposé face à lui, sa colère était légitime bien évidemment et Doherty l'aurait peut être même imploré d'en rajouter une couche, de le mettre face à toutes les horreurs qu'il avait proférées par pure admission d'arrogance. Carnahan n'était pas ainsi, c'était limite s'il ne s'excusait pas d'avoir eu mal à cause de ses bêtises et c'était aussi pour cette raison qu'il l'aimait déjà tant. Il n'était pas comme lui, il n'était pas dur et insensible, impétueux et impulsif. Gabriel était toujours doux, compréhensif et apparemment peu rancunier. "T'aurais pu me jeter par dessus le muret, je l'aurais mérité." Tomber d'au moins dix mètres, cela l'aurait vraisemblablement calmé car il n'était pas fier, le grand dadais à ce moment précis alors que le nom de Simon fendait l'air à nouveau et que Wren eut un frisson sans le vouloir, sans le contrôler. Sa vie avait commencé bien avant lui et heureusement d'ailleurs mais en avoir la preuve quand on faisait semblant de la chercher, c'était peut être trop pour le suédois. "T'as été amoureux avant." C'était tout. La seule chose qui expliquait réellement ce que Wren avait ressenti et qui voyageait encore et toujours dans sa carrure géante. Il restait là, les bras ballants, sentant le regard de Gabriel se poser sur lui au moment où il s'excusa. Une seconde, c'était tout ce qu'il y avait avant que Carnahan ne se jette dans ses bras et que Wren s'y perde, ses deux mains s'accrochant à son dos dans un geste désespéré. Il avait failli le perdre ce soir et il ne savait clairement pas comment gérer quelque chose d'aussi fort, quelque chose d'inédit pour un insensible notoire comme lui. "C'est moi qui le suis. Je suis un raté." En bien des points, il le pensait et cela lui faisait mal au coeur de le penser. Mal mais réaliste, son visage se noyant dans le creux du cou de son vis-à-vis pour qu'il hume son parfum, qu'il s'en abreuve, peu importe la larme qui se déversa silencieusement. Il ne voulait plus vivre une telle peine, ne ressentir que la joie de le retrouver et ne plus le quitter.
Ils étaient désormais face à face, sans rien ni personne pour interférer entre eux. Les masques étaient tombés, ils s’étaient retrouvés exposés l’un comme l’autre. Deux garçons vulnérables, abîmés, fébriles, dans le calme et la douceur de la chambre de Gabriel, plongée dans l’obscurité, toute baignée du parfum du papier et de la peinture. Un lieu sûr pour le jeune artiste, son univers à lui, celui où il avait fait entrer Wren sans retenue, où ils avaient gravé des souvenirs indélébiles. « On l’aurait tous mérité. » Parce qu’ils avaient tous les trois déconné quelque part ce soir, pour des bêtises. « Ca arrive. » Ils n’étaient qu’humains après tout et comme tous leurs semblables ils se plantaient, faisaient des erreurs, se blessaient, blessaient les autres, involontairement la plupart du temps, c’était le lot de tout un chacun, c’était ça, aussi, la vie. S’y ajouter, dans leur cas, l’impulsion de la jeunesse, son imprudence, ses turbulences, car même s’ils jouaient les adultes, ils n’étaient en réalité que de grands gamins, majeurs mais pas encore matures, un peu perdus dans le vaste monde. Ils s’en rendraient compte un jour, en grandissant intérieurement, en prenant du recul. Pour l’heure ils commettaient des erreurs, et essayaient ensuite d’en tirer les conséquences, tant bien que mal. Si la tension qui était née entre eux semblait s’évaporer doucement dans l’atmosphère paisible de la chambre, il semblait à Gabriel percevoir un certain trouble chez le nordique, c’était quelque chose dans le frémissement de l’air à la suite de ses mots, quelque chose de diffus, d’incertain. Quelque chose qui se formula finalement dans les syllabes que l’historien prononça. T'as été amoureux avant. « Non. » C’était venu du tac au tac, un seul mot, vibrant de vérité. « Pas comme ça, pas comme avec toi. » C’était vrai, un aveu terriblement sincère. Il avait déjà aimer, oui, mais jamais comme ça, aussi vite, avec tant de force et d’intensité, autant d’évidence et de justesse. Jamais personne n’avait bouleversé son cœur au point où le faisait Wren, par sa seule présence. « C’est comme si c’était