Il y avait le soleil qui se couchait lentement mais sûrement. Ce spectacle qui captivait tant Gabriel d’habitude, semblait présentement incapable de retenir son attention quand le nordique était devenu l’unique point d’ancrage de ses prunelles bleutées. Et les mots que prononça Wren ne firent qu’accentuer ce fait, parce qu’ils avaient vivement atteint l’âme de l’artiste. « Tu sais… Il n’y a qu’avec toi que ça se passe comme ça… » Ces mots il les avait soufflé doucement, comme un aveu, alors que ses iris détaillaient avec attention chaque trait du grand brun, comme si il pouvait y déceler la réponse à ce mystérieux pouvoir que l’historien semblait avoir sur lui. « Je veux dire, je ne parle pas autant d’habitude. Pas de moi en tous cas. Pas aussi facilement… » Même avec Lola il ne s’était pas confié aussi rapidement. Bien sûr, aujourd’hui elle connaissait sa situation familiale. Bien sûr, elle savait sûrement presque tout de lui. Elle était son amie la plus proche, comme une sœur. Mais bien avant d’en arriver là, il lui avait fallu du temps pour apprivoiser réellement ce petit brun aux boucles folles. Et c’était valable pour tout le monde, il fallait normalement du temps à Gaby pour laisser les autres entrer dans sa bulle, les autoriser à pénétrer son univers. Certes il était facilement touché, sa sensibilité aisément atteinte, certes il pouvait laisser les gens grappiller une part de son cœur ou se faire une place dans sa vie relativement sans mal. Et si les émotions qui le traversaient étaient limpides dans leur expression, en revanche, pour ce qui était d’en savoir réellement plus sur lui, de le faire parler de ses blessures, de ce qui agitait le fond de son âme, de ses doutes et craintes, de ses envies et rêves, la chose devenait bien plus ardue. C’était dans sa manière d’être discret sur tout ce qui touchait à lui, à sa vie personnelle, comme s’il avait bâti un rempart entre celui qu’il était pour le monde et celui qu’il était vraiment, au plus profond de son être. Un rempart qu’il avait tenté de fortifier bien davantage après Thomas, comme s’il espérait ne plus jamais se laisser atteindre pour ne plus jamais souffrir de la sorte. Mais c’était impossible. La vie le lui avait bien vite rappelé en plaçant ce grand brun aux yeux verts sur sa route. Lui qui avait tout balayé, tout retourné, en quelques instants, avec tant d’aisance et de nonchalance. Lui qui s’était frayé, sans le moindre mal, un chemin jusqu’à ce cœur abîmé, comme jamais personne auparavant, pour mieux le conquérir. Lui qui, par sa seule présence, donnait à Gabriel la sensation d’être exactement là où il devait être, l’enveloppait d’un tel sentiment de plénitude. Lui qui n’avait nul besoin de questions pour délier la langue du jeune artiste, qui le perçait à jour d’un coup d’œil. Alors oui, Wren était le seul à parvenir à provoquer tout cela chez lui, il le serait certainement définitivement, comme il n’y avait sûrement aucune autre âme sur cette terre pour s’accorder avec tant de justesse à la sienne. A son tour l’historien dévoilait un peu plus de lui, et Gaby avait bien compris que c’était une chose d’une infinie rareté, parce qu’il lui était plus aisé de se draper d’un voile de mystères plutôt que de laisser qui que ce soit entrevoir son âme. Pourtant, le nordique lui offrait ce privilège, une nouvelle fois. Et Gabriel était profondément touché, par chaque syllabe prononcée par l’historien autant que par cette précieuse confiance qu’il lui accordait à travers. Il n’avait sans doute pas les mots pour apaiser cette blessure là, cette haine qui tailladait l’âme de son compagnon et qu’il comprenait néanmoins. Alors il ne dit rien, compensant son silence en faisant voguer ses doigts jusqu’à la joue de son beau suédois, les y laissant glisser doucement, courir le long de sa mâchoire, dans une caresse délicate. Ce n’était sans doute rien, et pourtant c’était tout, comme il avait mis, dans ce geste apparemment anodin, tout ce qu’il aurait aimé dire, tout son cœur et son réconfort, tout son amour en somme. Un sourire léger finit par éclairer son visage à la suite des propos de son homme. « Je veux bien oui. » Ils avaient des racines irlandaises inconnues en commun, et Gaby voulait bien les explorer avec lui. Le futur l’effrayait souvent, mais celui-là lui semblait bien moins inquiétant, celui-là il voulait bien l’imaginer, le vivre, tant qu’il le partageait avec Wren. Il décrocha finalement ses prunelles du nordique pour les poser, à son tour, sur l’horizon et le ciel qui s’embrasaient lentement de flamboyantes couleurs, laissant le silence s’étendre un peu entre eux. Il n’avait cependant rien de gêné ni de pesant, au contraire, il était délicat, contemplatif. Précieux. Et Gabriel s’y laissa bercer, oubliant encore une fois la notion de temps, comme il ne cessait de le faire depuis la veille, oubliant aussi le retour imminent de Lola alors que ses doigts fins s’emmêlaient distraitement à la main libre de Wren. Il n’y avait qu’eux. Rien qu’eux, encore un peu.
Si Gabriel ne parlait pas autant d'habitude, c'était sûrement une réalité exacerbée chez Doherty. Il détestait cela, être au centre de l'attention, lui qui s'épanouissait toujours beaucoup plus dans l'ombre, dans tous ces recoins où on ne parlait jamais de lui. C'était beaucoup plus difficile de réaliser cet exploit quand on avait un petit brun qui s'étalait sur ses genoux et qui se laissait aller à la plus triste des confidences. Ses mots résonnaient dans la boîte crânienne du suédois parce qu'il ressentait le malheur de Gabriel au plus profond de son âme: il ressentait le même et c'était certainement ce qui faisait le plus mal, de ne pas l'avoir réalisé avant. Pourtant, c'était une réalité, Wren avait tout laissé de côté, tout coincé quelque part dans son subconscient pour ne pas avoir à faire face à la triste vie qu'il avait en face de lui parce qu'il avait peur comme un gamin au final. Peur de tourner comme son père et s'il le reniait totalement, peut être qu'il se protégerait suffisamment de cette génétique néfaste. Il y avait cru pendant longtemps mais il ne pouvait pas totalement nier qu'il avait du sang irlandais dans les veines, cela n'aurait pas dû être honte simplement parce que son père était un fou à lier. Il ne s'attendait pas à ce que des gens comprennent alors il ne savait pas réellement pour quelles raisons il se confiait aussi aisément, si ce n'était sous l'assaut de son coeur qui battait de plus en plus fort, de plus en plus vite et il n'avait aucun moyen de faire cesser ce rythme effréné. C'était nouveau, terrifiant mais aussi incroyablement grisant parce que Carnahan lui confirmait qu'il subissait les mêmes effets de son côté alors, ils seraient deux à tout découvrir, deux à comprendre les réelles personnes qu'ils pouvaient être en dehors de cette fichue histoire de patrimoine génétique qui était sans valeur, assurément. "Idem, mais tu t'en doutes bien." Wren ne parlait de rien, à personne, pas même à sa propre famille parce qu'il avait la peur du jugement presque autant que de la haine qu'il se vouait à intervalles régulières. Cette part sombre au fond de lui était une véritable plaie qu'il se retrouvait bien incapable de gérer en temps normal mais avec le bouclé, le tout semblait beaucoup plus facile, comme si cette relation d'un nouveau genre transformait tout dans l'existence du grand suédois... C'était clairement le cas vu la manière dont leurs doigts s'entrelaçaient, la main de Gabriel caressant sa joue et Wren lui souriant en retour, sans avoir aucun mot à ajouter, juste à profiter de ce qu'il avait sous les yeux, que ce fut les yeux de Carnahan ou le décor unique en son genre autour d'eux. "On le fera. Toi et moi." Au bout du compte, il ne savait pas à quel sujet il avait susurré ces mots en premier lieu: si c'était pour le séjour à la quête de leurs origines respectives, ou bien pour le succès de leur relation. Tout semblait lié désormais et cette fois, Wren s'autorisait à fermer les yeux sans subir aucun cauchemar derrière ses paupières closes. Être en paix n'était même plus une fantaisie: avec Gabriel, ses rêves les plus fous devenaient une bien belle réalité.