la première fois et… » Gaby souffla doucement. « C’est complètement déroutant. » Il ne savait pas si c’était une bonne chose ou pas, mais il avait eu besoin de le dire, que son amour le sache, qu’il n’avait rien connu de tel auparavant, que même si chaque relation était unique, celle-là était déjà à part, et ce quelque soit leur futur. C’était écrit, depuis le début, depuis l’instant où Gaby avait posé ses yeux sur la haute stature du suédois et qu’il s’en était trouvé insensément bouleversé. Il n’avait rien connu de comparable jusqu’alors, rien éprouvé de tel, ni avec Simon, ni avec quiconque d’autre, pas même avec Thomas. Et s’il était toujours ami avec le premier c’était bien parce qu’ils s’étaient tous deux vite rendus compte que leur relation, sur ce plan-là, n’allait nulle part. Rien d’ambigu, ni pour l’un ni pour l’autre, juste une évidence. N’était dès lors restée que l’affection amicale qu’ils se portaient et une collaboration purement professionnelle entre deux artistes, rien de plus. Ca faisait des années. Tout cela Gabriel le lui raconterait sans doute un jour, en temps voulu, il répondrait à ses questions, mais pour l’instant le petit brun s’agrippait de tout son être à la haute silhouette de son homme celui dont, pour le coup, il était tombé vraiment amoureux, profondément, irrémédiablement. Et c’était certainement pour cela qu’il était si vivement touché par la moindre de ses blessures, encore bien plus qu’en temps normal. « T’es pas un raté Wren. » Une nouvelle fois toute l’honnêteté du monde transparaissait dans son ton, parce qu’il avait réellement envie de lui dire les choses comme il les ressentait, comme il les vivait, sans faux-semblants et sans fioritures. « C’est normal de faire ou dire des conneries. » Ca l’était oui. Surtout dans leur cas, eux qui, d’une façon ou d’une autre, avaient manqué de repères dans leur jeune vie, livrés à eux-mêmes sans personne pour les rattraper lorsqu’ils chutaient. Eux qui essayaient de se dépatouiller du mieux qu’ils le pouvaient avec leurs démons, leurs cicatrices au corps et au cœur, leurs craintes, leur passé et un futur qui n’était jamais écrit à l’avance. « On est juste tous les deux paumés. » Autant l’un que l’autre, c’était une certitude. Mais peut-être parviendraient-ils à se retrouver, parce qu’ils étaient désormais tous les deux et qu’il y avait assurément une lueur d’espoir là-dedans. Les bras de Gaby se détachèrent finalement du buste du nordique pour mieux s’enrouler autour de son cou, une main se perdant en caresses parmi ses mèches brunes. C’était doux, infiniment tendre. Il respirait un peu mieux, le petit brun, dès lors que la chaleur de Wren se diffusait contre son corps, que son odeur emplissait la moindre alvéole de ses poumons. Quel réconfort que de pouvoir se bercer de ses bras, de sa présence. La tension de son être se dissipait définitivement dans cette étreinte, il soufflait, décompressait, yeux clos pour mieux retenir les larmes qui les avaient envahi à la seconde où Wren avait refermé ses bras autour de lui. Quelque chose pourtant les fit se rouvrir, alertant Gabriel, une petite goutte d’eau venait de se perdre quelque part entre sa peau et sa chemise, il l’avait senti, et ce n’était pas lui qui pleurait. Ce fut alors le plus délicatement du monde qu’il intima à son compagnon de détacher son visage de son cou, pour mieux le contempler, sans pour autant se dégager de son étreinte, elle lui était précieuse, indispensable. Le jeune artiste observa une seconde les yeux brillants de son beau brun, balayant chacun de ses traits de ses prunelles bleutées, tout aussi troubles d’eau. D’une main il tua les fantômes de la petite perle salée venue mourir sur son épiderme, avant d’attirer le visage du nordique contre le sien, front contre front, caressant doucement son nez du sien. « Ca va aller. » Et jamais il n’avait mis autant d’espoir dans ces trois mots, autant adressés à Wren qu’à lui-même. Ca irait. Certes ils étaient un peu bancals l’un et l’autre, mais ils le trouveraient cet équilibre, le leur, assurément imparfait mais profondément juste, un pas après l’autre. Ils pouvaient le faire, ensemble.