Gabriel acquiesça doucement aux propos de Wren, évidemment qu’il s’en doutait. Si parler de soi n’était en rien une évidence pour lui, cela l’était encore bien moins pour le suédois. Il l’avait deviné, et à présent il en avait la confirmation. Il en était d’autant plus touché, d’avoir droit à cette confiance-là, comme le nordique lui en laissait voir bien plus qu’à n’importe qui d’autre. Mais ce furent ses derniers mots qui eurent de loin le plus d’impact sur son cœur, sur tout son être, et qui laissèrent un sourire se dessiner sur ses lèvres. Parce qu’ils résonnaient comme une promesse, à peine murmurée entre eux sur ce toit, isolés de tout. Une promesse, un espoir, un bout de futur. C’était fou, mais c’était bien réel. Et comme pour l’en remercier silencieusement, Gaby resserra doucement ses doigts autour de ceux de l’historien, avant de porter sa main à ses lèvres et d’y déposer un baiser, tendrement. On le fera oui. Toi et moi. Puis il perdit ses prunelles bleues dans la contemplation tantôt du ciel, tantôt de son homme. Il ne se lassait pas de le regarder en réalité, plus encore quand il arborait cet air si apaisé, si tranquille. Il le trouvait terriblement beau, et cette douceur qui émanait de lui alors, de ses traits détendus. Le jeune artiste savourait ces instants comme un privilège, et il ne doutait pas que c’en était un, de voir le suédois aussi paisible, de partager ces moments de sérénité avec lui, d’être l’objet de son attention et de sa tendresse. Un privilège dont Gabriel avait conscience et dont il profitait autant que possible. C’était précisément ce qu’il s’employait à faire présentement, ses doigts tout entremêlés à ceux de Wren, sa respiration se calquant sur la sienne, profonde et douce, ses prunelles se perdant à le détailler comme pour graver chacun de ses traits dans sa mémoire, tout autant que chacune de ses secondes qui n’appartenaient qu’à eux. Il ne les oublierait jamais, il le savait, que ces souvenirs-là ne le quitteraient pas, jusqu’à la fin de tout.
Le ciel avait fini de s’embraser et le crépuscule grignotait peu à peu la ville. Au rythme de sa lente progression, les lumières s’allumaient timidement ici et là. Cet instant entre chien et loup, où il ne faisait plus vraiment jour mais pas encore nuit non plus. Gabriel aimait bien cet entredeux, ce moment suspendu, incertain, ni clair, ni sombre. Comme coincé entre deux mondes. La pénombre envelopperait bientôt totalement les alentours de son manteau d’ombres, et eux avec. Mais Gaby ne s’en trouvait pas perturbé pour un sou, tout plongé dans son univers qu’il était. Quelque chose pourtant, vint soudain l’y déranger. Des vibrations, brèves, répétitives. Encore ce maudit téléphone qui venait le bousculer dans ses instants de paix. Et il dut se faire violence pour attraper l’appareil, non sans un soupir profond. Il fallut une seconde à ses yeux pour s’habituer à la luminosité de l’écran qui lui parut tout à coup fort agressive en comparaison de l’obscurité naissante autour. Et les quelques mots qui s’y affichaient sonnaient la fin de leur parenthèse amoureuse. Je suis rentrée, vous êtes où ? Le monde les rattrapait, encore une fois. A la différence que cette fois-ci il ne les attendait pas en bas du petit immeuble, non, il se matérialisait bien là, dans l’appartement, en la personne de Lola. Fini de jouer les tourtereaux insouciants entre la chambre et le salon, la salle de bains et le toit, bien à l’abri dans leur bulle à l’écart du reste de l’univers. Il faudrait se tenir à carreaux parce qu’ils avaient instauré ce jeu idiot, ce défi lancé la veille par Wren et accepté, sans une once d’hésitation, par Gabriel. Il faudrait garder le secret. Et l’artiste commençait à se dire que ce serait bien plus difficile encore que prévu. Parce qu’une nuit et une journée passées ensemble s’étaient écoulées depuis, et tant de choses avaient été dites et vécues alors. Pourtant il y avait aussi quelque chose de piquant dans ce drôle de challenge, dans cette clandestinité, qui attisait la part plus espiègle de Gaby, celle qui éveillait chez lui ses airs de gamin facétieux. La vue du message de Lola eut comme l’effet d’un électrochoc, comme si un risque soudain venait d’apparaître. Gabriel se redressa lentement, quittant à contrecœur le contact si apaisant de son amour, tout en cherchant à accrocher ses belles prunelles vertes. « Wren, Lola est rentrée. Elle est à l’appartement, elle nous cherche. » Son ton était posé mais ses yeux interrogateurs, est-ce que ce qu'ils avaient instauré la veille tenait toujours ? Gabriel attendait sa réponse avant d’esquisser le moindre geste dans la semi-pénombre qui les enveloppait. Il ne faudrait que quelques instants à Lola pour songer à monter.
La fête était finie mais Wren n'était pas triste, un nouveau chapitre s'ouvrait, différent mais pas moins bien ni moins intéressant. Leur relation allait devoir vivre autrement à partir de maintenant car le monde venait s'immiscer entre eux pour la première fois et Doherty savait à quel point il pouvait être compliqué de gérer les autres en plus des affaires de couple. Il n'était pas spécialement doué pour cela d'ailleurs, le grand brun, en démontrait son peu d'expérience en matières de relations longue durée, mais fallait-il déjà vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué? L'étudiant allait peut être se révéler en compagnie de Gabriel, c'était du moins ce que ces dernières vingt quatre heures avaient tâché de démontrer avec un suédois plus ouvert d'esprit, toujours prêt à en confesser plus sur son vécu alors qu'il était certainement le garçon le plus mystérieux de cette ville toute entière. Avec Carnahan, tout lui venait incroyablement facilement, surtout la confiance parce qu'il avait des yeux angéliques, qu'il était doux comme personne et qu'il était sûrement le dernier individu de cette planète qu'il désirait blesser. Clairement, le bouclé entrait dans une zone de privilèges jamais fréquentée depuis lors et Wren allait devoir s'acclimater à toute cette nouveauté, rien de simple quand on était quelqu'un d'aussi méfiant et solitaire que lui à la base. Cela dit, il fallait bien débuter quelque part et en voyant Gabriel se détacher de lui, Doherty savait qu'il ne regrettait pas le moins du monde les promesses qu'ils avaient pu se faire ces dernières heures. Tout était parfait à l'heure actuelle et l'arrivée de Lola sur ce toit ne changerait rien du tout, pour sûr. Ils allaient évoluer dans un carcan différent, cachés du monde mais c'était l'adrénaline qui faisait vibrer le grand historien, inévitablement. "C'est là que ça commence, alors? Tu vas devoir être sage, mon bouclé." Il se releva, déposa un baiser délicat sur sa joue avant de sortir sa cigarette et l'allumer, pile au moment où Lola débarquait en trombe sur le toit. Wren ne put que lui sourire, elle était sa colocataire après tout et il avait promis de paraître aussi idéal que possible malgré les circonstances. "T'as l'air essoufflé, coloc', tu veux une clope? Gaby fume pas, il paraît, il est si sage, le bouclé." Il lui fit un clin d'oeil joueur en tirant sur son fagot, les yeux se dirigeant ensuite vers l'horizon, s'attendant à observer les réactions du petit brun dans les secondes à venir, voir comment il allait se débrouiller dans ce non-dit des plus inédits.
Le retour de Lola marquait un tournant nouveau dans leur relation. Gabriel le savait, depuis le départ, pourtant jusqu’à présent ce n’était qu’une pensée, un fait qui ne s’était pas encore matérialisé. Et voilà que soudain cette réalité les rattrapait. Son amie était juste là, dans leur appartement, un étage plus bas, et ne les y trouvant pas il ne lui faudrait qu’une poignée de secondes pour songer à venir les chercher sur le toit. C’est vrai, il savait que cela arriverait, mais maintenant qu’il était devant les faits il ne se sentait pas franchement préparé à tout ça. Rien que devoir se détacher de Wren lui parut difficile, alors faire comme si de rien n’était… En était-il vraiment capable ? Il le faudrait pourtant bien, et presque malgré lui il y avait ce vague souci qui s’était accroché à son visage. Quant au grand suédois, il semblait tout à fait serein à cette idée qui n’était clairement pas pour lui déplaire. Le jeune artiste, lui, l’avait regardé se lever en silence, n’avait pas davantage moufté en sentant ses lèvres se poser sur sa joue, alors même qu’au fond de lui il réfrénait une terrible envie de retenir le grand brun, de l’attirer à lui pour mieux l’embrasser. Au lieu de ça il n’avait pas bougé, n’avait même pas émis un son, jusqu’à ce que la porte du toit s’ouvre à la volée, laissant apparaître cette jolie tornade qu’était leur colocataire, toute en sourires et mèches rebelles qui s’échappaient de son chignon dans un effet coiffé-décoiffé des plus étonnants. « Salut les garçons ! Comment ça va ? » Une énergie folle habillait chacun de ses mouvements, teintait chacun de ses mots. Ce mini weekend improvisé semblait l’avoir reboosté pour les dix ans à venir, si tant est qu’elle ait eu besoin d’un tel regain de vivacité. Gaby l’observa virevolter jusqu’à eux, non sans un léger sourire aux lèvres, avant qu’elle ne se laisse joyeusement tomber dans le canapé dans lequel il était toujours assis. « Ah m’en parle pas, il y a vraiment trop de marches pour arriver jusqu’à cet appart’ ! » Elle marqua une pause comme pour mieux reprendre son souffle tandis que Gabriel levait légèrement les yeux au ciel aux mots de Wren. Le nordique s’amusait déjà de toute cette situation et il le voyait bien, évidemment. Tout le racontait, dans ses regards tout en vert d’eau, dans ses sourires espiègles, dans ses sous-entendus qui ne s’adressaient qu’à lui, et bon sang comme le jeune artiste pressentait qu’il n’était pas au bout de ses peines. « Il ne fume plus de clopes, nuance. » Les prunelles bleues de Gaby passèrent rapidement de son beau suédois à Lola, yeux clos et sourire aux lèvres elle aussi. Il étouffa le soupir qui manqua de lui échapper, son amie arborait son petit air malin et ses craintes devenaient soudain réalités, si Lola et Wren s’y mettaient à deux il était bien certain de ne pas y survivre longtemps. « Merci pour la proposition mais j’ai bien mieux. » Le ton chantant alors qu’elle fit glisser ses doigts fins parmi ses mèches folles pour en extirper le bâtonnet qu’elle avait glissé derrière son oreille et qu’elle agita fièrement sous leur nez. « Par contre si tu as du feu je suis preneuse, et on partage évidemment. » Elle avait beau être cette jeune femme sérieuse, efficace et responsable, prenant les choses en main en un rien de temps, elle n’était jamais la dernière quand il s’agissait de faire la fête et relâcher la pression. « Ca vaut pour toi aussi Gaby. » Elle s’était tournée vers lui, un sourire malicieux étalé sur les lèvres, et le petit brun savait pertinemment ce qui était responsable de son profond amusement du moment. « Oh tu sais Wren, il ne l’a pas toujours été. » Bingo. Lola connaissait si bien Gabriel, évidemment qu’elle s’amusait d’entendre le suédois le qualifier de sage, et le regard assassin de l’artiste n’y changea rien. Si seulement elle savait ce qu’il s’était passé entre eux durant son absence, elle n’en rirait que bien plus encore. « J’ai l’impression que tu es en grande forme dis donc. » Gaby ne savait même pas pourquoi il essayait encore de ramener l’attention ailleurs que sur lui. Lola avait allumé la mèche et Wren n’allait certainement pas la laissé s’éteindre de si tôt. Non, vraiment, il ne survivrait pas à une cohabitation avec ces deux là…
Le jeu était incroyablement divertissant et les appels à l'aide de Gabriel particulièrement bien perçus par Doherty. Il savait que le beau brun était suffisamment timide pour se retrouver gêné d'entendre qu'on puisse parler de lui dans un contexte qu'il lui était impossible de maîtriser dans sa totalité. Wren, lui, était parfaitement à l'aise car il avait l'habitude d'omettre des informations importantes, voire de mentir, c'était son gagne-pain lorsqu'il était lycéen et qu'il vendait quelques pilules et quelques fagots pour une poignée de billets verts. Il savait que l'existence de Carnahan avait été bien plus sage jusqu'à leur rencontre si explosive: il avait en tout cas souffert, le bouclé, ces derniers temps et par conséquent, il s'était renfermé, choisissant son art à la place d'une quelconque source de distraction. Le suédois avait tout foutu en l'air par sa simple présence et il n'en était pas peu fier, lui, le grand dadais aux allures loin d'être angélique, capable de tuer dans l'oeuf la moindre résistance du petit brun avec qui il s'était tant amusé ces dernières vingt quatre heures. Leur colocataire était de retour désormais et les loisirs prenaient une toute autre dimension, la jeune femme se choisissant une place aux côtés de Gabriel sur le canapé pendant que le nordique continuait de les surplomber, clope entre les lèvres. Elle avait de la ressource, Lola, il le voyait bien dans la manière qu'elle eut de sortir son propre fagot de sa chevelure, quelque chose d'un peu moins innocent que ce avec quoi Wren s'empoisonnait pour le moment et forcément, en guise d'approbation, il sortit un de ses plus beaux briquets, un fidèle allié pour l'actionner sous le tube que Lola lui présenta. Pendant un temps, il ne dit rien, se contentant d'écouter les dires de la jeune femme, clairement impressionnée par son flegme légendaire... Du moins, jusqu'à ce qu'elle laisse glisser un détail majeur sur le brun à ses côtés. Gabriel, pas toujours si sage? Sa curiosité était piquée à vif et il le montra dans un mouvement de sourcils, ses yeux passant d'un colocataire à l'autre, non sans une pointe de malice en perdant son vert d'eau dans le bleuté de Carnahan. "Gabriel, pas si sage? Raconte moi tout, dans ce cas. Pas de cachotteries entre nous." Gabriel savait bien sûr ce qu'il laissait voler dans l'environnement là, et c'était ô combien amusant pour le grand Doherty qui termina sa cigarette avec les yeux pétillants d'une espièglerie exemplaire. Allez savoir si le bouclé allait s'en sortir vivant de tout cela, ce n'était pas le suédois qui le laisserait faire, assurément.