Sentir son corps contre le sien, son souffle le berçant vers la lumière à nouveau. Pourtant, il faisait nuit noire dehors, une nuit qui n'aurait pas dû donner lieu au moindre espoir, surtout pas après la semi dispute que les deux hommes avaient eu sur le toit de la bâtisse. Wren avait subi le flot implacable de sa culpabilité à peine la première minute de solitude passée. Son ventre s'était serré, ses pensées s'étaient assombris au même rythme que le ciel au dessus de lui, laissant les étoiles disparaître au loin. Le plus loin possible même, de sa silhouette. Puis, le néant. Doherty se savait perfectible, plus proche du mauvais que du bon, lui qui n'avait jamais réalisé d'actions notables au cours de son existence. Tout ce qu'il avait réussi à réaliser, c'était d'abandonner sa famille, de tout laisser derrière lui pour une lubie d'historien qui n'avait l'air d'avoir ni queue ni tête maintenant qu'il voyait bien son incapacité à travailler au maximum de ses capacités. Le suédois était juste un homme perdu, il l'était depuis l'enfance et son attitude n'était pas excusable, quoique puisse en dire le petit brun contre lui. Gabriel portait tant de foi en lui que Wren avait peur de continuer à le décevoir comme il venait de le faire, toujours prêt à blesser autrui pour qu'on rentre dans son jeu auto-destructeur au possible. Il savait qu'il devait arrêter, qu'il devait se laisser bercer par autre chose que ses vieux stratagèmes, ceux-là même lancés par un père qui avait mal fini. Doherty ne pouvait qu'espérer s'améliorer avec le temps, lui qui n'avait jamais connu l'amour réel, celui qui vous donnait des ailes et vous rendait niais. Non, lui, il s'y était toujours refusé, jouant avec des corps et des coeurs sans qu'on puisse vraiment toucher son fichu palpitant monté à l'envers. Alors, pourquoi cette réaction en entendant parler des relations passées de Gabriel? Il en avait eu un pincement au coeur, un des plus regrettables que Carnahan avait intercepté, la preuve dans les mots qu'il utilisa par la suite pour le ramener à lui, pour lui souffler cette intense vérité que Wren n'avait plus qu'à accepter. Eux deux, c'était grand, bien plus ce qu'il y avait eu avant et jamais aussi bien que ce qu'il y aurait après. S'il y en avait un. Doherty ne le désirait pas, s'accrochant à la chemise de son bel artiste, son sourire naissant contre son cou parce qu'il était niais d'entendre ce genre de choses. "Peut être qu'à deux, on trouvera la route, alors." C'était déroutant également pour lui, c'était le cas de le dire et le nordique ne savait pas s'il pouvait maîtriser tout ce que cela voulait dire mais Gabriel tenait à le faire pour deux, en relevant ses yeux vers lui, faisant mourir sa larme de polichinelle. Wren le toisa à nouveau, ses yeux verts d'eau perdus dans le sien juste quand le brun vint poser son front contre le sien. Ils étaient ensemble et les mains de Wren se serraient autour de la chemise de son petit bouclé et il ne voulait pas partir. Plus le quitter. Juste retrouver son souffle, celui que l'homme avec lui était en mesure de lui donner. Et lui seul. "Pardonne moi. Te paume pas avec moi. Amène moi sur ton chemin, Gabriel." Car Doherty était certain que le frisé connaissait la route mieux que lui, il n'y avait pas de mal à cela d'ailleurs. Wren ne pouvait plus seulement s'accrocher, il voulait vivre, respirer pleinement, vibrer dans cette douce résurrection alors qu'il hésitait, que son nez se frôlait à celui de Carnahan, que ses lèvres cherchèrent les siennes le plus délicatement du monde, prenant tout son temps pour ne plus le brusquer. Pour ne plus jamais lui faire mal. Là, contre lui, son souffle mêlé au sien, ses lippes partageant les siennes, Wren se sentait tout de suite.