Lola était d’humeur festive, Wren d’humeur joueuse, et au milieu Gabriel apprenait pour la première fois à jongler entre ces deux énergumènes devenus ses colocataires. En réalité il y avait d’un coté celle qui était comme une sœur pour lui et qui savait tout de sa vie, et de l’autre celui qui avait tout raflé, de son cœur à ses pensées, en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire et qui venait de lui redonner un nouveau souffle en tout juste vingt-quatre heures. A peine une poignée de minutes qu’ils étaient réunis et Gaby devinait déjà que le quotidien avec ces deux là ne serait pas de tout repos. Les caractères de ses comparses semblaient aussi compatibles qu’aptes à créer des étincelles selon les jours et les humeurs, et il allait devoir naviguer entre tout ça, entre sa relation clandestine avec son beau suédois, avec leur vie à trois, le tempérament de chacun, les cours, le travail, ses envies, et tout un tas d’autres choses qui ne manquerait pas d’érafler régulièrement l’idée d’une quelconque routine quotidienne. Il se préparait d’éprouvantes journées, faites de montagnes russes, mais au moins lui laisseraient-elles d’inoubliables souvenirs. Un retour à la vie des plus intenses en somme. C’était le prix à payer pour le petit brun pour avoir attaché sa vie à ces deux là. Et à vrai dire Lola commençait très fort en laissant courir des insinuations qui ne tomberaient certainement pas dans l’oreille d’un sourd. Ca n’avait pas manqué. Gabriel l’avait capté dans le regard que Wren posa sur lui, l’information avait fait mouche. L’intérêt du nordique était touché et Gaby ne put que s’en mordre la joue en s’enfonçant un peu plus dans le canapé usé en entendant sa remarque qui lui était bien autant adressé à lui qu’à la demoiselle. Cette dernière prit cependant son temps, remerciant l’historien d’un hochement de tête pour son assistance, tirant doucement sur son joint soigneusement roulé avant d’expirer une longue volute vaporeuse en direction du ciel qui n’en finissait plus de s’assombrir. « Aah Gaby c’était un peu le roi de nos soirées avant… » L’autre abruti, qu’elle avait étouffé dans un second nuage de fumée avant de tendre le bâtonnet fumant à Wren. Elle ne se lancerait pas dans le sujet Thomas, après tout elle ignorait tout ce dont ils avaient pu parler, et bien qu’elle avait en tête de taquiner son adorable bouclé elle n’avait pas l’intention de mettre sur la table des choses plus personnelles, comme ses démons et soucis. « Ce garçon que tu vois là, avec son air grognon et trop sage, n’était jamais le dernier pour faire la fête, boire, et danser, jusqu’au bout de la nuit. C'est qu'il tient bien l'alcool l'air de rien. Et si tu l'avais vu danser, comme il enflammait la piste, il ne passait pas inaperçu. » Un clin d’œil entendu à l'adresse de l'artiste quand à ses pseudos exploits nocturnes et festifs. Et elle riait, quand à Gabriel il s’employait à accrocher son regard partout sauf sur son grand brun, mais Lola ne lui laissa pas de répit, attrapant une de ses mains pour l’agiter en l’air. « Et ces jolis doigts s’avèrent habiles dans un certain nombre de domaines autre que la peinture et le dessin. » Elle avait cette humeur légère, ce ton mutin, en s’amusant à laisser courir ces phrases idiotes non sans un air malicieux vissé sur son charmant minois. « Lola ! », que l’artiste gronda en récupérant vivement sa main et sentant ses joues virer bêtement au rouge. Il savait bien ce qu’elle cherchait à faire là, elle lui faisait payer sa méchante humeur de ces derniers temps et son abandon total quand il l’avait laissé tomber pour la recherche d’un nouveau colocataire. Mais ce qui ennuyait peut-être encore bien plus Gabriel dans cette histoire était qu’elle n’avait pas tort de le faire. Et qu’en face d’elle, se trouvait le candidat idéal pour jouer à ça, car Wren pousserait toujours le jeu plus loin. Lola avait dégoté le complice parfait pour le faire tourner en bourrique, elle était en train de le réaliser, et ça lui faisait un peu peur à Gaby. Parce que ce qu’elle ignorait, mais que le petit brun savait déjà pertinemment, c'était à quel point et avec quelle facilité le beau brun parvenait à le décontenancer. Et si, quand il n’était que deux, il réussissait parfois à rééquilibrer la balance, s’ils étaient deux à jouer contre lui il n’était pas certain de retrouver son équilibre. Résister à l’historien lui demandait une imposante volonté, et celui-ci en était parfaitement conscient. Wren ne le laisserait sûrement pas s’en tirer à si bon compte, il le savait.
Elle allait déjà bien loin en dehors du carcan de l'innocence cette chère Lola et, quelque part, Wren la remerciait pour cela. Gabriel ne pouvait pas s'échapper, pas maintenant, il était pris entre deux feux, deux extrêmes qui ne le laisseraient pas respirer jusqu'au petit matin, c'était un coup assuré par avance. Doherty, en tout cas, était parfaitement prêt à tout pour décontenancer le petit brun qui devait déjà former des plans d'évasion au fond de sa caboche. Il n'allait pas pouvoir aller au bout de son délire, dans tous les cas, car Wren ne le laisserait pas agir. Oh que non. Après avoir allumé le joint de Lola, il vint s'asseoir à côté de lui, le poussant juste un peu pour se faire une petite place au bout du canapé, quoi de mieux que de prendre Carnahan entre deux deux de manière beaucoup plus littéral. Ce qui tombait bien, c'était qu'il possédait deux oreilles à la place parfaite pour entendre chaque pendant de la conversation, pour le plus grand bonheur du nordique qui laissait déjà ses mots vagabonder vers le plaisir de faire des sous entendus que le bouclé allait nécessairement saisir au vol. Lola aussi fonçait droit dans la brèche et elle allait certainement dévoiler tout un tas de secrets sur l'artiste qui ne pouvait même pas se cacher sous un coussin. Il ne pouvait strictement rien faire du tout, à part s'outrer de la teneur du discours de sa colocataire, un Doherty vaillant émettant un rire face à la lourdeur des propos évoqués. "Gabriel, le roi de la soirée? Vraiment? Danser, boire... Fumer? Mais que m'a t-il caché de plus provoquant encore, n'est-ce pas?" Pas grand chose en réalité, mais cela, Lola ne pouvait pas encore le deviner. Pas si elle ne prêtait pas un regard affermi vers la scène qui se jouait de l'autre côté du divan, avec les doigts du suédois qui passèrent tout doucement sous le tee shirt de Gabriel, sûrement parce que Lola évoquait ceux du brun à ce moment là et cela le faisait sourire autant que frémir, pour sûr. "Je doutais pas une seule seconde de la multitude de ses talents avec ses doigts... Mais je pense que tu peux quand même détailler un peu, c'est du tease ça, ma chère." Il lui usurpa son joint en frôlant le corps de Carnahan au passage, faire exprès, lui? Non, jamais puisque ses doigts caressaient délicatement son flanc, sans qu'on ne puisse le saisir véritablement. Aucun témoin donc pendant qu'il expirait une certaine quantité de fumée, un sourire franc sur les lèvres avant de se tourner vers Lola et d'attendre la suite. Avec une impatience palpable.
Gabriel regrettait le calme perdu des instants précédents passés sur ce toit. La sérénité qui s’était alors installée entre Wren et lui alors que le jour tombait. Il avait suffit que Lola rentre pour perturber cette douceur et il était désormais au centre de l’attention, et de la conversation, de ses deux colocataires. Tout ce qu’il n’appréciait guère en somme, préférant de loin que les feux des projecteurs se braquent sur d’autres que lui. Mais entre Lola et le suédois, c’était peine perdue, il ne parviendrait pas à détourner le sujet le plus loin possible de sa petite personne, à son grand dam. A vrai dire, à ce moment précis, Gaby aurait bien voulu disparaître dans les tréfonds de ce canapé, devenir minuscule et ne reparaître que lorsque toute cette histoire serait oubliée qui plus est lorsque le beau brun vint s’asseoir à coté de lui avec cette fausse innocence qui lui était si particulière. Et pourtant. Pourtant tout ce que disait son amie était vrai. Il avait été ce garçon qui sortait facilement, se mêlait aux autres et oubliait volontiers le monde entre verres et musiques endiablées. L’alcool il en avait abusé, la danse il l’avait laissé tomber. Tout cela lui semblait dater d’une autre vie. Comme si cette personne qu’évoquait Lola lui était tout à fait étrangère. Elle ne l’était évidemment pas. Il avait simplement appris à étouffer certaines facettes de lui, à tenir son rôle de garçon sérieux et sage. Comme si les choses étaient aussi simples, comme s’il n’était que ça. Bien sûr que non. Bien sûr que tout chez lui était plus complexe qu’il n’y paraissait. Et ces dernières heures l’avaient trahi, avaient ébréché sa carapace, fait tomber les masques. Tout ça à cause d’une seule et unique chose, l’arrivée du nordique dans sa vie. Ce dernier avait tout chamboulé et il en avait totalement conscience, il en avait joué, il en jouerait encore. Il le faisait à cette seconde et Gabriel sentit sa peau se tendre vivement au contact de celle de son homme. Cette seule sensation lui arracha un frémissement terrible et sa respiration se modifia presque imperceptiblement alors qu’il vissait ses prunelles bleues à celles si vertes et pétillantes du grand suédois. Pourquoi donc ce si simple contact le mettait dans un tel état quand c’était là loin d’être l’audace la plus grande dont Wren avait fait preuve ? Nul doute qu’il fallait y voir l’apport du frisson de l’adrénaline, du danger. Et qu’il était fier de lui ce bougre d’historien et comme Gaby lui en voulait de profiter de la situation. Il savait pourtant pertinemment que son air contrarié, sa mâchoire contractée et son impossibilité de réagir, ne feraient que l’amuser bien davantage encore. Evidemment qu’il le savait. « Eh oui vraiment ! Étonnant non ? » Lola semblait perdue dans la contemplation du ciel et à vrai dire cela arrangeait bien les affaires du jeune artiste qui avait bien du mal à arborer son air le plus posé. « De plus provocant ? Hm… Hormis faire le mur et tagger des trucs je sais pas. Il ne me raconte pas toujours tout tu sais. » Là Gabriel sentit ses joues virer rouges. Si Lola avait seulement conscience de la vérité de ces propos à cet instant précis. Mais il n’était pas encore au bout de ses peines alors que Wren en rajouter une couche. « D’accord je te donne quelques infos parce que je suis bonne joueuse. Pour commencer il roule comme personne. » Gaby passa une main dans ses boucles brunes tout en essayant vaguement de se dégager, sans grand succès, du contact de son suédois qui ne l’aidait vraiment pas à rester stoïque. « Ensuite il n’est pas mauvais pour ce qui est de crocheter des serrures », qu’elle énumérait tranquillement. « Lola… », qu’il laissa échapper par dépit. « Et il est plutôt bon en massages, par contre lui est chatouilleux. » Son sourire à elle qui s’élargissait autant que sa contenance à lui disparaissait. « Après il est d’autres domaines où je n’ai pas eu l’occasion d’expérimenter moi-même mais de ce que j’en sais… » « Bon c’est bon Lola maintenant ! » Cette fois il en avait assez entendu et si son ton ne s’était guère élevé il s’était fait relativement plus ferme qu’à l’accoutumée. Et elle était visiblement ravie du résultat. Il n’était plus aussi amorphe que quelques temps auparavant son bouclé, voilà une bonne nouvelle. Elle avait tâté le terrain et lui était bêtement tombé dans le panneau. Le comprenant il laissa échapper un profond soupir. « Je vais chercher à boire. » Gaby s’était alors vivement levé avant de se descendre à la cuisine sans se retourner. Ce n’était que cinq minutes qu’il espérait leur volait, juste de quoi souffler.
Elle était loin l'ambiance feutrée de la veille au soir, de toute cette douceur et cette passion qui s'étaient mêlées pour créer un début de relation des plus explosives. Evidemment, Wren savait très bien ce qu'il en était et Gabriel devait forcément être de la partie à ce sujet. Il n'y avait que Lola qui ne savait rien et qui était probablement très loin de se douter du pot aux roses de là où elle était. Le grand suédois, lui, était tout sourire en caressant le flanc de son beau brun, se jouant de lui autant qu'il était en mesure de le faire parce que c'était sûrement pour cette raison première que Carnahan était tombé entre ses bras. C'était le nordique qui l'avait cherché après tout, qui s'était amusé de sa gentillesse, de sa douceur et de sa patience. Son embarras avait eu raison de lui au bout d'un moment et Wren espérait sûrement que ce serait à nouveau le cas à ce moment précis de la partie puisque la conversation avec Lola serait interminable autrement. Apparemment, la jeune femme avait tout un tas d'anecdotes à sortir sur l'ancienne vie du bouclé et Doherty fit très bien l'homme outré et choqué d'apprendre tout ce que Gabriel avait fait à cette époque. En réalité, il se doutait déjà de ce côté enflammé chez son voisin sinon, comment expliquer tous les moments torrides qu'ils avaient pu partager en l'espace de vingt quatre heures? Le bouclé avait cela en lui et ce n'était pas pour rien qu'il était artiste, pour exprimer ce côté sombre de lui qui ne demandait qu'à s'échapper. Voilà qui était chose faite, Lola étalant le moindre secret sans honte, Wren sentant Gabriel qui s'agitait à ses côtés pour qu'il arrête de le toucher, peine perdue. Ainsi, Doherty apprit qu'il fumait avant, qu'il était loin d'être réglo et plutôt proche d'être un sacré numéro, pas une surprise, mais un constat des plus intéressants aux yeux de l'étudiant. "En massages, vraiment? Tu as l'air de connaitre des secrets très intimes sur notre Gaby national... Mais je suis convaincu du moindre de ses talents, vois-tu." Il les connaissait déjà tous, ou presque, mais pas au point d'accepter la fuite en avant de son cher et tendre. Carnahan s'était décollé du siège à une vitesse hallucinante, le sourire narquois de Doherty n'ayant pas le temps de s'effacer qu'il était déjà hors du toit. Un regard vers Lola lui fit comprendre que c'était sûrement ce qu'elle cherchait obtenir comme réaction. "T'aimes le torturer, dis moi. Je vais l'aider avec les boissons, dans son état, il serait cap' de tout renverser, du gâchis." Et puis, elle avait un joint à finir, une priorité sur laquelle il ne fallait pas lésiner. Wren s'extirpa à son tour du canapé pour suivre les pas de son brun, dévalant les escaliers pour le choper au vol dans le couloir. Sûrement qu'il cherchait une cachette mais Wren le plaqua contre le mur pour l'empêcher de bouger un peu plus loin. "Tu vas quand même pas partir au moment où ça devient intéressant, mon bouclé, si?" Très mauvaise idée de s'échapper de l'emprise d'un Doherty, première leçon pour Gabriel.