Quelle étrange soirée, faite de hauts et de bas, de moments d’une douceur hors du temps et d’amères tensions, de rires et de larmes, de panique et de réconfort. De véritables montagnes russes émotionnelles. Et peut-être que cela faisait réellement beaucoup en si peu de temps. Jamais en tous cas, Gabriel n’aurait pensé que les événements prendraient une telle tournure en seulement quelques heures. Rien ne s’était passé comme prévu, c’était certain. Pourtant à cet instant précis il n’y songeait plus tellement car, juste là, au creux des bras de son homme, il respirait enfin sereinement. Sa tête se vidait de son brouhaha, son cœur calait son rythme sur celui du grand suédois et son souffle se perdait contre sa peau. Il ne lui en voulait pas, d’aucune manière. Il réalisait que sous ses airs inatteignables et assurés il y avait en réalité des failles que le nordique cherchait seulement à dissimuler, une manière de se protéger. Il aurait dû l’assimiler bien plus tôt, car le jeune artiste utilisait les mêmes stratagèmes, avec d’autres codes certes, d’autres masques, mais le principe demeurait le même. Seulement, à construire des murs sur des fondations trop fragiles les façades finissaient par s’écrouler. C’était le cas. Les réactions et les mots de chacun avaient tout lézardé, et l’effondrement n’avait pu être évité. Ils s’étaient faits du mal pour rien, et maintenant la réalité éclatait aux yeux de chacun. Néanmoins le désastre avait tout de même été évité, sans doute parce qu’ils étaient là, à se parler, vraiment, à ne pas laisser des non-dits ou des pensées erronées s'installaient entre eux. Et nul doute qu'ils voulaient tous deux réparer ce qu’ils avaient pu abîmer ce soir, alors qu'ils se rendaient compte, au fond de leur cœur, qu'ils avaient tant besoin l'un de l'autre, qu'ils ne voulaient pas se perdre, qu'il y avait une fragilité chez chacun qu'ils devaient apprendre à respecter, au risque de sinon s'y briser. « On le fera. Toi et moi. » Le jeune artiste offrit alors un véritable sourire au suédois. Il avait repris ses propres mots, ceux qu’il avait prononcés un peu plus tôt dans la soirée, avant que ne gronde l’orage, à dessein. Il l’avait fait, parce qu’il y croyait réellement, sincèrement, qu’ensemble ils possédaient une autre force, celle d’avancer et de vivre. De construire quelque chose qui n’appartiendrait qu’à eux, un jour à la fois. Gaby y croyait oui, bien plus encore quand il était là, entre les bras de Wren, dans cette étreinte apaisante qui ne cessait de le rassurer, de le réconforter, de lui insuffler un peu plus de constance. « D’accord », qu’il avait soufflé. Il l’emmènerait avec lui, ne le lâcherait pas en cours de route. Il tracerait des chemins rien que pour eux, loin des sentiers battus, dessinerait un monde entier pour lui, inventerait des refuges pour les abriter et des repères pour retrouver plus facilement leur route malgré les pièges de la vie. Il le ferait, pour Wren. Et les secondes semblèrent se figer soudain, quand les lèvres du nordique cherchèrent presque timidement celles de Gabriel. Ce dernier le laissa faire, fermant les yeux pour ne plus se concentrer que sur tout ce qu’il éprouvait à ce moment précis, le temps comme suspendu dans cet échange lent, doux, empli de milles précautions. Le petit brun sentit toute l’émotion qui ressuscitait en lui, qui le submergeait, à ce seul contact. Un instant il s’en détacha pourtant, pour le regarder encore une fois, son tendre amour, le contempler dans cette semi-pénombre nocturne qui semblait tout adoucir, loin de la lumière crue et terrassante de l’astre solaire. Un instant seulement, l’espace d’un regard, d’un sourire, juste avant de venir retrouver ses lèvres, répondant cette fois pleinement à ses sollicitations. Il y avait une douceur troublante chez Wren, cachée sous la surface, insoupçonnée, peut-être même par lui-même, qui transparaissait par intermittence, perçant à travers sa carapace d’impulsivité, de désinvolture et d’assurance. Quelque chose d’infiniment touchant qui révélait des trésors de sensibilité chez lui. Et Gaby ne cessait de s'en émouvoir. Le jeune artiste resserra son étreinte à mesure que leurs baisers se faisaient plus longs, sans pour autant perdre leur tendresse. Comme s’ils avaient profondément besoin de cette délicatesse là pour panser leurs égratignures et se retrouver pleinement. Et cela même l’atmosphère autour d’eux semblait vouloir le leur accorder, tant elle demeurait feutrée. Tout était si paisible, immobile, rien ne venant troubler ce calme qui les entourait. Un bien bel écrin pour protéger leur amour. Pourtant Gabriel finit par se détacher de son homme, délicatement toutefois, car ce n’était en rien une séparation. Bien au contraire puisqu’il laça ses doigts fins à ceux de son beau suédois, l’entraînant ainsi lentement dans son sillage. Et ce jusqu’à ce qu’ils atteignent le lit, où il l’incita tout aussi tendrement à s’asseoir avant de venir s’installer sur lui, l’enlaçant de nouveau, effleurant son nez du sien, une seconde ou deux, puis de revenir nouer des baisers à ses lèvres. « Reste avec moi cette nuit. S’il te plait. » Juste un murmure, glissé à l’oreille du grand brun, entre deux souffles entremêlés. Le jeune artiste ne souhaitait pas le voir partir, il ne voulait pas se défaire de son étreinte, juste pouvoir rester là, tout contre lui, lové entre ses bras jusqu'au lever du jour. Peu importait le lendemain matin, le réveil qui sonnerait certainement bien trop tôt, il n’y avait que l’instant présent et seul lui comptait. Seulement eux, ici, et maintenant.