Gabriel avait beau adorer Lola, là tout de suite son affection pour elle lui semblait bien lointaine. En réalité ce n’était ni une surprise ni une nouveauté. Si leur amitié était aussi solide que le roc, elle n’en était pas moins régulièrement traversé d’épisodes de je t’aime moi non plus souvent hauts en couleur, celui-ci n’en était, en réalité, qu’un parfait exemple parmi tant d’autres. Seulement voilà, si le jeune artiste était plutôt d’un naturel relativement posé, à trop le pousser il finissait par se rebiffer. C’était précisément ce que cherchait Lola, à provoquer une réaction de sa part, c’était sa manière à elle de tâter le terrain, de jauger en quelque sorte son état du jour. Et il démarrait vite et fort son petit Gaby ce soir-là, ce qui ne manqua pas de la faire sourire, curieuse de savoir quelle en était la cause. La plupart du temps il se contentait de se renfrogner davantage, de laisser couler, d’attendre que ça passe, prendre ce ton ferme, même si peu, lui était assez rare, hormis dans ses plus mauvais jours ou lorsque quelque chose le travaillait. Et vu l’air passablement contrarié que Gabriel avait arboré en voyant Wren pour la première fois la veille, elle se demandait ce qui pouvait bien se cacher là-dessous. Se connaissaient-ils ? Après tout ils fréquentaient la même université, qui plus est la même faculté, peut-être avaient-ils des griefs dont elle ignorait la teneur. Jamais cependant ses pensées n’effleurèrent la situation réelle dans laquelle se trouvaient les deux jeunes hommes. Sur le papier cela lui paraissait bien trop improbable pour l’heure, pour l’envisager un instant. « Quelques uns oui », qu’elle confirma dans un sourire qui se donnait à peine l’air d’être innocent. « Ah oui vraiment ? » Cette fois c’était à elle de faussement s’étonner des propos de Wren quand aux talents de Gabriel. Ce dernier qui avait tout fait pour contenir son souffle, maintenir un semblant de calme dans son être alors que les doigts de son suédois courraient sur sa peau et qu’il tentait d’assimiler aussi bien les piques de Lola que les allusions du nordique. Mais trop c’était trop et la seule issue qui lui apparut pour échapper au jeu de ces deux là était la fuite sous le prétexte d’aller chercher à boire. Un prétexte qui n’avait rien de faux au demeurant mais qui, il l’espérait, lui permettrait de gagner quelques minutes pour se recomposer avant de remettre un pied sur ce toit qui prenait soudain des airs d’inextricable labyrinthe semé d’embûches. Celui-là même où Lola jetait un coup d’œil en biais à son tout nouveau colocataire avec un sourire amusé. « Je ne le torture pas, je le cherche. Et visiblement je l’ai trouvé. Drôlement vite d’ailleurs. Par contre, toi, ça a l’air de sacrément t’amuser. » Sa phrase s’échoua dans une énième volute de fumée lentement expirée alors que le suédois filait à son tour. Gaby n’entendit ses pas derrière lui qu’un peu trop tard, incapable d’esquiver la poigne ferme du grand brun. Un souffle surpris et profond lui échappa lorsque son dos rencontra le béton du mur. Quel fou il était d’avoir cru qu’il avait gagné ces quelques secondes de solitude. Cette fois sa respiration n’avait plus grand-chose de calme alors qu’il retrouvait le même émoi que celui des premiers instants en se retrouvant ainsi obligé de soutenir le vert des yeux de Wren. C’était sans doute ridicule au vu des événements, mais allez dire ça à son pauvre cœur qui oubliait quelques battements ici ou là. Il n’y pouvait rien, c’était comme si tout recommençait, le même jeu de séduction, la même tension latente, à la différence que cette fois-ci chacun avait totalement conscience de ses armes pour faire tomber l’autre. Du moins surtout son beau suédois, qui semblait bien s’amuser à vrai dire, au grand désespoir de l’artiste. « Intéressant ? » Il essayait de maintenir un volume sonore relativement bas mais l’éminent bordel qui régnait dans tout son être ne l’y aidait guère. « Ecoute, je connais Lola par cœur. Je sais parfaitement à quoi elle joue là, à me pousser dans mes retranchements pour voir, m’obliger à bouger, à réagir. Elle fait ça quand elle sent que quelque chose me contrarie ou… Enfin bref elle sait que ça marche, que je ne sais pas être imperturbable, que je ne suis pas impassible. Je le sais, et le pire c’est que ça fonctionne quand même. » Gabriel marqua une pause, ses prunelles bleutées glissant ailleurs que sur le nordique alors que son ton se faisait bien plus bas encore. « Elle fait exactement comme toi en fait… » Soufflé comme un aveu de ce qui le déstabilisait tant alors qu’il avait presque du mal à déglutir. Le jeune artiste passa finalement une main sur son visage puis parmi ses boucles brunes pour tenter de se recomposer un peu avant que ses yeux ne viennent se perdre à nouveau dans le vert d’eau de ceux de son homme. « Vous allez me rendre dingue. » De ça il en était certain.
Il en était allègrement amusé, Wren, parce qu'il avait pu apercevoir le peu de contenance que Gabriel pouvait avoir dans des contextes plus ou moins similaires. On sentait que la vie du petit brun avait été ponctuée de drames qui l'avaient poussé à se mettre sur la défensive quand on s'approchait d'un peu trop près de sa personne. Avec les deux loustics qu'il avait comme colocataire, on pouvait dire que l'artiste était garni en la matière parce qu'ils ne lésinaient pas sur les techniques atrocement loin du fair play pour le bousculer un peu. Wren avait testé la veille bon nombre de stratagèmes mais ce qu'avait tenté de faire Lola relevait d'un autre niveau étant donné qu'elle le connaissait depuis bon nombre d'années désormais et que tous les secrets qu'il pensait porter, elle les connaissait également. Le voilà pris au piège entre une Lola à la limite de dévoiler tous ses vices face à un Wren qui trouvait l'idée absolument merveilleuse, en tous points. Il aurait aimé que le tout dure encore un peu, qu'il puisse rester assis là à écouter le récit de la jeune femme en riant aux éclats mais Gabriel avait tenté de fuir plus vite que Doherty l'aurait pensé. Il n'en pouvait déjà plus, le bouclé, et Wren se devait de le suivre, histoire de le titiller un peu plus sûrement, même s'il avait envie de le rassurer par dessus le marché. Ils en étaient encore à s'apprivoiser et la connaissance qu'ils avaient l'un de l'autre n'était pas si poussée que cela, Wren devait donc prendre quelques pincettes... Oui, il le devait mais ce n'était jamais le genre de tactiques qu'il choisissait arrivé sur les scènes de crime. A la place de cela, il s'était empressé de plaquer délicatement son Gabriel contre le mur, lui laissant juste assez d'espace pour pouvoir retrouver sa respiration, autant dire que ce n'était pas une mission aisée quand l'historien se laissait aller à ce genre de regards. Il sentait le stress du petit brun, Gabriel lui communiquait sans forcément le faire exprès et cela provoquait toute une gamme d'ondes à l'intérieur de lui. Le suédois n'en avait pas peur néanmoins: il restait là, sa main coincée sur le poignet de Carnahan, ses yeux passant sur chaque trait de son si doux visage, à l'écouter lui narrer de toutes les manières possibles que Lola et lui étaient deux diablotins qui lui créaient un certain nombre de misères, de quoi faire rire légèrement le géant nordique. "Et ça te plait pas qu'on te rende dingue? J'avais cru que c'était l'inverse moi, hier..." Il lui faisait un clin d'oeil, il était autant joueur qu'enjôleur, certainement pour calmer les nerfs de son artiste. "Je sais pas ce qu'elle tente, Lola, mais elle m'apprend tout un tas de détails sur toi que tu m'avais cachés jusqu'ici... Alors, comme ça, tu masses bien et tu es un roi des soirées? J'ai pas eu le droit à un aperçu de tes talents sur ce genre de questions, dis." Il lui souriait d'un air amusé, son pouce caressant l'intérieur de son poignet avec une délicatesse non feinte. Wren était loin d'être un mauvais bougre au final, il était capable de tendresse et c'était ce qu'il prouvait forcément lorsqu'il était en présence du beau brun.
La fuite, l’évitement, c’était bien l’une des tactiques que Gabriel employait lorsqu’il se sentait coincé par les événements ou ses insécurités. Voilà pourquoi il se trouvait à présent hors du toit, sous le premier prétexte plausible venu. Il n’avait cependant pas encore atteint la porte de l’appartement qu’il sentit une poigne qu’il commençait à bien connaître se refermer sur son poignet pour le stopper net. L’émoi qui l’avait déjà saisi sur le toit fit soudain un bond face à Wren, mélange de frissons et d’une vague angoisse. Rien n’avait de sens pour Gaby, il voulait rester et fuir en même temps. C’était toujours comme cela quand il se retrouvait dans une situation qui lui échappait, un véritable capharnaüm s’emparait de son être et il avait bien du mal à y faire le tri. Pourtant il ne fit aucun geste pour se dégager de l’emprise du nordique, paralysé par son regard, et sans doute par la sensation de se comporter comme le dernier des crétins. Même les explications qu’il essaya de donner ne trouvèrent grâce à ses propres oreilles pour expliquer ce comportement. Wren, lui, demeurait apparemment imperturbable, écoutant patiemment tous les balbutiements de Gabriel, avant de parler à son tour. Et à ses mots l’artiste se mordit inconsciemment la lèvre, tandis que son regard glissait vaguement de biais pour éviter d’avoir à soutenir celui, toujours aussi incroyablement vert et malicieux, du nordique. « C’était pas vraiment la même façon de le faire... » Gaby sentit ses joues rosir et il ne comprenait pas bien pourquoi, ou en tous cas avait-il du mal à en cerner précisément la cause au milieu du vaste bazar qui agitait son être entier. Si tant qu’il y en eut réellement une autre que la seule proximité de son beau suédois qui avait tout de même le don de le mettre dans tous ses états, encore maintenant, même après tout ce qu’il s’était déjà passé entre eux. Paradoxalement il lui semblait recouvrer une respiration plus posée, autant qu’un rythme cardiaque moins anarchique. Tant et si bien que la suite des propos du grand brun lui arracha un rire soufflé. « Il fallait bien que je garde un peu de mystère, moi aussi. » Parce que Gabriel savait bien que de son coté, Wren conservait également secret tout un tas de détails sur lui. A la différence près qu’il n’y avait sûrement aucune autre Lola pour venir les lui révéler. « Et je te rappelle que tu as eu droit à des aperçus auxquels personne ne peut prétendre », qu’il laissa échapper avec un peu plus d’assurance, le ton bas et l’esquisse d’un sourire au coin des lèvres. Mais il savait bien que cette petite remarque ne suffirait pas à détourner totalement le sujet, pas plus que l’intérêt manifeste du nordique pour les informations que Lola avait allégrement étalé sous son nez quelques instants plus tôt. « Pour les massages, il paraît oui. Quant à être un roi des soirées comme tu dis, je ne sais pas, ça fait longtemps, et je crois que Lola exagère un peu... » Le petit brun inclina légèrement la tête de coté, silencieux une poignée de secondes, comme perdu dans ses souvenirs. « Je cherchais simplement à m’amuser. » Rien de plus, être au centre de l’attention, se montrer, attirer les regards, tout cela ne l’avait jamais intéressé. Même si son amie avait raison, il ne passait pas inaperçu à danser comme si le monde autour n’existait plus. « Et je buvais trop. » Ca ça lui avait joué des tours. « J’étais sans doute un peu moins farouche aussi. Moins… Comme ça... » Il se désigna d’un geste vague. C’était une période où malgré les coups de la vie, son anxiété et sa profonde sensibilité il parvenait encore à ne pas trop se renfermer sur lui-même, à profiter de ce que le monde avait à offrir. Une époque révolue depuis longtemps. Ou tout au moins en apparence. « Je suis plutôt le roi des ermites maintenant. » Son ton s’était teinté d’une pointe d’humour, et il avait souri. L’artiste se détendait lentement, et l’attitude tendre de Wren n’y était clairement pas étrangère. Il y avait, chez ce dernier, quelque chose d’à la fois terriblement déstabilisant et d’étonnement sécurisant, si bien que Gabriel ne savait jamais totalement sur quel pied danser en sa présence mais, si le jeune artiste se montrait parfois sur la défensive, les instants qu’ils avaient partagés ensemble depuis la veille prouvaient déjà largement qu’il finissait toujours par baisser les armes face au géant nordique. C’était précisément ce qu’il faisait à cette seconde, s’autorisant même à recréer du contact en laissant ses doigts libres jouer distraitement dans les plis du t-shirt de son compagnon. « Mais si tu veux un aperçu de quelque chose, il suffit de demander. J’aviserai. » Gaby suggérait, tout doucement, l’air de rien, sans pour autant s’oser réellement à croiser le regard du grand suédois sur le champ, comme pour laisser l’idée infuser, un instant. Mais lorsqu’il finit enfin par relever le nez, pour perdre le bleu de ses iris dans le vert de celles de son vis-à-vis, il lui offrit cette fois un véritable sourire, de ceux qui lui étaient devenus rares et qui pourtant éclairaient si joliment son visage.
Il était surpris, forcément, puisque l'image que lui rendait Gabriel n'avait strictement rien à voir avec le tableau qu'en dépeignait Lola. Son cher bouclé avait sûrement vécu plus qu'il n'était prêt à l'assumer, peut être par peur ou bien seulement par honte mais dans les deux cas, Wren n'avait pas changé de vision sur l'homme en face de lui. Peut être que Carnahan ne désirait pas se dévoiler plus qu'il ne l'avait déjà fait en sa compagnie depuis la veille et Doherty ne pouvait pas lui en vouloir de cette réalité, surtout pas à lui qui n'était pas un ange comme il essayait de le prétendre avec son regard mielleux et ses petits sourires en coin. Il avait bien raison de se méfier, l'artiste, de prendre ses distances et de quitter les lieux avant que Wren n'aille trop loin, que leur colocataire ne les démasque alors que le jeu commençait à peine entre eux. Le suédois l'observait, ne disait rien, il jouait seulement avec les limites, là, au beau milieu du couloir de l'appartement alors qu'il sentait encore le malaise au fond des entrailles de son petit brun. Il était tout chamboulé, Carnahan, oui, chamboulé de sa vérité qui explosait devant tout le monde là, alors qu'il ne demandait qu'à rester dans son coin. Ce n'était plus possible désormais puisqu'il avait rencontré Doherty, que celui-là s'accrochait à sa poigne autant qu'à son coeur et qu'il n'arriverait pas à s'en débarrasser aussi aisément que d'autres avant lui. Il n'était pas très doué pour assumer une relation amoureuse, la preuve avec cette idée de vivre leur lien en cachette mais Wren savait ce qu'il voulait à ce moment précis. Jouer plus encore, mais pas pour les raisons habituelles, pour les sentiments qui naissaient à haute vitesse au fond de son coeur. "Ah bon? J'avais pas remarqué les différences..." D'accord, Lola avait conservé tous ses vêtements, n'était pas devenue sa muse en une soirée et n'avait pas mis à sac l'appartement aux côtés du bouclé mais dans les faits, les raisons devaient être identiques. La jeune femme aimait Gaby, elle l'aimait tellement qu'elle désirait retrouver cette part insouciante de lui, cette part qui vivait pleinement plutôt que de le regarder se perdre dans ce rôle d'ermite dont Gabriel parlait au nordique justement. "De quels aperçus tu parles exactement?" Il se mordit la lèvre pour se retenir de l'embrasser et faire renaître cette flamme endormie, jamais totalement cela dit vu la manière dont Wren le toisait à l'heure actuelle. Il voyait bien que Carnahan se déridait peu à peu, qu'il laissait le contrôle lui échapper, une bonne chose à dire vrai car Wren commençait à s'inquiéter de le perdre aussi vite. "Je sais pas quelle est ta définition de farouche exactement... Mais tu sais, t'es pas obligé de rester un ermite, tu peux t'amuser maintenant, être complètement toi-même et pas te fixer de limites. Elle voudrait que tu sois heureuse Lola, tu crois pas? C'est sûrement pour ça qu'elle te cherche... Un peu comme moi." Dans des registres radicalement différents pour sûr mais l'effet était sûrement le même parce que Wren l'avait déjà maintes fois poussé dans ses retranchements pour qu'il sorte de sa coquille et Gabriel le faisait peu à peu. Il lui souriait le Doherty, sa seconde main glissant contre sa joue pour apaiser cette peur panique qu'il devait sûrement conserver quelque part, son brun. "T'es vraiment en train de t'offrir à moi? T'es trop généreux. Je peux commencer ma liste, alors... Je serais pas contre un massage du petit bouclé, ni contre une danse endiablée pour voir à quel point t'étais le roi de la fiesta... Mais surtout, je veux un sourire là." Il caressa ses lèvres avec une tendresse non feinte, venant les picorer des siennes, juste une seconde supplémentaire parce que Wren se doutait qu'il gagnerait l'effet escompté, qu'il permettrait à Gabriel de retrouver tout son flegme. D'être juste le plus heureux des hommes en sa compagnie.