Ils allaient le faire, oui, parce qu'ils étaient de nouveau ensemble, que les ombres au dessus de leurs têtes n'allaient plus pouvoir les perturber aussi aisément que quelques minutes auparavant. Wren pouvait au moins se promettre cela, de se donner coeur et âme dans cette relation, sa première véritable relation en essayant de ne pas tout compromettre avec ce fichu caractère auto-destructeur qui avait tant blessé jusque là. Ce qu'il avait fait ce soir-là, il devait absolument le mettre en sourdine, le grand suédois, pour pouvoir mettre en avant cette autre partie de lui, beaucoup plus sensible, qui s'émerveillait entre les bras du petit brun. Il n'y avait que cela qui avait de l'importance à l'heure actuelle, le nordique hochant la tête parce qu'il y croyait autant que Gabriel à la suite de leur histoire. Les sentiments étaient forts, tout aussi intense que les émotions qui submergeaient Doherty à l'heure actuelle, lui qui contenait tant bien que mal ce flot de larmes qui aurait pu le terrasser. Non, il se remettait en selle car il avait une toute nouvelle route à suivre, celle de Carnahan, celle qui était bien plus belle qu tous les chemins où il avait essayé de se perdre depuis toutes ces années. Wren était convaincu que l'artiste l'emmènerait vers ce qu'il y avait de plus beau à voir, c'était plus qu'une certitude même puisqu'il acceptait cette nouvelle promesse de ne pas le laisser se faire entraîner par un nordique des plus bancals. Wren souriait finalement, légèrement certes mais c'était bel et bien présent, au moment où son regard croisait de nouveau celui du bouclé, son front contre le sien. Il attendit un peu, joua quelque peu de sa douceur et de cette extrême lenteur avant que ses lèvres n voguent contre les siennes, qu'il puisse donc respirer de nouveau, finalement entier. Finalement heureux. Cela ne dura pas une éternité puisque Gabriel le libéra pour l'observer dans la semi pénombre. Wren en fut ému de nouveau: son regard était si magnétique quand il le regardait de la sorte, laissant ses yeux bleutés voguer vers le moindre trait de son visage, l'amour s'y lisant comme dans un livre ouvert. Puis, de nouveau, des lèvres s'attelèrent à voler les unes vers les autres, de manière plus suave, plus sûr également parce qu'ils se retrouvaient, se perdant quelques minutes dans des échanges langoureux qui réparaient peu à peu leur coeur meurtri par les aventures de la soirée. Au bout du compte, ils se quittèrent, pas tout à fait non plus puisque l'artiste l'entraîna vers le lit, Wren s'y asseyant sans rien dire, peu apte à refuser quoique ce fut à son petit brun. Celui-ci le rejoignit bien vite, se postant sur ses genoux, une invitation au bout des lippes qui firent toujours un peu plus sourire Doherty contre les siennes. L'avoir entre ses bras, pouvoir le chérir et ne plus jamais le blesser, en voilà une merveilleuse prière pour quelqu'un d'aussi peu croyant que le suédois. "Toutes les nuits que tu voudras." Ses mains vinrent retirer tout doucement les boutons de la chemise de Gabriel car il était hors de question de dormir tout habillés alors qu'il y avait la possibilité de se perdre contre sa peau si douce. Il la fit glisser de ses épaules et caressa son épiderme avec une délicatesse incomparable. "J'te mets en pyjama, tu vois." Il l'enlaça de nouveau en ouvrant cette fois son pantalon, ils seraient beaucoup plus à l'aise en sous vêtements l'un contre l'autre pour dormir, Wren souriant à son petit brun tout au long de sa mission. Amoureux éperdu de sa silhouette, de ce visage, de tout ce qu'il était.