Gabriel s’en voulait de réagir de la sorte, et il lui faudrait sûrement du temps et du travail pour faire passer ces mauvaises habitudes qui étaient devenues les siennes depuis qu’il avait laissé toute la place à ses insécurités et son chagrin, s’oubliant toujours plus en chemin, mettant en pause toute une partie de sa vie, comme si cela allait l’aider à quoi que ce soit. Et à vrai dire l’une des seules solutions pour l’obliger à réagir était bien celle qu’employaient de concert Lola et Wren. Le déstabiliser, si désagréable cela fut-il pour lui, le pousser à ses limites pour le faire sortir de sa zone de confort. Cela fonctionnait, il le prouvait encore une fois en réagissant si vivement, plus que d’habitude car cette fois ils étaient deux à s’employer à le chercher. Elle était peut-être là la solution à ce qui le rongeait peu à peu depuis des mois, dans un équilibre à trouver entre ses deux colocataires, autant que dans le fait de se retrouver soi-même. Mais encore fallait-il qu’il en prenne réellement conscience. A la place il laissa un vague soupir réprobateur lui échapper. « Je crois que tu t’en souviens très bien. » Y songeant Gaby ne put réprimer un frémissement. Comme un long fourmillement, qui n’avait rien de franchement désagréable, qui parcourut tout son être, alors qu’il se mordit la joue pour conserver un semblant de contenance face à l’attitude de Wren. Ce qui n’était pas sans lui demander une sérieuse dose de volonté quand un seul regard, comme celui que le suédois posait justement sur lui, suffisait à affoler davantage l’émoi qui l’habitait déjà, autant qu’à le faire presque littéralement fondre sur place. Il doutait d’ailleurs d’un jour pouvoir s’y habituer. C’était inexplicable, et particulièrement irrésistible. Et en y réfléchissant bien le petit brun doutait de vouloir s’y habituer, parce qu’il y prenait forcément goût, à cette sensation enivrante, et ce même s’il se sentait aisément désarmé et décontenancé face au suédois. Seulement voilà, il se sentait surtout, et avant tout, plus vivant que jamais, et ça ça n’avait pas de prix à ses yeux. Et de vivre il en était justement question dans les propos du nordique. « Je crois qu’il faut que je réapprenne tout ça… » Gabriel avait baissé les yeux et son ton demeurait bas. Il ne trouvait guère de mots pour répondre au discours de Wren, et pour cause, il savait parfaitement qu’il avait raison en tous points. Que Lola ne voulait que son bonheur, qu’elle ne supportait plus de le voir dépérir, qu’elle avait tout essayé pour inverser la tendance, qu’elle essayait encore, obstinée qu’elle était. Mais à s’être tant caché, tellement terré, à avoir minutieusement enfoui jour après jour ce qu’il était, pour mieux s’habiller d’un costume qui n’était pas le sien, il avait fini par oublier. Oublier d’être soi, de s’amuser, d’être heureux en somme. Il savait pertinemment tout cela et pourtant il avait effectivement besoin d’entendre ces mots-là dans la bouche de Wren, besoin qu’une tierce personne les lui répète, lui mette sous le nez tout ce qu’il n’arrivait plus à entendre autrement, besoin de ce regard nouveau sur sa vie qui n’avait plus de sens, parce qu’il ne la vivait pas. Et c’était précisément ce que s’employait à faire le suédois à cet instant, l’obliger à faire face à ce pâle reflet de lui-même qu’il donnait à voir au reste du monde, rien de plus qu’un masque pathétique. Gaby ne le remercierait sûrement jamais assez pour cela, pour tout ce que son beau nordique lui apportait déjà en si peu de temps. Il marquait le début d’un nouveau chapitre dans la vie du jeune artiste, c’était une évidence, et ce quel que soit ce qui les attendait demain. Gabriel ferma les yeux, l’espace d’un instant, en sentant la large paume qui se lovait contre sa joue, soufflant doucement à ce contact et le savourant comme s’il s’était agi du tout premier, ce qui était en réalité bien loin d’être le cas. Il demeura encore quelque peu immobile et silencieux, comme pour étirer d’autant ces secondes, pourtant parfaitement attentif aux mots de l’historien. Evidemment que son cœur manqua un battement supplémentaire alors que les doigts de ce dernier vinrent glisser délicatement sur ses lèvres, alors qu’il tuait la faible distance qui les séparait encore, que leur souffle se mêlait de nouveau le temps que les lippes du grand brun ne viennent effleurer les siennes. Et ce ne fut de fait pas un simple sourire que le jeune artiste offrit à son homme, mais bel et bien un rire discret, aussi doux et léger qu’une plume, tout teinté d’une insouciance juvénile. « N’en profite pas trop quand même. » Il retrouvait un peu de cette ambiance délicate et espiègle entre eux. Gaby finit par incliner légèrement la tête de coté, comme en pleine réflexion. « Mais c’est un début de liste qui me paraît tout à fait envisageable cela dit. » Il l’était oui, parce que c’était Wren qui en faisait la requête et qu’avec lui, le champ des possibles paraissait soudain bien plus vaste à Gabriel. D’autant plus à cet instant où le petit brun laissait ses prunelles bleutées se perdre, cette fois sans crainte ni retenue, dans le vert d’eau de celle de son suédois, et sur son visage, et dans son cou. Bon sang qu’il était beau cet homme-là et comme le regarder faisait naître un formidable bazar dans le cœur de Gaby. Il n’y tenait plus l’artiste. Alors sa main navigua sur le torse de son bel amour, jusqu’à glisser dans son cou, pour finalement mieux se lover tout contre sa nuque. De ce nouvel ancrage, le bouclé tira l’élan nécessaire pour quitter l’appui du mur dans son dos, gagner un peu de hauteur et venir sceller de longs et suaves baisers à la bouche du géant brun. Jusqu’à ce que finalement chacun dût reprendre son souffle, ce ne fut qu’à la contrainte de cette obligation vitale que Gabriel se décida à libérer les lèvres de Wren. Le petit brun nicha alors son nez dans le cou du suédois, s’enivrant du parfum de sa peau, s’imprégnant de sa douce chaleur. A cette seconde précise il se sentit réellement apaisé, et c’était là un grand pouvoir que son compagnon semblait posséder, celui de calmer ses angoisses et de lui donner le courage nécessaire pour affronter le reste du monde. Car c’était bien le cas. « On devrait s’occuper de ces fameuses boissons, avant que Lola ne se demande ce qu’on fabrique, tu crois pas ? » Il ne bougea cependant pas, pas tout de suite. A vrai dire il aurait assurément préféré rester là, à oublier l’univers tout entier entre les bras de l’homme qu’il aimait déjà. Au moins cette fois-ci se sentait-il réellement prêt à remonter sur ce toit et profiter de cette soirée à la belle étoile avec plus de sérénité.
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